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Full text of "Histoire universelle de Jacques-Auguste de Thou : depuis 1543. jusqu'en 1607. Traduite sur l'édition latine de Londres .."

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HISTOIRE 


DE 


JAC  QUE-AUGUSTE 


DE 

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TOME 

TROISIEME. 

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HISTOIRE 

UNIVERSELLE 


DE 


JACQUE-AUGUSTE 

DE    THOU> 

Depuis  1543.  jufqu'en  1607. 

TRADUITE  SUR  L'EDITION  LATINE  DE  LONDRES. 

TOME      TROISIEME. 
1556. 1560. 


A      LONDRES. 
M.    D  C  G.  ■  X  X  X  I  V. 


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SOMMAIRES 

DES     LIVRES 

CONTENUS  DANS  CE  TROISIEME  VOLUME. 


SOMMAIRE   DU   LIVRE  XVII. 

Apel  du  cardinal  Poole  qui  aVoit  été  exilé  par  Henri 
VIII.  On  propofe  en  vain  dans  le  Parlement  d'Angle- 
terre de  couronner  Philippe.  En  Ecoffe  le  Viceroi  fe  démet  de 
toute  I autorité ,  Z?  la  Reine  mère  efl  déclarée  Régente  du 
Royaume.  Supplices  des  Proteflans  en  Angleterre.  On  fait 
exhumer  les  corps  de  Bucer  <&r  de  Fagius.  Trêve  que  l Em- 
pereur <ùr  le  Roi  ratifient.  Ottavio  Famefe  quitte  le  parti  de 
la  France ,  &  fe  reconcilie  avec  l'Empereur.  Les  Caraffes 
tachent  défaire  rompre  la  trêve.  Le  cardinal  Caraffe  efl  en- 
Voyé  légat  en  France.  Le  Papeprofcrit  les  Colonnes ,  <l?fait 
un  procès  à  l 'Empereur  au  fujet  des  Royaumes  de  Naples , 
&  de  Sicile.  Les  Caraffes  dreffent  des  embûches  k  Afcanio 
de  la  Cornia.  Conquêtes  du  duc  d \Alhe  dans  la  campagne  de 
Rome.   Prife  d 'Anagni.  Jean  de  Luna  quitte  le  fervice  de 
l Empereur ,  (3l  entre  au  fervice  de  la  France.  Les  Turcs 
djfiégent  inutilement  Or  an  en  Afrique  s  vigoureufe  rejï fiance 
du  comte  Aie audete gouverneur  de  cette  place.  Marc- Antoine 
Tom.  III.  a 


Henri  II. 


ij  SOMMAIRES. 

Colonne  fait  des  courfes  jufquaux  portes  de  Rome.  Prife  de 
Henri  IL  j1^/,.  Reddition  de  Vicovaro.  Blaife  de  Montluc  efl  en- 
yoyé  à  VelletYÏ  pour  défendre  >  &  fortifier  cette  Place.  Les 
habitans  de  Nettuno  fe  révoltent ,  <&r  le  duc  d'Elbe  envoie 
des  troupes  h  leur  fecours.  Palombara  efl  pris  l?  pillé  par  la 
mauVaife  intelligence  des  habitans.  Balta^ar  Rangone  tombe 
dans  une  embufcade ,  que  Popoli  lui  avoit  drejfée  ,  fa  de- 
route  jette  ï  ail  arme  dans  Rome.  Siège  ,  &  prife  d'Oftte.  Tre-> 
Ve  entre  le  Pape  £?  le  duc  d'Âlbe,  fur  le  bruit  qui  couroit , 
que  l'armée  de  France  alloit  arriver.  Le  duc  d'Albe  va  à 
Isfaples  y  &  cherche  >  avec  les  principaux  officiers  yles moyens 
d'affurer  les  frontières.  Ferdinand  de  Gon^ague  qui  étoit  re- 
Venu  en  Italie  y  après  le  jugement  qui  avoit  été  rendu  en  Flan- 
dre par  l'Empereur  contre  fes  accufateurs ,  ajfifle  à  ce  Conjeil, 
<UT  y  dit  fort  avis.  Les  troupes  du  Pape  commandées  par 
Stro^j  reprennent  Oflie.  Marc-Antoine  fils  de  Blaife  de 
Montluc  y  efl  tué.  Prife  de  Vicovaro  par  les  troupes  Fran- 
çoifes.  On  punit  févérement  en  France  les  feclaires  y  dont  plu- 
fieurs  fouffrent  le  dernier  fupplice.  Arrêt  remarquable  du  Par- 
lement de  Paris  ,  contre  Julien  Taboue  qui  caffe  un  autre 
arrêt  du  Parlement  de  Dijon  :  Raimond  Peïiffon  y  &  d'au- 
tres accufe\  de  concuffion ,  <&r  qui  aVoient  été  condamne^  com- 
me coupables ,  font  renvoyé^  abfous ,  <?  entièrement  juftifie^. 
On  travaille  à  la  pacification  des  troubles  de  la  Religion  en 
Autriche.  Mouvemens  des  Ofiandriftes  en  Pruffe.  Jean  Funck 
abjure  fes  erreurs.  On  reçoit  la  confeffion  d'Ausbourg  a  Spi- 
re y  &  dans  l'état  de  Bade.  Soupçons  des  Proteftans  contre 
la  France ,  à  caufe  de  notre  alliance  avec  le  Pape.  Mort  de 
Frédéric  Eletleur  Palatin ,  qui  avoit  époufé  Dorothée  fille  de 
Chriftierne  Roi  deDannemarc  ,<sr  quinelaiffe  aucune  po fie- 
nt é.  Henri  0 thon  fonneVeU  lui  fucce de.   On  raporte  l'affaire 


SOMMAIRES.  iij 

d'Albert  dans  la  Diète  de  Ratisbonne.  Siège  de  2Z\geth  en 
Hongrie.  Défaite  des  Turcs.  Valeur  &  confiance  de  T Eu-  Henri  IL 
nuque  Hall  Bâcha.  Gran  ejl  repris  par  les  nôtres.  Appari-  l  5  5  ^. 
tion  lune  Comète  le  6  de  Mars.  L'Empereur  fe  per/uade 
quelle  le  regarde  s  il  envoie  à  la  chambre  de  Spire  le  décret 
de  fon  abdication  ,  recommande  Ferdinand fon  frère  ,  part  de 
JZu'itbouYg  en  2Zelande ,  &  arrive  en  Efpagne.  Mort  de  Jean 
Sleidan ,  de  Jean  For  fier  y  de  Sebaflien  Conrad  y  de  Jean  Ge- 
lide  y  &  de  quelques  autres  jçaV  ans. 


SOMMAIRE   DU   LIVRE  XVIII. 


LEs  François  Violent  la  trêve  à  Vinfligation  q]es  Carajfes'y 
0*,  afin  de  le  faire  avec  quelque  avantage >  Gajpard  l  S  SI' 
de  Coligni  tente  ,  mais  inutilement  de  jurprendre  Douay.  Pil- 
lage de  Lens  en  Artois.  Mamfejle  contre  les  Impériaux , 
par  lequel  on  expofe  les  ju  fie  s  raifons  de  reprendre  les  armes» 
François  de  Lorraine  duc  de  Guife  pajje  en  Italie  avec  une 
armée.  Prife  de  Valence.  On  délibère  fi  l'on  marchera  "vers 
le  Mdane\  >  dont  les  places  étoient  fans  garni  fon  ,  &  contre 
Crémone  s  ou  fi  Ion  ira  dans  le  Royaume  de  Naplcs.  Briffaô 
&  les  Biragues  ne  font  pas  du  premier  avis.  Le  duc  de  Gui- 
fe laijfant  derrière  lui  le  Milane\ ,  pajje  le  Terano  yi?  va 
trouver  le  duc  de  Ferrarefon  beau-pere.  H  confère  enfuite  â 
Boulogne  avec  le  cardinal  Caraffe  des  moyens  de  s'emparer 
du  Royaume  de  Inaptes.  Il  fait  pajjer  fon  armée  par  FerniOy 
&  par  Afcoli ,  &  emporte  Campli  de  force.  Levée  dufiêge 
de  Civitella ,  après  plujteurs  ajfauts.  Les  Impériaux  tachent 
de  fur  prendre  par  de  f ter  et  es  intelligences  Montalcino  en  Tof- 
cane.  Blaife  de  Montluc  fur prend  Pien^a.  Le  duc  de  Ferrure 

a  ij 


iv  SOMMAIRES. 

'-■  harcelé  les  hahitans  de  Correggio.  Alfonfe  fin  fils  marche  con* 

Henri  II.  fre  \es  Qon^agues  qui  étoient  au  fervice  de  P  Empereur.  Brifi- 
1  S  S  7-   fiac  s' empare  de  Chcrafico  en  Lombardie ,  i?  tente  Cumio.  Brifi 
fiac  rencontre  proche  de  Foffiano  le  marquis  de  Peficaire.  Po- 
litique artificieufie  de  Corne  qui  oblige  Philippe  à  lui  remet- 
tre l'Etat  de  Sienne.  Marc- Antoine  Colonne  fait  la  guerre 
dans  la  Campagne  de  Rome.  Prifie  de  Pratica  >  château  ap- 
partenant à  Frédéric  Conte.  Jule  des  Urjins  fie  rend  maître 
de  Monte  fortino ,  t?  y  met  tout  a    feu  &  à  fang.  On  affli- 
ge vainement  Piglio.   Valmontone  fie  rend  a  difcretion  à  Co- 
lonne. Les  hahitans  de  Monte  fortino  animer,  par  la  ven- 
gence  mettent  le  feu  à  cette  place.  Palefirina  fie  rend,  Z?  ejl 
pillée  par  les  Allemands.  Bataille  entre  Valmontano  <t?Pa- 
liano.  Des  TJrfins  ejl  Vaincu  par  Colonne  ,  qui  pourfuivant 
fia  vitloire  afflige  Segna  ,  fur  prend  la  citadelle  de  MajJimo> 
prend  de  vive  force  Angarano ,  &  Filignano  dans  le  territoire 
d Âfcoli.  Bataille  d! Aficoli ,  où  nos  troupes  ont  du  difaVan- 
tage.  Le  duc  de  Guifie  piqué  quon  ne  lui  eut  point  envoyé 
les  fecours  quon  lui  avoit  promis ,  fe  retire  du  Royaume  de 
Naples  y  4s  vient  a  Rome  ou  le  Pape  ï aVoit  mandé.   Prifie 
de  Segna  :  Colonne  fait  brûler  cette  place.   Le  duc  d'Albe  en- 
tre dans  la  Campagne  deRome  P  &  efifaye  de  fur  prendre  Rome. 
Le  Roi  rappelle  le  duc  de  Guifie  après  la  bataille  de  Saint - 
Quentin.  Le  Pape  fait  un  traité  avec  le  duc  d'Albe  par  Pen- 
tremifie  de  Corne ,  &  des  cardinaux  Santafiore  0  &  Vitel- 
lo^o.  Débordement  du  Tibre  pendant  la  nuit  même  de  la 
conclufion  du  traité.  JJ Ame  inonde  auffii  Florence.   TSfimes 
en  Languedoc  efl  prefque fubmergé .  Dans  la  Chine  les  gran- 
des pluies  qui  tombèrent  dans  la  province  deSanciam  ,fubmer- 
gent  Jept  villes ,  tsr  forment  un  lac  quon  appelle ,  a  eau  fie  de 
fia  figure  ,  le  lac  rond. 


SOMMAIRES. 


Henri  IL 

SOMMAIRE   DU  LIVRE  XIX.      *^7' 

ON  ote  au  cardinal  de  Trente  le  gouvernement  du  Mi- 
lane\.  Jean  de  Figueroa  ejl  mis  à  fa  place ,  au  pré- 
judice du  marquis  de  Pefcaire.  Le  Roi  d'Efpagne  tourne  Jes 
armes  contre  le  duc  de  Ferrare  >  <S  Ottavio  Farnefe  eft  char- 
gé de  la  conduite  de  cette  guerre.  Les  Siennois  ,  qui  étoient 
encore  dans  les  intérêts  de  la  France ,  étant  réduits  à  la  der- 
nière extrémité  y  4s*  manquant  de  tout ,  remettent  entre  les 
mains  des  François  ->  Montalcino ,  <JT  leurs  autres  places. 
Albert  de  Brandebourg  ,  qui  av oit  fait  trembler  l'Allemagne  y 
meurt ,  dans  un  état  pauvre  Z?  méprijable.  Décret  de  la 
Diète  de  Ratisbonne.  L'affaire  de  lapofjeffwn  de  Cat^eneln- 
hogen  eft  enfin  accommodée  à  Francfort.  On  arrête  dans  ïaf- 
f emblée  de  Wormcs  que  ceux  de  la  confejfion  d Ausbourg feu- 
lement jouiront  du  bénéfice  de  la  paix  >  al  'exclu fion  des  au- 
tres Proie ft ans.  Origine  de  la  guerre  de  Brème ,  allumée  par 
Chriftophle  archevêque  de  Brunfwich  Marie  Reine  d'An- 
gleterre  ?  a  la  joïïicitation  de  Philippe  f on  mari,  déclare  la 
guerre  à  la  France.  Dans  le  même  tems  la  Régente  d'Ecojfe 
la  déclare  à  la  Reine  d'Angleterre.  Les  Ambaffadeurs  d'E- 
cojfe  Viennent  en  France ,  pour  ajfifler  à  la  célébration  du 
mariage  de  leur  Reine  avec  le  Dauphin.  Guerre  fur  la  fron- 
tière de  Flandre.  Les  ennemis  paroiffent  à  ïimprovifie  de- 
vant Saint  Quentin ,  que  Gafpard  de  Coligni  Gouverneur  de 
la  Province  s'étcit  chargé  de  défendre.  Anne  de  Montmorenci 
fait  entrer  quelques  troupes  dans  la  place  ?  fous  la  conduite 
de  Dandelot  frère  de  Coligni.  Le  Connétable  eft  entièrement 
défait  dans  fa  retraite.  Il  eft  fait  prifonnier  avec  la  plupart 

*  »  • 

a  nj 


vj  SOMMAIRES. 

s  des  Seigneurs  qui  l'accompagnaient.  Prife  de  Saint  Quentin, 


Henri  II.  malgré  la  vigoureufe réfi fiance  des  ajfiége^.  Reddition  du  Ca- 
1  $  5  7'  telet ,  1&  -de  Han.  On  tente  inutilement  de  furprendre  Chau- 
ni.  Mort  de  Ferdinand  de  Gon^ague  s  fon  caraSîere ,  <&r  Ces 
mœurs.  Expédition  de  "Nicolas  Pollevdle  ou  Polvdler  en  Bref- 
fe ,kla  follicitation  du  duc  de  Savoy e.  Leduc  de  Guife  Vient 
trouver  le  Roi  a  Saint  Germain.  Emotion  populaire  à  Paris 
caufèe  par  une  affemblée  clandejline  des  Protejlans  devant  la 
maifon  de  Bertomier.  On  en  punit  quelques-uns  du  dernier 
fupplice.  Edit  contre  les  mariages  clandeflins.  Loi  tres- 
févere  contre  les  mères  qui  défont  leurs  enfans  ,  pour  cacher 
leur  crime.  Ordonnance  touchant  les  E-Veques  &  les  Cure\. 
Edit  touchant  les  Préfidiaux  >  ùt  leur  Juridiftion.  Mort 
d'hommes  illujlres ,  de  Jean-Baptijle  Ramufio  >  de  picolas 
1  art  aléa  de  Breffe ,  de  Pierre  ISfannius ,  de  Vitus  Amerbach, 
t?  de  Salomon  Macrin.  Nouvelle  efpece  de  maladie  qui  ra- 
vage VEfpagne,  O*  qui  pénètre  en  Italie. 


SOMMAIRE    DU   LIVRE   XX. 

A  Ff aires  d Afrique.  Succeffïon  des  Chéri fs  jufquà  Ab- 
data ,  qui  affermit  enfin  l'Empire  dans  fa  M  ai  fon.  Ex- 
pédition de  Buhaçon  dans  la  Mauritanie ,  avec  le  fecours  des 
Portugais.  Salh-Rais  fe  rend  maître  de  la  flotte  Chrétienne, 
il  marche  cependant  contre  le  Cherif  Mahamet ,  en  faveur  de 
Buhaçon.  Défaite  du  Cherif.  Buhaçon  fe  rend  maître  des 
deux  Fe^  Les  Turcs  s'emparent  par  artifice  de  Penon  de 
Vele^s  Hamet  >  frère  du  Cherif,fe  faijït  de  Tafilete.  Il 
y  efi  affligé  y  il  fe  rend  à  difcretion  avec  fes  enfans ,  que  le 
Cherif  fait  aujfi-tot  égorger ,  dans  la  crainte  d'une  révolte. 


Henri  IL 
15  57. 


SOMMAIRES.  vîj 

Victoire  du  Cherif.  Buhaçoneft  tué  dans  la  mêlée.  Le  Che- 
rif recouvre  fans  peine  les  deux  Fe^j.  Il  ejl  tué  quelques  tems 
après  ,  en  allant  à  Sus ,  après  un  règne  de  trente- fept  ans. 
Hafcen  affaffin  de  ce  Prince  ne  lui  furVit  pas  long-tems  \fis 
troupes  font  taillées  en  pièces  5  il  perd  tout  fon  butin ,  <&r  il  ejl 
lui-même  tué.  Ali-ben-Bubcar  premier  Miniflre  (S*  Général 
des  armées  d' Abdala  fils  du  Cherif  Mahamet  y  apréhendant 
quelque  révolution  ,fait  tuer  les  petits  enfans  de  Hamet  frère 
du  dernier  Cherif  \  t?  même  les  enfans  de  Marient  fœur  d'Ab- 
dala.  Reffentiment  de  Marient  contre  Ali-ben-Bubcar.  Elle 
difjimule  cette  injure  ,  &  fe  réconcilie  avec  Abdala  fon  frère. 
Elle  trouve  une  occafion  de  rendre  fufpeH  Ali-ben-Bubcar. 
Abdala  le  fait  étrangler.  Etendue  ,puiffance,&  forces  de  V  Em- 
pire des  Cherif  s.  Affaires  de  France.  Siège  de  Calais  par  le 
duc  de  Guife.  La  place  fe  rend  le  10  de  Janvier ,  deux  cens  ■■■ 
dix  ans  après  que  les  Anglois  s'en  furent  empare^.  Prife  de  1  5  $  8. 
Guines.  Affemblée  des  Etats  du  Royaume  à  Paris.  Charle 
cardinal  de  Lorraine  parle  pour  le  Clergé ,  le  duc  de  NeVers 
pour  la  Nobleffe ,  ï?  André  Guillart  du  Mortier  pour  le  tiers 
Etat.  On  offre  au  Roi  trois  millions  d'or.  Le  Roi  va  à  Ca- 
lais y  dont  il  donne  le  gouvernement  a  Paul  de  Thermes.  Pri- 
fe du  château  d ' Herbemont  dans  la  foret  S  Ar  demies ,  par 
le  duc  de  NeVers.  Le  bruit  de  la  prife  de  Calais  fe  répand 
en  Italie  ,  &  ranime  le  courage  des  François ,  &  de  ceux  de 
leur  parti  dans  ce  payis.  On  tente  inutilement  de  fur  prendre 
Orbitello.  Cour f es  du  duc  de  Ferrare.  François  fon  frère  quitte 
le  fervice  du  Roi  iïEfpagne ,  <&r  prend  le  parti  de  la  France. 
Le  duc  de  Ferrare ,  par  ïentremife  de  Corne ,  fait  fon  accom~ 
modement  avec  le  Roi  d'Ejpagne.  On  fortifie  les  cotes  mari* 
tintes  de  Tofcane  contre  les  defcentes  de  l armée  navale  des 
Turcs.  Les  Génois  envoyait  une  ambaffade  a  la  Porte ,  pour 


viij  SOMMAIRES. 

ï=?œ^  obtenir  des  bleds ,  <tT  éloigner  des  terres  de  leur  dépendance 
Henri  II.  \a  j{otte  Turque.  Briffac  qui  étoit  "Venu  a  la  Cour ,  pourfe 
1  *  *  juflifier  des  calomnies  qu'on  lui  imputoit  P  efl  renvoyé  dans  fon 
gouvernement.  Le  duc  de  Seffa  efl  fait  gouverneur  du  Mila- 
nex.  en  la  place  de  Figueroa ,  &  Dom  Perafan  de  Ribera  Vi- 
ceroi  de  ÎJaples.  Mariage  du  Dauphin ,  t?  de  Marie  reine 
d'EcoJJe.  Les  noces  fe  font  à  Paris  avec  beaucoup  de  magni- 
ficence. Conférence  fecrette  à  Peronne  entre  le  Cardinal  de 
Lorraine  >  ist  Antoine  Perrenot  évèque  d'Arras.  Dandelot 
efl  aceufé  d'béréfee.  Il  ne  cache  point  fes  fentimens  au  Roi. 
Il  e/l  arrêté  >  &*  envoyé  prifonnier  dans  le  château  de  Me» 
lun.  On  commet  à  fa  charge  de  Colonel  de  T  infanterie  Fran- 
çoife ,  Blaife  de  Montluc.  Procès  criminel  de  Françoife  d'Am- 
boife  au  fujet  de  ïévafion  du  duc  d 'Arfcbot.  Prévarication 
de  Jean  Munier  lieutenant  civil ,  qui  eft  condamné.  Siège  & 
prife  de  ThionVille  dans  le  Luxembourg  >  par  le  duc  de  Gui* 
fe'->  Pierre  Stro^i  eft  tué  a  ce  (ïége.  Prife  d'Arlon.  On  tente 
inutilement  de  fur  prendre  Luxembourg.  Le  duc  de  Guife  perd 
le  tems  à  Vireton.  De  Thermes  ravage  le  comté  de  Ponthieu , 
<&r  de  Boulogne.  Prife  <ts  fac  de  Dunquerquc  >  <iS  de  Ber- 
gues-Saint-Winoc.  Bataille  de  Gr  aveline  s ,  ou  de  Thermes 
efl  Vaincu.  Armée  navale  des  Anglois  fur  la  cote  de  Bretagne. 
LÏEleîïeur  de  Saxe  envoie  des  troupes  auxiliaires  en  France. 
Le  duc  de  Vendôme  tente  inutilement  de  furpendre  Saint 
Orner.  Prétentions  de  ï Ambaffadeur  iEfpagne  à  Venife  : 
François  de  No  ailles  ambaffadeur  de  France  lui  réjî/le.  Le 
Sénat  de  Venife  conferVe  le  premier  rang  à  ï Ambaffadeur 
de  France.  Lieu  du  congre^  où  les  Plénipotentiaires  doivent 
traiter  de  la  paix.  Mort  de  Marie  reine  d*  Angleterre  >  fui- 
Vie  de  celle  du  cardinal  Poole.  Paul  IV.  maltraite  quelques 
Cardinaux.    Elisabeth  fuccede  à  Marie  fa  fœur.  Le  Roi 

soppofe 


SOMMAIRES.  ïx 

s'oppofe  fccrettement  a  Philippe  qui  vouloit  époufer  cette  ^^^^^^ 
Pnncejfe.  Henri  II. 

SOMMAIRE   DU  LIVRE  XXI. 

Expédition  du  duc  de  Seffa  dans  le  Piémont.  Prife  de 
Montcalvo  par  les  ennemis.  Vive  difpute  a  ce  fujet 
entre  Pecquigny  -,  <s?  le  baron  des  Adrets ,  qui  s* étant  plaint 
que  le  duc  de  Guife  lui  a"\>  oit  fait  une  injure,  dijjimule  fort 
rejfentiment  jufqu'à  ce  quil  trouve  V occasion  de  pouvoir  en 
tirer  Vengence.  Ferdinand  eft  déclaré  Empereur.  Il  envoie 
inutilement  des  Ambajfadeurs  au  Pape  -,  devant  lequel  il  fait 
faire  fes  proteflations.  Décijïon  des  différends  de  la  maifon 
de  Brandebourg.  AJfaJfinat  de  Melchior  Zobel  évèque  de 
Wirt^bourg.  Guerre  de  Liv oui e.  Situation  de  cepayis  s  mœurs 
de  ces  peuples,  &  leur  origine.  Sources  des  Fleuves  de  la, 
Duina  ,  du  Volga ,  du  Borifihene ,  du  LoWat  >  &  du  Don. 
Commencement  de  la  Religion  Chrétienne  dans  ces  payis.  Les 
Chevaliers  de  l  Ordre  Teutoniquefont  appelle^  en  Livonie  par 
Albert  évèque  >  leur  ingratitude  s  ils  font  la  guerre  aux  Evê- 
ques.  Guerre  entre  les  Chevaliers  <&r  ceux  de  Riga.  Les 
Mofcovites  profitent  de  ces  divi fions ,  HT  font  une  irruption 
dans  ta  Province  après  le  traité  de  Dant^icen  1347.  Wal- 
ter  de  Plettemberg  les  repouffe  avec  valeur.  Il  fait  avec  eux 
une  trêve  de  cinquante  ans  y  <t?  ménage  un  accommodement 
entre  les  Chevaliers ,  &  ceux  de  Riga.  Sigifmond  roi  de  Po- 
logne  abolit  en  Pruffe  V Ordre  Teutonique  en  1  y  2  5  ?  &  Si- 
gifmond Augufte  [on  fils  Jupprime  quelques  années  après  l'Or- 
dre des  Chevaliers  de  Livonie.  Le  Luth erani fine  fie  répand 
en  Livonie.  Les  habit  ans  de  TreptaVV  ?  ville  fur  les  frontières 
Tom.  III.  b 


x  SOMMAIRES. 

de  Pomeranie  embraffent  d'abord  cette  doctrine.  André  Cnoff 
Henri  11.  pY£c])e  [es  dogmes  de  Luther  à  Riga  y  d'où  ils  paffent  enfin  à 
Derpt.  Motifs  de  la  haine  des  Mofcovites  contre  les  Livo- 
niens.  Origine  des  Mofcovites  y  fucceffion  de  leurs  R rinces. 
Commencement  de  la  Religion  chrétienne  dans  leur  payis  :  lé- 
tendue  de  leurs  provinces  3  leur  gouvernement ,  Z?  leurfévé- 
rité.  Apres  l'expiration  de  la  trêve  de  cinquante  ans ,  dont  on 
refufe  la  continuation  ,  Jean  C^ar  de  Mofcovie  fe  rend  maî- 
tre de  ISferVVa ,  Ville  de  Livonie.  Il  s'empare  en  fuite  de  ISleu- 
haus  y  <&  enfin  de  Derpt  après  un  longjiége.  Chnftieme  roi 
de  Dannemarc  refufe  fa  protection  a  la  province.  Mort  de 
Charle-  Quint  ,fon  éloge.  Mort  de  quelques  illuftres  fcavansy 
de  Jean  Bugenhagen  de  Pomeranie  y  de  Jean  Fernel ,  de  Ja- 
nus  Cornaro ,  de  Jacque  Micylle  >  de  Jean  Pena,  de  JuleCe- 
^ar  Scaliger,  de  Louis  Lipoman  évèque  de  Bcrgame  ?  d' An- 
dré Tiraqueau ,  de  Jean  Verger  a.  Efcarmouches  contre  les 
Anglois  en  Ecoffe.  Forces  des  Protefians  dans  ce  Royau- 
me y  ils  excitent  des  f éditions  de  tous  cote\.  Défordres  aPerthy 
on  y  abat  les  Eglifes ,  &  le  convent  des  Chartreux  y  eft 
renverfé  de  fond  en  comble.  On  prend  les  armes  9  la  Reine 
Vient  à  Perth,  dont  on  lui  ouvre  les  portes.  Les  deux  par- 
tis congédient  leurs  troupes.  La  Reine  punit  les  féditieuxy  met 
uncgarnifon  dans  cette  Ville ,  tsr  revient  comme  en  triomphe 
k  Sterlin.  Situation  avantageufe  de  Perth.  Jacque  Stuart y 
<&r  le  comte  d'Argathel favori fent  les  Protefians.  Ils  quittent 
la  Régente.  Les  deux  armées  s'arrêtent  auprès  de  Cupre , 
comme  pour  combattre.  Vaines  propositions  de  paix.  Siège 
de  Perth  par  les  Confédéré1^  :  prife  de  cette  place  à  composi- 
tion. Ils  s'emparent  de  Sterlin  £?  de  Lythco  ,  Z? y  changent 
la  Religion.  La  Régente  Va  à  Edimbourg.  On  fait  une  tré- 
Ve  :  elle  eft  d'autant  plus  religieufement  obfervée ,  que  le 


SOMMAIRES.  xj_ 

Royaume  avoit  été  mis  à  deux  doigts  de  fa  perte  ?  par  lin-  7T    ~T7 
fraBion  du  premier  traité.  i  ç  y  j?« 

SOMMAIRE   DU   LIVRE  XXII. 

Ort  de  Chriftierne  III.  Roi  de  Dannemarc  :  fonça* 
ratière.  Sa  reconciliation  avec  Chriftierne  II,  qui  étoit 
prifonnier ,  &  qui  meurt  dans  le  même  tems.  Origine  de  la 
guerre  de  Dietmarjte.  Situation  de  la  Dietmarfie.  Génie  des 
habit  ans  de  cette  contrée ,  anciens  maîtres  de  cette  Provin- 
ce. Siège  de  Meldorpt ,  ou  Volfang  SchonVVefen  cfl  tué.  Prife 
de  Dielbruch.  Les  Danois  s'emparent  de  Vielbruch.  Prife 
de  Heiden  après  un  fanglant  combat.  Les  Vainqueurs  étant 
maîtres  de  la  campagne ,  mènent  leurs  troupes  dans  les  endroits 
marécageux ,  ou  les  vieillards  ,  cr  les  perfonnes  mutiles  a  la 
guerre  s etoient  retirées. Traité  de  paix  après  un  mois  de  guerre. 
Il  eft  au  fit  honorable  au  vainqueur ,  que  falutaire  aux  vain- 
cus :  l'Empereur  Ferdinand  le  confirma  depuis.  Grand  chan^ 
gement  à  Rome  ,  par  ïaVerfion  que  le  Pape  conçoit  pour  fa 
famille.  Il  ote  a  fes parens  les  dignité^  qu'il  leur  aVoit  don- 
nées. Etablijfement  de  nouveaux  Evkhe^  dans  les  Indes , 
&  en  Flandres ,  préjudiciable  a  la  France.  L'on  croit  aue 
l'ereclion  de  ces  Evéche^  a  été  la  caufe  <&r  I  origine  des  guer- 
res qui  ont  dans  la  fuite  défolé  les  Pays-bas.  Le  Roi  envoie 
d  la  Diète  dAusbouro;  Imbert  de  la  Platiere  fe'mieur  de 

^  J        CD 

Bourdillon ,  &  Charle  de  Marillac  archevêque  de  Vienne? 
pour  y  faire  renouvellerï  ancienne  alliance ,  <ts  y  défendre  les 
intérêts  delà  France  ,  fi  l'on  formoit  quelque  conte flation  au 
fujet  des  trois  Villes  qui  aVoient  été  remifes  au  Roi ,  fuivant 
le  traité  fait  avec  Maurice.  Réponfe favorable  de  Ferdinand. 

bij 


*ij  SOMMAIRES. 

—  H  Je  contente  de  parler  de  la  rejlitution  des  trois  villes  ,fans 

Henri  il.  contefeY  beaucoup  fur  le  refle  >  <ts*  promet  que  l'Empire  ne 
négligera  point  T  amitié  du  Roi.  Il  fait  faire  de  magnifiques 
funérailles  à  Charle- Quint  fon  frère.  On  lit  publiquement  ce 
qui  aVoit  été  arrêté  au  fujet  de  la  Religion,  dans  l'afj r em- 
blée de  Wormes  s  mais  cela  n'étant  pas  capable  de  réunir  les 
efprits,  l'Empereur  promet  de  faire  tous  Jes  efforts  pour  la 
convocation  d'un  Concile  général ,  &  promet  d'obéir  a  fes  de- 
cifions  ><?  a  fes  décrets.  Les  Proteftans  au  contraire  allè- 
guent le  traité  dePaffaw  -,  <&  la  confeffion  d'Ausbourg.  Ils 
demandent  que  le  Concile  foit  tenu  en  Allemagne ,  &  que 
tous  les  acles  &  les  décrets  du  Concile  de  Trente  Joient  cajfe^y 
comme  nuls  &  non  "valables.  Les  Chevaliers  de  l'Ordre  de 
Livonie  demandent  inutilement  à  l'Empereur  du  fecours  con- 
tre les  Mofcovites  5  n'en  pouvant  pas  efperer  de  ce  coté  la  ils 
s'adrejfent  à  Sigifmond  Augufle  Roi  de  Pologne.  Change- 
ment qui  arriverait  enfuite  dans  cette  Ordre  militaire.  Go- 
tard  Ketler  qui  étoit l  alors  Grand  Maitre  de  l'Ordre,  quoi- 
que Guillaume  de  Furftemberg  fut  encore  vivant ,  neft  pas 
beaucoup  éloigné  de  confentir  aux  conditions  Jecrettes  qui  étoient 
propofées.  .Alfonfe  Carretto  parle  de  ï affaire  du  marquis  de 
Final  dans  la  Diète  d 'Ausbourg.  David  George  de  Delft 
fameux  Anabaptifle  s  on  découvre  a  Baie  fes  fourberies  après 
fa  mort  s  H  ejl  condamné  ,  fon  corps  efl  exhumé  &  brûlé  : 
fon  fanatifme  abominable.  Apres  la  mort  de  Marie  Reine 
d  Angleterre  >  Philippe  n  in f  {le pas  beaucoup  au  fujet  de  Ca- 
lais. On  s'accorde  aufft  au  fujet  de  l'Etat  de  Sienne ,  con- 
tre l'efperance  que  les  Bannis  aVoient  conçue  de  conferVer  leur 
liberté.  Enfin  on  s' accommode  à  l'égard  des  Etats  du  duc  de 
SaVoye.  On  prend fecretement  des  mefures  contre  les  Scalaires. 

3  Ceci  n'arriva  qu'en  Tannée  j  561&  çft  rapporté  au  livre  XXVIII.  du  Tome  IV* 


SOMMAIRES.  xïij 

On  tient  à  ce  fujet  Vaffemblée  des  Mercuriales  ,  dont  le  mo-  i"LL^"-^^' 
tif était  autrefois  le  foin  de  la  Police  >  Z?  qui  fit  alors  pa-  Henri  IL 
roître  le  mal  qui  étoit  encore  Gâché.  Le  Roi  Vient  à  cette    l  >  ^' 
ajfcmbUe.  Les  opinions  font  partagées.   On  arrête  les  Confeil- 
1er  s  les  plus  confiderables  >  <&  entre  autres  Anne  du  Bourg, 
dont  la  caufe  fut  plaidée  plujteurs  fois.  Le  Roi  reçoit  une 
bleffure  mortelle  dans  un  tournoi  >  &  perd  aufji-tot  la  parole. 
Il  meurt  7  fin  efprit  ,fes  mœurs  y  fes  bonnes  &r  Jes  mauvais 
fes  acliotis. 


SOMMAIRE   DU   LIVRE   XXIII. 

CHangement  à  la  Cour  de  France ,  dis  que  François 
IL  efl  fur  lethrone.  Le  Connétable  de  Montmorenci  efl 
éloigné.  Avis  qu'il  donne  à  la  Reine  mère  ?  iinfpirer  au  jeune 
Roi  de  l'amour  pour  fes  fujets.  La  duché  ffe  de  Valentinois  efl 
chaffée  de  la  Cour.  Rappel  du  Chancelier  François  Olivier.  Le 
maréchal  de  Saint  André  s  attache  à  la  maifon  de  Gui  fi  y 
pour  confirmer  fin  rang.  Le  Roi  de  Navarre  néglige  les  avis 
du  Connétable ,  t?  perd  une  occafion  favorable  a  fes  dcffeins* 
Son  retardement  le  fait  foupçonner  de  quelque  deffein  caché. 
Affemblée  de  Vendôme.  Dandelot  fort  de  prifon  ,  <&r  les  Co- 
lignis  fi  réconcilient  ayec  Charle  de  Bourbon  .,  Prince  de  la  Ro~ 
che- fur-Ion ,  par  Ventremife  du  Prince  de  Condé.  Apres  les 
obfeques  de  Henri  IL  le  Connétable  efl  relégué  dans  fes  ter- 
res ,  &  le  minifier  e  demeure  entre  les  mains  du  duc  de  Guife> 
ï?  du  cardinal  de  Lorraine  fin  frère.  Les  princes  de  Condt 
<&  de  la  Roche- fur-Ion  y  font  éloignés  du  gouvernement.  Le 
Roi  de  Navarre  ayant  été  trompé \&  maltraité  à  la  Cour  9 
efl  obligé  de  fe  retirer  en  Bearn  ?  après  le  facrc  du  Roi.  On 

h  iij 


Franco  13- 

II.4 

i  ;  ;  p, 


xiv  SOMMAIRES. 

perfuade  a  la  Reine  mère  d'implorer  le  fecours  de  Philippe  fort 
François  gendre.   Ordonnances  néceffaires  à  la  tranquillité  publique,  Sa* 
cre  du  Roi  à  Rheims.  Anne  de  Montmorenci ,  [cachant  que 
*  *'    le  duc  de  Guife  briguoit  la  charge  de  Grand  Maître  de  la 
maifon  du  Roi ,  fe  démet  Volontairement  de  nette  dignité ,  de 
peur  qu'on  ne  crut  qu'il  aVoit  été  obligé  de  s'en  défaire  mal* 
gré  lui.  La  faveur  fait  obtenir  à  plufieurs  perfonnes ,  qui  en 
étoient  indignes  y  le  collier  de  ï Ordre,  qu'on  naccordoit  au* 
parafant  qu'au  mérite.   On  pour  fuit  avec  févérité  les  Reli* 
gonnaires  y  Z?  parce  qu'ils  s' affembloient  pendant  la  nuit ,  & 
en  fecret ,  on  publie  par  tout  comme  certain  ,  qu'ils  commet* 
toient  toutes  fortes  d abominations  dans  leurs  affemblées.   On 
le  perfuade  a  la  Reine  Catherine,  qui  conçoit  pour  eux  de 
l'aVerfion.  Les  Soubfelles  frères ,  Gentilshommes  Angevins y 
ré fi.fi ent  aux  archers  ,  dans  le  fauxbourg  faint  Germain.  Le 
nombre  des  Proteftans  augmente  déplus  en  plus.  Libelles  dif- 
famatoires contre  la  Reine  mère,  &  les  Guifes  s  on  attaque  leur 
autorité  dans  une  dtffertation  intitulée,  de  la  liberté  de  l'Empire 
François.  Jean  du  Tillet  Greffier  de  la  Cour  ,y  répond  par  un 
livre  intitulé ,  de  la  Minorité  du  Roi.   On  lui  réplique 
par  un  autre  libelle.  L'écrit  de  du  Tillet  en  eft  beaucoup  plus 
ejiimé ,  &  eft  compris  aujourd'hui  dans  le  recueil  des  confit* 
tutions  royales ,  comme  une  loi  de  l'Etat.  Les  finances  épui* 
fées  par  les  dépenfes  des  guerres ,  i?  par  les  largeffes  des  RoisP 
font  réparées  aux  dépens  du  public.  On  fait  courir  malicieu* 
fement  des  bruits  défaVantageux  au  fujet  de  l ' indifpofition 
du  Roi.   Véritables  cau/es  de  fa  maladie  ,  qui  le  conduifît 
enfin  au  tombeau.  Supplice  >  <IS  dernières  paroles  d  Anne  du 
Bourg.  Les  Commijfaires  examinent  la  caufe  des  autres  Con* 
feillers ,  de  Paul  de  Foix ,  d'Eufiache  de  la  Porte ,  de  Louis 
du  Faur ,  &  d'Antoine  Fumée ,  qui  avoient  été  mis  enprifon. 


i  5  5P- 


SOMMAIRES.         '        xv 

Ces   Magiftrats  ne  difent  rien  de    contraire  à  la   docïri-  — '" 
lie  Catholique  :  cependant  comme  ils  étoientfufpecl s  y  ï?  qu'ils  François 
avoient  parlé  des  erreurs  groffieres  qui  s'étoient  gliffées  dans 
l'E^life  y  on  leur  ote  leurs  charges.   On  n'agit  contre  eux  avec 
tant  de  févérité  y  qu'à  caufe  del'affajfmat  du  Pr  é fuient  Mi- 
nard ,  dont  on  accufoit  les  Protefïans.  Affaires  étrangères. 
Les  François  font  entièrement  chajfe^  àe  l'Italie.   Le  duc  de 
Tofcane  maître  de  l'Etat  de  Sienne.  Philippe  partant  des 
Payis-has  pour  aller  en  Efpagne ,  donne  le  gouvernement  de 
cette  Province  à  Marguerite  duché ffc  de  Parme ,  &  lui  laiffe 
des  troupes  fous  prétexte  qu  elles  étoient  néceffaires  ,  pour  gar- 
der la  frontière ,  mais  en  effet  pour  s'oppofer  aux  cntreprifes 
des  Proteftans.  Le  Prince  d'Orange ,  qui  aVoit  eu  a  cefujet 
quelques  conférences  ayec  Henri ,  qu'il  aVoit  rapportées  aux 
Seigneurs  des  Payis-has y  <i?  le  comte  d'Egmond,  ne  Veulent 
pas  fouffrir  les  troupes  que  le  Roi  d' Efpagne  y  veut  laiffew 
Philippe  part  de  Zelande ,  <&r  effuie  une  violente  tempête  a 
la  Vue  de  Laredo.  Supplice  de  plufieurs  gens  de  biens  con- 
damne^ à  mort  comme  hérétiques ,  &r  cntr  autres  de  quelques 
Religieux  de  Saint  Ifidore  de  Seville.  Mort  de  Paul  IF.  & 
fes  dernières  paroles.  Le  peuple  après  fa  mort  hnje  fes  Jïa- 
tu'és.  Les  prifons  de  l'Inquifit ion  font  rompues  pendant  la  Va- 
cance du  fiege  5  &  pour  faire  injure  à  la  mémoire  du  der- 
nier Pape  y  on  abat  de  tons  cote^  les  armes  des  Caraffes. 
Mort  de  plufieurs  Princes  dans  la  même  année ,  du  Pape,  de 
l'Empereur  y  du  Roi  de  France ,  de  deux  Rois  de  Dannemarcy 
de  Laurent  Priuli  Doge  de  Vemfe ,  d'Othon  Henri  Electeur 
Palatin  y  d'Hercule  d'Efle  duc  de  Ferrare  ,  d'Othon  duc  de 
Lunehourg7  de  Guillaume  prince  de  Henncbergydes  trois  Rei- 
nes y  Eleonor  de  France  y  Marie  de  Hongrie  y  HT  Bonne  Sforce 
de  Pologne.  Mort  de  George  de  Recrody  i?  de  plufieurs 


xvj  SOMMAIRES. 

fcaVans  y  comme  de  François  Duarien  >  d'Emar  Ranconet  ? 
François  de  Joachin  Penon,  de  Robert  Etienne ,  de  Luc  Garnie  ,  de 
^'  Jean-Baptifie  Folengio  ,  &  de  Jacque  Milichius.  Conquêtes 
de  Corne  dans  Tofcane  pendant  la  "Vacance  du  joint  Siège. 
Conspiration  de  Pucci  découverte  a  Florence.  Bernard  Cor- 
binellil'un  des  conjure^,  qui  aVoit pris  la  fuite  ?  périt  enfuite 
en  France  d'une  mort  qu'il  ne  pouvoit  éviter.  Elisabeth  de 
France  époufe  de  Philippe  eft  conduite  avec  magnificence  fur 
la  frontière.  Le  Roi  de  Navarre  la  remet  entre  les  mains  des 
Procureurs  du  Roi  d'Efpagne.  Ce  Prince prote fie  que  5  quoi- 
qu'il neùt  du  remettre  la  Reine  entre  leurs  mains ,  que  fur 
les  frontières  des  deux  Royaumes  j  il  ne  vouloit  pas  cepen- 
dant quon  crut  quil  préjudiciât  a  jes  droits ,  en  laijfant  cette 
Princejfe  au  milieu  de  la  Navarre.  Il  envoie  inutilement  en 
Efpagne  Jean  Claude  de  Levi  feigne  ur  d'Odaux ,  pour  obtenir 
la  refit  ution  de  fes  Etats.  Brigues  dans  le  Conclave.  Election 
de  Angelo  de  Medici  ou  Mediquino  9  qui  fi  j ait  appeller  Pie 
IV.  Sa  famille.  Afon  avènement  au  Pontificat  ,  il  donne  une 
dmniflie  i  caffe  ce  qui  aVoit  été  fait  par  fin  prédecejfeur  s  ré- 
voque fes  décrets  s  &  fit  revoir  avec  moins  de  rigueur  la 
caufe  des  moines  >  <1S  de  ceux  qui  aVoient  été  accufe\  d'hé- 
rejïe.  Il  renvoie  abfout  ?  <&r  remet  en  liberté  les  cardinaux 
Morone  7  O"  San  Felice.  Il  confirme  enfin  la  démiffion  delà 
couronne  Impériale  que  Charle-Quint  ov  oit  faite  en  faveur  de 
Ferdinand  fin  frère* 


SOMMAIRE 


SOMMAIRES.  xvij 


SOMMAIRE  DU  LIVRE  XXIV. 

Affaires  de  Turquie.  Défunion  entre  Selim  &  Baja- 
^et.  Malheureux  fuccés  du  faux  Muflapha ,  qui  ayoit  François 
excité  des  troubles  fur  le  Pont-Euxin ,  au-deffus  de  Conftan- 
tinople.  Baja^et  accufé d ayoir  excité  les  mouyemens  du  faux 
Mujlapha  5  rentre  dans  les  bonnes  grâces  de  Soliman  fon  père  y 
par  ïentremife  de  Roxelane.  Le  grand  Vi^ir  écornât  eft 
étranglé  dans  le  D iy an  y  parce  qu'on  le  fouptonnoit  de  fou- 
tenir  fecrettement  Baja^et.  Nouyelle  querelle  entre  Selim  y 
&Baja\et,  après  la  mort  de  Roxelane  leur  mère.  Soliman 
tache  de  les  accommoder  en  leur  donnant  des  o-ouyernemens 
plus  éloigne^  les  uns  des  autres. Il  ordonne  à  Selim  d'aller  à 
Cogni  y  &  à  Baja^et  d'aller  à  Amafie.  Baja\et  refufe  d' obéir y 
il  amajfe  de  l  argent  y  &  des  troupes  à  Engori.  Les  Jannif 
faires  le  fayorifent  ouyertement.  Soliman  confulte  le  Mu- 
phti.  Baja^et  eft  déclaré  coupable  de  le^e-Majefké  diyine  & 
humaine.  Soliman  s'empare  de  Cogni ,  &  enyoie  des  troupes 
k  Selim  yayec  le f quelles  il  donne  bataille  à  fon  frère  ,  &  rem' 
porte  la  yiSloire.  Baja^et  s'enfuit  en  Perfe.  Il  éy'ite  les  em- 
bûches qu 'on  lui  ayoit  dreffées  en  chemin  y  i?  ferendayec  fes 
enfans  auprès  de  Tamas  Sophi y  qui  le  reçoit  fort  bien y  &  lui 
fait  même  efperer  qu  il  donnera  fa  fille  en  mariage  à  Orcanfils 
du  Prince  Turc.  Mais  le  Sophi  changeant  de  réfolution  y  par 
la  crainte  qu'il  a  d'une  armée  ennemie y  qu'on  difoit  être  en 
marche  7  enyoie  en  differens  endroits  ceux  qui  ay oient  fuiyï 
Baja^et  y  &  les  fait  tous  maffacrer  dans  un  même  jour.  Il  fait 
enfuite  arrêter  Baja^et  ?  &  fes  enfans.  Soliman  redemande 
fon  fils.  Tamas  refufe  de  le  rendre,  craignant  le  reffentiment 
Tom.  III.  c 


xviij  SOMMAIRES. 

du  jeune  Prince ,  s'il  le  laiffoit  aller.  On  convient  enfin  defaï- 
Françqis  re  mourir  Baja^et  i?  fies  enfans.  Hajfan  Echanfonfe  rend 
à  Cafminou  Casbin  pour  exécuter  cette  réfolution.  On  pouffe 
la  cruauté  jufqu  a  faire  étrangler  a  Burfe  le  plus  jeune  de 
fes  enfans ,  que  le  bourreau  aVoit  épargné.  En  Ecoffe,  le  Roi 
blâme  la  conduite  de  Jacque  S  tu  art  comte  de  Mur  rai,  qui  étoit 
accufé  d'être  l'auteur  des  troubles  qui  s'élevoient  dans  le  Roy  au* 
me.  On  envoie  des  troupes  Françoifes  au  fecours  de  la  Régen- 
te ,  fous  la  conduite  de  la  Brojfe.  Tricotas  de  Pellevé  évëque 


1  S  $  °'  d'Amiens ,  i?  quelques  DoSîeurs  de  Sorbonne ,  paffent  aujfi 
en  Ecojfe  ,pour  appaifer  les  troubles  de  Religion.  Les  Confé- 
déré^ en  font  irrite^,  refufent  de  reconnaître  l'autorité  de  la 
Régente,  &  font  un  traité  avec  Elisabeth  reine  d'Angleterre* 
Cette  Princeffe  fait  publier  un  manifefle  ,  ou  l'on  parle  contre 
les  Guifes.  Michel  de  Seurre  ambaffadeur  de  France  en  An- 
gleterre, tache  d' engager  la  Reine  a  retirer  fes  troupes  de  l' E- 
coffe.  Conférence  à  ce  fu/et  ,  ou  Von  examine  les  raifons  des 
deux  partis.  Jean  de  Montluc  évëque  de  Valence  Va  en 
Ecoffe.  Il  eflplus  agréable  aux  Confédéré^  que  l'évêque  d'A- 
miens. Il  leur  fait  efperer  la  bienveillance  du  Roi, pourvu 
qu'ils  mettent  bas  les  armes  ,&  qu  ils  rendent  a  leur  Prin- 
ce Vobé'iffance  qu'ils  lui  doivent.  Sebaflien  de  Luxembourg 
de  Martigues ,  t?  le  marquis  d' El  bœuf  frère  de  la  Régente 
font  envoyé^  au  fecours  de  l'ifle  de  Keith,  l'ifle  aux  Chevaux, 
<(S?  de  Lyth.  Les  Anglois  font  repouffe^  avec  perte.  La  Ré- 
gente panche  a  la  paix,  croyant  ne  pouvoir  autrement  conferVer 
l'ancienne  Religion  ,  qu'en  laifjant  une  entière  liberté  aux 
Ecoffois.  Guillaume  Cécile,  <&  Nicolas  Votton  Plénipotentiai- 
res d  Angleterre.  On  parle  d' accommodement  par  ïentremife 
de  ï  Evëque  de  Valence,  &  de  Charle  de  la  Roche foucault- 
Ranci  an.  La  négociation  eflprefque  rompue  ,  par  la  mort  de 


SOMMAIRES.  xix 

la  Régente.  Traité  de  paix.  L'on  demeure  d'accord  Rabat- 
tre les  fortifications  de  Lyth ,  <t?  de  Dumbar.  En  France,  François 
édit  qui  eflrcgiflré  au  Parlement ,  portant  établiffement  de  J 

certains  Magi/lrats  dans  les  Cours  fouyer 'aines ,  &  les  ju- 
rifditîions  inférieurs,  pour  empêcher  la  fayeur ,  &  les  pré- 
yarications.  Confpiration  contre  les  Princes  de  la  mai/on  de 
Guife  5  fon  origine ,  jes  caufes ,  i?  fes  prétextes.  Les  Théo- 
logiens  Proteflans  consultent  entre  eux  à  ce  fujet.  Les  Pro- 
teftans  élifent  fecrettement  pour  leur  chef  Louis  de  Bourbon 
Prince  de  Condé ,  z?  lui fubjlituent  Godefroi  Barry  de  la  Re- 
naudie. Sa  famille ,  fon  caratlere ,  fa  mauyaife  fortune,  Son 
arriyée  à  lS[antes ,  &  le  difeours  qu  il  fait  aux  confpirateurs. 
Union  i?  fermeté  de  tous  les  Proteflans.  VAyocat  Ayenel- 
les  decouyre  la  confpiration.  V  Amiral  de  Coligni  tache  d'en" 
gager  la  Reine  mère ,  <&r  le  Chancelier  Oliyier ,  de  donner  des- 
ordres pour  faire  fur  feoir  la  rigueur  des  fuplices  qu'on  faifoit 
fouffrir  de  tous  cote\  aux  Proteflans.  Edit  a  ce  fujet ,  donné 
du  confentement  du  duc  de  Guife ,  &r  portant  amniftie  du 
paffé,  mais  à  l'exception  des  nouyeaux  Prédicateurs  ,  Z?  de 
ceux  qui  fous  prétexte  de  Religion  ay oient  confpiré  contre  le 
Roi ,  la  Reine ,  les  frères  du  Roi ,  <&r  les  premiers  Princes. 
La  Renaudie  n'abandonne  point  fes  premiers  deffeins.  De 
Lignieres  decouyre  l 'ordre  £?  le  jour  de  l'exécution,  <£^  les 
noms  des  complices.  La  Renaudie  tue  Pardaillan ,  dans  la  foret 
de  Château-Renaud ,  &  efitué  aujfl-tot  lui-même  par  le  yalet 
de  Pardaillan.  Caftelnau ,  Macère ,  Vdlemongey ,  &  quelques 
autres , font  arrke^iT  au fji-tot punis.  Origine  du  mot  Hu~ 
guenot.  Maligni  le  jeune,  qui,  dit-on,  ayoit  promis  de  tuer 
le  duc  de  Guife  ,  efk  empêché  d'exécuter  ce  deffein  par  le  prin- 
ce de  Condé.  Le  prince  de  Condé  fufpeB ,  par  la  dépofition  des 
complices,  fe  jujlifieayec  fermeté  dans  le  Confeil  du  Roi  :  /'/ 

c  ij 


xx-  SOMMAIRES, 

RANC0IS  offre  même  défie  battre  en  duel,  pour  prouver  fion  innocence.. 
Il         Le  duc  de  Guife  diffimule  adroitement,  <?  déclare  qu'il  efi 

15  6.qx  prêt  de  s'expofier  au  même  bavard,  pour  foutenir  le  F  rince 
de  Condé.  Le  Roi  de  Navarre  ejl  auffi  fecrettement  accufi 
d'avoir  eu  part  à  la  conjuration.  Mort  de  François  Olivier: 
fin  éloge.  On  met  en  fa  place  François  de  TFIôpital 


SOMMAIRE   DU   LIVRE   XXV. 

Es  troubles  étant  appaifè^ ,  le  Roi  écrit  aux  Parle-* 
mens  ,  aux  Gouverneurs  des  Provinces ,  &  au  Rot 
de  Nayarre  même.  On  parle  avec  exagération  de  cette  con- 
juration dans  le  Parlement  de  Paris ,  &  on  donne  au  duc  de 
Guife  le  titre  magnifique  de  confirvateur  delà  patrie.  Le 
Roi  écrit  aujfi  a  ce  fujet  aux  Princes  £  Allemagne.  Edit 
de  Romorantin  qui  attribue  aux  Evèques  la  connoijfance  du> 
crime  d'héréfie  y  privativement  au  Parlement.  Le  chancelier 
de  l'Hôpital  y  fouferit.  Ordonnances  févéres  au  fujet  des 
affimblées  illicites,  &  des  difputes  fiéditieufes  fur  la  Reli- 
gion. Ony  propofe  une  recompenfi  aux  dénonciateurs  «mais  en 
memetems  on  nienaceles  calomniateurs  de  la  peine  du  talion* 
AJfemblée  des  Princes ,  i?  des  Seigneurs  indiquée  à  Fontaine- 
bleau par  le  conjeil  du  chancelier  de  l'Hôpital.  Nouvelles  cau^ 
fis  de  divifion  entre  la  maifon  de  Guife  t?  celle  de  Mont- 
morenci ,  a  ïoccafion  du  procès  qui  étoit  entre  les  Boullain- 
Villiers  ,  &  les  Rambures  pour  le  comté  de  Dammartin, 
Prudence  ZF  équité  dtl  Parlement  de  Paris  dans  cette  affai- 
re. Arrêt  en  faveur  des  BoullainVilliers.  François  de  Ven- 
dôme hait  les  Guifis.  Le  Roi  va  a  Tours.  Son  entrée  dans 
cette  ville.  La  Reine,  mère  ejl  indifipofée  contre  les  Guifis  j 


S  OMMAIRES.  xxj 

ï?  fe  montre  plus  favorable  aux  Prote flans.  Livre  fous  le 
nom  de  Théophile  >  pre fente  à  cette  Princeffe  pour  leur  jufii-  François 
ficatlon  5  par  François  Camus  fis  d'un  officier  de  la  Panne- 
terie.  Car aBere  de  François  Camus.  Libelle  contre  les  Prin- 
ces de  la  mai  fort  de  Guifie ,  intitulé  le  Tigre  :  le  Libraire 
qui  le  Vcndoit  efl  pendu.  Le  prince  de  Condé  quitte  la  Cour? 
<?  fie  retire  à  Nerac ,  dans  le  duché  d'Albret ,  auprès  du  Roi 
de  Nayarre  fin  frère.  La  Reine  mère,  mande  la  Planche 
hiflorien  contemporain  tres-exacl,  &  lui  demande  la  caufe 
des  troubles  qui  déchiroient  l'Etat  <&7"  la  Religion.   Sa  ré- 
ponfie  en  préjence  du  cardinal  de  Lorraine  caché  derrière  une 
tapifferie.  Célèbre  affemblèe  de  Fontainebleau ,  ou  Gafpard 
de  Coligni  prejente  un  cahier ,  pour  la  liberté  de  confidence, 
Difiours  de  Jean  de  Montluc  éveque  de  Valence  ,  O4  de 
Charle  de  Marillac  archevêque  de   Vienne.  On  avertit  les 
Evêques  de  fie  préparer  à  fie  rendre  au  Concile  général?  isP 
fi  on  ne  peut  obtenir  ï agrément  du  Pape  ,  on  promet  que . 
le  Roi  fera  tous  fies  efforts  pour  ajfiembler  un  Concile  natio- 
nal.  On  indique  en  fuite  ï  affemblèe  des  Etats  y  &   on  en- 
Voie  des  troupes ,  ou  les  G  u  if  es  le  jugent  à  propos.  La  Sa- 
gue  efl  arrêté  avec  plufteurs  lettres  qu'il  portoit  au  Roi  de: 
Navarre.   François  de  Vendôme  efl  mis  a  la  Baftille.  Vai- 
ne tentative  fur  Lyon.  Le  cardinal  de  Bourbon  fe  laijfie  trom- 
per 7  &  fait  faire  une  faute  à  fies  frères.  François  de  Bar- 
bançon  ficigneur  de  Cani  ,  is?  Robert  de  la  Haye  font  arrê- 
te^. La  nouvelle  doSîrinefe  répand  dans  le  Dauphiné.  Prt- 
fie  de  Valence  par  Louis  de  Maugiron.  Charle  de  Montbrun 
prend  les  armes,  excite  des  troubles  dans  le  comté Venaiffln7 
&  efl  obligé  de  fe  réfugier  en  Suififie.  Antoine  <?  Paul  de 
Mouvons  frères  prennent  les  armes  en  Provence  pour  la  Re- 
ligion. Antoine  excite  unefedition  à  Draguignan ,,  <tsfouffra 

g  iij 


xxij  SOMMAIRES. 

une  mort  cruelle.  Paul  s'enfuit  à  Genève.  Troubles  caufe% 
François  par  /a  Religion  en  Normandie. 

JLX« 

i  $  60. 


SOMMAIRE   DU  LIVRE   XXVI. 


M 


Arillac  archevêque  de  Vienne  injlruit  le  duc  de 
Montpenfier ,  des  defieinsfecrets  que  jormoient  les 
Princes  de  la  m  ai  fin  de  Guife  ,  contre  le  Roi  de  Navarre, 
<&r  le  Prince  de  Condé.  Mort  de  ce  Prélat.  Le  Roi  vient 
à  Orléans  pour  ïaJfembUe  des  Etats.  Dandelot  quitte  la 
Cour ,  <£T  va  en  baffe  Bretagne.  Le  Roi  de  Navarre ,  & 
le  Prince  de  Condé  viennent  enfin  à  la  Cour,  quoique  leurs 
amis  les  en  diffuadaffent.  On  arrête  le  Prince  de  Condé  & 
la  Dame  de  Roy  e  fa  helle-mere.  Jérôme  Grolot  lieutenant  gé- 
néral d'Orléans  ef  mis  en  prifon.  On  donne  des  gardes  ait 
Roi  de  Navarre ,  &  on  délibère  de  le  faire  mourir.  Renée  du* 
chejfe  de  Ferrare  vient  en  France.  On  agite  l'affaire  du  Prin- 
ce de  Condé.  La  maladie  du  Roi  augmente  :  fa  mort.  Re- 
j'y  conciliation  du  Roi  de  Navarre  avec  la  Reine  mère.  Li- 
1  <  62.  belles  contre  les  Guifes.  Rappel  du  Connétable  de  Mont- 
morenci ,  du  vivant  même  de  François  11.  Le  Prince  de 
Condé  fort  de  prifon  ,  i?  Va  en  Picardie.  VEveque  de 
Senlis ,  Sanfat ,  &  la  Brofife  font  feuls ,  Z?  fans  magnifi- 
cence  les  obfques  du  Roi,  ce  qui  fait  rappeller  ïhifioire  de 
Tannegui  du  Chaflel  fous  Charle  Vil,  &  firt  a  rendre  les 
Guifes  plus  odieux.  Le  Roi  de  Navarre  s" étant  réconcilie 
avec  la  Reine  mère ,  partage  avec  elle  le  gouvernement  de  l'E- 
tat. On  donne  au  Roi  de  Navarre  le  titre  t?  l'autorité  de 
Lieutenant  général  dans  tout  le  Royaume.  Mort  de  François 
de  Vendôme.  Le  Chancelier  de  ï Hôpital  fait  donner  ledit 


SOMMAIRES.  '  xxiij 

touchant  les  fécondes  noces.  Arrêt  remarquable  du  Parlement 
Je  Touloufe  contre  un  impofteur,  appelle  .Arnaud  du  Tilh.  Charle 
Le  nouveau  Pape  pour  faire  honneur  au  nom  de  Medicis,  "Veut  *  ^* 
donner  à  Corne  le  titre  de  Roi  de  Tofcane.  Origine  des  trou-  * 
Mes  de  Religion  en  Flandre.  Barthelemi  Caran^a  archevê- 
que de  Tolède  eft  aceufé  d'béréfie  y  cité  à  Rome  y  &*  mis  en 
prifon.  Le  Concile  général  eft  différé ,  <&r  on  empêche  en  Fran- 
ce le  Concile  national.  Haine  des  peuples  contre  les  Caraffes. 
Le  cardinal  Montorio ,  &  le  Comte  [on  frère  font  mis  en  pri- 
fon. Corne  Vient  a  Rome ,  <l?  perfuade  au  Pape  de  ne  pas 
s'oppofr  au  Concile  général  >  par  la  crainte  d'un  Concile  na- 
tional en  France.  Jean  de  la  Cerda  vice-roi  de  Sicile  s'em- 
barque  pour  l'expédition  de  Tripoli ,  contre  Dragut  qui  sétoit 
emparé  du  Royaume  de  Cary  an ,  <&  deïifle  de  Gelves ,  après 
avoir  fait  étrangler  Soliman  qui  en  étoit  Seigneur.  Dcfcrip- 
tion  de  ïifle  de  Gehes.  Mœurs  des  bifilaires , ;  leurs  riche f- 
fes  y  <L?le  refpecl  qu'ils  ont  pour  leur  Prince.  Le  Viceroife 
rend  maître  de  cette  IJle ,  il  exige  un  tribut  du  Seigneur  3 
y  fait  bâtir  un  fort ,  dont  il  donne  le  gouvernement  à  Baraona 
Meflre  de  camp ,  aVec  une  forte  garnijon.  Il  néglige  les  avis 
de  Jean  Doria ,  qui  lui  confeilloit  d'aller  au-devant  du  Bâ- 
cha Piali.  La  flotte  Turque  arrive ,  i?  met  le  trouble  dans 
V armée  Chrétienne.  Dom  Alvare  de  Sande  y  voyant  que  Ba- 
raona nétoit  pas  en  état  de  défendre  le  fort  >  fe  charge  cepen- 
dant de  le  garder  contre  les  ennemis.  Le  Viceroi  perd  dix- 
neuf  galères  ,  <&r  quinze  Vaijfeaux  de  charge,  &  ne  fe  fauve 
que  difficilement  avec  Jean  Doria.  Alvare  de  Sande  défend 
courageufement  la  place  y  &  tente  de  paffer  au  travers  des 
ennemis  :  mais  il  eft  pris y  &T*  conduit  devant  Piali,  qui  le  reçoit 
honorablement.  Ceux  qui  étoient  encore  dans  le  fort  font  faits 
prifonniers*  De  Sande ,  Sanche  de  Levé  ?  <ts  Berenguel  de 


xxiv  SOMMAIRES. 

""" "" "  Requefens  font  mis  en  liberté,  à  la  prière  de  Boesbech,  am« 

Charle  bajfadeur  de  Ferdinand  à  la  Porte.  Pierre  Machiavel  ami- 
ral de  Tofcane  e/l  attaqué  par  les  Turcs  proche  rifle  de  GU 
glio  yiT  ne  fe  tire  quayec  peine  de  ce  danger.  Corne  établit 
r Ordre  militaire  de  faint  Etienne ,  à  caufe  de  la  yitloire  de 
Marciano.  Affaires  de  Liyonie.  Les  Liyoniens  appellent  i 
leur  Jecours  contre  les  Mofcoyites  ,  Magnus  prince  de  Hol- 
ftein  y  qui  les  traite  lui-même  en  ennemis.  Les  Mofcoyites 
profitent  de  leur  diyijïon.  Défaite  des  Liyoniens  proche  d'Er- 
mes.  Les  yainqueùrs  s'emparent  de  la  fortereffe  de  Vellin9 
ou  Guillaume  de  Fur/lemberg  sétoit  réfugié  s  Us  le  font  pri- 
fonnier ,  &  remmènent  comme  en  triomphe  jufquà  Mofcou. 
Ceux  de  Reyel  étant  fans  appui;,  ont  recours  à  Eric  nouyeau 
Roi  de  Suéde ,  <L?  fe  foumettant  à  lui  3  quoi  quayec  peine. 
Mort  de  Gu/îaye  père  de  ce  Prince  j  fon  éloge.  Mort  dH An- 
dré Doria  >  recapitulation  des  belles  avions  de  ce  grand  hom- 
me. Mort  des  Bêlais  ?  Lœlio  Capdupi ,  de  Jacque  de  Bonfa- 
dio  5  de  Philippe  Melan&hon  >  de  George  Sabin ,  de  Pierre 
Lotich,  de  Nicolas  Gerbel,  <£r  de  Jean  Driander. 

Fin  des  Sommaires  de  ce  troifiéme  volume^ 


H ISTOIRE 


T 


D  E 


J  ACQUE     AUG  U  STE 

DE    T  H  O  U 


LIVRE   DIX-SEPTIEME. 

j  U  commencement  de  Janvier  de  cette  an-  ; 

née  ,  le  Parlement  d'Angleterre  fe  fépara.  Henri  IL 
On  y  avoit  ordonné  le  rappel  du  cardinal     i  S  5  6. 
Polus  ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  &  Affairesd'An- 
renouvellé  les  Ordonnances  des  Rois ,  pour  gjèterrc  SuP- 

1  •  •  1        r>    -.    •  r^  •  phcc  des  Frô- 

la punition  des  nectaires.    On  croyoït  que  teftans, 

Marie  y  demanderoit  l'agrément  des  Sei- 
gneurs ,  pour  partager  fon  thrône  avec  Philippe  fon  mari  5 
mais  ayant  fondé  leurs  intentions ,  &  reconnu  qu'ils  étoient 
fort  éloignez  d'y  confentir  ,  elle  ne  crut  pas  devoir  faire  cette 
propoiïtion.  Peu  detems  après  3  au  commencement  de 
Tome  III,  A 


2  HISTOIRE 

Février,  Jean  Hooper  évêque  de  Glocefter ,  Laurent  Sanders , 
Henri  IL  R°'and  Talers  ,  Jean  Bradfort  jurifconfulte ,  ôc  Jean  Rogers 
-  c  ^  furent  à  Londres  condamnez  à  mort,  pour  caufe  de  religion  : 
Rogers  fut  brûlé  dans  cette  ville,  où  il  avoit  enfeigné  long-tems  : 
Bradfortfut  retenu  en  prifon  ,  après  fa  condamnation  J  ôc  eut  au 
mois  de  Mai  fuivant  le  même  fort.  On  conduifit  les  autres 
dans  le  lieu  de  leur  naiffance  ,  à  Glocefter ,  à  Lancaftre ,  à  Co- 
ventry ,  &  à  Hadley  *pour  y  fouffrir  lemêmefupplice.  Peu  de 
tems  après, Tévêque  de  S.  Davids  fut  aufïi  condamné,  ôc  mené 
dans  fon  pays  ,  pour  y  être  puni  aux  yeux  de  fes  compatriotes. 

La  veille  de  Noël  de  l'année  précédente*  on  apprit  à  Ro- 
me ,  que  l'Angleterre,  par  les  foins  du  cardinal  Polus  ' ,  s'é- 
toit  réunie  à  PEglife  Romaine.  Cette  heureufe  nouvelle  ré- 
pandit l'allégreffe  dans  toute  la  ville.  On  en  rendit  des  actions 
de  grâces  à  Dieu  ;  on  tira  le  canon  ,  6c  on  fit  des  feux  de 
joye.  Le  Pape  publia  une  Bulle,  par  laquelle,  en  fe  fervant 
de  la  parabole  de  l'enfant  prodigue ,  il  témoigna  la  joye  fin- 
cére  que  lui  caufoit  en  fon  particulier  le  retour  des  Anglois  à 
l'obéïiTance  du  S.  Siège  :  il  déclara  en  même  tems  qu'il  vou- 
loit ,  comme  le  père  tendre  ôc  indulgent  de  l'enfant  prodigue, 
que  les  autres  peuples  fufTent  invitez  au  ferlin  ,  ôc  priffent  part 
à  la  réjoùiffance  publique  :  Qu'ainfi  il  ouvroit ,  félon  la  cou- 
tume ,  •  les  thréfors  de  l'Eglife  ,  &  qu'il  accordoit  l'entière  ré- 
miffion  des  péchez  à  tous  ceux ,  qui  en  ayant  un  fincere  re- 
pentir ,  feroient  ,  avec  une  véritable  dévotion,  ce  qui  étoit 
porté  dans  la  Bulle. 

Le  Pape  ,  qui  étoit  fatisfait  fur  tous  les  autres  chefs*  deman- 
doit  encore  vivement ,  qu'on  rendît  à  l'Eglife  les  biens  qui  lui 
avoient  été  enlevez  en  Angleterre  :  il  avoit  fur-rout  chargé  les 
AmbafTadeurs  qu'on  lui  avoit  envoyez  ,  ôc  qui  étoient  prêts  de 
s'en  retourner ,  de  faire  fur  cette  reftitution  des  remontrances. 
On  remit  cette  affaire  au  premier  Parlement  :  cependant  pour 
donner  quelque  fatisfaclion  au  Pape ,  Ridley ,  ôc  Hugues  La- 
timer  ,  qui  étoit  fort  vieux  ,  ayant  été  menez  enfemble  à 
Oxford  ,  y  furent  brûlez.  On  conduifit  avec  eux  au  fupplice 
l'archevêque  de  Cantorbery  2:  mais  fes  larmes,  fon  repentir, 
ôc  le  pardon  qu'il  demanda  publiquement  à  Dieu ,  dont  il 

i  ^ Son  nom  Anglois  eftPoole,  mais    \       z  Thomas  Cranmer, 
en  l'appelle  communément  Polus. 


DE   J.   A.   DE   THOU,Liv.  XVÎL  3 

implora  la  miféricorde ,  touchèrent  fes  Juges  ,  ôc  on  le  recon- 

duiiit  en  prifon.  ^  Henri  IL 

On  rint  pendant  les  mois  d'O&obre  ôc  de  Novembre  ,  un  1  <  <  6. 
Parlement  j  où  l'on  propofa  inutilement  de  couronner  Philip- 
pe. La  Reine  y  parla  aufll  de  la  reftitution  des  biens  Ecclé- 
fiaftiques  ;  mais  elle  ne  put  rien  obtenir  ,  parce  qu'ils  étoient 
poffedez  depuis  long-tems  par  la  principale  NoblefTe  du  Royau- 
me. On  ordonna  feulement ,  qu'on  donneroit  à  l'avenir  au 
Clergé  les  dîmes,  ôc  les  premiers  fruits.  Sur  la  lin  de  ce  Par- 
lement ,  Etienne  Gardiner  évêque  de  Wincefter  ' ,  que  Marie 
avoit  fait  chancelier  du  Royaume,  mourut  dhydropifie.  On 
mit  en  fa  place  Nicolas  Heath ,  alors  archevêque  d' Yorck  : 
il  avoit  fait  quelque  féjour  en  Allemagne  avec  l'archevêque 
de  Cantorbery,  Ôc  depuis  il  avoit  afïifté  Jean  Dudley  duc  de 
Northumberland  ,  lorfqu'on  le  conduifit  au  dernier  fupplice. 

Avant  de  quitter  fhiftoire  d'Angleterre ,  il  paroît  néceffaire  Affaires  d'E- 
de  nous  arrêter  à  celle  d'Ecofle.  La  Reine  mère  étant  de  retour  co  c' 
de  France ,  faifoit  tous  fes  efforts  pour  obtenir  la  régence ,  ôc  le 
confentementdu  Viceroi ,  qu'elle  extorqua  enfin  de  cet  homme 
foibîe,  par  force  ôc  par  adreffe,  après  de  longues  conteftations. 
On  fit  le  traité  à  Sterling,  où  l'on  publia  les  articles  dont  la  Reine 
ôc  les  Régents  étoient  convenus.  On  y  ajouta  feulement  que 
le  Viceroi  auroit  la  garde  de  Dunbritton.  Le  Parlement  ayant 
été  convoqué  à  Edimbourg  pour  le  dix  d'Avril,  on  y  lut  une 
féconde  fois  le  traité;  enfuite  le  Viceroi  fe  leva,Ôc  fe  démit 
de  toute  fon  autorité ,  en  remettant  à  Henry  Clutin  fieur  d'Oi- 
fel ,  qui  agiffoit  pour  la  Reine  ,  les  marques  de  la  Royauté  : 
ce  feigneur  les  reçut  pour  elle ,  ôc  les  dépofa  enfuite  par  fon 
ordre  entre  les  mains  de  la  Reine  mère.  Cette  PrincefTe  les 
reçut  au  bruit  des  acclamations  de  l'affemblée  ,  ôc  ayant  pris 
la  qualité  de  Régente  du  Royaume  ,  elle  traverfa  la  ville, 
pour  fe  rendre  au  palais  qui  eft  dans  le  fauxbourg,  où  elle  fut 
conduite  comme  en  triomphe.  Le  Viceroi  qui  étoit  venu  au 
Parlement,  accompagné  d'un  grand  nombre  de  Seigneurs,  ôc 
en  faifant  porter  devant  lui  ,  félon  la  coutume  ,  l'épée  ,  le 
fceptre  Ôcla  couronne ,  en  fortit ,  comme  un  fimple  particulier, 


1  L'Evêché  de  Wincefter  eft  d'un 
revenu  bien  plus  confïdérable  que  l'ar- 
chevêché d'Yorck  ;  c'etf  ce  qui  donna 


lieu  à  cette  tranflation  indécente.  Le 
revenu  de  l'Evêché  de  Wincefter  eft 
d'environ  1  rooool.de  notre  monnoye. 

Aij 


4  HISTOIRE 

■  confondu   dans  la  foule.     Les   hiftoriens  Ecofîbis  cfifent  9 

Henri II.  que  ce  fut  alors  un  fpeclacîe  nouveau,  de  voir  une  femme  s 
1  S  S  6»  ^u  confentement  ôc  de  l'avis  du  Parlement  même  ,  prendre 
les  rênes  du  gouvernement.  Le  crédit  ,  ôc  la  puiffance  des 
François  furent  le  mobile  de  cette  innovation.  On  ne  voulut 
pas  cependant  leur  confier  la  garde  d'Edimbourg ,  de  crainte 
que  fi  la  jeune  Reine  mouroit  fans  enfans ,  ils  ne  refufalfent 
de  rendre  cette  ville.  On  la  mit  donc ,  comme  en  fequeftre  x 
entre  les  mains  de  Jean  Areskin ,  avec  défenfe  de  la  remettre 
à  qui  que  ce  fût,  que  par  l'ordre  des  Etats. 

Jean  Mudyard,  chef  delà  famille  de  Clan-Reynald  ,  homme 
accoutumé  aux  crimes  ôc  aux  brigandages,  ravageoit  impuné- 
ment la  contrée  voiiine.  La  Régente  envoya  pour  le  prendre, 
George  Gordon  comte  de  Huntley  ;  mais  ce  feigneur  fe  fai- 
fant  un  plaifir  cruel  des  malheurs  publics ,  ôc  trouvant  fon  avan- 
tage particulier  dans  les  pertes  que  fouffroient  les  peuples  ; 
s'acquitta  peu  fidèlement  de  cette  commiffion.  Auffi  on  l'ar- 
rêta dès  qu'il  fut  de  retour,  Ôc  on  le  retint  en  prifon ,  jufqu'au 
jour  que  fa  caufe  fut  plaidée.  On  l'accufoit  outre  cela  d'avoir 
fait  mourir  Guillaume,  chef  de  la  maifon  de  Cathnefs,  neveu 
du  comte  de  Murray ,  fon  ennemi,  ôc  d'avoir  engagé  à  com- 
mettre ce  crime  la  femme  même  de  Guillaume  ,  parce  qu'il 
ne  vouloit  pas  fe  foûmettre ,  ôc  s'attacher  à  lui.  Les  opinions 
furent  partagées  :  quelques  Seigneurs  vouloient  qu'on  le  pu- 
nît du  dernier  fupplice;  d'autres  jugeoient  à  propos  qu'on  le 
reléguât  feulement  en  France  pendant  quelques  années  ?  enfin 
le  fentiment  du  comte  de  Cafteley  ,  le  plus  grand  ennemi  du 
comte  de  Huntley,  l'emporta.  Prévoyant  que  la  bonne  intel- 
ligence ,  qui  régnoit  entre  la  France  ôc  l'EcofTe ,  ne  pourroit 
durer  long-tems  >  il  ne  croyoit  pas  qu'on  pût  avec  fureté  laiflèr 
pour  chef  aux  mécontens  un  homme  accoutumé  aux  troubles  j 
il  ne  jugea  pas  non  plus  qu'on  dût  le  faire  mourir:  parce  que 
îe  prétexte  de  la  punition  des  attentats  contre  l'Etat,  quelque 
énormes  qu'ils  fuffent ,  ne.pouvoit  jamais  fuffire  pour  lai/fer 
des  étrangers  répandre  le  fang  d'un  feigneur  Ecofîbis  :  ainll 
il  fut  d'avis  de  ne  punir  le  comte  de  Huntley,  que  par  la 
perte  de  fes  biens.  On  le  retint  donc  en  prifon  j  jufqu'à  ce 
qu'il  eût  cédé  des  droits  confidérables  qu'il  levoit  fur  les  peu~ 
pies  t  ôc  qu'il  avoit  ufurpez , ,ôc  renoncé  à  quelques  autres  droits 


DE  J.  A.  DE    THOU,Lit  XVII.        f 
de  haute  juftice  qu'il  avoit  :  on  réunit  le  tout  au  domaine.  Le         ..  ■.      « 
Comte  ayant  eu  fa  liberté  à  ce  prix  ,  trouva  dans  la  fuite  le  Henri  IL 
moyen  de'  s'infinuer  dans  l'efprit  de  la  Régente ,  ôc  d'entrer     j  ^  -  ^ 
dans  fa  confidence. 

Depuis  ce  tems ,  l'EcoiTe  jouit  d'une  paix  profonde  :  mais 
au  mois  de  Juillet  de  l'année  iyj6,la  Régente  ayant  affilié 
au  Parlement  tenu  à  Innernes  ,  fit  punir  du  dernier  fupplice 
la  plupart  des  perturbateurs  de  la  tranquilité  publique.  Elle 
envoya  contre  Mudyard  le  comte  d'Athole ,  capitaine  d'une 
valeur  ôc  d'une  fidélité  reconnue.  Le  Comte  obligea  ce  bri- 
gand de  fe  rendre  à  difcretion  ,  avec  toute  fa  famille,  ôc  le  con- 
duifit  à  la  Régente.  Mais  Mudyard  ayant  trompé  ou  corrom- 
pu fes  gardes ,  s'échapa  de  prifon ,  ôc  retournant  à  fes  ancien- 
nes habitudes  3  il  continua  fes  ravages  ,  ôc  mit  tout  à  feu  ôc 


i  fang. 


La  Régente  étant  de  retour  ,  pour  s'attirer  l'amitié  des  Sei- 
gneurs ,  rappella  quelques-uns  de  ceux  qui  avoient  été  accu- 
fés  du  meurtre  du  cardinal  de  S.  André  ,  ôc  exilés  par  le  Vice- 
roi  :  mais  elle  perdit  toute  l'affection  des  peuples  >  que  cette 
action  de  clémence  lui  avoit  méritée,  par  un  impôt  odieux  qu'el- 
le voulut  établir ,  ôc  qui  n'étoit  deftiné  ,  félon  l'idée  du  pu- 
blic ,  qu'à  entretenir  dans  le  pays  des  troupes  étrangères.  Elle 
ordonna  donc  qu'on  feroit  un  état  des  biens  de  tous  les  par- 
ticuliers ,  qui  donneroient  chacun  tous  les  ans  une  petite  par- 
tie de  leurs  revenus ,  ôc  que  ces  fommes  feroient  portées  au 
thréfor  public  deftiné  à  cet  ufage.  Quoique  la  haine  en  réjaillît 
fur  d'Oifel  ,  le  Rouge  ,  ôc  quelques-autres  François ,  qui  gou- 
vernoient  l'efprit  de  la  Régente  î  cependant  ceux  qui  appro- 
fondirent davantage  la  chofe ,  fe  persuadèrent  que  David  Pan- 
ter,  évêque  de  Roffe,  homme  de  beaucoup  d'efprit  ôc  de  fça- 
voir ,  qui  étoit  même  allié  de  la  maifon  de  Hamilton ,  dont 
il  favorifoit  les  deffeins  ,  avoit  donné  la  première  idée  de 
cette  impofition.  On  conjectura  auffi  que  le  comte  de  Hunt- 
ley  pouvoit  y  avoir  beaucoup  de  part.  En  effet ,  on  crut  que 
ce  Seigneur  s' étant  aperçu  que  la  Régente  ne  tendoit  qu'à  ac- 
coutumer les  peuples  aux  impôts  ,  appréhenda  que  la  trop' 
grande  puiffance  de  cette  Princeffe  n'afoiblît  les  forces  Ôc  l'auto- 
rité de  la  nobleffe  5  ôc  que  voulant  s'oppofer  aux  vaftes  projets 
d'une  étrangère ,  qui ,  par  une  ambition  naturelle  à  fa  maifon  9 

A  iij 


6  HISTOIRE 

tâchoit  d'établir  le  gouvernement  arbitraire  ,  il  lui  infpirâ 
Hfniu  II  adroitement ,  plutôt  en  dangereux  politique,  qu'en  véritable 
v  l  ç  <  a-mi  ,  cette  odieufe  invention ,  qui  d'ailleurs  étoit  du  goût  de 
la  Régente  :  il  prévoyoit  fans  doute  que  les  Ecofîbis  ne  pour- 
voient jamais  fe  réibudre  à  payer  cet  impôt ,  ôc  qu'ils  ne  flé- 
Ghiroient  plus  avec  la  même  docilité  ,  fous  le  gouvernement 
tyrannique  de  cette  Princefle. 

Toute  la  Noblefle  s'oppofa  en  effet  à  l'établiflement  de  l'im- 
pôt ,  ôc  empêcha  l'exécution  des  projets  de  la  Régente,  jac- 
que  Sandlands  ,  ôc  Jean  Weemes  furent  députez  ,  pour  lui 
reprefenter,  que  cet  impôt  étoit  odieux  5  que  par-là  on  mettroit 
au  jour  la  pauvreté  defEtat,  ôc  des  particuliers  ,  en  faifantun 
dénombrement  de  tous  leurs  biens  :  Qu'au  refte ,  il  étoit  dan- 
gereux de  confier  la  défenfe  du  Royaume  à  des  troupes  étran- 
gères ,  que  l'argent  ,  f  efperance  d'un  gain  fordide ,  une  oc- 
calion  favorable,  ôc  leur  avidité  infatiable  ,  rendoient  capa- 
bles des  plus  grands  attentats ,  ôc  dont  la  fidélité  étoit  aufTï 
chancellante  ,  que  la  fortune:  Que  fuppofé  même  qu'il  n'y  eût 
aucun  danger,  ôc  que  ces  foldas  mercenaires  agnTent  avec  un- 
courage  au-deflus  de  leur  condition  ;  il  n'étoit  pas  cependant 
vraifemblable  qu'ils  combattiffent  pour  les  intérêts  d'une  cou- 
ronne étrangère,  avec  plus  de  valeur,  que  des  Ecoflbis  natu- 
rels ,  pour  leur  propre  défenfe,  ôc  pour  celle  de  leurs  familles  > 
ni  que  le  léger  avantage  d'une  paye  modique ,  que  la  paix  leur 
feroit  perdre,  pût  donner  à  ces  gens  méprifables  plus  de  cœur 
ôc  de  zèle,  que  n'en  infpireroit  à  une  brave  noblefle  l'amour  de 
leur  patrie ,  de  leurs  enfans  ôc  de  leurs  biens.  Ces  motifs  ébran- 
lererent  la  Reine  mère  :  elle  fe  laifla  perfuader ,  &  remit  cet 
impôt,  craignant  d'ailleurs  quelques  mouvemens,  fi  elle  per- 
fiftoit  dans  ce  deffein.  Mais  pour  le  difcuîper,  elle  répéta  plu- 
fieurs  fois,  que  cet  impôt  n'étoit  point  de  fon  invention,  mais 
qu'il  avoit  été  propofé  par  quelques  Seigneurs  Ecoflbis  d'afles 
grande  confideration  :  plusieurs  crurent  qu'elle  vouioit  indiquer 
par  ces  paroles  le  comte  de  Huntley. 

.  .   11  ■  •        En  Angleterre,  Thomas  Cranmer  archevêque  de  Cantor- 
Supplice  de  ,  Pt       Vv  ,    .        .     .  n 

Th.  Cranmer  bery ,  qui  etoit  déjà  condamne  depuis  long-tems  ,   mais  qui 

archevèq.  de  apres  le  fupplice  de  Ridley  ôc  de  Latimer  ,  avoit  été  remis 

dans  la  prifon  d'Oxford  ,  en  fut  tiré  le  vingt-un  de  Mars ,  ôc 

expofé  aux  yeux  ôc  à  i'infolence  de  la  populace ,  revêtu  d'un 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.   XVII.        7 

mauvais  habit  ,  après  avoir  été  dégradé  ,  félon  la  coutume.  ——"-"— 
Quelques  jours  auparavant ,  on  lui  avoit  fait  efperer  qu'il  ne  Henri  IL 
feroit  pas  puni  du  dernier  fupplice,  &  à  la  perfuafion  de  quel-  1556. 
ques  perfonnnes  qui  lui  parlèrent  ,  il  avoit  retradté  prefque 
tous  fes  fentimens  :  il  avoit  même  foufcrit  à  une  confeflion  de 
foi ,  par  laquelle  il  reconnohToit  l'autorité  du  S.  Siège ,  ôc  re- 
cevoit  la  do&rine  de  J'Eglife  Romaine;  mais  des  qu'il  vit  que 
Tes  foûmifTions  étoient  inutiles ,  ôc  qu'il  falloit  abfolu ment  mou- 
rir ,  il  fe  repentit  de  cette  démarche.  Il  fit  donc  au  peuple  un 
difeours  pathétique  ,  qu'il  commença  par  des  réflexions  tou- 
chantes fur  la  réforme  des  mœurs ,  pour  s'attirer  l'attention  5 
enfuite  il  déplora  fon  aveuglement  ,  ôc  le  crime  qu'il  difoit 
avoir  commis  en  abandonnant  la  vérité.  Il  expliqua  en  peu 
de  mots  les  principaux  articles  de  fa  doctrine  ,  ôc  enfin  il  ofa 
dire  que  la  puiiTance  du  Pape  feroit  le  plus  ferme  appui  du 
royaume  de  l'Antechrift.  Comme  ces  paroles  fervirent  de 
Conclufion  à  tout  fon  difeours  ,  ôc  furent  les  dernières  qu'il  pro- 
nonça, elles  furent  à  peine  entendues.  Il  fe  vit  ignominieu- 
fement  traîné  jufqu'au  lieu  du  fupplice.  Lorfqu'il  y  fut  arrivé, 
il  dit  en  étendant  fa  main  droite  :  Cette  main  criminelle  a  fouf- 
crit à  la  do&rine  impie ,  que  les  ennemis  de  la  vérité  m'ont 
préfentée  ;  il  eft  donc  jufte  qu'elle  foit  punie  la  première.  Dès 
qu'attaché  au  poteau  fatal,  il  vit  s'élever  autour  de  lui  les  tour- 
billons de  flammes ,  il  étendit  le  plus  loin  qu'il  lui  fut  pofTible 
fa  main  dans  le  feu  ,  pour  fentir  dans  cette  partie  de  fon  corps, 
les  premières  douleurs  de  fon  fupplice  K 

Peu  de  tems  après,  on  craignit  une  confpiration  fecrete  con- 
tre l'Etat  ,  6c  fur  ces  foupçons ,  on  arrêta  plufieurs  perfonnes 
de  diftinclion.  Quelques-uns  eurent  la  tête  tranchée  ;  d'autres 


i  ■»  Cranmer ,  dit  l'auteur  des  Révo- 
sj  luttons  d' Angleterre  ,  te'moigna  une 
ai  foibleffe  qui  deshonora  les  Protef- 
3>  tans  ;  8c  dont  ils  paroiffent  encore 
33  chagrins  qu'on  leur  rappelle  le  fou- 
»>  venir.  Il  fe  fit  Catholique  pour  avoir 
3>  la  vie  ,  ôc  mourut  Proteftant ,  pour 
3>  fe  venger  de  ceux  qui  la  lui  avoient 
3J  refufe'e.  ■»  Maiseft-il  croyable  qu'un 
Prélat  fçavant ,  8c  d'ailleurs  homme 
de  bien  ;  tel  qu'étoit  Cranmer  ,  ait  re- 
tourné au  Proteftantifme  ,  fur  le  point 
de  mourir  ,précifément  par  un  motif 


de  vengeance  ?D'où  l'auteur  a-t-il  fçû 
que  ce  fût  fon  motif?  D'ailleurs  quel- 
le forte  de  vengeance  ?  Efi-ce  fe  ven- 
ger que  de  donner  lieu  à  fes  ennemis 
dédire  qu'on  eft  damné?  Et  puis  fon- 
ge-t-on  d'ordinaire  à  fe  venger,  quand 
on  va  mourir  ?  N'eft-ce  pas  le  tems  où 
l'on  pardonne  tout,  8c fa  mort  même? 
L'idée  que  M.  de  Thou  nous  don- 
ne du  retour  de  Cranmer  à  la  Religion 
Pioteftante,  fur  le  point  de  mourir  , 
eft  plus  jufte ,  8c  fait  qu'on  plaint  fon 
erreur  ,  fans  flétrir  fa  mémoire. 


S  HISTOIRE 

»  ■  n..— i  fe  réfugièrent  en  France ,  entr'autres ,  André  Dudley  frère  du 
Henri  II.  ^uc  ^e  Northumberland.  On  arrêta  auffi  Udall  &  Trockmor- 
1  S  S  &  ton  '  ^U*  ^t0*ent  attacnez  à  Elifabeth  fœur  de  la  Reine.  Us  fu- 
rent dénoncez  comme  confpirateurs ,  par  des  gens  de  la  lie  du 
peuple  y  ôc  punis  du  dernier  fupplice.  Peu  de  tems  après  ; 
Pierre  Carow  ,  qu'une  émotion  populaire  avoit  obligé  de  paffer 
en  France  l'année  précédente,  mais  qui  enfuite  étoit  rentré  dans 
les  bonnes  grâces  de  Philippe,  ôc  Jean  Cheeke ,  qui  avoit  été 
précepteur  du  roi  Edouard  }  ôc  qui  revenoit  d'Allemagne  , 
pour  fe  marier  en  Flandre  ,  furent  arrêtez  par  ordre  du  roi 
d'Efpagne  ,  lorfqu'ils  alloient  enfemble  de  Bruxelles  à  Anvers , 
ôc  conduits  prifonniers  à  Londres.  Mais  Carow  s'étant  écha- 
pé ,  vécut  encore  long-tems ,  ôc  mourut  en  Irlande,  où  il  avoit 
de  grands  biens.  Enfin ,  on  a  fupputé  que  depuis  le  fupplice 
de  Thomas  Cranmer ,  jufqu'à  la  mort  de  Marie  ,  il  périt  en 
Yy~6  perfon-  Angleterre  pour  caufe  de  Religion  cent  foixante-feize  perfon- 

nés  punies  ûq  ■   r  j  \     i  i 

mort  en  An-  nes  >  q01  furent  punies  de  mort ,  ou  qui  après  leur  condamna- 
gieterre  pour  tion ,  moururent  miférablement  dans  les  priions.  Le  cardinal 
Son!  ?I"  Polus,  qui  étoit  particulièrement  chargé  de  maintenir  la  reli- 
gion Romaine  en  Angleterre  ,  ne  voyoit  qu'avec  douleur  ces 
terribles  exécutions,  &  fouhaitoit  fmcérement  de  fauverceux- 
inêmes  contre  lefquelsil  étoit  obligé  de  févir.  Ce  grand  hom- 
me étoit  perfuadé  ,  ôc  on  lui  a  fouvent  entendu  dire  3  que 
comme  les  Evêques  dévoient  pourfuivre,  avec  l'exactitude 
d'un  juge,  ceux  qui  s'éloignoient  de  la  vérité,  ils  dévoient  aufîl 
avoir  pour  les  plus  coupables  la  bonté  d'un  père  tendre  ôc  in« 
riulgent. 

Depuis  trois  ans  qu'il  étoit  de  retour  en  Angleterre  >  il  avoit 
donné  tous  fes  foins  à  réformer  l'Univerfité  de  Cambridge, 
perfuadé  que  fes  travaux  pour  la  Religion  auroient  peu  de  fuc- 
ces  ,  Ç\  pour  l'afTermir  il  ne  veilloit  fur  les  Collèges  ,  où  les 
jeunes  gens  font  formez  à  la  pieté  dès  l'enfance.  Il  choifit  pour 
la  réforme  des  écoles  Cuthbert  Ecoffois ,  évêque  de  Chefter, 
Nicolas  Ormaneto  de  Vérone ,  qui  étoit  fort  aimé  de  Jule  III, 
Ôc  qui  étoit  venu  d'Italie  avec  le  Cardinal  ;  Thomas  Watfon  , 
nommé  à  l'évêché  de  Lincoln  ,  Jean  Chriftophorfon  ,  qui 
étoit  nommé  à  l'évêché  de  Chichefter  ,  ôc  Henry  Cool 
Principal  du  collège  d'Etone.  Après  avoir  écrit  conjointe- 
ment à  André  Pern  ,  qui  étoit  alors   Vice- Chancelier  dç 

rUniverfité, 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U ,  L  i  v.  XVÎÏ.         $ 

l'Univerfité,  pour  l'avertir  d'en  convoquer  toutes  les  Facukez  » 

dans  l'Eglife  de  Notre-Dame  ,  pour  l'onze  de  Janvier;  ils  Henri  IL 
partirent  fans  différer.  On  les  reçut  avec  de  grands  témoigna-  \  <:  <  6> 
ges  d'une  joye  fincére  ;  ôc  dès  le  premier  jour  de  leur  arri- 
vée, ils  rirent  fermer  l'Eglife  de  Notre-Dame  ,  ôc  celle  de  S. 
Michel ,  où  l'on  avoit  inhumé  quatre  ans  auparavant  les  corps 
de  Martin  Bucer  ôc  de  Paul  Fagius.  On  s'affembla  le  Jour 
fuivant  dans  les  écoles  de  la  Trinité  5  Jean  Stocch  y  fit  un 
long  difeours ,  dans  lequel  il  fit  l'éloge  de  la  pieté  de  la  Reine 
ôc  du  Cardinal  ,  ôc  demanda  au  nom  de  l'Univerfité ,  qu'on 
oubliât  les  erreurs  des*  tems  paffez ,  pour  fonger  uniquement 
à  affermir  la  Religion  ,  ôc  à  faire  des  régîemens  immuables 
pour  le  gouvernement,  ôc  l'exacte  difeipline  des  écoles  ;  afin 
que  ceux  qu'une  mauvaife  inftru&ion  avoit  féduits  >  ou  qui 
emportez  par  le  torrent  de  l'erreur  ,  s'étoient  écartez  de  la 
vérité  ,  puffent  peu  à  peu  la  reconnoître  ,  ôc  rentrer  dans  leur 
devoir. 

L'évêque  de  Chefter,  après  avoir  témoigné  la  joye  que  ce 
difeours  lui  faifoit  ,  ôc  exalté  les  foins  ôc  l'affection  du  Car- 
dinal pour  l'Univerfité  ,  qu'il  regardoit  comme  fa  pupille ,  dit 
que  le  projet  de  la  réforme  ne  pouvoit  avoir  qu'un  heureux 
fuccès ,  (i  ceux  qui  s'étoient  écartez,  revenoient  de  bonne  foi 
dans  le  chemin  de  la  vérité  :  qu'il  y  voyoit  déjà  un  grand 
acheminement ,  ôc  d'heureufes  difpofitions  ,  puifqu'ils  recon- 
noiffoient  leur  aveuglement ,  ôc  qu'ils  avoùoient  leurs  erreurs  : 
qu'il  pancheroit  plutôt  à  la  clémence,  qu'à  la  févérité,  quoi- 
qu'il fût  befoin  des  remèdes  les  plus  violens  ,  pour  extirper 
l'erreur,  qui  avoit  jette  de  fi  profondes  racines  î  ôc  que  fi  leurs 
avertiffemens ,  ôc  les  confeils  falutaires  qu'ils  donneroient ,  fai- 
foient  impreffion  fur  Tefprit  de  ceux  qui  avoient  été  féduits, 
ils  dévoient  tous  efperer  qu'on  les  traiteroit  avec  une  bonté  ôc 
une  affection  particulière,  ôc  qu'on  ne  négligeroit  ni  la  gloire 
ôc  l'intérêt  général  de  l'Univerfité  ,  ni  l'avantage  particulier  de 
tous  les  membres  qui  la  compofoient. 

On  fe  rendit  enfuite  dans  l'Ecole  Royale  ,  où  l'on  célébra    On  exhume 
une  Meffe  avec  beaucoup  de  folemnité  ,  après  laquelle   on  p^S^s.  " 
prêcha  dans  l'Eglife  de  Notre-Dame ,  quoiqu'elle  fût  interdite. 
On  parla  enfuite  de  l'exhumation  des  corps  de  Bucer  ôc  de 
Fagius. Ils  avoient,  difoit- on,  non  feulement  répandu  de  tous 
Tome  lîl,  B 


to  HISTOIRE 

cotez  le  funefte  poifon  de  l'erreur ,  &  formé  un  parti  6c  une 
Henri  IL  fecte  particulière  ;  mais  encore ,  en  s'écartant  de  la  vérité  ,  ils  en 
i  J  5*  6.  avoient  éloigné  plufieurs  par  leur  pernicieux  exemple.  On  or- 
donna donc  que  leurs  corps  feraient  au  plutôt  exhumez  ,  parce 
qu'il  étoit  défendu  par  les  faints  décrets  ôc  par  les  canons,  de 
donner  la  fépulture  Eccléfiaftique  aux  hérétiques  ;  Que  c'é- 
tait offenfer  la  majefté  de  Dieu,  profaner  fes  Temples,  Ôc  vio- 
ler les  loix  les  plus  facrées  ;  Ôc  qu'enfin  on  ne  pouvoit ,  fans  al- 
1  armer  les  confciences  ,  ôc  fcandalifer  ceux  qui  avoient  fuivi 
la  religion  de  leurs  pères ,  accorder  à  ceux ,  dont  les  mœurs  ôc 
la  doctrine  y  avoient  été  directement  oppofées,  la  fépulture 
commune  à  tous  les  fidèles.  On  réfolut  donc  de  purifier  ces 
Eglifes ,  ôc  de  ne  rien  laifTer  de  ces  cadavres  abominables  ,  qui 
pût  même  fouiller  les  élemens,  afin  de  lever  par-là  en  quelque 
façon  les  fcrupules  des  perfonnes  foibies ,  ôc  des  confciences 
timorées. 

On  préfenta  une  requête  aux  Commifîaires ,  ôc  ils  jugèrent 
à  propos  d'obferver  toutes  les  formalitez  requifes  par  les  Ca- 
nons. On  cita  donc  les  morts  jufqu'à  deux  fois ,  ôc  on  fit  deux 
différentes  informations  5  perfonne  n'ofant  paroître ,  pour  dé- 
fendre leur  mémoire  ,  ils  furent  condamnez  comme  contuma- 
ces. L'évêque  de  Chefter  fit  un  difeours ,  en  préfence  de  tou- 
tes les  Facultez,  qui  s'étoient  affemblées  au  jour  indiqué,  par 
lequel  il  tâcha  d'exeufer  la  févérité  de  ce  jugement ,  ôc  d'en 
faire  voir  l'équité.  Il  infifta  fur  la  nécefTité  qu'il  y  avoit  de  ne 
pas  laifTer  pluslongtems  des  Eglifes  profanées,  par  une  facri- 
îege  tolérance  qui  troubloit  les  efprits  foibies.  Les  Commiffai- 
res  ordonnèrent  donc  que  les  cadavres  feroient  déterrez  ,  ôc 
abandonnez  au  bras  féculier,  parce  quePEglife  ne  peut  infli- 
ger de  peines  corporelles. 

Il  fallut  envoyer  ce  jugement  à  Londre,  Ôc  quelques  jours 
s'écoulèrent  avant  que  le  Juge  laïc  eût  rendu  fa  fentence.  Ce- 
pendant Pern  prononça  un  difeours  plein  d'aigreur  ôc  d'em- 
portement contre  Bucer  ,  quoiqu'il  l'eût  connu  particulière- 
ment 5  ôc  à  fon  exemple ,  plufieurs  jeunes  gens  prirent  plailir 
à  faire  contre  fa  mémoire  des  vers  fatyriques.  Enfin  le  fix  de 
Février,  les  corps  furent  exhumez.  On  planta  dans  la  place 
publique  un  gros  poteau ,  pour  les  y  attacher ,  ôc  on  mit  à  l'en- 
tour  une  grande  quantité  de  bois ,  afin  de  leur  faire  fubir  la 


DE   J.  A,  DE  THOU  Liv.  XVII.        ir 

peine  du  feu  ,  comme  s'ils  euflfent  étévivans.  OndrefTa  autour  * 

du  poteau  les  cercueils  où  étoient  enfermez  les  cadavres  ;  on  j-fENRI  JJ, 
les  environna  de  pieux >  6c  on  les  attacha  avec  des  chaînes  de  x  r  ,  ^ 
fer ,  pour  les  foûtenir.  Les  corps  furent  entièrement  confumez 
par  la  flamme  ,  avec  un  grand  nombre  de  livres  hérétiques , 
qu'on  avoit  ramafTez  de  tous  cotez.  Watfon  fit  enfuite  un  dif- 
cours  à  ce  fujet.  On  rétablit  les  Eglifes  qui  avoient  été  inter- 
dites. Plufieurs  membres  de  l'Univerfité  furent  punis  ;  on  ôta 
aux  uns  toute  voix  délibérative  ,  d'autres  furent  exclus ,  &  on  en 
mit  d'autres  en  leur  place.  Enfin  les  CommifTaires  firent  pu- 
blier des  réglemens ,  fur  la  difcipline  qui  feroit  déformais  obfer- 
vée  dans  l'Univerfité. 

Quelque  tems  après ,  Brokes,  évêque  de  Glocefîer  ,  traita  de 
même  à  Oxford  le  corps  de  Catherine  femme  de  Pierre  Mar- 
tyr Vermilio ,  qui  quatre  ans  auparavant  avoit  été  inhumée  dans 
l'Eglife  de  Chrift  ,  à  côté  du  corps  de  la  bienheureufeFrifuide, 
qui  étoit  en  grande  vénération  en  Angleterre.    Cette  femme 
après  fa  mort }  ayant  été  convaincue  d'avoir  fuivi  les  fentimens 
erronez  de  fon  mari ,  fut  aufll  condamnée.    Son  corps  fut  ex- 
humé; Ôc  ayant  été  porté  par  un  crocheteur    dans   l'écurie 
de  Marfall  3  doyen  de  cette  Eglife  ,  il  y  fut  enterré  ;  mais 
après  la  mort  de  Marie ,  ôc  à  la   follicitation  de   Mathieu 
Parker  archevêque  de  Cantorbery ,  d'Edmond  Grindal  évê- 
que de   Londres  ,   ôc   de  Richard  évêque    de  Glocefter  ; 
Elifabeth  l  fit  dans  la  fuite  tirer  de  cette  écurie  les  os  de 
Catherine ,  ôc  les  fit  mettre  dans  le  tombeau  de  la  bienheu- 
reufe  Frifuide  l'onze  de  Janvier  i$6i   après  que  l'Univerfité 
de  Cambridge  eut  rétabli  par  un  décret  authentique  du  vingt- 
deux  Juillet  de  l'année  1561  la  mémoire  de  Bucer  ôc  de  Fa* 
gius.  On  annulla  alors  tout  ce  qui  avoit  été  fait  contre  eux  5  ôc 
afin  de  le  faire  avec  plus  d'éclat  ôc  de  folemnité  }  on  tint  le  30 
du  même  mois  une  affemblée,  oùAchwortfit  au  nom  de  l'U- 
niverfité un  difcours  à  la  louange  de  ces  illuftres  morts.  Il 
peignit  des  plus  noires  couleurs  la  cruauté  du  règne  précédent  3 
qui  fans  épargner  les  vivans  ,  n' avoit  pas  même  refpe£lé  les 
morts,  qui  repofoient  dans  leurs  tombeaux.    Jacque  Pilkin- 
îon  parla  aufïifort  au  long  à  ce  fujet,  ôc  rappella  dans  fon  dif- 
cours l'exemple  des  Papes  Etienne  VI.  ôc  Sergius  III.  qui 
1  Ces  faits  font  rapportez  ici  par  anticipation, 

B  i) 


12  HISTOIRE 

«i*»^— i—  poufFez  par  des  inimitiez  particulières ,  traitèrent  Formofe  leur 
Henri  II.  prédeceffeur ,  avec  une  brutale  inhumanité,  auffi  extraordinaire 
j  C  7  6.     9ue  ce^e  ^ont  on  âvoit ufé  à  l'égard  de  Bucer  &  de  Fagius. 
Après  avoir  rapporté  les  événemens  les  plus  intereflans  de 
entreb  Fran-  l'hiftoire  d'Angleterre ,  je  vais  palier  à  celle  des  autres  Royau- 
ce ,  l'Empc-    mes  de  l'Europe.   Charle-Quint  ayant  renoncé  à  l'Empire  ,  Ôc 
Philippe?        à  tous  fes  Royaumes  ,  avoit  réfolu  de  fe  retirer  enEfpagne; 
mais  il  n'avoit  ofé  s'expofer ,  comme  j'ai  dit ,  aux  dangers  de 
la  mer  \  foit  à  caufe  de  fa  mauvaife  fanté  ,  foit  parce  que  la 
faifon  étoit  trop  avancée.    Il  employa  tout  ce  tems  à  mettre 
de  l'ordre  dans  les  affaires ,  ôc  à  établir  la  puiffance  de  fon 
fils.    Craignant  avec  raifon  que  dans  les  commencemens  de 
fon  règne  ,   ce  Prince  dépourvu  d'expérience    ne  fe  laiflat 
emporter  par  le  feu  de  fa  jeuneffe ,  ôc  ne  s'exposât  téméraire- 
ment auxhafards  d'une  guerre,  dont  le  fuccès  feroit  peut-être 
malheureux ,  il  jugea  que  fon  fils  devoit  plutôt  s'affermir  fur  fon 
thrône ,  ôc  faire  des  préparatifs  néceffaires ,  avant  que  de  con- 
fier au  fort  des  armes  la  décifion  des  anciennes  querelles  avec 
3e  Roi  de  France.  Il  fe  fervit  donc  de  l'entremife  du  cardinal 
Polus ,  qui,  au  nom  de  la  reine  d'Angleterre,  avoit  offert  fa 
médiation  pour  la  Paix ,  ôc  il  demanda  avec  empreiïement  au 
moins  une  trêve  de  plufieurs  années  ,  fi  on  ne  pouvoit  faire 
un  traité  qui  finît  entièrement  la  guerre.  On  envoya  donc  de 
part  Ôc  d'autre  des  Plénipotentiaires.  Le  Roi  nomma  Gafpard 
de  Coligny  Amiral  de  France,  ôc  Sebaftien  de  l'Aubefpine 
maître  des  Requêtes.  Charle  ôc  Philippe  fon  fils  nommèrent 
Charle  comte  de  Lallain  ,  Simon  Renard  ,  Charle  Tifnac, 
Philippe  de  Bruxelles  ,  ôc  Jean-Baptifte  Schiccio  jurifconfulte 
de  Crémone. 

Les  Plénipotentiaires  s'affemblerent  au  commencement  de 
l'année  ,  dans  le  couvent  de  Vaucelles ,  proche  de  Cambray  j 
ôc  après  de  longues  conteftations  >  ils  convinrent  enfin  d'une 
trêve  de  cinq  années,  fur  mer  ôc  fur  terre,  tant  en  Flandre, 
qu'en  Italie ,  ôc  dans  les  autres  pays  fournis  aux  deux  Rois ,  où 
l'oncefferoit  tous  actes  d'hoftilité,  Ôc  où,  tant  qu'elle  dureroit,  les 
deux  Princes  retiendroient  toutes  les  conquêtes  qu'ils  avoient 
faites  pendant  la  guerre.  On  y  comprit  de  part  ôc  d'autre  le 
Pape.  Charle  en  exclut  les  bannis  de  Naples  ôc  de  Sicile\ 
Le  Roi  avoit  fait  comprendre  dans  le  traité  ,  le  marquis  Albert 


DE   J.   A.   DE  THOU  ,  Liv.  XVIT.        13 

de  Brandebourg  :  mais  on  convint  dans  la  fuite  de  n'en  faire  ___ -taMS 
aucune  mention  5  parce  que  le  corps  de  l'Empire  Germani-  7j         îr 
que  y  étant  compris ,  du  confentement  des  deux  Princes  ,011  x      " 

ne  pouvoit  ,  fans  blefler  fes  intérêts  >  y  comprendre  Albert,  1  $  * 
qui  ne  devoit  pas  jouir  du  bénéfice  de  ce  traité,  avant  que  fa 
profcription  fut  révoquée ,  &  qu'il  eût  fait  fa  paix  avec  l'Em- 
pire. On  convint  auffi  que  pour  Yvrée  6c  le  Val-d'Aoufte  , 
dont  les  François  s'étoient  rendus  maîtres  dans  la  dernière 
guerre ,  le  Roi  payeroit  tous  les  ans  au  duc  de  Savoye  une 
certaine  fomme,  qui  feroit  comptée  à  Lyon  en  deux  paye- 
mens  :  ce  traité  fut  conclu  le  y  de  Février. 

Quatre  jours  après ,  on  tint  une  conférence  fur  l'échange 
des  prifonniers  5  &  on  y  demeura  d'accord  ,  que  de  part  ôc 
d'autre  on  renvoyeroit  les  fimples  foldats ,  en  payant  pour  leur 
rançon  trois  mois  de  leur  folde,  ôc  les  Officiers,  en  payant  une 
année  de  leurs  appointemens  :  ce  qu'on  jureroit  d'exécuter  de 
bonne  foi.  On  avoit  excepté  de  notre  côté  le  duc  de  Bouillon , 
qui  avoit  été  pris  à  Terouanne,  ôc  François  de  Montmoren- 
cy ,  qui  l'avoit  été  à  Hedin  >  ôc  du  côté  des  ennemis ,  Philip* 
pe  de  Croy  duc  d'Arfchot ,  qui  ayant  été  pris  dans  un  com- 
bat proche  d'Amiens ,  ôc  réconnu  ,  quoique  déguifé  fous  un 
habit  de  payfan  ,  étoit  enfermé  dans  le  château  de  Vincennes. 
Cependant  dans  la  fuite  on  jugea  à  propos  de  remettre  de 
part  ôc  d'autre  ces  Seigneurs  en  liberté ,  en  payant  une  ran- 
çon ;  dont  on  conviendrait  dans  trois  mois.  Mais  l'affaire  ayant 
été  tirée  en  longueur,  le  duc  d'Arfchot  trouva  le  moyen  de 
s'échaper  :  ce  qui  fit  dire  affez  plaifamment  à  Charle  V.  Que 
ce  Seigneur  avoit  été  pris  en  Flandre  comme  un  gueux ,  ôc 
s'étoit  enfui  de  France  comme  un  voleur. 

Comme  il  n'étoit  pas  pofiible  qu'il  eût  pu  fortir  de  fa  pri- 
fon,  fans  le  fecours  de  quelques  perfonnes,  Jean  Munier,  lieu- 
tenant civil ,  fit  informer  avec  rigueur  contre  Françoife  d'Am- 
boife,  veuve  de  Charles  de  Croy,  comte  de  Senighen ,  cou- 
fin  du  duc  d'Arfchot,  parce  que  cette  alliance  la  rendoit .très 
fufpe£te.  Le  Parlement  avoit  refufé  depuis  peu  de  recevoir 
Munier  dans  cette  charge  ,  comme  en  ayant  été  pourvu  con- 
tre les  règles ,  ôc  on  ne  l'y  avoit  enfin  admis ,  qu'après  plu- 
fieurs  jufïïons  ,  ôc  à  la  recommandation  d'Anne  de  Montmo- 
rency. Ce  Seigneur  preffoit  vivement  les  informations ,  parce 

Biij 


14  HISTOIRE 

.  qu'ayant  perdu  Fefperance,  par  l'évafion  du  duc  d'Arfchoty 

Henri  IL  ^e  l'échanger  pour  fon  fils,  il  vouloit  fe dédommager  de  cette 
i  ?  c  6.  Perte>  ^ur  *es  biens  du  comte  deSenighen,  parent  du  Duc.  On 
employa  tout,  ôc  même  les  faux  témoins,  pour  avoir  des  preu- 
ves contre  la  comteffe  de  Senighen ,  qui  au  fond  étoit  coupa- 
ble. Elle  fut  mife  en  prifon  ,  ôc  elle  efluya  l'affront  d'une  pro- 
cédure criminelle  :  mais  tout  retomba  fur  Munier ,  qui  étoit 
tout  enfemble  juge  6c  accufateur ,  6c  il  fut  convaincu  de  ca- 
lomnie 6c  de  prévarication.  La  haine  qui  divifoit  les  maifons 
de  Montmorency  6c  de  Guife,  les  plus  puhTantes  du  Royau- 
me ,  ôc  qui  avoit  été  jufqu'aîors  comme  cachée ,  éclata  enfin  à 
l'occafion  de  cette  affaire  particulière,  comme  nous  le  dirons 
dans  la  fuite  plus  au  long. 

Peu  de  tems  après  la  conclufion  de  la  trêve,  l'amiral  de  G> 
ligny  fe  rendit  à  Bruxelles  auprès  de  l'Empereur ,  6c  le  comte 
de  Lallain  vint  à  Blois  trouver  le  Roi ,  pour  faire  chacun  de 
leur  côté ,  jurer  l'obfervation  du  traité  à  ces  deux  Princes.  La 
trêve  fut  aufïi-tôt  publiée  à  Metz  par  l'ordre  du  Roi  ;  mais 
l'Empereur  ne  la  fit  publier  en  Flandre  que  quelque  tems  après , 
parce  que  les  vues  de  Philippe  étoient  de  la  reftraindre  à  un 

Affaires      P^us  Pet^  nom^re  d'années.  En  Italie  elle  ne  fut  publiée  que 
d'Italie.         bien  plus  tard ,  foit  par  la  négligence  des  Impériaux  ,  foit  par 
une  fupercherie  qui  leur  devint  funefte.  En  effet,  après  s'être 
emparés  dans  le  Piémont,,  de  Gattinare  ,ôc  y  avoir  mis  garni- 
fon ,  ils  s'engagèrent  plus  avant  ;  mais  Louis  de  Birague  s'é- 
tant  mis  en  campagne  avec  les  milices  de  la  Province  ,  ôc 
deux  compagnies  SuifTes  ,  reprit  cette  place ,  par  la  lâcheté 
du  Gouverneur,  fans  même  en  faire  approcher  le  canon,  6c 
il  y  laifTa  neuf  foldats  en  garnifon.  Enfuite  prévoyant  que  les 
Impériaux  reviendroient  fur  leurs  pas ,  il  fit  pour  les  tromper 
une  fauffe  marche,  du  côté  de  Santia ,  6c  pofta  fecrettement  fes 
troupes  dans  des  endroits  avantageux,  pour  furprendre les  en- 
nemis. Birague  ne  fe  trompa  point;  cardes  qu'il  en  fut  parti , 
les  Impériaux  accoururent  à  Gattinare  avec  huit  compagnies 
Italiennes ,  une  Allemande ,  cent  chevaux-legers ,  ôc  trois  pie- 
ces  de  canon.  Les  François  ayant  abandonné  la  Ville,  furent 
auîïi-tôt  afïiégez  dans  la  Citadelle.  Mais  Birague  arriva  à  l'im- 
provifte  ,  fur  le  déclin  du  jour  :  il  feignit  de  vouloir  donner 
d'un  côté  l'affaut  à  la  Ville  ,  6c  pendant  qu'il  y  arrêtoit  les 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XVIL         i? 

ennemis ,  il  envoya  de  l'autre  les  SuifTes  >  qui  entrèrent  dans  la  ■■■■■■ ■™i«i 

Citadelle  ,  avant  qu'ils  puffent  s'en  appercevoir.  Les  Irape-  Henri  II. 
riaux  étant  donc  enfermés  entre  la  Citadelle  &  la  Ville ,  fa-  \  <  <  6, 
rent  facilement  défaits.  On  leur  prit  leurs  drapeaux  &  leurs 
canons,  &  ils  furent  prefque  tous  faits  prifonniers:  car  Man- 
fredi  Torniello  ,  qui  venoit  à  leur  fecours ,  arriva  trop  tard. 
Les  François  furprirent  encore  dans  le  même  pays  Vignale, 
quoiqu'il  y  eût  une  garnifon  de  quinze  cens  Italiens  de  grande 
réputation  de  valeur  s  commandés  par  dix  capitaines  ,  dont 
quatre  furent  tuez ,  &  les  lïx  autres  faits  prifonniers  :  les  fol- 
dats  furent  défarmés  ,  malgré  tous  les  efforts  que  lit  le  mar- 
quis de  Pefcaire  pour  les  fecourir. 

Sur  les  côtes  de  la  mer  de  Tofcane ,  les  garnifons  de  Grof- 
feto  &  de  Montepefcali  s'étant  réunies ,  s'emparèrent  de  Giun- 
carico ,  de  Colonne,  de  Ravi,  &  d'autres  petites  places,  dont 
la  plupart  furent  bientôt  après  reprifes  par  Luc- Antoine  Cup- 
pano.  Les  François  jugèrent  à  propos  de  s'emparer  de  Pien- 
za ,  quoique  cette  place  n'eût  point  de  murailles  5  mais  elle  fut 
reprife  par  Santa- Fiore ,  qui  fit  pendre  quelques  foldats  ,  qui 
s'étoient  retirés  dans  le  clocher  de  l'Eglife.  San-Chirico  fut 
abandonné  par  la  garnifon,  et  Campriano  demeura  entre  nos 
mains.  Corne ,  qui  étoit  informé  de  la  Trêve  que  Jean  de  Par- 
thenay  Soubize  ,  qui  commandoit  au  nom  du  Roi  dans  Mon- 
talcino  ,  publioit  de  tous  côtés  ,  avoit  fait  fortifier  à  la  hâte 
Turrita,  Afina-Longa,  Monte-Fellonico  ,  ôt  les  autres  places 
yoifines. 

Dans  le  même  tems  la  flotte  de  Doria  fit  un  trifte  naufra- 
ge. Jean-André  Doria  efperant  de  furprendre  Bonifacio  par 
un  ftratageme  ,  avoit  fait  une  defcente  dans  rifle  de  Corfe 
avec  douze  galères  :  ayant  été  battu  d'une  violente  tempête  > 
proche  l'Ifle  d'Elbe ,  il  perdit  une  galère  montée  par  plus  de 
deux  cens  hommes ,  qui  périrent  miierabîement.  Ayant  en- 
fuite  relâché  dans  un  golfe  de  l'Ifle,  d'où  il  efperoit  gagner 
Porto-Vecchio  ,  l'orage  recommença  avec  plus  de  furie  :  fes 
galères  fe  heurtèrent  les  unes  les  autres ,  ou  fe  briferent  con- 
tre des  rochers.  A  peine  fe  put-il  fauver  avec  la  Capitane, 
après  avoir  perdu  un  grand  nombre  de  prifonniers  ,  de  fol- 
dats &  de  canons  ;  ceux  qui  ne  furent  pas  fubmergés  dans  les 
flots ,  eurent  bien  de  la  peine  à  gagner  la  terre  à  la  nage. 


16  HISTOIRE 

,  »       Enfin  la  Trêve  ayant  été  publiée  de  part  6c  d'autre  3  on  en 

tï  tt    rendit  des  aclions  de  grâces  à  Dieu.  Le  cardinal  de  Tournon , 

c  c  6  °Pl  itoVi  alors  à  Rome ,  alla  à  l'audience  du  Pape  avec  l'am- 
baffadeur  de  France ,  ôc  montra  au  S.  Père  le  traité  dont  on 
étoit  convenu  >  en  TaiTurant  cependant  que  le  Roi  ne  vouloit 
point  fe  départir  de  l'alliance ,  qu'ils  avoient  fecrettement  con- 
tractée enfemble.  Quoique  le  Pape ,  ôc  les  Princes  qui  étoient 
dans  fes  intérêts ,  n'ofaffent  pas  faire  paroître  leur  méconten- 
tement ,  ils  trouvèrent  néanmoins  fort  mauvais  que  le  Roi  eût 
confenti  à  la  Trêve  ,  fans  en  avertir  le  Pape  :  toutes  leurs  vues 
tendant  uniquement  à  continuer  la  guerre ,  ce  traité  leur  fai- 
foit  craindre  de  trouver  le  Roi  moins  porté  à  favorifer  leurs 
projets.  Ils  firent  donc  fortifier  leurs  places  frontières  avec  tou- 
te la  diligence  poflible.  Fiaminio  de  Stabbia  des  Urfins ,  pa- 
rent de  Strozzi,fut  envoyé  à  Citta-di-Caftello.  Ils  firent  mê- 
me venir  Strozzi  3  avec  l'agrément  du  Roi ,  pour  fe  fervir  de 
lui,  dans  l'exécution  des  deffeins  qu'ils  méditoient.  Ce  Sei- 
gneur étoit  à  Antibe  ,  où  il  s'étoit  retiré  après  la  bataille  de 
Marciano ,  parce  que  le  Connétable ,  ôc  quelques  autres,  rejet- 
toient  fur  lui  le  mauvais  fuccès  de  cette  journée. 

D'un  autre  côté  ,  Corne  crut  aufli  devoir  aflurer  fes  fron- 
tières. Il  donna  donc  le  gouvernement  de  Borgo-à-fan-Se- 
polcro  ,  qui  eft  vis-à-vis  de  Citta-di-Caftello  ,  à  Pierre  del- 
Monte  ,  avec  une  compagnie  d'infanterie  >  ôc  y  envoya  en- 
core Pandolfe  de  Ricafoli ,  ôc  une  autre  compagnie  de  gens 
de  pié.  Il  fit  auffi  fortifier  Caftro-caro ,  fur  les  frontières  de  la 
Romagne  ,  Caftone  ,  ôc  Montepuîciano ,  contre  les  courfes  de 
la  garnifon  de  Montalcino  ;  car  quoi  qu'il  ne  lui  parût  pas  que 
le  Pape  voulût  faire  aucuns  mouvemens ,  cependant  le  refus 
qu'il  lui  avoit  fait  de  donner  l'archevêché  de  Pife  à  Jean  fon 
fécond  fils ,  faifoit  croire  à  ce  Prince ,  que  le  fouverain  Pon- 
tife étoit  indifpofé  à  fon  égard. 

Dans  le  même  tems  Ottavio  Farnefe  ,  duc  de  Parme,  fe 
ïéconcilia  avec  Charle  V.  fon  beau-pere  ,  par  l'entremife  du 
duc  de  Florence  ,  ôc  par  les  foins  de  Jérôme  Correggio ,  ôc  il 
yentra  dans  la  poffeflîon  de  Plaifance  ,  de  Novare 3  du  Nova- 
rois  ,  ôc  des  Châteaux  ,  dont  les  Impériaux  s'étoient  emparés 
dans  le  Parmefan.  L'Empereur  le  reçut  dans  fes  bonnes  grâ- 
ces ,  à  condition  qu'il  recevroit  dans  les  citadelles  de  Plaifance 

une 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XVII.  17 

• 

une  garnifon  Efpagnolle ,  qui  feroit  payée  à  fes  dépens  ;  Que 
le  traité  ne  donneroit  aucune  atteinte  aux  droits  de  l'Empi-  J-TENRI  JJ. 
re,  ôc  du  S.  Siège,  fur  le  duché  de  Parme»  Que  la  citadelle  x  ç  ç  5. 
de  Novare  demeureroit  entre  les  mains  de  l'Empereur';  Que 
les  biens  qu'Ottavio  3  ôc  Marguerite  fon  époufe  ,  fille  natu- 
relle de  l'Empereur  ,  avoient  dans  le  royaume  de  Naples,ôc 
dans  la  Tofcane,  ôc  ceux  du  cardinal  Alexandre, frère  d'Ot- 
tavio  ,  dans  la  Sicile ,  leur  feroient  rendus  ;  fans  cependant 
qu'ils  puffent  demander  la  reftitution  des  fruits  que  la  cham- 
bre Impériale  avoit  perçus  :  Que  les  enfans  de  ceux  des  con- 
jurez ,  qui  étoient  morts ,  ne  feroient  point  troublés  dans  la. 
poffefîion  de  leurs  biens  ,  mais  qu'ils  en  joùiroient  librement  ; 
Que  pendant  flx  mois  on  n'intenterait  rien  de  nouveau  con- 
tre les  autres  conjurez  qui  vivoient  encore,  ôcque  cependant 
ils  pourroient  vendre  ou  engager  leurs  biens  à  qui  ils  juge- 
roient  à  propos;  Qu'Ottavio  vivrait  en  bonne  intelligence  avec 
le  comte  de  Sanfecundo ,  ôc  Jean-François  de  Sanfeverino ,  que 
l'Empereur  le  prioit  de  ménager  ;  mais  que  cependant  il  pour- 
rait les  punir,  s'ils  violoient  dans  la  fuite  leurs  fermens  :  Qu'on 
démantèlerait  Torriîe,  Roccabianca  ôc  Torricelle;  Qu'on  re- 
mettrait à  Ottavio  la  ville  de  Sandonino  ,  fans  toucher  aux 
fortifications  que  l'Empereur  y  avoit  fait  faire  ;  Que  dès  que 
Plaifance  feroit  remife  à  Ottavio  ,  Alexandre,  Mis  aîné  de  ce 
Prince  ôc  de  Marguerite,  demeureroit  en  otage  à  Milan,  d'où 
il  parferait  à  la  cour  du  roi  d'Efpagne. 

Ce  traité  fut  très-avantageux  à  l'Empereur  ôc  à  Corne.  Il 
n'y  avoit  plus  tant  à  craindre  pour  le  duché  de  Milan  ;  ôc  les 
François  ne  pouvoient  dorénavant  paffer  par  terre  ,  avec  la 
même  facilité  dans  la  Tofcane ,  ôc  dans  le  royaume  de  Napîes. 
Les  comtes  de  Correggio  ôc  de  Nugarola  s'affermirent  auffi 
dans  leurs  Etats ,  ôc  s'oppoferent  dans  la  fuite  plus  vigoureu- 
fement  aux  entreprifes  du  duc  de  Ferrare  leur  ennemi. 

Cependant  le  cardinal  Caraffe  faifoit  tous  fes  efforts ,  pour 
exciter  la  France  à  prendre  les  armes  contre  TEfpagne.  Il 
avoit  envoyé  en  France  Annibal  Rucceliai  ,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit  :  avant  la  trêve ,  il  s'étoit  lervi  plusieurs  fois 
du  nom  du  Pape ,  pour  écrire  au  Roi  ôc  au  Connétable  j  ôc 
afin  de  ne  rien  négliger  de  ce  qui  pouvoit  faire  réiiiTir  fes  def- 
feins,  il  avoit  même  écrit  à  la  ducheffe  de  Valentinois,  que 
Tom,  IIL  G 


18  HISTOIRE 

m  fes  charmes  empoifonneurs  rendoient  maîtreiTe  abfoluë  de 


Henri  II  l'efprit  du  Roi ,  qui  d'ailleurs  étoit  avide  de  gloire ,  ôc  enflé  de 
j  ^  -  ^  fes  fuccès.  Enfin  il  avoit  aufïi  écrit  au  duc  de  Somma ,  pour 
le  preffer  d'envoyer  au  plutôt  les  fecours  qu'il  avoit  promis. 
Après  la  conclufion  de  la  Trêve  ,  il  fe  fervit  de  l'entremife  du 
même  Seigneur  ,  qui  étoit  déjà  à  la  cour  de  France  >  pour 
faire  de  vives  plaintes  au  Roi,  de  ce  que  ,  fans  en  rien  com- 
muniquer à  fes  alliez  ,  ôc  au  préjudice  du  traité  qu'il  avoit 
fait  avec  eux  ,  il  manquoit  de  parole  au  Pape  ,  ôc  abandon- 
noit  les  CarafTes  >  ôc  pour  prier  inftamment  S.  M.  de  ne 
pas  foufcrire  à  la  trêve.  11  écrivit  une  féconde  fois  au  Roi 
le  $  de  Mars  ,  pour  lui  demander  que  ,  s'il  vouloit  obferver 
la  trêve  ,  il  remît  du  moins  entre  les  mains  du  fouverain 
Pontife  les  places ,  que  les  François  occupoient  en  Tofcane , 
comme  le  cardinal  de  Lorraine  le  lui  avoit  fait  efperer  ;  parce 
que ,  difoit-il }  les  Impériaux  ôc  Corne  n'ayant  plus  rien  à  crain- 
dre de  la  part  des  François  ,  n'oferoient  en  venir  à  une  ruptu- 
re avec  le  Pape  ;  Ôc  que  même  il  y  avoit  lieu  de  croire  que 
pour  mériter  fon  affection ,  ils  rendroient  volontiers  Sienne  , 
ôc  les  autres  places  de  cet  Etat ,  dont  ils  s'étoient  emparés 
dans  la  dernière  guerre  :  Qu'en  effet  il  étoit  certain  ,  ôc  que 
les  Efpagnols  en  étoient  perfuadés  ,  que  le  fouverain  Pontife  ; 
dont  la  fermeté  ôc  la  générofité  étoient  égales ,  avoit  aflez  de 
puiffance,  pour  difpofer  à  fon  gré  des  couronnes  ,  pour  don- 
ner à  qui  bon  lui  fembleroit  des  Royaumes  en  Italie  ,  ôc  pour 
faire  pancher  la  balance  de  quel  côté  il  jugeroit  à  propos. 

Le  cardinal  Caraffe  voulut  alors  demander  la  légation  de 
France  3  pour  avoir  une  occafion  de  venir  dans  ce  Royau- 
me, comme  il  l'avoit  refolu  ,  ôc  pour  faire  réùflir  une  affaire 
qu'il  avoit  tant  à  cœur.  Mais  le  cardinal  de  Tournon  fçut 
adroitement  le  retenir  ,  en  lui  remontrant  que  fa  préfence 
étoit  néceflaire  à  Rome  >  pour  les  intérêts  du  Pape  ôc  du  Roi. 
Ce  fage  Prélat  fe  fervit  avec  prudence  de  ce  prétexte  ;  mais 
le  véritable  motif  qui  le  faifoit  agir  ainfî  ,  étoit  fon  éloigne- 
ment  pour  une  alliance ,  qu'il  avoit  toujours  regardée  comme 
préjudiciable  au  Royaume  :  d'ailleurs  fon  amour  pour  fa  pa- 
trie lui  faifoit  craindre  que  le  cardinal  Caraffe  ,  homme  in- 
quiet, nefefervît  du  crédit,  Ôc  de  la  protection  qu'il  trouve- 
roit  à  la  Cour,  pour  faire  renaître  les  divifions,  que  la  trêve  avoit 


DE  J.  A.  DE  T  H  OU,  Liv.  XVII.       19 

afîbupies  ,  ôc   engager  la   France  dans  une  guerre  funefte.  . 

Mais  le  cardinal  CarafTe  voyant  que  tous  les  moyens,  qu'il  71         77 
.    .  r    ,  ,  1  ,  ;    •  \    a  1    x>   •  v         Henri  11. 

avoit  juiqu  alors  employés ,  n  avoient  pu  engager  le  K01  a  re-  - 

mettre  entre  les  mains  du  Pape  les  places ,  que  les  François  '  * 
occupoient  encore  dans  l'Etat  de  Sienne  ,  ne  fit  plus  d'attention 
aux  confeils  ôc  aux  remontrances  du  cardinal  de  Tournon.  Il  fe 
prépara  à  la  légation  qu'il  avoit  projettée ,  ôc  il  obtint  facilement 
le  confentement  de  fort  oncle. Le  Pape  s'appliquoit  uniquement 
à  l'affaire  de  l'Inquifition ,  qu'il  regardoit  comme  le  reffort  myf- 
terieux  de  la  Religion,  ou  du  moins  comme  le  moyen  le  plus 
efficace  ôc  le  plus  fecret  d'élever  jufqu'à  fon  comble  la  puif- 
fance  temporelle  du  S.  Siège.  Il  foûtenoit  la  dignité  Pontifi- 
cale avec  plus  de  hauteur  ôc  d' orientation  que  les  Rois  mê- 
mes ,  ôc  ne  donnoit  que  rarement  audience  à  leurs  Ambaffa- 
deurs.  Il  s'imaginoit  que  cet  orgeùil  ôc  ce  fafte  relevoient 
beaucoup  la  place  qu'il  occupoit  5  fes  parens  le  lui  avoient  per- 
fuadé ,  pour  l'empêcher  ,  par  ce  moyen  ,  de  communiquer 
avec  qui  que  ce  fût  y  ôc  pour  abufer  de  la  facilité  ôc  de  la 
fbiblefTe  d'un  vieillard  chagrin  ôc  dédaigneux. 

La  fortune  fembla  féconder  les  projets  du  cardinal  CarafTe  : 
Un  événement  imprévu  bleffa  l'efprit  vindicatif  de  ce  Pape  , 
qui  ne  pouvoit  fouffrir  l'apparence  de  l'offence  la  plus  légère. 
En  effet,  le  marquis  de  Sarria , ambaffadeur  de  l'Empereur, 
qui  prenoit  fouvent  le  plaifir  de  la  chafïe ,  avoit  obtenu  de 
Montorio  ,  qui  avoit  le  commandement  des  armes,  la  permif- 
fion  de  fortir  quand  il  voudroit,  ôc  même  à  une  heure  indue, 
de  la  ville  de  Rome  ,  dont  les  portes  étoient  fermées  pen- 
dant la  nuit.  Le  Marquis  voulant  donc  fortir  dès  la  pointe  du 
pur,  un  Capitaine  qui  fe  trouva  à  la  porte,  après  avoir  relevé 
les  fentinelles ,  refufa  de  la  lui  ouvrir  ,  parce  qu'il  ne  fçavoit 
pas  qu'on  l'eût  permis  pour  cet  Ambaffadeur.  Le  Marquis  re- 
gardant ce  refus }  comme  un  affront  qu'on  lui  faifoit,  ôc  qui  re- 
jailliffoit  fur  la  perfonne  facrée  qu'il  repréfentoit ,  ,en  vint  à  la 
violence,  repouffa  les  gardes ,  ôc  fit  rompre  la  porte.  Le  Car- 
dinal Ôc  fon  oncle  furent  très-irrités  de  cette  action  ,  ôc  char- 
gèrent le  duc  de  Somma  d'en  faire  des  plaintes  au  Roi ,  com- 
me d'un  attentat .,  qui  bleffoit  la  majefté  du  trhône  Pontifical. 
On  refufa  à  l'Ambaffadeur  l'audience  qu'il  demandent  pour  fe 
juftifier.  Il  vint  cependant  au  Palais  ;  mais  on  ne  le  laiffa  point 

Ci; 


BS3C33KSÏC 


io  HISTOIRE 

entrer  :  &  il  fut  obligé  de  fe  retirer ,  après  que  Caraffe  lui  eu£ 
uc, ,D  t  tt   dit ,  que  le  Pape  fon  oncle  avoit  délibéré  de  le  faire  arrêter,  ôc 
-  f  £      même  de  le  faire  punir  avec  encore  plus  de  levente. 

Le  cardinal  Caraffe  ayant  trouvé  une  occafion  fi  favora- 
ble ,  pour  fon  voyage  de  France,  fit  tous  fes  efforts  pour  ap- 
paifer  fon  oncle ,  il  lui  remontra  qu'il  étoit  plus  à  propos  de 
diffimuîer  l'injure,  pour  en  tirer  vengence  dans  un  tems  plus 
favorable.  Ainfi  le  Pape  donna  audience  au  marquis  de  Sarria , 
ôc  lui  dit  publiquement,  que  pour  faire  voir  avec  quelle  ar- 
deur il  fouhaitoit  la  paix,  ôc  l'union  des  Princes  Chrétiens > 
il  avoit  réfolu  ,  pour  y  travailler  ,  d'envoyer  fon  neveu  en 
France,  ôc  Scipion  Rebiba  évêque  de  Motola  ,  fait  Cardinal 
depuis  peu,  à  l'Empereur  Ôc  au  roi  d'Angleterre  l.  Le  cardi- 
nal Caraffe  ,  fous  le  fpécieux  prétexte  de  traiter  de  la  paix* 
vint  donc  en  France ,  avec  un  nombreux  ôc  magnifique  cor« 

tese- 

Avant  fon  départ ,  le  Pape  tint  un  confiftoire ,  où  il  inve&i  va 
avec  beaucoup  d'emportement  contre  les  Colonnes  ,  qu'il 
traita  d'impies  ôc  de  facrileges ,  dont  les  ancêtres  avoient  tou- 
jours été  ennemis  des  fouverains  Pontifes  fes  prédeceffeurs. 
Il  déclama  particulièrement  contre  Afcagne  Colonne  ,  qui 
étoit  alors  prifonnier  à  Naples ,  ôc  qui  s'étant  joint  aux  Efpa- 
gnols ,  pour  faccager  Rome ,  avoit  afliégé  Clément  VIL  dans 
le  château  S.  Ange.  Enfin  il  peignit  avec  les  plus  noires  cou- 
leurs Marc- Antoine  Colonne,  qu'il  repréfenta  comme  le  fils 
dénaturé  d'un  père,  dont  ilfuivoit  les  traces  ,  ôc  fur  lequel  il 
avoit  fait  le  premier  eflay  de  fes  crimes  ,  en  le  dépouillant  de 
fes  biens  avec  la  méchanceté  la  plus  barbare  :  il  ajouta  qu'il 
continuoit  fes  facrileges  ,  par  les  entreprifes  audacieufes  qu'il 
formoit  contre  le  fouverain  Pontife  ôc  le  S.  Siège.  Il  le  déclara 
alors  déchu  de  tous  les  privilèges,  qu'il  avoit  reçus  de  la  libé- 
ralité des  Papes  ,  confifqua  les  biens  du  père  ôc  du  fils  ,  ôc 
par  un  Bref  rigoureux  ,  il  lança  fur  eux  tous  les  foudres  du 
Vatican. 


t  C'eft-à-dire,  au  roi  Philippe  époux 
de  la  reine  Marie  ,  ôc  à  qui  fes  parti- 
fans  donnoient  le  nom  de  roi  d'Angle- 
terre ,  quoique  les  Anglois  lui  euffent 
refufé  ce  titre.  Je  ne  puis  dire  pour- 
quoi le  Pape  ,  en  parlant  au  marquis 


de  Sarria ,  donne  à  Philippe  le  titre  de 
Roi  d'Angleterre  ;  8c  encore  moins , 
pourquoi  le  cardinal  Caraffe  lui  donne 
auflî  ce  même  titre  dans  le  difcours 
qu'il  fait  au  Roi  ,  comme  on  verra 
bien-tôt. 


DE  J.  A.  DE   THÔU,  Liv.  XVIÎ.       *t 

Peu  de  tems  après,  le  Pape  fit  duc  de  Paliano  Jean  CarafTeJe 


plus  âgé  de  fes  neveux,  par  un  Bref  auquel  il  obligea  les  Cardi-  Henri  IL 
naux  de  foufcrire.  Il  éloigna  alors  du  gouvernement  le  duc  1556. 
d'Urbin ,  ôc  créa  fon  neveu  gouverneur  de  l'Etat  Eccîéfiaftique, 
en  lui  remettant  le  bâton  qui  eft  la  marque  de  cette  dignité. 
Ii  donna  ,  avec  le  titre  de  marquis ,  à  fon  petit-neveu ,  encore 
enfant  ,  la  ville  de  Cani  ,  appartenant  aux  Colonnes.  Enfuite  le 
cardinal  Caraffe  accompagné  du  nouveau  Duc  >  ôc  de  Pierre 
Strozzi  vint  à  Paliano  ,  où  ayant  amené  avec  lui  des  ingé- 
nieurs ,  il  fit  tracer  le  plan  de  plufieurs  battions  fituez  avanta- 
geusement ,  ôc  y  fit  tranfporter  des  vins ,  des  farines ,  des  vian- 
des falées  >  ôc  d'autres  vivres  ,  pour  mettre  cette  place  en  état 
de  foûtenir  un  fiége.  Il  partit  enfuite  avec  une  nombreufeNo- 
blefie ,  ôc  s'étant  embarqué  à  Civita-Vecchia,  il  vint  par  mer 
à  Marfeiîle  3  fous  l'efcorte  de  Paul  Jourdain  ,  chef  de  lamai- 
fon  des  Urfins ,  qui  le  conduifit  avec  huit  galères  3  dont  une 
partie  lui  appartenoit,  ôc  l'autre  au  Roi. 

Cependant  Corne  3  qui  fe  défioit  de  la  fincerité  de  la  trêve  > 
ôc  qui  ne  pouvoir  compter  fur  l'amitié  du  Pape  ôc  du  Rot , 
faifoit  tous  les  préparatifs  nécefTaires  3  pour  foûtenir  la  guerre  3- 
ôc  fourniffoit  tous  les  fecours  poffibles  au  ducd'Albe.  Il  faifoit 
aufïi  fortifier  les  places  les  plus  expofées  aux  attaques  des  en- 
nemis, ôc  particulièrement  Lucignano ,  qu'il  avoit  pris  depuis 
peu  fur  les  François.  Il  y  fit  dans  le  même  tems  une  perte 
confidérable  :  le  tonnerre  étant  tombé  fur  une  tour >  qui  fer^ 
voit  de  magazin  aux  poudres ,  y  mit  le  feu  3  ôc  fit  fauter  plus 
de  quarante  domeftiques  ôc  foldats  de  Donat  Ambroife  d'A- 
rezzo.  Il  faifoit  mettre  cette  place  en  état  de  réfifîer ,  ôc  y  tra- 
vailloit  avec  d'autant  plus  d'ardeur  ôc  de  diligence.,  que  le 
voifinage  des  François  3  qui  occupoient  Foliano  ,  étbit  plus  à 
craindre.  Il  envoya  auffi  des  garnifons  ôc  de  l'artillerie  dans 
Cortone,  ôc  dans  Caftro-caro,  qui  ne  font  pas  éloignées  de 
Furli,  d'Imola  ôcde  Cefena,  villes  de  l'Etat  Eccîéfiaftique, 
pour  engager  le  Pape  par  la  crainte  3  à  prendre  des  fentimens 
plus  pacifiques ,  ôc  pour  le  faire  confentir  à  des  eondirions 
raifonnabies. 

Ce  Prince  empîoyoit ,  d'un  autre  côté ,  tous  les  relTorts  de 
Fa  politique  ,  pour  obliger  le  cardinal  de  Burgos ,  quicomman- 
doit  au  nom  de  Philippe  dans  Sienne  (  où  il  manquoit  d'argens 

C  iij 


22  HISTOIRE! 

__Ëm  ôc  de  vivres  pour  la  fubfiftance  des  troupes ,  &  pour  retenir  les 
Fenri  II   nabitans  dans  Ie  devoir  )  de  lui  confier  la  garde  de  cette  ville, 
^      après  en  avoir  fait  fortir  la  garnifon.  Mais  le  Cardinal  fe  fervit 
'  *         d'un  autre  artifice ,  pour  éluder  ceux  du  duc  de  Florence.  Il 
perfuada  facilement  aux  Siennois ,  qui  craignoient  de  tomber 
îbus  la  domination  de  ce  Prince  ,  qu'il  étoit  nécefTaire  de  rebâ- 
tir la  citadelle ,  qu'on  pourroit  défendre  avec  peu  de  troupes  :  il 
ajouta,  qu'il  n'étoit  pas  en  état  d'entretenir  une  garnifon  allez 
nombreufe  ,  pour  conferver  une  ville  de  Ci  grande  étendue. 
On  rétablit  donc  les  murs  de  la  citadelle ,  où  l'on  introduifit  des 
troupes ,  ôc  l'on  donna  des  ordres  néceffaires  pour  faire  venir 
des  vivres  de  la  Sicile  ôc  de  la  Poùille  ,  parce  qu'on  n'en  pou- 
voit  tirer  du  côté  de  la  mer  :  mais  ce  moyen  n'étant  ni  com- 
mode 3  ni  facile ,  la  ville  fut  bien-tôt  réduite  aux  dernières  ex- 
trêmitez.  Le  Duc  crut  ne  pouvoir  pas  négliger  cette  occafion  ; 
ôc  il  envoya  au  roi  d'Efpagne  Alfonfe  Tornabuoni ,  évêque 
del  Borgo  en  Tofcane  ,  pour  le  prefTer  d'exécuter  la  parole 
qu'on  lui  avoit  donnée  ,  touchant  l'Etat  de  Piombino  :  mais  les 
Efpagnols  tirèrent  la  chofe  en  longueur.   Les  Siennois  étoient 
cependant  dans  une  difette  extrême.  Le  Cardinal  en  rejetta 
la  faute  fur  Côme  ,  ôc  lui  en  rit  un  crime  auprès  du  roi  Phi- 
lippe ;  enforte  que  le  Duc  fut  obligé ,  pour  juftifier  fa  con- 
duite, de  communiquer  tous  fes  deffeins  au  Cardinal.  Dans  le 
même  tems  il  fe  forma  une  confpiration  fecrette ,  pour  furpren- 
dre  Montalcino  ;  Côme  avoit  auiïi  des  intelligences,  qui  luifai- 
foient  efpérer  qu'on  lui  livreroit  GrolTeto ,  la  meilleure  de  nos 
places  maritimes.    Le  Duc  ne  cacha  pas  ces  deux  entreprifes 
au  Cardinal:  mais  ce  Prélat,  qui  prenoit  en mauvaife  part  tout 
ce  que  Côme  pouvoit  faire ,  ne  jugea  pas  qu'il  pût  en  revenir 
aucun  avantage  à  Philippe  ;  au  contraire ,  il  fe  perfuada  que 
Côme  n'agiiToit  ainfi  que  pour  fes  intérêts  particuliers  ,  afin 
qu'en  s'emparantpeu  à  peu  de  l'Etat  de  Sienne  ,  il  pût  obliger 
les  Efpagnols  à  lui  remettre  la  ville  même.  Ainfi  ces  deux  en- 
treprifes échouèrent ,  foit  que  le  Cardinal  les  eût  négligées  , 
foit  que  par  un  défaut  de  prudence  3  il  en  eût  confié  le  lecret 
à  quelqu'un.  Les  auteurs  ôc  les  complices  de  la  confpiration 
furent  arrêtez ,  ôc  punis ,  comme  ils  le  méritoient  :  ce  qui  caufa 
un  préjudice  conlidérable  aux  intérêts  de  Côme  ,  ôc  diminua 
beaucoup  fa  réputation. 


DE  J.  A.   DE   THOU,Liv.  XVII.      23 

Peu  de  tems  après ,  un  nommé  Caldora  Napolitain  ,  qui 
avoit  fait  un  long  féjour  en  France,  ôc  qui  alloit  alors  à  Flo-  ]-[ENRI  jj 
rence,  où  l'AmbafTadeur  de  Corne  auprès  du  Pape  l'envoyoit  j  .  .  $ 
fous  la  foi  d'un  fauf-conduit,  que  Mo ntluc  avoit  donné  pen- 
dant la  tréve^  fut  arrêté  à  Sienne  par  le  cardinal  de  Burgos  , 
comme  un  efpion  des  Caraffes  ,  ôc  mis  à  la  queftion  pour  le 
faire  parler  contre  Montluc  ,  ôc  contre  Corne.  Peu  s'en  fallut 
que  les  François  irritez  de  cette  aclion ,  qu'ils  regardoient  com- 
me un  attentat  contre  le  droit  des  gens ,  ne  priffent  les  armes 
pour  s'en  venger ,  ôc  que  Corne  indigné ,  de  ce  qu'on  avoit 
contre  fa  fidélité  des  foupçons  injurieux,  ne  fe  portât  à  contre- 
tems  à  des  extrêmitez,  qui  peut-être  lui  euffent  été  fatales. 

Fabrizio  de  Sanguine,  Nonce  du  Pape  auprès  du  roi  d'Ef- 
pagne ,  étant  revenu  fans  avoir  rien  fait ,  les  efprits  s'échau- 
ferent  à  Rome.  La  découverte  de  quelques  conjurations  ou 
réelles  ou  imaginaires ,  aigrit  encore  l'efprit  du  Pape  j  enforte 
qu'il  donna  ordre  à  Sylveftre  Aldobrandini,  à  qui  il  déféroit 
beaucoup ,  ôc  au  Procureur  fifcal ,  d'intenter  un  procès  à  l'Em- 
pereur Ôc  au  roi  Philippe ,  touchant  la  poffeflïon  des  royaumes 
de  Naple  &  de  Sicile  ,  feudataires  du  S.  Siège ,  dont  la  fei- 
gneurie  directe  appartenoit  à  l'Eglife  ,  ôc  d'en  demander  la 
conhTcation  ,  fous  prétexte  qu'ils  étoient  tombez  en  commife  , 
par  la  protection  que  ces  Princes  donnoient  aux  rébelles,  ôc 
qu'il  les  regardoit  eux-mêmes  comme  tels. 

Le  cardinal  Caraffe  étant  arrivé  à  Fontainebleau  ,  trouva    Le  cardinal 
la  Cour  partagée  en  différentes  factions.   Le  Connétable ,  qui  Carafe  amwr 
étoit  déjà  vieux  ,  ôc  à  qui  fa  prudence  faifoit  craindre  le  mau-  France?" 
vais  fuccès  de  là  guerre ,  s'efforçoit  de  la  terminer.  Le  cardinal 
de  Lorraine  étant  allé  à  Rome  l'année  précédente,  il  avoit 
profité  de  fon  abfence  ,  pour  ménager  une  trêve ,   qui  pou  voit 
conduire  à  la  paix.  L'Amiral  de  Coligny  fon  neveu  >  étoit  dans 
les  mêmes  fentimens,  ôc  il  contribua  beaucoup  à  la  conclufion 
de  la  trêve.   Au  contraire,  les  Princes  de  la  maifon  de  Guife, 
emportez  par  le  feu  de  leur  jeunefle  ,  ôc  par  une  ambition  de- 
mefurée,  qui  leur faifoient  efpérer,qu'à  la  faveur  des  troubles 
ils  pourroient  augmenter  leur  crédit  ôc  leur  puhTance,  étoient 
éloignez  de  la  paix,  ôc  tâchoient  de  perfuader  au  Roi  de  pro- 
fiter d'une  occafion  fi  favorable.  Le  Roi  étoit  irréfolu  fur  le 
parti  qu'il  devoit  prendre  :   fes  heureux  fuccez  lui  faifoient 


24  HISTOIRE 

fouhaîter  la  guerre;  mais  la  prudence  ôc  l'autorité  du  Connêta- 
Henri  II.  ble^  qui  avoit  beaucoup  de  crédit  fur  fon  efprit ,  le  retenoient. 
i  $  $  6,  Enfin  la  Reine  étant  dans  les  mêmes  fentimens  que. Pierre 
Strozzi  fon  parent  ,  qui  fouhaitoit  la  guerre  d'Italie  ,  parce 
qu'il  efpéroit  y  avoir  quelque  commandement  >  fixa  l'irréfolu- 
tion  du  Roi.  On  crut  aufîi  que  Diane  de  Poitiers  fervit  beau- 
coup à  le  déterminer ,  foit  à  caufe  de  l'alliance  qu'elle  avoit 
contractée  avec  lesGuifes,  foit  parce  que  le  cardinal  de  Lor-* 
raine  ayant  pour  elle  des  égards,  qui  alloient  jufqu'à  la  plus 
baffe  foûmiffion ,  elle  employoit  tout  fon  crédit  ,  pour  appuyée 
les  projets  de  cette  Maifon. 

Dans  cette  confiance  ,  le  cardinal  CarafFe  vint  faluer  le  Roi, 
après  lui  avoir  préfenté  au  nom  du  Pape ,  avec  beaucoup  de 
cérémonie  ôc  de  pompe,  une  épée  bénite,  comme  au  défen- 
feur  de  l'Eglife  Romaine.  Il  obtint  une  audience  fecrete  ,  dans 
laquelle  il  expofa  l'état  des  affaires  de  Rome,  ôc  la  fituation 
de  celles  de  fa  famille  ,  ôc  parla  ainfi  au  Roi  : 
Difcours  du  »  S I  R  E ,  Depuis  que  mon  oncle  eft  monté  fur  la  chaire 
cardinal   Ca-  „  Je  S.  Pierre  ,  ôc  qu'il  m'a  confié  la  conduite  des  affaires 

raife  au  Roij         1      o     «?•  *  >   •  i        \  n 

pour  l'enga-    M  du  S.  oiege  ,  je  n  ai  rien  eu  plus  a  coeur,  après  vous  avoir 

gerà  rompre  3>  rendu  tous  les  fervices  poffibles  dans  les  guerres  de  Parme, 

treve'         3'  ôc  de  Tofcane  ,  que  de  lui  infpirer  des  fentimens  favorables 

»  aux  intérêts  de  Votre  Majefté.  J'ai  tant  fait,  que  fans  avoir 

*>  aucune  confidération  pour  l'Empereur ,  ôc  pour  le  roi  d'An- 

*  Le  Roi  Phi-  05  gleterre*,  il  vous  a  choifi  pour  être  le  défenfeur  du  S.  Siège, 

Jppe'  »  ôc  l'appui  de  fa  maifon.  Lanfac ,  votre  Ambaffadeur  à  Ro- 

*■>  me  ,  ôc  Jean  d'Avanfon ,  qui  lui  a  fuccedé  dans  cet  emploi , 

»  font  témoins  de  mon  zélé  >  ôc  ils  m'ont  vu  toujours  difpofé  à 

»  vous  fervir  avec  empreffement.  Quoique  V.  M.  me  fit  faire 

»  des  offres  très-avantageufes  pour  le  S.  Siège ,  ôc  qu'elle  me 

»  fit  efpérer  pour  moi-même  les  plus  grandes  récompenfes  ;  ce- 

»  pendant  fans  aucune  vûë  d'intérêt  ,  ôc  engagé  par  la  feule 

»  inclination  que  j'ai  toujours  eue'  pour  la  nation  Françoife, 

*>  j'ai  perfuadé  au  Pape  ,  qu'il  devoit ,  Sire  ,  vous  confier  le 

»  foin  de  la  gloire  ôc  de  la  dignité  du  S.  Siège  ,  la  fureté  de  fa 

»  perfonne ,  la  protection  de  fa  famille,  ÔC  la  confervation  de 

»  fes  biens.  Le  Pape  ôc  l'Eglife  Romaine ,  fe  faifoient  honneur 

»  de  votre  protection  :  en  l'accordant ,  vous  vous  couvriez  de 

»  gloire ,  ôc  nous  la  regardions  comme  un  afile  affuré ,  contre 

tous 


DE  J.  A.   DE   TIÎOU,  Lîv.XVïL      'if 

;»  tous  nos  ennemis.  Voilà  les  motifs  de  notre  alliance:  je  n'ai  eu 
»  en  vûë  dans  le  traité,  que  nous  avons  fait  enfembie,  que    jenri  j' 
«  le  foin  de  la  dignité  du  Pape  ôc  du  S.  Siège  ;  je  n'y  ai  cher-         N     ^ 
»  ché  qu'un  appuy  pour  ma  famille  5  ôc  je  n'ai  crû  travailler 
s'  que  pour  l'agrandiiTement   de  votre  puiflance  ,  fans   qu'il 
03  paroiffe  que  j'aye  fongé  à  mes  intérêts  particuliers.    Mais 
35  comme  les  projets  de  la  prudence  humaine  ont  fouvent  des 
*■>  fuccez  contraires  à  tout  ce  qu'on  s'eft  propofé ,  on  a  violé  la 
«  foi  de  ce  traité  5  ou  il  a  été  du  moins  rendu  inutile ,  par  la 
*>  trêve  à   laquelle  V.  M.  a  confenti  >  Ainfi   cette  alliance 
»  nous  fera  peut-être  aufli  fatale  ,  que  j'avois  efpéré  qu'elle 
»  nous  feroit  avantageufe.  Notre  liaifon  avec  la  France  a  irrité 
«  les  Efpagnols  ;  ôc  il  eft  certain  que  ces  efprits  vindicatifs 
33  profiteront  du  tems  de  la  trêve ,  pour  s'en  venger  fur  nous. 
33  Ils  n'ont  plus  rien  à  craindre  fur  la  frontière  de  Flandre ,  dans 
,f  le  Milanez ,  dans  le  Piémont  ,  ni  dans  la  Tofcane.   Dans 
*>  des  circonftances  fiheureufes  pour  eux,  ne  devons-nous  pas 
03  craindre  ,  qu'ils  ne  réunifient  toutes  leurs  forces  pour  nous 
«  accabler  ?  Nous  avons  déjà  appris  avec  douleur  que  le  duc 
03  d'Albe  s'étoit  rendu  dans  ce  deflein  à  Naples  ,  pour  corn- 
03  mander  les  troupes  qu'on  deftine  à  cette  guerre ,  ôc  qu'il  y 
o>  a  affemblé  une  armée  nombreufe,  pour  nous  furprendre  dans 
=>  un  terns,  où  nous  ne  fommes  pas  en  état  de  lui  réfifter.    La 
03  haine  mortelle  qu'ils  ont  toujours  eue  pour  notre  Maifon  ,  ôc 
«  que  l'alliance  que  nous  avons  contractée  avec  vous,  a  encore 
o'  augmentée ,  les  anime  à  faire  cette  guerre.  L'occafion  favo- 
03  rable  à  l'exécution  de  leurs  projets ,  qui ,  comme  vous  fçavez, 
«  Sire,  eft  fouvent  le  prétexte  des  guerres ,  mais  dont  l'ambition 
03  des  Princes  eft  la  véritable  caufe  ôc  la  feule  origine ,  les  y  en- 
*  gage  encore  plus  fortement.  En  effet ,  prefque  toutes  les  Pla- 
03  ces  de  l'état  Eccléfiaftique  font  fans  défenfe.  Les  anciens 
03  Papes,  qui  fe  croyoient  affez  défendus  parle  refpecl  ôc  l'obéif- 
03  fance  qu'on  doit  à  leur  dignité ,  ayant  négligé  de  les  faire 
v  fortifier,  toutes  nos  frontières  font  ouvertes.  Du  côté  d'Afcoli 
»>  ôc  de  Terracine  ,  nous  fommes  refferrez  par  le  roi  d'An- 
03  gleterre  ;  du  côté  de  Rimini  ôc  de  Montalto  ,  par  la  Tofca- 
«  ne  5  ôc  de  l'autre  côté ,  depuis  Rimini  jufqu'à  Boulogne  ,  par 
«  l'état  de  Florence ,  c'eft-à-dire  par  Corne  notre  plus  grand 
»  ennemi.  Les  finances  font  épuifées  par  les  guerres  précédentes, 
Tome  III.  D 


atf  HISTOIRE 

»  ôc  par  la  négligence  du  dernier  Pape.  Dépourvus  d'argent  ; 
Ienri  II  "  q110^6  ^a  Romagne  nous  fourniffe  des  îbldats  }  nous  ne 
j  ç  -  ^  »  pouvons  pas  compter  fur  leur  valeur  5  &  quoique  nous  ayons 
»  des  places  ôc  des  citadelles ,  elles  font  fi  foibles ,  que  nous 
»  n'ofons  efpérer  de  pouvoir  réfifter  à  un  ennemi  puifîant ,  qui 
»>  vient  pour  nous  accabler  avec  toutes  fes  forces.  Pourquoi 
»  fommes-nous  donc  vos  alliez,  pourquoi  êtes-vous  le  nôtre? 
=»  N'eft-ce  que  pour  être  en  proye,  ou  du  moins  pour  être  ex- 
»  pofez  à  l'infolence  ôc  au  mépris  des  Efpagnols,  nos  plus  mor- 
»  tels  ennemis  ?  Permettez-moi ,  Sire ,  de  vous  le  dire.,  au  nom 
»  du  fouverain  Pontife,  que  je  repréfente  :  Ne  nous  avez-vous 
fc  donné  votre  foi ,  que  pour  laiffer  avilir  l'autorité  du  S.  Siège, 
o'  au  préjudice  même  de  vos  intérêts  ôc  de  votre  gloire ,  ôc 
«  pour  abandonner  enfuite  à  toute  la  fureur  de  fes  ennemis 
»  une  Maifon  }  qui  s'eft  mife  fous  votre  augufte  protection  X 
»  Non  ,  le  refpe£l  que  vous  avez  pour  le  fouverain  Pontife  > 
ôc  votre  affection  pour  fa  famille ,  ne  nous  permettent  pas 
d'avoir  des  foupçons  fi  defavantageux  5  ôc  je  n'ai  jamais  pu 
me  perfuader  que  vous  eulîiez  confenti  li  à  contre-tems  à  la 
»  trêve  ,  fi  on  n'avoit  pas  mal  informé  V.  M.  de  notre  fitua- 
*>  tion,  ôc  fi  vous  n'aviez  pas  ignoré  vos  propres  intérêts.  J'ef- 
»  père  donc  ,  Sire  3  que  dès  que  vous  aurez  fait  une  férieufe 
»  attention  à  cette  affaire,  vous  prendrez  une  réfolution  aufli 
*>  glorieufe  pour  vous  ,  qu'avantageufe  pour  nous,  ôc  nécef- 
«  faire  aux  uns  ôc  aux  autres.  Je  fçai  que  plufieurs  perfonnes 
»  d'autorité  Ôc  de  confidération  font  arrêtées  3  par  la  foi  d'un 
•>  traité  confirmé  par  les  fermens  :  mais  fi  on  ne  peut  nier  qu'un 
»  Prince  doit  obferver  réligieufement  fa  parole ,  aufïi  ceux  qui 
j»  infiftent  fans  difcernement  fur  la  foi  des  traitez ,  doivent  crain- 
»  dre  dans  les  circonftances  préfentes  ,  de  mettre  la  Religion 
*>  même  en  péril ,  lorfqu'ils  veulent  en  paraître  les  plus  ardens 
»  défenfeurs.  C'eft  ce  qui  arriveroit  fans  doute  ,  Sire ,  fi  vous 
*>  abandonniez  le  fouverain  Pontife ,  dans  un  tems  où  votre  fe- 
»  cours  lui  eft  fi  néceffaire ,  Ôc  lorfque  l'exemple  de  vos  illuftres 
»  Ayeux  ,  vos  fermens  >  ôc  votre  piété  vous  engagent  à  le  défen- 
»  dre.  En  obfervant  la  trêve  ,  vous  violez  vos  premiers  fer- 
»  mens ,  ôc  vous  ne  le  pouvez  faire  ,  qu'en  foulant  aux  pieds 
»  les  loix  divines ,  ôc  le  droit  des  gens.  Y  a-t-il  rien  de  plus 
»  contraire  à  la  juftice ,  ôc  à  la  raifon  ,  que  de  s'imaginer  que 


»3 


93 


DE  J.  A.    DE   THOU,  Liv.  XVïI.       27 

vous  ne  pouvez  faire  ,  pour  vous  défendre  >  tout  ce  qu'un  ^  11- 
ennemi  le  croit  permis  pour  vous  attaquer  ?  Ou  plutôt  eft-il  Henri  IL 
rien  de  plus  jufte  que  ,  lorfque  les  Efpagnols  profitent  du  x  <*  *  ^ 
teins  de  la  trêve,  pour  prendre  les  armes  contre  le  fouve- 
rain  Pontife ,  vous  failiez  tous  vos  efforts  pour  le  mettre  à 
couvert  de  leurs  attentats ,  fans  qu'on  puifïe  vous  accufer  de 
Pinfraêtion  de  cette  trêve  ?  Vous  l'avez  fait  comprendre 
dans  ce  traité  :  vous  ne  pouvez  donc  l'abandonner,  lorfqu'on 
veut  l'attaquer,  au  préjudice  de  ce  même  traité.  Nous  ad- 
mirerons toujours  votre  grandeur  d'ame,  ôc  votre  généro- 
ilté  ;  Ôc  nous  ne  pouvons  croire  que  vous  ne  faffiez  pas  pour 
le  fouverain  Pontife  ,  que  le  foin  de  votre  réputation  ôc  de 
vos  intérêts  vous  engage  à  défendre ,  ce  que  l'amour  de  la 
gloire  >  ôc  la  feule  inclination  que  vous  avez  à  répandre 
vos  bienfaits  fur  tous  les  hommes ,  vous  ont  fait  faire  jufqu'i- 
ci.  Vous  avez  été  le  protecteur  du  duc  de  Parme  ,  ôc  du 
Prince  de  la  Mirandole.  Vous  avez  maintenu  la  liberté  de 
Sienne,  contre  l'ennemi  commun  de  toute  l'Italie.  Votre 
illuftre  Père, le  roi  François,  d'heureufe  mémoire,  craignant 
avec  raifon  ,  que  dès  que  l'Allemagne  feroit  fubjuguée  ,  le 
vainqueur  ne  tournât  fes  armes  contre  la  France,  fecourut 
les  Princes  Ôc  les  villes  de  l'Empire  ,  quoique  dans  des  cir- 
conftances  très-différentes ,  ôc  quoique  cette  démarche  pût 
être  odieufe  aux  Princes  Catholiques.  Digne  fils  d'un  fi  gé- 
néreux père ,  vous  avez  vous-même  ,  Sire  ,  heureufement 
exécuté,  par  votre  alliance  avec  l'éle£leur  Maurice ,  le  projet 
que  François  avoit  formé  trop  tard  ,  ôc  qu'une  mort  inopinée 
ne  lui  a  pas  permis  d'exécuter.  Ainfi,puifqu'en  jugeant  fans 
partialité  ,  on  doit  croire,  que  vous  avez  agi  prudemment  en 
fecourant  les  Princes  Proteftans ,  quelque  odieux  que  fut  leur 
parti ,  ôc  que  vous  avez  fagement  détourné  l'orage  qui  vous 
menaçoit,  en  prenant  fi  à  propos  leur  défenfe  '■>  que  penfez- 
vous  devoir  faire  pour  le  fouverain  Pontife ,  dans  des  circonf- 
tances  où  la  Religion  eft  fi  interefTée  ,  ôc  lorfque  votre  pro- 
pre fureté  ôc  le  foin  de  votre  gloire  vous  obligent  de  l'ap- 
puyer de  toutes  vos  forces  ?  Car  vous  ne  devez  pas  douter , 
qu'en  abandonnant  le  Pape ,  dont  vous  devez  toujours  foû- 
tenir  les  intérêts  avec  zèle  ,  les  autres  Princes  d'Italie,  qui 
jufqu'à  préfent  fe  font  crûs  en  fureté ,  fous  la  protection  de 

D  ij 


28  HISTOIRE 

»  V.  M.  ne  tremblent  pour  eux-mêmes ,  ôc  ne  quittent  votre 
Henri  II  M  Part*  '  Qu*  °^era  déformais  compter  fur  vos  forces,  ou  fur  vo- 
i  r  c  6  "  tre  g^^rofité  •  Vous  fçavez  ,  Sire  >  ôc  tous  vos  miniftres  ne 
■"  peuvent  l'ignorer,  combien  votre  réputation  &  l'honneur  de 
o'  la  France  y  font  intéreiTez.  Songez  donc ,  Grand  Roi ,  à 
»  foûtenir  la  gloire  héréditaire  de  votre  Maifon  ,  6c  craignez 
»  que  de  vains  fcrupules,  ou  plutôt  une  modération  mal  pla- 
»  cée ,  n'en  terniflent  tout  l'éclat.  Ne  fermez  pas  l'afiie  le  plus 
='  allure  des  fouverains  Pontifes  ,  ôc  de  tous  les  Princes  mal- 
»  heureux.  Privez  des  fecours, qu'ils  efperent  trouver  en  France, 
>»  ils  feroient  réduits  à  la  trille  nécefîité  ,  d'implorer  honteufe- 
«  ment  la  miféricorde  de  vos  propres  ennemis ,  ôc  de  mandier 
35  chez  eux  un  appui ,  que  ce  royaume  leur  doit. 

Le  cardinal  Caraffe  s'apperçût  que  ce  difcours  faifoit  im- 
preflion  fur  l'efprit  du  Roi ,  déjà  prévenu  par  la  duchefle  de 
Valentinois  6c  par  les  Guifes.  Pour  le  flatter  davantage  ,  ôc 
pour  gagner  entièrement  ce  Prince  avide  de  gloire ,  ôc  à  qui 
le  grand  nombre  de  fes  enfans  faifoit  former  de  vaftes  pro- 
jets pour  leur  établifTement  ,  il  parla  des  droits  de  la  France 
fur  le  royaume  de  Naples.  Il  tâcha  d'applanir  les  difficultés 
de  cette  conquête ,  en  remontrant  que  le  Pape  fourniroit  des 
troupes  aguerries,  ôc  des  vivres  en  abondance  ;  qu'on  pouvoit 
facilement  pafler  fur  fes  terres ,  jufque  dans  les  provinces  de 
ce  Royaume ,  ôc  qu'enfin  tous  les  ports  de  l'état  Eccîefiafti- 
que  feroient  ouverts  aux  troupes  Françoifes.  Le  Cardinal  avoit 
perfuadé  tout  cela  aux  Guifes ,  quoi  qu'il  ne  crût  pas  lui-mê- 
me, qu'une  expédition  fi  difficile  pût  avoir  un  heureux  fuccès. 
Mais  il  efperoit,  qu'en  rallumant  la  guerre  entre  la  France  ôc 
l'Efpagne ,  elle  feroit  fatale  à  ces  deux  Couronnes ,  ôc  que  les 
deux  Nations,  laflees  de  leurs  pertes  réciproques  ,  cederoient 
facilement  les  places  qu'elles  avoient  en  Tofcane,  ôc  confen- 
tiroient  qu'elles  fuiTent  remifes  entre  les  mains  du  Pape  Ôc  de 
fa  famille.  En  effet  il  y  avoit  beaucoup  d'apparence,  que  l'Em- 
pereur ne  s'obftineroit  pas  à  retenir  Sienne  ,  pourvu  que  les 
François  voulurent  fortir  de  la  Tofcane  ;  ôc  que  la  France , 
épuifée  par  les  dépenfes  qu'elle  feroit  obligée  de  faire  ,  pour 
foûtenir  la  guerre  dans  ce  pays-là  ,  confentiroit  volontiers  à  un 
traité  ,  qui ,  en  retabliffant  en  apparence  la  liberté  des  Siennois  3 
lui  ferviroit  d'un  prétexte  honorable ,  pour  îpettre  bas  les  armes , 


DE  J.  A.  DE   THOU,  L'iv.XVIL       2j> 

quelle  n'avoit  prifes  qu'en  faveur  de  cette  Republique.  Alexan-  i 

dro  Andréa ,  hiftorien  contemporain,  très  exact,  rapporte  que  le  Henri  IL 
cardinal  Caraffe  fit  entrevoir  au  Roi,  que  le  Pape  lui  remettrait,     i  <  <  6* 
pour  gage  de  fes  promeîles ,  Boulogne  ,  Ancone  ,  Paliano,  Cîr- 
vita-Vecchia ,  ôc  même  le  château  S.  Ange. 
Enfin  la  guerre  fut  refoluë  en  faveur  du  Pape,  après  que  le 

i  ^  &  rr-  i  •         »-i  J     c-  t>  !-a  guerre 

cardinal  Caraffe ,  en  vertu  du  pouvoir  qu  il  avoit  du  b.  rere ,  eut  contrc  l'Em- 
abfous  le  Roi  des  fermens  qu'il  avoit  faits ,  en  ratifiant  latré-  pereur&Phi- 
ve  :  il  lui  permit  même  d'attaquer  l'Empereur,  ôcfon  fils, fans  eFrtfoluë/ 
leur  déclarer  auparavant  la  guerre.  Ainfi,en  attendant  que  le 
duc  de  Guife  pût  pafTer  en  Italie  avec  une  armée  ,  pour  fe- 
courir  le  Pape  &  les  Caraffes  ,  on  y  envoya  Pierre  Strozzi, 
pour  commencer  la  guerre  au  nom  du  Roi  5  ôc  Blaife  de 
Montluc  ,  à  la  prière  des  Siennois ,  fut  mis  à  la  place  de  Sou- 
bife,  qui  étoit  à  Montalcino.  Enfuite  le  cardinal  Caraffe  fit 
fon  entrée  dans  Paris ,  comme  légat  du  Pape  ,  avec  les  céré- 
monies accoutumées.  On  rapporte  que  ce  Cardinal,  qui  étoit 
impie,  ôc  fe  mocquoit  librement  de  la  Religion  ,  en  donnant  fa 
bénédiction  au  Peuple ,  qui  fe  jettoit  en  foule  à  fes  genoux  pour 
la  recevoir  ,  au  lieu  des  paroles  ordinaires ,  répéta  plufieurs 
fois  tout  bas  celles-ci  :  Trompons  ce  Peuple  3  puijqu'il  veut  être 
trompé.  Le  Roi  lui  donna  l'évêché  de  Comminges ,  dont  Ber- 
trandi ,  Garde  des  fceaux ,  fe  démit  volontairement  en  fa  fa- 
veur ;  &  la  Reine  étant  accouchée  de  deux  filles ,  au  mois  de 
Juin  fuivant ,  on  le  pria  d'être  le  parrain  de  l'une  d'elles ,  à  qui 
il  donna  le  fuperbe  nom  de  Victoire;  foit  pour  faire  allufion 
aux  heureux  fuccès  des  campagnes  précédentes ,  foit  à  caufe 
des  efperances ,  que  toute  fa  Maifon  avoit  conçues  fans  fonde- 
ment d'une  victoire  prochaine  :  efperances ,  qui  s'évanouirent 
avec  la  vie  de  cet  enfant,  qui  mourut  peu  detems  après,  ainii 
que  fa  fceur  nommée  Jeanne. 

Sur  ces  entrefaites ,  l'évêque  de  Motola  ,  que  le  Pape  avoit 
envoyé  à  l'Empereur ,  étant  déjà  à  Maeftrich ,  fut  contreman- 
dé  par  le  cardinal  Caraffe ,  avant  qu'il  eût  parlé  à  ce  Prince. 
Les  Impériaux  étoient  dans  une  jufte  défiance ,  du  coté  du  Pa- 
pe, dont  ils  n'attendoient  rien  de  pacifique ,  fur  tout  depuis 
qu'il  faifoit  fortifier  Paliano  :  la  démarche  du  Cardinal  con- 
firma les  conjectures  qu'ils  avoient  déjàTaites,  que  la  guerre 
allok  s'allumer  en  Italie.  Le  roi  d'Efpagne  donna  donc  ordre 

Diij 


i  ;;2. 


50  HISTOIRE 

au  duc  d'Albe  >  de  faire  marcher  fes  troupes,  Ôc  d'empêcher 
Hfnrt  Tl  ^  maui  armée,  qu'on  n'achevât  les  fortifications  de  Paliano , 
avant  que  les  François  fuffent  venus  au  fecours  du  Pape.  Car 
ce  Prince,  efperoit  ,  qu'en  fe  mettant  aufïï-tôt  en  campagne, 
on  pourroit  aller  jufqu'aux  portes  de  Rome  5  que  le  Pape  fe 
voyant  alors  hors  d'état  de  réfifter ,  fe  répentiroit  de  s'être  en- 
gagé dans  cette  guerre,  à  la  perfuafion  de  fa  famille,  ôc  avec 
trop  de  légèreté;  qu'on  l'obligeroitparlà  de  faire  un  traité  à  des 
conditions  raifonnables  ,  ôc  de  renoncer  à  notre  alliance ,  avant 
que  nos  troupes  auxiliaires  fuffent  arrivées. 

Dans  ce  deifein^le  duc  d'Albe  avoit  envoyé  au  Pape  Pirro 
Loffiredo  ,  de  i'illuftre  maifon  des  marquis  de  Trevico ,  pour 
l'amufer  par  l'idée  d'un  traité,  qu'il  n'avoit  aucune  envie  de  con- 
clure ,  ôc  le  furprendre ,  quand  il  s'y  attendroit  le  moins.  Mais 
le  Pape  fe  fervit  d'un  artifice  contraire.  Ne  croyant  pas  que 
le  duc  d'Albe  dût  le  mettre  en  campagne  ,  avant  que  Loffre- 
do  fut  revenu  de  fon  ambaffade,  il  envoya  couriers  fur  cou- 
riers  au  cardinal  Caraffe ,  pour  le  preffer  de  repaffer  en  Italie  ; 
ôc  il  tâcha  de  gagner  du  tems ,  en  remettant  l'Ambaffadeur 
de  jour  en  jour  au  prochain  Confiftoire.  Le  duc  d'Albe  n'at- 
tendit pas  le  retour  de  Loffredo  ,  ôc  il  fit  avancer  fes  troupes. 
Le  Pape  en  fut  très  irrité  :  quoiqu'il  eût  deffein  de  le  tromper 
lui-même,  il  fe  plaignit  hautement,  de  ce  que  le  Duc  avoit  vou- 
lu l'endormir  par  une  propofition  de  paix  ;  ôc  fans  aucun  égard 
pour  le  droit  des  gens,  il  fit  mettre  en  prifon  l'ambaffadeur 
d'Efpagne ,  d'où  il  ne  fortit  que  l'année  fuivante,  lorfque  la  paix 
fe  fit  entre  le  Pape  ôc  leroi  Philippe. 

L'armée  du  duc  d'Albe  étoit  compofée  de  huit  mille  Ita- 
liens ,  de  troupes  d'élite  du  royaume  de  Naples ,  fous  la  con- 
duite de  Vefpafien  de  Gonzague  5  de  quatre  mille  Efpagnols, 
qui  étoient  commandés  par  Dom  Sanche  deMardones.,  fous 
les  ordres  de  dom  Garcie  de  Tolède  ;  de  fix  compagnies  de 
Cavalerie ,  qui  avoient  à  leur  tête  Marc-Antoine  Colonne  > 
ôc  de  douze  cens  chevaux-legers  ,  que  commandoit  Jofeph 
Cantelmi  comte  de  Popoli ,  qui  ayant  quitté  depuis  peu  le 
parti  du  Pape ,  étoit  paffé  du  côté  des  Efpagnols.  Il  y  avoit  en- 
core dans  cette  armée  douze  pièces  d'artillerie  fous  les  ordres 
de  ce  même  Bernard  Aldana  ,  qui  ayant  depuis  peu  évité 
une  mort  honteufe  à  Vienne  en  Autriche ? ,  avoit  eu  un  emploi 
1  Pour  s'être  comporté  lâchement  en  Hongrie.  Voyez  le  Liv.  IX. 


DEJ.  A.  DE  THOU,Liv.  XVII.       3* 

fi  honorable,  par  la  trop  grande prote£tion  que  le  duc  d'Albe  -- 
accordoit  à  cette  famille.  Dom  Lope  de  Mardones  étoit  inten-  jjENRI  77 
dant  des  vivres,  &  Afcanio  de  la  Cornia  étoit  maréchal  de  camp.  s 

Cornia  s'étoit  d'abord  rendu  fufpe£t  au  Pape ,  à  caufe  de  la  li- 
berté ôc  de  la  franchife,  avec  laquelle  il  agiffoit;mais  dans  la 
fuite  les  fervices  importans ,  qu'il  avoit  rendus  dans  la  guerre 
d'Antoine  CarafTe  contre  le  comte  de  Bagni  ^avoient  donné  aux 
Caraffes  une  fi  haute  idée  du  courage ,  ôc  du  mérite  de  ce  Capi- 
taine ,  qu'ils  lui  avoient  confié  le  gouvernement  de  Velletri  s  qui 
eft  la  principale  forterefle  de  l'état  Eccléfiaftique.  Cependant  les 
ennemis  le  rendirent  une  féconde  fois  fufpecl.  Les  Efpagnoîs 
qui  vouîoient  ôter  au  Pape  un  officier  d'unfi  grand  mérite  ,  fi- 
rent tomber  adroitement  entre  les  mains  des  Caraffes  des  let- 
tres faites  exprès,  pour  rendre  fa  fidélité  encore  plus  douteufe: 
par  ces  lettres  ils  l'invitoient  a  trahir  les  intérêts  du  Pape.  On 
intercepta  encore  d'autres  lettres  en  chiffre,  où  l'on  parloit  de 
Cornia  :  elles  étoient  écrites  de  Rome  par  Garcilaffo  Vega  , 
qui  fut  mis  en  prifon  par  l'ordre  du  Pape.  On  arrêta  avec  lui 
Jean-Antoine  Taxis,  maître  des  portes  du  roi  d'Efpagne:   ce 
dernier  fubit  un  rigoureux  interrogatoire,  dans  lequel  il  avoua 
plufieurs  chofes ,  qui  confirmoient  les  foupçons  qu'on  avoit  de 
Cornia.  Le  Pape ,  qui  d'une  affaire  d'état  faifoit  d'ordinaire  une 
affaire  de  Religion,  fit  fecrettement  condamner  Cornia  par 
les  Inquifiteurs ,  ôc  envoya  en  même  tems  Papirio  Capizucchi 
pour  l'arrêter.  Fulvio  fon  frère ,  cardinal  de  Peroufe ,  fut  mis 
au  château  S.  Ange  ,  ôc  l'on  confifqua  les  grands  biens  qu'ils 
avoient  l'un  ôc  l'autre  à  Rome  &  à  Peroufe ,  tant  en  terres 
qu'en  argent  comptant,  On  mit  dans  une  étroite  prifon  à  Pe- 
roufe ,  pour  le  même  fujet ,  la  plupart  de  leurs  amis  ôc  de  leurs 
parens.  On  enferma  aufïi  dans  le  château  S.  Ange ,  peu  de 
tems  après  ,  Camille  Colonne,  ôc  fon  frère  qui  étoit  Ecclefiafti- 
que ,  ôc  Julien  Cefarini. 

Le  du  c  d'Albe ,  juftement  irrité  de  toutes  ces  violences  3 
envoya  à  Rome  Jule  Tolfa  ,  comte  de  San-Valentino ,  pour 
fe  plaindre  de  la  conduite  du  Pape,  ôc  lui  repréfenter  :  Que 
non  content  de  donner  un  aille  aux  bannis  de  Naples  ôc  de 

1  C'eft  de  cette  maifon  qu  étoit  le  fa-  |  gens  de  Lettres,  dont  il  étoit  le  protec- 
meux  cardinal  Jean-François  de  Bagni,  teur.  Gabriel  Naudé  fut  fon  BibIio= 
mort  en  1 641 .,  qui  a  été  fi  vanté  par  les   |    thecaire, 


32  HISTOIRE 

.  Florence ,  il  avoit  fait  arrêter ,  contre  le  droit  des  gen?  >  plufieurs 

tt  jt    miniftres  du  roi  d'Efpagne ,  que  la  néceiïité  de  leurs  affaires 

^      avoit  obligés  de  paffer  en  pofte  fur  fes  terres?  Quenon-feule- 

J  J         ment  il  avoit   fait  intercepter  les  lettres  du  roi  Ion  maître  , 

mais  encore  qu'il  avoit  depuis  peu  fait  mettre  ignominieufe- 

rnent  en  prifon  Vega  fon  ambaffadeur,  dont  la  perfonne  de- 

voitêtre  facrée.  San-Vaientino  avoit  aufTi  ordre  de  dire,  que  il 

S.  S.  ne  vouloit  pas  faire  fatisfa£tion  au  roi  Philippe  de  tous  ces 

outrages ,  qu'on  ne  pouvoit  dilîimuler ,  il  trouveroit  les  moyens 

d'en  avoir  raifon  ,  ôc  de  s'en  vanger. 

Le  Pape  promit  qu'il  parleroit  de  cette  affaire  aux  Cardi- 
naux •■>  ôc  enfin  il  donna  cette  réponfe  :  Qu'il  fuffiroit  de  nier 
la  plupart  de  ces   faits  >  pour  faire  tomber  entièrement  tous 
les  fujets  de  plainte  du  duc  d'Albe  :  Qu'au  refte  il  étoit  fouve- 
rain  ,  ôc  ne  dépendoit  de  perfonne  ;  qu'il  ne  devoit  rendre  à 
qui  que  ce  foit  aucun  compte  de  fes  actions  :  qu'au  contraire 
fon  empire  s'étendoitfur  tous  les  Princes  de  la  terre»  qui  étoient 
fes  inférieurs,  ôc  qui  lui  étant  fournis,  dévoient  lui  rendre  rai- 
fon de  leur  conduite  :  Que  Vega  avoit  oublié  fon  devoir ,  ôc 
îe  caractère  dont  il  étoit  revêtu  ;  qu'il  étoit  complice  des  fédi- 
tions ,  des  intrigues  ,  Ôc  des  différentes  conjurations  qu'on  avoit 
formées  contre  le  S.  Siège  ,  ôc  contre  fa  perfonne  :  Qu'ainfî 
on  ne  pouvoit  alléguer  ce  droit  inviolable,  qui  fait  refpeéler  la 
perfonne  d'un  Ambaffadeur  ;  puifque  par  fa  faute  Vega  s'étant 
rendu  indigne  d'en  jouir,  méritoitle  traitement  qu'il  foufïroit 
encore  :  Que  par  conféquent  Philippe  ne  pouvoit  avoir  aucune 
raifon  de  prendre  les  armes,  pour  foûtenir  une  caufe  fi  injufte  : 
Qu'au  refte  les  menaces  de  ce  Prince  n'étoient  pas  capables 
de  l'intimider  ,  ni  de  l'empêcher  de  défendre  jufqu'au  dernier 
foupircequi  étoit  conforme  à  la  juftice,  ôc  ce  qui  intereffoit 
les  droits  du  S.  Siège  ôc  fa  propre  dignité.   San-Valentino  fut 
donc  renvoyé  j  ôc  Dominique  delNero,  gentilhomme  Romain, 
eut  ordre  de  partir  avec  lui ,  pour  porter  la  réponfe  du  Pape  au 
duc  d'Albe.    On  augmenta  la  garnifon   de  Rome ,  ôc  on  en 
donna  le  commandement  à  Camille  desUrfins  de  Lamentano, 
Les  Vénitiens       Les  Vénitiens  ne  voulurent  point  s'engager  dans  cette  guer- 
embraflent  la  re  ^  qU0iqUe  \e  yo[  d'Efpagne  les  fît  folliciter  de  s'oppofer  aux 
progrez  ,que  faifoit  en  Italie  la  puiffancedes  François ,  qui  de 
jour  en  jour  y  devenaient  plus  redoutables,   Le  Pape  d'un 

autre 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XVII.        33 

autre  côté,  pour  les  faire  entrer  dans  fon  alliance ,  avoit  envoyé  ':'-.■  ,  ,  t 
à  Venife  Antoine  CarafFe ,  ôc  leur  avoit  promis  de  les  revêtir  T7  7T 
des  dépouilles  des  Efpagnols ,  s'il  pouvoir  avec  leur  fecours  ,  ' 

affranchir  l'Italie  du  joug  de  ces  étrangers.  Comme  CarafFe  '  ' 
redoubloit  fes  follicitations  \  le  Sénat  qui  panchoit  à  la  neutra- 
lité ,  ôc  qui  fouhaitoit  également  de  délivrer  l'Italie  de  la  do- 
mination des  deux  Rois  ,  lui  répondit  après  une  mûre  délibé- 
ration :  Que  le  fouverain  Pontife  devoit,  en  qualité  de  père 
commun  de  tous  les  Chrétiens,  ne  fonger  qu'à  la  paix  ,  ôc  crain- 
dre qu'en  rallumant  la  guerre ,  l'Italie  ne  fût  bien-tôt  en  proye 
aux  étrangers  :  Que  tous  les  peuples  étoient  avertis  des  dangers 
qui  la  menaçoient  >  qu'en  effet  on  devoit  être  d'un  côté  dans 
une  jufte  défiance  de  la  part  du  Turc  ,  dont  la  puiffance  aug- 
mentoit  chaque  jour,  à  la  faveur  des  guerres  qui  divifoient  la 
Chrétienté  ;  que  de  l'autre,  on  voyoitdes  effets  terribles  de  la 
colère  de  Dieu  ,  dans  des  maladies  inconnues ,  qui  ravageoient 
l'Italie  ,  ôc  la  dépeuploient  prefque  entièrement.  Ce  que  les 
Vénitiens  ne  dirent  pas  fans  fondement  5  car  il  y  eut  cette 
année  en  Italie  ,  ôc  particulièrement  à  Florence ,  ôc  dans  les 
contrées  voifines  ,  des  fièvres  pourpreufes  ,  qui  y  firent  de 
grands  ravages. 

Mais  ces  motifs,  qui  dévoient  toucher  le  faint  Père,  ne  le 
firent  point  changer  de  réfolution  5  il  ne  foiigeoit  uniquement 
qu'à  faire  arrêter  Cornia,  dont  il  appréhendoit  les  deffeins. 
Il  en  avoit  donné  l'ordre  ,  comme  je  l'ai  dit  „  à  Papirio  Ca- 
pizucchi ,  avec  des  lettres  de  créance,  qui  enjoignoientàtous 
les  officiers  de  le  livrer  entre  fes  mains.  Mais  Cornia  en 
ayant  été  averti  par  fes  amis,  ôc  fa  prudence  lui  faifant prévoir 
le  danger,  il  s'enfuit  fécretement  par  une  porte  dérobée ,  avec 
peu  de  fuite.  Ayant  avec  beaucoup  de  peine  renverfé  de  cheval 
un  homme  qu'on  avoit  envoyé  pour  le  prendre  ,  il  fe  rendit 
heureufement  à  Nettuno  ,  où  il  fit  courir  le  bruit ,  qu'il  avoit 
été  obligé  de  s'enfuir  de  Velletri ,  parce  que  les  foldats  s'éroient 
révoltez  contre  lui.  La  garnifon  de  Nettuno  le  crut  pendant 
quelque  tems,  ôc  Cornia  profita  de  ce  moment  favorable,  pour 
fe  mettre  en  fureté  5  il  fe  jetta  dans  un  Brigantir\,  fur  lequel  il 
gagna  Gaïette ,  d'où  il  fe  rendit  à  Naples  >  auprès  du  duc 
d'Albe  ,  qui  le  reçut  honorablement ,  ôc  le  fit  Maréchal  de 
camp ,  comme  je  l'ai  dit  ci-deffus, 

Tome  III,  E 


H  HISTOIRE 

Le  duc  d'Albe  attendent  encore  quinze  cens  hommes  de 
Henri  II.  vieilles  troupes  Efpagnoles  du  Milanez,  ôc  quatre  mille  Alle- 
i  c  c  6.  mands ,  qu'on,  avoit  mandez.  Mais  comme  ces  troupes  tar- 
doient  trop  long-tems  ,  ce  Général  fe  mit  en  marche  avec 
fon  armée  le  4  de  Septembre  ,  6c  vint  à  San-Germano,  ou 
étoit  le  rendez-vous ,  d'où  il  fe  rendit  le  lendemain  à  Ponte- 
Corvo,  fur  le  Garillan  ,  ville  de  l'état  Eccléfiaftique.  11  y  apprit 
que  Jule  des  Urfins  avoit  fait  entrer  quatre  compagnies  dans 
Frofolone  :  craignant  que  s'il  lui  laifïbit  le  tems  de  fortifier 
cette  place  3  la  garnifon  ne  fît  enfuite  des  courfes  dans  le 
Royaume  de  Naples  ,  il  crut  qu'il  falloit  le  prévenir ,  ôc  il 
commanda  aux  troupes  de  s'affembler  à  Ifola,  proche  de  Ce- 
perano.  Dom  Garcie  de  Tolède  l  eut  ordre  de  prendre  les 
devants  avec  l'infanterie  Efpagnole ,  ôc  quelques  cornettes  de 
cavalerie  ;  mais  fon  arrivée  ayant  été  fçûë  plutôt  qu'il  ne  pen- 
foit,  la  garnifon  fortit  pendant  la  nuit,  ôc  abandonna  la  place. 
Le  duc  d'Albe  étant  refté  pendant  trois  jours  à  Frofolone  ôc 
à  Poli  ,  fe  rendit  maître  de  Falva-Terra  ôc  de  Caftro  ,  châ- 
teaux voifins.  11  s'empara  aufïi  de  Ripi,  dont  les  habitans ,  qui 
étoient  attachez  aux  Colonnes ,  ayant  appris  que  le  duc  d'Al- 
be approchoit  ,  prirent  les  armes ,  tuèrent  les  foldats  du  Pape  ; 
ôc  fe  faifirent  de  Trenta-Cofte  leur  Gouverneur.  Le  duc  d'Al- 
be y  trouva  des  vivres  en  abondance,  ôc  après  y  avoir  fait 
rafraîchir  fes  troupes,  il  continua  fa  marche,  ôc  envoya  de- 
vant Dom  Garcie  à  Veruli  ,  ou  Baricello  de  Fabriano  ,  ôc 
Laurent  de  Peroufe  s'étoient  enfermez  avec  deux  compagnies 
Italiennes.  On  en  fit  approcher  le  canon  ,  parce  que  la  garni- 
fon refufa  de  fe  rendre  5  la  ville  fut  prife  ,  ôc  les  foldats  furent 
défarmez: 

Vefpafien  de  Gonzaguc,  qu'on  avoit  envoyé  àBauco,  défit 
Jean  Guafconi  Florentin  ,  ôc  TomaiTo  de  Camerino  ,  avec 
leurs  troupes.  L'armée  s'étant  enfuite  avancée  du  coté  d'A- 
nagnij  Piperna,Terracine  ,  Acuto,  Fumone,  Fiorentino  ôc 
Alatro  ouvrirent  leurs  portes  ,  ôc  fe  rendirent  au  duc  d'Albe  : 
il  eut  plus  de  peine  à  fe  rendre  maître  d'Anagni.  Le  cardinal 
CarafFe ,  qui  étoit  depuis  peu  de  retour  de  France  ,  avoit  éloi- 
gné Camille  des  Urfins.,  qui  gouvernoit  les  affaires  de  la  guerre 
pendant  fon  abfence  >  ôc  il  avoit  mis  Torquato  Conti  avec  huit 
1  II  etoitfils  de  Pierre  de  Tolède  ,  viceroi  de  Naples. 


DE  J.  A.   DE   T  HO  U  ,  L  i  v.  XVIT.       35- 

cens  hommes  d'infanterie  Italienne  en  garnifon  dans  la  place.  ■  » 

On  fit  approcher  quatre  grottes  pièces  de  canon ,  ôc  deux  coule-  Henri  IL 
vrines  du  côté  du  couchant ,  où  Dom  Garcie  avoit  fon  quartier  1  ç  ç  6. 
avec  l'infanterie  Efpagnole  3  de  l'autre  côté,  qui  regardoit  San- 
Francefco  ,  Gonzague  eut  ordre  de  dreffer  une  batterie  de  trois 
canons.  On  tira  pendant  trois  jours  fans  difcontinuer  ;  une 
partie  du  mur  fut  renverfce  ,  6c  quelques  foldats  montèrent  à 
la  brèche  ,  mais  fans  fuccès.  La  garnifon  en  fut  cependant 
épouvantée  5  elle  s'enfuit  fecretement  avec  le  Gouverneur  de 
la  place  pendant  la  nuit,  le  1  y  de  Septembre,  ôc  traverfa  heu- 
reufement  avec  une  extrême  diligence,  la  vallée  qui  conduit 
à  Acuto ,  fans  aucune  perte  confidérable ,  quoiqu'il  fallût  paiTer 
au  travers  du  quartier  de  la  cavalerie  ennemie.  Une  partie  fe 
réfugia  à  Paliano  y  ôc  l'autre  à  Tivoli ,  pour  fe  rendre  de-là  à 
Rome.  Le  lendemain  matin ,  les  ennemis  voyant  la  muraille 
ouverte,  ôc  nuls  foldats  pour  la  défendre,  montèrent  à  l'affaiit , 
quoiqu'ils  n'en  euffent  pas  l'ordre ,  ôc  pillèrent  la  place. 

Les  chemins  étoient  rompus  par  les  pluves  continuelles ,   Négociations 

,  1vr        r  .,    r    . J  j.      .  pour  la  paix  , 

qui  tombèrent  en  ce  tems-la,  comme  il  arrive  ordinairement  [uiviesdeplu- 
en  Automne:  Pour  employer  le  tems  utilement ,  on  commença  fleurs  aâes 
alors  à  parler  de  paix.  Thomas  Manrique,  Dominicain,aufTi  dif-  itaiie- 
tingué  par  fa  naiffance  que  par  la  fainteté  de  fa  vie ,  fut  envoyé 
pour  ce  fujet  au  duc  d'Albe ,  par  fix  Cardinaux  ;  ôc  le  Duc 
renvoya  à  Rome ,  avec  Manrique,  François  Paceco,  pour  con- 
tinuer cette  négociation.  L'on  convint  enfin,  que  le  duc  d'Al- 
be confereroit  avec  le  cardinal  Caraffe ,  dans  le  couvent  de 
Grotta  Ferrata  >  entre  Marino  ôc  Frafcati.  Enfuite  Diego  Vêlez 
eut  ordre  de  fortifier  Frofolone  ,  ôc  le  comte  de  Sarno  fut 
mis  en  garnifon  à  Anagni,  avec  cinq  cens  Italiens  ôc  cent  che- 
vaux. Le  duc  d'Albe  laifTa  Paliano  à  gauche ,  ôc  vint  avec 
fon  armée  à  Valmontone ,  dont  Jean-Baptifte  Conti  lui  ouvrit 
les  portes ,  à  des  conditions  raifonnables  ,  par  le  confeil  d'Au- 
relio  Fregofe  ,  qui  étoit  venu  exprès  de  Rome,  pour  voir  l'é- 
tat de  la  place  ,  ôc  qui  jugea  qu'on  ne  la  pouvoit  défendre. 
Conti  remit  aufli  Segna  entre  les  mains  du  duc  d'Albe,  après 
avoir  fait  une  capitulation  honorable. 

Dans  le  même  tems,  Jean  deLuna,  Gouverneur  de  la  ci- 
tadelle de  Milan  ,  quitta  le  parti  de  l'Empereur ,  pour  prendre 
celui  de  la  France.    Il  avoit  aceufé  Ferdinand  de  Gonzague 

Èij 


36  HISTOIRE1 

■„,»„—  de  malverfation  ôc  de  concuffion  :  les  amis  de  ce  Seigneur 
Henri  II  av°ient  obligé  Lima  ,  de  fe  rendre  l'année  précédente  en  Flan- 
^  '  dre,  auprès  de  l'Empereur,  avec  François  d'Ibarra,  pour  rendre 
raifon  de  cette  accufation.  Ce  Capitaine  fut  indigné  de  ce  qu'on 
reconnohToit  fi  peu  les  fervices  importans  qu'il  avoit  rendus  ,  ôc 
que  les  calomnies  de  fes  ennemis  fifTent  oublier  11  facilement 
tout  ce  qu'il  avoit  fait  en  dernier  lieu  dans  la  guerre  de  Sien- 
ne. 11  écrivit  donc  à  fon  fils  ,  qu'il  avoit  laifTé  dans  la  citadelle 
de  Milan  ,  pour  l'inftruire  du  deiïein  qu'il  avoit  formé ,  ôc  lui 
donna  ordre  de  remettre  la  place  entre  les  mains  du  Gouver- 
neur du  Milanez. 

La  défection  de  Luna  arrêta  pendant  quelque  tems  les  Es- 
pagnols dans  le  Milanez  ,  parce  qu'ils  craignoient  qu'elle  ne 
fût  le  commencement  d'une  plus  grande  entreprife.  Mais  le 
cardinal  de  Trente  Gouverneur  de  la  Province,  reçut  la  cita- 
delle que  le  fils  de  Luna  lui  remit,  ôc  quoiqu'il  n'en  eût  pas 
d'ordre  >  il  en  confia  la  garde  à  Alfonfe  Pefcione,  après  avoir 
fait  prêter  ferment  de  fidélité  aux  foldats  de  la  garnifon.   Peu 
de  tems  après  François  Taverna,  chancelier  du  Sénat  de  Mi- 
lan y  qui  étoit  un  des  accufateurs  de  Gonzague ,  ôc  qui  fous 
prétexte  de  maladie  ,  n'avoit  pas  voulu  aller  à  Bruxelles,  fur 
mis  en  prifon  à  Milan.    Quoiqu'il  parût  alors  que  tout  étoit 
calme  en  apparence,  les  efprits  étant  néanmoins  encore  émus, 
le  cardinal  de  Trente  ôc  le  marquis  de  Pefcaire ,  fon  principal 
confeil ,  foufTroient  avec  peine  qu'on  retirât  les  troupes  de  la 
Province  ,  ôc  n'envoyoient  qu'avec  répugnance  des  fecours  au 
duc  d' Albe ,  dont  la  gloire  les  intéreflbit  peu. 

Il  fe  fit  alors  en  Afrique  de  nouveaux  mouvemens,  qui  firent 
retarder  les  fecours  qu'on  avoit  promis  au  duc  d'Albe.  En 
effet  les  Turcs  afiiégerent  Oran  par  terre ,  avec  les  troupes 
qu'ils  avoient  fait  venir  d'Alger ,  ôc  par  mer  avec  une  armée 
navale.  Laprincefie  de  Portugal  régente  d'Efpagne  donna  or- 
dre à  Doria  d'aflembler  les  galères  qui  étoient  en  difTerens 
endroits ,  pour  aller  au  fecours  des  affiégez  ;  mais  ils  fe  défen- 
dirent avec  tant  de  valeur  qu'ils  n'en  eurent  pas  befoin.  Le 
comte  Alcaudete ,  qui  commandoit  dans  la  place ,  fit  dans  une 
fortie  un  grand  carnage  des  ennemis,  ôc  les  obligea  de  lever 
le  fiége. 
D'un  autre  côté  Marc  -  Antoine  Colonne ,  étant  forti  du 


DE   J.  A.  DETHOU,Liv.  XVII.        37 

camp  pendant  la  nuit,  avec  huit  cens  gendarmes,  courut  juf-  t~ 
qu'aux  portes  de  Rome .  ôc  après  s'être  mis  inutilement  en  em-  -"ENRI  1A° 
bufcade  ,  pour  furprendre  les  troupes  du  Pape  ,  il  fit  enlever  1  S  S  ^' 
un  grand  nombre  de  beftiaux ,  ôc  fe  retira.  Cette  a£Hon  jetta 
la  terreur  dans  Rome.  Cependant  les  Cardinaux  ne  vinrent 
point  à  la  conférence ,  ôc  il  n'y  parut  perfonne  en  leur  nom , 
quoique  le  duc  d'Albe  s'y  fût  rendu  avec  un  nombreux  cor- 
tège. Ce  Seigneur  fe  perfuada  que  les  CarafFes  avoient  eu 
deiTein  de  l'enlever ,  s'il  y  î\\t  venu  fans  efcorte  \  mais  quere- 
connoiftant  l'impoiîibilité  de  l'exécution ,  ils  n'avoient  pas  ofé 
venir  à  Grotta  Ferrata.  Il  eft  cependant  plus  vrai-femblable, 
que  le  cardinal  CararTe  n'agit  ainfi ,  que  pour  tirer  en  longueur 
la  négociation  ,  afin  d'avoir  le  tems  de  fortifier  Velletri  ,  ôc 
Paliano ,  ôc  de  pouvoir  diftribuer  dans  les  places  voifines  deux 
mille  Gafçons,  qu'il  avoit  amenez  de  France  ôc  de  Corfe,  fous 
la  conduite  de  Charri  ,  ôc  de  Marc- Antoine  de  Montluc  fils 
de  Blaife ,  ôc  dont  Boniface  de  la  Mole  étoit  colonel  5  outre 
que  le  cardinal  vouloit  encore  fçavoir  de  quel  côté  les  enne- 
mis porteroient  leurs  armes  :  car  le  nombre  de  leurs  troupes 
diminuoit  tous  les  jours ,  ôc  le  bruit  couroit  que  les  Allemands , 
qu'on  attendoit  deLombardie,  ne  viendroient  point. 

Ainfi  la  négociation  étant  rompue* ,  le  duc  d'Albe  fit  pafTer 
fes  troupes  du  côté  de  Tivoli.  On  avoit  long-tems  délibéré  fi 
on  attaqueroit  d'abord  cette  place ,  ou  s'il  étoit  plus  à  propos 
d'alîîéger  Velletri.  Enfin  ce  Général  fe  détermina  à  marcher 
contre  Tivoli  ,  où  François  des  Urfins  s'étoit  enfermé  avec 
quatre  cens  Italiens.  Velletri  avoit  une  nombreufe  garni- 
fon,  avec  qui  les  habitans  étoient  en  bonne  intelligence,  ôc 
d'ailleurs  cette  place  étoit  dans  une  fituation  très-avantageufe, 
Mais  comme  il  n'y  avoit  pas  d'apparence  que  Tivoli  pût  réfifïer 
aux  efforts  d'une  fi  puiffante  armée,  CararTe  y  envoya  Blaife 
de  Montluc,  avec  deux  cornettes  de  chevaux-legers  de  la  gar- 
de du  Pape  >  deux  compagnies  de  gendarmes ,  qui  étoient  à 
la  folde  de  Paliano ,  ôc  aux  ordres  des  capitaines  Ambroife  ôc 
Barthélémy  Albanois ,  avec  quatre  cens  arquebufiers  comman- 
dez par  Marc-Antoine  Montluc  ôc  Charri.  Blaife  de  Mont- 
luc fit  une  extrême  diligence  pendant  la  nuit  >  pour  fe  rendre  à 
Tivoli.  Il  avertit  aufïi- tôt  du  danger  le  Gouverneur,  qui  ne 
fç.avoit  pas  même  que  l'ennemi  fût  fi  proche  de  lui  3  ôc  après 

-r->      •  •  • 

Enj 


33  HISTOIRE 


avoir  donné  aux  foldats  un  peu  de  tems  pour  fe  repofer  ôc  fc 
Henri  11.  rafraichir ,  il  fit  plier  bagage.  Des  Urfins  étoit  à  peine  forti 
1  S  S  6'  de  la  ville ,  que  les  ennemis  parurent  de  l'autre  côté  de  la  ri- 
vière, que  CarafFe  avoit  afTûré  qu'on  ne  pouvoit  pafler.  Mont- 
luc ,  qui  étoit  à  l'arriere-garde ,  les  arrêta  jufqu'à  ce  qu'on  eût 
coupé  le  pont,  qui  étoit  fur  la  rivière  au  milieu  de  la  ville  ,  ôc 
on  y  combattit  quelque  tems.  Enfin  nos  troupes  fe  tirèrent  heu- 
reufement  de  ce  mauvais  pas ,  ôc  fe  rendirent  à  Rome ,  fans 
avoir  fait  aucune  perte  :  Afcanio  de  la  Cornia ,  qui  les  fuivoit  en 
queue  ,  fut  tout  à  coup  rappelle  par  le  duc  d'Albe. 

Après  laprife  de  Tivoli,  le  duc  d'Albe  marcha  contre  Vico- 
varo.,  ville  appartenant  aux  Urfins,  ôc  où  François  des  Urfins,  en 
fortant  de  Tivoli,  s'étoit  rendu  avec  fes  gens  ;  elle  eft  fur  la  riviè- 
re de  Teveron ,  ôc  n'a  pour  défenfe  qu'une  petite  citadelle.  Les 
pluyes  continuelles  empêchèrent  des  Urfins  de  fortifier  cette 
place  :  il  fut  donc  obligé  de  l'abandonner,  dès  que  l'ennemi  pa- 
rut :  ôc  elle  fit  fa  compofition  avec  Cornia.  La  prife  de  cette 
ville  ouvroit  les  chemins  aux  convois  qu'on  vouloit  mener  à 
Tagliacozzo ,  ôc  aux  troupes  ennemies  qui  venoient  de  PA- 
bruffe.  Il  y  avoit  encore  cinquante  hommes  de  garnifon  dans 
la  citadelle  ;  mais  le  Gouverneur  en  étant  imprudemment  forti, 
pour  conférer  avec  Cornia  ,  fut  arrêté  ;  on  ne  le  relâcha, 
qu'après  que  les  Efpagnols  fe  furent  rendus  maîtres  de  la  place, 
qui  capitula. 

Le  voifinage  de  l'armée  ennemie  jetta  le  trouble  ôc  la  confu- 
fion  dans  Rome ,  enforte  que  les  troupes  du  Pape  n'ofoient  pas 
même  en  fortir.  Camille  des  Urfins  ,  qui  avoit  le  comman- 
dement des  armes ,  ayant  fait  abattre  un  grand  nombre  d'Egli- 
fes  ôc  de  maifons  du  côté  de  la  porte  del  Popolo  ,  faifoit  faire 
de  nouvelles  fortifications  en  dedans  des  remparts  ,  ôc  retenoit 
le  foldat  dans  la  ville.  Le  peuple  qui  en  murmuroit  déjà  ,  en 
prit  encore  l'allarme ,  comme  fi  tout  eût  été  réduit  aux  derniè- 
res extrêmitez,  Ôc  que  les  murailles  de  Rome  euffent  été  la 
feule  barrière  capable  d'arrêter  les  ennemis.  Blaife  de  Mont- 
luc  n'approuvoit  point  cette  conduite  ;  il  foûtenoit  au  .contrai- 
re ,  qu'il  falloit  faire  fortir  les  troupes ,  pour  raifurer  un  peuple 
accoutumé  aux  délices  ôc  au  repos  ,  ôc  pour  acquérir  une  ré- 
putation de  valeur  ,  fans  laquelle  on  ne  peut  faire  la  guerre 
avec  avantage. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XVII.     32 

C'eft-pourquoi  le  peuple  s' étant  affemblé ,  avec  l'agrément 
du  Pape  >  chez  Jean  d'Avanfon  Ambaffadeur  de  France  ,  Henrï  IL 
Montluc  y  fit  une  harangue  militaire ,  par  laquelle  il  tâcha  de  1  $  $  6, 
ranimer  le  courage  abattu  des  Romains.  Il  leur  propofa  l'exem- 
ple des  Siennois,  qui  avoient  depuis  peu  défendu  leur  liberté 
avec  tant  de  courage.  On  l'envoya  enfuite  à  Velletri ,  pour  y 
faire  entrer  du  fecours ,  parce  qu'on  craignoit  pour  cette'place. 
Montluc  exécuta  cet  ordre  ,  avec  l'activité  qui  lui  étoit  ordi- 
naire. Il  renforça  la  garnifon  de  deux  compagnies  de  gen- 
darmes ,  &  de  crainte  qu'on  ne  lui  coupât  le  chemin  dans  fon 
retour  ,  il  fit  environ  quarante  milles  (ans  s'arrêter  ,  ôc  revint 
heureufement  à  Rome.  La  fuite  fit  voir  qu'il  avoit  eu  raifon 
de  faire  toute  la  diligence  poffible  ;  car  le  duc  d'Albe  ayant 
été  informé  de  la  marche  de  Montluc  ,  avoit  envoyé  un  parti 
de  cinq  cens  chevaux  ,  qui  arrivèrent  à  Marino  deux  heures 
trop  tard,  Oc  qui  ne  purent  rien  faire  >  parce  que  ce  capitaine 
étoit  déjà  paffé. 

Nettuno  \  ville  bâtie  fur  les  ruines  d'Antium  ,  ôc  fortifiée 
par  de  larges  foffez ,  ôc  par  des  battions  que  la  mer  baigne , 
appartient  aux  Colonnes.  Les  habitans  de  cette  place  ,  qui 
étoient  fort  affectionnez  à  leur  Seigneur ,  fe  révoltèrent  dans 
le  même  tems,  ôc  maltraitèrent  ôc  la  garnifon  Ôc  le  Gouverneur, 
que  les  Caraffes  leur  avoient  donné.  Dès  que  le  duc  d'Albe 
en  fut  informé ,  il  y  envoya  des  troupes ,  fous  la  conduite  de 
Moretto  Calabrois  ;  cet  officier  défendit  courageufement  la 
place  contre  les  troupes  du  Pape  >  qui  Taffiégerent  vaine- 
ment. 

Le  duc  d'Albe  avoit  fait  conduire  dans  le  même  endroit 
des  bateaux,  pour  former  un  pont,  ôc  faire  paffer  le  Tibre  à 
fes  troupes  auprès  d'Ortie.  Le  Baron  de  la  Garde ,  qui  étoit  à 
Civita-Vecchia ,  l'ayant  fçû  ,  écrivit  à  Strozzi ,  ôc  lui  manda 
que  s'il  lui  envoyok  un  nombre  fufBfant  de  gens  de  pie }  il 
pourroit  les  faire  paffer  fur  fes  galères  à  Nettuno ,  pour  brû- 
ler ces  batteaux.  Marc-Antoine  Montluc  ôc  Charri ,  y  allè- 
rent donc  avec  quatre  cens  arquebufiers  d'élite.  Mais  l'entre- 
prife  ne  réùfîlr  point ,  parce  que  les  ennemis  ,  par  les  foins  ôc 
i'induftrie  de  Moretto,  avoient  tiré  les  batteaux  fur  le  rivage, 
ôc  les  avoient  entourez  d'un  foffé  ,  en  forte  que  les  brûlots 
ne  pou  voient  les  accrocher.  Outre  cela  ,  le  duc  d'Albe  en 


N 


40  HISTOIRE 

ayant  été  informé ,  y  avoit  aufli-tôt  envoyé  Afcanio  de  la  Coït- 
Henri  II.  nia->  avec  douze  cens  chevaux,  ôc  douze  compagnies  d'in- 
1  ç  c  6.     fanterie  ,  pour  s'oppofer  aux  efforts  de  nos  troupes ,  Ôc  les  em- 
pêcher de  mettre  le  feu  à  ces  batteaux. 

Cornia  paffa  par  Marino,  où  Marc- Antoine  Colonne  s'é- 
toit  retiré ,  comme  dans  une  place  qui  lui  appartenoit.  Blaife 
de  Montluc  avoit  quelque  efperance  d'y  furprendre  Colon- 
ne t  Ôc  après  avoir  envoyé  un  détachement  pour  l'attirer  au 
combat  ,  il  s'étoit  embufqué  proche  de  la  Ville ,  avec  une  trou- 
pe de  Cavalerie  ,  tirée  des  compagnies  de  Paliano  ôc  d'Aure- 
lio  Fregofe.  Strozzi  avoit  encore  permis  à  Boniface  de  la 
Mole,  de  l'accompagner  dans  cette  petite  expédition.  Mont- 
luc croyoit  que  Colonne,  emporté  par  l'amour  de  la  gloire > 
ôc  par  le  feu  de  fa  jeuneffe  ,  fortiroit  de  la  place  ,  ôc  tombe- 
roit  dans  l'embufcade.  Il  fe  l'étoit  fi  bien  perfuadé  ,  que  com- 
me s'il  eût  déjà  reçu  les  quatre-vingt  mille  écus  d'or,  à  quoi 
il  faifoit  monter  la  rançon  de  fon  prétendu  prifonnier ,  il  avoit 
déjà  arrêté  ce  qu'il  en  donneroit  à  fes  compagnons,  ôc  ce 
qu'il  garderoit  pour  lui  :  fe  flatant  agréablement  de  cette  chi- 
mère >  il  fongeoit  même  aux  terres  qu'il  pourroit  achetter  aux 
environs  de  Paris,  avec  les  fommes  qui  lui  en  reviendroient. 
Mais  l'arrivée  de  Cornia  ruina  fes  grands  projets  h  toutes  fes 
efperances  s'évanouirent,  ôc  il  fe  trouva  lui-même  prefque  pris 
dans  le  piège,  qu'il  avoit  tendu  à  Colonne.  Ainfi  il  n'eut  que 
de  la  confufion  fans  aucun  fuccès.  Je  renvoyé  le  lecteur  aux 
mémoires  de  Montluc  même,  plutôt  que  de  l'amuferici  par 
le  détail  d'une  chofe  fi  ridicule.  Cependant  les  Efpagnols  fi- 
rent courir  le  bruit ,  qu'ils  avoient  remporté  dans  cette  occa- 
iion  un  avantage  allez  confiderable  ,  ôc  que  Montluc  avoit 
perdu  deux  cens  chevaux  :  Aleffandro  Andréa  l'a  même  ainfî 
rapporté.  Le  Roi  en  fut  d'abord  allarmé  ;  mais  ayant  enfuite 
appris  la  chofe ,  comme  elle  s'étoit  paffée ,  la  joie  fucceda  au 
chagrin  qu'il  en  avoit  eu. 

Les  troupes  du  Pape  étoient  enfin  aflemblées.  Alexandre 
Colonne  avoit  levé  fix  mille  hommes  d'infanterie  dans  la  cam- 
pagne de  Rome ,  Ôc  environ  fix  cens  chevaux-legers.  Aure- 
lio  Fregofe  avoit  amené  de  la  Romagne  douze  cens  foldats 
aguerris.  Jean- Antoine  Tiraldo  avoit  fait  dans  le  même  tems 
çje  nouvelles  levées  à  Peroufe  ôc  à  Afcoli ,  ôc  Antoine  CarafTe 

étoit 


DEJ.  A.  DE   THOU,  Liv.  XVII.       41 

étoit  parti ,  pour  en  faire  à  Boulogne.  Il  y  avoit  encore  dans  ■   * 

l'armée  du  Pape  environ  deux  mille  Gafcons ,  enfbrte  qu'elle  tj  jt 

étoit  compofée  de  dix  mille  hommes  de  pie ,  ôc  de  douze  cens  t  r 
chevaux-legers.  Si  l'on  eût  fait  fortir  ces  troupes  de  Rome ,  ôc  l  $ 
qu'on  eût  d'abord  marché  à  la  rencontre  du  duc  d'Albe  ,  il 
eft  certain  que  ,  non-feulement  les  efforts  des  ennemis  euffent 
été  inutiles,  mais  encore,  qu'après  les  avoir  fait  reculer,  on 
eut  excité  quelques  mouvemens  dans  le  royaume  de  Naples, 
dont  les  peuples  inconftans  fe  portent  facilement  à  la  révol- 
te. On  imputa  cette  faute  grofliere,  que  firent  les  troupes  du 
Pape ,  à  Camille  des  Urfins  ,  qui  étant  vieux ,  ôc  par  confé- 
quent  défiant  ôc  trop  précautionné ,  préferoit  le  parti  le  plus 
fur  aux  entreprifes  hardies  ôc  périlleufes. 

Parmi  toutes  les  Villes  occupées  par  les  Caraffes ,  on  avoit 
fur  tout  mis  de  fortes  garnifons  dans  Paliano  ,  où  Jule  des 
Urfins  commandoit ,  ainfi  que  dans  Veletri ,  où  Adrien  Ba- 
glioni  avoit  depuis  peu  remplacé  le  duc  de  Somme.  Les  garni- 
ions  étant  auffi  voilines,  on  en  venoit  fouvent  aux  mains  avec 
l'ennemi ,  lorfque  les  troupes  du  Pape  s'efforçoient  d'empêcher 
le  paffage  des  convois ,  qui  venoient  principalement  d'Ifola , 
bourg  ainfi  appelle,  parce  qu'il  eft  environné  des  eaux  du  Fi- 
breno  ,  près  du  Garigîiano.  C'efl  pour  cela  que  le  duc  d'Albe 
avoit  mis  dans  Valmontone  Vefpafîen  de  Gonzague ,  avec  huit 
cens  hommes  d'Infanterie  ôc  trois  cens  Cavaliers  ,  pour  fa- 
ciliter les  convois  ,  ôc  empêcher  les  courfes  des  troupes  du 
Pape.  Jule  des  Urfins  brûla  dans  le  même  tems  Serrone  , 
bourg  fitué  à  trois  milles  de  Paliano ,  qui  fouffroit  beaucoup 
des  fréquentes  embufcades  que  l'ennemi  dreffoit  en  cet  endroit. 
Après  cette  expédition ,  il  alla  avec  cinq  compagnies  d'Infan- 
terie ôc  quatre  pièces  de  canon  ,  pour  s'emparer  de  Piglio ,  qui 
appartenoit  aux  Colonnes.  Mais  le  comte  de  Sarno  ,  qui  étoit 
en  garnifon  dans  Anagni  ,  étant  furvenu ,  l'en  empêcha  ,  Ôc 
l'obligea  de  fe  retirer,  après  un  violent  combat. 

Sur  ces  entrefaites ,  AntoineCaraffe  partit  de  Boulogne  avec 
quelques  foldats,  ôc  vint  à  Afcoli.»  fitué  fur  la  rivière  deTron- 
to,  qui  de  ce  côté-là  fépare  la  Marche  d'Ancone  ôcle  domai- 
ne du  Pape ,  de  l' Abruzze  ôc  du  royaume  de  Naples.  Enfuite 
ayant  levé  des  troupes  dans  le  comté  de  Montorio  auprès  de 
la  mer  Adriatique  ,  il  entra  dans  le  Royaume  ,  ôc  s'empara 
Tom.  111.  F 


42  H  I  S   T   O  I-R  E 

de  Contraguerra ,  où  il  mit  une  bonne  garnifon.  De-là  il  alla 
Henri  IL  attacluer  Corropoli  ;  mais  Ton  entreprife  ne  réùflit  point  :  les 
!j  ^  habitans  demeurèrent  fermes  ôc  inébranlables  3  foit  par  un 
motif  de  devoir  ôc  d'honneur ,  foit  qu'ils  y  fuflent  contraints 
par  les  menaces  du  marquis  de  Trivico ,  que  le  duc  d'Albe 
avoit  envoyé  fur  la  frontière  de  l'Abruzze,  en  qualité  de  Gou- 
verneur ;  foit  enfin  qu'ils  fuflent  retenus  par  la  crainte  des 
mauvais  traitemens  qu'on  leur  feroit  ,  fi  leur  Ville  étoit  ré- 
prife. 

Dans  le  même  tems  ,  Charle  Loffredo ,  frère  du  Marquis  , 
s'étant  répandu  de  tous  cotez  fur  les  terres  du  Pape,  avec  une 
Cornette  de  Cavalerie,  fit  un  grand  butin,  ôc  poufiafes  cour- 
fes  ,'jufqu'à  Monte-fan-Polo  ,  proche  Aquaviva.  Tandis  que 
le  duc  d'Albe  étoit  à  Tivoli,  il  envoya  quinze  cens  hommes 
au  Marquis ,  qui  en  avoit  déjà  deux  mille  ,  qu'on  avoit  levés 
dans  le  Royaume  ,  6c  mille  autres ,  qu'on  lui  avoit  nouvelle- 
ment envoyés  de  Naples.  Il  avoit  aufli  fait  venir  d'Aquila 
dans  la  Marche  d'Ancone  ,  par  des  chemins  difficiles ,  deux 
pièces  de  canon ,  qui  arrivèrent  à  Popoli  ôc  à  Pefcaire ,  par 
les  foins  ôc  la  vigilance  de  Barthelemi  Rueccas }  Efpagnol , 
ôc  maître  de  l'Artillerie  >  dans  le  deflein  de  livrer  la  bataille  à 
CarafTe,  s'il  ne  fe  fût  pas  retiré  promptement  à  Afcoli.  Les 
troupes  du  Pape  fouffroient  beaucoup,  ne  pouvant  recevoir 
leur  prêt  ,  parce  que  le  thréfor  avoit  été  épuifé  dans  les  der- 
nières guerres.  Pour  y  remédier  >  on  leva  le  centième  denier, 
ôc  on  mit  de  nouveaux  impôts,  que  le  peuple  fouffrit  patiem- 
ment, quoi  qu'ils  fuflent  confiderables ,  à  caufe  de  la  neceflité 
où  l'on  étoit  réduit  alors  par  la  guerre.  Caraffe  s'étant  retiré, 
le  marquis  de  Trivico  profita  de  l'occafion  pour  conduire  fes 
troupes  à  Angarano  ,  ville  très  commode  ,  tant  par  fa  litua- 
tion ,  que  par  l'abondance  des  vivres  qu'on  y  trouve.  Les  ha- 
bitans de  cette  place  ayant  refufé  de  fe  rendre ,  il  en  fit  ap- 
procher le  canon.  Cependant  on  n'eut  pas  plutôt  fait  les  dé- 
charges des  batteries ,  qu'il  rafîembla  les  foldats  qui  étoient 
prêts  de  monter  à  l'afîaut  ,  ôc  fit  tranfporter  le  canon  à  Civi- 
tella,  où  il  alla  fur  le  champ,  parce  qu'il  avoit  appris  que  les 
troupes  du  Pape  étoient  parties  d'Afcoli,  pour  fecourir  les  af- 
fiégez.  Mais  ayant  fçû  en  chemin  que  ce  détachement  ne 
confiftoit  qu'en  deux  cens  hommes 9  qui  avoient  été  repoufles 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XVII.       ** 

dansMalignano  par  Tes  gens,  qui  par  hazardl'avoient  rencontré,  ■ 

il  marcha  de  ce  côté-là  ,  &  fit  promptement  drefler  fes  batte-  jjenri  n% 
ries.  Ceux  qui  étoient  dans  la  Ville  fe  rendirent  à  difcretion  l  ^ 
au  Marquis ,  voyant  qu'après  fix  coups  de  canon  feulement , 
on  avoit  fait  une  grande  brèche  à  la  muraille ,  qui  étoit  foi- 
ble,  6c  tomboit  de  vieillefTe.  Lorfqu'on  eut  pillé  la  place  3  ôc 
défarmé  la  garnifon,  Trivico  fe  retira  à  Civitella,  dont  il  avoit 
d'abord  pris  le  chemin. 

Marc-Antoine  Colonne  s' étoit  arrêté  à  Paleftrina  >  avec  la 
Cavalerie  ôc  trois  Compagnies  Italiennes  d'Infanterie  >  ôc  le 
comte  de  Popoli  à  Caftel-Santo-Angelo  avec  les  chevaux- 
légers.  Le  duc  d'Albe  étoit  auiîi  à  Tivoli  avec  l'Infanterie 
Efpagnole,  pour  fe  repofer,  ôc  redonner  de  nouvelles  forces 
aux  foldats ,  qui  avoient  été  fur  le  point  de  fuccomber  fous  le 
poids  du  travail ,  ôc  d'ailleurs  très  incommodés  des  pluyes  de 
l'Automne  ;  enfin  après  avoir  rafTemblé  toutes  fes  troupes  ,  il 
tint  confeil ,  ôc  mit  en  délibération  ,  s'il  continueroit  la  cam- 
pagne. On  balança ,  s'il  devoit  aller  à  Rieti ,  pafTer  le  Tibre  à 
Monterotondo  ,  ôc  fortifier  la  frontière  du  Royaume  de  ce 
côté-là  ,  comme  il  avoit  fortifié ,  de  l'autre ,  Frofolone  ôc 
Anagni  ;  ou  plutôt  s'il  devoit  tenter  le  fiége  d'Oftie  ,  ôc  s'em- 
parer d'un  Château  ,  qu'on  appelle  aujourd'hui  Corneto,  pour 
empêcher  qu'on  ne  tranfportât  de  cet  endroit  des  vivres  à 
Rome.  Tandis  qu'on  déliberoit ,  le  fénat  de  Venife  envoya 
au  duc  d'Albe ,  Febo  Capello  fecretaire  de  la  république,  pour 
le  prier  d'arrêter  le  cours  de  fes  conquêtes  fur  les  terres  du 
fouverain  Pontife,  où  leurs  ancêtres,  fuivant  les  traités  ôc  une 
louable  coutume,  avoient  toujours  empêché  les  étrangers  de 
porter  leurs  armes.  Le  duc  d'Albe  répondit,  que  le  Pape  avoit 
été  lui-même  l'auteur  de  cette  guerre ,  par  les  calomnies  in ju- 
rieufes  dont  il  avoit  noirci  les  Colonnes ,  que  l'Empereur  ôc 
le  roi  d'Angleterre  avoient  refolu  de  foùtenir  dans  une  caufe 
auffi  jufte,  ôc  dans  de  pareilles  circonftances ,  aufli  bien  que 
leurs  vafTaux. 

Après  cette  réponfe ,  il  envoya  les  Maréchaux  des  Logis  à 
Palombarra ,  pour  marquer  les  logemens  d'une  Compagnie. 
Dans  cette  Ville  il  y  avoit  deux  frères,  qu'on  regardoit  com- 
me les  premiers  entre  les  habitans.  Tandis  qu'on  déliberoit , 
fi  l'on  y  devoit  recevoir  une  gamifon  3  l'aîné  obtint  par  fort 

Fij 


44  HISTOIRE 

mmmmmmimmm «.  crédit ,  qu'on  n'en  fouffriroit  point  dans  la  Ville  ;  &  malgré 
~  ZZ  toutes  les  raifons  que  l'autre  alleguoit ,  pour  prouver  qu'on  s'ex- 
'  pofoit  à  perdre  la  vie  6c  les  biens  en  refufant  cette  garnifon , 
.  >*r  il  l'emporta  fur  lui.  Mais  le  duc  d'Albe  piqué  de  ce  refus  3 
qu'il  regardoit  comme  une  injure ,  y  envoya  auffi-tôt  Vefpa- 
fien  de  Gonzague ,  avec  des  troupes  d'élite ,  6c  la  compagnie 
d'Ottavio  d'Abenante  ,  qui  prit  la  place  de  force ,  6c  y  commit 
toutes  fortes  de  cruautez  6c  d'excès.  Celui  qui  vouloit  qu'on  re- 
çût une  garnifon  ,  ôc  qui  n'avoit  pu  vaincre  l'opiniâtreté  de 
fon  frère  3  voyant  après  un  long  combat ,  que  ce  qu'il  avoit 
prévu  s'accompliffoit ,  mit  le  comble  par  une  a&ion  héroïque 
aux  louanges  qu'il  avoit  méritées ,  en  donnant  un  confeil  11 
prudent  6c  (i  fage.  «  A  Dieu  ne  plaife,  dit-il,  que  je  furvive 
»  à  la  ruine  de  ma  patrie ,  que  j'ai  envahi  tâché  de  fauver  par 
»  mes  avis  falutaires  ;  ou  que  pour  fervir  de  rifée  à  l'ennemi, 
»  je  veuille  conferver  une  vie  que  j'ai  expofée  pour  mon  Payis.  * 
En  prononçant  ces  mots  3  il  fe  tua  d'un  coup  de  piltolet,  qu'iî 
fe  donna  dans  le  cœur  \ 

Le  duc  d'Albe^  qui  étoit  campé  à  Frefcati ,  avoit  déjà  diftri- 
bué  fon  armée  à  Grotta  Ferrata  6c  à  Marino ,  où  l'on  appor- 
toit  tous  les  jours  t  même  le  plus  fouvent  fans  efeorte  ,  des 
vivres  qu'on  tiroit  des  environs,  ôc  principalement  de  Tivoli. 
Le  Duc  s'imaginant  donc  que  les  troupes  du  Pape  ne  laiffe- 
roient  pas  échapper  une  occafion  fi  favorable  ,  donna  ordre 
au  comte  de  Popoli  de  fe  mettre  en  embufeade ,  avec  les  che- 
vaux-legers,  dans  un  endroit  avantageux,  afin  de  les  envelopper, 
lorfqu'ils  viendroient  fakeles  premiers  a£les  d'hofhlité.  La  chofe 
ne  manqua  pas  d'arriver  comme  on  Tavoit  prévue  5  le  comte 
Baltazar  de  Rangone  étant  parti  de  Rome  fur  le  foir  avec  cent 
cinquante  cavaliers ,  donna  le  matin  dans  l'embufcade  du  comte 
de  Popoli.  Après  quelque  combat ,  s'étant  jette,  fans  fçavoir  les 
chemins ,dans  un  taillis  qui  alloiten  pente  6c  qui  étoit  environné 
de  foffez  ,  il  fut  défait  6c  pris  lui-même  prifonnier  avec  fes 
gens.  Le  cardinal  Caraffe,  qui  étoit  venu  à  fon  fecours  ,  fit  de 
vains  efforts  pour  ôter  au  comte  de  Popoli  la  victoire  qu'il  ve- 
noit  de  remporter.  Quoique  le  Comte  fût  le  plus  foible,  il 
fit  fi  bien ,  qu'il  évita  l'ennemi ,  6c  fe  retira  en  fureté  avec  fori 

i.M.  deThou  loue  le  courage  &  l'a-        mettre  cette  a&ion ,  quoique  l'aélion 
mour  extrême  de  la  patrie,qui  fit  com-    |    en  elle-même  fut  très  condamnable; 


DE  J.   A.  DE   T  H  O  U  ,  Li  v.  XVII.      4; 

butin.    Ses  gens  le  reçurent  avec  joye,  ôc  le  félicitèrent  fur  *«*"———«« 
l'heureux  fuccès  de  fon  entreprife.  Caraffe  fut  obligé  de  s'en  Henri  II' 
retourner  à  Rome  fans  avoir  rien  fait.    Quelque  teins  après  il      i  y  5-  6, 
arriva  la  même  chofe  à  Barthelemi  del  Monte.    Comme  il 
conduifoit  quelques  troupes,  fans  prendre  beaucoup  de  précau- 
tion ,  il  fut  fait  prifonnier  ôc  enveloppé  par  trois  cens  cava- 
liers, qui  mirent  fes  foldats  en  déroute  ,  ôc  prirent  tout  leur 
bagage. 

Cet  événement  jetta  dans  une  grande  confternation  les  par- 
tifans  du  Pape  ,  ôc  le  Pape  lui-même  ;  car  tout  le  monde  difoit 
que  le  duc  d'Albe,  voulant  profiter  de  fes  victoires ,  viendroit 
à  Rome  avec  toute  fon  armée ,  ôc  chacun  croyoit  qu'il  s'en 
rendroit  facilement  le  maître.  Mais  le  Duc  ne  voulant  pas  en- 
treprendre une  chofe  fi  périlleufe  ôc  fi  difficile,  s'excufa  fur  la 
faiion  qui  étoit  contraire  :  car  il  prévoyoit  bien  qu'il  ne  pour- 
rait faire  réùiTir  cette  entreprife  ,  qu'il  ne  lui  en  coûtât  le  fang  de 
plulieurs  de  fes  foldats  3  ôc  que  s'il  fe  rendoit  maître  de  la 
ville  ,  il  arriverait  de-là }  qu'ayant  perdu  une  partie  de  fes  gens 
dans  le  combat/  ôc  que  l'autre,  enrichie  du  butin ,  refufant  dans 
la  fuite  de  porter  les  armes ,  toute  fon  armée  ferait  bien-tôt 
diffipée.  Àinfi  il  reprit  le  deffein  d'afTiéger  Oflie  5  ôc  ayant 
fait  conftruire  un  Fort  à  l'embouchure  du  Tibre ,  dans  le  mê- 
me endroit,  où  Caius  Marius  avoit  autrefois  campé  pendant  le 
défaftre  ôc  les  révolutions  de  la  République,  il  réfolut  de  cou- 
per le  chemin  aux  vivres  qu'on  faifoit  paffer  à  Rome. 

Pour  obliger  le  Pape  à  faire  la  paix  à  des  conditions  juftes  ôc 
honnêtes ,  avant  que  les  troupes  de  France  fuffent  venues  à 
fon  fecours  ,  il  avoit  fait  boucher  le  chemin  de  Tivoli.  Il  mit 
auffi  de  bonnes  garnifons  à  Tivoli,  à  Frefcati,  dans  Roca- 
di-Papa,ôc  dans  les  places  voifines  ;  enfuite  il  prit  le  chemin 
d'Oftie.  Mais  pour  ne  pas  être  lui-même  preffé  par  la  nécefïité 
des  vivres ,  en  voulant  y  réduire  le  Pape ,  il  ordonna  à  fes  of- 
ficiers de  n'emmener  avec  eux  que  la  troifiéme  partie  de  leurs 
valets  ôc  de  leurs  équipages ,  ôc  de  fe  difpofer  à  partir  avec  le 
moins  d'embarras  qui  leur  ferait  poffible.  Ainfi  le  duc  d'Albe 
ayant  pris  la  route  d'Albano  ,  fit  paffer  près  de-là  fon  armée 
le  premier  de  Novembre  :  quelques  cavaliers  étant  fortis ,  il  y 
eut  entre  eux  ôc  les  Efpagnols  de  légères  efcarmouches. 

Trois  jours  après  étant  arrivé  dans  un  bois  vers  Patriça-> 

F  iij 


4<*  HISTOIRE 

il  envoya  Afcanio  de  la  Cornia  pour  s'emparer  de  Porcî- 
HenriII.  gnano  &  d'Ardea.  A  l'arrivée  de  ce  Général  ,  Ardea  fe 
j  ç  c  tf.  rendit.  Les  habitans  de  Porcigliano  ,  qui  avoient  refufé  de  fe 
foûmettre,  ayant  perdu  deux  de  leurs  Capitaines  ,  témoignè- 
rent à  Afcanio  qu'ils  étoient  prêts  de  fuivre  fes  ordres.  Ainii 
le  paffage  fut  ouvert  aux  vivres  qu'on  portoit  à  Nettuno  ôc  à 
Marino  ,  pour  la  nourriture  des  foldats.  A  cette  nouvelle  le 
cardinal  Caraffe  envoya  à  Porcigliano  le  duc  de  Somme, 
pour  reprendre  une  place  fi  utile  à  l'ennemi.  Mais  il  fut  obligé 
de  fe  retirer ,  après  avoir  perdu  plufieurs  de  fes  foldats.  Enfin 
on  fit  conftruire  fur  le  Tibre  un  pont  de  batteaux,  qu'on  avoit 
fait  venir  de  Gayette  ,  ôc  qu'on  avoit  joints  les  uns  aux  autres 
par  des  chaînes  ôc  des  anneaux  de  fer  ,  afin  que  l'infanterie 
ôc  la  cavalerie  pufTent  traverfer  aifément  ce  fleuve ,  ôc  trans- 
porter leur  canon  de  l'autre  côté.  Le  duc  d'Albe  ayant  mis 
ordre  à  tout,  partit  pour  Oftie,  où  il  arriva  le  troifiéme  jour. 
La  garnifon  s'étant  préparée  à  la  défenfe,  ôcd'Abenante  ,  qui 
conduifoit  un  régiment ,  ayant  été  blefîé  avec  Mario  fon  fils  ', 
Vefpafien  Gonzague  ordonna  a  François  de  Tolfa  ,  à  Ottavio 
d'Abenante ,  Ôc  à  Jean-François  Caraffe  ,  de  mettre  le  feu  à 
la  porte  de  la  ville  >  mais  comme  il  y  avoit  un  baftion  qui  la 
défendoit,  on  jugea  à  propos  de  faire  approcher  le  canon. 
Laporte  ayant  donc  été  rompue,  la  garnifon  abandonna  la  ville, 
pour  fe  réfugier  dans  la  citadelle. 

Gonzague  s'étant  rendu  maitre  de  la  ville,  ôc  y  ayant  diftri- 
bué  de  bons  corps  de  garde ,  alla  dans  fille ,  où  étoit  le  canon 
ôc  toutes  les  munitions  de  guerre.  Le  duc  d'Albe  campa  un 
peu  plus  bas  ,  avec  l'infanterie  Efpagnole  ôc  toute  fa  cavalerie. 
En  même  tems  il  fit  conftruire  un  Pont,  pour  tranfporter  les 
groffes  pièces  de  canon  de  l'autre  côté  du  fleuve ,  ôc  éleva  un 
Fort  à  un  mille  plus  bas ,  environ  à  fept  cens  pas  de  l'embou- 
chure du  Tibre.  Enfuite  on  attaqua  la  citadelle  ,  qu'on  battit 
du  côté  qui  regarde  le  Tibre,  où  elle  étoit  à  couvert  d'une 
muraille  ôc  de  deux  tours.  Celle  qui  étoit  au  Septentrion  ,  ôc 
qui  donnoit  fur  le  fleuve ,  étoit  ronde  ;  l'autre  quarrée  ôc  en- 
vironnée d'un  petit  fofTé.  On  battit,  de  l'ifle  fituée  dans  le  fleuve, 
avec  fix  canons ,  les  murs  qui  étoient  vis  à  vis  la  citadelle  ,  où 
Horace  de-lo-Sbirro  commandoit  avec  cent  quatorze  foldats. 
Ce  Capitaine  qui  avoit  fait  faire  en  dedans  un  retranchement 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XVII.      47 

à  la  hâte  ,  ôc  aux  cotez,  des  baftions  de  terre  rapportée,  ré-  ■ 

folut  de  s'y  défendre  courageufement.  Pierre  Strozzi  partit  Henri  IL 
de  Rome  dans  le  même  tems ,  avec  trois  mille  hommes  d'in-  1  7  c  6. 
fanterie  ôc  trois  cens  cavaliers ,  pour  animer  les  afïiégez  ôc  les 
féconder  dans  leur  fortie,  fi  l'ennemi  étoit  obligé  de  lever  le 
fiége.  11  s'étoit  retranché  le  long  d'une  rivière  qui  fe  décharge 
dans  le  Tibre ,  ôc  avoit  commencé  un  Fort  auprès  du  même 
endroit,  pour  empêcher  les  courfes  des  Efpagnols. 

On  battit  la  citadelle  pendant  fept  jours ,  fans  difcontinuer. 
La  garnifon  refufa  de  fe  rendre,  ôc  n'eut  point  égard  aux  fol- 
îicitations  de  la  Cornia  ;  Vefpafien  Gonzague  pria  le  duc 
d'Albe  de  le  laiffer  monter  le  premier  fur  la  brèche,  ou  il  avoit 
réfolu  de  faire  paffer  fes  troupes ,  malgré  la  difficulté  qui  s'y 
rencontrait.  Mais  le  17  de  Novembre, les  capitaines  ayant 
tiré  au  fort  à  qui  y  monteroit  le  premier ,  il  tomba  fur  Jean- 
François  de  Tolfa ,  que  Dominique  de  Maffimo  devoit  d'a- 
bord fuivre ,  ôc  après  lui  les  cinq  autres  capitaines.  Cependant 
le  duc  d'Albe  palfa  le  pont,  ôc  laifla  dans  fille  une  partie  de 
la  cavalerie ,  ayant  donné  l'autre  à  M.  Antoine  Colonne  ,  Ôc 
au  comte  de  Popoli ,  pour  faire  des  courfes  jufqu'à  Rome  ,  ôc 
amufer  le  fecours  que  le  Pape  envoyoit,  jufqu'à  ce  qu'on  eût 
donné  TalTaut  à  la  citadelle.  Lorfqu'on  eut  donné  le  fignaî , 
Tolfa ,  qui  approchoit  avec  fes  foldats ,  fut  dangereufement 
bîefle  à  la  cuiffe,  en  defcendant  dans  le  foffé;  mais  malgré  fa 
bleffure  il  paiTa  jufqu'à  la  Tour  ;  il  avoit  remarqué  que  Domini- 
que de  Maffimo  le  iuivoit  avec  très-peu  de  monde ,  ôc  que  Fer- 
dinand de  Gonzague  étoit  derrière  avec  fes  gens.  Gonzague 
s'étant  approché ,  exhorta  fes  foldats  à  combattre  courageufe- 
ment: mais  tandis  qu'il  leurparloit.  il  reçut  une  bleffure  très- 
dangereufe  à  la  lèvre  fupérieure ,  ôc  fut  obligé  de  fe  retirer.  Cet 
événement  ralîentit  l'ardeur  des  troupes,  quoique  Tolfa ,  tout 
bleffé  qu'il  étoit,  fe  fût  déjà  empâté  de  la  Tour,  &  qu'il  n'eût 
rien  ménagé  pour  s'acquitter  du  devoir  d'un  vaillant  foldat. 

Enfin  le  duc  d'Albe  qui  étoit  près  de-là  ,  voyant  que  fes 
gens  perdoient  courage ,  commanda  à  Alvaro  d'Acofta  d'aller 
attaquer  les  Italiens ,  avec  trois  cens  hommes  d'élite  de  l'in- 
fanterie Efpagnole.  Acofta  exécuta  promptement  cet  ordre  % 
îorfqu'il  les  eut  joints ,  il  fit  tirer  fur  eux  avec  deux  pièces  de 
campagne,  qu'il  avoit  envoyées  devant  lui  5  ôc  s'étant  jette  dans 


43  HISTOIRE 

le  fofle,  il  monta  avec  la  même  ardeur  fur  la  brèche.  Mais 
Henri  IL  ^tant  entr^  Par  un  trou  avec  quelques-uns  de  fes  amis5  ceux  de 
i  c  ?  6.  ^a  garnifon  le  furprirent ,  ôc  le  maltraitèrent  extrêmement  avec 
fes  gens  ;  il  mourut  quelques  jours  après  d'une  bleffure  dange- 
reufe ,  qu'il  avoit  reçue  dans  ce  combat.  Pour  comble  de  mal- 
heur, les  Efpagnols  qui  étoient  montez  à  la  brèche  pendant 
qu'on  tiroit  le  canon,  étoient  tuez  par  leurs  gens  mêmes ,  qui 
ne  pouvoientfçavoir  fur  quel  côté  de  la  muraille  ils  étoient.  Les 
Efpagnols  étant  donc  enmêmetemsexpofez  aux  coups  ôc  des 
afliégez  ôc  des  afïlégeàns,  le  duc  d'Albe  fit  fonner  la  retraite 
fur  la  fin  du  jour.  Outre  Acofta  qui  fut  tué ,  il  y  eut  quatre-vingt 
dix  Efpagnols  qui  perdirent  la  vie  dans  cette  journée.  Entre 
les  Italiens ,  Gonzaguefutbleffé ,  avecTolfa  ,  ôc  LeonMazza- 
cane^  enfaifant  avancer  cinq  compagnies  deftinées  pour  mon- 
ter à  l'aîTaut,  ôc  qui  matchoient  trop  lentement.  Marcel  Mor- 
mile,  qui  avoit  monté  le  premier  fur  la  muraille,  Ôc  foûtenules 
efforts  de  l'ennemi  avec  un  courage  invincible  ,  eut  le  même 
fort  que  les  autres  capitaines.  On  fit  prifonniers  Ottavio  Mor- 
mile ,  Jule  Longo  ôc  environ  cinquante  foldats.  Mais  les  Ef- 
pagnols t  quoique  repouflez  ,  intimidèrent  fi  fort  les  ailiégez  , 
que  le  lendemain  ils  demandèrent  à  parler  à  la  Confia  3 
ôcfe  rendirent,  dix  jours  après  qu'on  eut  commencé  à  alTiéger 
la  citadelle,  à  condition  qu'ils  auroient  la  vie  fauve. 
Trêve  faite  peu  je  jours  après ,  on  fit  une  trêve,  qui  devoit  durer  juf- 
ïteduc d'Al-  qu'au  29  de  Novembre ,  entre  le  Pape  ôc  le  duc  d'Albe ,  par 
fre-.  l'entremife  du  cardinal  Santafiore.   Mais  deux  jours  après,  le 

duc  d'Albe  ôc  le  cardinal  Caraffe  ,  s'afiemblerent  dans  l'ifie, 
qui  étoit  entre  les  deux  armées  ;  ôc  après  avoir  conféré  enfem- 
ble ,  comme  de  bons  amis ,  ils  prolongèrent  la  trêve  de  qua- 
rante jours, afin  de  porter  au  Roi  d'Angleterre  les  conditions 
que  le  Pape  ôc  les  Carafïes  avoient  propofées ,  pour  conclure 
la  paix  entre  le  Pape  ôc  ce  Prince  ,  s'il  y  confentoit.  Le  duc 
d'Albe  la  défiroit  ardemment  ,  perfuadé  qu'il  étoit  de  l'in- 
térêt de  fon  maître  de  mettre  la  tranquillité  dans  cepayis ,  par 
la  paix  qu'on  devoit  faire  avec  le  Pape.  De  forte  que  fi  la  trêve 
qu'on  avoit  faite. entre  les  deux  Puiffances '  venoit  à  fe  rompre, 
comme  l'on  pouvoit  juger  que  cela  arriveroit  bien-tôt ,  on  fe- 
roit  pafier  toutes  les  troupes  dans  le  Milanez  ôc  dans  le 
i  L'Empereur  &  Philippe  dune  part ,  6c  le  roi  de  France  de  l'autre. 

Piémont, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XVII.     49 

Piémont  ,  Ôc  on  recouvreroit  les  places  que  les  François  avoient  ~ 

prifes  quelque  tems  auparavant  dans  ce  payis-là  :  Que  fi  cepen-  Henri  II. 
dant  on  ne  pouvoit  s'accorder  avec  le  Pape  ,  l'on  auroit  du  1  5*  y  6. 
moins  le  tems  de  foulager  le  foldat  fatigué ,  ôc  qui  manquoit 
de  tout,  d'achever  les  Forts  qu'on  avoit  commencez,  6c  de 
mettre  ordre  aux  affaires  du  Royaume.  La  trêve  ne  fervit  pas 
moins  aux  Caraffes ,  qui  n'avoient  fait  aucuns  préparatifs,  ôc  qui 
attendoient  de  jour  en  jour  les  troupes  auxiliaires  du  duc  de 
Guile. 

Le  duc  d'Albe,  fans  perdre  de  tems,  prefTa  vivement  le  Fort 
qu'on  avoit  commencé  à  élever ,  ôc  réfolut  d'en  faire  confîruire 
un  autre  à  Nettuno  ,  parce  que  cet  endroit  lui  paroiflbit  pro- 
pre pour  faire  venir  de-là  des  vivres.  Enfuite  ayant  mis  dans 
la  citadelle  d'Oftie  huit  pièces  de  canon  ôc  huit  cens  hommes 
d'infanterie  Efpagnole  ,  fous  la  conduite  de  Julien  Vafquez 
d'Avila,  ôc  de  François  Hurtado  de  Mendofe,  il  décampa  le 
dernier  jour  de  Novembre,  ôc  prit  le  chemin  d'Anagni,  où  il 
laiffa ,  à  fon  arrivée ,  le  comte  de  Popoli  avec  les  chevaux-lé- 
gers, pour  y  commander  en  fon  abfence  :  il  congédia  l'infan- 
terie Italienne  ,  envoya  en  même  tems  les  Efpagnols  en  quar- 
tier d'hyver ,  ôc  alla  à  grandes  journées  à  Naples  ,  après  avoir 
donné  ordre  à  Lopez  de  Mardones,  de  faire  tranfporter  des 
vivres  de  Gayette  Ôc  de  Naples  à  Nettuno ,  dans  le  Fort  qu'on 
avoit  commencé ,  Ôc  dans  la  citadelle  d'Oitie  5  ce  qui  fut  exé- 
cuté avec  une  grande  exa&itude.  Cependant  il  ne  put  éviter 
d'être  trompé  par  les  mariniers ,  qui  ,  pour  cacher  leur  larcin, 
avoient  mêlé  du  fable  avec  la  farine,  afin  que  le  poids  qu'elle 
devoit  pefer  s'y  trouvât.  Cette  friponnerie  fut  découverte  , 
ôc  on  en  punit  quelques-uns,  pour  empêcher  qu'elle  n'allât 
plus  loin. 

Le  duc  d'Albe  étant  arrivé  à  Naples ,  ôc  ayant  appris  que 
le  Pape  fe  preparoit  à  la  guerre  pour  l'année  fuivante ,  fit  af- 
fembler  les  Grands  du  Royaume ,  pour  les  exhorter  à  le  fé- 
conder dans  une  occafion  auffi  dangereufe ,  ôc  à  fournir  l'argent 
néceffaire  pour  les  frais  de  la  guerre.  On  réfolut  dans  cette 
affemblée  de  lever  trente  mille  hommes  d'infanterie  Italienne, 
dont  on  en  envoyeroit  une  partie  dans  les  places  maritimes  , 
pour  repouffer  l'armée  navale  des  Turcs  ;  l'autre  iro'it  fur  la  fron- 
tière voifine  desEtats  du  Pape,  ôc  la  troiiiéme,  deftinée  à  paffer 
Tom.  III,  G 


5-0  HISTOIRE 

■»—«■««— ^  dans  îa  campagne  de  Rome  ,  formeroit  un  corps  d'armée» 
Henri  IL  On  leva  auifi  en  Allemagne  quatre  mille  hommes  d'infan- 
I  c  ç  6,  terie,  qu'on  fit  pafler  par  la  Croatie,  l'Imûe  ôcle  Frioul,pour 
les  embarquer  à  Triefte^  &  les  amener  par  le  Golfe  Adriati- 
que ,  afin  de  les  faire  defcendre  dans  le  Royaume  ,  auprès 
d'Aterne  ,  qu'on  nomme  aujourd'hui  Pefcara  ou  Pefcaire. 
Gafpard  de  Feltz  s'étoit  déjà  joint  à  l'armée  avec  deux  mille 
Allemands ,  que  le  Duc  fit  auiîi-tôt  embarquer  à  Gayette , 
pour  les  envoyer  au  comte  de  Popoli  ,  qu'il  avoit  laide  dans 
la  campagne  de  Rome.  On  fit  aufîi  venir  de  la  Lombardie 
quatre  mille  Allemands,  qu'on  mit  fous  la  conduite  d'Albe- 
rico  Lodrone,  homme  très-expérimenté  3  ôc  qui  s'étoit  fignalé 
dans  les  guerres  précédentes.  On  attendoit  encore  trois  mille 
hommes  d'infanterie  Efpagnoîe  ,  qui  étoient  déjà  arrivez  à 
Barcelone.  On  augmenta  aufïi  la  cavalerie  par  de  nouvelles 
levées,  qu'on  fit,jufqu'au  nombre  de  quinze  cens  chevaux. 
Enfuite  on  délibéra  des  moyens  qu'il  falloir  prendre  pour  gar- 
der la  frontière.  On  jugea  donc  qu'il  étoit  à  propos  d'aban- 
donner la  haute  frontière ,  d'en  retirer  les  garnifons ,  ôc  de  brû- 
ler au  milieu  d'un  champ  les  vivres  qu'on  ne  pourroit  tranf- 
porter,  de  mettre  le  refte  dans  les  plus  fortes  places  ,  ôc  de 
faire  affembler  routes  les  troupes  aux  environs  de  Naples ,  afin 
de  pouvoir  réfifter  aux  François  ,  s'ils  venoient  faire  irruption 
de  ce  côté-là,  ôc  que  s'ils  prenoient  leur  chemin  par  l'Abruzze 
Ôc  les  endroits  où  il  n'y  avoit  point  "de  garnifons ,  ils  y  pérîf  • 
fent ,  faute  de  vivres.  Tel  étoit  le  plan  du  duc  d' Albe. 

Gonzague  s'étoit  reriré  avec  quelque  mécontentement,  ôc 
vivoit  en  Italie  comme  un  fimple  particulier  >  après  le  juge- 
ment que  l'Empereur  avoit  rendu  en  Flandre  ,  comme  nous 
l'avons  déjà  dit  :  il  s'étoit  honnêtement  défendu  ,  fur  le  pré- 
texte de  fa  mauvaife  fanté  ,  d'accepter  les  conditions  avanta- 
geufes ,  que  le  Sénat  de  Venife  lui  avoit  propofées ,  afin  de 
l'engager  au  fervice  de  la  République.  Cependant  étant  allé 
dans  ie  royaume  de  Naples, où  il  avoit  de  grands  biens,  du 
côté  d'Ifabelle  de  Capouë  fa  femme  ,  il  y  reçut  des  lettres 
du  duc  d'Albe ,  qui  le  prioit  de  vouloir  bien  lui  dire  fon  avis, 
au  fujet  des  mefures  qu'il  falloit  prendre ,  en  cas  que  ce  royau- 
me fut  attaqué.  Gonzague  voulant  fçavoir  le  fentiment  des 
autres,  avant  de  déclarer  le  fien,  fe  rendit  à  Naples  ,  ôc  parla 
ainfi  dans  le  Confeil. 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XVII.       ji 

»'  Je  crois ,  dit-il ,  que  ceux  qui  ont  entrepris  de  ne  défen- 
•»  dre  que  Naples ,  ôc  d'abandonner  la  frontière ,  font  plus  d'at-  p{ENRi  H. 
«  tention  au  peu  de  tems  Ôc  au  petit  nombre  de  troupes  qu'ils      \  <:  <  6, 
»  ont,  qu'à  la  grandeur  du  péril.  11  eft  à  craindre  qu'en  ôtant 
»  les  garnifons  de  la  frontière,  les  François  ne  s'emparent  des 
»  revenus  du  Royaume ,  fans  îefquels  nous  ne  pouvons  long- 
•>  tems  foûtenir  les  dépenfes  de  la  guerre  ;  ôc  que  favorifez  par 
■  le  peuple ,  qui  fuit  ordinairement  le  vainqueur ,  à  la  faveur  du 
»  grand  nombre  de  leurs  foldats ,  qui  n'ont  encore  rien  fouffert, 
*  ils  ne  fe  rendent  maîtres  de  tout  le  payis  ,  fans  être  obligez 
a>  de  livrer  aucun  combat.   Je  crois  donc  que  le  plus  fur  feroit 
35  d'empêcher  les  François  d'entrer  dans  le  Royaume,  ôc  de 
»  faire  enforte  de  les  mettre  en  déroute  ôc  d'arToiblir  leurs  forces, 
•>  avant  qu'ils  puflent  fe  raffembler.    Car  il  arrivera  de-là  ,  que 
•'  leur  première  fureur  étant  réprimée,  leurs  forces  ôc  leurs  pro- 
»  jets  fe  diftiperont  en  même  tems.   En  effet  on  a  prefque  toû- 
»>  jours  remarqué ,  ôc  les  faits  les  plus  anciens  le  prouvent,  que 
»>  les  François  font  plus  que  des  hommes  au  commencement 
»>  des  combats ,  ôc  à  la  fin  moins  que  des  femmes.  Ainfnl  faut 
«  d'abord  commencer  à  mettre  les  vivres  en  fureté  dans  des 
«  places  bien  fortifiées  ;  ôc  fi  cela  ne  peut  s'exécuter  entiére- 
«  ment ,  il  faut  au  moins  détruire  les  moulins  à  bras }  qui  font 
3>  en  divers  endroits  du  Royaume,  afin  que  l'ennemi  ne  puiffe 
»  s'en  fervir.  Car  fi  on  leur  apporte  des  vivres  de  loin  ,  n'en 
»  pouvant  pas  avoir  pour  long-tems ,  ils  feront  obligez  de  s'ar- 
»  rêter  fur  les  frontières  ;  ou  s'ils  pénétrent  plus  avant  avec  une 
»  nombreufe  armée  ,  ils  en  feront  plutôt  expofez  à  la  difette 
»  ôc  à  la  famine.   Cette  conduite  même  encouragera  le  peuple 
«  plein  d'amour  ôc  d'affection  pour  fa  patrie  >  ôc  réprimera  au 
s>  contraire  la  témérité  de  l'ennemi  ôc  l'empêchera  de  nuire  à 
s*  nos  defleins.  Il  faut  aufïi  laiffer  derrière  plufieurs  places  bien 
«  fortifiées,  ôc  munies  de  tout  ce  qui  eft  néceffaire  dans  de  pa- 
r>  reilles  conjonctures ,  pour  amufer  l'ennemi ,  quand  il  s'avan- 
3>  cera,  ôc  l'obliger  à  s'arrêter  à  chaque  endroit  pour  combat- 
*  tre  :  par  ce  moyen  nous  ferons  à  couvert  du  danger.  Il  eft 
»  toujours  avantageux  à  ceux  qu'on  vient  attaquer  dans  leur 
*>  payis,  de  tirer  la  guerre  en  longueur  :  au  contraire  il  eft  toû- 
a»  jours  préjudiciable  à  un  ennemi  qui  vient  de  loin  ,  ôc  qui 
»  eft  éloigné  de  tout  fecours ,  d'être  traverfé  fans  cefle  dans  un 

Gij 


Henri  IL 
iSS  6. 


La  Trêve 
finie,  on  re- 
commence les 
hoftilitez. 


S2  HISTOIRE 

payis  étranger,  tantôt  par  la  difette,  ôc  par  les  difficultez  qui 
fe  rencontrent  dans  tant  d'endroits  differens ,  6c  tantôt  par 
l'intempérie  d'un  air  auquel  il  n'eft  point  accoutumé.  De-là 
il  arrive  ordinairement,  que  les  amis  ôc  les  alliez  ,  changeant 
de  fentiment  ôc  de  volonté,  paflent  dans  le  parti  contraire , 
lorfque  la  guerre  dure  trop  long-tems  dans  leur  payis.  C'eft 
ce  qui  arrivera  ,  comme  je  le  prévois  ,  aux  peuples  de  l'o- 
béïflance  du  Pape  ,  aux  CarafFes  ôc  au  Pape  même,  qui  laflez 
de  rinfolence  des  François ,  ne  pourront  plus  les  fournir,  ôc 
fe  repentiront  enfin  d'avoir  fait  alliance  avec  eux.  Voilà, à 
mon  gré  ,  le  moyen  le  plus  fur  de  faire  ta  guerre  avantageu- 
fement ,  ôc  de  fauver  ce  payis.  C'eft  ainfi  qu'un  Capitaine 
expérimenté  peut  remporter  la  victoire  ôc  acquérir  de  la  ré- 
putation, ou  mourir glorieufement,  fila  fortune  lui  eft con- 
traire. Je  fuis  donc  d'avis  qu'on  défende  la  frontière ,  ôc 
qu'on  mette  de  bonnes  garnifons  dans  Civitella  fur  le  Tronto , 
dans  Pefcara  ,  dans  Chieti,  dans  Arriano ,  dans  Artemifio 
vers  la  Fouille,  ôc  enfin  dans  Capoue  ôc  dans  Noie. 
Le  duc  d'Albe  fe  rendit  à  cet  avis,  ôc  tous  les  autres  Capi- 
taines fuivirent  fon  exemple.  Vefpafien  de  Gonzague  fut  auiïï- 
tôt  chargé  du  foin  de  fortifier  Noie,  ôc  de  garder  cette  ville. 
Santa-Fiore  eut  la  même  commiflion  pour  Capoue.  On  don- 
na à  Dom  Garcie  de  Tolède  le  commandement  dans  Veno- 
fa ,  dans  Artemifio,  qu'on  nomme  aujourd'hui  Santa-Agata, 
ôc  dans  Arriano.  On  ordonna  au  marquis  de  Trivico  de  fe 
tenir  dans  la  Poùille  avec  fes  troupes  >  pour  garder  l'entrée 
de  cette  Province ,  ôc  conferver  la  Doùanne.  Comme  c'étoit 
le  plus  grand  revenu  de  la  Couronne ,  on  préfumoit  que  les 
François  ne  manqueroient  pas  de  faire  d'abord  irruption  de 
ce  côté-là  5  en  effet ,  environ  trente  ans  auparavant ,  Odet  de 
Foix,  feigneur  de  Lautrec  ,  avoit  attaqué  le  Royaume  par 
cet  endroit. 

Sur  la  fin  de  la  Trêve ,  les  villes  de  Sermoneta ,  de  Piper- 
no  ,  de  Sonnino  ôc  de  Sezza  >  s'étant  révoltées ,  les  habitans 
d' Algide  ou  de  Rocca-di-Papa ,  dont  Sanfon  de  Tagliacozzo 
étoit  Gouverneur,  craignant  les  gens  du  Pape  ,  demandèrent 
du  fecours  à  Pompée  Colonne,  à  qui  on  avoit  donné  le  com- 
mandement général  des  troupes  ,  en  l'abfence  du  comte  de 
Popoli.  Ce  Général  ayant  donc  pris  avec  lui  cinquante  Italiens 


iH^*5P?^!eTOci-r)sîwfÉil9 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XVII.        s 3 

d'élite,  de  la  compagnie  de  Torralva  ,  ôc  cinquante  Efpa- 
gnols  de  celle  de  Ferrante  Gomez  à  partit  de  Tivoli  peu-  Henri  II. 
dant  la  nuit  ,  avec  Pompée  Tuttavilla ,  jeune  gentilhomme  i  y  5  6. 
plein  de  courage  ,  ôc  deux  cens  autres  Efpagnols  >  &  ayant 
rencontré  par  hazard  Alexandre  Colonne  ,  ôc  Cencio  Capi- 
zucchi ,  qui  alloient  de  Rome  à  Zagarolo  avec  leurs  trou- 
pes, il  les  furprit,  ôc  les  mit  en  déroute.  11  y  en  eut  environ 
trente  de  tués  j  on  en  prit  deux  cens ,  qui  furent  conduits  à  Ti- 
voli, d'où  on  les  renvoya  depuis,  après  les  avoir  défarmés.  Les 
cent  hommes  de  troupes  auxiliaires  ,  que  Pompée  Colonne 
avoit  fait  entrer  dans  Rocca-di-Papa,  ayant  fait  des  courfes 
jufqu'à  Veletri ,  où  ils  n'étoient  point  attendus  >  firent  un  grand 
butin.  Cependant  les  habitans  de  Veletri  ayant  conçu  quel- 
que efpérance  de  s'emparer  de  Rocca-di-Papa,  par  le  moyen 
d'un  des  premiers  de  cette  Ville ,  ôc  par  l'intrigue  d'un  Fran- 
çois ,  qui  alloit  ôc  venoit  de  côté  ôc  d'autre  ,  fortirent  au  jour 
marqué,,  ôc  fe  mirent  en  embufeade  dans  un  endroit,  qui  pa- 
roi/Toit propre  à  favorifer  leurs  delTeins ,  ôc  d'où  ils  pouvoient 
fortir  au  premier  fignal  qu'on  leur  donnerait.  Mais  Alexan- 
dre Androcio  ,  qui  commandoit  dans  la  place,  ayant  décou- 
vert cette  trahifon,  en  fit  arrêter  fecrettementles  auteurs ,  qu'on 
étrangla  fur  le  champ.  Enfuite  il  envoya  des  gens  d'élite  pour 
garder  les  défilés  ,  par  où  ceux  de  Veletri  dévoient  palier  à 
leur  retour.  La  précaution  d' Androcio  ne  fut  pas  inutile.  En 
effet  les  habitans  de  Veletri  voyant  qu'on  ne  leur  donnoit 
aucun  fignal  de  Rocca-di-Papa  y  tombèrent  dans  l'embufca- 
de  en  s'en  retournant  :plufieurs  furent  taillés  en  pièces  ,  ôc  70. 
furent  faits  prifonniers. 

Sur  ces  entrefaites ,  Strozzi  ôc  le  duc  de  Paliano  fortirent 
de  Rome  avec  fix  mille  hommes  d'Infanterie,  huit  cens  che- 
vaux ,  ôc  lix  pièces  de  canon  ;  ôc  s' étant  apperçûs  que  le  Fort 
que  les  Efpagnols  élevoient  fur  le  Tibre  ,  incommodoit  beau- 
coup les  Romains,  qui  commençoient  déjà  à  murmurer ,  ôc 
à  donner  des  marques  publiques  de  leur  mécontentement,  ils 
refolurent  de  conduire  toutes  leurs  troupes  du  côté  du  Fort , 
avant  qu'on  pût  l'achever,  ôc  rétablir  les  ruines  de  la  citadelle 
ôc  de  la  ville  d'Ortie.  La  refolution  d'alïiéger  Oftie  étant  donc 
prife  ,  comme  l'on  ne  connoiiToit  pas  encore  la  fituation  de 
cette  ville  ,  ni  la  profondeur  du  foffé  ,  ôc  qu'on  ne  fçavoit  pas 

Giij 


5-4  HISTOIRE 

fi  l'eau  pouvoit  y  demeurer  3  Marc- Antoine  de  Montluc,  qui 
Henri  II   commandoit  l'Infanterie  avec  le  baron  de  Benac  Ôc  Charry , 
x  -  -  ^      emporté  par  le  défir  d'acquérir  de  la  gloire ,  fbrtit  de  fon  polie 
pour  y  aller.   Mais  après  avoir  examiné  attentivement  la  place , 
il  reçut  dans  la  poitrine,  à  fon  retour,  un  coup  d'arquebufe, 
dont  il  mourut  dans  la  tente  de  Strozzi ,  où  on  l'avoit  mis  fur 
un  lit,  ôc  où  à  peine  put-il  dire,  avant  d'expirer,  les  remarques 
qu'il  avoit  faites.  C'eft  ainfi  que  M.  Antoine  de  Montluc  fi- 
nit fa  carrière.  Le  courage  de  ce  jeune  gentilhomme  ,  ôc  fa 
prudence  fuperieure  à  fon  âge ,  annonçoient  qu'il  eût  été  un 
très  grand  Capitaine ,  s'il  eût  vécu  plus  long- tems.  La  maniè- 
re vive  ôc  touchante,  avec  laquelle  Blaife  de  Montluc  rappor- 
te dans  fes  commentaires  la  mort  prématurée  de  fon  fils ,  m'a 
engagé  à  lui  rendre,  en  quelque  forte,  les  derniers  devoirs  par. 
ce  court  éloge. 
Prife  d'Of-       On  prit  enfuite  la  ville  d'Ortie  fans  beaucoup  de  réfiftance. 
tie,  par  les    |?n  effet,  lagamifon  Efpagnole  abandonna  la  citadelle ,  à  Tar- 
François.         rjv^e  de  Strozzi  y  ôc  fe  retira  dans  le  Fort.  Mais  au  (II- tôt 
qu'on  eut  fait  approcher  le  canon ,  cette  place  fe  rendit  par 
ordre  de  Jean  Vafques  d'Avila  ,  de  François  Hurtado  de  Men- 
dofe.»  ôc  d'OrtizdeVera.,  qui  avoit  beaucoup  de  crédit  auprès 
du  duc  d'Albe ,  ôc  qui  s'étoit  fignalé  dans  le  temsqu'ii  com- 
mandoit l'artillerie  à  Orbitello ,  ôc  dans  plufieurs  autres  en- 
droits. Les  foldats  de  la  garnifon  étant  fortis  ,  vie  fauve ,  de  la 
ville  ,  on  les  conduifit  à  Nettuno  ,  comme  on  le  leur  avoit 
promis.  Quelque  tems  après ,  on  rejetta  la  faute  d'une  reddi- 
tion fi  prompte  fur  d'Avila  >  ôc  on  dit  que  nous  l'avions  cor- 
rompu par  argent.  Soit  qu'il  eût  rendu  cette  place  par  lâcheté 
ou  par  trahifon  ,  il  eut ,  deux  ans  après  cette  action ,  la  tête  tran- 
chée à  Bruxelles.  Cependant  beaucoup  deperfonnes  l'excufe- 
rent,  parce  que  les  ruines  de  cette  ville  n'étant  pas  encore  re- 
parées ,  ôc  le  payis  étant  inondé  par  les  pluyes  continuelles , 
on  avoit  lieu  de  craindre  que,  l'entrée  du  Tibre  étant  bouchée, 
les  afîlégez  ne  fuiTent  fubmergez  par  les  eaux  de  ce  fleuve. 

Après  la  prife  d'Oftie,  on  envoya  Cencio  Capizucchià  Pa- 
leftrina  ôc  à  Caftel-fanto-Angelo.  Peu  de  tems  après  François 
Villa ,  ôc  Jérôme  Frangipani  reprirent  Frafcati ,  Grotta  Ferrata, 
Marino  ôc  Caftel-Gandolfo.  On  avoit  confié  le  foin  de  toutes 
ces  places  à  Jean-Thomas  Epifanio  deNardo,  capitaine  çj'uft 


DE  J.  A.   DE   Tll OU,  L  i  v.  XVII.      ft 

grand  mérite ,  qui  après  avoir  employé  toute  la  vigilance  Ôc  tout  

le  foin  pofTible  >  pour  défendre  Caftel-Gandolfo,  où  il  s'étoit  ~         TT 
retiré  avec  fes  foldats,  fut  obligé  de  fe  rendre,  à  leur  follicita-  WENRI  J- 
tion.    Le  comte  de  Popoli  l'ayant  blâmé  de  cette  action  ,  iï     l  $  $ 
fe  retira  à  Venife,  où  refufant  les  offres  les  plus  avantageufes 
qui  lui  furent  faites,  il  vécut  en  (Impie  particulier  5  afin  que 
dans  la  fuite  on  n'eût  pas  lieu  de  le  foupçonnef ,  au  fujet  de 
ce  qui  étoit  arrivé.  Quelque  tems  après  on  reprit  aufli  San- 
Polo ,  où  l'on  avoit  mis  la  moitié  d'une  compagnie  Efpagno- 
Je.  Les  bourgeois  tombèrent  avec  tant  de  fureur  ôc  d'inhu- 
manité fur  la  garnifon,  qui  étoit  à  demi  endormie,  qu'à  peine 
en  échappa-t'il  un  feul. 

Toutes  les  places  étant  donc  reprifes,le  comte  de  Popoli, 
qui  étoit  retourné  depuis  quelques  jours  de  l'Abruzze  à  Ti- 
voli ,  avec  un  peu  de  Cavalerie,  ôc  deux  compagnies  Efpa- 
gnoles  d'Infanterie ,  voyant  que  fendroit  qu'il  occupoit  étoit 
trop  valte  ôc  trop  voifm  de  nos  troupes ,  pour  efperer  de  le 
garder,  fans  s'expofer  à  un  péril  évident,  craignit  d'y  être  en- 
veloppé s'il  y  reftoit  plus  long-tems  ;  ainfi  il  en  fortit ,  pour 
fe  retirer  à  Vicovaro ,  où  Gafpar  Feltz  étoit  déjà  arrivé  avec 
les  Allemands  qu'il  conduifoit.  II  y  refta  trois  jours ,  qu'il 
employa  à  fortifier  la  place.  Enfuite  y  ayant  laiffé  ,  fous  la 
conduite  de  Gomez  de  la  Torre  ôc  de  Pierre  de  Caftille , 
deux  compagnies  Efpagnoîes ,  il  alla  avec  les  troupes  Alle- 
mandes à  Arzoli  ôc  à  Auricola,  pour  attendre  les  événemens. 
Ayant  appris  à  fon  arrivée,  que  nos  foldats  avoient  déjà  aiîiegé 
Vicovaro  ,  il  en  donna  avis  au  duc  d'Albe  ,  qui  lui  répondit  qu'il 
ne  falloit  point  fatiguer  inutilement  les  Allemands ,  ôc  qu'il 
étoit  néceffaire  de  les  ménager ,  pour  conferver  Anagni  Ôc  Fro- 
folone ,  villes  d'une  plus  grande  importance.  Sur  cette  répon- 
fe  ,  il  demeura  tranquile.  Cependant  Vicovaro  ayant  été 
battu  du  canon  pendant  cinq  jours  entiers  ,  on  fit  brèche, 
ôc  nos  foldats  le  prirent  d'affaut.  La  garnifon,  qui  s'étoit  reti- 
rée dans  la  citadelle,  fe  rendit  peu  de  jours  après.  Il  y  eut 
environ  deux  cens  Efpagnols  tuez  dans  cette  place.  La  fu- 
reur du  foldat  étoit  fi  grande  y  que  le  duc  de  Paliano  ,  qui 
couroit  de  rang  en  rang  pour  l'arrêter ,  eut  bien  de  la  peine  à 
contenir  celle  des  Gafcons  ôc  des  Suiffes. 

Le  comte  de  Popoli ,  effrayé  de  ce  fuccès ,  partit  de  Tivoli 


S  6  HISTOIRE 

pour  aller  à  Fiorentino  ,  où  l'on  difoit  alors  que  ,  fi  Strozzi 
Henri  II  avo^  ^lt  avanc^r  fes  troupes  jufqu'au  Lac  Celano  ,  non-feu- 
j  .  '  £  Jement  il  y  eût  trouvé  beaucoup  de  vivres  &  de  munitions, 
mais  qu'il  eût  même  réduit  les  ennemis  à  la  dernière  extrémi- 
té. Ce  Général  au  contraire  s'étant  contenté  de  piller  Anti- 
colo  de  Corrado,  ôc  d'avoir  fait  des  courfes  jufqu'àSubiaco, 
s'en  retourna  à  Rome  ,  fans  faire  aucune  autre  entreprife.  En 
même  tems  François  Colonne  reprit  Cavi  }  Genazzano  ôc 
Monte-Fortino,  que  François  Brancaccio  abandonna  >  par  or- 
dre du  comte  de -Popoli.  Nos  foldats  brûlèrent  quelque  tems 
après  cette  dernière  place.  Ce  fut  alors  que  les  capitaines  Louis 
Savello  feigneur  de  Collalto  ,  ôc  Jean-Antoine  Maneri ,  quit- 
tèrent le  duc  d'Albe ,  ôc  prirent  les  armes  pour  le  Pape  ,  mal- 
gré les  follicitations  de  Gabriel  Moles  ,  qui  employa  toute 
forte  de  moyens  ,  pour  les  engager  à  demeurer  fidèles  au 
roi  d'Angleterre  qu'ils  ferv oient.  Savello  tenta  le  fiége  du 
Celle  ,  mais  fans  fuccés  ;  car  Moles  répoulTa  plusieurs  fois 
fes  troupes ,  Ôc  défendit  courageufement  cette  place.  Dans 
le  même  tems  le  duc  d'Albe  ordonna  à  M.  Antoine  Co- 
lonne ,  d'aller  fur  le  territoire  de  Rome  avec  quatre  mille 
Italiens ,  ôc  fix  pièces  de  canon.  Le  comte  de  Popoli  eut  auiïi 
ordre  de  ramener  fa  Cavalerie  à  San-Germano  ,  de  tirer  l'In- 
fanterie de  Veruli,  deBauco,  d'Alatro,  ôc  de  Fiorentino,  & 
enfuite  de  partir  pour  Venafro,  où  il  avoit  refolu  de  faire  af- 
fembîer  l'armée ,  parce  qu'il  avoit  appris  que  le  duc  de  Guife 
avancoit. 
On  fait  mou-  Mais  avant  que  d'aller  plus  loin  ,  il  eft  neceïTaire  de  rap- 
men  France1  p0rter  jcj  ce  qU\  s'eft  paffé  en  France  ,  en  Allemagne  ,  ôc 

ungrandnom-    ^  i  f  j  i  j  b  / 

bre de Protef-  dans  les  autres  .Royaumes  pendant  le  cours  de  cette  année. 

tans.  Qn  punjt  féverement  en  France  Ôc  en  Angleterre  les  Proteftans. 

Jean  Rabec,  Cordelier  ,  natif  de  Cerify-Monpinfon  dans  la 
baffe-Normandie ,  ôc  Jean  Rouffeau,  Angevin ,  tous  deux  pro- 
mus aux  Ordres  facrez  ,  ayant  fucé  la  doctrine  des  Réfor- 
mez à  Genève  >  ôc  à  Laufane  i  furent  punis  de  mort  à  An- 
gers ,  le  24.  d'Avril.  Jean -Bertrand  de  Montoire  dans  le 
Vendômois  fut  brûlé  à  Blois  ;  Barthelemi  Hector  natif  de 
Poitiers  eut  le  même  fort  à  Turin  ,  ainfi  que  Jérôme  Cafa- 
bone,  Bearnois ,  à  Bordeaux.  On  accufa  aufîï  du  même  cri- 
me Arnaud  Monier  de  Saint  Emilion  en  Bourdelois ,  âgé  de 

vingt 


D  E  J.   A;  D  E   T  H  O  U  ,  Li  v.  XVII.      57 

vingt- cinq  ans ,  ôc  Jean  de  Cazes  de  la  ville  de  Libourne.  1  ■  m  . 
Le  fentiment  des  Juges  fut  partagé  >  les  uns  vouloient  qu'on  j^ENRI  jj 
les  punît  de  mort  ;  les  autres  penfant  plus  humainement  ,  di-  r  c  r  5 
foient  qu'il  fuffifoit  de  les  reléguer  pendant fix  mois,  ou  plus 
long-tems  ,  dans  quelque  Monaftere ,  pour  voir  ,  fi ,  en  leur 
donnant  le  tems  de  réfléchir  fur  les  Théologiens  ôc  les  Pères , 
•  ils  ne  renonceroient  pas  à  l'erreur  ;  que  jamais  on  n'avoit  trouvé 
ni  dans  les  livres  facrez,  ni  dans  les  livres  profanes ,  que  ceux 
qui  avoient  abandonné  la  véritable  Religion ,  duffent  être  pu- 
nis fur  le  champ  ôc  mis  à  mort.  Ils  remontrèrent  que  l'on  n'a- 
voit commencé  à  procéder  de  cette  manière  que  depuis  qua- 
rante ans  ;  que  d'ailleurs,  puifque  le  Concile  général  étoit  af- 
femblé ,  on  devoit  attendre  fes  décrets  ;  parce  qu'alors  on  ne 
pourroit  plus  douter  des  points  de  la  Religion  ,  fur  lefquels 
jufqu'à  ce  tems-là  onpouvoitcontefler,  fansfe  rendre  coupable. 
Comme  les  juges  de  laTournelle  criminelle  ne  s'accordoient 
point  entre  eux,  ôc  qu'il  y  avoit  pourtant  quelque  inégalité  de 
voix  de  part  ôc  d'autre  ,  on  prit  le  parti  le  plus  fevere ,  ôc  loin 
defavorifer  l'accufé,  comme  c'eft  l'ufage  dans  les  caufes  cri- 
minelles t  on  fe  comporta  comme  dans  les  affaires  civiles.  Le 
Préfîdent  de  la  Chambre  prononça  donc  à  la  pluralité  des  voix , 
ôc  les  deux  jeunes  gens  furent  condamnez  à  mort ,  fans  avoir 
égard  à  leur  âge.  Le  Parlement  ordonna  que  les  portes  de  la 
ville  feroient  fermées  ,  ôc  qu'on  mettroit  des  gardes  dans  la 
place  ,  pendant  le  tems  de  leur  fupplice.  Lorfqu'on  les  eut 
jettez  au  milieu  des  flammes,  la  terreur  s'empara  fi  fort  de 
l'efprit  de  ceux  qui  étoient  préfens  à  cet  affreux  fpe£tacle ,  qu'ils 
prirent  tous  la  fuite,  comme  fi  l'ennemi  les  eût  pourfuivis.  Les 
archers  même  ôc  les  autres  officiers  de  juftice  abandonnèrent 
leur  pofte,  pour  fe  fauver  dans  les  maifons  voifines,  en  fuppliant 
ceux  qu'ils  rencontroient  de  leur  fauver  la  vie,  ôc  de  les  cacher 
chez  eux. 

Le  Parlement  de  Chambery  en  Savoye  punit  auiîl  Jean 
Trigalet ,  Antoine  Laborie  ,  ôc  Jean  Vernou  ,  qu'on  avoit 
envoyés  de  Genève  ,  pour  enfeigner  fecrettement  la  religion 
profcrite  par  les  ordonnances  du  Roi.  Ceux  du  canton  de 
Berne  3  qui  les  avoient  entretenus  à  Laufane  pendant  leurs 
études,  firent  une  députation  au  Roi,  pour  obtenir  leur  grâce; 
mais  ce  Prince  la  leur  refufa ,  ôc  répondit  que  cette  licence 
Tome  III.  H 


5S  HISTOIRE 

,  tendoît  à  la  ruine  de  fon  Royaume.   La  conduite  du  Parle- 

tj         jt    nient  de  Chambery  me  fait  ici  reffouvenir  du  fameux  Arrêt 

-  '  rendu  au  Parlement  de  Dijon ,  fur  le  réquisitoire  de  Julien  Ta- 

f*    '     boiié  Procureur  général ,  contre  Raymond  Peliflbn  Préfident 

kmentddeDÏ-  en  cette  ^our  »  Jean  Griffonné  Confeiller -  Clerc  ,  &  contre 
jon  caffé  par  deux  autres  Confeillers ,  Louis  du  Rofet ,  ôc  Craffins,  Toute 

d  ParfsmCnt  ^a  Cour  Pr'lt  Part  a  cette  affaire,  Ôc  l'Arrêt  du  Parlement  de 
Dijon  fut  cafTé  par  le  Parlement  de  Paris,  de  la  manière  que 
je  vais  le  dire.  Le  préfident  Peliflbn  avoit  fait  quelque  tems 
auparavant  une  vive  réprimande  à  Taboue ,  par  ordre  du  Par- 
lement: ce  dernier  picquéde  cet  affront  ne  put  fe  modérer, 
ôc  s'abandonnant  tout  entier  à  fon  reflentiment,  il  attendit  une 
occaiion  favorable  pour  fe  venger.  Comme  la  fraude  ôc  la 
licence  n  étaient  pas  encore  montées  au  point,  qu'on  pût  les 
mettre  ouvertement  en  ufage  ,  pour  piller  impunément  les 
finances  du  Roi,  les  grands  du  Royaume  attentifs  à  s'enrichir, 
pour  fournir  aux  dépenfes  qu'ils  faifoient  à  la  Cour  ,  pro- 
ritoient  habilement  des  accufations  intentées  ,  ôc  des  crimes 
d'autrui ,  ôc  avoient  pour  cet  effet  dans  les  Provinces  des  émif- 
faires ,  pour  affouvir  leur  avidité.  [Taboue  étoit  pour  cela  en 
relation  depuis  quatre  ans  avec  le  duc  de  Guife  ,  à  qui  le  Roi 
avoit  accordé  la  confifcation  des  biens  de  tous  ceux  qu'on  fai- 
foit  mourir  dans  cette  Province.  Le  Procureur  général  accufa 
de  concufîionPeliffonôc  les  autres  Confeillers  dont  j'ai  parlé.  Le 
Parlement  de  Dijon,  où  le  Duc,  en  qualité  de  Gouverneur  delà 
Bourgogne  avoit  une  très-grande  autorité ,  eut  ordre  de  prendre 
connoiffance  de  cette  affaire.  On  procéda  donc  dans  toute  la 
rigueur  :  Craffins  fut  interdit  de  fa  charge  pour  un  an.  On  con- 
damna Peliflbn  à  être  banni ,  après  avoir  été  mis  au  pilori  au 
milieu  de  la  place  publique.  On  dépouilla  Briflbnné  Ôc  du 
Rofet  de  leurs  charges,  ôc  on  les  condamna  tous  deux  à  de  grof- 
fes  amendes.  Cela  fe  paffa  le  i  de  Mai,  le  27  de  Juin  Ôc  le 
4  d'Août.  Mais  dans  la  fuite  le  connétable  de  Montmorency, 
qui  ne  s'accordoit  pas  avec  les  Guifes  ,  obtint  du  Roi ,  en  fa- 
veur de  ces  Magiftrats  condamnez  ,  que  le  Parlement  de  Paris 
prendroit  connoiffance  de  leur  affaire,  quoiqu'elle  eût  été  jugée 
par  le  Parlement  de  Dijon. 

Le  Parlement  de  Paris  caffa  ces  Arrêts,  par  un  jugement , 
qui  portoit  que  Taboue  feroit  pourfuivi  en  juftice  ,  comme 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XVII.      ?<? 

calomniateur ,  ôc  qui  ordonnoit  à  ce  fujet  une  enquête.  Le  Par- 
lement de  Dijon  offenfé  d'un  pareil  jugement ,  ôc  appuyé  d'ail-    Henri  II 
leurs  par  le  duc  de  Guife  >  envoya  des  députez  au  Roi  ,  pour      i  y  5  tf. 
représenter  qu'on  a  voit  bleffé  les  ufages  établis ,  en  réformant 
mal  à  propos  le  jugement  d'une  Cour  fupérieure.    Le  Roi , 
Prince  foible ,  panchoit  tantôt  d'un  côté  ôc  tantôt  de  l'autre  » 
fuivant  les  impreiïions  différentes  qu'il  recevoit  des  feigneurs 
de  fa  Cour  qu'il  aimoit.   Enfin  pour  fatisfaire  le  duc  de  Guife, 
il  fit  venir  Chriftophle  de  Thou  \  Préfident  à  mortier  au  Parle- 
ment de  Paris ,  ôc  les  Confeillers  Claude  Anjoran  ôc  Jacque 
Viole ,  qui  avoient  été  juges  en  cette  affaire.  Le  préfident  de 
Thou  parla  ôc  expofa  les  motifs  de  l'Arrêt  du  Parlement  de 
Paris.  Alors  le  Vice-chancelier  prononça  au  nom  du  Roi.>  que 
le  Parlement  de  Dijon  avoit  jugé  conformément  à  fon  opinion, 
ôc  celui  de  Paris  conformément  à  l'équité.    Ainfi  l'Arrêt  du 
Parlement  de  Paris  fut  confirmé ,  ôc  on  choifit  un  nombre  égal 
de  Confeillers  de  l'un  ôc  de  l'autre  Parlenient ,  avec  fix  Maî- 
tres des  Requêtes,  pour  informer  touchant  l'accufation  de  Ta- 
boue,  Le  12  d'Oclobre  de  la  même  année  les  Commiffaires 
déclarèrent  innocens  Peliffon  ,  Briffonnet  ôc  Craffins >  ôc  con- 
damnèrent Taboue  à  payer  une  Comme  considérable  pour  les 
dépens  du  procès.   Outre  cela  on  le  fit  conduire  par  toute  la 
ville,  la  tête  ôc  les  pieds  nuds,  la  corde  au  col  ôc  une  torche 
à  la  main.   Ce  jugement  rendit  très-odieux  les  Princes  de  la 
maiCon  de  Guife ,  ôc  augmenta  en  même  tems  l'inimitié  fecrette 
qui  régnoit  depuis  long-tems  entre  eux  ôc  le  Connétable ,  ôc 
qui  ayant  enfin  éclaté ,  caufa  dans  la  fuite  d'affreux  défordres 
dans  le  Royaume. 

Pendant  le  cours  de  cette  année ,  toute  l'Allemagne  fut  tran-    Troubles  de 
quille ,  hors  la  Bavière  ôc  la  haute  Hongrie  >  appellée  aujour-  l'Allemagne 
d'hui  Autriche.  La  Confeiîion  d'Aufbourg,  qui  s'établiffoit  peu  Religion, 
à  peu  dans  ces  Provinces ,  avoit  excité  quelques  mouvemens 
parmi  le  peuple.  Sur  la  fin  de  l'année  précédente ,  le  roi  Fer- 
dinand avoit  convoqué  une  affemblée  d'Etats  en  Autriche ,  ôc 
y  avoit  envoyé  des  perfonnes  de  Ca  part ,  pour  engager  les  Prin- 
ces d'Allemagne  à  lui  donner  du  Cecours  contre  le  Turc  ,  qui 
redemandoit  la  Tranfylvanie ,  payis  fertile  ôc  qui  fournit  une 
grande   quantité  de  chevaux.     Ceux   de  la  baffe  Autriche 
1  Père  de  l'Auteur:  il  fut  dans  la  fuite  premier  Préfident  en  i$6%. 

H  \) 


60  HISTOIRE 

profitèrent  de  cette  occafion  favorable,  ôc  députèrent  au  roi 
Henri  II  Ferdinand  pour  lui  demander  le  libre  exercice  de  leur  religion. 
If  w  Le  Roi  les  renvoya  à  la  diète  de  Ratifbonne ,  ôc  leur  enjoi- 
gnit en  même  tems  de  le  venir  trouver  à  Vienne,  le  13  de 
Janvier  :  parce  qu'il  avoit  tout  à  craindre  de  la  part  du  Turc. 
Ils  s'y  rendirent  donc  au  jour  marqué ,  Ôc  répondirent  au  Roi> 
qui  les  preffoit  vivement  de  lui  donner  du  fecours  contre  les 
Infidèles  :  Qu'il  falloit  avant  toutes  chofes  penfer  à  la  religion  ; 
que  depuis  quatorze  ans ,  on  n'avoit  ceffe  de  lui  parler  de  cette 
affaire ,  fans  qu'il  eût  eu  égard  à  leurs  prières  ;  qu'au  contraire 
on  avoit  publié  de  rigoureux  édits  pour  forcer  leurs  confcien- 
ces  •■>  qu'en  vain  on  feroit  la  guerre  au  dehors ,  fi  la  paix  ne  ré- 
gnoit  au  dedans  ;  c'eft  à-dire,  fi  l'on  ne  tranquiïlifoit  aupara- 
vant les  efprits,  en  rétabliflantla  faine  doctrine  :  qu'autrement 
on  attireroit  la  colère  de  Dieu ,  ôc  que  quand  les  efprits  fe- 
roient  partagez ,  il  feroi^dtfnciie  de  les  réunir  pour  combattre 
contre  l'ennemi  commun  :  Qu'enfin  ils  fupplioient  le  Roi  de 
ne  pas  refufer  aux  peuples  d'Autriche  ce  qu'il  avoit  accordé 
aux  autres  Provinces  ;  ôc  de  faire  enforte  que  les  miniftres  de 
l'Eglife,  ôc  les  profeifeurs  des  Collèges,  qui  avoient  embraffé  la 
do&rine  la  plus  pure,  ne  fuffent point  inquiétez  à  ce  fujet. 

Ferdinand  leur  dit  :  Qu'il  n'étoit  pas  en  fon  pouvoir  de  rien 
changer ,  ni  de  donner  aucune  atteinte  aux  articles  de  la  foi 
Catholique ,  qu'il  avoit  reçue  de  fes  ancêtres ,  ôc  fucée  avec 
le  lait:  que  cependant  n'ignorant  pas  les  troubles,  ôc  les  mal- 
heurs que  cette  divifion  avoit  caufez,  il  avoit  fait  tous  fes  ef- 
forts, conjointement  avec  l'Empereur  fon  frère  ,  pour  trouver 
les  moyens  d'accommoder  ce  différend  :  que  pour  ce  fujet  on 
avoit  même  fait  affembler  un  Concile  à  Trente  ,  à  la  prière  des 
Princes  d'Allemagne  5  ôc  que  fi  l'affaire  n'étoit  pas  encore  ter- 
minée ,  il  ne  falloit  s'en  prendre  qu'aux  malheurs  des  tems.  Ce 
Prince  ajouta  que,  par  le  defir  de  fatisfaire  fes  fu  jets ,  il  vouloit 
bien  ne  les  point  forcer  à  obferver  fon  ordonnance  touchant  la 
Communion  fous  les  deux  efpeces  l ,  pourvu  que  d'ailleurs  ils 
ne  changeaffent  rien  à  la  religion  ,  ôc  qu'ils  rejettaflent  tou- 
tes les  erreurs  des  autres  fecles.    Il  leur  promit  encore  qu'on 


i  II  y  a  une  faute  dans  le  texte  de 
lYdition  de  Genève  ,  où  on  lit ,  De- 
sr^um  de  Domimca  cœna  fub  utraque 


fpecie  fumendâ.  II  eft  clair  que  non  a  e'té 
oublie',  ÔC  qu'il  faut  lire  nonfumendL 


DE  J.  A.  DETHOU,  Liv.  XVII.         (Si 

n'inquieteroit  point  les  Minières,  nilesProfefTeurs  des  collèges, 
s'ils  ne  paflbient  pas  les  bornes  delà  modération,  &  ûa  en  fe  con-  Henri  IL 
tentant  de  ce  qu'on  leur  avoit  accordé ,  ils  attendoient  en  paix  i  5  5  6. 
la  réfolution  que  prendroit  la  Diète.  Les  députez  perfiftant 
toujours  dans  leurs  demandes,  le  Roi  leur  oppofa  l'éditd'Auf- 
bourg,  &  leur  fit  fentir  qu'ils  dévoient  être  fatisfaits  de  l'indul- 
gence qu'on  avoit  pour  eux.  Malgré  ce  difcours ,  ils  protefte-* 
rent  qu'ils  ne  fe  déiifteroient  jamais  de  leurs  propofitions ,  par- 
ce qu'il  leur  avoit  été  ordonné  de  ne  rien  promettre ,  avant 
que  l'on  eût  fuffifamment  pourvu  à  la  fureté  de  leurs  Miniftres 
ôc  des  ProfefTeurs  de  leurs  collèges.  Chacun  fe  retira ,  fans 
qu'il  eût  été  rien  décidé.  L'afTemblée  d'Autriche  s'étant  fepa- 
rée,  le  Roi  fe  rendit  en  Bohême,  ôc  ayant  convoqué  à  Prague 
les  états  des  Provinces  voifines ,  il  obtint  l'argent  qu'il  avoit 
demandé  pour  lever  des  troupes  contre  le  Turc.  Enfuite  il 
écrivit  à  ceux  qui  étoient  déjà  à  Ratifbonne ,  pour  leur  faire 
fçavoîr  la  caufe  de  fon  retardement  î  &  comme  il  falloit  qu'il 
retournât  promptement  à  Vienne  pour  faire  les  préparatifs  de 
la  guerre  contre  le  Grand-Seigneur ,  il  indiqua  la  Diète  de 
l'Empire  ,  pour  le  premier  de  Juin. 

Les  Bavarois  fe  comportèrent ,  comme  les  Autrichiens ,  à 
l'égard  d'Albert  leur  Prince ,  gendre  du  roi  Ferdinand.  Infor- 
mez qu'il  devoit  leur  demander  de  l'argent,  ils  le  prièrent  de 
leur  accorder  la  permifïion  de  communier  fous  les  deux  efpe- 
ces ,  &  de  manger  de  la  viande,  les  jours  d'abftinence,  lors- 
que lanécefTité  l'exigeroit.  Albert  leur  dit  d'abord,  quelebe- 
foin  qu'il  avoit  d'argent  ne  lui  feroit  jamais  trahir  la  religion 
de  fes  Pères  ;  il  leur  promit  néanmoins  d'engager  l'archevêque 
de  Salzbourg  &  les  autres  Prélats  à  confentir  qu'il  leur  accor- 
dât cette  grâce.  Quelque  tems  auparavant  ,  l'erreur  d'André 
Ofiander  touchant  la  justification  avoit  excité  de  grands  trou- 
bles en  Prufle,  où  elle  avoit  été  unanimement  condamnée. 
Albert  duc  de  Prufle  fe  laifla  perfuader  alors  par  les  lettres 
d'Albert  duc  de  Mekelbourg  fon  gendre  ,  qui  avoit  quelque      Plufeiir* 
teinture  des  belles  Lettres ,  ôc  fit  publier  un  écrit  où.  il  déclara  a^ilema"  ne 
qu'il  embraiToit  la  Confeffion  d'Ausbourg  5  il  manda  en  même  embraflfent  la 
tems  aux  J^liniftres  eccléfiaftiques,  de  ne  rien  enfeigner  que  de  JaiSou"p 
conforme  à  cette  doctrine  s  6c  il  leur  promit  de  les  protéger, 
s'ils  fe  foûmettoient  à  fes  ordres,  Le  duc  de  Mekelbourg 

Hiij 


6i  HISTOIRE 

entreprit  aufîî  de  faire  changer  de  fentiment  à  Jean  Funk ,  hom- 
ljfnri  me  profond,  qui  s'eft  attiré  Peftime  ôc  les  louanges  des  fça- 
c  6      vans  3  Par  ^es  ta^^es  Chronologiques  qu'il  a  dreffces  avec  une 

'  très-grande  exactitude.  Le  duc  y  réuffît  ,  avec  le  fecours  de 
quelques  perfonnes  dotées  :  on  vit  donc  ce  perfonnage  ,  qui 
tenoit  le  premier  rang  entre  les  Ofiandriftes  ,  reconnoitre 
fon  erreur  ,  la  détefter  ,  6c  promettre  enfin  qu'il  n'enfeig- 
neroit  jamais  d'autre  doctrine  que  celle  qui  feroit  conforme  à 
la  Confeffion  d'Ausbourg.  La  même  année  le  Confeil  de  Spi- 
re reçut  dans  cette  ville  deux  Miniftres ,  pour  y  enfeigner  la 
même  doctrine.  Charle  marquis  de  Bade  l'embralla  auffi ,  ÔC 
fit  venir  des  Miniftres  pour  établir  des  églifes  Luthériennes 
dans  fes  Etats.  Au  milieu  de  ces  troubles  ,  les  Froteftans ,  que 
la  précaution  plutôt  que  l'honneur ,  avoit  ci-devant  engagez 
à  rompre  l'alliance  qu'ils  avoient  faite  avec  nous,  commen- 
cèrent à  craindre  que  le  Roi  ne  leur  fît  fentir  les  effets  de  fon 
indignation.  Ayant  entendu  parler  d'une  trêve ,  ils  la  regardèrent 
comme  une  confpiration  que  les  Princes  Catholiques  avoient 
faite  pour  les  perdre ,  ôc  ils  s'imaginèrent  que  le  cardinal 
d'Ausbourg,  qu'ils  regardoient  comme  leur  plus  cruel  enne- 

*  mi ,  n'avoit  entrepris  le  voyage  d'Italie  ,  que  dans  le  deffein 
d'aller  à  Rome,  pour  conférer  fecretement  avec  le  Pape,  qui 
diffimuloit  l'union  qu'il  y  avoit  entre  l'Empereur  ôc  lui.  Ils 
croyoient  auffi  que  dans  ce  deflein  les  Electeurs  de  Mayencc  ôc 
de  Cologne,ôc  celui  de  Tréves,nommé  Jean  de  Leïen  fuccefïeur 
de  Jean  Yfemburg  mort  au  mois  de  Février ,  avoient  quelque 
tems  auparavant  prétexté  d'aller  prendre  les  bains,  pour  con- 
férer enfemble  à  ce  fujet;  ôc  que  vivement  touchez  de  l'édit 
qu'on  avoit  publié  à  Ausbourg  l'année  précédente,  en  faveur 
des  Proteftans,ils  n'avoient  d'autre  but  que  de  le  faire  fupprimer, 
ôc  de  rétablir  dans  l'Allemagne  la  jurifdiction  Eccléfiafti- 
que  ;  que  le  Pape  en  avoit  fouvent  conféré  avec  le  cardinal 
d'Ausbourg  ,  qu'il  avoit  difpenfé  l'Empereur  de  fon  ferment , 
ôc  qu'il  avoit  promis  de  fournir  beaucoup  d'argent  ôc  de 
troupes  pour  cette  guerre  >  qu'enfin  le  roi  Philippe  ,  qu'on 
avoit  deftiné  pour  être  à  la  tête  de  cette  entreprife,  de  voit  le- 
ver dix  mille  hommes  d'infanterie ,  ôc  les  choifir  fur-tout,  en- 
tre les  Allemands  ,  pour  mieux  cacher  le  deffein  qu'on  avoit 
pris  5  ôc  que  tandis  que  les  Princes  occupez  à  la  Diète  de 


DEJ.  A.  DETHÔU,Liv.  XVII.        63 

Ratisbonne  feroient  éloignez  de  leurs  Etats ,  il  devoit  fondre 

tout  d'un  coup  fur  les  Proteftans ,  avec  toutes  fes  troupes.  Henri  II. 

Mais  le  cardinal  d' Ausbourg  ,  qui  étoit  revenu  depuis  peu      1  c-  c  <5. 
de  Rome,  où  il  avoit  palTé  une  année  entière,  étant  .fur  le 


Lettre  cir- 


cardinal 
d'Auibourg. 


point  d'y  retourner,  changea  de  réfolution,  afin  de  détruire  culaire  du 
les  foupçons  que  les  Proteftans  avoient  conçus ,  ôc  il  fe  jufti- 
fia  fur  la  fin  de  Mai ,  par  une  lettre  circulaire  écrite  en  langue 
vulgaire.il  fit  voir  que  ces  bruits  n'étoient  qu'une  calomnie ,  que 
les  ennemis  du  repos  public  débitoient,femblableà  celle  qu'Otto 
Becken  chancelier  de  George  de  Saxe  avoit  inventée  l'an  1528, 
au  fujet  de  la  conjuration  contre  le  Landgrave  de  HefTe ,  ôc 
FElecleur  de  Saxe  5  que  le  mal  étant  retombé  fur  l'auteur  de 
la  première,  qui  eut  la  tête  tranchée  à  Anvers ,  il  arriveroit  aufli 
que  ceux  qui  avoient  inventé  la  féconde ,  pourraient  en  ref- 
fentir  les  funeftes  effets.  Enfuiteil  aiîura  ,  que  tandis  qu'il  étoit 
à  Rome,  lefouverain  Pontife  ne  lui  avoit  jamais  parlé  de  cet 
edit,  ni  de  la  guerre  dont  il  étoit  queftion  ;  que  les  Princes  n'a- 
voient  jamais  eu  de  deffeins  femblables  à  ceux  qu'on  leur  im- 
putoit ,  non  plus  que  le  Pape  ,  qui  ne  fongeoit  qu'à  réfor- 
mer les  abus  qui  s'étoient  gliffez  dans  PEglife  ,  Ôc  qui  avoit 
daigné  l'employer  dans  cette  affaire,  avec  ceux  qu'il  avoit  choi- 
fis  parmi  toutes  les  nations  pour  ce  même  deffein.  Que  cette 
affaire  l'avoit  obligé  de  refter  à  Rome,  plus  long-tems  qu'il 
ne  l'efperoit.  Qu'au  refte  >  quoiqu'il  eût  un  defir  extrême  de 
conferver  la  religion  qu'il  avoit  reçue  de  fes  pères ,  il  étoit  ce- 
pendant bien  éloigné  de  la  penfée  de  la  guerre.  »  II"  n'y  a  ,dit-il> 
=>  aucun  fervice  que  je  ne  fois  prêt  de  rendre  aux  Princes  de 
«  l'Empire,  Ôc  même  au  marquis  Albert ,  quoiqu'il  n'en  ayent 
»>  encore  point  exigé  de  moi.  Je  ferai  aufli  toujours  difpofé 
°>  à  donner  des  marques  de  mon  amitié  à  l'Electeur  Palatin,  ôc  à 
s'  Chriftophle  de  Wurtemberg,  que  j'ai  toujours  eftimé  àcaufe 
05  de  fa  prudence  ,  de  fa  probité ,  ôc  de  fon  amour  pour  la  paix; 
v  je  n'oublierai  jamais  ^non  plus  le  Landgrave  de  HefTe  , 
«  quoique  les  inventeurs  de  ces  calomnies  fe  foient  efforcez  de 
»  me  commettre  avec  ces  Princes. 

Frédéric  ,  éle&eur  Palatin ,  qui  avoit  époufé  la  princeffe 
Dorothée ,  fille  de  Chriftierne ,  roi  de  Dannemarc  alors  pri- 
fonnier ,  étant  mort  avant  tous  ces  troubles  ,  à  Altzheim  le 
2.6  Février,  accablé  de  vieillefTe,  ôc  fans  enfans,  eut  pour 


6 4  HISTOIRE 

fuccefTeur  le  fils  de  Rupert  fon  frère,  nommé  Otton  Henri; 
Henri  IL  cîu^  zvoh  autrefois  embraffé  hautement  la  confeffion  d'Auf- 
j  ^  ç  ^      bourg ,  &  s'étoit  expofé  à  perdre  la  vie  avec  tous  fes  biens. 
Quelque  tems  après ,  les  Députez  des  Princes  ôc  des  Etats> 
s'afifemblerent  à  Ratisbonne  ,  au   commencement  de  Mars. 
On  y  agita  l'affaire  du  marquis  Albert  ,  6c  on  renvoya  tou- 
tes celles  de  l'Empire  au  mois  d'Avril  fuivant.  Quoique  l'an- 
née précédente  fes  ennemis  euffent  demandé  du  fecours  con- 
tre lui ,  les  Princes  fes  parens   obtinrent  cependant  par  leur 
crédit  ,  qu'il  lui  feroit  permis  de  revenir  en  Allemagne ,  pour 
y  faire  examiner  fon  affaire. 

Enfin  la  diète  commença  le  15*  de  Juillet.  Albert  duc  de 
Bavière  en  fit  l'ouverture  par  l'ordre  du   roi  Ferdinand  >  qui 
ne  put  s'y  trouver,  à  caufe  des  mouvemens  qui  agitoient  la 
Tranfylvanie  ,  comme  nous  le  dirons  dans  la  fuite.  Albert ; 
ayant  donc  fait  voir  les  caufes  légitimes  de  l'abfence  de  fon 
beau-pere ,  ôc  rapporté  ce  qu'on  difoit  des  préparatifs  que  le 
Turc  faifoit  pour  la  guerre  >  dit  qu'il  falloit  fe  déterminer  à 
envoyer  au  plutôt  du  fecours ,  pour  détourner  l'orage  qui  mé- 
naçoit  non  feulement  le  refte  de  l'Autriche  ôc  de  la  Hongrie, 
mais  encore  toute  l'Allemagne  ;  qu'on  devoit  donner  ordre 
aux  Tréforiers ,  de  délivrer  dans  le  befoin  l'argent  qu'on  avoit 
mis  entre  leurs  mains ,  6c  qui  étoit  deftiné  pour  cette  guerre» 
que  puifque  dans  la  dernière  Diète  on  avoit  promis  de  cher- 
cher un  moyen ,  pour  terminer  les  difputes  au  fujet  de  la  Re- 
ligion }  le  Roi  les  exhortoit  à  s'unir  tous  enfemble ,  afin  d'en 
veftir  promptement  à  bout  ;  Qu'on  travaillât  enfin  à  appaifer 
le  peuple,  qui  fe  plaignoit  hautement  de  l'altération   de  la 
monnoye. 
Affaires  de       Pendant  le  cours  de  cette   année,  les  diffentions  6c   les 
Tranfylvanie   troubles  qui  regnoient  dans  la  Tranfylvanie ,  furent  caufe  que 
friedeGue°"ë  Ferdinand  ne  put  fe  trouver  à  la  diète  de  Ratisbonne.  Enfin  , 
contre  les     Pierre  Petrovithz,  ayant  follicité  les  Turcs  de  lui  donner  du 
^UiCS*  fecours,  cette  Province  fe  déclara  pour  Jean ,  parce  que  Fer- 

dinand ,  comme  nous  l'avons  dit  ,  ne  gardoit  pas  le  traité 
qu'on  avoit  fait ,  6c  que  les  foldats  étrangers  ôc  les  Efpagnols 
qu'il  y  avoit  fait  venir  ,  ruinoient  entièrement  la  Province. 
Quelque  tems  après ,  les  troubles  s'étans  aufïi  élevez  dans  la 
Hongrie ,  François  Bevec  6c  George  fon  frère ,  s'emparèrent 

de 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XVII.  S; 
de  quelques  châteaux  &  de  quelques  villes ,  avec  le  fecours 
des  Mœiiens ,  qu'on  appelle  aujourd'hui  les  Valaques.  Les  Henri  IL 
Turcs  accoutumez  à  profiter  des  querelles  des  autres ,  faifi-  i  c  c  6. 
rent  cette  occafion  pour  entrer  dans  la  Hongrie ,  où  ils  n'é- 
roient  pas  venus  depuis  trois  ans  ,  ayant  été  occupez  d'une 
guerre  civile  ôc  de  celle  de  Perfe.  Car  après  le  fameux  liège 
d'Agria,  où  ils  ne  réùfîirent  pas  >  Ferdinand  roi  de  Hongrie 
avoit  envoyé  à  Conftantinople  Antoine  Verautz  ,  évêque  d'A- 
gria ,  &  François  Zay  gouverneur  de  CafTaw*,  pour  y  trai-  *©uCaflbvi<S 
ter  de  la  paix  ;  mais  ces  deux  Ambafladeurs  furent  obligez 
d'y  refter  deux  ans ,  ôc  d'attendre  que  la  guerre  de  Perfe  fût 
achevée  >  avant  de  commencer  leurs  négociations.  Enfin , 
les  Turcs  s'étant  plaints  des  courfes  que  nos  gens  avoient  fai- 
tes ,  le  Bâcha  Thuigon ,  autrement  Cicogne  ,  qui  étoit  gou- 
verneur de  Bude,  réfolut  de  s'en  venger  par  les  armes.  Leurs 
plaintes  avoient  quelque  fondement  ;  car  les  Heidons ,  ou  Hei- 
douts,  accoutumez  aux  brigandages,  ôc  qui  prennent  parti, 
fans  recevoir  aucune  folde ,  faifoient  de  fréquentes  courfes 
aux  environs  de  Zigeth ,  de  Bacboza ,  ôc  des  places  voifines 
de  Cinq-Eglifes ,  ôc  pilloient  très-fouvent  les  petites  barques 
des  Turcs  :  ce  que  Ferdinand  ne  pouvoit  empêcher ,  parce 
qu'il  ne  vouloit  pas  leur  faire  de  la  peine ,  ni  les  avoir  pour 
ennemis ,  ôc  que  d'ailleurs  ils  ne  lui  étoient  attachez  par  au- 
cun ferment,  ôc  ne  recevoient  de  lui  aucune  folde. 

Thuigon  ayant  donc  levé  une  armée  de  deux  cens  mille 
hommes ,  s'empara  de  Capozwivar ,  par  la  défection  des  al- 
liez :  il  prit  enfuite  Bacboza,  où  il  n'exerça  aucunes  cruautez, 
parce  que  cette  ville  s'étoit  rendue"  volontairement.  Lorfqu'il 
eût  paffé  plus  avant ,  ôc  jette  la  terreur  de  tous  cotez ,  il  at- 
taqua avec  la  même  confiance  Zigeth ,  où  étoit  Kereczeni , 
ôc  campa  à  la  portée  de  la  coulevrine  de  cette  place  ;  mais 
un  boulet  de  canon ,  qui  pafîa  au  travers  de  fa  tente  ,  l'obli- 
gea de  fe  retirer ,  comme  s'il  eût  voulu  déjà  lever  le  fiége. 
Cette  retraite  ayant  ranimé  la  garnifon,  elle  le  battit  deux  fois; 
ôc  lui  tua  trois  cens  de  fes  foldats.  Picqué  de  ce  mauvais  fuc- 
çès ,  il  voulut  faire  approcher  fon  canon  ;  mais  la  fermeté  des 
alïiégez  l'épouvanta.  Enfin ,  à  la  perfuafion  de  fes  gens  ,  qui 
lui  repréfenterent  que  l'hiver  approchoit,  il  abandonna  cette 
place.  Ces  chofes  s'étoient  pafTées  l'année  précédente. 
Tome  IJ1%  I 


€6  HISTOIRE 

h  ,       Au  commencement  du  printems ,  Soliman  ayant  fait  Verne 
Henri  II   ^e  Per^e  ^e  Bâcha  ^an  »  Albanois ,  il  l'envoya  dans  la  Hongrie, 
!  ç  ç-  5  '  avec  ordre  de  ne  point  entrer  dans  Bude,  capitale  de  la  Pro- 
vince ,  que  Zigeth  n'eût  été  pris.  Lorfque  Hali  fut  arrivé  à 
Sirmifch ,  il  envoya  dire  à  Ferdinand  qu'il  étoit  prêt  d'afïiéger 
Zigeth.  Le  Roi  répondit,  qu'il  n'agiroit  pas  fuivant  le  droit  ÔC 
la  juftice  ,  s'il  le  faifoit  3  puifque  {qs  Àmbaflfadeurs  étoient  en- 
core à  Conftantinople ,  ôc  qu'il  n'avoit  donné  aucun  fujet  aux 
Turcs  de  lui  faire  la  guerre  :  qu'il  le  prioit  donc  de  ne  pas  ve- 
nir à  ces  extrêmitez  ;  que  cependant  s'il  vouloit  prendre  la 
Voye  des  armes ,  il  étoit  prêt  de  fe  défendre  ,  quoique  malgré 
lui.  Mais  le  Bâcha  ayant  fait  venir  Dervis ,  Ameth,  ôcNaffouf, 
gouverneurs  de   Cinq-Eglifes ,  de  Bacboza  ôc  de  Kophan  ,  il 
Campa  à  un  mille  de  Zigeth.  Marc  Hoiwath  ,  qui  comman- 
dent dans  la  Ville  à  la  place  de  Kereczeni ,  avoit  fait  prêter 
ferment  à  la  garnifon  3  qui  lui  promit  de  défendre  la  liberté 
de  la  patrie  jufqu'à  la  dernière  extrémité  ,  Ôc  de  périr  pour 
elle. 
Siège  de         II  y  avoit  dans  la  place  deux  mille  hommes  d'infanterie  » 
Zigeth  par  le  fous  }a  conduite  de  Benoît  Top ordii,  ôc  de  Jacque  Radovan- 
vayda:  Sebaftien  Vilaki  y  commandoit  aufli  cent-quatre-vingt 
cavaliers.  Cette  ville  ,  plus  forte  par  fa  fituation  que  par  fes 
fortifications,  ôc  qui  eft  très-peuplée  ',  a  été  fondée,  fuivant  les 
annales  de  Hongrie,  par  un  Seigneur  nommé  Anteme,  illu- 
ftre  par  fa  nailfance ,  ôc  très-riche.  Bâtie  dans  une  plaine  ma- 
rêcageufe,  qui  lui  a  donné  fon  nom ,  elle  a  un  Lac  du  côté 
du  Septentrion  ,  d'où  l'on  fait  aifément  venir  de  l'eau  dans  un 
triple  foffé.  Du  côté  du  Couchant ,  elle  s'étend  au-deflbus  de 
la  citadelle  3  on  ne  fçauroit  y  faire  des  mines  à  caufe  de  la  na- 
ture du  terrein.  La  citadelle  eft  environnée  de  deux  baftions ,  ôc 
de  remparts  formez  de  fafeines,  de  branches  d'arbres,  ôc  de  terre3 
comme  font  ordinairement  les  fortifications  faites  à  la  hâte. 

Lorfque  les  ennemis  approchèrent ,  ils  défendirent  aux  payi- 
fans  d'alentour  d'apporter  des  vivres  à  la  Ville.  Les  Turcs 
furent  d'abord  repoulfés  par  les  fréquentes  forties  de  la  garni- 
fon ,  ôc  perdirent  beaucoup  de  foldats.  Enfin  Hali  arriva 
avec  toutes  fes  troupes  le  2  de  Juin  ,  ôc  après  avoir  reconnu 
la  place  ,  il  la  fomma  de  fe  rendre ,  par  une  lettre  qu'il  envoya 
aux  aiTiégez.  Mais  ceux-ci  la  déchirèrent  fans  l'avoir  lue  :  eu 


DE  J.  A.   DETHOU,Liv.  XVII.        <f7 
•même-rems  ils  firent  une  fortie  ,  ôc  combattirent  depuis  midi 


jufqu'à  la  nuit.  Trois  jours  après,  les  Turcs  rirent  pointer  neuf  jjenri  II 
pièces  de  canon  contre  la  citadelle  .  du  côté  du  Midi  ;  ôc  la  i  <r  <r  $ 
nuit  fuivante  ils  firent  des  retranchemens  dans  leur  camp.  Alors 
ils  commencèrent  à  battre  un  des  bâfrions  5  mais  Radovanii 
ayant  fait  une  fortie  fur  eux  avec  cinquante  Arquebufiers,  en 
tua  un  grand  nombre.  Enfuite  Hali  ayant  fait  jetter  des  bom- 
bes ,  brûla  plufieurs  maifons  de  la  Ville  ôc  une  partie  des  mu- 
railles, qui  n'étoient  faites  que  de  terre  ôc  de  paille.  De-là  il 
fit  battre  la  porte  delà  citadelle  Ôc  le  mur  du  côté  de  l'Orient. 
Enfin  ayant  abattu  ôc  rafé  le  baftion ,  où  Michel  ôc  Grégoire 
Bikfith  perdirent  la  vie,  il  fit  élever  le  21  de  Juin  pendant  la 
iiuit  &  à  la  faveur  du  clair  de  Lune,  auprès  des  moulins  à  bled  > 
des  plate-formes  pour  pofer   le  canon. 

Le  lendemain  les  alîiégez  entreprirent  de  les  abattre  ,  mais  ils 
ne  réiiilirent  point  ;  enfuite  les  Turcs  comblèrent  le  foflé  avec 
une  prodigieufe  quantité  de  bois  ,  ôc  ayant  fait  tirer  toutes 
leurs  batteries  ôc  fait  une  grande  brèche  aux  murs  delà  ville, 
ils  donnèrent  un  affaut  général.  Les  alîiégez  les  repoufTerent 
quatre  fois;  mais  ils  perdirent  aufîi  plufieurs  de  leurs  foldats. 
Enfin  ils  vinrent  à  bout  de  mettre  le  feu  au  bois  que  l'ennemi 
avoit  fait  jetter  dans  le  fofTé,  ôc  qu'à  peine  dix  mille  charretes 
auroient  pu  porter.  Au  cinquième  aiïaut  ,  les  alîiégez  aban- 
donnèrent la  place  ôc  fe  retirèrent  dans  la  citadelle.  Les  Turcs 
entrèrent  aufïï-tôt  dans  la  ville ,  plantèrent  leurs  drapeaux  vis- 
à-vis  la  citadelle,  ôc  environnèrent  le  folié  de  tous  cotez. 

Les  officiers  ôc  les  foldats  de  la  garnifon  ,  mêlez  avec  les      La  place  eft 
habitans  ,  voyant  qu'ils   ne  pouvoient  demeurer  en  Ci  grand  prife,  &  repri- 
nombre  dans  un  lieu  fi  relTerré,  firent  leurs  prières  à  Dieu  ,  [eaut  *orPsr 
ôc  s'étant  abandonnez  à  famiféricorde,  ils  fortirent  par  un  en-  même.  b 
droit  inconnu  aux  ennemis  3  d'où  ils  vinrent  fondre  fur  eux 
avec  un  courage  intrépide.   Ils  les  furprirent  fi  heureufement , 
qu'après  les  avoir  repoulTés ,  ôc  en  avoir  taillé  en  pièces  plus 
de  quatre-vingts ,  ils  reprirent  fur  eux  la  ville.  Nafibuf  gou- 
verneur de  Kophan  ,  qui  étoit  d'une  taille  prodigieufement 
haute,  ôc  aufîi  vaillant  que  cruel,  perdit  la  vie  dans  ce  com- 
bat. Ce  guerrier  enyvré  de  fes  fuccès,  qui  ne  refpiroit  que  le 
carnage  ,  ôc  qui  s'étoit  rendu  formidable  par  la  grandeur  déme- 
surée de  fon  corps ,  reçut  un  coup  de  cimeterre,  qu'un  Heidou 

Jij 


6S  HISTOIRE 

lui  donna  au  travers  du  ventre  ,  d'où  il  lui  fit  forcir  îes  en- 
H  rt  tt  trailles ,  en  le  retirant  avec  violence.  Ameth  fut  tué  d'un  coup 
g  '  d'arquebufe,  ôc  l'Aga  fut  pris.  On  planta  les  têtes  de  vingt- 
'  *  *  neuf  des  principaux  qui  avoient  été  tués ,  fur  les  crenaux  des 
murailles  de  la  citadelle,  pour  jetter  la  terreur  dans  le  camp 
des  ennemis.  Cette  victoire  coûta  beaucoup  aux  affiégez.  Jean 
Hagmafii,  George  Palladii  J  Jean  Hofthothii,  George  Zekel 
6c  Macedonay ,  braves  officiers,  perdirent  la  vie  dans  ce  com- 
bat, avec  quelques  autres  capitaines.  Radovanii  yfutblelfé  ,■ 
mais  fa  bleflure  n'étant  pas  dangereufe,  il  fut  bien-tôt  guéri. 
Le  lendemain  Hali  ,  fans  paroître  touché  de  la  perte  qu'il 
avoit  faite  ,  fît  drefler  quatre  groiTes  pièces  de  canon ,  pour  bat- 
tre  les  fortifications  du  côté  de  l'Occident  5  ôc  au  milieu  de  la 
nuit  il  fit  faire  des  retranchemens,  près  d'une  levée  qu'on  appel- 
îoit  Henyeii.  En  même-tems  on  amena  le  refte  du  canon 
pour  abattre  une  tour  ôc  une  porte  de  pierre, ôc  pour rafer  une 
muraille  qui  joignoit  l'une  Ôc  l'autre.  Il  environna  la  ville  de 
tous  cotez  ,  ôc  laifla  feulement  deux  efpaces ,  par  où  il  pût  at- 
taquer ôc  fe  retirer.  L'un  étoitdu  côté  de  l'Occident,  vers  les 
moulins  à  bled,  au-deiïous  delà  levée  qui  retenoit l'eau  qu'on- 
faifoit  venir  du  marais,  comme  par  un  canal,  dans  les  foiTés 
de  la  ville  ôc  de  la  citadelle  5  l'autre  étoit  fitué  vers  la  levée  de 
Henyeii  :  On  ne  ceffoit  d'amaffer  dans  ces  deux  efpaces  des- 
matières  propres  à  combler  le  fofTé  ,  ôc  l'on  employa  cinq  jours 
à  le  mettre  à  fec.  Après  ce  travail  on  éleva  une  plate-forme 
vis-à-vis  la  citadelle  5  on  recommença  à  faire  tirer  les  batte- 
ries ,  ôc  on  livra  quelques  combats.  Les  affiégez  perdirent 
George  Kifdefii ,  Demetrius  ThefTenii,  ôc  Pierre  Petrudii;  en- 
fuite  les  ennemis  jetterent  dans  le  foffé  ,  au-dellous  de  la  cita- 
delle du  côté  de  l'Orient ,  tout  le  bois  ôc  les  autres  chofes* 
dont  ils  avoient  chargé  vingt  mille  charretes.  Mais  les  affié- 
gésy  ayant  mis  le  feu  ,  tout  fut  confumé.  Les  ennemis  étant- 
venus  pour  l'éteindre,  on  les  attaqua  avec  tant  vigueur,  qu'ils5 
perdirent  fept  cens  hommes,  qui  furent  tués  fur  la  place.  Il  y 
périt  auffi  un  grand  nombre  des  affiégez  >  ôc  entr'autres  le  che- 
valier Nicolas  Czernel ,  le  capitaine  Baiogh  ,  Ôc  François  Kefas, 
qui  reçut  une  bleffure  ,  dont  il  mourut  peu  detems  après.  Les 
1  urcs  firent  pendant  la  nuit  la  même  tentative ,  du  côté  qui 
regarde  le  Couchant;  mais  ils  n'eurent  pas  plutôt  jette  le  bcÎ3 


DE  J.  A.   DE  THOU  ,  Liv.  XVIL        6p 

dans  le  fofle  ,  qu'on  y  mit  aufïï  le  feu ,  ôc  ils  perdirent  en  cette 
occafion  quatre  cens  hommes.  Les  afïiégez  perdirent  Lazare  Henri  II» 
Nagh  ,  Martin  Radovanii  ,  &  Valentin  Thot ,  tués  dans  le     x^  $t 
combat. 

Hali  voyant  que  tous  fes  efforts  ne  pouvoient  ébranler  le 
courage  des  afïiégez ,  voulut  employer  la  rufe  pour  les  vaincre? 
il  les  exhorta  par  des  promeffes  ôc  des  marques  de  bienveillance  3 
à  ne  pas  différer  plus  long-tems  de  fe  rendre.  Les  afïiégez  ayant 
méprifé  fes  offres ,  il  eut  encore  recours  aux  armes.  Aufïi-tôt 
il  fit  combler  les  foffés  de  terre  rapportée  ,  ôc  les  fit  border  de 
trois  rangs  de  gabions ,  avec  des  facs  à  terre  par-deffus  }  fur 
lefquels  il  fit  monter  des  Janiffaires  armés  d'arquebufes ,  qui 
couverts  de  mantelets  3  tiroient  de  là  dans  la  ville  ,  Ôc  y  tuoient 
beaucoup  de  monde  :  Gafpar  Batafeghii  y  fut  dangereufement 
bleffé.  Enfin  le  douze  de  Juillet,  les  Turcs  ayant  dreffé leurs 
batteries  vis-à-vis  la  citadelle ,  ils  firent  pendant  cinq  jours  en- 
tiers de  fi  terribles  décharges  de  toute  leur  artillerie  ,  que  les 
afïiégez  defefpérant  prefque  de  leur  falut ,  furent  obligez  d'en- 
voyer demander  du  fecours  à  Ferdinand  ôc  à  Thomas  Nadaf» 
dii  comte  du  Palais.  Cependant  étant  venus  à  bout  de  démonter 
avec  leur  canon  la  batterie  que  les  Turcs  avoient  dreffée  de- 
vant la  porte  ,  ils  reprirent  courage,  ôc  ayant  fait  une  fortie , 
ils  mirent  promptement  le  feu  dans  ce  grand  amas  de  bois  qui 
rempli ffoit  le  foffé. 

Depuis  ce  jour  jufqu'au  2 1  de  Juillet ,  on  fe  battit  feule- 
ment à  coups  d'arquebufe  ôc  de  canon.  Hali  ne  pouvant  vain- 
cre l'héroïque  opiniâtreté  des  afïiégez  par  la  force  désarmes* 
fit  conduire  fon  canon  pendant  la  nuit  du  coté  de  Cinq-Eglifes* 
fous  prétexte  d'aller  au  fiége  de  Bacboza.  Les  afïiégez  em- 
ployèrent ce  tems  à  réparer  les  ruines  de  la  ville,  comme  fi  le 
lïége  eût  été  levé.  Nadafdii  voulant  obliger  l'ennemi  à  fe  re- 
tirer de  devant  Zigeth  ,  étoit  venu  camper  devant  Bacboza; 
place  fituée  fur  la  rivière  de  Rigné.  Il  s'y  donna  un  combat 
meurtrier  3  dans  lequel  les  Turcs  perdirent  beaucoup  de  mon- 
de. Il  refta  du  côté  des  Hongrois  fur  le  champ  de  bataille  , 
François  Steinenbrun  Mettre  de  Camp ,  ôc  Chriftophle  Baron 
de  Polleviller  3  frère  de  Nicolas ,  vaillant  ôc  fameux  Capitai- 
ne t  qui  fe  trouva  aufïi  à  cette  expédition,  avec  de  bonnes  trou- 
pes qu'il  avoit  levées  dans  la  Franche-Comté  ôc  dans  l'Alfaoe* 

I  iij, 


yo  HISTOIRE 

■  Comme  les  Hongrois  fe  retiroient  après  ce  combat  ,~  pour  aî- 

tt         tt   1er  vers  Canifia  >  ils  perdirent  encore  deux  cens  de  leurs  fol- 

^  '  dats  auprès  du  Drab ,  avec  le  frère  de  Nadafdii  ,  qui  fut  en- 

^  '    *    veloppé  dans  le  carnage.  Hali  voulant  profiter  de  cette  occa- 

(îon  ,  retourna  au  fiége  deZigeth,  &  vint  camper  auprès  de 

la  forêt  d'Hazerduu  >  où  les  Hongrois  eurent  l'avantage  dans 

quelques   efcarmouches,  &  où  Marc  Horthwath  fe  (îgnala 

particulièrement  dans  un  duel  contre  un  Turc ,  qui  fe  préva- 

loit  de  fa  force  ôc  de  fa  valeur  ;  il  le  vainquit ,  lui  coupa  la 

tête  ôc  l'emporta  dans  la  ville  avec  lui. 

Cependant  l'ennemi  dreffoit  toujours  des  embufcades ,  mais 
fans  fuccès.  Il  alla  camper  devant  la  citadelle ,  d'où  il  fut  re- 
pouffé par  la  garhifon  ,  qui  fît  une  prompte  fortie  fur  lui.  Ces 
differens  échecs  n'empêchèrent  pas  les  Turcs  de  faire  des 
plate-formes  ôc  des  retranchemens  de  ce  même  côté  ,  comme 
s'ils  euflent  voulu  continuer  le  fiége.  Ils  recommencèrent  aufïï 
à  tirer  le  canon ,  ôc  à  folliciter  la  garnifon  ,  tantôt  par  des  me- 
naces i  en  expofant  à  leur  vue  les  têtes  de  leurs  compagnons 
ôc  leurs  cadavres  mis  en  pièces ,  ôc  tantôt  en  leur  parlant  de 
la  clémence  de  Soliman.  Mais  pour  toute  réponfe  ,  les  affiégez 
firent  une  fortie  fur  l'ennemi  ôc  le  repoufferent  avec  perte.  JLe 
lendemain  on  donna  un  affaut  général  3  ôc  on  combattit  pen- 
dant huit  heures.  Quoique  la  place  fût  prefque  ruinée  ,  l'en- 
nemi ne  put  jamais  en  chaffer  la  garnifon  ,  ni  l'obliger  à  fe  re- 
tirer dans  la  citadelle.  Le  Bâcha  ayant  donc  perdu  toute  es- 
pérance de  prendre  Zigeth ,  leva  le  fiége  le  29  de  Juillet  , 
comme  s'il  avoit  pris  la  fuite,  ôc  alla  joindre  le  canon  ôc  tout 
l'attirail  de  guerre  qu'il  avoit  déjà  fait  conduire  proche  Cinq- 
Eglifes.  On  dit  qu'il  périt  en  cette  expédition  deux  mille  Turcs, 
ôc  cent-feize  hommes  du  côté  des  affiégez  ;  onramaffa  plus  de 
deux  mille  boulets,  qu'on  garda  pour  s'en  fervir  dans  le  befohv 
Hali  ne  voulant  pas  paroître  n'avoir  rien  fait  dans  cette  cam- 
pagne ,  fit  brûler  ou  rafer  avant  fon  départ  Eacboza ,  Saint- 
Martin  ,  Gerefgal  >  Selye ,  Saint-Lorinz  ôc  Kalmanchze.  Mais 
F  Archiduc  Ferdinand  ,  que  fon  père  avoit  envoyé  au  fecours 
des  affiégez ,  avec  Sforze  Pallavicini,  ôc  de  la  cavalerie  d'élite, 
arrêta  ces  .violences.  Ce  Prince  fe  mit  en  bataille  avec  le  peu 
de  monde  qu'il  avoit, contre  l'armée  formidable  des  Turcs  , 
au-delà   d'une  terre  marécageufe  ,  qu'on  ne  pouvoit  traverfer 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  L  i  v.  XVII.       71 

fans  courir  de  grands  rifques.  Hali  irrité  du  courage  intrépide  ? 

des  Chrétiens ,  ôc  voyant  qu'il  n'avoit  d'autre  parti  à  prendre  Henri  II 
que  de  fuir  honteufement ,  ou  de  faire  une  dangereufe  retraite  ,  $ 

réfolut  de  hazarder  la  bataille.  Il  tourna  la  bride  de  fon  che- 
val ,  ôc  il  étoit  déjà  prêt  à  entrer  dans  le  marais ,  lorfqu'un  ca- 
pitaine Turc  fauta  promptement  du  fien,  ôc  ayant  porté  la  main 
à  la  bride  de  celui  du  Bâcha  ,  avec  une  hardieffe  fans  exem- 
ple ,  l'arrêta  fi  à  propos ,  que  tous  les  Chefs  de  l'armée  des  Turcs 
avouèrent ,  qu'ils  dévoient  leur  falut  à  la  prudence  de  ce  ca- 
pitaine. 

Le  bruit  de  cette  action  s' étant  répandu  jufques  dans  Confc 
tantinople ,  les  Bâchas ,  qui  ne  pouvoient  s'empêcher  d'ap- 
prouver en  fecret  la  prudence  du  capitaine  ,  ne  .voulurent 
pas  néanmoins  qu'une  action  de  cette  nature  demeurât  impu- 
nie j  ils  crurent  que  quelque  bon  fuccès  qu'elle  eût  eu  ,  ce 
feroit  renverfer  les  loix  de  la  difcipline  militaire ,  fi  elle  paf- 
foit  jufqu'à  la  pofterité,  fans  être  fuivie  du  châtiment  qu'elle 
méritoit.  Ils  rappellerent  donc  ce  capitaine,  lui  ôterent  fa 
charge ,  ôc  l'envoyèrent  avec  les  autres  exilez  j  ayant  expié 
fa  faute  par  cette  peine ,  on  lui  donna  quelque  tems  après  un 
emploi  plus  honorable,  afin  que  tout  le  monde  connût  qu'on 
l'avoit  exilé  ,  plutôt  pour  maintenir  la  difcipline ,  que  pour 
punir  fon  action. 

Hali  étoit  eunuque ,  ôc  malgré  ce  défaut ,  avoit  beaucoup  Portraïe 
de  courage.  Il  étoit  petit,  bouffi,  d'un  teint  jaunâtre,  ayant  d'Hatt» 
le  vifage  trifte ,  les  yeux  de  travers ,  la  tête  enfoncée  entre 
deux  épaules  larges  ôc  élevées,  ôc  deux  dents  qui  lui  fortoient 
de  la  bouche ,  femblables  aux  défenfes  d'un  Sanglier.  Tan- 
dis qu'il  étoit  encore  devant  Zigeth,  les  Chrétiens  furprirent  la 
ville  de  Gran  par  efcalade ,  ôc  un  château  voifin  du  même 
nom.  Ils  y  firent  un  grand  butin  ,  ôc  emmenèrent  les  femmes 
ôc  les  enfans.  On  dépêcha  auflî-tôt  au  Bâcha  un  courrier, 
pour  lui  apprendre  cette  nouvelle.  Comme  ce  courrier  ne  la 
lui  annonça  qu'en  tremblant ,  ôc  que  par  la  triftefTe  répandue 
fur  fon  vifage ,  il  faifoit  connoître  à  Hali  qu'il  s'agiffoit  d'un 
grand  malheur  ,  on  alTûre  que  le  Bâcha  fe  mocqua  de  la  conf- 
ternation  du  courrier  ,  d'une  manière  qui  fit  rire  tous  les  afli£* 
tans ,  ôc  que  peu  touché  de  la  perte  d'une  place  ,  qu'il  pou- 
yoit  facilement  reprendre ,  il  lui  dit  :  «  Infenfé ,  de  quoi  me 


72  HISTOIRE 

»  parles-tu ,  de  quelle  perte  fàcheufe  viens-tu  m'entf  ete'nir  ?  Voî- 
Henp  i  II  "  *  ajoûta-t-il  (en  montrant  l'endroit  par  lequel  il  n'étoit  point 
j  c  J"  £  »>homme  )  voilà  ce  qu'on  doit  appeller  une  vraye  perte,  une  per- 
«  te  irréparable  ».  Enfin  ayant  perdu  à  fon  retour  la  meilleure 
partie  de  fon  armée,  par  les  embufcades  ôc  les  courfes  des  Hon- 
grois, il  fe  retira  à  Bude,  découragé  ôc  honteux.  Ce  Général, 
de  qui  on  avoit  conçu  de  fi  hautes  idées ,  mourut  en  cette  ville , 
accablé  d'ennui  ôc  de  chagrin ,  d'avoir  furvêcu  à  une  expédia 
tion  li  malheureufe. 

Quelque  tems  auparavant ,  il  parut  le  6  de  Mars ,  pendant 
douze  jours  entiers ,   une  grande  comète  brillante }  dont  la 
chevelure  enflammée  formoit  quantité  de  plis   ôc   de  replis; 
elle  étoit  au  huitième  degré  de  la  Balance.  L'empereur  Charle 
la  prit  pour  un  préfage  de  fa  mort  prochaine ,  ôc  ne  penfa 
plus  qu'à  faire  préparer  toutes  les  chofes  néceffaires  pour  fon 
1  ou  Hoejr      départ.  Quelques  jours  après ,  il  écrivit  à  Jean  Hoye  *  évë* 
que  d'Ofnabruck ,  ôc  préiident  de  la  Chambre  de  Spire  ,   ôc 
à  fes  afTefTeurs  ;  il  leur  exprima  fes  intentions  par  une  lettre 
remplie  de  termes ,  qui  marquoient  la  vive  amitié  qu'il  avoit 
pour  eux.  Ayant  defTein  de  faire  voile  en  Efpagne  ,  il  partit 
Ibr  la  fin  d'Août  pour  aller  à  la  citadelle  de  Zuitbourg  en 
Zelande ,  qu'il  avoit  fait  bâtir.  Avant  de  s'embarquer  il  écri- 
vit aux  Etats  de  l'Empire  le  7  de  Septembre,  ôc  leur  manda 
qu'il  avoit  mis  entre  les  mains  de  Ferdinand  fon  frère  les  rênes 
de  l'Empire ,  ôc  les  exhorta  à  lui  rendre  dans  la  fuite  l'obéïf- 
fànce  qui  lui  étoit  due.    Mais  comme  l'Empereur  n'ignoroit 
pas  que  les  fept  Electeurs  qui  l'avoient  élu ,  n'euffent  un  plein 
pouvoir  d'en  élire  un  autre ,  ôc  de  recevoir  fa  cefîion  ôc  fon 
abdication  ,  ôc  qu'enfin,  on  ne  pouvoit  rien  faire  fans  leur  con- 
fentement  ôc  leur  autorité ,  il  leur  envoya  une  magnifique  am- 
bafTade ,   dont  les  chefs  étoient  Guillaume  de  Naffau  prince 
d'Orange  ,  George  Sigifmond  Selden  garde  des  Sceaux ,  ôc 
Volfang  Haler  fecretaire.  Ils  n'exécutèrent  leurs  ordres  que 
deux  ans  après ,  ou  parce  que  la  trêve  entre  Philippe  ôc  le 
Roi  de  France  ayant  été  rompue ,  après  le  départ  de  Charle-- 
Quint  des  Payis-Bas ,  tout  le  monde  attendoit  l'événement 
de  cette  guerre  ;  ou  parce  que ,  fur  ces  entrefaites ,  trois  E- 
îetteurs  étans  morts ,  ôc  trois  autres  leur  ayant  fuccedé  ,  on 
jugeoit  que  de  femblables  conjonctures  n'étoient  pas  propres, 

pour 


DE   J.  A.  DE   THOU,Liv.  XVIL         73 

pour  tenir  une  Diète.  En  effet,  Frédéric,  électeur  Palatin,  ^^ 
étant  mort  quelque  tems  auparavant ,  comme  nous  l'avons  Henri  II. 
déjà  dit,  avoiteu  pour  fucceffeur  Othon  Henri ,  peu  favora-  i  S  S  $\ 
ble  à  la  maifon  d'Autriche ,  à  caufe  de  ce  qui  s'étoit  paffé  au- 
trefois à  fon  égard.  Jean- archevêque  de  Trêves,  de  la  maifon 
des  comtes  d'Ifembourg,  qui  mourut  un  peu  après  Frédéric, 
eut  pour  fuccefleur  Jean  de  Le'ïen.  Enfin  Adolfe  ,  électeur 
de  Cologne,  étant  auffi  mort,  Antoine  fon  frère  fût  élu  en 
fa  place.  Ces  trois  Princes  étant  revêtus  d'une  plus  éminente 
dignité,  que  celle  qu'ils  avoient  auparavant,  étoient  occupez  à 
mettre  ordre  aux  affaires  de  leurs  Etats.  Ainfi  l'Empereur,  fans 
attendre  le  départ  des  Ambaffadeurs ,  congédia  Philippe  fon 
fils ,  &  le  Duc  de  Savoye ,  qui  étoient  venus  pour  le  voir. 
Enfuite  il  partit  de  Zuitbourg  en  Zelande  avec  fes  fceurs, 
Eleonor  reine  de  France,  ôc  Marie  reine  de  Hongrie,  le  dix- 
fept  de  Septembre,  le  foleil  étant  dans  le  figne  de  la  Balan- 
ce, ôc  la  lune  dans  celui  des  Poiffons ,  à  iept  heures  du  foir, 
un  peu  après  le  coucher  du  foleil  :  car  ces  circonstances 
ont  été  remarquées  exactement.  La  flotte  étoit  compofée  de 
feize  vaiffeaux  de  guerre  des  côtes  de  Bifcaye ,  ôc  de  vingt 
autres  de  celles  de  Flandre,  fans  compter  l'Amiral  qu'il  mon- 
toit ,  ôc  une  grande  quantité  de  petits  vaiffeaux  Hollandois, 
Plufieurs  navires  Anglois ,  au  nombre  de  vingt  ôc  un ,  joigne 
rent  la  flotte?  fçavoir,  fept  vers  Porthmouth ,  fept  proche 
l'ide  de  Wight,  Ôc  fept  dans  la  Manche. 

L'Empereur  ayant  eu  le  vent  favorable  arriva  en  Efpagne,  b?harIer  V" 
fans  avoir  fouffert  aucune  incommodité ,  ôc  aborda  au  port  couronnes 
de  Laredo  en  Bifcaye,  où  un  grand  nombre  de  Seigneurs, 
de  Gentilshommes,  Ôc  de  Députez  des  villes  de  ce  royau- 
me le  reçurent  ôc  le  félicitèrent  fur  fon  heureux  retour.  Les 
Impériaux  rapportent  ,  qu'il  ne  fut  pas  plutôt  forti  de  fon 
vaiffeau  ,  qu'il  fe  mit  à  genoux ,  ôc  baifa  la  terre ,  en  pronon- 
çant ces  mots  :  Je  te  Jalué ,  mère ,  que  fat  tant  défirée  :  je  fuis 
forti  nud  du  fein  de  ma  mère  >  &  je  reviens  nud  four  entrer  dans 
le  tien  ,  comme  dans  celui  dyune  autre  mère  j  je  ne  puis  iojfrir  > 
pour  les  fervices  que  tu  m'as  rendus  >  que  mon  corps  &  mes  os  > 
ref  ois-les  donc ,  je  te  les  donne ,  &  te  les  confacre.  En  même 
tems  il  penfa  à  faire  foîemnellement  la  démiiîion  ,  qu'il  avoit 
déjà  faite  en  faveur  de  fon  fils  :  voici  l'ordre  qu'on  obferva 
Tom.  III.  K  ' 


74  HISTOIRE 

■""■'  ■"'"■—  dans  cette  cérémonie.  Dans  toutes  les  villes  qui  avoient  droit 
Henri  II.  de  tenir  des  aflemblées  publiques,  deux  Hérauts  revêtus  des 
1  5  S  6*  niarcîues  de  la  dignité  royale  ,  ôc  portant  fur  leurs  habits  les 
armes  du  Royaume ,  parurent  debout  ,  vis-à-vis  l'un  de  l'au- 
tre ,  fur  une  eftrade  où  l'un  donna  ôc  l'autre  reçut  le  Scep- 
tre, l'Epée  ôc  le  Cafque  >  enfuite  le  premier  parla  en  ces  ter- 
mes. «  Que  l'Efpagne  ôc  toutes  les  Provinces  de  ce  Royau- 
«  me  joùiiTent  heureufement  ôc  en  paix  des  fruits  d'une  ac- 
»  tion  fi  noble  ôc  fi  généreufe.  L'Empereur  Charle-Quint  , 
a»  roi  légitime  des  Efpagnes ,  fe  dépouille  de  plein-gré  de  tou- 
35  te  fa  puhTance,  ôc  veut  que  Philippe  fon  fils ,  à  qui  il  cède 
»  tous  fes  biens ,  monte  fur  le  Trône ,  ôc  qu'il  foit  revêtu  de 
«  tous  les  droits  de  la  Couronne  ;  qu'il  règne  ,  qu'il  poflede , 
m  ôc  puifle  transférer  à  d'autres  les  mêmes  droits  ,  fuivant  les 
35  anciens  ufages ,  ôc  les  loix  qu'on  obferve  dans  les  ceilions 
95  publiques,  ôc  particulières  ».  Après  avoir  ainfi  parlé,  il  fe  retira. 
L'autre  refta,  &  promit  au  nom  du  nouveau  Roi  >  de  travailler 
férieufement  à  la  fureté  de  fon  royaume  ,  ôc  à  procurer  le 
bonheur  de  fes  fujets  :  cette  cérémonie  fut  obfervée  dans 
chaque  ville ,  au  milieu  des  applaudiflemens  Ôc  des  fignes  d'une 
joye  univerfelle. 

Enfuite  Charle  partit  en  litière  pour  fe  rendre  à  Vaillado- 
lid,  où  l'on  élevoit  D.  Carlos  fon  petit- fils.  Il  y  pafla  deux 
jours  ,  qu'il  employa  à  lui  donner  des  préceptes  propres 
à  le  former  dans  la  vertu  Ôc  à  lui  infpirer  le  defir  d'acquérir  delà 
gloire.  De  cette  ville,  il  alla  dans  une  vallée  fituée  fur  les  fron- 
tières de  Portugal,  qu'un  air  tempéré  ,  des  collines  riantes , 
des  fontaines  ôc  des  ruifleaux  qui  l'arrofent ,  rendent  très-agréa- 
ble. On  rapporte  que  ce  fut  dans  cet  endroit ,  que  le  grand 
capitaine  Sertorius,  exilé  de  fa  patrie  par  la  profcription  de  Sylla, 
fe  retira  autrefois ,  Ôc  que  ce  fut  là  qu'il  perdit  la  vie  par  la  trahi- 
fon  de  ceux  de  fon  parti.  Il  y  a  maintenant  dans  cette  vallée  un 
Monaftere  de  Jeronimites  ,  lltué  à  huit  milles  de  Palencia,  pro- 
che de  Xarandilla  ,  ôc  environné  de  tous  cotez  de  hautes 
montagnes.  Charle  fe  retira  dans  ce  Couvent ,  où  il  ne  gar- 
da que  douze  perfonnes  pour  le  fervir  ,  ôc  un  cheval  pour  en 
faire  ufage  dans  lebefoin  ,  à  caufe  de  fa  foiblefTe  &  defesin- 
firmitez.  Il  n'y  fut  pas  plutôt  arrivé ,  qu'il  apprit  avec  dou- 
jeur  que  la  trêve  étoit  rompue.  Cependant  il  feconfola,  par 


X 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XVII.        7f 

1  efperance  >  que  la  témérité  d'un  Pape  peu  judicieux,  ôc  la 

perfidie  des  Caraffes  mettroient  bien-tôt  des   bornes  à  nos  J-[ENÎU  u# 

heureux  fuccès.  i  r  r  <5. 

Jean  Sleidan  ,   qui  a  écrit  avec  beaucoup  d'exa&itude  ôc 
de  fidélité  l'hiftoire  de  fon  teins,  mourut  d'une  maladie  épi-  fieû°s  s$L 
demique  fur  la  fin  d'Oclobre,  âgé  de  cinquante  ôc  un  ans.  Il  vans. 
étoit  né  à  Sleidan ,  dont  il  portoit  le  nom ,  ville  de  la  dépen-  Sleidan. 
dance  de  Cologne ,  peu  éloignée  de  Duren.  Il  s'étoit  rendu 
illuftre  dans  ce  fiécle,  non-feulement  par  fon  érudition ,  mais 
par  le  talent  qu'il  avoit  pour  les  affaires.  Il  pafTa  prefque  toute 
fa  jeunefle  en  France ,  attaché  à  la  maifon  du  Bellay ,  ôc  fit 
de  grands  progrès  fous  les  yeux  du  Cardinal  de  ce  nom.  Mais 
enfuite,  comme  l'on  commençoit  à  punir  en  France  ceux  qui 
étoient  fufpe&s  de  Lutheranifme ,  il  fe  retira  en  Allemagne , 
ôc  s'attacha  à  la  République  de  Strasbourg;  c'eft  là  qu'il  com- 
mença à  écrire  les  chofes  dont  il  avoit  été  lui-même  témoin, 
ôc  celles  que  des  gens  dignes  de  foi  lui  avoient  apprifes. 

Quelque  tems  après  Jean  Forfter  d'Ausbourg ,  homme  fça- 
vant  dans  la  Langue  Hébraïque,  qu'il  éclaircit  beaucoup  par 
fes  écrits  pleins  d'érudition ,  mourut  le  1 2  de  Décembre  âgé 
de  foixante  ôc  un  ans ,  après  avoir  enfeigné  très4ong-tems  à 
Wittemberg. 

Sebaftien  Corrado  étoit  mort  le  18  d'Août  de  la  même 
année.  Il  étoit  natif  de  Caftello  d'Arcetto ,  qui  appartenoit  ci- 
devant  aux  Boiardi,  ôc  quepofïede  aujourdhui  Juie  Tieni  mar- 
quis de  Scandiano.  Il  fut  inhumé  à  Reggio ,  dans  TEglife  des 
Dominicains ,  étant  alors  le  premier  profeffeur  de  Bologne  en 
langue  Greque  ôc  Latine.  Il  avoit  autrefois  étudié  fous  Bap- 
tifte  Egnazio ,  dont  il  fçut  fi  bien  mettre  les  leçons  à  profit , 
qu'ayant  travaillé  fur  les  ouvrages  de  Ciceron ,  il  mérita  les 
louanges  des  Sçavans  ,  ôc  s'attira  fur-tout  l'approbation  de 
Pierre  Vittorio ,  de  M  arc- Antoine  Flaminio ,  de  Romulo  Ama- 
feo ,  ôc  de  Paul  Manuce. 

Il  ne  faut  pas  ici  paffer  fous  filence  Gelida ,  natif  de  Va- 
lence en  Efpagne,  où  étoit auffi  né  Louis  Vivez,  un  des  plus 
fçavans  hommes  de  fon  tems  ,  qui  mourut  l'an  15*41  s  à  Lou- 
vain  ,  où  il  profeffoit  alors.  Gelida  ayant  étudié  en  Philofo- 
phie  dans  fon  payis ,  ôc  fous  des  profeffeurs  ignorans  ôc  grof- 
liers ,  vint  à  Paris ,  dont  l'Univerfite  étoit  alors  la  plus  floriffante 

K  ij 


76  HISTOIRE 

■  de  toute  îa  terre.  Mais  ennuyé  des  fophifmes  ôc  des  queftions 
Henri  II  inutiles  de  l'Ecole,  comme  il  avoit  Pefprit  vif  ôc  pénétrant, 
i  r  <*  6  il  embraffa  un  genre  d'étude  tout  différent.  Il  prit  donc  les 
leçons  de  Jacque  le  Fevre  natif  d'Eftaple  ,  qui  étoit  alors 
le  flambeau  des  fciences  ôc  des  belles  lettres  renaiffantes,  ôc  il  fe 
perfectionna  fous  ce  fçavant  profelTeur  dans  les  langues  Grecque 
ôc  Latine.  Il  travailla  enfuite  fur  Ariftote,dont  il  fit  l'explication 
dans  le  collège  du  Cardinal  le  Moine,  avec  un  grand  con- 
cours d'auditeurs.  De-là  ,  on  le  fit  venir  à  Bordeaux,  pour  lui 
confier  le  foin  du  Collège  de  cette  ville ,  en  l'abfence  d'An- 
toine Govea ,  qui  étoit  allé  en  fon  payis ,  auprès  de  Jean  Roi 
de  Portugal,  pour  faire  l'ouverture  du  collège  de  Coimbre, 
où  il  voulut  aulTi  mener  Gelida  t  avec  Patrice  ôc  George  Bu- 
chanan  Ecoffois ,  Nicolas  de  Gruchi ,  ôc  Guillaume  Gueren- 
te,  tous  deux  de  Rouen,  Elie  Vinet  de  Saintonge  ,  Arnaud 
Fabri  de  Bazas ,  ôc  quelques  autres.  Mais  comme  Gelida  avoit 
goûté  les  mœurs  des  François ,  on  ne  put  le  réfoudre  à  retour- 
ner en  Efpagne.  Il  demeura  donc  à  Bordeaux,  en  attendant  le 
retour  de  Govea.  Celui-ci  étant  mort  en  Portugal  ,  Ge- 
lida ,  à  qui  l'on  avoit  confié  la  charge  de  Principal  du  Collège 
dans  l'abfence  de  Govea ,  y  fut  confirmé  par  le  Parlement  de 
Bordeaux  ôc  par  le  peuple.  Enfin  après  s'être  acquitté  de  fes  fonc- 
tions avec  exactitude,  ôc  après  avoir  enfeigné  pendant  fept 
ans  avec  le  même  appîaudiffement  que  fon  prédeceffeur,  il 
mourut  le  ip  de  Février  de  cette  même  année,  âgé  de  plus 
de  foixante  ans,  biffant  fa  femme  ôcune  petite  fille  dans  une 
pauvreté  très-grande.  On  croyoit  qu'il  avoit  chez  lui  beau- 
coup d'ouvrages  qu'il  devoir  donner  au  public  :  mais  on  ne 
trouva  après  fa  mort  que  quelques  lettres  de  lui  ôc  d'Arnaud  Fa- 
bri ,  que  Jacque  Buline  fit  dans  la  fuite  imprimer  à  la  Rochelle  s 
non  qu'il  les  crût  dignes  de  répondre  à  l'opinion  qu'on  avoit 
conçue  d'un  fi  grand  homme,  mais  pour  rendre  à  fon  maître 
les  derniers  devoirs ,  que  la  reconnoiffançe  exigeoit  de  lui. 


Tin  du  dix-fepiéme  Livre. 


SES[3§ISâ®fâlsSKtl- 


S!««    x-'o-    nw^     xw    jw    j»/    x-/y      xw/    w     w    x~£    w    y*    xwx    x>r/    x-r^    xw./    xvty    x«'.    L  ^ 

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HISTOIRE 


D   E 


JACQUE     AUGUSTE 

D  E     T  H  O 


LIVRE    DIX-HVITI  EUE. 

^^S^^S^^^^ii  °  u  s  entrons  maintenant  dans  l'an- 


née  15  jy.  qui,  félon  que  Charte  V.  Henri  IL 
~fii™  *  J^  P™ce  très-iage  ,  l'avoit  prévu    fut     1  y  j  7. 
£  S  **  rV¥   très-funefte  à  la  France.  Toutétoit 


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tranquille  &  en  fureté  par  la  trêve  : 
mais  les  Caraffes  par  leurs  perni- 
cieux confeils ,  ôc  quelques  autres 
par  leur  efprit  léger  &  ambitieux , 
mirent  nos  affaires  dans  une  trifte 
fituation.  Ceux  qui  avoient  été 
les  auteurs  de  la  guerre ,  furent  caûfe  que  ce  Royaume  juf- 
que-là  fi  floriffant ,  mais  déchiré  depuis  par  les  guerres  civiles  s 
perdit  beaucoup  de  fa  fplendeur ,  &  fe  vit  le  jouet  ôc  la  proye 
des  Efpagnols. 

Le  Roi,  après  avoir  envoyé,  à  la  follicitation  des  Caraffes3 

Kiij 


7*  HISTOIRE 

-  des  Ambaffadeurs  à  l'Empereur ,  qui  étoit  encore  en  Flandre, 
Henri  IL  ôcau  Roi  Philippe,  pour  demander  qu'on  ne  fît  rien  contre 
1  S  S  7'  les  înte^ts  du  Pape  ,  avoir  envoyé  fur  la  fin  de  l'année  dernière 
une  armée  en  Italie  3  commandée  par  François  de  Lorraine 
duc  deGuife,  chef  de  fa  maifon  en  France.  Ce  Prince ,  fui- 
vant  le  traité  qui  venoit  d'être  fait ,  devoit  fecourir  le  Pape 
contre  le  duc  d'Albe,  qui  faifoit  déjà  la  guerre  dans  la  Cam- 
pagne de  Rome.  Mais  le  Roi  prévoyant  que  le  départ  du  duc 
de  Guife  donneroit  lieu  à  la  rupture  de  la  trêve  ,  ordonna  à 
Gafpard  de  Coligny  Amiral  de  France  ,  &  gouverneur  de  Pi- 
cardie, de  fe  jetter  à  l'improvifte  dans  le  payis  ennemi,  afin 
de  ne  pas  recommencer  la  guerre ,  fans  en  tirer  d'abord  quel- 
que avantage. 
Rupture  de  Un  certain  Banquier  de  Lucque,  homme  perdu  d'honneur; 
la  trêve  entre  après  avoir  diffipe  tout  fon  bien  en  débauches  »  avoit  par  de- 
leRoi&lEm-  fefp0jr  ^  comme  il  arrive  fouvent,  embraffé  une  vie  pieufeôc 
folitaire.  Pour  appaifer  les  remords  de  fa  confcience  ,  il  fe  re- 
vêtit d'un  habit  d'Hermite ,  ôc  établit  fa  demeure  fur  une  col- 
line qui  regarde  la  ville  de  Douay  >  d'où  il  defcendoit  tous 
les  jours  pour  mendier.  L'Hermite  emporté  par  fon  génie  in- 
triguant ,  plus  fort  que  fa  vocation  Ôc  fon  vœu ,  après  avoir 
confideré  à loifir  la  fituation  de  la  ville  ,  fes  remparts,  fesfofTez, 
Ôc  fes  endroits  les  plus  foibles ,  en  fit  fon  rapport  à  Coligny. 
Ce  Seigneur  fentit  d'abord  de  la  répugnance  à  rompre  la  trêve, 
qu'il  avoit  lui-même  confirmée  par  un  ferment  folemnel.  Ayant 
néanmoins  fait  reflexion  que  la  guerre  étant  allumée  entre 
le  Pape  ôc  les  Efpagnols  ,  il  faudrait  nécelfairement  que  les 
deux  Rois  priffent  les  armes,  il  crut  devoir  les  prendre  le 
premier ,  ôc  prévenir  l'ennemi  par  quelque  a£tion  d'éclat. 
Ainfi  le  fixiéme  de  Janvier  ,  il  s'embufqua  près  de  Douay , 
à  deffein  de  furprendre  la  ville,  efpérant  trouver  les  habitans 
enfevelis  dans  l'yvreffe  :  mais  une  vieille  femme  ayant  par  fes 
cris  averti  les  fentinelles ,  fit  échouer  l'entreprife.  De  là  Coli- 
gny marcha  à  Lens ,  fitué  entre  l'Ifle  ôc  Arras ,  que  l'on  croit 
avoir  été  l'ancien  Nimetacum  >  il  prit  cette  ville ,  la  pilla ,  ôc  y 
mit  le  feu  ;  enfuite  ayant  parcouru  ôc  ravagé  la  frontière  t  il  re- 
vint avec  un  grand  butin. 

Ce  fut  là  le  commencement  de  la  rupture  de  la  trêve,  que 
les  Impériaux  ne  manquèrent  pas  de  nous  imputer ,  pour  avoir 


DE  J.  A.   DETHOU.Liv.  XVIII.      ?P 

voulu  furprendre  Doûay  ,  ôc  avoir  brûlé  &  faccagé  Lens.  Les  . 

François  au  contraire  en  accuferent  le  Roi  Philippe  ,  pour  }{ENRI  U, 
avoir  fait  la  guerre  au  Pape  qui  étoit  compris  dans  le  traité  ,  \  <  <  7. 
ôc  publièrent  plufieurs  autres  raifons  pour  fe  juftifîer  :  on  ré- 
pandit même  fur  ce  fujet  un  Manifefte  compofé  par  Charle  de 
Marillac  Archevêque  de  Vienne.  Il  contenoit  ,  entr'autres 
chofes  :  Que  les  ennemis  avant  que  de  rendre  la  Mark ,  Prince 
de  Sedan  ôc  Maréchal  de  France  ,  fait  prifonnier  quelque- 
tems  auparavant ,  lui  avoient  donné  du  poifon ,  dont  il  étoit 
mort  àfon  retour  :  Qu'on  avoit  effayé  de  s'emparer  de  Metz, 
ôc  que  Charle  de  Brimeu  comte  de  Megen  ,  gouverneur  de 
Luxembourg  ,  ôc  le  duc  de  Savoye,  avoient  à  cet  effet  gagné 
les  Cordeliers  qui  dévoient  les  favorifer  dans  cette  entrepri- 
fe  :  Que  Barlemont  Intendant  des  Finances  avoit  comploté 
pour  furprendre  Bordeaux: Que  près  de  la  Fere  en  Verman- 
dois  fur  la  rivière  d'Oife,  on  avoit  arrêté  un  nommé  Jacque 
de  Fle£tias  ,  habile  Ingénieur  ,  qui  après  avoir  été  mis  à  la 
queftion  ,  avoit  confefTé  avoir  reçu  de  l'argent  du  duc  de  Savoye, 
pour  vifiter  toutes  les  places  fortes  de  la  frontière  de  France , 
avec  ordre  fur-tout  de  s'attacher  à  Montreùil  >  Dourlans  ,  Me- 
zieres  ,  Saint  Quentin  ôc  Saint-Efprit  de  Rue:  Que  par  un  cri- 
me déteftable  on  avoit  corrompu  un  foldat  Provençal ,  pour 
empoifonner  les  puits  ôc  les  fontaines  deMariembourg  j  ôc  que 
tout  récemment  enfin  ceux  de  lagarnifondu  Mefnil ,  comme 
s'ils  n'euffent  pu  vivre  chez  eux ,  avoient  fait  des  courfes  jufqu'à 
Abbeville ,  ôc  Saint  Efprit  de  Rue  >  ôc  qu'ils  avoient  ruiné  le 
payis  de  Chimay ,  d'Avennes ,  de  la  Capelle,  de  Rozoy,  Ôc 
d'Aubenton  en  Tierache  }  afin  fans  doute  de  s'emparer  de  ces 
places.,  fî  l'occafion  s'en  fûtpréfentée  :  c'eft  ainii  qu'on  fe  jufti- 
fioit  de  part  ôc  d'autre. 

Cependant  le  duc  deGuife,  malgré  les  rigueurs  de  l'hiver.  Guerre 
avoit  traverfé  les  Alpes  avec  fon  armée.  Après  avoir  pris  fon  Italie' 
chemin  par  Turin ,  Chivas  3  ôc  Santià  ,  ôc  être  arrivé  avec  la 
plus  grande  partie  de  fes  troupes  à  Tricerro ,  entre  Vercelli  ôc 
Trino  ,  il  paffa  le  Pô  près  de  Cafal ,  ôc  fit  tranfporter  le  refte  de 
fes  troupes  fur  autant  de  bateaux  que  l'on  en  put  trouver,  juf- 
qu'à Pontefture.  Il  y  avoit  un  an  que  le  duc  d'Aîbe  avoit  fait 
fortifier  cette  place,  lorfque  nous  nous  fumes  emparés  deVoî- 
piano.  Après  l'avoir  munie  de  tout  ce  qui  étoit  neceffaire  pour 


en 


8o  HISTOIRE 

fa  défenfe ,  il  en  avoit  donné  le   gouvernement  à  Emanuel 
tt         tt   de  Luna :  la  garnifon  fit  plusieurs  forties  ,  ôc  on  fe  battit  plu- 
-  _     fieurs  fois  5  mais  les  nôtres  >  dont  le  nombre  étoit   beaucoup 
plus  grand  3  eurent  toujours  l'avantage. 

L'armée  du  duc  de  Guife  étoit  compofée  de  douze  mille 
hommes  de  pied ,  dont  il  y  avoit  fept  mille  François ,  ôc  cinq 
mille  Suifles  ou  Grifons.  Sa  cavalerie  confiftoit  en  quatre  cens 
gens  Gendarmes  ôc  huit  cens  Chevaux-legers ,  fous  le  comman- 
dement de  Claude  de  Lorraine  duc  d'Aumale ,  frère  ôc  Lieute- 
nant du  duc  de  Guife.  Les  principaux  capitaines  étoient  Jac- 
que  de  Savoye  duc  de  Nemours  ,  qui  commandoit  l'infante- 
rie Françoife,  René  de  Lorraine  duc  d'Elbeuf  aufli  frère  du  duc 
de  Guife ,  (  il  étoit  à  la  tête  des  Suiffes  ôc  des  Grifons  )  Fran- 
çois de  Cleves  ,  François  de  Vendôme  Vidame  de  Char- 
tres >  Claude  de  la  Chaftre  ,  jeune  alors  ,  ôc  qui  depuis  de- 
vint un  très-grand  homme  de  guerre,  Gafpard  comte  de  Nan- 
çay  fon  frère  ,  ôc  quantité  d'autres  de  la  première  dimn£tion  ; 
comme  Philibert  de  Marcilly  Sipierre  >  Gafpard  de  Sault 
Tavannes  ,  Boniface  de  la  Mole  ,  tous  trois  Maréchaux  de 
Camp. 

On  demanda  des  vivres  aux  habitans  du  Bourg  -  Fulvien  , 
qui  de  fon  ancien  nom  s'appelle  encore  aujourd'hui  Valenza. 
Ilsenrefuferent,  ôc  la  garnifon  joignant  à  ce  refus  une  réponfe 
peu  civile  ,  tira  même  des  coups  d'arquebufe  ,  dont  quelques- 
uns  des  nôtres  furent  bleflez.  Le  duc  de  Guife  extrêmement 
irrité  de  es  procédé,  pour  en  tirer  vengence,  fit  faire  à  la  hâte 
une  plate-forme  plus  haute  que  les  murs  de  la  Ville ,  fit  ap- 
procher du  canon ,  ôc  après  avoir  battu  la  place  durant  cinq 
jours ,  fit  brèche  à  la  muraille  :  alors  le  comte  Alexandre  de 
Carpegne ,  ôc  Horace  Spolverino  de  Vérone ,  qui  étoient  dans 
la  Ville  avec  trois  compagnies  d'Italiens  ôc  de  Grifons ,  furent 
fommez  de  fe  rendre  ;  ce  qu'ayant  refufé ,  les  Gafcons  mon- 
tèrent à  l'aflaut  :  les    Suifles  ôc  la  cavalerie  réitèrent  dans  le 
camp  pour  la  garde  de  l'artillerie.  Les  nôtres  à  la  première 
attaque  emportèrent  la  ville  ,  ôc  fe  mirent  à  crier,  vive  le  Pape: 
Ceux  qui  étoient  dedans  fe  rendirent  après  une  légère  réfiftance, 
le  20  de  Janvier.   Les  Efpagnols  qui  étoient  dans  la  citadelle 
fuivirent  cet  exemple.  On  renvoya  les  foldats  après  les  avoir 
defarmés ,  Ôc  les  murailles  de  la  ville  furent  rafées  :  mais  le 

Pape, 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  L  i  v.  XVIII.      81 

Pape ,  fous  le  nom  duquel  fe  faifoit  la  guerre ,  voulut  qu'on  .. 
confervât  la  citadelle.  Henri  II 

La  nouvelle  de  l'entreprife  de  Douay  Ôc  du  pillage  de  Lenz,  ç  . 
n'étant  pas  encore  répandue  en  Italie ,  le  Cardinal  de  Trente 
envoya  au  duc  de  Guife,  pour  lui  redemander  Valenza,  com- 
me ayant  étéprife  durant  la  trêve.  Ce  Général  répondit ,  qu'il 
n'y  avoit  plus  de  trêve ,  6c  que  les  Impériaux  l'avoient  rom- 
pue ,  en  faifant  tirer  fur  fes  gens  ,  dont  il  y  en  avoit  eu  plu- 
fieurs  de  bleffez  :  qu'outre  cela,  comme  les  troupes  qu'il  corn- 
mandoit  n'appartenoient  pas  au  Roi  ,  mais  au  Pape ,  à  qui  il 
étoit  très  permis  de  leur  faire  la  guerre  y  puifque  Philippe  la 
lui  faifoit  très-injuftement  dans  la  Campagne  de  Rome,  il  n'a- 
voit  qu'à  s'adreffer  à  fa  Sainteté. 

Les  ennemis  attribuèrent  la  perte  de  Valenza  au  comte 
Alexandre  de  Carpegne ,  quoiqu'il  fût  pris  ôc  bleffé  ,  ôc  aux 
officiers  de  la  garnifon  :  le  marquis  de  Pefcaire  fit  même  faire 
le  procès  à  ceux-ci ,  ôc  les  fit  condamner  à  mort.  Le  comte 
de  Carpegne  en  rejetta  la  faute  fur  les  Grifons  ,  qui  avoient 
pafTé  dans  le  camp  des  François ,  ôc  fur  quelques  Italiens ,  que 
la  peur  avoit  tellement  faifis ,  qu'ils  s'étoient  précipitez  du  haut 
des  murailles  fans  combattre. 

Le  duc  de  Guife  ayant refté  quelques  jours  à  Valenza, prit 
la  route  de  Plaifance  >  ôc  après  avoir  laiffé  Briffac  dans  le  Pié- 
mont avec  peu  de  troupes ,  il  mit  une  bonne  garnifon  dans 
Santià  ,  dont  il  donna  le  gouvernement  à  Louis  de  Biragues. 
Ce  dernier  étoit  d'avis ,  que  puifque  la  trêve  étoit  rompue ,  on 
devoit  aller  droit  à  Crémone  ,  ôc  que  n'y  ayant  qu'un  très- 
petit  nombre  d'Efpagnols  pour  défendre  cette  place  ,  la  prife 
n'en  feroit  pas  difficile  j  qu'il  feroit  à  propos  enfuite  de  met- 
tre vers  l'embouchure  de  l'Adda  quatre  mille  Grifons,  dont 
le  payiseft  limitrophe,  pour  fermer  lepaffage  aux  troupes  auxi- 
liaires d'Allemagne ,  que  le  Roi  Philippe  faifoit  lever  j  que  de 
là  ,  fi  nous  voulions  faire  la  guerre  en  toute  fureté  ,  on  ne 
devoit  pas  différer  de  conduire  l'armée  dans  le  Milanez  , 
pour  unir  cette  belle  Province  ,  alors  dépourvue  de  tout 
îecours  ,  avec  le  Piémont ,  qui  étoit  déjà  en  nôtre  puiffance  ; 
qu'il  falloit  même  s'emparer  de  Milan ,  où  le  cardinal  de  Trente 
étoit  réduit  à  de  fâcheufes  extrêmitez  :  il  ajouta  que  nous  ne 
Tome  III.  h 


Bz  HISTOIRE 

i^11 ""■""?  pouvions  laifïer  cette  Province  derrière  nous  ,  fans  faire  une 

Henri  II.  faute  confidérable. 
1  S  S  1'  ^e  1"aconteraià  Ce  fujet  une  circonftance  dont  je  me  reflbu- 
viens.  Lorfque  Paul  de  Foix-Carmain  (homme  aufïi  iiluftre 
par  fon  rare  fçavoir ,  que  par  fa  haute  naiffance ,  6c  fa  pro- 
bité fans  égale)  alla  à  Rome  par  ordre  de  Henri  III,  le  car- 
dinal de  Trente  le  reçut  à  Suriano,  maifon  de  plaifance  hors 
de  la  ville  ,  &  là  il  lui  dit  en  ma  prefence ,  avec  fa  politeffe 
ôc  fa  franchife  ordinaires ,  qu'il  avoit  de  grandes  grâces  à  ren- 
dre à  Dieu  ,  de  s'être  tiré  toute  fa  vie  fort  heureufement  de 
plufieurs  affaires  honorables  ôc  difficiles  qu'on  lui  avoit  con- 
fiées ,  foit  dans  la  paix  ,  foit  dans  la  guerre?  mais  particuliè- 
rement de  ce  qu'après  la  prife  de  Valenza  ,  lorfque  tout  le  payis 
étoit  faifi  d'effroi ,  le  duc  de  Guife  n'avoit  point  tourné  fes  ar- 
mes contre  lui  :  car ,  ajoûta-t-il ,  je  manquois  pour  lors  de 
troupes  t  d'argent ,  ôc  généralement  de  tout.  En  effet ,  il  n'y  a 
pas  de  doute  ,  que  fi  le  duc  de  Guife  eût  marché  de  ce  côté- 
là,  il  n'eût  réduit  cette  Province  fous  fa  puiffance,  foit  par  la 
force, foit  à  la  faveur  des  conjonctures. 
Les   trou-       Mais  ce  Général ,  méprifant  de  fi  fages  confeils  >  ne  fuivit 

^oint™1^0  ei  Clue  ^es  av*s  ^U  carcunal  de  Lorraine  fon  frère ,  dont  l'efprit, 
les  du  Pape  rempli  de  vaftes  idées ,  s'étoit  formé  des  chimères ,  ôc  ceux 
portent   la      ^u  carc|mal  Caraffe  ,  qui ,  ne  confultant  que  fon  ambition  ôc 

guerre  dans  le  ,,    r  .  *  •    i      j         •  r  >\ 

royaume  de  1  eiput  de  vengence  qui  le  dominoit ,  ne  iongeoit  qu  a  por- 
Napk-s.  ter  la  guerre  dans  le  royaume  de  Naples.  Ainli,  après  avoir 

pafTé  le  Tanaro  ,  ôc  pris  fa  route  vers  Tortone  ,  il  entra  fans 
aucun  obftacle  dans  le  payis  de  Plaifance  ôc  de  Parme  s  car 
quoi  qu'Ottavio  eût  fait  fon  accommodement  avec  l'Empe- 
reur ôc  le  roi  Philippe  ,  bien  loin  de  nous  témoigner  en  au- 
cune façon,  qu'il  fût  notre  ennemi  ,  fes  fujets  au  contraire 
fournirent  abondamment  nos  troupes  de  tout  ce  qui  leur  étoit 
néceffaire.  Le  duc  de  Guife  continuant  fon  chemin  par  la 
voye  Emilienne ,  alla  joindre  le  duc  de  Ferrare,  qui  l'atten- 
doit  au  commencement  de  Février,  dans  le  territoire  de  Reg- 
gio ,  auprès  du  Pont  de  Nice  ,  aujourd'hui  appelle  Ponte  ai 
Lenza. 

L'armée  du  duc  de  Ferrare  étoit  de  fix  mille  hommes  d'in- 
fanterie ,  ôc  de  huit  cens  chevaux  bien  armez  :  il  étoit  à  la 


DE  J.   A.   DE  THOU,  Lrv.  XVÎIL        S? 

tête  de  fes  troupes  rangées  en  bataille ,  couvert  d'une  cotte  . 

d'armes  fort  riche  >  il  avoit  fur  fa  tête  un  cafque  enrichi  de  „         TT 

D  n.'  i        J'  W         J>  '  J>    -      a.*-    HENRI  II. 

pierreries ,  que  I  on  eltimoit  plus  d  un  million  a  ecus  a  or  ;  oc 
pour  furcroît  de  magnificence  ,  il  étoit  fuivi  de  la  première  >  *  '  " 
Nobleffe  à  cheval ,  dont  les  armes  brillantes  ,  expofées  au  fo- 
,leil,  ébloùiffoient  tous  les  yeux.  Dès  que  le  duc  de  Guife  eût 
apperçu  le  duc  de  Ferrare  ,  il  mit  pied  à  terre ,  ôc  lui  offrit  de 
fon  propre  mouvement,  6c  au  nom  du  Roi,  le  Bâton,  pour 
marque  du  fouverain  commandement.  Le  duc  de  Ferrare  ne 
defcendit  point  de  cheval ,  ôc  reçut  le  duc  de  Guife,  à  mon 
avis,  plutôt  comme  un  gendre,  que  comme  le  Général  d'une 
armée  royale.  De-là,  ils  allèrent  à  Reggio  ,  où  en  préfence 
du  cardinal  Caraffe ,  que  le  Pape  avoit  envoyé  au  duc  de  Fer- 
rare ,  ôc  de  Jean  de  Gabre ,  évêque  de  Lodeve ,  ambaffadeur 
du  Roi  à  Venife ,  ils  tinrent  confeil  touchant  la  guerre  qu'ils 
alloient  commencer. 

Le  duc  de  Ferrare  trouvoit  à  propos  qu'on  ne  la  fît  pas 
loin  de  chez  lui ,  ôc  qu'on  menât  l'armée  droit  devant  Cré- 
mone ,  qui  fuivant  le  traité,  devoit  être  remife  entre  fes  mains  : 
BrifTac  ôc  Biragues  avoient  été  de  ce  même  avis.  D'autres 
confeilloient  de  s'emparer  de  Parme  ,    ôc   même  le  duc  de 
Ferrare  n'étoit  point  éloigné  de  ce  fentiment;  mais  le  duc  de 
Guife  n'y  voulut  point  confentir,  parce  qu'Ottavio  Farnefe, 
gardoit  encore  le  collier  de  l'Ordre ,  ôc  qu'il  n'avoit  pas  en- 
tièrement renoncé  au  paru  de  la  France.  Fourquevaux  ,  qui 
avant  la  bataille  de  Marciano   avoit  conduit  dans  la  Tofcane 
un  fecours  d'Allemands,  étoit  auffi  dans  ce  Confeil  :  il  foutint 
que  pour  affùrer  nos  affaires  en  Italie,  ôc  faire  quelque  chofe 
d'avantageux  pour  la  guerre   que  nous  allions  porter  dans  le 
royaume  de  Naples ,  nous  devions  nous  emparer  de  Sienne  , 
rendre  la  liberté  à  cette  République,  ôc  tandis  qu'il  n'y  avoit 
qu'une  foible  garnifon  pour  fa  défenfe  ,  profiter  de  la  mésin- 
telligence, qui  étoit  entre  Corne  de  Medicis  ôc  le  cardinal 
de  Burgos.  Mais  le  duc  de  Guife ,  ébloui    ÔC  comme  en- 
chanté des  belles  idées  de  fon  frère  ôc  des  vaines  promeffes 
des  Caraffes ,  demeura  toujours  ferme  dans  fon  fentiment , 
ôc  foûtint  avec  le  cardinal  Caraffe  que ,    fans  tarder  davan- 
tage ,  l'on  devoit  partir  pour  le  royaume  de  Naples. 

Le  duc  de  Ferrare,  qui>  fuivant  le  traité,  devoit  être  chef 

Lij 


84  HISTOIRE 

de  cette  guerre ,  n'efpéroit  rien  d'heureux  d'un  defTein  fi  am- 
Henri  II  bitieux  &  fi  téméraire  ;  au  contraire  ,  craignant  que  tandis  qu'il 
j  f  :  -  feroit  éloigné  avec  fes  troupes,  il  ne  fût  attaqué  chez  hn,  d'un 
côté  par  Ottavio  Farnefe  ôc  par  la  garnifon  de  Milan  ,  ôc  de  l'au- 
tre par  Corne  de  Medicis ,  il  réfolut  de  refter  dans  fes  Etats. 
Ainli ,  quoique  lui  pût  dire  le  cardinal  CarafTe ,  il  ne  changea 
point  d'opinion,  ôc  fe  contenta,  fuivant  le  traité,  de  donner 
du  canon ,  de  la  poudre ,  Ôc  d'autres  munitions  de  guerre. 

Le  duc  de  Guife  ayant  pris  congé  de  Ion  beau-pere  ,  par- 
tit avec  le  cardinal  CararTe ,  pour  fe  rendre  à  Boulogne  :  le 
peuple  l'y  reçut  en  apparence  avec  de  grandes  démonftrations 
de  joye  j  mais  ce  Général  s'appercevant  qu'on  n'avoit  rien 
tenu  de  ce  qu'on  lui  avoit  promis ,  ôc  que  l'infanterie  n'étoit 
pas  encore  arrivée,  il  en  fit  de  grands  reproches  au  cardinal 
CararTe.  Celui-ci,  pour  fe  juftifier ,  s'excufa  fur  le  peu  de  tems 
qu'il  avoit  eu ,  ôc  l'affûra  qu'Antoine  Tiraldo  levoit  actuelle- 
ment douze  mille  hommes  dans  la  Marche  d'Ancone. 

Cependant  le  duc  de  Ferrare  ayant  laifie  à  l'armée  Alfonfe 
fon  fils ,  partit  pour  Venife.  A  fon  arrivée ,  le  Sénat  vint  au- 
devant  de  lui  fur  le  Bucentaure ,  où  après  l'avoir  reçu  magni- 
fiquement ,  on  le  conduifit  dans  fon  Palais  le  8  de  Mars.  Il  eut 
trois  conférences  fecretes  avec  le  Doge  ôc  avec  des  Députez  du 
Sénat.  Il  leur  dit  ;  Que  la  fidélité  qu'il  devoit  au  Pape  ,  à 
qui  l'on  faifoit  la  guerre  ,  jointe  à  l'étroite  alliance  qui 
étoit  entre  lui  ôc  la  France  ,  ôc  enfin  les  injures  qu'il  avoit 
reçues  du  roi  Philippe ,  étoient  les  motifs  qui  l'avoient  engagé 
à  foufcrire  au  traité.  Mais  leur  ayant  demandé  leur  avis  fur  ce 
fujet,  ils  lui  répondirent  feulement,  qu'il  avoit  affez  de  pru- 
dence ,  ôc  affez  d'expérience  dans  les  affaires  ,  pour  fçavoir 
ce  qui  étoit  de  fes  intérêts ,  ôc  pour  fe  pafîer  de  confeil. 
Du  refte  ,  ils  l'affûrerent  qu'ils  feroient  toujours  conftans 
dans  l'amitié  que  la  Republique  avoit  entretenue  jufqu'a- 
lors  avec  lui  ,  ôc  avec  fon  père.  Le  duc  de  Ferrare  par- 
tit enfuite  j  ôc  à  fon  retour,  pour  ne  paslaiffer  fon  armée  dans 
l'inaction ,  il  ordonna  à  Alfonfe  fon  fils  de  s'emparer  de  San- 
Martino ,  qui  par  le  départ  de  Sigifmond  de  Gonzague  pour 
Milan  ,  étoit  à  la  garde  de  quelques  Efpagnols.  Alfonfe , 
fuivant  les  ordres  de  fon  père ,  après  avoir  réduit  San-Martino  , 
ôc  s'être  emparé  encore  de  Nuvolara  ôc  de  Rollo ,  y  mit  de 


DE  J.A.  DETHOU,Liv.  XVIII.      8? 

bonnes  garnifons  ;  il  alla  enfuite  à  Corregio ,  où  après  avoir -• 

ravagé  les  terres  d'alentour ,   parce   que  quelques  Seigneurs  Henri  IL 
de  cet  endroit,  qui  auroient  pu  être  neutres,  avoientreçu  de-     1557. 
puis  peu  des  troupes  Efpagnoles,  ilailiégea  Guaftalla,  qui  ap- 
partenoit  à  Ferdinand  de  Gonzague  5  mais  fon  père  l'ayant 
rappelle ,  il  ne  pourfuivit  pas  fon  entreprife. 

Le  duc  de  Guife  ôc  le  cardinal  Caraffe  tinrent  confeil  à 
Boulogne ,  pour  fçavoir  par  où  l'on  entremit  dans  le  royaume 
de  Naples.  On  propofa  quatre  routes  différentes  ;  la  première} 
que  les  François  avoient  autrefois  vainement  effayé  de  prendre, 
par  San-Germano ,  du  tems  de  Gonzalve  *  le  Grand  :  mais  cette  *  Gonzalve 
route  fut  trouvée  trop  dangereufe  ,  à  caufe  qu'il  falloit  paffer  ^e  Cordoiie> 

^  ro         t  iip  au  •  iurnomme    le 

près  de  Frofolone  &  d  Anagni ,  que  le  duc  d  Albe  avoit  ex-  grand  capî- 
trêmement  fortifiées  :  la  féconde  par  Tagliacozzo  (  ville  de  la  taine' 
dépendance  des  Colonnes ,  fituée  à  la  droite  du  lac  de  Ce- 
lano  3  quand  on  vient  de  l'Abruzze  par  Vicovaro l ,  que  la 
nailTance  de  Marc  -  Antoine  Coccius  Sabellicus  a  rendu 
célèbre)  ôc  par  l'abbaye  de  Subiaco  ;  mais  cette  route  fut  en- 
core trouvée  trop  rude  à  caufe  de  fes  montagnes ,  aufli  bien 
que  la  troiliéme ,  qui  mené ,  par  Civita-Ducale ,  à  Rieti.  Il 
fut  donc  réfolu  qu'en  côtoyant  la  mer ,  on  prendroit  une  rou- 
te unie  ôc  aifée  ,  qui  conduit  par  Fermo  ,  Afcoli  ,  Civitel- 
la ,  ôc  Giulia-Nova  5  car  outre  que  ces  places  étoient  le  ren- 
dez-vous des  troupes  de  Tiraldo ,  on  s'ouvroit  aufïi  par  là  un 
chemin  dans  la  Poùille  ,  payis  fertile  ôc  abondant  en  toutes 
chofes.  Ce  deffein  ayant  été  pris ,  le  duc  de  Guife  partit  de 
Boulogne ,  avec  le  cardinal  Caraffe ,  pour  aller  à  Imola  ôc  à  Ra- 
venne  ,.ôc  de  là  prenant  fon  chemin  par  la  Marche  d'Ancone 
il  paffa  à  Faenza,  Forli,  Cefena,  ôc  enfin  arriva  à  Rimini,  où 
Paul  Jourdain  chefdelaMaifon  des  Urfins,  Ôc  gendre  de  Co- 
rne de  Médicis  ,  fe  joignit  à  lui  par  les  ordres  du  Pape, 
Ce  Général  ayant  enfuite  donné  ordre  que  l'armée  prît  le  de- 
vant jufqu'à  Gefi,  il  alla  à  Pefaro  pour  conférer  avec  le  duc 
d'Urbin  3  aufli-tôt  après,  il  fe  rendit  en  pofte  à  Rome  ,  avec 
le  cardinal  Caraffe,  pour  faluer  le  Pape, 

Cependant  le  ducd'Albcfur  le  bruit  de  l'arrivée  du  duc  de 
Guife,  fit  partir  Afcanio  de  la  Cornia,  pour  vifiter  les  places 
qu'il  avoit  donné  ordre  de  fortifier  aux  environs  de  NarfTes  > 

1  Cette  ville  s'appelle  par  les  uns  Valmi  vicus ,  8c  par  les  autres  Varonis  vicut* 

L  iij 


$6  HISTOIRE 

-■*— -s-gg  ôc  après  avoir  mis  en  garnifon  dans  les  places  de  l'Abruzze 
Henri  IL  les  troupes  Efpagnoles  &  Allemandes  ,  qui  étoient  dans  la  cam- 
»  5*  ?  7.  Pagne  de  Rome,  il  partit  lui-même  avec  peu  de  fuite  ,  le  n 
d'Avril,  ôc  alla  à  grandes  journées  à  Sulmone  ,  ôcde  là  à  Chie- 
ti  ôc  à  Atri.  Ayant  ralluré  ces  peuples  ôc  envoyé  à  Civi- 
vitella  le  comte  de  Santa-Fiore ,  qui  s'étoit  chargé  de  défen- 
dre cette  place  ,  il  revint  à  Sulmone ,  où  il  affembla  toutes  fes 
troupes ,  tant  la  cavalerie  que  l'infanterie ,  qui  étoient  répan- 
dues en  difrerens  endroits. 

Charle  Loffredo  ,  jeune  homme  d'un  grand  courage  , 
étoit  dans  Civitella,  où  le  marquis  de  Trivico  fon  père  l'avoit 
laifTé,avec  douze  cens  Italiens,  ôc  deux  enfeignes  de  gens  du 
payis.  Le  comte  de  Santaliore,  après  avoir  fait  une  diligence 
incroyable  ,  ôc  avoir  couru  grand  rifque  d'être  arrêté  par  les 
François ,  arriva  enfin  dans  cette  ville ,  accompagné  de  Fran- 
çois de  Porto  ,  ôc  de  trente  chevaux-legers  :  fa  préfence  raffura  le 
peuple,  quiprenoit  déjà  l'épouvante,  au  bruit  du  fiége  dont  la 
ville  étoit  menacée  ;  car  nos  troupes  ayant  paffé  Fermo  Ôc 
Afcoli  s'étoient  jointes  à  celles  du  Pape.  Lorfque  les  deux  ar- 
mées furent  afTemblées  ,  Tiraldo  >  qui  commandoit  celle  du 
Pape  campa  le  17  d'Avril  devant  Campli,  avec  quinze  cens 
hommes  de  fes  troupes ,  ôc  cinq  cens  des  nôtres.  Cette  Ville, 
à  trois  milles  de  Civitella ,  eft  divifée  en  trois  parties ,  qui  fem- 
blent  former  trois  villes.  Le  duc  de  Guife  ayant  fait  fçavoir 
aux  habitans ,  qu'il  étoit  envoyé  pour  procurer  leur  liberté  ôc 
celle  de  tout  le  Royaume,  leur  ordonna  d'ouvrir  leurs  portes. 
Les  habitans  ayant  refufé  d'obéir  ,  ôc  ayant  même  fait  quel- 
ques actes  d'hoftilité,  nos  troupes  plantèrent  aufïi-tôt  des  échel- 
les, ôc  montèrent  à  l'affaut ,  du  côté  qui  regarde  la  citadelle. 
Les  afïiégez  les  repouflerent  d'abord  avec  un  grand  carnage  > 
mais  nos  troupes  ,  loin  de  fe  rebuter ,  irritées  de  cette  réfiftan- 
ce  ,  revinrent  à  la  charge  avec  plus  d'ardeur  ôc  de  furie ,  ôc 
foutenuës  des  alliez,  qui  vinrent  de  tous  cotez  à  leurs  fecours, 
ils  emportèrent  la  ville  l'épée  à  la  main.  Sans  diftinclion  d'âge 
ni  de  fexe ,  ils  mirent  tout  à  feu  ôc  à  fang  :  les  religieufes  mê- 
mes ne  furent  pas  à  couvert  de  la  violence  du  foldat.  Quel- 
ques habitans  cependant ,  mais  en  petit  nombre  ,  qui  purent 
fe  mfrober  à  la  première  fureur  des  vainqueurs ,  s'étant  retirez 
dans  Nocella  (  ainfi  fe  nomme  l'une  des  parties  de  la  ville  ) 


DE  J.  A.   DE  THOU  ,  Liv.  XVIII.        87 

furent  traitez  enfuite  avec  moins  de  rigueur.    Le  butin  que  -    , 

Ton  y  fit  fut  très-confidérable ,  &  fut  eftimé,  félon  letémoig-  Henri  II 
nage  d'Aleffandro  Andréa1 ,  plus  de  deux  cens  mille  écus  d'or. 
Nos  gens  trouvèrent,  fous  les  ruines  des  murs  ôc  des  maifons, 
des  richeffes  prodigieufes  ,  dont  les  habitans  n'avoient  pas  mê- 
me de  connoiffance.  On  trouva  aufîi  quantité  de  vivres  ,  pour 
rafraîchir  le  foldat. 

Nos  troupes,  après  la  prife  de  Campli,  firent  des  courfes  juf- 
ques  aux  portes  de  Civitella,  prefqu'en  même-tems  que  San- 
tafiore  s'y  rendit  par  l'ordre  du  duc  d'Albe.  Teramo  fe  rendit 
enfuite  aux  François ,  qui  par  des  courfes  Ôc  des  degats  con- 
tinuels portèrent  la  défolation  dans  la  Vallée-Sicilienne  ,  ôc 
pillèrent  Colonnella  ,  Contraguerra  ;  Corropoli  ,  ôc  Giulia- 
Nova.  Cependant  on  n'étoit  point  oifif  devant  Civitella  :  les 
fréquentes  forties  de  la  garnifon ,  fous  la  conduite  de  Charle 
Loffiredo,  occafionnoient  tous  les  jours  quelques  efcarmou- 
ches.  Les  chofes  étoient  en  cet  état ,  lorfque  le  duc  de  Guife, 
après  avoir  attendu  long-tems  l'armée  du  Pape ,  partit  le  24. 
d'Avril  de  Fermo  >  accompagné  du  marquis  de  JVlontebeîlo. 
A  fon  arrivée  il  réfolut ,  pour  conferver  fa  réputation  ■  ôcpour 
le  foulagement  de  fes  alliez ,  de  tenir  plutôt  l'armée  en  payis 
ennemi ,  que  dans  le  leur;  ce  fut  pour  cette  raifonque  ce  Gé- 
néral mit  le  fiége  devant  Civitella.  Les  huit  premiers  jours  du 
fiége  fe  pafferent  3  ou  à  reconnoître  la  place ,  ou  à  faire  avan- 
cer l'artillerie  :  on  drefla  enfuite  la  batterie  fur  une  hauteur  > 
entre  l'orient  ôc  le  midi. 

Civitella  eft  fituée  dans  un  endroit  de  l'Abruzze  ,  appelle  Siège  de  Ci- 
Caraceni,  elle  eft  bâtie  fur  une  colline  rude  ôc  fort  efcarpée  alîc  deGiiifc. 
du  côté  du  Nord  rune  de  fes  portes  regarde  le  Golfe  de  Ve- 
nife.  Il  y  avoit  autrefois  au  bas  de  cette  colline  une  citadelle 
flanquée  de  cinq  baftions  5  mais  les  habitans  la  ruinèrent  à  l'ar- 
rivée de  Charle  VIII.  en  Italie  ,  pour  ne  pas  être  expofés  au 
pillage ,  par  i'infolence  de  la  garnifon.  Du  côté  du  Couchant  j 
que  cette  Ville  eft  plus  en  pente,  la  rivière  de  Librata,qui 
prend  fa  fource  près  de  l'Apenin  &  de  Cerqueto  ,  lave  fes 
murs  ;  ôc  après  avoir  ferpenté  dans  la  vallée  à  qui  elle  donne 
fon  nom  ,  elle  fe  décharge  dans  la  mer ,  non  loin  de  San- 

1  Aleffandro  Andréa  Hifîorien  de  ce  tems  là. 


88  HISTOIRE 

i   ■  Egidio  r.   Un  peu  au-deflbus  de  cette  rivière,  il  en  pafle  un 
Henri  IL  autre»  appelléele  Salinello,  qui  laiflant  Tortoretto  à  gauche, 
j  -  ^  _      prend  fon  cours  par  Giulia-Nova. 

Nôtre  grofle  artillerie  étant  placée  comme  nous  avons  dit, 
du  côté  qui  regarde  l'Orient  Ôc  le  Midy ,  foudroya  cet  endroit 
ôc  le  battit  en  ruine.  Nos  troupes  cependant  ne  purent  mon- 
ter à  l'aflaut  ;  car  outre  que  la  colline  eft  fort  roide  en  cet  en- 
droit ,  les  pluies  exceflives  qui  étoient  tombées  ,  avoient  ren- 
du le  chemin  gliflant  ôc  impratiquable.  Ce  ne  fut  pas  le 
feul  mal  que  nous  cauferent  ces  pluies:  elles  nous  firent  en- 
core plus  de  tort ,  par  l'avantage  qu'en  retirèrent  les  afliégez  > 
car  n'ayant  dans  la  ville  que  quelques  citernes  ôc  qu'une  fon- 
taine, que  le  marquis  de  Trivico  y  avoit  fait  renfermer  ,  ils 
fouffroient  une  grande  difette  d'eau.  Mais  tandis  que  le  duc 
de  Guile  dirTeroit  à  donner  l'aflaut  ,  les  afliégez  travailloient 
nuit  ôc  jour  à  reparer  les  brèches  :  les  femmes  s'y  portoient 
avec  le  même  courage  que  les  hommes  î  ôc  bien  que  l'on  en 
tuât  un  grand  nombre ,  les  autres ,  fans  s'épouvanter  de  la  mort 
de  leurs  compagnes ,  prenoient  les  armes  de  leurs  maris  ;  ôc 
pour  perfuader  à  l'ennemi  que  la  garnifon  étoit  plus  nombreufe, 
elles  bordoient  hardiment  les  murailles.  Il  y  avoit  outre  cela 
dans  la  place  quelques  petites  pièces  d'artillerie ,  que  le  mar- 
quis de  Trivico  avoit  fait  venir  d'Aquila  avant  le  fiége  :  com- 
me elles  étoient  fort  légères,  le  comte  de  Santafiore  les  faifoit 
tranfporter , tantôt  à  un  endroit,  tantôt  à  l'autre,  avec  tant  de 
promptitude,  qu'il  fembloit  que  toutes  les  murailles  delà  ville 
fuflent  bordées  de  canons.  Leur  feu  continuel  incommoda 
fort  nos  troupes  ;  la  plupart  de  nos  batteries  en  furent  démon- 
tées ,  ôc  plusieurs  de  nos  canoniers  furent  tués. 

Le  duc  de  Guife,  pour  ne  pas  biffer  fes  troupes  expofées 
plus  long-tems  à  ce  grand  feu  des  ennemis ,  fit  tranfporter  fa 
batterie  du  côté  qui  regarde  les  montagnes  ,  ôc  où  étoit  la  ci- 
tadelle. Enfuite  à  l'entrée  de  la  nuit ,  ayant  fait  conftruire  une 
machine  roulante ,  avec  des  manteiets  ôc  des  blindes ,  qui  met- 
toient   les  troupes  à  couvert  du  canon  des  afliégez  ,   il  fit 


i  M.  de  Thou  l'appelle  Egidïi  fa- 
mtm  :  il  faudroit  peut-être  lire  Turtu- 
ïemm ,  félon  Alefj.  Antlrsa  p.  3<J.  parce 


que  fan  -  Egidio  eft  aiïes  loin  de  la 
mer.  Il  eft  vrai  pourtant  que  Torre'  eft 
plus  près  dç  la  mer  que  Tortoretto. 

approchée 


DE  J.  A.   DETHOU,Liv.  XVIII.     S9 

approcher  de  la  muraille  deux  mille  arquebufiers.  Nôtre  artille- 
rie commença  alors  à  battre  la  citadelle.  Le  comte  de  Santafiore  Henri  IL 
y  étant  accouru  ,  le  duc  de  Guife  ,  environ  fur  le  minuit ,  fit  j  ^  <-  ~ 
montera l'aÛàut  pour  forcer  un  endroit  défendu  de  tous  cotez 
par  des  basions,  ôc  que  les  afliégez  avoient  fortifié  par  un 
foffé  creufé  au-dedans  de  la  place.  Cette  attaque  fut  foûtenue" 
avec  beaucoup  de  courage  par  Angeîo  Morro ,  Virgilio  Florio, 
6c  ïullio  citoyen  de  Civitella ,  qui  commandoit  la  jeunefïe  de 
îa  ville  i  6c  nous  fumes  repouffez  :  leur  deffein  étoit  de  fe  tenir 
en-deçà  du  rempart ,  ôc  de  laiffer  avancer  les  François  entre  la 
brèche  6c  le  foffé  ,  efpérant  les  accabler  ,  6c  les  enfer mer 
de  tous  cotez  dans  un  lieu  auiïi  defavantageux.  Mais  Santa- 
fiore ne  fut  pas  de  cet  avis  ;  craignant  que  les  afliégez  ne  per- 
diffent  courage  en  voyant  l'ennemi  dans  la  ville ,  ôc  que  d'un 
autre  côté  les  François  ne  fiffent  de  nouveaux  efforts  ,  il  ne 
voulut  pas  rifquer  de  donner  par  fa  faute  un  avantage  à  l'en- 
nemi ,  qu'il  ne  pouvoit  fe  procurer  lui-même  :  il  envoya  donc 
Riecio  de  Cardino  ,  pour  leur  dire  de  défendre  la  brèche,  6c 
d'empêcher  nos  troupes  d'y  monter.  Tandis  qu'ils  déliberoient, 
il  y  courut  lui-même  fuivi  de  foixante  Arquebufiers,  6c  trou- 
vant à  fou  arrivée  un  de  nos  foldats  qui  étoit  déjà  monté  :  il 
le  tua  d'un  coup  d'hallebarde  5  fa  préfence  6c  fon  exemple  ani- 
mèrent fes  gens  à  bien  faire.  Le  combat  fut  très-meurtrier  par 
la  valeur  des  uns  6c  des  autres  ;  mais  nos  troupes  en  butte  aux 
pierres  ôc  aux  feux  d'artifice ,  que  les  ennemis  leur  lançoient 
du  haut  des  murailles,  ne  purent  long-tems  foûtenir  leurs  ef- 
forts :  ceux  mêmes  qui  étoient  à  couvert  fous  les  blindes  en 
étoient  écrafés.  A  cette  vûë  le  duc  de  Guife  fit  fonner  la  re- 
traite. Il  perdit  en  cette  occafion  plus  de  deux  cens  François  : 
le  nombre  des  bleffés  fut  égal.  Cupigny  ayant  eu  la  cuifTe  rom- 
pue, 6c étant  reftéprefque  enfevelifous  les  débris  delà  muraille, 
fut  reconnu  à  fa  voix  par  les  afliégez ,  qui  l'emportèrent  dans 
la  ville.  Le  duc  de  Guife  y  foit  qu'il  fut  étonné  du  mauvais 
fuccès  de  cette  entreprife  >  foit  qu'il  fut  irrité  contre  les  Ca- 
raffes  ,  de  ce  qu'ils  ne  donnoientpas  le  fecours  qu'ils  avoient 
promis  ,  fe  plaignit  fort  du  Pape  au  marquis  de  ÂIontebelIo> 
6c  des  plaintes  ,  étant  paffé  tous  deux  aux  injures  6c  aux  repro- 
ches ,  ils  fe  féparerent  peu  amis.  Sur  ces  entrefaites ,  Antoine 
Cararïe  ayant  laiffé  le  duc  de  Guife  à  l'armée ,  alla  en  pofte 
Tome  III.  M 


9o  HISTOIRE 

■»  à  Rome  )  où  après  avoir  conféré  avec  le  cardinal  CarafTe  fon 
Henri  II   Parent  >  ^ur  ^e  fecours  qu'on  pouvoit  attendre  des  François  3 
l  -  f         ils  confulterent  enfemble  fur  leurs  intérêts  particuliers. 

Cependant  Antoine  Doria ,  capitaine  très-expérimenté,  ôc  fur 
d'Albe  vient   tout  dans  ce  9U^  concernoit  la  Marine,  vint  à  Sulmone ,  6c 
au  fecours  de  de  -  là  fe  rendit  à  Chieti  avec  le  duc  d'Albe ,  pour  faire  la  re- 
a  p  ace.        v^  ^ç$  troUpes  qUj  aVoient  ordre  de  s'affembler  en  ce  payis- 
là.  Leur  armée  étoit  compofée  de  trois  mille  Efpagnols,  vieux 
foldats,  commandez  par  Sancho  de  Mardones  5  de  dix-huit 
cens  Allemands,  fous  la  conduite  de  Gafpard  de  Feltz  5  de 
quatre  mille  Allemands  arrivez  depuis  peu  de  Lombardie  , 
fous  le  commandement  d'Alberic  de  Lodron  ;  d'environ  huit 
-  cens  Siciliens ,  ou  Calabrais ,  qui  avoient  pour  chefs  Aniiibal 
de  Gennaro  >  les  comtes  de  Nicotera,  Ôc  de  Seminara,  Saîva- 
dore  Spinello  ôc  Cicco  de  Loffredo  ;  ôc  de  trois  mille  Italiens 
commandez  par  trente  capitaines  Napolitains,  qui  avoient  cha- 
cun cent  hommes  fous  eux  ,  comme  les  anciens  Centurions. 
Outre  cela  le  duc  d'Albe  avoit  mis  iix  mille  hommes  d'infan- 
terie dans  les  garnifons  de  l' Abruzze ,   dans  Chieti ,  dans  Atri ; 
Ôc  dans  Civitella.  La  cavalerie  étoit  compofée  de  quinze  cens 
Chevaux -légers,  commandez  par  Jofeph   Cantelmo  comte 
de  Popoîi ,  ôc  de  feptcens  Gens-d'armes,  aux  ordres  de  Puerto 
Carrero  Mettre  de  Camp. 

Leduc  d'Albe  j  à  la  tête  de  toutes  ces  troupes,  avoit  d'abord 
deiTein  defe  camper  furies  bords  de  la  Pefcara ,  après  en  avoir 
fait  rompre  les  ponts.  Mais  voyant  le  duc  de  Guife  attaché 
au  fiége  de  Civitella,  ôc  d'ailleurs  fe  trouvant  plus  fort  en  in- 
fanterie ,  ôc  égal  en  cavalerie  >  il  réfolut  d'aller  au-devant  de 
l'ennemi.  Cependant  avant  de  quitter  Chieti  ôc  Atri ,  foit  qu'il 
ne  jugeât  pas  que  ces  places  euiTent  befoin  d'une  forte  garni- 
fon  i  foit  qu'il  fe  défiât  des  Gouverneurs  ,  il  en  tira  le  mar- 
quis de  Bucchianico ,  ôc  le  comte  de  Matelone  avec  toutes 
leurs  troupes:  il  mit  en  leur  place  dans  Atri  Tiberio  Brancca- 
cio ,  ôc  à  Chieti  Jean-Baptifte  de  la  Tolfa ,  père  de  François 
qui  avoit  été  blelTé  au  liège  d'Oftie  ,  capitaine  au  refte  qui  s'é- 
toit  diftingué  par  fa  valeur  ôc  fa  fidélité  du  tems  de  Lautrec. 
Le  duc  d'Albe  ayant  fait  venir  enfuite  de  la  Poùille  par  mer 
quantité  de  canons  ôc  d'autres  munitions  de  guerre  ,  partit  le 
1  o  de  Mai  des  bords  de  la  Pefcara.  En  deux  journées  il  arriva  à 


DEJ.  A.  DE    T  HO  U,  Liv.  XVIII.       pi 

Atri ,  ôc  le  lendemain  il  campa  auprès  delà  rivière  d'Umano*  ^ 

Ce  fut -là  que  ce  Général  mit  fon  armée  en  bataille.  LesEf-  Henri  11. 

pagnols  6c  les  Allemands  étoient  à  la  tête  ;  l'infanterie  Italien-     1  S  S  7- 

ne  au  milieu  ;  le  comte  de  Lodron  avec  fes  troupes  formoit  le 

dernier  corps  5  la  cavalerie  légère  étoit  en  partie  à  la  tête  ,  en 

partie  fur  les  ailes ,  6c  les  gendarmes  formoient  l'arriere-garde. 

Le  duc  d'Albe  ayant  ainli  rangé  fes  troupes,  pour  éprouver  le 

courage  du  foldat ,  fit  crier  aux  armes  ,  comme  fi  l'on  eut  ap- 

perçu  l'ennemi  :  s'étant  de  cette  manière  afTùré  de  leur  ardeur , 

il  partit  avec  plus  de  confiance ,  pour  faire  lever  le  fiége  de 

Çivitelia. 

D'un  autre  côté,  le  duc  de  Guife ,  qui  craignoit  l'arrivée  de 
l'ennemi,  prefibit  le  fiége  avec  beaucoup  de  vigueur.  Il  avoit 
renverfé  une  tour,  qui  reftoit  encore  de  l'ancienne  citadelle  rui- 
née ,  6c  fait  à  la  muraille  une  brèche  large  de  plus  de  foixante 
pas  5  il  réiblut  alors  de  faire  donner  l'affaut  du  coté  qui  étoit 
fans  défenfe,  quelque  difficile  qu'il  parut  d'y  monter:  mais  con- 
jecturant que  les  alliégez  fe  feroient  infailliblement  retranchés 
de  ce  côté~là  >  il  ordonna  à  cinq  cens  Arquebufiers ,  qu'il  fit 
couvrir  de  grands  facs  pleins  de  laine ,  de  s'emparer  du  fom- 
met  de  la  colline  ,  6c  de  s'y  fortifier  en  diligence  ,  afin  de  fa- 
tiguer les  afîiégez  par  le  feu  continuel  qu'ils  feroient ,  6c  les 
obliger  par  là  à  fe  rendre.  Ce  deffein  n'eut  aucun  faccès  : 
les  ennemis ,  outre  une  grêle  de  pierres  qu'ils  lançoient  fur  les 
nôtres  ,  firent  un  fi  grand  feu  de  leur  artillerie,  que  nos  Arque- 
bufiers ne  purent  rien  faire  5  6c  peu  s'en  fallut  même  que  le 
duc  de  Guife  n'y  fut  tué  en  defcendant  de  cheval.  Ce  malheur 
fut  encore  fuivi  d'un  autre  ;  le  comte  de  Santafiore  dans  une 
fortie  qu'il  fit  pendant  la  nuit,  après  nous  avoir  tué  6c  blefTé 
beaucoup  de  monde,  nous  enleva  les  facs  de  laine ,  les  pelles , 
les  hoyaux ,  les  marteaux,  6c  tous  les  autres  outils  6c  inftrumens 
qui  fervent  pour  une  attaque. 

Comme  on  ne  parloir  d'autre  chofe  que  de  l'arrivée  du 
duc  d'Albe  ,  6c  que  la  renommée  faifoit  fes  troupes  en- 
core plus  nombreufes  qu'elles  n'étoient  en  effet,  le  duc  de 
Guife  i  pour  être  mieux  informé  ,  envoya  trois  cens  Che- 
vaux-légers,  6c  cent  Gendarmes  ,  pour  feconnoître  l'enne- 
mi. Ceux-ci  fe  rendirent  à  Turtureto  ,  6c  la  cavalerie  légère 
fe  pofta  à  Giulia-Nova  ,  ville   peu  éloignée   de  la   mer  , 


p2  HISTOIRE 

dont  la  fimation  eft  fur  une  éminence  à  dix  milles  d'Umano  £ 
tt  II    dans  un  territoire  fertile,  ôc  abondant  en  vivres  ôc  en  bois. 

Le  duc  d'Albe,  à  qui  cette  démarche  fit  penfer  que  le  duc 
'  de  Guife  ,  au  cas  qu'il  levât  le  fiége  de  Civitella  ,  avoit'choifï 

cette  ville  pour  fe  retirer  avec  fes  troupes ,  réfolut  de  le  pré- 
venir ;  à  cet  effet  il  envoya  le  comte  de  Popoli ,  &  D.  Gar- 
de de  Tolède ,  avec  trois  mille  hommes  d'infanterie  Efpa- 
gnole ,  deux  cens  Gendarmes,  ôcfix  cens  Chevaux-legers ,  pour 
furprendre  nos  troupes.  Ces  deux  Capitaines  décampèrent  fans 
bruit,  la  nuit  même  qu'ils  apprirent  l'arrivée  des  nôtres,  ôc 
après  avoir  paffé  la  rivière  d'Umano ,  ils  arrivèrent  fur  les  bords 
du  Tordino ,  qui  fe  décharge  dans  la  mer ,  à  peu  de  diftance 
de  Giulia-Nova.  Ce  fut  là  qu'ils  partagèrent  leurs  troupes , 
ôc  que  de  concert;  ils  prirent  deux  routes  différentes  :  le  comte 
de  Popoli  avec  la  cavalerie  légère ,  après  avoir  fait  un  grand 
tour  ,  prit  fon  chemin  à  gauche  ,  pour  fe  rendre  dans  un 
endroit  où  il  devoit  fe  mettre  en  embufcade  :  D.  Garcie 
de  Tolède  tournant  fur  la  droite ,  prit  la  route  de  Turtureto , 
dans  le  deffein  d'attaquer  la  place  de  ce  côté-là ,  dans  le  tems 
qu'il  jugeroit  que  le  comte  de  Popoli  feroit  arrivé  à  fon  porte. 
Ils  avoient  pris  ces  mefures  ,  parce  qu'ils  efpéroient ,  que  il 
les  ennemis ,  épouvantez  à  la  première  attaque ,  vouloient  fe 
retirer*  par  une  porte  de  derrière  >  ils  tomberoient  infaillible- 
ment dans  Fembufcade ,  que  Popoli  leur  avoit  dreffée.  Mais 
ils  prirent  mal  leurs  mefures;  Dom  Garcie  s'étant  trop  preffé> 
nos  troupes ,  averties  de  fa  marche  par  les  efpions ,  eurent  le 
tems  de  prendre  les  armes.  Cependant  quarante  d'entr'eux 
étant  fortis  de  la  ville,  rencontrèrent  un  pareil  nombre  des 
gens  de  Popoli ,  qui  n'étoient  pas  arrivez  encore  à  leur  embuf- 
cade. Ils  en  vinrent  aux  mains  dans  un  endroit  fort  refferré* 
nos  troupes  y  eurent  tout  l'avantage  5  ôc  après  avoir  fait  pri- 
fonniers  Henrique  commandant  de  la  cavalerie  Efpagnole , 
George  de  Lannoy  capitaine  de  chevaux ,  Jean-Baptifte  de 
Capoùe  y  ôc  André  Roberto  ,  les  autres  s'enfuirent  avec  d'au- 
tant moins  de  honte ,  que  la  nuit  couvroit  leur  fuite.  Quoi- 
que Popoli,  à  font arrivée  ,  eût  rétabli  le  combat,  ceux  néan- 
moins qui  étoient  dans  la  ville  ,  eurent  le  tems  de  prendre 
leurs  armes ,  ôc  de  fe  retirer  en  toute  fureté  vers  le  gros  de 
l'armée. 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  L  i  v.  XVIII.       93 

Le  lendemain ,  à  la  pointe  du  jour ,  les  Efpagnols  voyant  -———* 
que  les  François  s'étoient  retirez ,  entrèrent  dans  Giulia-Nova,  Kenri  II. 
qu'ils  mirent  au  pillage.  Le  duc  d'Albe  ,  dans  la  penfée  que  15-5-7. 
le  duc  de  Guife  accouroit  pour  fecourir  fes  troupes ,  y  vint 
lui-même  avec  toute  fon  armée  qu'il  rangea  en  bataille  ,  ôc 
y  refta  quelques  jours. 

Quoique  les  François  fiflent  valoir  cet  avantage  aux  yeux 
des  habitans  de  Civitella,  ôc  l'élevafTent  fort  au-deffus  de  la 
vérité ,  les  aiîiégez  cependant  n'en  montrèrent  pas  moins  de  L!  âac  dc 
courage  à  fe  bien  défendre.  Le  duc  de  Guife  fuivit  alors  l'avis  fiége*  eve  c 
de  Pierre  Strozzi,  qui  depuis  peu  de  jours  étoit  arrivé  au  camp 
avec  le  duc  de  Paliano.  Voyant  fon  armée  diminuée  de  moi- 
tié, ôc  fes  forces  inférieures  à  celles  du  duc  d'Albe ,  il  jugea 
à  propos  de  lever  le  fiége  ;  ainli  deux  jours  avant  fon  départ , 
ayant  fait  partir  l'artillerie  ôc  le  gros  du  bagage ,  il  s'éloigna  de 
la  place  le  1  $  de  Mai.  Ce  Général ,  pour  favorifer  la  retraite 
de  fes  troupes  ,  demeura  à  l'arriere-garde ,  avec  un  efcadron 
de  cavalerie  d'élite  5  ôc  comme  il  prévoyoit  que  la  garnifon  ne 
manquerait  pas  de  le  venir  charger  dans  fa  retraite ,  il  drefïa 
habilement  une  embufcade.  Ce  qu'il  avoit  prévu  arriva  :  quel- 
ques foldats  étant  fortis  ,  fans  l'ordre  de  Santafiore  ,  furent  dé- 
faits, ôc  Santafiore  lui-même  y  étant  accouru,  tomba  dans  la 
même  embufcade  ,  ôc  perdit  vingt-cinq  hommes.  La  perte 
qu'il  fit  dans  cette  fortie ,  fut  plus  grande  que  celle  qu'il  avoit 
faite  pendant  tout  le  cours  du  fiége.  C'eft  ainfi  qu'on  fe  re- 
tira de  devant  Civitella  ,  vingt-deux  jours  après  l'avoir  affié- 
gée  :  il  y  fut  tiré  ,  fuivant  la fupputation  de  quelques  curieux, 
huit  cens  coups  de  canons. 

Tandis  que  nos  troupes  Ôc  celles  du  Pape  faifoient  fi  peu  Guerre  <Lim 
de  progrès  dans  le  royaume  de  Naples  y  les  ennemis  n'étoient  *a  T°fone, 
pas  oififs  dans  la  Tofcane ,  ôc  dans  la  Lombardie.  Corne , 
qui  avoit  bien  prévu  que  la  guerre  entreprife  pour  le  Pape 
donnerait  lieu  à  la  rupture  de  la  trêve  ,  avoit  dès  le  commen- 
cement envoyé  en  Allemagne  Bernard  de  Graziny,  avec  de 
l'argent  pour  lever  trois  mille  hommes  fous  le  commandement 
de  Jean-Baptifte  d'Arco,  qui  devoit  aufïi  par  ordre  de  Philippe 
en  lever  quatre  mille,  pour  envoyer  dans  le  Milanez. 

Le  duc  de  Florence  avoit  mis  outre  cela  deux  mille  hom- 
mes  de  troupes  étrangères  en  garnifon  dans  lesvilles  de  Prato,  de 

M  iij 


P4  HISTOIRE 

-•■••  -  Piftoia  ;  de  Mugello  ,  ôc  d'Arezzo.  Cependant  Chiappino- 
Henri  II  Vitelli ,  ôc  Gabriel  Serbellon  ne  ceffojent  de  parcourir  la  fron- 
tière, afin  d'être  prêts  en  toute  occafion  à  s'oppofer  aux  en- 
treprifes  des  François.  Les  Allemands  étoient  déjà  arrivez  à 
Cafal  Maggiore,  ôc  de-là,  après  avoir  obtenu  du  cardinal  de 
Trente  quelques  vivres ,  ôc  s'être  fait  payer  de  leur  folde,  ils 
dévoient  paner  par  le  Val  de  Tare,  par  Pontremoli ,  ôc  Pietra- 
San&a  5  d'un  autre  côté,  le  cardinal  de  Burgos  gouverneur 
de  Sienne  avoit  donné  ordre  à  Alvaro  de  Sandi ,  qui  avoit 
la  principale  conduite  de  cette  guerre ,  de  tirer  fix  cens  hom- 
mes d'infanterie  des  garnifons  de  Crémone ,  de  Porto  -  Er- 
cole ,  ôc  des  places  voifines. 

Blaife  de  Montluc  ,  qui  après  la  mort  de  fon  fils,  ôc  lapri- 
fe  d'Oftie  par  Strozzi,  étoit  parti  de  Rome,  arriva  en  ce  tems- 
là  à  Montalcino  pour  fucceder  à  Soubife,  qui  quittoit  la  pro- 
vince :  il  découvrit  à  fon  arrivée  les  pratiques  fecretes  du  car- 
dinal de  Burgos  pour  furprendre  cette  ville.  Cependant  comme 
il  ignoroit  beaucoup  de  chofes ,  Ôc  qu'il  faifoit  tous  fes  efforts 
pour  pénétrer  plus  avant  dans  fes  defleins,  un  certain  Sien- 
nois  l'avertit  en  fecretde  fe tenir  fur  fes  gardes,  ôc  lui  décou- 
vrit l'endroit  par  où  les  ennemis  avoient  réfolu  d'entrer  dans 
la  place.  Pour  profiter  d'un  avis  fi  important ,  Jérôme  Span- 
nocchi  par  fon  ordre  fit  des  recherches ,  Ôc  obferva  tout  ;  après 
une  vifite  très-exa£te  de  toutes  les  maifons  voifines  de  la  pla- 
ce^ il  trouva  dans  une  vieille  maifon  inhabitée  une  grande 
quantité  d'échelles  bien  travaillées.  En  même-tems  FeboTur- 
co,  habile  fourbe  ,vint  trouver  Montluc,  ôc  lui  promit  de  l'a- 
vertir de  l'arrivée  des  ennemis:  Montluc  fe  fiant  fur  la  parole 
de  cet  homme ,  donna  ordre  àlagarnifon  de  GroîTeto ,  de  Chiufi, 
ôc  de  Monticelld  .  de  furprendre  l'ennemi  par  derrière,  tandis 
que  par  une  fortie  qu'il  feroit  de  la  ville  il  l'attaqueroit  de  front. 
L'ennemi  n'ayant  point  paru  ,  il  connut  la  fourberie  de  ce  Febo 
Turco,qui  fut  mis  en  prifon  dans  la  citadelleunais  ayant  percé  le 
mur  il  eut  Tadreffe  de  fe  fauver,  ôc  de  fe  retirer  à  Sienne.où  il  in- 
forma le  cardinal  de  Burgos  de  la  découverte  de  fes  deffeins. 
Après  toutes  les  précautions  que  les  ennemis  avoiert  prifes, 
ilscroyoient  n'avoir  rien  à  craindre  de  nous  >lôrfqueMoretto3 
Calabrois  ,  qui  étoit  dans  Monte-Pefcali-en-Maremma,  s'em- 
para adroitement  de  Chiufdino  ,  ôc  le  fortifia  autant  qu'il  put. 


mtKWJ!  •miiJIKJI 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XVIII.       <?? 

par  les  troupes  qu'il  y  envoya  de  Groffeto ,  fous  la  conduite 
ci'Afdcubal  de  Medicis.  Dès  que  Sandi  en  eût  eu  avis.il  y  Henri  IL 
accourut  avec  trente  enfeignes d'infanterie,  cinq  cens  chevaux,  \  <  <nt 
ôc  trois  pièces  de  canon.  Montlucdefon  côté  partit  aufïi-tôt 
pour  fecourir  la  place  s'il  étoit  pofTlble  :  a  fon  arrivée  à  Mon- 
tepefcali ,  qui  eft  à  fix  milles  de  Chiufdino  ,  il  envoya  au  fe- 
cours  Saint  Génies  lieutenant  de  la  compagnie  d'Avanfon, 
avec  trente  arquebufiers ,  ôc  autant  de  gens-d'armes  chargez  de 
poudre  j  tandis  que  d'un  autre  côté  il  amufoit  l'ennemi  par  ^ 

de  légères  efearmouches ,  ils  entrèrent  tous  dans  la  ville  fous 
la  conduite  de  Charry,  à  l'exception  de  cinq  gendarmes.  De 
là  Montluc  revint  en  diligence  à  Montalcino ,  ôc  le  lendemain 
voyant  que  Sandi  s'attachoit  au  fiége  de  Chiufdino  }  il  atta- 
qua une  tour  qui  étoit  dans  le  voifinage  y  gardée  par  foixante 
hommes.  Après  l'avoir  battue  un  jour  entier ,  avec  unegroffe 
pièce  de  canon  ,  Ôc  une  coulevrine ,  la  garnifon  fe  rendit  fur 
le  foir ,  vie  fauve.  Il  s'empara  le  jour  fuivant  de  plusieurs  châ- 
teaux ,  qui  incommodoient  nos  troupes  ;  après  ces  .petites 
expéditions,  comme  la  plupart  des  capitaines  étoient  d'avis 
d'attaquer  Buon-Convento  ,  dans  la  crainte  que  Sandi ,  après  la 
prife  de  Chiufdino ,  ne  mît  le  fiége  devant  M ontepefcali,  Mont- 
luc partit  pour  reconnoître  la  place.  En  même  tems  il  donna 
ordre  de  faire  des  courfes  fur  l'Etat  de  Sienne  3  ôc  envoya  à 
cet  effet  le  capitaine  de  Serres  fon  lieutenant ,  ôc  Mario  de 
Santafîore,  qui,  avec  le  Grand-Prieur  de  Lombardie  fon  frè- 
re, étoit  rentré  depuis  peu  dans  les  bonnes  grâces  du  Roi:ils 
rencontrèrent  alors  par  hazard  une  compagnie  d'infanterie, 
qu'ils  taillèrent  en  pièces.  Le  cardinal  de  Burgos,  qui  fedé- 
fïoit  de  la  fidélité  des  Siennois,  en  conçût  une  (i  grande  frayeur, 
qu'il  écrivit  à  Sandi  de  quitter  tout ,  ôc  de  venir  promptement. 
Ce  fut  pour  cette  raifon  que  Saint  Génies,  ôc  le  lieutenant  de 
Moreto  ,  quoiqu'il  leur  fut  abfolument  impoifible  de  défendre 
Chiufdino ,  en  fortirent  à  des  conditions  honorables. 

Sandi,felon  l'ordre  qu'il  en  avoit,partit  avec  tant  de  diligence, 
qu'à  peine  Montluc  eut-il  le  tems  de  ramener  fon  canon.  Il  fe 
glorifie  cependant  dans  fes  Memoires,d'avoir  fagement  prévenu 
le  péril  ,  6c  de  n'avoir  pas  été  de  l'avis  des  autres  capitai- 
nes, qui  lui  confeilloient  d'attaquer  Buon-Convento.  Sandi 
avoit  repris  auparavant  Pienza.  La  garnifon  qui  étoit  fous  la 


96  HISTOIRE 

conduite  de  Faufto  de  Peroufe  ,  avoit  prefque  toute  été  taillée 
tt   en  pièces,  quoiqueMario  Santafiore  combatîtlong-temspour 
'  favorifer  fa  retraite  :  les  ennemis  firent  trente  prifonniers ,  des 

cornettes  de  Montluc  ,  Ôc  de  Nicolas  des  Urfins  comte  de  Pe- 
tigliano  i  entr'autres  Gourgues,  très-brave  homme, ôc  qui  depuis 
acquitbeaucoup  degloire  dans~une  expédition  des  Indesdes  au- 
tres fe  fauverent  àMonticello,à  la  faveur  des  troupes  de  Barthe- 
lemi  de  Pezaro.  Montluc  ayant  été  averti  que  Sandi  s'étoit  mis  en 
chemin  la  nuit,  à  la  lueur  des  flambeaux ,  pour  furprendre  Roc- 
ca-di-Baldocco  r,y  arriva  le  premier  avec  leGrand-Prieur  Santa- 
fiore ,  après  avoir  donné  ordre z  à  Entre-  Cafteaux,  neveu  du  car- 
dinal de  Tournon,  de  le  fuivre  avec  fa  compagnie  armée  à  la  lé- 
gère. Sandi  voyant  fon  entreprife  découverte,  revint  fur  fes  pas. 
Les  François  ayant  fait  prifonniers  de  guerre  Mantillo  ôc 
Carillo  ,  gouverneurs  de  Porto-Ercole  ,  ôc  de  Buon-Con- 
vento ,  ôc  avec  eux  vingt  foldats ,  parlèrent  plufieurs  fois  de 
îes  échanger  avec  des  nôtres ,  qui  étoient  retenus  dans  Pienzaî 
mais  les  ennemis  n'y  voulurent  point  entendre  ;  ce  qui  fit  ré- 
foudre Montluc  à  reprendre  cette  place.  Faufto  de  Peroufe , 
qui  en  avoit  autrefois  été  gouverneur  ,  lui  apprit  qu'on  pou- 
voit  aifément  furprendre  Pienza ,  par  un  égoût  ou  il  étoit  fa- 
cile d'entrer,  ôc  qu'il  n'y  avoit  entre  la  ville  ôc  cet  égoût  qu'une 
muraille ,  qu'on  pourroit  efcalader  fans  beaucoup  de  difficul- 
té. Montluc  partit  donc  la  nuit  avec  fes  troupes,  bien  réfolu 
d'envenir  à  la  force  ouverte  ,  fi  la  rufe  ne  lui  réùfîiilbit  pas 
il  étoit  fuivi  des  compagnies  d'Entre-Cafteaux  ,  du  capi- 
taine Avanfon  ,  ôc  de  LufTan ,  qui  peu  de  tems  après  mou- 
rut de  maladie  ;  outre  cela ,  trois  cens  hommes  lui  furent  en- 
voyez par  le  duc  de  Somme  >  qui  ne  pouvant  fournir  l'orgueil 
ôc  la  perfidie  des  Caraffes  ,  avoit  quitté  l'armée  du  duc  de 
Guife  :  Barthelemi  de  Pezaro  lui  en  envoya  cent  de  Monti- 
cello.  Le  baron  de  Clermont ,  que  le  duc  de  Guife ,  à  la  prière 
des  Siennois ,  avoit  fait  revenir  de  Groffeto  dans  fon  armée, 
eût  ordre  de  fe  mettre  en  embufcade  avec  Blacon ,  ôc  une 
partie  de  la  Cornette  de  Petigliano,  dans  les  chemins  qui  font 


2,  Montluc  la  nomme  la  Roque  de 
Badoc, 

i  MontlucTappelle  par  méprife, An- 
dré Cafteaux  ,  au  lieu  d'Entre- Caf- 
teaux ,  qui  étoit  fon  véritable  nom. 


Il  étoit  fils  d'une  fœur  du  cardinal  de 
Tournon.  M.  de  Thou  l'appelle  Tri- 
caftrinus  ;  il  devoit  plutôt  lui  donner 
le  nom  àUntercafirinaus, 

entre 


DE  J.  A.  DETHOU,Liv.  XVIIL       97 

entre  Pienza  ôc  Montepulciano ,  pour  tâcher  de  furprendre  le 

fecours  que  Corne  y  envoyoit.  La  garnifon  cependant,  qui  Henri  IL 

étoit  avertie  de  notre  entreprife,  attendoit  avec  un  grand  fi-     i;y  7- 

îence  l'occafion  favorable  de  charger  l'ennemi  s  mais  comme 

nos  troupes  tardoient  trop  à  venir ,  les  capitaines  Trappes , 

Coffeil,  les  Auflillons,  Caftelfagrat ,  Bidonnet ,  ôc  la  Motte 

attaquèrent  la  place  avec  peu  de  troupes.  Les  ennemis  les 

ayant  repouflez ,  les  échelles  rompirent  fous  eux  ;  ce  qui  fut 

caufe  qu'ils  réitèrent  entre  les  deux  murailles ,  fans  avoir  rien 

fait. 

Montluc  affligé ,  qu'une  entreprife  pour  la  liberté  des  pri- 
fonniers  eût  fervi  à  en  augmenter  le  nombre  ,  dès  que  le  jour 
commença  à  paroître  ,  réfolut  d'en  venir  à  la  force.  Il  fit  donc 
approcher  fes  troupes  du  baftion  ,  ôc  s'étant  lui-même  avan- 
cé du  côté  de  la  porte ,  il  emporta  avec  les  mains  la  muraille 
qui  étoit  foible ,  ôc  peu  épaifle  ,  ôc  ayant  enfuite  fait  apporter 
les  échelles ,  il  fe  difpofa  à  faire  monter  à  l'afiaut  :  les  pri- 
fonniers  qui  étoient  dans  la  ville,  ayant  pris  les  armes  dans 
cette  circonftance ,  ôc  mis  la  garnifon  en  fuite  ,  il  fe  rendit 
maître  de  la  place  fans  aucune  réfiftance.  On  y  fit  prifonnier 
Jacque-Pierre  de  la  Staffa ,  capitaine  de  cavalerie ,  fon  lieu- 
tenant >  fon  porte-Enfeigne ,  ôc  quelques  foldats  de  la  garnifon  : 
cette  a£tion  fe  pafla  le  29  de  Juin.  Monluc  en  parle  comme 
d'un  exploit ,  qui  l'a  comblé  de  gloire  en  Italie.  Adriani 
au  contraire  n'en  fait  pas  tant  de  cas  :  il  affûre  que  cette  place 
étoit  foible  ôc  dépourvue'  de  gens  de  guerre,  ôc  qu'elle  fut 
prife  dans  le  tems  que  les  Efpagnols  faifoient  tout  avec  né- 
gligence ôc  lenteur  ;  qu'ils  en  avoient  même  retiré  la  garnifon, 
indignez  que  Philippe  eût  cédé  l'autorité  fur  la  ville  de  Sienne 
à  Corne  de  Medicis  :  c'eft  de  quoi  nous  parlerons  bientôt. 

Le  duc  de  Ferrare  d'un  autre  côté ,  à  la  tête  de  fon  armée  , 
foûtenu  des  François ,  fe  rendoit  redoutable  à  fes  voifins  :  les 
princes  de  Correggio  fur  tout  ,  pour  avoir  fuivi  le  parti  de 
l'Empereur ,  avoient  tout  à  craindre  de  fon  reffentiment  ;  ils 
fe  virent  par  là  dans  la  néceflité  de  traiter  avec  le  Duc,  ôc  lui 
donnèrent  même  des  otages.  Mais  comme  Jérôme ,  l'un  des 
Princes  de  Correggio  ,  qui  n'avoit  pas  foufcrit  à  ce  traité  , 
prétendit  que  fes  frères  n' avoient  pu  rien  conclure  fans  fa 
participation  ,  on  reprit  les  armes  de  nouveau.  Jérôme  de 
Tome  III.  N 


■pi  HISTOIRE 

concert  avec  Tes  frères ,  retira  les  otages  qu'on  avoit  laiiTé  aller 
Henri  II  cnez  eux  ^ur  ^eur  Par°ïeJ  &  \zfc  en  apparence  maigre  eux  , 
i  r  T  7  pour  empêcher  qu'on  ne  leur  imputât  un  manque  de  foi.  Il 
s'empara  enfuite  de  Correggio  ,  par  le  fecours  du  marquis  de 
Pefcaire  >  ôc  mit  dans  cette  place  Louis  del  Borgo  Milanois 
avec  huit  cens  hommes  d'infanterie.  Cependant  Àlfonfe  fils 
du  duc  de  Ferrare  s'étant  jette  en  armes  fur  leurs  frontières, 
porta  la  défolation  de  tous  cotez  ;  ôc  fes  troupes  étant  enfuite 
augmentées  de  deux  mille  Suiffes  arrivez  depuis  peudetems 
de  la  Aîarched'Ancone  ,  ôc  de  mille  Gafcons,  que  le  duc  de 
Guifelui  avoit  envoyez  de  la  Campagne  de  Rome  ;  fans  comp- 
ter la  garnifon  de  Briffeilo,  qu'il  avoit  fait  venir  avec  toute  fon 
artillerie ,  il  prit  la  route  de  Nuvoiara,  fuivi  de  Corneille  Ben- 
tivoglio. 

A  fon  arrivée  François  de  Gonzague  lui  remit  cette  place* 
qui  étoit  la  principale  ville  de  fon  petit  Etat.  Peu  de  tems 
après  Alfonfe  s'empara  encore  de  Luzzara,  qui  étoit  un  châ- 
teau de  la  dépendance  des  Gonzagues.  Après  la  prife  de  ces 
deux  places*  il  mit  le  fiége  devant  Guaftalla  ;  ce  qu'il  avoit 
jufqu'alors  différé  d'exécuter ,  à  caufe  des  ordres  qu'il  avoit  reçus 
de  fon  père.  Le  cardinal  de  Trente,  dans  cet  intervalle,  ôcle 
marquis  de  Pefcaire  y  avoient  mis  une  bonne  garnifon  ,  ôc  du 
confentement  de  Ferdinand  de  Gonzague,  ils  en  avoient  con- 
fidérablement  augmenté  les  fortifications.  Alfonfe  marcha 
contre  cette  place ,  ôc  après  s'être  emparé  de  tous  les  paffages , 
il  en  forma  le  fiége  ôc  l'attaqua  vivement.  Il  ne  put  néan- 
moins empêcher  que  le  comte  de  Buocardo  ne  fit  entrer  de 
grands  fecours  dans  la  ville ,  ôc  fur-tout  de  la  poudre,  dont  les 
aflïégez  avoient  le  plus  de  befoin  :  on  drefla  les  batteries  ôc  le 
Canon  fut  pointé  contre  les  murailles  ;  mais  fans  fuccès,.  par 
l'ignorance  des  officiers  de  l'artillerie.  Alfonfe  ayant  chan- 
gé plufieurs  fois  fes  batteries ,  les  affiégez  fuient  enfin  ré- 
duits à  l'extrémité  :  ils  étoient  fur  le  point  de  fe  rendre*  lorf- 
que  ce  Général  craignant  l'arrivée  du  marquis  de  Pefcaire  , 
dont  le  bruit  s'étoit  répandu  ,  fit  ceffer  les  batteries  ,  retira  fon 
canon  ôc  leva  le  fiége.  Cette  retraite  ne  lui  fit  pas  honneur , 
il  s'en  prit  à  Bentivoglio ,  qui  lui  avoit ,  difoit-il ,  fait  perdre 
du  tems  devant  cette  place. 

Briflac  n'en  perdoit  point  :  Après  la  prife  de  Valenza  parle 


DE  J.  A.  DE  THOU;  Liv.  XVIIL       99 

duc  de  Guife  ,  ayant  mis  fon  armée  en  campagne,  il  réfolut  - 
au  commencement  du  mois  d'Avril,  de  mettre  le  fiége  de-  Henri  IL 
vant  Valfeniera.  Cette  place  eft  fituée  dans  le  territoire  d'Afte,      1  ?  c  7. 
entre  Villanova  ôc  Carmagnolle  :  Ferdinand  de  Gonzague  l'a- 
voit  autrefois  fortifiée  5  Alvaro  de  Sandi  en  augmenta  depuis 
les  fortifications  par  une  infinité  de  travaux ,  &  mit  dans  la 
place  une  bonne  garnifon  •-,  elle  confiftoit  en  quatre  Enfeignes 
d'Italiens,  trois  d'Allemands,  ôc  deux  d'Efpagnols.  Toutétoit 
préparé  pour  afliéger  cette  ville  >  lorfque  Briflac  ,  qui  étoit  fort 
fujet  à  la  goûte ,  fut  attaqué  de  cette  maladie  :  mais  ne  vou- 
lant pas  pour  cela  laiffer   échapper  une  fi  belle  occafion ,  il 
chargea  Paul  deThermes.de  la  conduite  de  cette  entreprife. 
Son  armée  étoit  compofée  de  huit  mille  hommes  d'infanterie, 
Ôc  de  fix  cens  hommes  de  cavalerie  :  il  avoit  outre  cela  un  grand 
nombre  de  pionniers  ôc  feize  pièces  de  canon.  De  Thermes 
avec  ces  forces  poufTa  la  tranchée  jufqu'au  foffé ,  ôc  fit  tirer 
contre  la  place  toutes  fes  batteries  ;  il  fit  enfuite  monter  fes 
troupes  à  l'affaut  5  mais  les  afliégez  les  repoufierent  avec  beau- 
coup de  vigueur.  Il  fçut  néanmoins  mettre  fes  foldats  à  cou- 
vert du  feu  des  afTiégez  ,  ôc  fit  enfuite  travailler  à  des  mines. 
La  vivacité  avec  laquelle  on  avançoit  ces  travaux  épouvanta 
les  afliégez.  Le  marquis  de  Pefcaire ,  qui  pour  lors  étoit  occu- 
pé à  élever  un  Fort ,  pour  mettre  à  couvert  la  vallée  Lomellina  » 
eut  beau  les  exhorter  à  fe  bien  défendre,  ôc  leur  promettre  de 
venir  en  perfonne  à  leur  fecours,  il  ne  put  les  raflfurer.  Dans  cette 
conjon£ture,les  Allemands  ,  dont  l'ardeur  étoit  fort  refroidie , 
parce  qu'ils  n'étoient  pas  payez,  s'étant  mutinez,  contraignirent 
les  Efpagnols  à*  capituler  à  des  conditions  peu  honorables  :  ils 
fortirent  tous  fans  armes,  ôc  nous  abandonnèrent  leurs  dra- 

Ï>eaux  >  leur  canon ,  Ôc  toutes  leurs  munitions.  BrifTac  fit  rafer 
a  place ,  parce  que  nos  troupes  en  étoient  incommodées ,  ôc 
qu'elle  empêchoit  la  correfpondance  entre  les  garnifons  de 
San-Damiano  Ôc  de  Cifterna. 

Au  commencement  du  mois  de  Mai,  ce,Général  attaqua 
Cheerafco  avec  le  même  fuccès.  Cette  ville ,  prefque  au  con- 
fluent des  rivières  de  Stura  ôc  de  Tanaro  ,  eft  fituée  fort 
avantageufement  fur  un  lieu  haut  ôc  efcarpé.  Il  y  avoit  dans 
la  place  quatre  cens  hommes  de  garnifon  5  mais  ce  nombre  ne 
fu&foit  pas  pour  fa  défenfe.  Briflac  fit  battre  la  place  ,  ôc 

Ni; 


ioo  HISTOIRE 

■■'    donner  trois  afTauts.  Les  habitans ,  laiTés  de  la  domination  Efpa- 
Henri  II.  gnole ,  ayant  refufé  de  prendre  les  armes ,  la  ville  fut  emportée, 
1  S  SI'     -^s  cîue  BrifTac  s'en  fut  rendu  maître  ,  il  mit  tous  fes  foins  à  la 
faire  fortifier. 

Il  ne  fut  pas  aufïi  heureux  au  fiége  de  Coni ,  où  Menicone 
commandoit  avec  une  forte  garnifon.  La  fituation  de  cette 
place  eft  fort  avantageufe  :  elle  regarde  d'un  côté  Savillan  ôc 
le  Mont  de  l'Argentera  ,  ôc  de  l'autre  Saluées  5  mais  ce  qui  con- 
tribuoit  le  plus  à  fa  défenfe  ,  étoit  le  nombre  des  gens  de  guerre 
qu'on  y  avoit  fait  entrer ,  ôc  l'union  qui  regnoit  entre  les  ha- 
bitans de  cette  ville.  Les  François  drefTerent  leurs  batteries, 
firent  un  feu  continuel  pendant  quelques  jours  ,  ôc  donnèrent 
plufieurs  alTauts  :  nous  perdimes  beaucoup  de  monde  ôc  ces 
attaques  ne  réùfïirent  point.  BrifTac  voyant  la  réfiftance  opi- 
niâtre des  habitans  ôc  de  la  garnifon  ,  prit  d'autres  mefures.' 
Il  fit  travailler  à  des  mines  par  un  grand  nombre  de  pionniers, 
ôc  par  ce  moyen  il  vint  à  bout  de  faire  fauter  une  grande  par- 
tie des  murailles  Ôc  des  battions  :  ce  defaftre  ne  fut  pas  capa- 
ble de  ralentir  l'ardeur  des  foldats  de  la  garnifon  ôc  des  bour- 
geois. Ceux-cij  à  leur  exemple,  couroient  aux  portes  les  plus  dan- 
gereux :  ils  étoient  encouragés  par  les  femmes ,  qui ,  fans  s'é- 
pouvanter du  péril ,  s'emprefîoient  avec  leurs  enfans  à  reparer 
les  brèches ,  ôc  s'employoient  avec  courage  à  tout  ce  qui  pou- 
voit  contribuer  à  la  défenfe  de  leur  ville.  BrifTac  tenta  encore 
un  autre  moyen:  ce  fut  d'inveftir  la  ville  ôc  delà  tenir  bloquée, 
pour  la  contraindre  de  fe  rendre  par  famine.  Mais  les  aiïiégez 
reçurent  en  ce  tems-là  une  grande  quantité  de  vivres  ,  qu'il 
ne  put  empêcher  d'entrer  dans  la  place.  Briffac  voyant  donc 
fon  armée  diminuer  tous  les  jours ,  ôc  ayant  d'ailleurs  appris 
que  le  marquis  de  Pefcaire  étoit  parti  d'Afte  ,  ôc  qu'après  avoir 
laifTé  Carmagnole  à  gauche,  il  s'avançoit  à  la  tête  de  cinq 
mille  hommes  d'infanterie  Ôc  des  nouvelles  recrues  de  cavale- 
rie ,  il  fe  crut  obligé  de  lever  le  fiége  ,  ôc  de  fe  retirer. 

Il  apprit ,  comme  il  étoit  en  chemin,  que  le  Marquis  de  Pef- 
caire ,  à  la  tête  de  la  plus  grande  partie  de  la  NoblelTe  ,  avec 
de  nouvelles  troupes,  étoit  campé  à  peu  de  diftancej  ce  qui 
le  fit  réfoudre  à  tourner  de  ce  côté-là.  S'étant  mis  en  embuf- 
cade  dans  une  forêt ,  par  où  les  ennemis  dévoient  paffer ,  il 
les  attaqua  lorfqu'ils  s'y  attendoient  le  moins  :  ils  perdirent 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  ïv.  XVIII.       ioï 

tons  en  cette  occafion  leurs  armes ,  ou  leur  liberté.  François 

de  Gonzague  comte  de  Nuvolara  fe  fauva  par  le  moyen  de  Henri  IL 

Julien  Carvajal  Efpagnol  :  le  butin  fut  très  -  confidérable.  1557. 

Le  marquis  de  P  efcaire  de  retour  à  Coni  ,  en  fit  reparer  les 
brèches ,  ôc  après  y*  avoir  mis  une  plus  forte  garnifon  ,  il  alla 
à  FolTano ,  où  il  combattit  contre  BrifTac  ,  dont  l'armée  étoit 
plus  nombreufe.  Le  fuccès  du  combat  fut  fort  douteux  :  mais  en- 
fin Pefcaire,  pour  éviter  les  embufcades  ôc  les  pièges  qu'on  lui 
pouvoit  tendre ,  fit  fa  retraite  par  des  chemins  détournés ,  ôc 
arriva  heureufement  à  Afte  avec  toutes  fes  troupes.  BrifTac  fit 
enfuite  des  efforts  inutiles  pour  furprendre  Foffano  ,  qui  étoit 
défendu  par  une  forte  garnifon  Efpagnole  ,  fous  la  conduite 
de  Jean- François  Cofta,  comte  de  la  Trinità  5  cette  place  , 
outre  fa  fituation  avantageufe,  avoit  été  fortifiée  nouvellement 
ôc  munie  de  foldats  5  ôc  notre  armée  étoit  trop  foible  pour  pou- 
voir s'en  emparer. 

Corne  de  Medicis  vit  en  cetems-là  fa  puifTance  s'accroître 
confidérablement.  Philippe ,  contre  le  gré  des  Efpagnols ,  ôc 
ce  qui  eft  plus  étonnant  ,  malgré  lui-même ,  lui  céda  la  fou- 
veraineté  de  l'Etat  de  Sienne,  fur  le  même  pie  qu'il  l'avoit re- 
çue de  l'Empereur  Charle  fon  père.  C'eft  en  quoi  on  ne  fçait 
fi  l'adrenVôc  l'habilité  de  Corne  furent  plus  admirables  que 
fon  bonheur.  Par  là ,  il  établit  plus  folidement  fa  domination, 
qui  avoit  eu  des  commencemens  affez  heureux  dans  la  Tofca- 
ne,  mais  qui  depuis  avoit  effuyé  plufieurs  viciffitudes  ;  il  éloi- 
gna aufîi  par  ce  moyen  ôc  éteignit  même  en  un  moment  la  guer- 
re allumée  dans  le  fein  de  fon  Etat  :  car  comme  la  trêve  fub- 
fîftoit  encore  entre  lui  ôc  nous ,  ôc  que  Montluc  avoit  grand 
foin  de  ne  la  pas  rompre ,  la  guerre  ne  fe  faifoit  qu'entre  les 
François ,  ôc  les  Efpagnols ,  qui  étoient  en  poffeffion  de  Sienne 
ôc  des  places  maritimes.  Mais  Corne  étant  devenu  maître  de 
cette  ville  ,  la  guerre  fut  éloignée  des  frontières  de  Florence, 
Ôc  ne  fe  fit  que  dans  les  contrées  maritimes  de  cet  Etat ,  que 
les  Efpagnols  avoient  retenues.  Comme  cet  événement  a  été 
très-célébre ,  je  crois  qu'il  n'eft  pas  inutile  d'en  détailler  les       ,     . 

n  Négociation 

circonftances._       _  du  £lc  deFlo_ 

Corne  avoit  fait  demander  plufieurs  fois  aux  Impériaux,  rence,poiir 
qu'on  lui  rendît  les  fommes  qu'il  avoit  dépenfées  au  fervice  yeraineté  de" 
de  l'Empereur  ,  ou  qu'on  le  mît  en  poffeffion   de  l'Etat  de  sienne. 

N  iij 


io2  HISTOIRE 

■  Piombino.  On  lui  accorda  cette  dernière  demande  ;  mais  on 
Henri  II  sen  dédit  prefqu'aufïi-tôt ,  ôc  il  fut  même  dépouillé  de  cet  Etat 
. ■ ..  f  _  avec  une  efpece  d'affront.  Si  ce  procédé  étoit  trop  ofFenfant  pour 
n'être  pas  fenti ,  ce  Prince  étoit  aufïi  trop  politique  pour  ne 
le  pas  diflimuler  :  il  fit  néanmoins  toujours  folliciter  l'Empe- 
reur ,  ôc  enfuite  Philippe  ,  de  lui  accorder  quelque  fatisfac- 
tion  ;  mais  ayant  fait  depuis  de  grandes  dépenfes  dans  la  guerre 
de  Sienne  ,  il  ne  défefpéra  plus  d'obtenir  Piombino  ,  ôc  pouffa 
même  fes  vues  jufques  fur  l'Etat  de  Sienne.  Il  ne  faifoit  ce- 
pendant rien  connoître  de  fes  deffeins ,  de  crainte  que  fa  fi- 
délité ôc  fes  fervices  ne  devinffent  fufpe£ts  aux  Efpagnols  5  ainfi 
fe  contentant  de  renouveller  fes  demandes  fur  l'Etat  de  Piom- 
bino y  il  attendoit  une  occafion  favorable  de  fe  déclarer }  ôc 
d'obtenir  ce  qu'il  fouhaitoit. 

Tandis  qu'il  étoit  dans  cette  attente ,  ôc  qu'il  obfervoit  tous 
les  évenemens ,  il  arriva  fort  à  propos  pour  lui  ,  que  Bon- 
gianni-Gianfigliacci,  fon  envoyé  à  Rome,  dans  une  conver- 
fation  qu'il   eut  avec  le  Pape ,  étant  tombé   fur  les  moyens 
d'appaifer  les  troubles  d'Italie ,  ce  Pontife  lui  dit  :  «  Je  n'en 
»  vois  point  de  moyen ,  à  moins  qu'on  ne  me  mette ,  d'un  com- 
»  mun  accord  >  en  poffeflion  de  l'Etat  de  Sienne  ;  les  Fran- 
»  cois   ennuyez  des  grandes  dépenfes  qu'ils  font  dans   cette 
»  guerre , y  confentiront  fans  peine,  ôc  les  Efpagnols  ne  s'opi- 
»>  niâtreront  pas  à  la  continuer ,  fi  les  François  abandonnent 
=»  la  Tofcane  ».  Le  S.  Père  l'affùra  même  que  les  Miniftres 
de  Philippe  lui  avoient  fait  efpérer  ,  que  ce  Prince  ne  s'en 
éloigneroit  pas ,  pourvu  que  Côme  y  voulût  bien  confentir , 
ôc  qu'on   dédommageât  ce   Prince  des  dépenfes  qu'il  avoit 
faites  dans  cette  guerre  ,  Ôc  de  tout  ce  qui  lui  étoit  dû  par  les 
Efpagnols.  Bongianni  écouta  tout  attentivement ,  fans  rien  ré- 
pondre ;  mais  comme  il  fçavoit  les  vues  de  fon  Maître  >  il  l'in- 
forma auiïi-tôt  des  deffeins  du  Pape.  Côme  fut  furpris  de  cet 
avis  >  mais  comme  il  étoit  fçavant  dajis  l'art  de  difîimuler,  il 
écrivit  à  fon  Envoyé  de  ne  rien  faire  connoître  de  fes  deffeins, 
mais  de  remettre  le  Pape  fur  les  mêmes  difcours  3  ôc  de  tâcher, 
autant  qu'il  pourroit ,  de  découvrir  fes  fecrets  dans  les  confé- 
rences qu'il  auroit  avec  lui. 

François  Pacheco  revint  en  ce  tems-là  d'Angleterre ,  où  il 
avoit  été  envoyé  3  pour  traiter  des  conditions  de  la  paix.  Entre 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XVÎÏI.         103 

les  ordres  qu'il  apportent  de  la  part  du  roi  Philippe,  ce'Prince  - 

ordonnoit  au  duc  d'Albe  de  faire  la  paix  avec  le  Pape  ,  à  Henri  IL 
quelque  prix  que  ce  fût,  ôc  que  s'il  n'y  avoit  point  d'autres  l  S  S  7" 
voyes  d'accommodement,  il  mît  les  Caraffes  en  poffelfionde 
l'Etat  de  Sienne  ,  aux  meilleures  conditions  qu'il  en  pour- 
roit  tirer  :  il  lui  mandoit  cependant  de  faire  enforte  que  ce  fût 
avec  le  confentement  du  duc  de  Florence.  Philippe  ,  dans 
les  conjonctures  préfentes ,  jugeoit  plus  à  propos  pour  fes  in- 
térêts d'en  gratifier  de  nouveaux  vafTaux  ,  que  le  duc  de 
Florence  ..  qui  étoit  affez  puiflant ,  ôc  qu'il  avoit  déjà  comblé 
de  bienfaits  :  car  il  efpéroit  que  l'Italie ,  étant  partagée  en- 
tre plufieurs  Souverains,  il  pourroit  plus  facilement  y  confer- 
yer  fa  fuprême  autorité. 

Corne  ayant  été  averti  par  le  duc  d'Albe  fon  allié ,  fit  en- 
forte  auprès  de  lui ,  qu'on  ne  précipitât  point  la  chofe  ;  Ôc  après 
lui  en  avoir  fait  fentir  les  conféquences,  il  le  pria  de  lui  ac- 
corder le  tems  de  faire  partir  un  Envoyé  pour  la  cour  du 
roi  Philippe ,  afin  de  le  détourner  d'un  deffein  fi  pernicieux 
à  l'Italie  ,  ôc  fi  contraire  à  fes  intérêts  particuliers.  Il  obtint 
facilement  cette  grâce  d'un  allié ,  qui  ne  demandoit  qu'à  l'o- 
bliger. Corne  cependant  écrivit  à  Alfonfe  Tornabuoni  qui 
étoit  en  Angleterre ,  pour  le  mettre  au  fait  de  cette  affaire  ,  ôc 
lui  manda ,  qu'en  attendant  qu'il  eût  envoyé  à  Philippe  Louis 
de  Tolède  fon  beau-frere,  il  follicitât  ce  Prince  pour  le  rem- 
bourfement  des  fommes  qui  lui  étoient  dues. 

Il  faifoit  pour  lors  ces  demandes  avec  d'autant  plus  de  con- 
fiance ,  qu'il  voyoit  bien  que  Philippe  avoit  befoin  de  fon  fe- 
cours  ôc  de  fon  amitié  ;  fur-tout  dans  un  tems  que  BrifTac 
faifoit  de  grands  progrès  dans  le  Piémont,  ôc  que  le  duc  de  Gui- 
fe  à  la  tête  d'une  armée  entroit  dans  un  Royaume  fort  fujet 
aux  révolutions  :  car  les  affaires  des  Efpagnols  en  Italie  étoient 
alors  en  fi  mauvais  état,  que  l'amitié  où  l'inimitié  du  duc  de 
Florence  étoient  d'une  extrême  importance  pour  les  rétablir 
ou  les  ruiner.  Aufii  faifit-il  adroitement  cette  occafion.  Il  en- 
voya donc  Louis  de  Tolède  à  Philippe,  ôc  lui  donna  ordre 
de  dépeindre  à  ce  Prince  le  déplorable  état  où  étoit  réduite 
l'Italie,  de  lui  faire  voir  la  mauvaife  fituationde  fes  affaires  dans 
le  Milanez  ôc  dans  la  Tofcane ,  ôc  de  le  prier  de  ne  trouver 
pas  mauvais,  s'il fe plaignoit >  au  nom  du  duc  de  Florence, 


io4  HISTOIRE 

l~  du  peu  de  reconnoiffance  qu'on  témoignoit  pour  fes  fervi* 

Henri  IL  ces,  après  avoir  mis  tout  en  ufage  pour  maintenir  les  peuples  dans 
1  S  5  7>     le  devoir,  ôc  faire  refpecler  par  toute  l'Italie,  ôc  fur-tout  dans 
la  Tofcane  ,  l'autorité  de  Philippe  ,   ôc  celle  de  l'Empereur 
fonpere  :  que  pour  leur  avoir  rendu  fervice  il  étoit  accablé 
de  dettes  :  que  ceux,  dont  il  avoit  emprunté  des  fommesjexcefïï- 
ves ,  étoient  ruinez  j  6c  que  quoique  tous  les  jours  ils  le  folli- 
citaffent  de  tenir  fa  parole  ,  ôc  de  les  leur  rendre ,  il  ne  pou- 
voit  cependant  le  faire ,  fans  fe  ruiner  lui-même ,  ni  le  refufer 
fans  une  injuftice  extrême  :  qu'ainfi  il  ne  devoit  pas  s'étonner, 
s'il  demandoit  ces  rembourfemens  avec  tant  d'importunité  : 
que  fes  affaires  étoient  réduites  dans  un  tel  état,  qu'il  ne  pou- 
voit  plus  fe  contenter  de  paroles ,  comme  il  avoit  fait  jufqu'a- 
lors ,  mais  qu'il  avoit  befoin  qu'on  en  vînt  aux  effets  ;  à  moins 
qu'on  ne  voulût  ruiner  en  même-tems  les  affaires  du  roi  Phi- 
lippe ôc  les  Hennés  :  d'ailleurs  qu'il  n'y  avoit  plus  lieu  de  dif- 
fimuler;  que  Côme  avoit  appris  que  fans  avoir  égard  ni  à  lui, 
ni  à  fes  fervices ,  ni  aux  dettes  qu'il  avoit  contractées  pour  les 
affaires  de  Philippe  dans  la  Tofcane  ,  on  avoit  parlé  dans 
fon  Confeil  de  donner  l'Etat  de  Sienne  aux  Caraffes ,  ôc  que 
le  duc  d'Albeen  avoit  reçu  les  ordres  :  qu'il  étoit  vrai  que  Co- 
rne ne  penfoit  pas  que  fa  Majefté  agit  férieufement  dans  cette 
affaire  ;  mais  qu'il  craignoit  néanmoins  que  ce  qui  fe  faifoit  en 
apparence  pour  appaifer  les  Caraffes ,  ne  devînt  dans  la  fuite 
d'une  nécefïîté  indifpenfable-:  qu'il  prioit  donc  très-humblement 
fa  Majefté  Catholique ,  de  faire  attention  à  quel  péril  iialloit 
s'expofer,  fi  des  hommes  naturellement  fuperbesôc  cruels,  ôc 
qui,  félon  l'idée  commune,  ne  refpiroient  que  la  vengence 
quand  ils  avoient  reçu  une  injure ,  montoient  à  ce  haut  point 
de  gloire  ,   ôc  devenoient  fouverains  d'une  des   plus  belles 
parties  de  la  Tofcane.  Il  ajouta  qu'il  n'y  avoit  pas  de  doute 
que  les  Caraffes,  peu  reconnoiffans  d'un  bienfait  qu'ils  croiroient 
avoir  obtenu  de  force ,  fi  on  le  leur  accordoit ,  ne  fe  reffouvint 
fent  de  l'ancienne  injure  qu'ils  avoient  reçue  ,  ôc  11'employaf- 
fent  tout  ce  qu'ils  auroient  de  crédit  ôc  de  puiffance  pour  en 
tirer  raifon  :  que  par  conféquent,  Côme  ,  qui  avoit  toujours 
fuivi  le  parti  de  l'Empereur  ,  ôc  qui  par  là  étoit  devenu  en- 
nemi du  Roi  de  France ,  étant  foupçonné  par  les  Caraffes , 
d'avoir  été  complice  de  l'injure  qu'on  leur  avoit  faite ,  devoit 

avec 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XVÎIÎ.  107 
avec  raifon  redouter  les  effets  de  leur  reffentiment.  Philippe  -^^^■^— ■ 
à  la  vérité  n'avoit  rien  à  craindre  à  caufe  de  fa  puifTance  :  Henri  II. 
mais  qui  pouvoit  affurer  Corne  que  les  Caraffes,  devenus  plus  1557. 
entreprenans  par  cet  avantage  ,  ne  fe  vengeroient  pas  fur  lui, 
comme  fur  le  plus  foibîe,  6c  ne  prendroient  pas  contre  lui 
des  armes  ,  qu'ils  n'ofoient  ou  ne  pouvoient  tourner  con- 
tre un  aufïî  puilTant  Prince  que  Philippe?  Qui  fçait  même,  fî 
quelque  jour  ilsnepouroient  pas  venir  à  bout  par  leurs  calom- 
nies ,  de  priver  le  duc  de  Florence  des  bonnes  grâces  de  fa 
Majefté  Catholique?  Et  puifque  même  aujourd'hui,  qu'il  eft 
étroitement  uni  avec  elle ,  ôc  qu'il  eft  lié  par  les  mêmes  inté- 
rêts ,  fes  ennemis  veulent  le  rendre  fufpecl  à  ce  Prince,  que  doit- 
il  attendre ,  lorfque  t  les  François  étant  challez  de  la  Tofcane, 
la  caufe  de  cette  alliance  Ôc  de  cette  union  ne  fubiiftera  plus  ? 
Mais  quand  même  le  roi  d'Efpagne  feroit  allez  puilTant  pour 
n'avoir  rien  à  craindre  des  CarafTes  ,  Corne  n'eft-il  pas  par  trop 
foible  pour  négliger  de  pourvoir  à  fa  fureté ,  s'il  eft  obligé  d'a- 
voir pourvoifins  ceux  aufquels  il  a  toujours  fait  la  guerre  pour 
les  intérêts  de  fa  Majefté?  Ce  feroit  doncs'expofer  à  un  péril 
trop  manifefte ,  s'il  rendoit  aux  CarafTes  les  places  qu'il  tient 
dans  l'Etat  de  Sienne. Si  cependant  on  lui  rembourfe  les  fommes 
qu'il  a  avancées ,  il  eft  prêt  à  remettre  ces  places  dès-à-préfent, 
pourvu  qu'elles  demeurent  en  la  puifTance  de  Philippe  3  car 
il  ne  fouhaite  rien  tant  que  d'avoir  pour  voifm  un  Prince 
qu'il  a  toujours  honoré  comme  fon  protecteur.  Si  Philip- 
pe, ennuyé  des  grandes  dépenfes  qu'il  eft  obligé  de  faire,  ai- 
moit  mieux  difpofer  de  l'Etat  de  Sienne  en  faveur  de  quel- 
qu'un, il  ne  pouroit  certainement  fans  faire  tort  à  Corne,  ôc 
fans  une  injuftice  manifefte ,  en  gratifier  un  autre  que  lui  :  car 
autrement  il  s'enfuivroit  qu'un  auffi  grand  Roi  que  Philippe 
fe  défierait  de  la  fidélité  du  duc  de  Florence,  ou  qu'il  feroit 
fi  peu  de  cas  de  fes  forces ,  qu'il  ne  craindrait  pas  de  le  mé- 
contenter ,  pour  fe  rendre  favorables  quelques  perfonnes  foi- 
bles  ôc  impuilTantes.  Enfin  le  duc  de  Florence  fit  dire  à  Phi- 
lippe, qu'il  étoit  dans  de  grandes  inquiétudes,  ôc  que  fes  affai- 
res ne  permettant  pas  qu'il  attendit  un  événement  qui  pou- 
roit lui  être  funefte  ,  il  le  prioit  de  lui  faire  fçavoir  fa  volonté 
ôc  fes  deffeins  ;  que  s'il  vouloit  avoir  Corne  pour  ami ,  il  de- 
voir pourvoir  à  fa  fureté ,  ôc  qu'il  n'attendoit  que  fa  réponfe* 
Tom.  III.  <  O 


io6  HISTOIRE 

pour  prendre  le  parti  qu'il  jugeroit  le  plus  convenable  à  fes  in- 
Henri  IL  téréts. 
1557.         Tandis  que  Tolède  alloit  trouver  Philippe ,  Côme  avoif 
donné  ordre  à  Gianfigliacci  de  folliciter  le  Pape  à  fe  portei! 
à  la  paix.  Il  lui  fit  dire  que  pour  lui  il  accepteroit  toute  forte 
de  conditions ,  pourvu  qu'on  mît  fes  Etats  à  couvert  du  coté 
du  Roi  de  France  5  que  fa  Sainteté  fçavoit  bien  les  defîeins  de 
ce  Monarque,  que  Côme  croyoit  avec  raifon  être  fon  enne- 
mi. «  Je  connois  ,  répondit  le  Pape  ,  à  quoi  tend  ce  difcours* 
»  C'eft  parce  que  je  fçai  les  deffeins  du  Roi  très- Chrétien,  que 
w  je  fuis  bien  perfuadé  de  fa  bienveillance  à  l'égard  de  Côme^ 
»  &  que  j'ofe  au  nom  de  ce  Prince,  offrir  à  votre  maître  des  con- 
«  ditions  très-honorables,  que  je  promets  de  faire  confirmer  par 
«  une  belle  alliance.  «  Gianfigliacci,  qui  étoit  inftruit  par  le 
duc  de  Florence ,  répondit  que  fon  maître  ne  fouhaitoit  rien 
avec  tant  d'ardeur  5  mais  que  dans  une  affaire  de  cette  impor- 
tance, il  ne  pouvoit  fe  déterminer  à  quoique  ce  fut  fans  en 
être  entièrement  affuré  1  qu'il  falloit  donc  négocier  cette  affai- 
re avec  un  grand  fecret  &  une  telle  promptitude ,  qu'elle  ne 
fe  conclût  pas  peu  à  peu  ,  mais  tout  d'un  coup,  avant  que  les 
émiffaires ,  que  Philippe  avoit  répandus  de  tous  cotez,  en  euf- 
fent  eu  le  vent  :  d'ailleurs  que  Côme  avoit  fort  fouhaité  que 
cela  fefît  par  fon  entremife,  afin  de  joindre  ce  bienfait  à  plu- 
fieurs  autres  faveurs  qu'il  avoit  reçues  de  fa  Sainteté. 

Dès  que  le  Pape  eut  donné  avis  de  cette  négociation  à  ceux 
qui  étoient  chargez  à  Rome  des  affaires  de  France ,  ils  écri- 
virent aufli-tôt  à  la  Cour  ce  qui  s'étoit  paffé  avec  le  duc  de 
Florence.  Ils  mandèrent  que  ce  Prince  avoit  fort  à  fe  plain- 
dre des  Impériaux  ;  qu'il  en  avoit  été  trompé  depuis  quelque 
tems,  que  maintenant  Philippe  &  fes  Miniftres  le  traitoient 
d'une  façon  tout-à-fait  indigne?  qu'il  avoit  eu  de  la  peine  à 
obtenir  du  cardinal  de  Trente  des  vivres  pour  les  Allemans , 
qu'on  envoyoit  dans  le  Milanez  5  que  le  cardinal  de  Burgos 
gouverneur  de  Sienne  lui  faifoit  effuyer  tous  les  jours  quel- 
que chofe  de  fâcheux ,  foit  par  fes  difeours  ,  foit  par  fes  ma- 
nières :  que  ces  mauvais  traitemens  enfin  l'engageoient  à 
rechercher  l'amitié  du  Roi  de  France  ;  mais  qu'il  vouloit  que 
ce  fût  à  des  conditions  honorables  :  que  le  Pape  lui  avoit  fait 
cfpérer  que  Sa  Majefté  très-Chrétienne  lui  accorderoit  une  de 


DE   J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XVIII.      107 

fes  filles,  pour  François  fon  fils  aîné  ;  ôc  que  fi  le  Roi  con- 
fentoit  à  cette  alliance ,  le  duc  de  Florence  ne  balanceroit  Henri  IL 
pas  un  moment  à  quitter  le  parti  Efpagnol,  pour  embralTer  les  1  $  5  7. 
intérêts  de  la  France.  Ils  mandèrent  aufli  que  le  Pape,  par 
î'entremife  duquel  fe  négocioit  cette  alliance ,  vouloit,  fuivant 
l'intention  de  Corne,  que  l'affaire  fût  conduite  avec  beaucoup 
-de  fecret  5  qu'ainfi  il  feroit  à  propos  d'envoyer  une  per- 
fonne  chargée  de  pouvoirs  nécefîaires ,  pour  ratifier  les  pro- 
mettes de  Sa  Sainteté. 

La  Cour  ne  fit  aucune  difficulté,  6c  envoya  aufli-tôt  Charle 
de  Marillac  ,  archevêque  de  Vienne ,  qui  s'étoit  acquis  beau- 
coup de  réputation  dans  l'ambaflade  de  Conftantinople ,  Ôc 
dans  toutes  les  affaires  qu'il  avoit  négociées ,  qui  d'ailleurs  étoit 
€n  faveur  auprès  du  cardinal  de  Lorraine  ,  ôcqui  n'en  eut  pas 
néanmoins  dans  la  fuite  toute  la  reconnohTance  poflible.  Il 
arriva  donc  à  Rome ,  ôc  préfenta  au  Pape  une  lettre  du  Roi , 
où  après  de  grands  remerciemens,  ce  Prince  donnoitau  S.  Père 
un  plein  pouvoir  de  terminer  cette  affaire.  Il  lui  envoyoit,  di- 
foit-il ,  l'Archevêque  de  Vienne ,  avec  ordre  de  faire  en  fon 
nom  tout  ce  que  Sa  Sainteté  trouverait  à  propos. 

Cependant  les  François ,  remplis  d'une  fauffe  joye  }  répan- 
doient  dans  la  ville  de  Rome  ,  que  Corne ,  par  I'entremife 
du  Pape ,  avoit  fait  fon  accommodement  avec  le  Roi  de  Fran- 
ce. Ils  croyoient  par-là  faire  avancer  l'affaire ,  ôc  ils  comptoient 
que  Corne  ,  voyant  la  chofe  découverte,  ne  pourrait  plus 
chercher  de  fubterfuges  ,  ôc  embrafferoit  ouvertement  le  parti 
de  la  France  y  dans  la  crainte  de  perdre  en  même  tems  l'a- 
mitié des  deux  Monarques.  Quoique  Corne  en  apparence 
voulût  qu'on  tint  cette  affaire  fecrette,  il  n'étoit  pas  fâché 
néanmoins  que  l'on  fit  courir  ces  bruits ,  perfuadé  que  fon  pro- 
jet en  réùffiroit  mieux  à  la  Cour  de  Philippe  :  ce  qui  arriva 
en  effet.  Car  dès  que  Tolède ,  après  de  longues  excufes ,  eut 
expofé  le  fujet  de  fa  commifïion ,  Philippe  fut  d'abord  étonné 
de  cette  liberté  extraordinaire  5  mais  étant  informé  des  bruits 
quicouroient  à  Rome,  Ôc  s'étant  rappelle  plufieurs  circonftances , 
il  crut  que  Ton  travailloit  à  détacher  le  duc  de  Florence  de  fon 
parti  ;  ôc  il  jugea  que  fi  cela  arrivoit  dans  les  conjonctures 
prélentes ,  fes  affaires  iraient  fort  mal  en  Italie.  Ce  qui  le 
confirma  dans  cette  penfée,  fut  la  dignité  ôc  le  caractère  de 

Oij 


io8  HISTOIRE 

la  perfonne  >  par  Fentremife  de  laquelle  on  difoit  que  celte 
Henri  II  a^re  ^e  conduifoit.  Faifant  réflexion  enfuite  fur  les  difcours 
de  Tolède,  il  ne  douta  plus  que  Corne  ne  cherchât  un  pré- 
rexte  pour  quitter  fon  parti.  «  Car ,  difoit-il  ,  à  quoi  tendent 
»  ces  difcours  ?  Il  ne  peut  refber  plus  longtems  en  fufpens  ;  je 
»  n'ai  qu'à  déclarer  fi  je  veux  être  de  fes  amis  3  &  lui  en  don- 
»  ner  des  marques  ,  non  par  des  paroles  >  mais  par  des  effets  > 
05  il  exige  que  je  lui  donne  des  moyens  de  pourvoir  à  fa  fù- 
=>  reté  ;  il  n'attend  que  ma  réponfe  pour  prendre  fon  parti.  Tous 
«  ces  difcours  ne  marquent-ils  pas  que  fon  efprit  eft  déjà  ébranlé, 
»  &c  qu'il  ne  cherche  qu'un  prétexte  à  fa  défection  ?  v 

Philippe  ,  qui ,  dans  des  circonflances  aufli  lacheufes ,  ne 
vouîoit  pas  donner  à  Corne  des  fujets  de  mécontentement , 
réfolut ,  malgré  l'avis  de  fon  Confeil  ,  de  le  gratifier  de  la  fou- 
veraineté  de  l'Etat  de  Sienne.  Il  lui  fit  d'abord  propofer  des 
conditions  affez  dures  par  Jean  de  Figueroa  5  mais  le  duc  de 
Florence  hs  ayant  rejettées  avec  beaucoup  de  hauteur,  Phi- 
lippe fut  convaincu  plus  que  jamais  que  Corne  le  vouîoit  aban- 
donner. Ainfi,  comme  il  s'étoit  douté  de  ce  refus ,  il  avoit  don- 
né ordre  à  Figueroa ,  que  fi  Corne  refufoit  ces  conditions  ,  il 
ne  fortît  pas  aufli-tôt  de  Florence ,  mais  qu'il  y  refiât ,  jufqu'à 
ce  qu'il  eut  reçu  de  nouveaux  ordres,  afin  d'obferver  les  dé- 
Traite  entre  marches  de  ce  Prince.  Le  traité  fut  enfin  conclu, à  condition 

le  roi  Philip-  ^  A  .      r  r  .  n      •         \      •  r    r  a 

pe  &  le  duc  que  Conie  &  les  entans  recevroient  oc  tiendroient  en  nef  de 
de  Florence    Philippe  l'Etat  de  Sienne  >  de  la  manière  qu'il  î'avok  reçu  de 

au    luiet   de     1,-r-.      i  i  r  xl,  .  i  -   m     *  i      *»         i      "   t?   i 

l'Etat  deSien-  1  Empereur  Ion  père  ,  a  1  exception  de  Porto  -iircoie  ,  leia- 
»e.  mone,  la  montagne  de  PArgentiere,  &  la  citadelle  de  Piom- 

bino,que  Philippe  fe  refervoit  :  Que  par  ce  moyen  les  forn- 
mes  que  l'Empereur  &  Philippe  dévoient  à  Corne,  &  les  dé- 
penfes  qu'il  avoit  faites  dans  cette  guerre  feroient  tenues  pour 
rembourfées.  On  demeura  aufii  d'accord  par  le  même  traité,  que 
Philippe  &  Corne  contribueroient  à  la  défenfe  de  l'état  de  Mi- 
lan, du  royaume  deNaples,  ôcdelaTofcane  :  Que  Corne  four- 
niroit  quatre  mille  hommes  de  pié  &  quatre  cens  chevaux  5  & 
Philippe ,  quatre  cens  Gendarmes  ,  fix  cens  hommes  de  ca- 
valerie légère  Italienne ,  ôc  dix  mille  hommes  d'infanterie  i  & 
que  dès  à  prefent  Philippe  feroit  tenu  de  donner  quatre  mille 
fantafïins,  &  quatre  cens  hommes  de  cavalerie,  avec  la  paye 
de  fix  mois  ,  pour  recouvrer  ce  que  les  François  occupoienr. 


—H—»  »H 


DE   J.  A.  DE   TKOU,Liv.  XVIII       ic^ 

Les  Efpagnols  ajoutèrent  encore  à  ce  traité ,  pour  infulter  au 
malheur  de  Sienne ,  qu'on  laifferoit  l'adminiftration  de  la  ré-  tt  ,r  tt 
publique  à  fes  Magiftrats  ;  comme  (i  Philippe  eût  fongé  à  la 
liberté  de  cet  Etat,  ou  eût  efpéré  que  cette  claufe  pût  avoir  >  >  *' 
lieu.  Ainfi  Corne,  après  s'être  joué  du  Pape  ôc  du  roi  de  France, 
ôc  avoir  tiré  avantage  de  nôtre  crédulité ,  de  la  haine  des  Ef- 
pagnols ,  ôc  de  la  jaloufie  des  deux  nations ,  acquit  par  fa  po- 
litique ôc  fa  patience  la  fouveraineté  de  l'Etat  de  Sienne. 

Le  cardinal  de  Burgos ,  fans  l'avis  duquel  on  avoit  conclu 
ce  traité  ,  eut  beaucoup  de  peine  à  digérer  cet  affront  ;  cepen- 
dant comme  il  nepouvoit  defobéïr  à  Philippe,  qui  lui  ordon- 
nent expreffément  de  fortir  de  Sienne  ,  il  ne  trouva  pas  d'au- 
tre moyen  de  retarder  l'exécution  du  traité ,  que  de  faire  fou- 
lever  les  Efpagnols.  En  effet  les  foldats  s'étant  mutinez  pour 
le  payement  de  leur  folde  ,  menacèrent  de  refter  dans  la  ville  , 
il  on  ne  leur  donnoit  de  l'argent.  Après  beaucoup  de  difputes 
très  difficiles  à  terminer,  Philippe  ,  qui  avoit  fait  cette  donation 
à  regret  Ôc  malgré  lui  ,  voulut  néanmoins  s'attacher  entière- 
ment  le  duc  de  Florence  ;  il  envoya  donc  de  nouveaux  ordres 
au  cardinal  de  Burgos,  ôc  commanda  à  Figueroa  de  faire  exé- 
cuter le  traité.  Ainii  la  garnifon  Efpagnole  fe  retira  le  19  de 
Juillet,  ôc  Figueroa  remit  la  ville  entre  les  mains  de  Louis 
de  Tolède,  qui  la  reçut  au  nom  de  Corne ,  après  avoir  prêté 
le  ferment  dont  on  étoit  convenu  fuivant  le  traité.  Chiappino 
Vitelli  y  entra  en  même-tems  avec  quatre  Enfeignes  d'Alle- 
mands ,  ôc  Frédéric  Montalto  eut  le  gouvernement  de  la  ci- 
tadelle. Ernand  Saftre  ,  avec  une  compagnie  d'Efpagnols  qui 
étoit  à  la  folde  du  duc  de  Florence  ,  fe  mit  peu  de tems après, 
au  nom  de  ce  Prince  ,  en  poffeflion  de  Buon-Convento  qui 
eft  à  l'oppofite  de  Montalcino.  Par  ce  moyen  la  trêve ,  que 
Monîuc  gardoitavec  Corne ,  s'étendit  aux  Etats  nouvellement 
fournis  à  la  puiffance  de  ce  Prince  ;  enforte  que  nous  ne  fîmes 
plus  la  guerre  en  Tofcane ,  qu'à  l'égard  des  places  maritimes 
qui  appartenoient  aux  Efpagnols.  Philippe  envoya  auiïi  à  fon 
tour  Charle  Deza  ,  pour  recevoir  la  citadelle  de  Piombino }  que 
le  duc  de  Florence  avoit  fait  fortifier  :  car  à  l'exception  de  cette 
place ,  ôc  de  la  ville  que  Côme  avoit  fait  bâtir  dans  i'ifle  d'Elbe, 
dont  elle  porte  le  nom  ,  ôc  qui  fut  retenue  par  les  Efpagnols , 
aufïi-bien  que  fon  port ,  Bernard  de  Bolea  remit,  fuivant  les 

O  iij 


no  HISTOIRE 

ordres  du  due  d'Albe  ,  tout  l'Etat  de  Piombino  entre  les  mains 
Henri  II   ^e  Jacclue  Apiani  fon  légitime  Seigneur. 
i  r  c  y  Dès  4ue  Corne  fe  vit  poffeffeur  de  l'Etat  de  Sienne  ,  il  fit 

femblant  de  fuivre  le  plan  des  Efpagnols,  qui  en  reduifantle 
pouvoir  de  la  république  à  celui  d'un  feul  homme  ,  avoient 
l'impudence  de  prétendre  lui  conferverfa  liberté.  Il  fit  donc 
d'abord  élire  des  Magiftrats ,  comme  dans  une  ville  libre  ;  mais 
il  fe  referva  le  choix  des  principaux ,  ôc  ôta  pour  la  féconde 
fois  aux  habitans  toutes  leurs  armes ,  après  en  avoir  fait  une  re- 
cherche très-exacle.  Les  Florentins  fe  mêlèrent  enfuite  avec 
les  Siennois ,  ôc  s'il  étoit  refté  quelques  privilèges  aux  ancien- 
nes familles  de  Sienne  après  la  perte  de  leur  liberté ,  les  Flo- 
rentins eurent  le  même  avantage ,  afin  que  peu  à  peu  ils  ne 
fiffent  plus  qu'un  même  corps  ,  ôc  qu'ils  s'accoûtumaffent  à 
obéir  au  même  maître. 

Cependant  Philippe ,  qui  fe  voyoit  en  fureté  du  côté  du  duc 
de  Florence  ,  ne  fongeoit  plus  qu'à  nous  faire  la  guerre.  Il 
vouloir  commencer  par  fe  concilier  le  Pape ,  ôc  fe  venger  du 
duc  de  Ferrare  ,  qui  avoit  pris  les  armes  contre  lui  dans  des 
conjonctures  fi  facheufes,  Ôc  qui  traitoit  il  cruellement  les  alliez 
de  ce  Prince  :  il  tâcha  d'abord  de  faire  quelque  traité  de  paix 
avec  le  Pape ,  par  l'entremife  du  duc  de  Florence  ?  mais  ce  fut 
inutilement.  Le  cardinal  Caraffe,  qui  ne  refpiroitque  la  guer- 
re, détourna  le  Pontife  d'un  pareil  deffein.  Ce  projet  n'ayant 
donc  point  eu  de  fuccès,  Philippe  ne  fongea  qu'à  tourner  fes 
armes  contre  le  duc  de  Ferrare.  Il  donna  le  commandement 
de  fes  troupes  à  Ottavio  Farnefe  ,  à  qui  le  duc  de  Guife  n'avoit 
pas  voulu  qu'on  fît  la  guerre  :  Corne  qui  venoit  de  recevoir 
une  fi  grande  grâce  du  Roi  d'Efpagne  ,  devoit  fournir  des  fe- 
cours  confidérables. 

Dans  ces  circonftances  Jean  Walter  aborda  à  Napîe  ,  à  la 
tête  de  quatre  mille  hommes  d'infanterie  ,  que  le  duc  d'Albe, 
comme  nous  avons  déjà  dit, avoit  fait  lever  en  Allemagne:  il 
avoit  pris  fa  route  par  l'Evêché  de  Trente ,  ôc  de-là  s'étoit  em- 
barqué fur  les  galères  de  Gènes.  Le  cardinal  de  Trente ,  le 
marquis  de  Pefcaire,  ôc  Caftaldo  ,  qui  voyoient  Corregio  af- 
fiégée  par  le  duc  de  Ferrare  ,  firent  en  vain  tous  leurs  efforts 
pour  les  retenir  à  Milan  ;  mais  Louis  de  Barientos ,  ôc  Jean- 
Paul  Beuct,  que  le  duc  d'Albe  avoit  chargez  de  les  conduire, 


DE  J.   A..  DE  THOU,  Liv.  XVIII.       m 

n'y  voulurent  jamais  confentir  ,  ôc  firent  toute  la  diligence 
poflîble  pour  arriver  au  Royaume  de  Naples.  Ces  troupes  HENRI  ]| 
etoient  compofées  de  quinze  enfeignes.  Le  duc  d' Albe  en  garda  x  f  ?  7 
huit  dans  fon  camp,  ôc  donna  les  fept  autres  à  Marc- Antoine 
Colonne ,  qui  étoit  parti  avec  quatre  mille  hommes  de  troupes 
Italiennes  &  quatre  pièces  d'artillerie,  pour  faire  la  guerre  dans 
la  campagne  de  Rome.  A  fon  arrivée  il  s'empara  de  Pratica» 
qui.appartient  à  Frédéric  Conte.  Cette  place  eft  fituée  entre 
Frofolone  ôc  Supino.  George  de  Terny  ôc  Ottavien  d'Afcolis 
qui  etoient  dedans  avec  deux  compagnies  d'infanterie  Italien- 
ne, fe  rendirent  après  une  légère  réliftance  ,  ôc  quelques  Ef- 
pagnols  furent  tuez.  Colonne  ayant  mis  enfuite  cent  hommes 
d'infanterie  dans  la  place, s'occupa  à  faire  fortifier  Frofolone 
ôc  Anagni  ;  parce  que  ces  places ,  depuis  le  départ  de  l'armée 
du  duc  d'Albe,  etoient  trop  foibles  pour  réfifler  aux  troupes 
du  Pape.  Colonne  mit  fon  infanterie  en  garnifon  dans  les 
villes  voiflnes ,  dans  Anagny ,  Frofolone  ,  Fumone ,  Acuto  -, 
Montefortino ,  Pratica  ,  Terracina  ,  Giuliano  ,  ôc  Sonnino  ;  il 
ne  garda  auprès  de  lui  que  quatre  compagnies,  pour  s'en  fer- 
vir  en  cas  d'accident ,  ôc  les  diftribua  dans  Veruli  ôc  Alatro,. 
Cependant  la  garnifon  de  Rocca-di-Papa  étoit  réduite  aux 
dernières  extrêmitez  •-,  ceux  de  Velletri  la  défoloient  tous  les 
jours  par  quelques  nouvelles  hoftilitez  :  comme  elle  étoit  trop 
éloignée  pour  recevoir  des  vivres  ôc  du  fecours  de  Colonne , 
elle  fut  contrainte  de  fe  rendre.  Cette  place  eft  fituée  entre  Ana- 
gni ôc  Valmontone  :  Jean-Baptifte  Conte,  en  quittant  le  parti 
de  Philippe  ,  avoit  entraîné  ces  villes  dans  fa  défection  ,  auffi- 
bien  que  Cavi  ôc  Genazzano. 

Tandis  que  les  ennemis  fe  tenoient  dans  leurs  garnifons; 
Jean  des  Urfins  profita  de  cette  occafion ,  pour  fe  mettre  en 
campagne  avec  toutes  fes  troupes.  Il  étoit  à  la  tête  de  trois- 
mille  hommes  d'infanterie  Italienne ,  de  la  cavalerie  du  Pape  3. 
ôc  de  deux  enfeignes  de  vieilles  troupes  Allemandes ,  arrivées 
depuis  peu  de  Montalcino  :  il  avoit  outre  cela  quatre  pièces  de 
canon.  Avec  toutes  ces  forces,  il  mit  le  fiége  devant  Monte- 
fortino ,  d'où  Popoli  avoit  fait  revenir  peu  de  tems  avant  Fran- 
çois Brancaccio  ,  à  la  place  duquel  Colonne  avoit  mis  Antoi- 
ne de  Piacenza,  ôc  Jean  Ceccolella  ,  qui  étoit  fort  aimé  dans  la. 
ville,  Les  habitans  firent  dans  le  commencement  une  vigoureufe 


wmm b— — — 


112  HISTOIRE 

réliftance,ôc  repoufïerent  avec  courage  les  troupes  du  Pape  ? 
Henri  II.  Cecco-Conte,fils  deJean-Baptifte,ôc  George  Terni  furent  tuez. 
iyy  y,  La  divifion  s'e'tant  mife ,  comme  il  arrive  fouvent  ,  entre  la  gar- 
ni Ton  6c  les  habitans ,  ceux-ci  fe  rendirent  à  difcrétion ,  ôc  com- 
mirent par-là  une  grande  imprudence  :  car  les  troupes  du  Pape 
s'étantreffouvenuës  delà  trahifon  que  ces  habitans  avoient  faite 
à  ceux  de  Velletry  ,  pafferent  tout  au  fil  de  l'épée ,  fans  diftinc- 
ttion  d'âge  ni  de  fexe  ,  ôc  mirent  même  le  feu  à  une  Eglife ,  où 
les  femmes  ôc  les  enfans  s'étoient  réfugiés.  Les  habitans  de 
Montefortino  avoient  quelque  tems  auparavant  envoyé  des 
députez  à  ceux  de  Velletri ,  pour  les  affùrer  qu'ils  étaient  prêts 
de  rendre  au  Pape  l'obéïffance  qu'ils  lui  dévoient  :  fur  leur  pa- 
role on  avoit  fait  partir  la  compagnie  de  Vicino  des  Urfins  > 
mais  les  habitans  lui  drefferent  une  embufcade  ,  ôc  la  taillèrent 
en  pièces.  Ce  fut  pour  fe  venger  de  cette  perfidie ,  que  les 
vainqueurs  les  traitèrent  à  la  rigueur  :  la  garnifon  cependant  re- 
çut des  conditions  plus  honorables  5  car  elle  fortit  de  la  ville 
avec  fes  armes ,  enfeignes  déployées ,  ôc  tambour  battant. 

Jule  des  Urfins  fut  de  là  à  Piglio,  où  il  crut  avoir  le  même 
fuccès  :  il  mit  donc  pour  la  deuxième  fois  le  fiége  devant  cette 
place >  qu'il  avoit  déjà  attaquée  fans  effet.  Il  s'imaginoit  par 
cette  conquête  acquérir  beaucoup  de  gloire  ,  ôc  qu'après  la 
prife  de  cette  ville,  Verdi,  Alatro  ôc  Bauco,  quiétoient  dé- 
pourvues de  garnifon,  fe  rendroient  fans  aucune  réfiftance.  Mais 
Marc-Antoine  Colonne,  qui  s'apperçût  de  fes  defTeins,  com- 
prit à  quel  danger  les  villes  d'Anagni,de  Fiorentino,  ôc  de 
Frofolone  feroient  expofées ,  fi  les  ennemis  s'emparoient  de 
Pigîio.  Il  fit  donc  fes  efforts  pour  s'y  oppofer ,  ôc  mit  à  cet 
effet  George  Dria  dans  Anagni,  ôc  prit  lui-même  enfuite  la 
route  d'Acuto ,  qui  eft  une  place  fortifiée  entre  Piglio  ôc  Ana- 
gni. Piglio  s'étend  le  long  d'une  vallée  fort  étroite  :  cette  ville, 
du  côté  qui  regarde  Acuto  ,  eft  défendue  par  une  montagne 
dont  les  avenues  font  rudes  ôc  difficiles  :  à  l'oppoiite,  elle  eft 
commandée  par  une  colline  fort  haute ,  au  bas  de  laquelle  eft 
un  monticule.  Les  troupes  du  Pape  ne  pouvoient  drefler  ail- 
leurs leurs  batteries ,  ni  dans  un  lieu  plus  avantageux  :  le  mê* 
me  jour  que  des  Urfins ,  Général  des  troupes  du  Pape ,  campa 
devant  Piglio ,  M.  Antoine  Colonne  s'empara  de  cette  colline 
dont  l'accès  étoit  très  difficile  >  ôc  furprit  un  grand  nombre  des 

ennemis 


DE  J.  A.   DE   THOU  ,  L  i  v.  XVIIL       113 

ennemis  qui  s'y  croyoient  en  fureté  ,  ôc  les  tailla  en  pièces.  Cet 
échec  fit  peu  d'impreflion  fur  des  Urfins  >  qui  s'imagina  que  Henri  II. 
les  habitans  des  bourgades  voifines  avoient  formé  cette  en-  1  y  5  7. 
treprife  ,  ôc  y  avoient  aifément  réûflî,  parla  connoifTance  qu'ils 
avoient  du  payis.  Ainfi ,  fans  fe  déconcerter,,  il  fit  le  lendemain 
fommer  Charle  de  Cuccaro  de  fe  rendre;  ce  Capitaine  corn- 
mandoit  dans  la  place  avec  fa  compagnie,  ôc  avec  environ 
trois  cens  hommes  des  vaflaux  de  Colonne  :  fur  fon  refus  le 
Général  du  Pape  fit  approcher  fept  pièces  de  canon ,  ôc  com- 
mença à  battre  la  ville.  Alors  Colonne  parut  fur  la  colline 
avec  toutes  fes  troupes  ,  qui  fembloient  de  loin  encore  plus 
nombreufes  qu'elles  n'étoient  en  effet.  Ce  fpettacle,  qui  en- 
couragea extrêmement  les  afîiégez,  effraya  ôc  concerna  les 
troupes  du  Pape.  On  ne  laifTa  pas  néanmoins  de  recommen- 
cer les  batteries ,  ôc  même  de  faire  brèche  à  la  muraille  5  mais 
Colonne  ayant  appris  par  Pompée  Colonne ,  ôc  Mario  d'A- 
benante  qu'il  avoit  envoyé  dans  la  ville  ,  que  la  place  pou- 
voit  encore  fe  défendre ,  fi  elle  recevoir  du  fecours,  il  y  fit  en- 
trer deux  cens  hommes  d'élite  >  fous  la  conduite  du  capitaine 
Taffo ,  Génois. 

Le  courage  des  afîiégez  ,  ranimé  par  ce  fecours  ,  fit  perdre 
à  des  Urfins  l'efpoir  de  fe  rendre  maître  de  la  ville  :  il  fit  donc 
le  lendemain  retirer  le  canon  ,  chargea  les  Allemands  de  le 
conduire  ,  ôc  leva  le  fiége.  Les  Colonnes  firent  quelques  ten- 
tatives pour  furprendre  l'artillerie  ;  mais  la  valeur  des  Alle- 
mands fit  échouer  leur  projet.  Dès  que  le  canon  fut  arrivé  à 
Paliano  ,  des  Urfins  retourna  à  Rome ,  fans  avoir  entrepris  au- 
tre chofe.  Colonne  voyant  fes  forces  augmentées  des  com- 
pagnies de  Walter  ,  que  le  duc  d'Albe  venoit  de  lui  envoyer, 
ayant  outre  cela  deux  compagnies  d'Italiens,  ijo  hommes  de 
cavalerie  ,  ôc  fept  pièces  de  canon  ,  fortit  d'Anagni  où  il 
s'étoit  retiré  :  il  s'empara  d'abord  d'une  tour,  qui  eft  au-defTous 
de  Paliano ,  ôc  prit  enfuite  Gavignano  par  compofition.  Pour 
s'oppofer  à  fes  progrès ,  Mathieu  Stendardo  marcha  à  fa  ren- 
contre avec  fon  infanterie,  ôc  une  partie  de  fa  cavalerie  :  dès 
qu'il  fut  arrivé  à  Paleftnna  ,  il  donna  ordre  à  Léonard  de  la 
Rovere  de  prendre  le  devant  avec  i^o  hommes  depié,  ôc 
cent  chevaux.  Ce  Capitaine  ayant  rencontré  en  chemin  Pom- 
pée Colonne ,  que  Marc-Antoine  avoit  aufïi  envoyé  de  foa 
Tome  III,  P 


ii4  HISTOIRE 

,  côté  ,  ils  en  vinrent  aux  mains.  Le  combat  fut  meurtrier  :  la 
Henri  II  R°vere  étant  aux  prifes  avec  Vincent  de  Ligoro,  y  fut  dangereu- 
j  f  w  7  fement  bleffé  par  Jean-Bâtifte  de  Regina.  Cecco  d'Urbino 
fon  lieutenant  y  fut  fait  prifonnier  par  Gabriel  Moles  :  douze 
cavaliers  ôc  la  plupart  de  Pinfanterie  eurent  le  même  fort.  Ce 
qui  reftoit  des  troupes  du  Pape,  fe  voyant  dépourvu  de  Chefs, 
fit  retraite.  Du  côté  des  ennemis  Antoine  Capuano  fut  tué , 
ôc  quelques  autres  furent  bleffés.  Stendardo  ,  après  la  défaite 
de  fes  gens ,  fe  retira  à  Valmontone,  où  après  avoir  laiffé  trois 
compagnies  fous  la  conduite  de  François  Colonne ,  de  Papi- 
rio  Capizucchi,  ôc  d'Angelo  de  Spolete,  il  revint  avec  fon  in- 
fanterie à  Paleftrina.  Marc- Antoine  Colonne  conduifit  auffi- 
tôt  fon  armée  devant  Valmontone ,  ôc  le  lendemain  il  fit  avan- 
cer fon  canon  du  côté  qui  regarde  Anagni  5  dès  qu'on  eut 
commencé  la  batterie ,  la  garnifon  fe  trouvant  trop  foible  pour 
foûtenir  Pattaque  des  ennemis  ,  fut  obligée  de  fe  rendre.  Il  y 
avoit  dans  le  camp  ennemi  des  habitans  de  Montefortino ,  qui 
ne  cherchoient  qu'une  occafion  de  fe  venger  ;  ils  crurent  la 
trouver  dans  la  prife  de  cette  ville  :  ils  entrèrent  fur  le  foir 
dans  la  place  5  ôc  tandis  que  le  foldat  étoit  occupé  au  pillage , 
ils  mirent  le  feu  aux  maifons.  Quelques  foins  que  pût  appor- 
ter Colonne  pour  éteindre  cet  incendie  ,  la  ville  fut  toute 
confumée. 

Les  ennemis  menèrent  enfuite  leur  armée  devant  Paleftri- 
na. Stendardo 3  en  partant  pour  Rome  avec  le  refte  de  fa  ca- 
valerie ôc  de  fon  infanterie  ,  avoit  confié  la  défenfe  de  la  ville 
ôc  de  la  citadelle  à  cinq  cens  hommes,  que  Colonne  avoit  ren- 
voyés de  Valmontone ,  après  leur  avoir  ôté  leurs  armes.  A  la 
première  approche  des  ennemis  la  citadelle  fe  rendit  ;  la  ville 
fut  mife  au  pillage ,  ôc  abandonnée  aux  foldats ,  ôc  fur  tout 
aux  Allemands  fort  avides  de  butin.  Cependant  comme  le  tems 
de  la  moiffon  approchoit,  Colonne  ,  fuivant  les  ordres  du  duc 
d'Albe ,  partit  pour  Paliano  >  afin  de  ravager  la  campagne ,  ôc 
de  mettre  le  feu  aux  grains.  Mais  ayant  appris  par  fes  efpions 
que  les  ennemis  fe  difpofoient  à  faire  partir  de  Rome  un  grand 
convoi  pour  Paliano  ,  qui  devoit  être  efcorté  par  deux  cens 
hommes  de  cavalerie  ,  ôc  par  trois  mille  Suifies,  que  l'évêque 
de  Terracine  avoit  levés  par  ordre  du  Pape  dans  le  canton 
d'Underwalt,  il  en  donna  avis  auiïi-tôt  au  duc  d'Albe.  Il  lui 


rtmrm 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,Lïv.  XVIII.     n; 

manda  aufîî  que  ces  SuilTes  étoient  aux  ordres  de  "Wertz ,  — -» 
jeune  homme  fort  courageux  ôc  fort  riche ,  mais  peu  au  fait  jjenri  JJ# 
de  la  guerre.  Le  Duc  d'Albe  ,  fuivant  cet  avis,  envoya  aufe-  If  .- 
cours  de  Colonne  fept  compagnies  d'Efpagnols ,  autant  d'Al- 
lemands de  Feltz ,  avec  quelques  gendarmes.  La  cavalerie  prit 
fa  route  par  Sora  ;  ce  qui  fut  caufe  qu'elle  n'arriva  pas  à  tems  > 
mais  l'infanterie  Efpagnole  ôc  Allemande  ,  après  avoir  cottoyé 
le  lac  de  Celano ,  paffa  par  Capiftreilo  ,  ôc  de-là  tournant  fur 
la  droite ,  defcendit  par  la  Serra  de  S.  Antoine  ,  par  Filletino  , 
ôc  arriva  dans  une  plaine  vis-à-vis  d'Anagni  ,  où  elle  joignit 
Marc-Antoine  Colonne.  Ce  Général  fe  voyant  appuyé  de 
toutes  ces  troupes ,  s'avança  fans  perdre  de  tems  ,  Ôc  s'étant 
pofté  avantageufement ,  il  le  rendit  maître  du  chemin  par  où 
les  ennemis  dévoient  arriver. 

Jule  des  Urfins  ôc  le  marquis  de  Montebello ,  Généraux  des 
troupes  du  Pape  ,  en  furent  bientôt  informés  :  ils  s'arrêtèrent 
entre  Valmontone  3  Paliano  ôc  Segna ,  ôc  afin  d'être  moins 
embarraflés  ,  ils  renvoyèrent  à  Rome  une  partie  du  convoi ,  ôc 
firent  même  reconduire  à  Segna  toute  leur  artillerie.  Ils  com- 
mirent en  cela  une  grande  faute ,  comme  l'événement  le  fît 
voir  ;  car  s'ils  prévoyoient  qu'ils  dûiTent  combattre,  à  quel  au- 
tre ufage  plus  important,  refervoient-ils  leur  canon  ?  Le  len- 
demain Colonne  fit  avancer  fon  armée,  ôc  donna  ordre  à  Feltz 
de  s'approcher  avec  fes  troupes ,  de  fe  porter  avantageufement, 
ôc  de  drelTer  fes  batteries  le  plus  près  qu'il  pourroit  des  enne- 
mis. Feltz ,  fuivant  ces  ordres ,  s'empara  d'une  éminence ,  dont 
la  fituation  naturelle  formoit  une  efpece  de  retranchement,  du 
côté  que  les  troupes  du  Pape  dévoient  arriver;  il  y  fit  conduire 
enfuite  du  canon ,  mais  avec  beaucoup  de  peine  ,  parce  qu'il 
falloit  traverfer  un  folié  rempli  d'eau.  Salinas  avec  400  arque- 
bufiers  Efpagnols ,  fe  rendit  maître  aufîi  d'une  autre  éminence 
fort  proche  de  celle  où  Feltz  étoit  pofté.  Ceux-ci  attirèrent 
au  combat  les  ennemis ,  qui  s'étoient  étendus  de  l'autre  côté  de 
la  colline  s  on  combattit  au  milieu  de  la  vallée.  Des  Urfins 
s'en  rendit  d'abord  le  maître  ,  par  le  moyen  d'environ  mille  Ita- 
liens qui  combattirent  avec  beaucoup  de  valeur.  Mais  ce  foi- 
ble  avantage  ,  qui  épuifa  fes  forces ,  fut  de  peu  de  durée  ;  cai? 
Feltz  étant  furvenu  avec  fes  troupes ,  il  l'en  chalTa  prefqu'aufli- 
tôt.  Feltz  ,  à  qui  ce  fuccès  faifoit  efperer  une  plus  grande 

Pij 


ntf  HISTOIRE 

victoire  \  envoya  dire  à  Colonne ,  qui  conduifoit  l'arriere-gaf- 
Henri  II.  de  ,  de  venir  promptement  à  fon  fecours  ;  parce  que  l'occafion 
15-57.      étoit  fi  favorable ,  que  s'ils  en  fçavoient  profiter ,  il  y  avoit  lieu, 
d'efperer  que  cette  journée  mettroit  fin  à  la  guerre.  Colonne 
connut  toute  la  difficulté  de  cette  entreprife  5  il  comprit  qu'a- 
près être  defcendu  dans  la  vallée  ,  il  falloit  franchir  le  fofle  ; 
ôc  regagner  la  colline ,  ce  qui  ne  fe  pouvoit  faire  fans  un  ex- 
trême danger  :  il  craignoit  d'avoir  un  fort  pareil  à  celui  de 
Pierre  Strozzi,  qui  fut  défait  à  Marciano  dans  un  lieu  fembla- 
ble.   Comptant  néanmoins  fur  le  courage  de  fes  troupes  5  ÔC 
d'ailleurs  vivement  follicité  par  Feltz,  il  fe  difpofa  au  combat. 
Il  partagea  fes  troupes  en  quatre  corps  :  il  en  mit  deux  com- 
pofés  d'infanterie  à  la  tête  :  les  Efpagnols  ,  qui  occupoient  la 
pointe  droite  ,  étoient  oppofés  aux  Italiens  :  les  troupes  de 
Feltz,  qui  étoient  à  la  gauche ,  fe  trouvoient  vis-à-vis  des  Suif- 
fes.  Walter,avec  les  SuiiTes  qu'il  commandoit ,  formoit  le  troi- 
fiéme  corps ,  ôc  avoir  la  garde  de  l'artillerie. 
Bataille  entre       Les  Généraux  ennemis  étoient  campez  de  l'autre  côté  de  la 
&SiesPtaroupes  montagne  :  ayant  laifle  une  forêt  derrière  eux  ,  ils  rangèrent 
du  Pape.        leurs  troupes  &  en  formèrent  deux  corps.   Les  Italiens  étoient 
dans  le  premier,  ôc  dans  l'autre  étoient  les  SuiiTes,  que  l'on  avoit 
oppofez  aux  Efpagnols  ôc  aux  Allemands  :  la  cavalerie  étoit 
à  la  queue  de  l'infanterie ,  pour  fervir  de  corps  de  réferve  ôc 
fe  porter  dans  le  combat ,  où  il  feroit  neceffaire.    Les  deux  t 
armées  ainfi  rangées  s'attaquèrent  avec  beaucoup  de  vigueur* 
Les  Efpagnols  eurent  de  la  peine  à  foûtenir  le  premier  effort 
des  Italiens  5  mais  Colonne  étant  venu  à  leur  fecours,  ôc  ayant 
Défaite  des  fa[t  tourner  le  canon  contre  la  cavalerie  du  Pape ,  les  Italiens 
Pape"  commencèrent  peu  à  peu  à  rompre  leurs  rangs  ôc  à  lâcher  pied. 

Les  Efpagnols  au  contraire  ayant  repris  courage ,  revinrent  à 
la  charge  avec  plus  de  fureur,  ôc  firent  reculer  les  Italiens ,  qui 
ne  pouvoient  leur  réfifter ,  parce  qu'ils  manquoient  de  poudre  : 
ceux-ci  eurent  en  même  tems  les  Allemands  fur  les  bras.  La 
cavalerie  du  Pape  >  que  le  canon  avoit  déjàmife  en  défordre* 
étant  attaquée  en  flanc  par  celle  de  Colonne  ,  les  Italiens  pri- 
rent alors  la  fuite ,  ôc  fe  fauverent  dans  la  forêt  voiline.  Il  ne 
leftoit  plus  que  les  SuiiTes ,  qui  occupoient  encore  la  colline. 
Gafpard  de  Feltz  les  attaqua ,  du  côté  que  les  enfans  perdus  pof- 
tez  au  milieu  de  cette  colline  formoient  des  rangs  moins  ferrez  > 


DEJ.  A.    DE   TH  OU,  Liv.  XVIII.       117 

il  les  enfonça ,  les  défit ,  ôc  les  contraignit  après  une  affez  vi-  ' 

goureuferéliftance,  à  chercher  comme  leurs  compagnons  un  Henri  II, 
azile  dans  la  forêt.  Le  marquis  de  Montebello  voyant  que  la  1557. 
cavalerie  ne  lui  feroit  d'aucun  ufage  dans  un  endroit  fi  refferré, 
ôc  qu'elle  étoit  outre  cela  fort  incommodée  de  l'artillerie  des 
ennemis  ,  marcha  vers  Segna  ,  où  l'on  avoit  déjà  envoyé  le 
canon.  Il  arriva  qu'en  failant  fa  retraite ,  il  s'embarralTa  dans 
l'infanterie  qui  avoit  été  défaite  >  &  qui  prenoit  la  fuite  :  ce 
nouveau  défordre  remplit  les  rangs  de  confulion  s  les  cuiraf- 
fiers  Suifles  ,  qui  étoient  à  l'arriére-garde ,  furent  ceux  qui  ré- 
fifterent  le  plus  ,  ôc  qui  arrêtèrent  le  plus  long-tems  l'ennemi. 
Cependant  après  un  long  combat ,  ils  s'enfuirent  ainfi  que 
les  autres ,  ôc  il  s'en  fauva  fort  peu.  Les  Impériaux  en  firent 
quatre  cens  prifonniers  ,  en  tuèrent  un  grand  nombre,  ôc  leur 
prirent  fept  drapeaux.  Jule  des  Urfins  fît  en  vain  fes  efforts 
pour  rallier  fes  troupes  Ôc  les  ramener  à  la  charge  ?  ayant  été 
lui-même  bleffé  dangereufement  à  la  cuiffe  ,  il  fut  fait  prifon- 
nier.  Du  côté  des  vainqueurs  il  n'y  eutprefqueperfonne  de  tué. 
Dominique  de  Mafilmo  commandant  de  la  cavalerie  y  fut 
bleffé  avec  quelques  autres.  Ceux  qui  fe  fignalerent  le  plus  en 
ce  combat ,  furent  Gafpard  de  Feltz  qui  avoit  confeillé  à  Co- 
lonne de  donner  bataille ,  George  Madruce  fon  Lieutenant , 
Salinas,  Mofquera  ôc  Martin  de  Godoy. 

Colonne  fut  d'avis  de  pourfuivre fa  victoire,  ôc  envoya  Feltz 
avec  fes  troupes  ôc  trois  pièces  de  canon  ,pourafliégerla  Roc- 
ca  di  Mafilmo.  Cette  place  eft  bâtie  fur  le  fommet  d'une  mon-  . 

tagne  inaccefiible  ;  elle  appartenoit  à  Jean  des  Urfins ,  qui  y 
étoit  pour  la  défendre,  ôcquila  croyoit  imprenable.  Colonne 
alla  lui-même  enfuite  à  Segna,  où  les  débris  de  l'armée  du 
Pape  s'étoient  retirez ,  avec  le  marquis  de  Montebello ,  la  ca» 
Valérie  Ôc  le  canon  :  il  efperoit  qu'après  avoir  pris  cette  place,  ôc 
fait  des  dégâts  dans  fon  territoire ,  il  s'empareroit  aifément  de 
Paliano ,  où  commandoit  Flaminio  de  Stabia. 

Feltz  voyant  qu'on  ne  pouvoit  contraindre  Jean  des  Urfins 
à  rendre  la  place ,  ni  l'emporter  de  force ,  parce  qu'il  étoit  im- 
pofiible  d'en  approcher  le  canon,  eut  recours  à  larufe.  Com- 
me il  étoit  fort  expérimenté  dans  l'art  militaire,  ôc  qu'il  avoit 
fait  fon  apprentifiage  fous  le  marquis  de  Marignan  ,  Général 
aufïi  rufé  que  brave  ,  il  joua  aux  ailiégez  un  tour  de  vieux 

P  ii  j 


n8  HISTOIRE 

i    Capitaine.  Il  mit  lefiége  devant  Aftura  ôc  invertit  tellement  fe 
Henri  II   P^ace  >  clue  ^es  allégez  ne  pouvoient  rien  apprendre  de  ce  qui 
.  le  paffoit  dans  fon  camp  :  il  laiffa  enfuite  fon  artillerie  dans  un 

lieu  fecret ,  ôc  ayant  fait  mettre  fur  des  roues  pluiieurs  pièces 
de  bois  qui  avoient  la  figure  de  canon  \  il  les  fit  traîner  à  travers 
la  forêt  par  quantité  de  beufs  ôc  de  bufles.  Toute  la  vallée  re- 
tentiffoit  du  bruit  des  fouets  ôc  des  bêtes ,  qui  fembloient  tirer 
ce  fardeau  avec  beaucoup  de  peine ,  à  caufe  de  la  difficulté 
des  chemins.  Les  habitans  de  la  garnifon  de  la  Rocca  di  Maf- 
fimo  «'imaginant  que  réellement  les  ennemis  faifoient  appro-1 
cher  du  canon  ,  pafTerent  de  la  confiance  où  ils  étoient  au  der- 
nier defefpoir ,  ôc  demandèrent  à  capituler  :  Jean  des  Urfins 
même  s  ayant  pris  des  furetez  pour  fa  perfonne ,  fortit  de  la 
ville  avec  fept  de  fes  principaux  capitaines,  pour  traiter  des 
articles.  N'ayant  rien  conclu  ,  il  demanda  d'être  renvoyé  dans 
la  place  ;  ce  qui  lui  fut  accordé  :  mais  on  retint  les  autres  ca- 
pitaines ,  parce  que  des  Urfins ,  homme  de  peu  d'efprit ,  s'é- 
toit  contenté  de  prendre  des  furetez  pour  fa  perfonne  ,  ôc 
n'avoit  pas  eu  la  précaution  d'en  demander  pour  ceux  qui  l'ac- 
compagnoient.  Etant  donc  rentré  dans  la  place ,  fans  fes  offi- 
ciers ,  il  fit  demander  aux  afîiégeans  la  permiilion  d'aller  trouver 
Colonne.  Feltz  la  lui  accorda,  à  condition  qu'avant  de  par- 
tir ,  il  auroit  une  conférence  avec  lui.  Des  Urfins  y  confentit. 
Mais  étant  dans  le  camp  des  ennemis ,  on  ne  le  laifla  point 
aller  qu'il  ne  fe  fut  engagé  par  écrit  de  rendre  la  ville ,  aux 
conditions  qu'il  plairoit  à  Colonne  d'impofer.  On  le  fit  partir 
enfuite  pour  fe  rendre  auprès  de  ce  Général  :  la  compagnie  de 
foldats  qui  l'efcorta  avoit  ordre  de  le  conduire  par  le  chemin  le 
plus  long  ;  Feltz  pendant  ce  tems  là  dépêcha  par  un  chemin 
plus  court  un  Courier  à  Colonne ,  pour  lui  mander  ce  qui  s'étoit 
pafTé  à  l'égard  de  des  Urfins  ,  ôc  lui  confeilla  de  ne  lui  accorder 
aucunes  conditions  honorables ,  puifqu'il  avoit  eu  l'imprudence 
de  s'engager  fi  témérairement.  Ainfi  des  Urfins  fut  trompé  trois 
fois  par  Feltz  ;  ôc  la  Rocca  di  Mafïimo  fut  abandonnée  à  la 
difcretion  de  l'ennemi ,  qui  la  mit  au  pillage. 

Colonne ,  fuivant  le  plan  qu'il  avoit  formé ,  alla  camper  au- 
près de  Segna,  ôc  tandis  que  le  duc  de  Guife  avoit  fon  camp 
dans  une  plaine  au-deffous  de  Nereto  ,  ôc  de  Corropoli ,  le 
duc  d'Albe  étoit  à  Julia  avec  fon  armée?  mais  les  chaleurs 


v    D  E  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XVIIL        119 

exceflives,  qui  avoient  rendu  l'air  de  cette  contrée  très-mal- 
fain ,  ôc  la  quantité  de  mouches  ôc  de  coufins  dont  fon  armée  Henri  IL 
étoit  incommodée,  l'obligèrent  de  décamper.  S'étant  donc  em-  1  ç  c  7. 
paré  de  Turtureto ,  qui  eft  fitué  dans  un  territoire  très  fertile 
en  pâturages ,  ôc  très-commode  à  caufe  de  fes  eaux ,  de  fes  bois, 
ôc  de  la  température  de  l'air,  il  alla  camper  vis-à-vis  du  duc 
de  Guife  fur  les  bords  de  la  Librata.  Cette  conduite  de  l'en- 
nemi donna  lieu  au  duc  de  Guife  de  palier  le  Tronto  avec 
fon  armée  ,  ôc  de  la  conduire  à  Monte-Brandone  ôc  à  San- 
Benedetto  dans  les  terres  d'Afcoli  ôc  de  Ferme  :  ce  fut  là 
qu'il  préfenta  la  bataille  au  duc  d'Albe.  Mais  ce  Général ,  qui 
fçavoit  que  nous  étions  plus  forts  en  cavalerie ,  ôc  qui  d'ail- 
leurs ne  vouloit  pas  rifquer  une  action  décifive  ,  refufa  tou- 
jours le  combat ,  ôc  trouva  plus  à  propos  de  vaincre  fans  pé- 
ril :  le  duc  de  Guife  ne  pouvant  l'engager  au  combat  fut  con- 
traint de  s'éloigner.  Sur  ces  entrefaites  il  arriva  d'Efpagne  trois 
mille  hommes  d'infanterie  fous  la  conduite  de  Dom  Ferdinand 
de  Tolède ,  ôc  mille  de  Sicile  fous  le  commandement  de  D. 
Sanche  de  Londono.  Le  duc  d'Albe  congédia  les  troupes 
qu'on  avoit  levées  dans  le  Royaume,  ôc  fur-tout  celles  qui 
avoient  pour  chef  le  marquis  de  Torre-maggiore  ,  tirées  de- 
puis peu  de  la  terre  d'Otrante. 

Les  habitans  de  Civitella  recurent  du  duc  d'Albe  les  louan- 
ges, que  méritoit  le  courage  qu'ils  avoient  montré  dans  la 
défenfe  de  leur  ville.  Après  en  avoir  été  récompenfez  par 
plufieurs  exemptions  ôc  privilèges  ,  ce  Général  accompagné 
du  marquis  de  Trevico  conduifit  fon  armée  à  Angarano, 
Il  fit  d'abord  fommer  les  habitans  de  fe  rendre  5  mais  n'ayant 
reçu  d'eux  qu'une  réponfe  hautaine  &  injurieufe ,  il  fit  drefler 
fes  batteries.  Les  affiégez  reconnurent  auffi-tôt  la  faute  qu'ils 
avoient  faite  ;  mais  le  duc  d'Albe  ne  fe  laiffa  fléchir,  ni  par 
leur  repentir,  ni  par  leurs  prières  :  la  ville  fut  prife,  pillée,  ôc 
brûlée  ;  on  pafla  prefque  tous  les  habitans  au  fil  de  l'épée , 
ôc  il  y  en  eût  treize  de  pendus  j  Thomas  de  JacufTo  }  en- 
tr'autres  ,  fubit  ce  fupplice  par  une  raifon  particulière.  Il 
avoit  autrefois  reproché  à  Afcanio  de  la  Cornia  la  perfidie 
avec  laquelle  il  avoit  quitté  le  parti  du  Pape  ?  celui-ci  piqué 
de  l'infulte  lui  promit  de  le  faire  pendre  :  il  lui  tint  pa- 
role. Après  la  prife  de  cette  place ,  le  marquis  de  Trevico 


I 


120  HISTOIRE 

»»..—..,-  prit  fa  route  vers  Maltignano ,  ôc  s'empara  en  chemin  de  la 
Henri  II  R°cca  &  Moro ,  qui  eft  à  trois  milles  d'Afcoli  :  il  en  fit  fauter 
les  murailles  par  le  moyen  des  mines.  Il  prit  alors  avec 
lui  dix  compagnies  d'Italiens,  deux  cens  chevaux,  ôc  du  ca- 
non ,  ôc  alla  afîiéger  Filignano.  Cette  place ,  fituée  dans  le 
territoire  d'Afcoli ,  eft  bâtie  fur  une  montagne  efcarpée ,  ôc 
refferrée  entre  deux  autres  montagnes  :  il  n'y  avoit  pour  toute 
défenfe  que  cinquante  hommes  de  garnifon ,  les  habitans  s'é- 
tant  enfuis.  La  garnifon  ne  laiffa  pas  néanmoins  de  fe  dé- 
fendre avec  beaucoup  de  courage;  mais  elle  fut  enfin  con- 
trainte de  céder  à  la  force.  Le  marquis  de  Trevico  les  fit 
prefque  tous  paffer  au  fil  de  l'épée,  pour  avoir  ofé  foûtenir  un, 
fiége  dans  une  place  fi  foible. 

Cependant  le  duc  de  Guife  étonné-du  progrès  des  ennemis; 
ôc  irrité  contre  les  Caraffes,  de  ce  qu'ils  ne  donnoient  pas  le 
fecours  qu'ils  avoient  promis,  blâmoit  ouvertement  la  con- 
duite du  Cardinal  fon  frère  3  qui  les  avoit  crûs  trop  légèrement , 
Ôc  parloit  fort  fouvent  de  retourner  en  France.  Les  CarafFes 
jugèrent  que  ce  départ  ne  pourrait  que  leur  être  très-préjudi- 
ciable ;  auiîl  mirent-ils  tout  en  ufage  pour  détourner  ce  Géné- 
ral d'un  pareil  delfein  :  il  lui  promirent  de  nouveaux  fecours, 
des  vivres,  du  canon ,  de  l'argent ,  ôc  offrirent  même  de  mettre 
leurs  enfans  en  otage  :  en  effet  le  marquis  de  Cavi  fils  du 
duc  de  Palianofut  donné  en  garde  à  François  de  Strozzi,  qui 
le  conduifit  au  Roi  de  France.  Mais  Strozzi  favorifoit  fecrette- 
ment  l'ambition  des  Caraffes  ;  car ,  à  leur  recommandation , 
le  Pape  venoit  d'honorer  Laurent  fon  frère  d'un  chapeau  de 
Cardinal.  Sur  ces  entrefaites  le  duc  de  Guife  reçut  ordre  du 
Roi  de  refter  en  Italie ,  ôc  d'obéir  au  Pape  en  tout  ce  qu'il 
lui  commanderoit.  Les  efprits  s'étant  par-là  reconciliez  en 
quelque  façon ,  le  duc  de  Guife  prit  la  route  de  Macerata.  Ce 
Général  efperoit  faire  quelques  grands  exploits  ,  ôc  croyoit 
qu'il  y  alloit  de  la  gloire  du  Roi  ôc  de  la  fienne  :  il  fit  revenir 
à  cet  effet  les  Suiffes  ôc  les  Gafcons ,  qu'il  avoit  envoyez  au 
duc  de  Ferrare  fon  beau-pere.  Ce  Prince  fe  voyant  privé  de 
ce  fecours,  ne  fongea  qu'à  la  défenfe  de  fes  Etats,  ôc  diftribua 
ce  qui  lui  reftoit  de  troupes  dans  les  garnifons  de  Modene ,  de 
Reggio ,  ôc  de  Carpi ,  pour  les  rafraîchir ,  ôc  les  délaffer  des 
longues  fatigues  qu'elles  avoient  elfuyées  durant  les  grandes 

chaleurs 


DE  J.  A.  DE   THOU»  Liv.  XVIII.       121 

chaleurs  de  cet  Efté.  D'un  autre  côté  le  marquis  de  Pefcaire ,  ■»,— ^.-n, 
qui  étoit  relié  dans  Foffano ,  comme  s'il  y  eût  été  affiégé,  ôc  J|ENRI  nt 
qui  n'avoit  pu  fe  joindre  à  Madruce  ,  ni  aux  Allemans  qui  re-  -  -  _ 
venoient  de  Milan  3  faille  cette  occafion  pour  fortir  de  fa  re- 
traite :  Il  fe  mit  à  la  tête  de  l'infanterie ,  ôc  après  avoir  laiffé  à 
Foffano  la  cavalerie ,  fous  la  conduite  de  Cefar  Maggi ,  il  prit 
la  route  la  plus  longue  ôc  la  plus  difficile  par  Nice  de  la  Paille 
ôc  par  le  Montferrat ' ,  ôc  pafla  le  Pô  auprès  de  Guaftalla.  Il 
partit  de-là  avec  huit  cens  Allemans  ,  nouvellement  levez 
par  les  ordres  du  cardinal  de  Trente  ;  ôc  pour  fe  venger  des 
dégâts  qu'Alfonfe  avoit  faits  danslepayis  de  Correggio  ,  il  ra- 
vagea à  fon  arrivée  les  campagnes  de  Briffello  s  Ôc  de  Carpi, 
ôc  y  mit  tout  à  feu  ôc  à  fang  ;  il  continua  fes  violences  dans  le 
territoire  de  Modene  ôc  de  Reggio  ,  où  il  fie  un  grand  butin  ; 
fes  courfes  avoient  plus  l'air  de  brigandage  que  de  guerre. 
Sandi  reçut  ordre  en  ce  tems-là  de  fe  joindre  à  lui  ,  avec  les 
troupes  qu'il  commandoit  dans  la  Tofcane. 

Cependant  le  duc  de  Florence  ,  pour  fervir  le  jufte  reflen- 
timent  du  roi  Philippe  y  affembla  fes  troupes  à  Pefcia ,  ôc  y 
fit  venir  du  canon  de  la  ville  de  Pife  :  il  décampa  enfuite  de 
Barga  s  dans  le  defTein  d'aller  à  Carfagnana ,  ville  fituée  fur 
les  frontières  des  Etats  du  duc  de  Ferrare  >  ôc  de  mettre  le  fiége 
devant  Caftelnuovo  ,  qui  appartenoit  à  ce  Prince.  Mais  il  re- 
çut un  contre-ordre  de  la  part  du  duc  d' Albe ,  qui  lui  envoya 
Dom  Sanche  de  Leva ,  pour  lui  dire  d'entrer  dans  la  campa- 
gne de  Rome.  On  connut ,  par  la  lenteur  avec  laquelle  il 
s'acquitta  de  cette  commiiîlon ,  qu'il  vouloit  montrer  d'un  côté 
une  entière  obéilfance  aux  miniftres  de  Philippe ,  ôc  que  néan- 
moins ,  en  faifant  la  guerre  aux  ennemis  de  ce  Prince ,  il  ne 
vouloit  pas  s'en  faire  des  ennemis  particuliers.  Cependant  le 
duc  de  Guife ,  qui  étoit  à  Macerata  ,  craignant  que  le  duc 
d' Albe ,  qui  s'étoit  rendu  maître  de  Maîtiniano ,  ne  mît  le  fiége 
devant  Afcoli,  envoya  Sipierre  dans  cette  place ,  avec  quatre 


1  II  y  a  dans  le  texte  per  Niceam 
&  Provinciœ  montes  ;  ce  qui  d'abord 
parok  lignifier ,  par  Nice  &  par  les  mon- 
tagnes de  Provence.  Mais  quelle  route 
le  marquis  de  Pefcaire ,  auroit-il  prife , 
pour  fe  rendre  de  Foffano  à  Guaftalla  ? 
cela  ne  fe  peut  comprendre  ,  il  auroit 
précifément  tourné  le  dos  au  lieu  ou.  il    I    feriat. 

Tome  11L  Q 


vouloit  fe  rendre.  C'efi  ce  qui  fait  ju- 
ger que  Nicea  n  ell  point  en  cet  endroit 
Nice ,  vilie  maritime  ,  mais  Nizza,  ou 
Nice  de  la  Paille  dans  le  Montferrat  : 
en  ce  cas  il  n'y  a  aucune  difficulté.  Pro- 
vince montes,  ce  font  les  montagnes  du 
pays  de  Nizza,  c'eft-à-dire  le  Mont- 


122  HISTOIRE 

"" g  cornettes  de  cavalerie ,  fept  compagnies  de  Gafcons,  6c  du  ca- 

Henri  II.  non,  qui  avoit  été  endommagé  au  fiége  de  Civitella.  Jean- An- 
1  S  S  7'  toine  Tiraldo  étoit  dans  Afcoli  avec  douze  compagnies  d'Ita- 
liens,qu'il  avoit  levées  dans  cette  contrée,  ôc  à  la  tête  defquelles 
il  s'étoit  emparé  de  Campli  :  le  fecours  ne  fut  pas  inutile  >  car  le 
duc  d'Albe  y  étant  arrivé ,  on  commença  par  quelques  efcar- 
mouches.  Une  partie  de  la  garnifon  ,  qui  s'étoit  embufquée 
dans  les  vignes  qui  font  autour  de  la  ville  3  ôc  qui  s'étoit  poftée 
dans  des  endroits  avantageux  ôc  fortifiez  par  une  efpece  de  re- 
tranchement, étant  fortie  de  fon  embufcade,  le  duc  d'Albe, 
qui  étoit  venu  reconnoître  la  place  avec  trois  mille  Efpagnols 
ôc  une  partie  de  la  cavalerie ,  gagna  une  éminence  qui  regarde 
la  ville,  d'où  il  envoya  quelques  arquebufiers ,  ôc  quelque  ca- 
valerie -  légère  ,  pour  harceler  nos  troupes.  On  fe  battit  long- 
tems  furies  bords  du  Verde,  vulgairement  appelle  Marino ,  ôc 
la  victoire  fut  balancée.  Enfin  les  troupes  du  Pape  fe  retirèrent 
dans  le  chemin  de  Civitella,  ôc  pafferent  fur  le  pont  de  la  Caf- 
tellana.  Cette  rivière  de  ce  côté-là  lave  les  murs  de  la  ville,  ôc 
fe  va  perdre  dansleTronto,  qui  paffe  de  l'autre  côté  ;  deforte 
qu' Afcoli ,  prefqu'environnée  de  ces  deux  rivières ,  paroîtune 
efpece  de  péninfule.  Les  ennemis  les  y  pourfuivirentaufii-tôt? 
mais  le  canon  de  la  citadelle,  qui  commande  le  pont,  les  in- 
commoda fort  dans  leur  pourfuite  :  le  combat  fut  fanglant  Ôc 
très-meurtrier ,  ôc  eut  l'air  d'une  bataille  3  félon  le  témoignage 
même  du  duc  d'Albe  ,  ôc  des  hiftoriens  Efpagnols.  Chaque 
parti  perdit  plus  de  deux  cens  hommes  ;  mais  fi  on  les  en  doit 
croire  ,  nous  y  fifmes  une  plus  grande  perte  qu'eux.  Roch  de 
Chaftaigner  de  la  Rochepozay  y  fut  fait  prifonnier.  Cet  offi- 
cier fit  en  cette  journée  tout  ce  qu'on  peut  attendre  d'un  grand 
capitaine,  ôc  fe  rendit  aufïi  eftimable  par  fa  valeur,  qu'il  l' étoit 
déjà  par  fa  naiffance. 

Les  habitans  d'Afcoli,  épouvantés  de  cet  échec  ,  craigni- 
rent que  la  ville  ne  fut  emportée  d'affaut,  ôc  quoique  les  Fran- 
çois fiffent  tous  leurs  efforts  pour  les  raffurer ,  ils  ne  laifferent 
pas  de  faire  fortir  delà  ville  >  par  la  porte  Romaine ,  leurs  fem- 
mes ,  leurs  enfans ,  ôc  leurs  effets  les  plus  prétieux.  Le  duc 
d'Albe  voyant  qu'il  étoit  comme  impofïible  d'emporter  cette 
place  en  peu  de  jours ,  &  que  d'ailleurs  le  duc  de  Guife  n'é- 
toit  pas  fi  éloigné,  qu'il  ne  la  pût  fecourir3  reprit  le  chemin  de 


DE  J.  A.   DETHOU,Liv.  XVIII.      123 

Maltiniano.  Ce  Général  trouva  qu'il  auroit  afles  fait ,  s'il  pou- 
voit  chafler  les  François  du  Royaume  ôc  contraindre  le  Pape  J^ENRI  n. 
à  recevoir  la  paix  ,  après  avoir  porté  la  guerre  dans  les  terres  r  ç  ^  7, 
de  l'Eglife ,  fans  péril  ôc  fans  effufion  de  fang.  Le  duc  de 
Guife,  d'un  autre  côté.,  quoique  fâché  de  n'avoir  pas  reçu  le 
fecours  des  Caraffes  ,  ôc  de  n'avoir  rien  fait  d'éclatant  dans 
cette  guerre ,  croyoit  cependant  n'avoir  pas  tout-à-fait  perdu 
fon  tems  dans  le  royaume  de  Naples  ,  puifqu'il  avoit  obligé  le 
ducd'Albe  d'employer  toutes  fes  forces  à  en  défendre  les  fron- 
tières. 

Dès  que  la  nouvelle  de  la  défaite  des  Suifles  fut  venue  jus- 
qu'au Pape  ,  ôc  que  ce  Pontife  eut  appris  que  Segna  étoit  preffé 
de  plus  en  plus ,  ôc  que  les  ennemis,  après  s'être  emparés  de 
tous  les  pafTages ,  avoient  réduit  Paliano  à  une  extrême  difette 
de  vivres ,  il  manda  au  duc  de  Guife  de  fe  rendre  à  Rome. 
Ce  Prince ,  fuivant  ces  ordres ,  prit  fa  route  par  le  duché  de 
Spolete ,  vint  à  Tivoli ,  ôc  de  là  diftribua  fon  armée  dans  les 
places  voifines.  Le  duc  d' Albe  cependant ,  qui  craignit  que  l'ar- 
rivée du  duc  de  Guife  n'arrêtât  les  progrès  de  Colonne  ,  laifîà 
le  marquis  de  Trévico  dans  Y Abruzze  avec  des  forces  allez 
confidérables  ,  ôc  arriva  au  commencement  du  mois  d'Août 
à  Popoii ,  où  le  Seigneur  du  lieu  le  reçut  fort  honorablement. 
Il  divifa  enfuite  fon  armée  en  plulieurs  corps ,  pour  être  moins 
embarraffé  dans  fa  marche?  ôc  après  avoir  côtoyé  le  Lac  de 
Celano ,  il  defcendit  dans  la  vallée  d'Orvieto  ,  ôc  arriva  à  Bau- 
co  ,  le  quatorze  du  même  mois.  Ce  Général  aflembla  tou- 
tes fes  forces  à  Sura,  Ôc  donna  ordre  au  marquis  de  Santafiore, 
ôc  à  Cornia  ,  de  prendre  le  devant ,  ôc  d'aller  au  fecours  de 
Colonne ,  qui  affiégeoit  Segna  >  mais  Colonne ,  qui  vouloir 
avoir  feul  la  gloire  de  prendre  la  place,  prévint  le  fecours  qu'on 
lui  envoyoit. 

Dès  qu'il  eut  appris  les  préparatifs  que  faifoit  le  duc  d'Albe*    Siège  &Pri- 
il  redoubla  fes  efforts,  ôc  fît  battre  la  place  pendant  trois  jours.  re  de  Segna 
Cependant  la  poudre  lui  ayant  manqué ,  il  demeura  deux  jours  Far    °  onnc# 
à  ne  rien  faire  5  mais  en  ayant  fait  venir  d'Anagni ,  il  recom- 
mença à  faire  tirera  fes  batteries.  Il  fe  difpofoit  à  donner  l'af- 
faut  jlorfqu'il  apprit  que  les  aiTîégez  avoient  creufé  un  grand  fofle 
derrière  la  brèche ,  ôc  avoient  préparé  des  pièges  ,  ôc  des  feux 
d'artifice.  Ils   avoient  formé  outre   cela  des  retranchemens 


124  HISTOIRE 

«.  des  deux  cotez ,  ôc  y  avoient  dreffé  une  batterie  de  fix  ca= 


Henri  II  nons  :  ^Pr^s  clue  ^e  canon  &  les  feux  d'artifice  auroient 
fait  leur  effet  ,  cent  cuirafTiers  dévoient  charger  les  affail- 
îans.  Quoique  cet  avis  lui  caufât  beaucoup  d'inquiétude  > 
il  fe  prépara  cependant  à  livrer  l'a  (Faut ,  ôc  ordonna  aux  Alle- 
mans  d'y  monter  les  premiers.  Mais  les  Efpagnols  piqués  de 
ce  qu'on  les  privoit  d'un  honneur  qu'ils  croyoient  leur  appar- 
tenir, efcaladerent  les  brèches  fur  le  déclin  du  jour  ,  fans  at- 
tendre l'ordre  des  Chefs  :  ils  ne  furent  pas  plutôt  arrivez  au 
haut  de  la  muraille ,  qu'ils  reconnurent  leur  faute.  Ils  prirent 
néanmoins  une  réfolution  conforme  au  danger  où  ils  fe  trou- 
voient  :  ils  pouffèrent  un  grand  cri ,  fuivant  la  coutume ,  com- 
me s'ils  euffent  voulu  s'élancer  dans  le  foffé  ;  les  afîlégez  en 
même-tems  tirèrent  le  canon  ôc  allumèrent  les  feux  d'artifice 
qui  fe  confumerent  fans  effet.  Les  Efpagnols  fe  jetterent 
auffi-tôt  dans  la  ville,  ôc  ils  furent  bien-tôt  fuivis  des  Allemans. 
Dans  un  moment  cette  ville  fi  riche  fut  pillée,  faccagée  ôc  brûlée. 
Le  foïdat ,  le  citoyen  ,  tout  fut  paffé  au  fil  de  î'épée.  Il  étoit  venu 
un  grand  nombre  de  femmes  des  villes  vifines.,  comme  d'Anagni 
de  Veruli ,  de  Fiorentino ,  ôc  d'Alatro  ,  ôc  elles  s'étoient  reti- 
rées dans  Segna,  comme  dans  un  lieu  de  fureté.  Après  la  prife 
de  la  ville ,  elles  fe  réfugièrent  dans  des  Couvens  de  Reli- 
gieufes  :  mais  ni  elles  ni  les  Religieufes  ne  furent  point  à  cou- 
vert de  la  brutalité  ôc  de  la  fureur  du  foldat.  Tout  ce  qu'on 
put  fauver  de  l'incendie,  fut  une  petite  partie  des  vivres,  avec 
quatorze  pièces  de  canon  qu'on  envoya  àAnagni.  Le  defor- 
dre  ôc  la  cruauté  y  furent  pouffes  à  un  tel  excès ,  qu'on  dit  que 
Colonne  même ,  qui  avoit  taché  de  reprimer  le  foldat  effréné., 
eut  horreur  d'un  fpeclacle  il  affreux. 

Le  Pape  fut  très  -  affligé  de  la  ruine  de  cette  ville.  Aleffan- 
dro  Andréa  dit ,  que  ce  Pontife  en  conçut  une  douleur  excef- 
ffve ,  Ôc  qu'il  déplora  ce  malheur  en  plein  Confiftoire.  Le  mê- 
me Hiftorien  ajoute  que  ,  comme  il  croyoit  que  les  Efpagnols 
fe  rendroient  bien-tôt  maîtres  de  Paliano  ôc  du  Vatican  mê- 
me ,  ôc  qu'ils  le  traiteroient  avec  la  même  cruauté  ,  il  prononça 
ces  paroles  :  Je  fouhaite  être  uni  avec  Je  fus  -  Chrift ,  &  fattens 
avec  courage  la  couronne  du  martyre  ;  comme  s'il  eut  été  quef- 
tion  dans  cette  affaire  de  la  caufe  de  Dieu ,  ôc  comme  fi 
l'ambition  ôc  la  témérité  de  fa  famille  n'euffent  pas  été  le 


DE  J.  A;  DE  THOU,  Li  v.  XVIÎL       11$ 

flambeau  de  cette  guerre  3  ôc  la  feule  caufe  du  péril  où  il  fe 

voyait  expofé.  Henri  IL 

Colonne  ,  après  la  pnle  de  Segna ,  alla  camper  à  Pahano  ,  i  ç  ?  7 
ôc  mit  fon  armée  en  garnifon  à  Ponte  di  Sacco ,  entre  Segna 
ôc  Valmontone  :  il  en  avertit  aufiî-tôt  le  duc  d' Albe ,  qui  don- 
na ordre  à  fes  troupes  de  fe  joindre  à  celles  de  Colonne.  Sur 
ces  entrefaites  Alexandre  Placidi  arriva  au  camp  de  la  part  du 
cardinal  de  Santafiore  ,  pour  négocier  quelque  accommode- 
ment :  il  avoit  cependant  des  ordres  fecrets  d'avertir  le  duc 
d'Albe  de  la  déroute  des  François  auprès  de  S.  Quentin  en 
Vermandois ,  afin  qu'il  traitât  avec  le  Pape  à  des  conditions 
plus  avantageufes. 

Tandis  qu'on  conteftoit  touchant  les  articles  ,  le  duc  d'Al-  Entreprifc 
be  envoya  fecrettement  à  Rome  les  capitaines  Mofquera,  &  bepourfer^n- 
Palazio  ,  avec  ordre  de  confiderer  exactement  les  endroits  ,  dre  maître  de 
par  où  l'on  pourroit  entrer  plus  aifément  dans  la  ville.  Ils  rap-  llome* 
portèrent  à  leur  retour  ,  qu'en  approchant  du  canon  de  la 
grande  porte,  ôc  en  faifant  fauter  les  gonds  ôc  les  ferrures, 
on  pourroit  très-facilement  entrer  dans  Rome.  Le  duc  d'Al- 
be, qui  prétendoit  contraindre  le  Pape  à  traiter  à  des  conditions 
raifonnabîes ,  vouloit  faire  la  paix  dans  Rome  même.  Placidi 
fe  retira  donc ,  fans  rien  conclure  ,  6c  dès  qu'il  fut  parti  3  le 
duc  d'Albe  fe  mit  de  grand  matin  en  campagne  avec  fon 
armée,  ôc  arriva  fur  le  midi  à  Colonna,  où  il  fit  repaître  fes 
troupes ,  ôc  paffa  le  relie  de  la  journée.  Sur  le  foir  il  fit  ap- 
peller  les  Capitaines ,  ôc  leur  dit  3  qu'il  alloit  dans  une  ville 
amie,  où  il  étoit  appelle  par  des  amis  :  il  leur  fit  en  même 
rems  promettre  que  ,  quand  ils  y  feroient  arrivez,  ils  défen- 
droient  à  leurs  foldats  de  faire  aucune  violence ,  ôc  leur  or- 
donneroient  d'attendre ,  pour  entrer  dans  la  ville ,  les  ordres'de 
leurs  officiers  ,  ôc  que  les  logemens  fuifent  préparez.  Après 
ces  précautions ,  il  fit  laiiTer  tout  le  bagage }  Ôc  ordonna  que 
chacun  mît  une  chemife  blanche  fur  fes  armes  ;  il  fit  en- 
fuite  partir  fon  armée  vers  la  féconde  veille  de  la  nuit.  Elle 
marchoit  dans  cet  ordre  :  le  duc  d'Albe  étoit  à  la  tête  avec 
la  cavalerie  légère  5  l'infanterie  Efpagnole  ôc  Allemande  ve- 
noit  enfuite,  ôc  les  Gendarmes  formoient  Parriere-garde.  La 
Huit  étoit  fi  fombre  ôc  fi  pluvieufe ,  qu'ils  marchèrent  fans 
être  découverts ,  ôc  fe  trouvèrent  vers  le  point  du  jour  ,  vis-à-vis 

Qiij 


f26  HISTOIRE 

des  murs  de  la  ville.  Le  duc  d'Albe  cependant ,  qui  crai- 
IIenri  II.  gnoit  que  le  duc  de  Guife  ne  fut  parti  lui-même  de  Monte 
i  S  S  7-  Rotondo  ,  ôc  ne  fe  fût  rendu  à  Rome ,  où  qu'il  n'eût  fait  entrer 
dans  la  ville  une  partie  des  troupes  qui  étoient  à  Tivoli ,  en- 
voya la  même  nuit  une  compagnie  de  cavalerie  d'élite,  avec 
mille  Arquebufiers  ,  pour  s'emparer  des  chemins  par  où  ces 
troupes  pouvoient  palier. 

Placidi ,  qui  étoit  déjà  arrivé  à  Rome  >  rapporta  au  cardi- 
nal Caraffe ,  que  tandis  qu'il  étoit  en  chemin ,  il  avoit  vu  l'ar- 
mée ennemie  en  campagne  ;  mais  qu'il  ne  pouvoit  fçavoir  la 
route  qu'elle  prenoit.  Ce  Cardinal ,  craignant  que  le  duc  d'Albe 
n'allât  à  Tivoli  avec  toutes  fes  troupes ,  pour  y  furprendre  la 
cavalerie  Françoife ,  en  quoi  confiftoit  la  plus  grande  partie 
de  nos  forces ,  fit  avertir  promptement  les  nôtres  du  péril  où 
ils  étoient ,  Ôc  leur  confeilla  d'aller  joindre  l'armée  ,  qui  étoit 
alors  difperfée  dans  plufieurs  villes.  Pour  lui,  qui  avoit  lieu  de 
fe  défier  du  peuple  Romain  ,  ôc  qui  fçavoit  que  la  NoblefTe 
favorifoit  fecrettement  le  parti  des  Colonnes ,  il  ne  voulut  ja- 
mais permettre  que  le  peuple  prît  les  armes  ,  dans  la  crainte 
qu'une  multitude  légère  Ôc  inconftante  ,  ne  tournât  contre  le 
Pape  ôc  les  Caraffes    ces   mêmes  armes  qu'elle  auroit  prifes 
pour  fa  défenfe.  Il  fe  contenta  donc  de  vifiter  pendant  la  nuit, 
à  la  clarté  des  flambeaux ,  les  endroits  de  la  ville  les  plus  foi- 
bles.  Mais  il  arriva  fort  à  propos  qu'Afcanio  de  la  Cornia,  à 
qui  le  duc  d'Albe  avoit  donné  ordre  de  prendre  les  devans , 
rencontra  trois   heures  avant  le  jour   quatre  cavaliers  >  qui 
étoient  fortis  de  Rome,  pour  faire  quelque  butin ,  ôc  qui  n'a- 
voient  aucune  connoiflance  de  leur  entreprife.  Ce  qui  lit  con- 
jecturer à  ce  Capitaine  ,  qu'on  avoit  envoyé  ces  cavaliers  pour 
reconnoître  l'ennemi ,  ôc  que  l'entreprife  étoit  découverte.  Il 
fit  faire  aïteà  fes  troupes,  en  attendant  l'arrivée  du  duc  d'Albe, 
ôc  qu'on  eût  apporté  les  échelles.  On  apprit  auiTi  que  Strozzi, 
qui  étoit  à  Tivoli ,  en  étoit  parti  fur  le  foir ,  avec  quatre  cens 
chevaux  ,  Ôc  dix  compagnies  de  Gafcons  ;  mais  on  n'avoit 
point  de  nouvelles  de  ceux  ,  que  le  duc  d'Albe  avoit  envoyez 
pour  furprendre  les  nôtres ,  parce  qu'ils  s'étoient  égarez  pen- 
dant la  nuit ,  pour  n'avoir  pas  eu  de  bons  guides. 

Le    duc   d'Albe   étoit  dans  de  grandes   inquiétudes  :  le 
jour  commençoit  à  paroître  ,   ôc  Feltz  ,  qui  devoit  conduire 


imi  ■wfi  iTn'rirr  n  \ 


DEJ.A.  DETHOU,  Liv.  XVIII.         127 

le  canon ,  n'étoit  pas  encore  arrivé.  D'ailleurs ,  ce  Duc  ne 
s'appercevant  d'aucun  trouble  dans  la  ville  ,  Ôc  ne  voyant  £[ENRÎ  j|o 
point  de  foldats  fur  les  murailles ,  s'imagina  qu'ils  étoient  dans  j  r  r  7. 
la  ville  tous  rangez  en  bataille  ,  ôc  que  fon  entreprife  étoit 
éventée.  Mais  comme  il  étoit  trop  prudent  pour  rifquer  un 
combat,  où,  fi  la  fortune  lui  eût  été  contraire  ,  il  eût  bazardé  fa 
réputation  ,  Ôc  fe  fût  expofé  à  ruiner  fes  affaires  qui  étoient  en 
bon  état ,  il  fit  peu  à  peu  défiler  fes  troupes ,  &  les  ayant  en- 
fuite  fait  repofer  dans  une  plaine,  il  les  ramena  à  Colonna. 

Tel  fut  le  fuccès  de  l'entreprife  du  16  d'Août,  par  laquelle 
le  duc  d'Albe  efpéroit  s'emparer  de  Rome.  Quelques-uns  ra- 
content différemment  le  fait  :  ils  difent ,  que  le  duc  d'Albe 
n'avoit  d'autre  deffein  que  de  faire  peur  au  Pape  >  pour  l'obli- 
ger à  recevoir  des  conditions  plus  raifonnables ,  ôc  que  ce  Gé- 
néral ne  voulut  pas  en  venir  à  la  force ,  parce  que  les  Alie- 
mans  ,  qui  fe  reffouvenoient  encore  du  pillage  de  Segna , 
n'afpiroient  qu'au  butin  ;  car  fi  une  fois  on  eût  forcé  les  portes , 
il  auroit  été  impofTible  aux  Capitaines  d'arrêter  la  fureur  du 
foldat ,  ôc  de  fauver  la  ville  du  pillage. 

D'autres  croyentque  cette  entreprife  fe  fit  de  concert  avec 
le  Fape,  qui  cherchoit  un  prétexte  fpecieuxpour  abandonner 
le  parti  François.  Dégoûté  de  cette  guerre ,  il  avoit  déjà  don- 
né des  marques  de  fa  mauvaife  difpofition  à  notre  égard.  On 
rapporte  même  à  ce  fujet,  que  quand  il  eut  appris  le  nouveau 
traité  fait  entre  le  Roi  ôc  le  cardinal  Carafie.,  il  ne  put  s'em- 
pêcher de  dire ,  que  les  loix  des  amis  étoient  bien  dures  ,  ôc 
que  s'il  eût  voulu  traiter  avec  un  Roi  ennemi ,  il  l'auroit  fait 
à  des  conditions  plus  avantageufes.  Il  eft  cependant  plus  vrai- 
femblable  que  leDuc  avoit  deffein  de  fe  rendre  maître  de  Rome; 
parce  qu'il  efpéroit  la  trouver  dépourvue  de  gens  de  guerre* 
ôc  pleine  de  divifions ,  caufées  par  la  haine  que  le  peuple  por- 
toit  aux  CarafFes.  Colonne  même  s'étoit  perfuadé(  ôc  iH'avoit 
fait  entendre  au  duc  d'Albe)  que  le  peuple  fe  révolteroit  à 
la  vûë  de  l'armée,  Ôc  qu'animé  contre  le  Pape  ôc  fes  créatu- 
res ,  il  recevroit  les  ennemis  dans  la  ville. 

Le  Roi  donna  ordre  en  ce  tems  -  là  au  duc  de  Guife  de 
revenir  en  France  ;  ôc  après  avoir  renvoyé  les  otages ,  il 
laiffa  la  liberté  au  Pape  de  prendre  le  parti  qu'il  jugeroit  le 
plus  convenable  à  fes  intérêts.  Le  duc  de  Guife  pria  donc  le 


128  HISTOIRE 

■■■■■..  Pape  de  trouver  bon  qu'il  revînt  en  France  :  le  S.  Père  n'y  vou- 

Henri  II  ^ut  P°^nt  confentir  ;  mais  le  Duc  lui  dit  que  les  affaires  du  Roi 
j  ç  *  7  "  demandoient  fa  préfence.  Enfin  après  beaucoup  de  contefta- 
tions  vives  ôc  de  paroles  ameres ,  on  dit  que  ce  Pontife ,  ou- 
bliant les  obligations  qu'il  avoit  au  Roi  fie  au  duc  de  Guife  ; 
reprocha  à  ce  Général  d'avoir  peu  fait  dans  cette  guerre  pour 
les  intérêts  de  fon  maître ,  très-peu  pour  ceux  de  l'Eglife  ,  ôc 
bien  moins  encore  pour  fa  gloire  particulière. 

Le  duc  d'Albe  ,  à  fon  arrivée  à  Colonna  ,  diftribua  fon 
armée  dans  Alatri  >  Veruli ,  Ôc  Bauco,  qui  font  des  places  voi- 
fines.  Il  alla  enfuite  à  Genazzano ,  dans  le  deffein  de  mettre 
le  fiége  devant  Paliano  >  qui  avoit  donné  occafion  à  cette 
guerre.  Mais  tandis  qu'on  s'y  préparoit ,  le  Duc  eut  plu- 
iieurs  conférences  avec  le  cardinal  Caraffe ,  tant  à  Paleftrina  ; 
qu'à  Cavi,  ville  fituée  entre  Paleftrina  ôc  Genazzano.  Enfin  la 
paix  fut  conclue  par  les  foins  du  duc  de  Florence  ,  ôc  par  l'en- 
tremife  d'Evrard  de  Medicis  ôc  des  Cardinaux  de  Santafiore  ôc 
Traité  de  Vitellozzo.  Il  fut  arrêté  que  le  duc  d'Albe  ,  au  nom  du  Roi 
î?ape&  leroi  d'Efpagne,  feroit  fes  fourmilions  au  Pape ,  ôc  que  pareillement 
d'Efpagne.  fa  Sainteté  accorderoit  à  fa  Majefté  catholique  fon  amitié  ôc 
renonceroit  à  l'alliance  des  François  :  Que  le  Roi  lui  remettroit 
cent  places  ,  dont  il  s'étoit  rendu  maître  dans  cette  guerre  ,' 
après  qu'il  en  auroit  fait  abattre  les  fortifications  :  Qu'il  lui 
reftitueroit  auiïi  les  biens  ufurpés  ôc  confifqués  :  Que  de  part 
ôc  d'autre  il  ne  feroit  plus  fait  mention  des  injures ,  des  offen- 
fes ,  ôc  des  pertes  que  la  guerre  avoit  occafionces  :  Qu'on  n'in- 
quiéteroitperfonne,  pour  avoir  porté  les  armes  pour  l'un  ou  pour 
l'autre  parti  :  Que  Paliano  ,  dans  l'état  où  il  étoit  alors ,  feroit  mis 
en  fequeftre  entre  les  mains  de  Jean  Bernardin  Carbone  parent 
des  Caraffes ,  qui  donneroit  fa  parole  ,  de  la  garder  avec  une 
garnifon  de  huit  cens  hommes ,  ôc  de  ne  la  remettre  à  qui  que 
ce  fut ,  jufqu'à  ce  que  les  parties  d'un  commun  accord  en  euf- 
fent  décidé  autrement.  Ce  traité  fut  fait  ôc  rendu  public  à 
Cavi  le  14  Septembre.  Mais  le  même  jour  ôc  au  même  lieu 
on  en  fit  un  autre  fecrettement ,  par  lequel  on  convint  ,  que 
Jean  Caraffe,  au  lieu  de  Paliano  ,  recevroit  en  échange  ce 
que  jugeroit  à  propos  le  Sénat  de  Venife ,  qui  s'étoit  rendu  arbi- 
tre dans  ce  différend.  On  demeura  d'accord  queRoffano,  ville 
fort  riche  3  lui  feroit  accordée  avec  titre  de  Principauté:  Qu'après 

que 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XVIII.      119 

que  Jean  Caraffe  l'auroit  reçue  ,  le  fequeftre  cefferoit  ,  ôc 

que  Paliano  feroit  rafé  :  Que  Caraffe  cederoit  au  roi  d'Efpagne  Henri  IL 

tous  les  droits  qu'il  avoit  fur  cette  place  ,  ôc  que  ce  Prince  les     1  S  S  7« 

pourroit  tranfporter  à  qui  bon  lui  fembleroit,  pourvu  qu'il  ne 

fût  ni  excommunié  ni  ennemi   déclaré  du  Pape  j  ce  qui  fut 

ajouté  ,  pour  exclure  Marc-Antoine  Colonne  ,  dont  on  ne  fit 

point  mention  ,  non  plus  que  du  comte  de  Bagno.  Au  refte , 

le  duc  d'Albe  crut  devoir  accorder  cet  article  à  un  vieillard 

chagrin  ôc  intraitable ,  tel  qu'étoit  le  Pape  ,  ôc  qui ,  félon  les 

apparences  ,n'avoit  pas  long-tems  à  vivre;  dans  l'idée  qu'après 

fa  mort ,  Philippe  pourroit  à  fon  gré  difpofer  de  Paliano. 

La  même  nuit  que  le  traité  fut  conclu ,  le  Tibre  fe  débor-  Déborde- 
da  fi  extraordinairement ,  qu'il  entraîna  prefque  tous  fes  ponts,  ment  d'eaux  à 
abattit  quantité  de  maiions  ôc  d'Eglifes ,  ôc  ébranla  même  les  Jlome  &  ail" 
baftions  du  château  faint  Ange.  La  ville  de  Rome  fembloit 
flotter  au  milieu  d'une  vafte  mer.  Il  périt  dans  la  ville  une  gran- 
de quantité  de  bœufs ,  de  chevaux  ,  d'ânes  ,  Ôc  de  beftiaux  de 
toute  efpece.  Le  peuple,  qui  habite  les  endroits  les  plus  bas, 
fe  fauva  à  peine  fur  des  bateaux  ,  qu'on  fit  venir  à  la  hâte.  On 
perdit  par  cette  inondation  une  grande  quantité  de  marchan- 
difes ,  de  meubles  prétieux ,  de  grains ,  de  vins  ,  ôc  d'autres  ef- 
fets ;  enforte  que  le  dommage  rut  eftiiné  de  plus  d'un  million 
d'écus  d'or.  L'Arne  s'enfla  pareillement  à  Florence,  par  deux 
jours  de  pluye  continuelle,  ôc  cette  rivière  étant  fortie  de  fon 
lit  ordinaire ,  fit  de  grands  ravages.  Depuis  un  efpece  de  délu- 
ge ,  arrivé  224  ans  auparavant,  ôc  qui  avoit  prefque  fubmergé 
la  ville,  il  n'y  avoit  pas  de  mémoire  d'une  pareille  inondation. 
Il  en  arriva  autant  à  Mugello  ôc  à  Cafentino  ;  la  violence  des 
eaux  ayant  entraîné  les  moulins,  les  vivres  furent  pendant  quel- 
jours  d'une  cherté  exceiîive  j  mais  comme  la  paix  venoit  d'être 
concluëjon  en  fit  venir  de  Tivoli  à  Rome,ôc  de  Pife  à  Florence. 
Nous  ne  fumes  pas  non  plus  exempts  de  ces  inondations  :  il 
y  eut  en  Languedoc  le  1 1  d'Octobre  de  grands  tonnerres  ,  fui- 
vis  d'éclairs  ôc  de  pluies  extraordinaires ,  qui  fubmergerent  à 
Nimes  prefque  entièrement  ces  magnifiques  monumens  de 
l'antiquité,  dont  on  voit  encore  les  reftes  avec  admiration  ,  Ôc 
remplirent  la  ville  de  ruines  ôc  de  démolitions.  Le  même 
défaitre  fe  fit  fentir  cette  année  enplufieurs  endroits  de  l'Euro- 
pe, ôc  comme  par  une  confpiration  fecrete  des  Cieux ,  il  en 
Tome  III.  R 


13°  HISTOIRE 

arriva  autant  dans  les  climats  de  l'Alie  les  plus  éloignez.  En 
Henri  II.  effet  à  la  Chine ,  dans  la  province  de  Sanciam  ,  il  tomba  du 
1  S  S  7*  ^aut  ^es  montagnes  des  torrens  11  impétueux ,  caufez  par  les 
pluies,  qu'ils  fubmergerent  fept  villes  &  quantité  de  bourgades, 
firent  périr  les  hommes  ôc  les  beftiaux ,  &  formèrent  un  Lac, 
qui  de  fa  forme  s'appelle  aujourd'hui  le  Lac-Rond  :  il  ne  refta 
d'une  fi  grande  défolation  qu'un  feul  enfant,  qu'on  trouva  vi- 
vant fur  le  tronc  d'un  arbre ,  préfervé  par  une  faveur  finguliere 
de  la  Fortune. 

Le  duc  d'Albe,  dès  que  le  traité  fut  conclu  ,  en  donna  les 
articles  à  l'évêque  d'Aquila ,  pour  les  porter  au  Roi  d'Efpagne? 
&  après  avoir  envoyé  à  Rome  Frédéric  fon  fils ,  il  partit  lui- 
même  pour  s'y  rendre  &  faire  fes  foumifïions  au  Saint  Père, 
comme  on  en  étoit  convenu.  Il  arriva  fur  le  foir  dans  cette  ville,. 
6c  le  lendemain  il  rendit  fes  refpe£ts  au  Pape.  Ce  Général  refta 
à  Rome  trois  jours  ,  pendant  lefquels  on  fît  de  grandes  ré- 
joùhTances  au  fujet  de  la  paix.  Delà  il  partit  pour  Naples ,  où 
après  avoir  mis  ordre  aux  affaires,  il  laiffa  trois  compagnies 
d'Allemands ,  fous  la  conduite  de  Ferdinand  de  Lodrone ,  frè- 
re d'Alberic ,  qui  avoit  fuccedé  à  Walter ,  mort  depuis  peu. 
Il  fit  embarquer  enfuite  le  refte  de  fes  troupes  à  Gaieté,  dans 
le  deffein  de  faire  la  guerre  au  duc  de  Ferrare ,  qui  afïiégeoit 
Correggio  :  il  avoit  réfolu  de  les  aller  joindre  inceffamment  à 
Gènes  ;  mais  une  tempête,  qui  le  furprit  en  chemin,  fit  qu'il 
s'y  rendit  un  peu  tard.  De  Gènes  il  fe  retira  à  Milan ,  parce 
que  l'hiver  approchoit.  Pour  le  duc  de  Guife ,  il  fit  embar- 
quer fes  troupes  à  Civita-vecchia ,  prit  la  pofte ,  ôc  revint  en 
France. 


Fin  du  dix-huitième  Livre, 


i5i 


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^  Il   MWi^S^rlîJîiîS^îft^fîimwmîîi^^  Il  pg* 

I  STOIRE 

DE 

JACQUE     AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 


LIVRE  D  I  X-NEWIE  ME. 

&&&&&&?&&&&  ES  évenemensfi  malheureux  mirent 
*f&  o=c^'"VD  —O  ^  non  ^eu^ement  des  bornes  à  Ja  prof-  Henri  IL 
dg    n~  ^   ~u   ?$•  perité  des  armes  Francoifes  en  Italie;  ■.  T  ?  t  n 

*£  i^ç  ^5*   mais  les  affaires  du  roi  rhilippe,  qui     Atf.      ,,T 

^  S  1  <?       •      Peu        tems  auparavant  y  etoient  en  talïe. 

*k  #ï*  S    JL-^  g  ^  i?   fort  mauvais  état ,  prirent  une  nou- 


Sro&a&'s&fe  ||    *r    velle  face  ,  ôc  fe  rétablirent  entière- 
^j  Ô=2^:2)(3^=0  ^  ment.  Voici  quelle  étoit leur  fituation 

l^^^^fc^âSSi^  ^anS  ^e^^anez-  Le  marquis  dePef- 
ajrt-^t^t»îi  *  *  j^^j^i^rt  cajrej  après  avoir  perdu  Valfenieraôc 

Cherafco ,  n'ofoit  fortir  de  FofTano ,  ôc  fe  trouvoit  obligé  d'y 
confumer  tous  fes  vivres,  fans  pouvoir  obtenir  aucun  fecours 
du  duc  de  Florence.  Ce  Général  enfermé,  pour  ainfi  dire,  au 
milieu  d'un  payis  ennemi ,  étoit  enfin  forti  de  cette  place,  ôc 
fon  départ  avoit  eu  bien  moins  l'air  d'une  marche  que  d'qpe 

R  ij 


i32  HISTOIRE 

fuite  ;  fa  cavalerie  qu'il  yiaiffa  demeura  alors  comme  afïiégée 
Henri  IL  par  Briffac.  Pour  comble  de  malheur,  la  méfintelligence  fe  mit 
i  S  S  7'     entre  les  miniftres  de  Philippe  >  jaloux  les  uns  àçs  autres.  Com- 
me Jean  de  Luna  ôc  François  Taverne  avoient  depuis  peu 
fait  des  plaintes  à  l'Empereur  de  Ferdinand  de  Gonzague  ,  il 
arriva  de  même  que  Caftaldo  &  Jérôme  de  Correggio  x  rirent 
des  plaintes  à  Philippe ,  aufujet  de  l'avarice  que  le  cardinal  de 
Trente  faifoitparoitre  dans  fa  manière  de  gouverner.Cesrepro- 
Le  mînifle-  ches  étoient  néanmoins  fans  fondement  5  fi  ce  miniftré  étoit  bla- 
Te  Trente  eft  mable  en  quelque  chofe,  c'étoit  plutôt  par  fa  grande  fecurité ,  fie 
taxé  d'une       par  fa  prodigalité  ôc  fon  luxe,  que  par  une  fordide  œconomie. 
aomk?  œC°"  Ce  Cardinal  accoutumé  à  la  magnificence  ôc  à  l'éclat,  n'étoit 
pas  d'un  caractère  à  vouloir  accumuler  des  richelTes;  il  n'ai- 
moit  l'argent ,  que  pour  en  faire  un  noble  ufage  dans  les  oc- 
cafîons ,  où  fon  honneur  exigeoit  de  la  dépeniè. 

On  croit  communément  que  Caftaldo  avoit  fait  cette  dé- 
marche contre  le  cardinal  de  Trente ,  dans  l'idée  que,  s'il  étoit 
révoqué ,  le  marquis  de  Pefcaire  obtiendrait  fon  gouverne- 
ment. Caftaldo  le  favorifoit  fecrettement ,  parce  qu'il  avoit  fait 
l'apprentiiTage  du  métier  des  armes  fous  ce  capitaine  fi  célèbre 
par  le  nombre  des  victoires  qu'il  a  remportées.  On  ôta  donc 
au    cardinal    de  Trente    l'adminiftration    des  finances  5  ce 
Miniftré  s'en  voyant  dépouillé   ,  ôc  jugeant  que  fon  auto- 
rité ,  dépourvue    de  ce  puifiant  reiTort  ,  alloit  devenir  très- 
Figueroa     foible  ,   demanda  à  Phiiipe  la  permifiion  de  quitter  le  Mi- 
d^Miiancz  à  lanez  ,  ôc  il  l'obtint.    Mais  fon  gouvernement ,  contre  l'at- 
U  place  du  .  tente  de  Caftaldo  ,  fat  donné  à  Jean  de  Figueroa  gouver- 
SS?  de     neur  de  la  citadelle  de  Milan. 

Le  traité  étant  conclu  entre  le  Pape  ôc  le  duc  d'Albe,le 
cardinal  Caraffe  fut  envoyé  au  Roi  d'Efpagne ,  ôc  le  cardi- 
nal Trivulce  au  Roi  de  France  :l'un  prit  ainfi  la  place  de  l'au- 
tre, pour  tâcher,  par  l'entremife  du  Pape  ,  de  reconcilier  ces 
deux  Monarques.  Mais  le  cardinal  Caraffe  ,  qui ,  à  l'infçû  du 
Pape,  avoit  abandonné  le  parti  François,  parce  que  la  For- 
tune fembloit  l'abandonner,  ne  travailla  à  la  Cour  de  Philip- 
pe que  pour  fes  propres  intérêts.  Ainfi  de  part  Ôc  d'autre  il  ne 
fut  plus  queftion  d'accommodement. 

Ce  fut  alors  que  Philippe  ,  hors  d'inquiétude  du  côté  de 
1  Girolamo  de'  Signori  di  Correggio. 


Trente. 


DE  J.   A.   DE   THOU,  Liv.    XIX.       133 

l'Italie,  ne  fongea  qu'à  porter  au  plutôt  la  guerre  dans  les 
Etats  du  duc  de  Ferrare  ;  Ottavio  Famefe  devoit  y  avoir  le  Henri  IL 
commandement  général  des  troupes.  Alvaro  de  Sandi  partit  1557. 
de  Tofcane ,  ôc  alla  joindre  ce  Prince  avec  mille  Allemans 
ou  Espagnols ,  ôc  deux  cens  chevaux-legers  Napolitains.  Mais 
voyant  à  fon  arrivée  y  que  de  trois  mille  hommes  d'infante- 
rie ôc  de  quatre  cens  chevaux,  que  le  duc  de  Florence,  fui- 
vant  le  traité ,  étoit  obligé  de  fournir  pour  cette  guerre  >  il 
ne  paroifîoit  que  feize  cens  hommes  d'infanterie ,  divifez  en 
huit  compagnies,  fous  la  conduite  de  Sigifmond  de  Rofïî 
comte  de  Sanfecondo  ,  ôc  de  François  de  Montauti  ,  il  fe 
plaignit,  en  préfence  de  Figueroa  ôc  d'Ottavio ,  du  procédé 
de  Corne,  ôc  menaça  même  d'en  donner  avis  au  Roi  d'Ef- 
pagne.  La  conduite  du  duc  de  Florence  juftifioit  allez  les 
plaintes  de  Sandi  5  car  il  étoit  manifefte,  que  Corne  favorifoit 
le  duc  de  Ferrare.  Ce  Duc  fe  voyant  abandonné  des  Fran- 
çois ,  avoit  envoyé  le  comte  Hercule  de  Tafîbni  ,  ôc  enfuite 
Hippolyte  de  Pagano ,  pour  chercher  avec  Corne  quelque 
voye  d'accommodement,  entre  Philippe  6c  lui;  ôc  au  cas  que 
cela  réùlTit,  il  lui  avoit  fait  efpérer  de  faire  une  alliance  avec 
lui  :  Corne,  qui  vouloit  rendre  fervice  au  duc  de  Ferrare,  ôc 
qui  cependant  fe  trouvoit  obligé  ,  par  la  grâce  qu'il  avoit 
reçue  depuis  peu ,  de  féconder  le  jufte  reiTentiment  des  Ef- 
pagnols ,  ne  vouloit  pas  les  contredire  ouvertement  :  mais  il 
agiiîbit  avec  toute  la  lenteur  poilible ,  Ôc  tâchoit ,  en  afToi- 
bliffant  leurs  forces,  de  faire  échouer  leurs  entreprifes.  Ne  vou- 
lant pas  néanmoins  paroître  manquer  tout- à-fait  à  fes  obligations, 
il  envoya  au  camp  fept  Cornettes  de  cavalerie,  fous  la  con- 
duite d'Aurelio  Fregofe ,  qui  ayant  quitté  depuis  peu  le  parti 
des  François ,  s'étoit  attaché  au  duc  de  Florence. 

La  mefintelligence  de  Sandi  ôc  de  Figueroa  commençoit  à 
éclater.  Ce  dernier,  jaloux  de  la  gloire  de  l'autre,  ne  luien- 
voyoit  qu'avec  peine  les  fecours  dont  il  avoit  befoin.  Corne  3 
qui  s'offroit  toujours  pour  médiateur,  fomentoit  adroitement 
leur  divifion ,  ôc  retardoit  par  là  les  opérations  d'une  guerre 
qui  n'étoit  pas  de  fon  goût.  D'un  autre  côté ,  le  duc  de  Fer- 
rare, pour  le  mettre  à  couvert  de  la  tempête  qui  fembloit  le 
menacer  ,  raflembla  toutes  fes  troupes  ôc  les  mit  en  garnifon 
dans  les  places ,  afin  de  fe  précautionner  contre  les  évenemens^ 

R  iij 


r 


r?4  HISTOIRE 


5t 


&  d'attendre  tranquillement  que   la  conduite  de  Corne  eût 
Henri  IL  produit  quelque  effet ,  par  rapport  au  reffentiment  des  Efpa- 

l  C  C  7.       gno^s- 

Cependant  Ottavio,  à  la  tête  de  toute  fon  armée,  alla  le  pre- 
mier d'Oclobre  camper  à  Ponte-di-Lenfa ,  ôc  partit  de  là  , 
avec  quatre  pièces  de  canon ,  pour  affiéger  Montecchio ,  châ- 
teau du  Reggiano.  Cette  place  étoit  gardée  par  deux  cens  hom- 
mes, qui  fe  rendirent  aulti-tôt  ôc  furent  renvoyés  avec  leurs 
armes.  Dès  qu'Ottavio  s'en  fut  rendu  maître,  il  la  fît  fortifier, 
pour  fervir  de  retraite  à  l'infanterie ,  ôc  de  magaiin  aux  vivres , 
qui  n'arrivoient  auparavant  de  Parme  qu'avec  beaucoup  de 
danger.  San-Polo  fe  rendit  bien-tôt  après  avec  quatre  petites 
places.  Paul  Vitelli ,  qui  commandoit  l'infanterie  ,  fut  envoyé 
enfuite ,  avec  cinq  compagnies  de  Tofcans ,  ôc  avec  du  canon, 
pour  affiéger  le  château  de  CanofTa,  fitfté  fur  une  colline  fort 
efcarpée.  Il  drefTa  d'abord  fes  batteries ,  ôc  ayant  fait  brèche ,  il 
fit  donner  l'aiTaut.  La  garnifon  fe  défendit  allés  long-tems  avec 
beaucoup  de  courage?  mais  enfin  elle  fut  contrainte  de  fe  ren- 
dre. Il  s'empara  prefqu'aulli  -  tôt  du  château  de  Varano  fitué 
dans  la  vallée  Lunigiane ,  à  peu  de  diftance  de  Fivizzano. 

Tandis  que  l'armée  étoit  dans  l'inaètion  ,  parce  que  les  Gé- 
néraux étoient  occupez  à  faire  fortifier  Montecchio  ,  Céfar 
Maggi,  à  la  follicitation  de  Jérôme  de  Correggio,  arriva  avec 
le  fecours  qu'on  attendoit  de  Milan.  Ce  capitaine  ayant  pafTé 
le  Pô  avec  fes  troupes ,  ôc  mis  des  vivres  dans  Correggio,  alla 
joindre  Ottavio  :  ce  renfort  conlîftoit  en  deux  mille  hommes 
d'infanterie ,  partie  Allemande  ,  partie  Efpagnole  (car  on  ren- 
voya auili-tôt  la  cavalerie  Allemande  )  en  quatre  compagnies 
de  Gendarmes  >  ôc  une  cornette  de  cavalerie  légère.  Ottavio 
fe  voyant  appuyé  de  ce  nouveau  fecours  fe  rendit  maître  des 
montagnes  ,  du  territoire  de  Reggio ,  après  avoir  mis  ,  fui- 
vant  l'avis  de  Sandi  ,  le  fiége  devant  Scandiano.  Cette  pla- 
ce eft  à  quatorze  milles  de  Montecchio  ôc  à  fept  de  Reggio. 
Il  la  battit  avec  trois  pièces  de  canon  ,  la  prit ,  ôc  la  fit  forti- 
fier ôc  remplir  de  munitions  de  bouche }  qu'il  fit  venir  de 
Parme.  Le  duc  de  Ferrare  avoit  fait  élever  aux  environs  trois 
Forts ,  Stellata ,  SafTuolo  ôc  Vignale.  Ce  fut  dans  ce  tems-là 
qu'Ottavio  ,  qui  alloit  tous  les  jours  de  Montecchio  à  Scan- 
diano ,  à  la  tête  de  quatre  mille  hommes  d'infanterie  ôc  de 


DE  J.  A.  DE   THOU,Liv.   XïX.       t^ 

fix  cens  de  cavalerie,  fortifia Mozzadella  ôc  Chiarucolo , qui 

étoient  fur  fa  route.  Henri  IL 

Alfonfe ,  fils  du  duc  de  Ferrare ,  croyant  l'occafion  favorable     i  $  î  7. 
pour  furprendre  les  ennemis  ,  tandis  qu'ils  étoient  occupés  à 
faire  conduire  des  vivres ,  fortit  de  Reggio  ,  avec  Corneille 
Bentivoglio ,  dans  le  dedein  d'attaquer  une  partie  de  l'armée, 
s'il  ne  pouvoit  pas  la  combattre  toute  entière.  Il  alla  donc 
camper  à  Ri'valta  ,  fur  la  rivière  de  Croftolo  ,  où  après  avoir 
laiffé  paffer  l'avant-garde   conduite   par  Aurelio  Fregofe  ôc 
Sandi,  avec  les  Efpagnols  ,  il  attaqua  l'arriére  -garde  ,  avec 
quelques  petites  pièces  de  canon.  Mais  un  fécond  corps  de       »- 
troupes  étant  furvenu  ,  compofé  de  cinq  compagnies  d'Alle- 
mands avec  des  Gendarmes  ,  ôc  un  troifiéme  compofé  d'infan- 
terie Italienne  fous  la  conduite  de  Paul  Vitelli,le  combat  de- 
vint très-fanglant.   Comme  le  jour  commençoit  à  baifier  lorf-      Combat  de 
qu'il  commença  ,  il  dura  plus   d'une  heure  dans  la  nuit.  Al-  Rivaka. 
fonfe  y  eut  du  defavantage  :  du  côté  des  ennemis  ,  Sigifmond 
de  Rofïi ,  François  Montauti ,  Pierre  Martelli  3  ôc  deux  capr* 
taines  Efpagnols  y  furent  dangereufement  bleflés. 

Alfonfe  après  le  combat  fe  retira  à  Rivaka  3  comme  s'il 
eût  dû  y  féjourner  :  mais  craignant  d'y  être  enfermé  le  lende- 
main par  toutes  les  troupes  ennemies,  il  en  fortit  la  nuit,  ôc 
fe  retira  à  Reggio  avec  toute  fon  armée.  Les  ennemis  de 
leur  côté,  ne  laifferent  pas  d'être  fort  embaraflez;  car  fe  voyant 
en  défordre  ,  ôc  d'ailleurs  la  nuit  étant  très-obfcure ,  ils  ne 
fçurent  où' faire  retraite?  mais  dès  que  le  jour  eût  commencé 
à  paroître,  ils  s'emparèrent  de  Rivaka.  Ils  eurent  enfuite  def- 
fein d'adiéger  Brifîello  5  mais  ce  projet  ne  rendit  point.  Le 
duc  de  Ferrare  en  fut  averti ,  par  les  intelligences  qu'il  avoit 
dans  le  camp  des  ennemis.  Il  arriva  même  fort  à  propos  pour 
ce  Prince ,  que  Montluc ,  qui ,  à  la  follieitation  du  duc  de 
Guife ,  avoit  obtenu  de  revenir  en  France  ,  fe  trouva  pour  lors 
à  Ferrare.  Ce  Capitaine  entreprit  de  défendre  cette  place ,  ôc 
fit  tant  par  fes  foins  ôc  par  fa  préfence ,  comme  il  l'a  écrit  lui- 
même  ,  qu'il  fit  changer  de  dedein  aux  ennemis.  Il  eft  bon 
de  remarquer  ici  une  faute  échappée  à  la  mémoire  de  Mont- 
luc ;  il  dit  que  Ferdinand  de  Gonzague  commandoit  alors 
l'armée  ennemie ,  ôc  que  le  duc  de  Ferrare  apprit  le  dedein 
de  ce  Général ,  par  le  cardinal  Hercule  de  Mantouë  fon  frère» 


l5S7- 


i3<5  HISTOIRE 

Il  eft  néanmoins  confiant  qu'il  y  avoit  alors  quatre  ans  ,  que 
tt  tt    Gonzague  n'avoit  aucune  part  dans  les  affaires  d'Italie  ,  6c 

que  tandis  que  ces  choies  s'y  paffoient,  &  même  auparavant, 
il  étoit  ailé  par  l'ordre  de  Philippe  dans  les  Payis-bas  ,  où  il 
avoit  été  un  de  ceux  qui  avoit  le  plus  contribué  par  fes  con- 
feils  à  l'entreprife  du  fiége  de  Saint-Quentin. 

Après  le  combat  de  Rivalta ,  comme  l'hiver  approchoit ,  6c 
que  le  nombre  des  foldats  >  ôc  particulièrement  des  Italiens , 
diminuoit  tous  les  jours ,  Ottavio  diftribua  fes  troupes  dans  les 
garnifons  voifines.  Il  étoit  impoffible  à  ce  Général  de  tenir  la 
campagne  plus  long-tems  ;  tout  fon  camp  étoit  en  défordre  : 
Figueroa  ,  par  haine  contre  Sandi,  6c  Corne, pour  favorifer 
le  duc  de  Ferrare,  ne  lui  fourniffoient  pas  les  fecours  néceffai- 
res.  Cependant  Corne  lui  avoit  envoyé  Ferdinand  Saftre  avec 
une  compagnie  d'Efpagnols ,  6c  Céfar  Cavaniglia  avec  une 
d'Italiens.  Sandi  en  fit  fes  plaintes  au  Roi  d'Efpagne ,  6c  ac- 
cufa  le  duc  de  Florence  de  tirer  exprès  cette  guerre  en  lon- 
gueur ,  pour  favorifer  le  duc  de  Ferrare.  Il  repréfenta  même 
à  ce  Prince  ,  que  Corne ,  ne  fongeant  qu'à  fes  intérêts  parti- 
culiers faifoit  tous  fes  efforts  >  au  mépris  des  intentions  de  fa 
Majefté,  pour  pouvoir  ménager  un  accommodement  fans  ef- 
fufion  de  fang. 

Il  eft  vrai  que  le  duc  de  Florence  s'étoit  entretenu  avec  le 
duc  d'Albe  des  moyens  de  pacifier  l'Italie  ,  lorfque  ce  duc 
partit  de  Naples  6c  le  vint  trouver  à  Livourne.  Corne  lui 
avoit  repréfenté,  qu'à  la  vérité  ce  n'étoit  pas  fans  fondement 
que  Philippe  avoit  conçu  de  la  haine  contre  le  duc  de  Fer- 
rare ;  mais  que  fi  ce  Monarque  vouloit  affûrer  {es  affaires  en 
Italie  ,  le  plus  fur  moyen  étoit  de  facrifier  fa  jufte  colère  ,  ôc 
d'appaifer  des  troubles,  dont  fon  reffentiment  feul  étoit  la 
caufe.  Il  lui  remontra  que  les  peuples  ,  abattus  6c  épuifés  par 
cette  guerre  3  ne  foûpiroient  qu'après  la  paix  3  6c  que  c'étoit 
le  fruit  qu'ils  attendoient  des  victoires  du  roi  d'Efpagne  1  qu'au 
contraire  il  étoit  à  craindre  ,  que  fi  ce  Prince  continuoit  une 
guerre  qui  pourroit  en  allumer  encore  d'autres  3  l'affection  des 
peuples  ne  fe  refroidît,  6c  qu'enfin  fes  fujets  perdant  toute 
efpérance  de  voir  la  fin  de  leurs  maux ,  ne  priffent  quelque 
dangereufe  réfolution  dictée  par  le  defefpoir.  C'eft  par  là  que 
Côme  avoit  perfuadé  au  duc  d'Albe  ,  de  faire  enforte  que 

Philippe 


DE  J.  A.  DE     THOU,  Liv.  XIX.       137 

Philippe  rendît  le  calme  à  l'Italie,  à  quoi  un  accommodement 

avec  le  duc  de  Ferrare  pouvoit  beaucoup  contribuer  >  parce  Henri  IL 

que  dès  que  ce  duc  fe  feroit  reconcilié  avec  le  roi  d'Efpagne ,      1  S  S  1* 

il  ne  reftoit  en  Italie ,  ni  Prince  ,  ni  République ,  qui  voulût 

fuivre  le  parti  François. 

Ce  fut  dans  ces  circonftances  que  les  Siennois ,  qui  avoient 
tout  ofé  &  tout  fouffert  pour  conferver  leur  liberté,  ne  pou- 
vant plus  fuffire  aux  frais  de  la  guerre ,  ôc  d'ailleurs  dégoûtez 
delà  forme  du  gouvernement  républiquain,  confièrent,  fui- 
vant  l'avis  d'AmbroifeNuti,  toute  l'autorité  du  gouvernement 
à  Blaife  Monluc  6c  à  Eoniface  de  la  Mole,  &  remirent  fous 
îa  puiffance  des  François  ,  Montalcino ,  GrofTeto  ôc  Chiufi  , 
avec  tout  le  territoire  de  ces  villes  ;  ils  en  firent  même  un 
a£te  qu'ils  envoyèrent  au  roi  de  France.  Ces  peuples  efpé- 
roient-  que  Henri  conferveroit  ces  places  avec  d'autant  plus 
de  zélé,  qu'il  défendroit  fon  propre  bien  ,  ôc  non  celui  des 
autres. 

Au  commencement  de  cette  année  ,  Albert   de  Brande-    t  Affaires 
bourg  ,  fils  de  Cazimir  ,  qui  depuis   peu  avoit  obtenu  ,  par  Jx^td'AKert 
l'entremife  de  quelques  Princes  des  Etats  de  l'Empire  ,  la  per-  de   Brande- 
miflion  de  revenir  en  fon  payis,  pour  défendre  fa  caufe ,  mou-  boul'g- 
rut  chez  Charle  marquis  de  Bade  fon  allié ,  le  8  de  Janvier  à 
Schwartzwalt ,  d'une  maladie  contractée  par  fes  grands  cha- 
grins ôc    fes  anciennes  débauches.   Il  fut  un  grand  exemple 
de  l'inftabilité  des  chofes  humaines  ôc  de  la  vengence  divi- 
ne.   Ce  Prince ,  qui  à  la  tête  d'une  formidable  multitude  de 
foldats ,  avoit  autrefois  femé  en  tant  de  lieux  l'allarme  ôc  l'ef- 
froi ,  qui  avoit  ravagé  prefque  toute  l'Allemagne  ,  ôc  faifoit 
tout  trembler  au  bruit  de   fon  nom,   éprouva  fur  la  fin  de 
fes  jours  les  vicifïitudes  de  la  Fortune  5  il  mourut  miférable- 
nient ,   abandonné  de  tout  le  monde ,  méprifé  de  fes  ennemis 
même  ,  ôc  de  ceux  qui  l'avoient  le  plus  redouté. 

Le  1 3  de  Mars  ,  on  finit  la  Diète  de  Ratifbonne  commen- 
cée l'année  précédente.  On  y  publia  l'édit ,  qui  portoit  qu'on 
établiroit  une  conférence  à  Worme  le  14  Août,  pour  termi- 
ner à  l'amiable  les  différends  au  fujet  de  la  Religion  :  qu'on 
continueroit  de  fournir  à  Ferdinand  des  fecours  contre  leTurc , 
ôc  que  pour  cela  on  payeroit  encore  une  fois  les  huit  mois 
Tome  III,  S 


I^s 


HISTOIRE 


•— "==«5  Romains r  :  Qu'on  maintiendroit  la  paix ,  foit  par  rapport  aux 
Henri  IL  affaires  de  la  Religion  ,  foit  à  l'égard  des  autres  affaires  ci- 
1  S  S  1'  viles  ôc  politiques  :  Qu'enfin  la  chambre  Impériale  feroit  ré- 
tablie. Peu  de  tems  après,  Jean,  Palatin  de  Simmern,  Pré- 
fident  de  la  chambre  Impériale ,  mourut  au  mois  d'Avril  :  il 
étoit  père  de  ce  Frédéric  ,  qui  deux  ans  après  fucceda  à 
Othon  Henri  dans  l'éle£torat.  Jean  fut  un  Prince  auffi  diffrn- 
gué  par  fon  érudition ,  que  renommé  par  fa  juftice  ôc  fa  pru- 
dence. 

Ce  fut  aufîl  en  ce  tems-là,  que  le  fameux  différend,  qui 
duroit  depuis  plus  de  cinquante  ans  ,  entre  les  Princes  de 
Naffau  &  de  Heffe  ,  touchant  la  fouveraineté  de  Catzenelenbo- 
gen ,  fut  terminé  à  Francfort  par  un  accommodement ,  fuivant 
l'arbitrage  de  pluiieurs  Princes  ,  &  autres  Juges  nommés  à  cet 
effet.  Les  électeurs  Othon  Henri  Palatin ,  ôc  Augufte  de  Saxe  s 
Guillaume  duc  de  Cleves,  &  d'autres  Seigneurs,  furent  les  ar- 
bitres. Le  comté  de  Catzenelenbogen  demeura  à  Philippe  de 
Heffe ,  qui  fut  obligé  de  donner  à  Guillaume  de  Naffau  prince 
d'Orange  600000  écus  d'or  ôc  de  lui  rendre  le  comté  de  Diez 
pour  ijoooo. 

Cependant  comme  le  tems  de  la  conférence  approchoit, 
les  Théologiens  de  la  haute  Allemagne  >  qui  fuivoient  la  Con- 
feffion  d'Aufbourg,  s'affemblerent ,  ôc  s'accordèrent  enfemble 
touchant  leurs  difputes  particulières.  Mais  étant  convenus  avec 
ceux  de  la  Confeilion  de  Saxe ,  qu'avant  de  conférer  avec  les 
Catholiques  Romains,  ils  auroient  enfemble  une- entrevue  le 
premier  d'Août ,  ils  ne  fe  rendirent  à  la  conférence  que  vers  le 
commencement  du  mois  de  Septembre. 

Jules  Phlug  évêque  de  Nawmbourg,  qui  préfidoit  à  la  con- 

férence  ,  demanda  avant  toutes  chofes ,  que  ceux  qui  fuivoient 

entre  les  Ca-  la  Confeffion  d'Aufbourg  ,  fiffent  une  déclaration  autentique, 

tholiques  &    qu'ils  réprouvoient  l'opinion  des  Zuingliens ,  des  Ofiandriftes, 

lesProteftans.  des  Synergiftes  ^  &  des  Adiaphoriftes  3,  &  qu'ils  déteftoient 


1  On  appelle  ainfi  en  Allemagne  les 
importions  que  payent  les  membres  de 
l'Empire  ,  pour  des  dépenfes  extraor- 
dinaires ,  comme  font  les  guerres  de 
l'Empire  ,  les  élections ,  les  couronne- 
mens,  les  voyages  de  l'Empereur,  8cc. 
On  avoit  déjà  payé  une  fois  huit  de 


ces  mois  Romains  pour  la  guerre  con  - 
tre  le  Turc  ;  il  eft  ordonné  ici  qu'on  les 
payera  encore  une  fois  ,  ce  qui  s'ap- 
pelle double  mois ,  duplicatis  auxiliis, 
z  C'eft-à-dire  les  Cooperateurs, 
3.  Ceft-à  dire  les  IndifFerens. 


DE  J.  A,  DE  T  H  O  U  ,  L i v.  XII.        159 

leur  doctrine.  Il  ajouta  que  l'Empire  n'avoit  accordé  la  paix,  'J!"!SH=!iii!ïJ 
qu'à  ceux  de  la  Confefïion  d'Aufbourg  ;  que  la  conférence  n'é-  Henri  II. 
toit  établie  que  pour  eux  >  que  l'Empereur  n'ignoroit  pas  que     1  $  $  7> 
plufieurs  d'entr'eux  avoient  ordre  de  faire  cette  déclaration  ;  Ôc 
qu'enfin  Ci  l'on  vouloit  tirer  quelque  fruit  de  cette  conférence , 
on  devoir  unanimement  condamner  ces  fe&aires.  C'eft,  difoit- 
il ,  le  véritable  moyen  de  trouver  moins  de  difficulté  fur  les 
autres  articles.  s 

Les  miniftres  des  jeunes  Princes  de  Saxe  furent  de  cet  avis  ; 
entr'autres  Erafme  Sarcier  ,  Erard  SchneprT,  Viclorin  Strigel- 
lius ,  Jean  Steffel  ôc  Joachim  Molin.  Après  avoir  montré  les 
ordres  qu'ils  avoient ,  ils  déclarèrent  qu'ils  ne  comprenoient 
pas  dans  leur  Confeflion  les  fentimens  de  ces  hérétiques  5  mais 
Philippe  Melanchton  foûtint  qu'avant  de  condamner  leur 
doctrine  ,  on  devoit  la  faire  connoître  ôc  l'expliquer  :  il  ajouta 
que  les  Zuingliens ,  les  Synergiftes  3  Ôc  les  Adiaphoriftes ,  ne 
pouvoient  être  condamnez ,  fans  avoir  été  entendus.  Brentzen 
foûtint  la  même  chofe  à  l'égard  d'Ofiander. 

Les  Catholiques  Romains  ne  vouloient  point  continuer  la 
conférence ,  que  l'Empereurt  n'eût  été  confulté  fur  cette  diffi- 
culté. Mais  Ferdinand  donna  ordre  de  procéder  fans  délay, 
ôc  dit  qu'il  fuffifoit  de  mettre  par  ordre  les  erreurs  les  plus 
groflieres ,  qui  fembleroient  mériter  une  condamnation  unani- 
me. Cependant  comme  l'évêque  de  Nawmbourg  voulut,  avant 
toute  chofe ,  être  affuré  de  la  foi  de  ceux  avec  lefquels  il  avoit 
à  conférer ,  on  fe  fépara  fans  rien  conclure ,  fi  l'on  excepte  deux 
traitez  que  quelques  Théologiens  examinèrent  entre  eux  au 
commencement  delà  conférence  ;  l'un  fur  le  péché  originel; 
ôc  l'autre  fur  une  forme  de  jugement  qu'il  falloit  établir  dans 
l'Eglife.  Les  Catholiques  rejetterent  fur  les  Proteltans  la  rup- 
ture de  la  conférence ,  ce  qui  les  rendit  fort  odieux. 

Tandis  que  la  paix  régnoit  en  Allemagne  3  ôc  qu'elle  n'étoit 
troublée  que  par  les  difputes  des  Théologiens ,  il  s'en  fallut 
peu  que  la  guerre  ne  s'allumât  dans  la  Saxe,  à  l'occafion  que  je 
vais  dire.  Chriftophle  de  l'illuftre  maifon  des  ducs  de  Brunf- 
wick  ,  archevêque  de  Brème ,  avoit  été  nommé  coadjuteur  de 
cet  Archevêché  dès  l'année  1 5  1 1  par  l'archevêque  JeanRoden, 
qui  fe  fentoit  hors  d'état  de  foûtenir  plus  long-tems  la  guerre, 
que  lui  faifoient  l'électeur  de  Saxe  *  ôc  le  comte  d'Oldenbourg,      Ma£m° 

S  ï) 


i4o  HISTOIRE 

ôc  qui  fe  voyoit  d'ailleurs  méprifé  de  fes  peuples  ,  à  caufe  de  la 
Henri  II  bafleffe  de  fon  extraction.  Chriftophle  étoit  accablé  de  dettes  ; 
j  f  -  7  qu'il  avoit  contractées  ,  tant  par  fa  mauvaife  conduite  ,  que 
par  les  guerres  qu'il  avoit  eu  autrefois  à  foûtenir  contre  le  mar- 
quis Albert  de  Brandebourg.  Se  voyant  prefle  par  fes  créan- 
ciers ,  il  voulut  obliger  fes  fujets  à  lui  donner  la  feiziéme  partie 
de  leur  revenu.  Ce  nouvel  impôt  parut  infupportable  ôc  révolta 
îe  peuple  :  la  plupart  ne  voulurent  pas  fouffrir  qu'on  fît  un  état 
de  leurs  biens ,  &  que  leurs  facultez  fuiTent  connues.  Cepen- 
dant ceux  qui  avoient  ordre  de  faire  ce  dénombrement,  y  pro- 
cedoient  avec  beaucoup  de  févérité,  fur-tout  à  l'égard  des  ha- 
bitans  d'Urfaz,  dans  la  Fiïfe  orientale.  L'archevêque  de  Brè- 
me haïflbit  depuis  long-tems  ceux  de  ce  payis-là ,  parce  qu'ils 
s'étoient  montrez  fouvent  rebelles  à  fes  ordres  :  ces  peuples 
en  donnèrent  même  des  marques  en  cette  occafion  5  car  fe 
rappellant  leur  ancienne  liberté  ,  ils  refuferent  de  payer  les 
nouvelles  impofitions. 

L'Archevêque  prit  occafion  de  ce  refus,  pour  les  punir  de 
toutes  leurs  révoltes.  Il  chargea  Henry  Sultz  de  fblliciter  un 
nommé  Chriftophle  Wrifberg ,  homme  hardy  ôc  entreprenant, 
de  lever  des  troupes ,  Ôc  il  lui  donna  de  l'argent  à  cet  effet. 
Le  Prélat  ne  vouloit  pas  au  commencement  qu'il  parût  que  la 
guerre  fe  faifoit  en  fon  nom  ;  c'eft  pourquoi  les  foldats  ôc  les 
capitaines  interrogez,  pour  quel  fujet  ils  avoient  pris  les  armes; 
répondoient,  que  l'Archevêque  leur  devoit  de  l'argent  pour 
leur  folde,  ôc  qu'ils  feroient  la  guerre  ,  jufqu'à  ce  qu'ils  fulTent 
payez.  Ils  commencèrent  leurs  hoftilitez  dans  les  terres  de 
Lunebourg  ôc  de  Brème  ,  Ôc  après  y  avoir  fait  beaucoup  de 
ravages ,  ils  entrèrent  dans  la  Frife ,  ôc  affiegerent  le  bourg 
d'Urfaz.  Ceux  qui  étoient  en  état  de  porter  les  armes ,  fe  mi- 
ïent  en  défenfe;  mais  à  la  première  attaque  il  y  en  eut  yo  de 
tuez,  Wrisberg  en  fit  300  prifonniers  ,  ôc  le  refte  fut  mis  en 
fuite.  Ceux  qui  purent  échapper  ,  fe  retirèrent  ,  ôc  allèrent 
implorer  le  fecours  des  Etats  de  Brème  ,  qui  avoient  déjà  pris 
les  armes  pour  défendre  leurs  frontières. 

Ces  troubles  arrivèrent  dans  le  tems  que  Henry  ôc  Eric  de 
Brunfwick  alloient  trouver  le  roi  Philippe,  avec  toutes  les  trou- 
pes qu'ils  avoient  levées.  Ces  Princes  ayant  été  informez  des 
ravages  que  Wrisberg  faifoit  dans  les  terres  d'Urfaz  >  partirent 


DEJ.A.  DE  THOU.Liv.  XII.       141 

le  deux  de  May  ,  à  la  tête  de  leur  armée ,  ôc  prirent  la  route "" * 

de  Veherdan  ,  daus  le  deffein  de  combattre  Wrisberg.  L'Ar-  Henri  II. 
chevêque  de  Brème  prit  l'épouvante  à  leur  arrivée  ,  Ôc  les  pria  1  5  5  7. 
de  ne  pas  ufer  de  violence  ,  ôc  d'avoir  égard  à  fes  remontran- 
ces. Us  continuèrent  leur  route  ,  ôc  après  avoir  fait  rafraîchir  le 
foldat  à  Veherdan,  ils  partirent  en  diligence  fur  les  fix  heures 
du  matin,  ôc  prirent  Rodebourg  par  compofition.  Ce  fut  alors 
qne  l'armée  de  l'Archevêque ,  qui  n'étoit  compofée  que  de 
troupes  ramaffées  à  la  hâte,  fe difïipa  d'elle-même.  Les  foldats 
fe  retirèrent  en  divers  lieux:  Wrisberg,  le  flambeau  de  cette 
guerre  ,  fut  pris  par  un  gentilhomme,  appelle  Jean  Berner,  ôc 
livré  à  Brunfwick  ,  qui  le  fit  mettre  en  prifon  :  Sultz  eut  le 
même  fort ,  ôc  fut  enfermé  dans  les  prifons  de  Lunebourg. 

Eric  de  Brunfwich  voyant  ces  troubles  appaifez ,  revint  le 
ii  de  May  à  Veherdan.  Il  fit  aifembler  à  fon  arrivée  les  Etats 
de  la  province,  ôc  leur  confeilla  de  fe  défaire  de  leur  Arche- 
vêque, comme  d'un  homme  incapable,  ôc  qui  jufqu'àprefent 
les  avoit  fort  mal  gouvernez.  Il  leur  reprefenta  qu'ils  dévoient 
l'enfermer  dans  quelque  couvent,  où  il  pût  paner  tranquille- 
ment le  refte  de  fes  jours ,  fans  fe  mêler  d'autres  chofes  que 
de  fes  fonctions  Eccléfiaftiques  5  il  ajouta  que  ,  du  vivant 
de  Chriftophle,  les  Seigneurs  auroient  l'adminiftration  des  affai- 
res ,  ôc  que  cependant  ils  rembourferoient  les  frais  de  cette 
guerre,  que  leur  Archevêque  avoit  entreprife  avec  autant  de 
témérité  que  d'injuftice.  »  Car,  difoit-il,  il  n'eftpas  vrai-fen> 
»  blable  que  fans  le  fecours  ôc  le  confentement  des  Seigneurs  3 
»  votre  Prélat  eut  entrepris  une  guerre  contre  fes  fujets  ,  ôc  eût 
=»  ravagé  leurs  terres  :  il  eft  bien  plus  naturel  de  croire  ,  que 
»  c'eft  par  leur  confeil  qu'il  a  tourné  contre  fes  peuples  des 
»  armes ,  qu'il  ne  devoit  prendre  que  pour  leur  défenfe.  «  Les 
Etats  ne  répondirent  autre  chofe  ,  finon  qu'ils  feroient  citer 
leur  Archevêque ,  ôc  lui  feroient  de  rigoureufes  défenfes  de 
ne  plus  faire  à  l'avenir  de  pareilles  entreprifes  ;  qu'au  refte  dans 
la  fituation  préfente  ,  ils  ne  pouvoient  priver  ce  Prélat  de 
fa  dignité  ôc  de  fes  revenus  :  Que  pour  ce  qui  concernoit  les 
frais  de  la  guerre  ,  ils  exécuteroient  tout  ce  qui  feroit  décidé 
dans  l'affemblée  des  Princes  ôc  des  Etats  de  Saxe. 

Le  calme  étant  rétabli  dans  la  province ,  Eric  conduiflt 
Farinée  à  Philippe,  qui  pour  lors  afTiégeoit  Saint  Quentin.  La 

S  iij 


i42  HISTOIRE 

1  ■■  diète  ayant  depuis  été  convoquée  à  Halberftat  le  28.  de  Juin; 
Henri  IL  l'archevêque  Chriftophle  fut  accufé  devant  l'afTemblée  des 
1  S  S  7»  Seigneurs  qui  la  compofoient ,  d'avoir  troublé  le  repos  public, 
en  faifant  la  guerre  à  fes  fujets  ,  ôc  d'avoir  caufé  des  défor- 
dres  fur  les  frontières  de  fes  voiiins.  Ce  Prélat,  pour  fejuf- 
tifier,  dit  qu'il  n'avoiteu  d'autre defTein ,  que  défaire  la  guer- 
re aux  peuples  d'Urfaz,  nation  indomptable  ,  qui  depuis  32 
ans  qu'elle  avoit  fait  une  tranfa&ion  avec  lui ,  ne  payoit  qu'avec 
beaucoup  de  peine ,  ôc  de  mauvaife  foi  ,  le  tribut  dont  elle 
étoit  convenue  :  Qu'ainfi  il  avoit  crû  lui  être  permis'  de  pren- 
dre les  armes ,  pour  réprimer  l'audace  d'un  peuple  qui  ne 
cherchoit  depuis  long-tems  qu'un  prétexte  pour  fe  révolter; 
qu'au  relie  il  étoit  très  affligé  que  fes  voifins  en  euffent  reçu 
quelques  dommages  :  il  ajouta  que  ce  n'avoit  pas  étéfon  in- 
tention en  puniffant  les  rebelles. 

Les  malheurs  ôc  l'affliction  de  ce  Prélat  attendrirent  l'af- 
femblée,  qui  fatisfaite  de  fes  excufes  lui  fut  dans  la  fuite  très- 
favorable.  Quelque  tems  après  cet  Archevêque  réfolut  de  cé- 
der fes  diocefes  à  quelque  prince ,  qui  fatisfît  fes  créanciers, 
ôc  lui  fit  une  penfion  honnête.  Il  alla  à  cet  effet  à  Berlin , 
pour  trouver  l'électeur  Joachim  de  Brandebourg.  Mais  en 
revenant  il  mourut  à  Tangermund  fur  l'Elbe,  d'une  attaque 
d'apoplexie.  Sa  mort  arriva  le  22  de  Janvier  1 5*  5*  8  :  il  étoit  âgé 
de  foixante  ôc  treize  ans.  Il  eut  pour  fuccefleur  George  fon 
frère ,  qui  étoit  déjà  dans  un  âge  avancé. 
Affaires  de  Revenons  maintenant  aux  affaires  de  France.  Comme  après 
l'entreprife  de  Douay ,  ôc  le  pillage  de  Lens  ,  la  trêve  avoit 
été  rompue,  ôc  que  tout  tendoit  ouvertement  à  la  guerre,  il 
fe  prefenta  de  notre  côté  de  grandes  difficultez.  Le  duc  de 
Guife  avoit  emmené  avec  lui  en  Italie  la  plus  brave  Nobleffe 
ôc  les  meilleurs  troupes  du  Royaume  ;  ce  qui  nous  avoit  fort 
affoiblis.  Cependant  le  Connétable  de  Montmorency,  qui 
n'avoit  pas  été  d'avis  d'entreprendre  cette  guerre,  parce  qu'il 
en  prévoyoit  les  fuites  fâcheufes ,  raffembla  ce  qu'il  pouvoit 
avoir  de  troupes ,  pour  défendre  les  frontières.  Il  donna  or- 
dre aux  Gensd'armes ,  qui  font  les  meilleures  troupes  de  Fran- 
ce ,  de  s'affembler  fur  la  fin  de  Janvier  en  Champagne ,  par- 
ce qu'il  y  avoit  apparence  que  les  ennemis  attaqueroient  le 
Royaume  de  ce  côté  là. 


France. 


DE   J.   A.  DE  THOU  Liv.  XIX.         143 

Le  duc  de  Ne  vers ,  ôc  Bourdillon  fon  lieutenant  ,  travail- 


loient  cependant  à  faire  fortifier  la  frontière.  Ils  s'attachèrent  Henri  IL 
fur-tout  à  Roc-roy,  où  commandoit  Chambri,  &  y  mirent  1557. 
une  bonne  garnifon.  Cette  place  étoit  de  grande  importan- 
ce pour  la  confervation  de  Mariembourg  ôc  de  Maubert-Fon- 
taine.  Il  étoit  très-aifé  outre  cela  d'envoyer  de  Roc-roy  des 
vivres  dans  ces  deux  places.  Roc-roy  ,  fitué  dans  un  payis  fte- 
rile ,  d'un  côté  eft  environné  de  grands  marais  ôc  de  terres 
graffes ,  ôc  de  l'autre  ,  de  buiflbns  ôc  de  rochers  efcarpez  5  ce 
qui  rend  cette  place  prefque  inacceflible  ôc  fort  difficile  à 
afliéger.  Elle  eft  flanquée  de  quatre  grands  baftions  ,  ôc  de  la 
vieille  citadelle  qui  en  forme  le  cinquième.  On  a  donné  3 
fuivant  l'ufage  un  nom  particulier  à  chaque  baftion.  Le  pre- 
mier a  été  appelle  le  baftion  du  Roi  ,  le  lecond  du  Dauphin, 
le  troifiéme  de  Montmorenci  ,  le  quatrième  de  Nevers ,  le 
dernier  de  Bourdillon.  Cette  ville  étoit  encore  entourée  d'un 
large  folTé  ôc  d'un  rempart  de  terre  ,  qui  ne  pouvoit  être  ce- 
pendant endommagé  par  les  pluies  :  le  tout  étoit  accompagné 
de  petits  baftions  plus  bas  que  les  cinq  autres  :  de  forte  que 
comme  cette  ville  étoit  très  forte  ,  ôc  lituée  très-avantageufe- 
rnent ,  il  y  avoit  beaucoup  de  monde  qui  venoit  s'y  établir. 

Les  ennemis  cependant  faifoient  fecretement  leurs  prépa- 
ratifs ;  ce  qui  fit  que  l'hiver  ôc  le  printems  fe  palTerent  avant 
que  les  troupes  fe  fulTent  affemblées  départ  ôc  d'autre.  Mais 
enfin  le  4  d'Avril,  les  garnifons  de  Charlemont,  de  Philip- 
peville ,  de  Givais  ôc  d'Avennes  ,  étans  forties  en  même  terns^ 
réfolurent  de  s'emparer  du  vieux  Roc-roy,  ôc  d'en  détruire  les 
nouvelles  fortifications  :  ce  qui  étoit  d'autant  plus  aifé,  qu'elles 
n'avoient  pas  alors  trois  pieds  d'élévation.  Les  nôtres  à  la  vue 
de  l'ennemi,  s'imaginant  d'abord  que  c'étoit  des  coureurs  qui 
venoient  pour  fourager,  allèrent  audevant  d'eux.  Mais  aune 
certaine  diftance  3  s'étant  apperçûs  de  l'embufcade  que  les 
ennemis  leurs  avoient  drefTée ,  ils  firent  alte  3  ôc  avant  que  d'ê- 
tre envelopez,  ils  fe  retirèrent  fans  aucune  perte. 

Sur  ces  entrefaites ,  Marie  Reine  d'Angleterre,  à  la  perfua-    La  reine  Ma- 
fion  de  fon  mari  •  ,  déclara  la  guerre  à  la  France  ;  elle  envoya  rje  envoyé 
à  cet  effet  un  Héraut  nommé  Guillaume  Norri ,  qui  arriva  en  terreau  Roi; 
France  fous  un  habit  déguifé }  tandis  que  le  Roi  étoit  à  Reims, 

1  Philippe  roi  d'Efpagne, 


,44  HISTOIRE 

i  Le  Connétable  accufa  d'abord  ce  Héraut ,  d'être  entré  dans 

Henri  IL  ^e  royaume  fans  lettres ,  ôc  fans  porter  les  armes  de  fa  Maî- 
j  , -_  trèfle ,  comme  s'il  eût  commis  en  cela  un  crime  capital.  Ce- 
pendant il  le  préfenta  au  Roi  le  7  de  Juin.  Après  que  Norri 
fe  fut  mis  à  genoux ,  ôc  qu'il  eût  expofé  fes  ordres  >  le  Roi  lui 
dit  en  préfence  des  Grands  du  Royaume,  du  Nonce  du  Pape, 
des  Ambafladeurs  du  Roi  de  Portugal  ,  de  la  République 
de  Venife ,  ôc  de  l'Envoyé  du  duc  de  Ferrare ,  qu'il  acceptoit 
volontiers  cette  déclaration  de  guerre  ;  mais  qu'il  vouloit  que 
toute  la  terre  fçût,  qu'il  avoit  toujours  fait  fon  poflible ,  pour 
fatisfaire  aux  articles  du  traité  fait  entre  la  France  ôc  l'An- 
gleterre ,  ôc  qu'il  avoit  cultivé  l'amitié  de  la  Reine ,  avec  au- 
tant de  fincerité  que  jamais  il  avoit  fait  à  l'égard  d'aucun  autre 
Prince.  Il  ajouta,  qu'il  efpéroic  que  la  juftice  Divine  le  ven- 
geroit  de  la  rupture  de  ce  traité  ,  ôc  que  les  Anglois  ne  fe- 
roient  pas  plus  heureux  dans  cette  guerre ,  que  dans  prefque 
toutes  les  précédentes,  Afin  que  le  Héraut  ne  pût  rien  ré- 
pliquer )  ce  Prince  lui  dit  :  «  Au  refte,  je  vous  parle  de  la  forte, 
a»  parce  que  c'eft  une  Reine  qui  vous  envoyé  ;  li  c'étoit  un 
»  Roi ,  je  vous  parlerois  fur  un  autre  ton.  »  Il  lui  commanda 
enfuite  de  fortir  au  plutôt  du  Royaume.  Norri  après  s'être  re- 
tiré, fut  conduit  à  l'hôtel  de  l'Ambafladeur  d'Angleterre ,  d'où 
après  avoir  reçu  du  Roi  une  chaîne  de  la  valeur  de  200  écus 
d'or,  il  partit  avec  l'Ambafladeur. 

-  Le  Roi  n'eût  pas  plutôt  reçu  cette  déclaration  de  guerre  ; 
qu'il  envoya  en  Ecofle  des  Ambafladeurs  à  la  Régente,  pour 
demander ,  que  fuivant  le  traité  ,  les  Ecoflbis  déclaraflent  la 
guerre  aux  Anglois  ;  puifque  Marie ,  non  contente  de  fecou- 
rir  ouvertement  fon  mari ,  avoit  été  la  première  à  déclarer  la 
guerre  à  la  France.  On  Ht  la  le£ture  de  la  lettre  du  Roi , 
dans  une  aflemblée  des  Grands  du  Royaume,  à  peu  près  dans 
le  tems  que  les  Ambafladeurs,  qu'ils  avoient  envoyez  en  An- 
gleterre ,  revinrent  fans  apporter  ni  aflurances  de  paix  ni 
déclaration  de  guerre.  La  Régente ,  qui  étoit  à  cette  Aflem- 
blée i  repréfenta  aux  Ecoflbis  les  courfes  ôc  les  ravages  des 
Anglois ,  les  torts  qu'ils  en  avoient  reçus ,  ôc  le  peu  de  fatis- 
fa&ion  qui  leur  en  avoit  été  faite.  Enfin  cette  Princefle  les 
ayant  exhortés  à  faire  la  guerre  aux  Anglois ,  pour  laver  des 
affronts  fi  injurieux  à  la  gloire  de  la  nation  Ecoflbife ,  elle  les 

follicita. 


DE  J.   A.  DE  THOU,  L'iv.  XIX.  14? 

follicita  en  même  tems  de  donner  du  fecours  au  Roi  de  France. 
N'ayant  pu  leur  perfuader  de  prendre  les  armes  les  premiers,  Henri  IL 
elle  réfolut,  fuivant  le  confeil  que  lui  donna  d'Oifel  >  de  leur     j... 
faire  entreprendre  cette  guerre,  même  malgré  eux.  Voici  la  ma- 
nière dont  elle  s'y  prit.  Elle  donna  ordre  de  bâtir  un  Fort  à 
l'embouchure  de  la  rivière  d'Ail,  pour  s'oppofer  aux  courfes  im- 
prévues des  Anglois ,  ôc  où  elle  pût  mettre  rarement  du  canon, 
ôc  d'autres  munitions  de  guerre  ,  ôc  les  en  tirer  quand  il  feroit 
néceffaire.  Par-là,  elle   faifoit  femblant  de  vouloir  épargner 
la  peine  d'en  faire  venir  des  extrêmitez  du  Royaume  5  afin  que 
la  longueur  ôc  la  difficulté  des  voitures  ,  ne  lui  fit  pas  man- 
quer des  occafions  favorables  d'entreprendre  quelque  chofe. 
Mais  comme  elle  avoit  bien  prévit  que  les  Anglois  s'oppo- 
feroient  à  cet  ouvrage ,  ôc  ne  fouffriroient  pas  qu'on  bâtît  une 
forterefle  il  près  de  Warwic ,  elle  comptoit  que  les  Ecoffois 
auroient  par  ce  moyen  un  fujet  de  prendre  les  armes ,  ôc  d'en 
rejetter  la  faute  fur  leurs  ennemis.  L'événement  fit  voir  que 
cette  Princeffe  avoit  penfé  juite;  en  effet  les  EcofTois ,  trou- 
blez dans  cet  ouvrage  par  les  Anglois  ,  fuivirent  l'intention  de 
la  Régente ,  ôc  fe  réfolurent  à  la  guerre.  Ils  convinrent  d'un 
jour  pour  s'affembler ,  ôc  fe  rendirent  en  grand  nombre  à  Edim- 
bourg. 

Cependant  d'Oifel,  qui  craignoit  que  les  Ecoffois  ne  chan- 
geaffent  de  réfolution  ,  fi  l'on  tardoit  davantage  ,   n'attendit 
pas  la  délibération  de  l'Affembiée.  Il  donna  ordre  à  quelques 
compagnies  Françoifes  ,  de  paffer  la  rivière  de  TVed ,    ôc 
d'affiéger  la  citadelle  de  Warka ,   avec  le  canon  qu'il  avoit 
amené.  Une  pareille  entreprife  déplut  infiniment  aux  Seigneurs 
d'Ecoffe  :  «  Quoi  >  difoient-ils ,  un  étranger  nous  voudra  gou* 
=»  verner  à  fa  fantaifie ,  ôc  s'attribuera  plus  d'autorité  qu'aucun  de 
■»  nos  Rois  n'en  a  eu  jufques-ici  !  Nos  Rois  ,  avant  d'entre- 
*>  prendre  une  guerre  ,  en  expofent  les  raifons  dans  l'affem- 
=»  blée  du  Parlement ,  où  elles  font  long-tems   ôc  mûrement 
05  examinées.  «  Ils  firent  donc  un  décret,  par  lequel  ils  ordon- 
nèrent à  d'Oifel  de  ramener  fon  canon  ,  ôc  le  menacèrent , 
en  cas  de  défobéïflance ,  du  fupplice  dont  on  punit  les  traî- 
tres ôc  les  rebelles.  La  Régente  ôc  d'Oifel  furent  très-mécon- 
tens  d'un  tel  procédé.  Cette  Princeffe  crut  qu'il  bleffoit  fon 
autorité  ,  ôc  d'Oifel ,  qu'il  étoit  injurieux  au  Roi ,  dont  il  étoit; 
Tom.  III.  T 


i4<*  HISTOIRE 

l'AmbaiTadeur.  Ils  n'y  trouvèrent  point  d'autre  remède  >  que 
Henri  II.  de  faire  enforte  que  la  jeune  Reine  >  déjà  en  âge  d'être  ma- 
1  S  S  7#     r^e  ■  ^Pou^t  au  plutôt  le  Dauphin.  Ils  efpéroient  que  le  Con- 
feii  d'Ecofle  perdroit  beaucoup  de  fon  autorité  ,  Ci  une  fois  la 
Reine  avoit  un  mari.  Ils  en  écrivirent  donc  au  Roi ,  qui  en- 
voya aufll-tôt  une  lettre  au  Confeil  de  la  Régence  d'Ecofle» 
On  propofe       Pour  en  faire  la  lecture ,  on  convoqua  un  Parlement,  au  mois 
le  mariage  de  de  Décembre  ,  à  Edimbourg.  Le  Roi  dans  fa  lettre,  aprèsun 
ja4eu?re  rcine  Ions  récit  des  anciennes  alliances  de  la  France  ôc  de  l'Ecofle, 

d  Ecofle  avec  ©  .  .         .  , ,     . 

le  Dauphin,  ôc  des  iervices  réciproques  que  les  deux  nations  s  etoient  ren- 
dus ,  prioit  le  Confeil  compofé  de  perfonnes  choifies  des  trois 
ordres  de  l'Etat ,  d'envoyer  en  France  des  députez ,  avec  pou- 
voir de  conclure  le  mariage  de  leur  Reine  avec  le  Dauphin ,  qui 
fur  la  fin  de  Décembre  devoit  entrer  dans  un  âge  nubile.  11  leur 
faifoit  entendre  que  c'étoit  le  feul  moyen  d'unir,  par  un  nœud  in- 
diiïoluble  deux  nations  qui  jufques-là  avoient  toujours  été  alliées, 
•Le  Parlement  s'aflembla,  ôc  la  lettre  du  Roi  y  fut  lûë.  On 
nomma  d'un  commun  accord  huit  députez  pour  conclure  ce 
mariage,  il  y  en  avoit  trois  du  Clergé  ,  fçavoir  ,  Jacque  de 
Béton  archevêque  de  Glafcou  ,  Robert  Reid  évêque  des  Or- 
cades  ,  ôc  Jacque  Stuart  frère  naturel  de  la  Reine ,  ôc  Prieur 
de  S.  André  :  on  en  choiiit  trois  de  la  première  Noblefle  j 
Gilbert  Renned  comte  de  Caflilis  ,  Georges  Lelley  comte 
de  Rhotes ,  ôc  Jacque  Fleming  Milord  de  Cumbernald.  Le3 
deux  derniers  n'étoient  pas  d'une  aufli  grande  diftin&ion  :  c'é- 
toient  George  Seton  Ôc  Jean  Areskin,  l'un  gouverneur  d'E- 
dimbourg ,  ôc  l'autre  de  Montrofe.  Ces  députez  partirent  pour 
fe  rendre  en  France  ;  mais  dans  le  trajet  ils  furent  battus  d'u- 
ne violente  tempête  :  enfin  après  avoir  perdu  deux  vaifleaux , 
ils  prirent  terre  près  de  Boulogne,  ôc  arrivèrent  en  France  au 
commencement  de  l'année  1 5"  5" 8. 

La  guerre  étant  allumée  entre  l'Ecofîe  ôc  l'Angleterre ,  ces 
deux  nations  firent  pendant  l'hyver  des  courfes  les  uns  fur  les 
autres ,  avec  differens  fuccès  ;  ce  qu'il  y  eut  de  plus  remarqua- 
ble, fut  un  petit  combat  qui  fe  donna  au  pied  du  mont  Te- 
veot,  entre  le  duc  de  Northfolk  ôc  André  Ker.  Le  courage  des 
uns  ôc  des  autres  fit  longtems  balancer  la  victoire,  qui  enfin  fe 
déclara  pour  les  Anglois.  Ker  y  fut  fait  prifonnier ,  ôc  les  plus 
braves  gens  de  part  ôc  d'autre  furent  bleflez. 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XIX.        147 
On  prenoit  en  France  toutes  les  précautions  que  la  ptu-  — 


dence  pouvoit  di£ter  ,  pour  faire  la  guerre  avec  avantage ,  ôc  Henri  II. 
l'on  fe  difpofoit  plutôt  à  fe  bien  défendre  qu'à  attaquer.  Enfin  1557, 
il  parut  clairement  que  cette  guerre,  qu'on  avoit  entreprife 
avec  tant  de  témérité ,  fe  termineroit  à  notre  honte  ôc  à  notre 
défavantage.  Sur  ces  entrefaites }  le  duc  de  Savoye ,  fuivi  du 
duc  d'Arfchot  ,  du  comte  de  Mansfeld,  du  comte  d'Egmond, 
de  Meghen  ôc  de  Barlemont  >  arriva  au  commencement  de 
Juin  à  Givais,  qui  étoit  le  rendez-vous  de  toutes  fes  troupes. 
Les  nôtres  conjecturèrent  par  cette  marche  du  duc  de  Savoye, 
que  le  deffein  des  ennemis  étoit  d'entrer  en  Champagne ,  ôc  de 
s'emparer  de  Mezieres  ôc  de  Roc-roy,  afin  de  fermer  le  paffage 
aux  lecours  qu'on  pourroit  envoyer  à  Mariembourg,  où  com- 
mandoit  de  Loffes.  Le  duc  de  Nevers ,  qui  étoit  gouverneur 
de  cette  Province  ,  fit  donc  tous  fes  efforts  pour  fortifier  ces 
deux  places ,  ôc  les  remplir  de  provifions  ôc  de  munitions  ne- 
ceffaires  pour  foùtenirun  fiége.  limita  cet  effet  dans  Roc-roy, 
pour  y  commander ,  de  Fontaines  lieutenant  du  duc  deMont- 
penfier ,  avec  une  cornette  de  cavalerie  de  ce  même  duc:  Gil- 
les de  Bouviers  lui  fut  envoyé  pour  renfort,  avec  la  cavalerie 
légère,  ôc  onze  compagnies  d'infanterie.  Mais  comme  le  Roi 
n'éroit  pas  affuré  de  la  force  de  cette  place,  fur  le  rapport  que 
lui  en  avoit  fait  S.  Heran  ,  qui  par  ordre  du  Connétable  avoit 
vifité  toutes  les  villes  frontières ,  le  duc  de  Nevers  écrivit  à  ce 
Prince,  qu'il  devoit  être  tranquile  fur  cette  place,  ôc  qu'elle 
étoit  fi  forte,  qu'il  avoit  refolu,  fi  l'ennemi  en  formoit  le  fié- 
ge ,  de  s'y  enfermer  lui-même  avec  fes  amis.  On  choifit  le 
bourg  d'Attigny  pour  le  rendez-vous  général  de  toutes  nos 
troupes.  Le  Rhingrave,  après  avoir  eu  de  la  peine  à  s'ouvrir 
un  chemin  à  travers  la  Lorraine,  s'y  étoit  déjà  rendu,  avec  fes 
troupes  ôc  les  arquebufiers  à  cheval. 

Les  ennemis  ayant  efcarmouché  devant  Mariembourg, pri- 
rent avec  eux  quantité  d'échelles  ôc  d'autres  inftrumens  neceffai- 
res  pour  une  attaque  imprévue  >  ils  marchèrent  enfuite  vers 
Roc-roy,  perfuadez  que  cette  ville  ne  pourroit  tout  au  plus  foû- 
tenir  qu'un  affaut  de  fix  heures.  Ils  arrivèrent  donc  devant  cet- 
te place  le  27  de  Juillet.  Les  François  avertis  de  leur  marche, 
firent  aufli-tôt  une  fortie  ,  ôc  les  répoufferent  avec  avantage. 
Les  ennemis  fe  voyant  en  même  tems  fort  incommodez  du 

r-pi       •  • 

T  1; 


i48  HISTOIRE 

canon  de  la  ville,  abandonnèrent  une  entreprife,oùilsavoîont 
Henri  IL  déjà  perdu  beaucoup  de  leurs  gens ,  ôc  firent  leur  retraite  au 
1  ç  <  7  §u^  ^e  l^011^  '  entre  le  village  de  Nîmes  Ôc  Hauteroche. 
De  notre  côté  Eouviers  qui  conduifoit  la  cavalerie  légère.»  ôc 
les  capitaines  Oger,  Jacque,  ôc  le  Bois,  furent  ceux  qui  fe  dis- 
tinguèrent le  plus  en  cette  occafion.  Le  duc  de  Nevers  en- 
voya enfuite  les  capitaines  Sainte  Marie  ôc  la  Lane,  pour  re- 
connoître  les  ennemis.  Ils  rapportèrent  à  leur  retour,  que  leur 
armée  n'étoit  compofée  que  d'environ  quarante  compagnies 
d'infanterie,  Ôc  qu'ils  avoient  au  plus  quatorze  pièces  de  canon, 
mais  qu'ils  en  attendoient  de  jour  en  jour  de  Malines.  Ils 
ajoutèrent  que  le  deilein  des  ennemis  étoit  d'attaquer  Roc-roy  » 
ôc  de  remettre  la  prife  de  Mariembourg  à  un  autre  tems.  Mais 
ce  rapport  fe  trouva  fans  fondement  •■>  car  les  ennemis  prirent 
leur  route  par  Chimay ,  Gîaïon  ,  Trelon  ôc  Monftreùil-aux- 
Dames,  ôc  conduifirent  leur  armée  à  la  Capeîîe  ôc  à  Vervins, 
où  ils  mirent  tout  à  feu  ôc  à  fang.  Ils  vinrent  enfuite  à  Guife , 
où  VafTé  s'étoit  enfermé  pour  défendre  la  place  qu'on  croyoit 
devoir  être  afïiegée.  Ce  fut  alors  qu'on  apprit  avec  certitude, 
que  les  forces  des  ennemis  fe  montoient  à  35*000  hommes 
d'infanterie  t  ôc  à  12000  chevaux  ,  la  plupart  Allemands.  Us 
attendoient  outre  cela  8000  Anglois,  qui  après  être  defcen- 
dus  à  Calais,  dévoient  les  joindre  auprès  de  S.  Quentin?  Ôc 
ils  ne  furent  pas  trompez  dans  leur  attente. 

Les  forces  du  duc  de  Nevers  confiftoient  en  18000  hom- 
mes d'infanterie,  ôc  en  5000  hommes  de  cavalerie,  dont  la 
plupart  étoient  Allemands.  Ce  fut  avec  ces  troupes  que  les 
nôtres  fuivirent  les  ennemis  à  travers  la  Tierafche,  ôc  s'affem- 
blerent  à  Pierre-pont.  Le  duc  de  Nevers  cependant  fuivi  du 
prince  de  Condé,  du  Rhingrave  »  de  Joachim  de  Chabannes 
baron  de  Curton  ,  ôc  delà  Roche-du-Maine ,  vint  au  village  de 
Notre-Dame  de  LielTe,  où  eft  une  églife  qui  eft  en  grande 
vénération  parmi  les  habitans  de  cette  contrée  s  il  eft  fitué  à 
peu  de  diftance  de  la  belle  maifon  de  Marchez ,  qui  appar- 
tenoit  alors  au  cardinal  de  Lorraine,  ôc  qui  avoit  été  bâtie  avec 
une  magnificence  royale ,  par  ce  fameux  Longueval ,  qui  avec 
Martin  Roflem  avoit  entrepris  l'expédition  de  Flandre.  Le 
connétable  de  Montmorency ,  l'amiral  de  Coligny  ,  le  maré- 
chal de  S.  André,  qui  étoient  à  la  Cour,  arrivèrent  le  28  de 


DE  X  A.  DETHOU,Liv.  XIX.       i^ 

Juillet.  On  tint  Confeil  ce  même  jour  fur  le  parti  qu'on  avoit 
à  prendre.  Les  avis  furent  partagez  :  les  uns  pour  favorifer  aveu-  Henri  IL 
glement  les  auteurs  de  cette  guerre ,  prononcèrent  des  difcours  i  ç  c-  7. 
étudiez,  qui tendoient  à  diminuer  lappréhenfion  du  péril  5  ilsdi- 
foient  que  les  ennemis  s'étoient  affemblez  trop  tard ,  pour  croire 
qu'ils  puffent  remporter  quelques  avantages  dans  cette  campa- 
gne ,  quand  même  la  difficulté  des  lieux  ne  leur  erf  ôteroit  pas 
tous  les  moyens.  Ils  affuroient  que 3 files  ennemis  avaient  une 
armée  fi  nombreufe,ce  n'étoit  que  pour  faire  montre  de  leurs 
forces  ,  Ôc  nous  empêcher  de  rien  entreprendre.  Ils  ajoûtoient 
que  ces  mêmes  ennemis  ayant  perdu  i'efperance  de  faire  quel- 
ques progrès  fur  la  frontière  de  Champagne ,  comme  ils  fe  l'é- 
toient  promis ,  ne  cherchoient  plus  qu'un  prétexte  pour  fe  reti- 
rer. Les  autres,  du  nombre  defqueîs  étoit  Montmorency ,  foû- 
tenoient  au  contraire  que  les  ennemis  avoient  leurs  vues  3  en 
quittant  les  frontières  de  Champagne,  que  leur  deffein  étoit 
de  fe  jetter  fur  celles  de  Picardie  >  &  de  s'emparer  de  quel- 
ques villes  ,  avant  que  les  François  les  eulfent  mifes  en  état 
de  défenfe.  «  Car ,  difoient-ils  s  pourquoi  auroient-ils  affem- 
03  blé  de  fi  grandes  forces,  s'ils  ne  dévoient  rien  entrepren- 
oî  dre  ,  fur  tout  fçachant  que  nous  leur  fommes  très  inférieurs 
=»  en  nombre  ?  Quant  aux  prétendues  difficultés  ,  il  n'y  a  pas 
»  lieu  de  croire  qu'elles  euffent  arrêté  les  ennemis  jufques 
»  à  prefent ,  s'ils  n'enflent  pas  eu  deffein  par  ce  retardement 
m  affeclé,  de  nous  attaquer,  lorfque  nous  y  penferionsle  moins." 
L'événement  juftifia  le  raifonnement  du  Connétable  >  car  pref- 
que  en  même-tems  Coligny  gouverneur  de  Picardie  avertit  fon 
oncle ,  que  Senarpont  &  Jean  d'Eftouteville  de  Villebon  lui 
avoient  mandé,  que  les  ennemis  dévoient  faire  irruption  fur  les 
frontières  de  cette  Province.  Cet  avis  fut  encore  confirmé  par 
les  nouvelles  qu'on  reçut ,  que  le  duc  de  Savoye  s'étoit  re- 
tiré de  devant  Guife,  trois  jours  après  fon  arrivée,  &  qu'il 
n'avoit  pas  mis  le  fiége  devant  cette  place  ,  comme  tout  le 
monde  l'avoit  crû.  En  effet  ce  Prince  avoit  donné  ordre  à  fa" 
cavalerie  légère  de  prendre  les  devans ,  ôc  étoit  allé  lui-même 
enfuite  affiéger  Saint  Quentin. 

Julien  Goffelini  ,  qui  a  écrit  la  vie  de  Ferdinand  de  Gon-  ^  Siège  de 
zague ,  rapporte  que  ce  fiége  fut  entrepris  par  fon  confeil.  jl\Quemi» 
Philippe  l'avoit  fait  venir  depuis  peu  d'Italie,  pour  avoir  dans  Coligny. 

T  iij 


i;o  HISTOIRE 

■  mi  i  i  »  fes  affaires  de  la  plus  grande  importance  ,  le  confeil  d'un  capi- 
Henri  IL  tame  très-experimenté.  Gonzague  trouva  donc  à  propos  qu'on 
j  -  -  _  fit  femblant  d'abord  de  vouloir  aflléger  Guife  (  parce  que  les 
François  trompés  par  ce  ftratageme ,  y  feroient  venir  infailli- 
blement la  garnifonde  S.  Quentin  ,  qui  n'en  étoit  pas  éloignée) 
6c  qu'on  conduisît  en  même-tems  l'armée  devant  cette  place 
qui  feroit  dtgarnie.  »  Il  eft  très-probable ,  difoit-il,  qu'on  pour- 
»  ra  fans  péril  ,  ôc  néanmoins  avec  beaucoup  de  gloire ,  s'em- 
«  parer  d'une  ville  ,  ou  négligée  ,  parce  que  les  François  la 
»  croyent  affés  forte  ,  ou  du  moins  affoiblie  par  les  troupes 
»  qu'ils  en  auront  retirées.  »  Il  fit  même  voir,  que  (I  les  François 
y  faifoient  venir  du  fecours  ,  comme  il  ne  pourroit  venir 
que  de  fort  loin ,  il  feroit  facile  à  fon  arrivée  de  le  combattre 
ôc  de  le  vaincre. 

Le  capitaine  Brueil,  de  Bretagne ,  commandoit  dans  Saint 
Quentin  ;  il  avoit  avec  lui  Châtie  de  Teligny-la-Sale  ,  Lieu- 
tenant du  Dauphin,  une  cornette  de  la  cavalerie  de  ce  Prince, 
ôc  quelques  autres  troupes.  Mais  ces  forces  n'étoient  pas  ca- 
pables de  défendre  la  place  contre  une  puiffante  armée.  C'en: 
pourquoi  Coligny ,  après  avoir  confulté  avec  fon  oncle  ,  partit 
le  2  d'Août  de  Pierrepont,  avec  fa  cornete,  ôc  celle  de  cavalerie 
du  Comte  d'Arran  3  de  Jarnac  3  ôc  de  la  Fayette  3  Ôc  trois  com- 
pagnies de  chevaux  -  légers.  Il  donna  ordre  avant  fon  départ 
au  capitaine  Tenelles,  qui  avoit  une  connoiffance  parfaite  du 
payis  ,  de  prendre  les  devans  avec  fa  cornette  de  cavalerie 
légère  3  Ôc  de  marcher  fur  la  droite.  Il  fe  rendit  en  même-tems 
àlaFere  fur  Oyfe.  Il  fut  obligé  de  faire  ce  circuit,  parce  que 
l'ennemi  s'étoit  emparé  de  tous  les  autres  paffages.  De  là  il 
alla  à  Han  ,  avec  les  compagnies  d'infanterie  de  Rambouil- 
let ôc  de  Saint  André.  Celles  de  Caumont  ôc  de  Lalain  ,  qui 
avoient  ordre  de  le  fuivre  ,  n'arrivèrent  pas  à  tems.  Pendant 
fon  féjour  à  Han  ,  Vaulperghe  lui  apporta  des  lettres  de 
Brueil ,  qui  lui  mandoit  le  trifte  état  où  la  ville  étoit  réduite. 
Il  lui  écrivoit  que  l'épouvante  étoit  Ci  grande  parmi  les  habi- 
tans,  que,  fans  un  prompt  fecours  ,  ils  parloient  déjà  de  fe 
rendre.  Vaulperghe  l'avertit  auiïi ,  que  s'il  vouloit  fe  hâter 
il  pourroit  aifément  entrer  avec  fes  troupes  dans  Saint 
Quentin  ;  mais  qu'il  ne  devoit  pas  différer  ;  parce  que  ce  qui 
çtoit  poffible  aujourd'hui  pourroit  demain  ne  le  plus  être. 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XIX.        tfi 

Coligni  fè  difpofa  donc  à  partir  avec  lui ,  ôc  malgré  les  remon-  ..■■  ^  ■» 
trances  de  Jarnac  ôc  de  Cenami-Luzarches  fon  Lieutenant ,  qui  j^ENRI  jj 
lui  reprefenterent  qu'il  ne  convenoit  pas  à  un  Gouverneur  de 
province  de  s'expofer  à  un  péril  fi  manifefte ,  il  ne  laiiTa  pas 
dcfc  rendre  à  Saint  Quentin  ,  fans  mener  avec  luini  bagage , 
ni  équipage  ,  ni  prefque  aucuns  domeftiques ,  afin  d'arriver 
plus  promptement. 

Un  fauxbourg  de  la  ville  ,  appelle  le  fauxbourg  d'Ile ,  qui  s'é- 
tend au-delà  de  la  Somme ,  avoit  été  abandonné  par  lagarnifon, 
qui  fe  trouvoit  trop  foible  pour  le  défendre.  Coligny  à  fon  arri- 
vée réfolut  de  s'en  rendre  maître  au  plutôt.  Il  fit  donc  une  fortie, 
êc  mit  le  feu  aux  maifons  dont  l'ennemi  s'étoit  déjà  emparé  s 
elles  étoient  fituées  fur  une  éminence  3  ôc  avoient  vue  fur  cette 
partie  de  la  ville  qui  leur  eft  oppofée.  Il  reprit  enfuite  le  faux- 
bourg ,  ôc  y  mit  des  troupes  pour  le  défendre.  Cependant  , 
pour  ne  rien  négliger,  Coligny  fit  lavifite  de  la  place,  raffura 
les  habitans  ,  ôc  en  choifit  un  certain  nombre  parmi  ceux 
qui  pouvoient  porter  les  armes.  Il  fit  outre  cela  une  recher- 
che exacte  de  tous  les  outils  propres  à  fouiller  la  terre ,  don- 
na ordre  d'en  faire  de  nouveaux  ,  ôc  fît  faire  un  état  des  vi- 
vres qui  fe  trouvoient  pour  lors  dans  la  place.  Languetot ,  Of- 
ficier d'une  vigilance  ôc  d'une  exactitude  extrême ,  fut  chargé 
de  l'artillerie.  Il  fit  un  rapport  très-exa£t  de  la  quantité  de  pou- 
dre ,  de  boulets  ôc  d'autres  munitions  qui  fe  trouvoient  dans 
la  ville.  Il  eut  aufîi  le  foin  de  faire  préparer  des  Moulins.  Co- 
ligny ,  après  avoir  pris  ces  précautions  ,  diftribua  les  capitai- 
taines  dans  les  differens  quartiers  de  la  ville,  Ôc  les  pria,  que 
s'ils  avoient  quelques  avis  à  lui  donner ,  ils  le  fiiïent  avec  li- 
berté. Il  leur  dit ,  qu'il  ne  doutoit  pas  ,  que  plufieurs  d'en- 
tr'eux  ,  qui  s'étoient  louvent  trouvés  dans  des  places  afïïégées  , 
n'euffent  remarqué  plufieurs  chofes  d'importance,  qui  pouvoient 
quelquefois  échaper  aux  plus  habiles  1  il  ajouta ,  qu'ils  ne  pour- 
roient  lui  faire  un  plus  grand  plaifir,que  de  lui  faire  part  de 
leurs  lumières.  Il  mit  tous  fes  foins  enfuite  à  faire  reparer  les 
fortifications  1  il  fit  reparer  fur-tout  le  baftion  qui  regarde  le 
fauxbourg  d'Ile  ,  ôc  on  y  travailla  nuit  ôc  jour  j  on  coupa  auffi 
par  fon  ordre  les  arbres  qui  déroboient  la  vue"  aux  afïiégés  „ 
ôc  qui  auroient  pu  favorifer  l'approche  des  ennemis. 

Coligny  n'eut  pas  plutôt  repris  le  fauxbourg,  par  une  fi 


î>2 


HISTOIRE 


heureufe  fortie ,  qu'il  jugea  bien  qu'il  y  auroit  du  danger  de  le 
Henri  II  gar<^er  avec  une  poignée  de  foldats;  il  craignoit  que  fi  l'en- 
l  s  r  7  nemi  faifoit  quelque  attaque  de  ce  côté-là,  il  ne  mît  les  nôtres 
en  déroute  ,  ôc  qu'entrant  dans  la  ville  pèle  mêle  avec  les 
fuyards  ,  il  ne  fe  rendit  maître  delà  place ,  auffi-bien  que  du 
fauxbourg.  Il  crut  donc  qu'il  étoit  plus  à  propos  de  le  garder 
auiïï  long-tems  qu'il  pourroit ,  pour  amufer  l'ennemi  ,  mais  non 
avec  une  opiniâtreté  périileufe.  Dans  cette  vue  il  réfolut  de 
faire  une  féconde  fortie,  pour  reconnoître  les  logemens  des 
ennemis ,  ôc  pour  confidérer  par  quel  endroit  on  pourroit  plus 
fûrement  faire  entrer  du  fecours  dans  la  place.  A  cet  effet , 
il  donna  ordre  à  Teligny  de  faire  fortir  un  certain  nombre 
de  cavaliers  de  la  cornette  du  Dauphin.  Mais  comme  Co- 
ligny  étoit  alors  retenu  au  lit  par  un  très-violent  mal  de  tête ,  il 
pria  inftamment  Teligny  de  ne  pas  fortir  lui-même.  Ces  ca- 
valiers eurent  ordre  de  faire  des  courfes  jufques  au  village  de 
Raincourt.  Cependant  Teligny  ayant  appris  que  ces  coureurs 
en  étoient  venus  aux  mains  avec  les  ennemis,  ôc  qu'ils  lâchoient 
pié,  il  ne  put  fouffrir  que  fesgens  fuffent  repoufTés.  Il  donna 
une  pleine  autorité  àCuifieux,  ôc  l'ayant  laifTé  dans  fon  porte 
au-delà  de  la  porte  faint  Jean  ,  avec  foixante  chevaux,  ilfor- 
tit ,  malgré  les  ordres  qu'il  avoit  eu.  Il  ne  fut  pas  plus  heu- 
reux que  fes  gens  :  il  reçut  quantité  de  bleffures ,  ôc  fut  mê- 
me dépouillé,  fans  être  fecouru  de  perfonne  j  foit  qu'on  n'eût 
pas  connoifîance  du  péril  ou  il  étoit ,  ou  qu'il  y  eût  des  or- 
dres pour  cela. 

Coligny ,  qui  étoit  un  peu  foulage  de  fon  mal  de  tête ,  en 
fut  averti  auffi-tôt  par  Jarnac  ôc  Luzarches  ,  Ôc  ayant  appris 
que  Teligny  ,  prefque  mourant ,  n'étoit  pas  fort  éloigné  ,  il 
voulut  l'arracher  mort  ou  vif  des  mains  des  vainqueurs.  Il  fit 
donc  une  fortie  ,  mit  les  ennemis  en  fuite  ,  ôc  Teligny,  tout 
bleffé  qu'il  étoit  ,  fut  porté  dans  la  ville.  Cet  Officier  fit  de 
grandes  excufes  à  Coligny  ,  ôc  lui  demanda  plulieurs  fois  par* 
doude  n'avoir  pas  fuivi  fes  ordres.  Coligny  lui  répondit  :  «  Ce 
»  n'eft  pas  à  moi ,  mais  à  Dieu  à  qui  vous  devez  vous  adreffer , 
*>  pour  lui  demander  les  grâces  dont  vous  avez  befoin  dans  l'é- 
«  tat  où  vous  êtes.  Il  vécut  encore  environ  une  heure.  .Sa  mort 
fut  pour  nous  une  perte  conlidérable  :  la  cornette  qu'il  corn- 
mandoit  fe  voyant  privée  d'un  fi  brave  chef,  montra  depuis 

moins 


DE  J.  A.   DETHOU.Liv.  XIX.        ifi 

moins  d'ardeur  pour  les  fondions  de  la  guerre.   C'étoit  un  ca- 
pitaine d'un  grand  jugement,  d'un  grand  courage,  &  d'une  Henri  II. 
extrême  activité  dans  l'exécution  des  ordres  dont  il  étoit  char-     l  S  5  7- 
gé  •■>  il  avoit  montré  jufques-là  beaucoup  de  fidélité  ,  &  avoit 
acquis  beaucoup  d'expérience. 

Les  ennemis  ne  travaillèrent  les  jours  fuivans,  qu'à  creufer 
un  folié  auprès  des  maifons  dont  ils  avoient  été  chafïés.  Ils  s'ap- 
prochèrent tnfuite  de  plus  près  3  dans  le  deffein  de  reprendre 
le  fauxbourg.  Ce  fut  alors  que  Coligny  fit  faire  un  fécond 
état  des  vivres,  ôc  fit  publier  fous  des  peines  très-rigoureufes, 
que  chacun  fe  difposât  à  travailler.  Ceux  qui  le  refuferent 
furent  chaflés  de  la  ville.  On  fit  fortir  dans  une  nuit  par  la 
porte  du  Han  800  bouches  inutiles  de  l'un  ôc  de  l'autre  fexe , 
ce  qui  fouîagea  beaucoup  les  aiïiégés. 

Les  ennemis  cependant  attaquèrent  le  fauxbourg.  Mais 
Coligni,qui  s'y  étoit  attendu,  avoit  eu  la  précaution  défaire 
emporter  dans  la  ville  tout  ce  qui  auroit  pu  être  de  quelque 
utilité  aux  alfiégeans  5  il  avoit  fait  outre  cela  percer  les  mai- 
fons ,  afin  qu'il  pût  mettre  le  feu  au  fauxbourg  avec  plus  de 
facilité ,  au  cas  qu'on  fut  obligé  de  l'abandonner.  Son  deffein 
eut  tout  le  fuccès  qu'on  en  pouvoit  attendre.  Dès  que  les  fol- 
dats  furent  rentrez  dans  la  place ,  (  ce  qui  fe  fit  fans  aucune  per- 
te) on  mit  le  feu  au  fauxbourg,  qui  fut  prefque  tout  réduit 
en  cendre  :  le  feul  monaftere  d'Ile  fut  préfervé  de  la  flamme. 
Coligni  fit  fortifier  enfuite  la  porte ,  par  où  les  nôtres  étoient 
rentrez  dans  la  ville.  Mais  il  arriva  qu'ayant  trouvé  une  gran- 
de quantité  de  poudre  dans  les  deux  tours  qui  défendent  cette 
porte ,  on  craignit  que  les  batteries  des  ennemis  n'y  miffent  le 
feu ,  ôc  ne  fiffent  fauter  par  là  une  partie  des  murailles.  On  jugea 
donc  à  propos  de  tranfporter  cette  poudre  dans  un  autre  en- 
droit. Mais  pour  éviter  un  danger,on  tomba  dans  un  plus  grand  : 
car  tandis  que  Coligni,  fuivant  fa  coutume,  faifoit  fa  ronde 
dans  la  ville,  le  feu  prit  à  cette  poudre.  On  ne  fçait  fi  cette 
accident  fut  caufé  par  quelques  étincelles  du  fauxbourg ,  qui 
étoit  encore  tout  en  feu ,  ou  par  quelque  coup  de  canon 
que  l'on  tira.  Quoiqu'il  en  foit  une  partie  de  la  muraille  en 
fut  abattue.  Il  périt  en  cette  occafion  environ  quarante  hom- 
mes ,  dont  il  y  eut  cinq  gentilshommes  domeftiques  de  Co- 
ligni. L'Amiral  accourut ,  ôc  étant  monté  fur  les  ruines  de 
Tom.  III.  V 


ij4  HISTOIRE 

la  muraille  ,  il  s'y  tint  pendant  une  heure  ôc  demie  ,  avec  fept  de 
Henri  II.  fes  gens  feulement  de  peur  que  les  ennemis  ne  profîtafTent  de* 
1  S  S  7-  cet  accident  pour  faire  quelque  entreprife  ;mais  foit  quel'em- 
brafement  du  fauxbourg  leur  ôtât  la  vue  de  ce  qui  fe  paffoit  du 
côté  de  la  ville,  foit  que  le  tumulte  qui  y  regnoitles  empêchât 
d'entendre  le  bruit  qu'avoit  fait  la  chute  de  la  muraille ,  ils  ne 
parurent  point.  Les  affiégez  cependant  réparèrent  cette  brèche 
avec  toute  l'ardeur  ôc  la  diligence  poffible ,  ôc  la  muraille  fe 
trouva  en  peu  de  jours  plus  forte  qu'elle  n'étoit  auparavant. 
Ils  furent  fécondez  en  cela  par  Varîetde  Gibercourt  ,  Maïeur 
ou  Maire  de  la  ville ,  qui  rendit  en  cette  occafton  toutes  fortes 
de  bons  fervices. 

Montmorenci ,  à  qui  Coligni  avoit  fait  fçavoir  en  quel  état 
étoit  la  place,  n'étoit  pas  fans  inquiétude  fur  les  moyens  d'y 
faire  entrer  du  fecours.  Il  vint  à  la  Fere  avec  fon  armée  3  & 
donna  ordre  au  maréchal  de  Saint  André  d'aller  jufqu  a  Han 
avec  trois  cens  Gens-d'armes.  Il  y  envoya  aufli  le  prince  de 
Condé,  avec  une  partie  de  la  cavalerie  légère  qui  étoit  fous  le 
commandement  de  ce  Prince ,  ôc  d'Andelot  frère  de  Coligni 
avec  huit  compagnies  d'infanterie.  Ils  avoient  ordre  d'amufer 
l'ennemi ,  ôc  de  tâcher ,  en  s' approchant  de  Saint  Quentin , 
de  profiter  de  quelque  occafion ,  pour  y  faire  entrer  du  fecours. 
Sur  ces  entrefaites  Vaulpergue,  qui  par  ordre  de  Coligni  étoit 
venu  pour  leurfervir  de  guide,  ôc  les  conduire  par  un  lieu ,  que 
le  gouverneur  lui  avoit  fait  voir  du  haut  de  la  plus  haute  tour 
de  la  ville,  fe  joignit  à  d'Andelot  qui  étoit  à  la  tête  de  deux 
mille  hommes  d'infanterie.  Ils  partirent  enfemble,  ôc  pafTerent 
parle  quartier  deftiné  aux  Anglois ,  qu'on  attendoit  de  jour  en 
jour  -,  c'étoit  l'endroit  où  il  y  avoit  le  moins  de  corps-de-gar- 
de. Mais  foit  que  leur  deiTein  eût  été  découvert  par  quelques 
cavaliers  Anglois,  qui  avoient  porté  les  armes  dans  notre  ar- 
mée ,  ôc  qui  par  ce  rapport  fe  conferverent  la  vie ,  foit  que 
cet  accident  arrivât  par  la  faute  de  Vauîpergue  ,  d'Andelot 
tomba  dans  un  corps-de-garde  des  ennemis.  Ayant  été  environ- 
né de  toutes  parts  ,  la  plupart  de  fes  troupes  furent  taillées  en 
pièces  ,  ôc  il  ne  fe  fauva  lui-même  qu'avec  très-peu  de  fuite  : 
on  reconnut  depuis  que,  fi  fon  guide  ne  fe  fut  pas  trompé ,' 
il  auroit  pu  fans  danger  prendre  le  chemin  d'une  colline,  ôc 
paffer  fûrement  entre  deux  corps- de-garde. 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XIX.         157 

Cet  accident  remplit  la  ville  d'épouvante  ;  les  habitans,  pri- 
vez de  l'efpoir  d'être  fécourus,  commencèrent  à  perdre  cou-  Henri  II 
rage ,  ôc  ne  travaillèrent  plus  qu'avec  lenteur  ôc  négligence,  j  c  -  _ 
Le  comte  de  Pembroch  ôc  les  milords  Grey  ôc  Clinthon  ,  qui 
arrivèrent  en  ce  tems-là,  à  la  tête  des  troupes  Angloifes,  aug- 
mentèrent l'effroi  des  afïiégez.  Les  Anglois  avoient  tenté  fur 
leur  route  de  furprendre  Ardres  5  où  commandoit  Sanfac  ; 
mais  leur  entreprife  ne  leur  avoit  pas  réùfïi.  Ils  occupèrent  à 
leur  arrivée  tout  le  terrein  ,  par  où  les  nôtres  efperoient  faire 
venir  du  fecours  de  la  ville  d'Han. 

Coligny  i  pour  raffermir  les  habitans ,  alloit  fouvent  à  l'hô- 
tel de  ville  ,  ôc  leur  faifoit  efpérer  que  le  Connétable  leur 
envoyeroit  bien-tôt  du  fecours  :  mais  pour  les  encourager  en- 
core davantage,  il  donna  ordre  à  Colincourt  ôc  à  d'Avernal , 
gentilshommes  de  la  meilleure  nobleffe  de  la  frontière  ,  de 
faire  armer  les  payifans  des  bourgades  voifines ,  qui  s'étoient 
retirez  dans  la  ville.  De  ces  hommes  robuftes  ôc  accoutumez 
à  porter  les  armes  on  forma  deux  compagnies  ,  ôc  Coligny 
leur  ayant  payé  le  prêt,  donna  ordre  de  les  faire  marcher  par 
la  ville  avec  des  enfeignes. 

Cependant  Coligny  avoit  remarqué  du  haut  d'une  tour  ; 
que  de  la  façon  dont  étoient  difpofées  les  fentinelles  des  en- 
nemis, on  pourroit  facilement  faire  entrer  du  fecours  dans  la 
place.  Il  en  donna  aufli-tôt  avis  au  Connétable  ;  mais  les 
ennemis  ayant  changé  leurs  corps  de  garde  (  ce  qui  leur  étoit 
affez  ordinaire  )  ce  projet  n'eut  point  lieu.  Les  afliégeans  de 
leur  côté  avancèrent  leur  tranchée ,  ôc  firent  quantité  de  mi* 
nés,  dont  les  nôtres  fe  défendirent  d'abord  par  des  contremi- 
nes.  Ils  étoient  aidez  dans  cet  ouvrage  par  des  Anglois,  qui 
montrèrent  en  cela  beaucoup  d'habileté.  Dans  la  fuite  il  fut 
impoffible  à  Coligny  de  troubler  les  ennemis  dans  leurs  tra- 
vaux ;  car  n'ayant  que  quelques  petites  pièces  de  canon  ,  ôc 
encore  très-mal  montées  ,  il  ne  put  faire  de  forties ,  ni  fe  battre 
à  forces  égales.  Les  ennemis  au  contraire  avoient  élevé  (i 
avantageusement  une  platte-forme  ,  dans  le  fauxbourg  d'Ile  , 
ôc  avoient  fi  bien  dreffé  leurs  batteries ,  qu'ils  incommodoient 
fort  les  affiégez  dans  leurs  travaux  :  ils  rirent  même  un  tel  car- 
nage de  nos  pionniers,  que  Coligny ,  malgré  les  vivres  ôc  l'ar- 
gent qu'il  leur  diftribuoit ,  eut  dans  la  fuite  beaucoup  de  pei- 
ne à  en  trouver.  V  ij 


±j6  HISTOIRE 

«—       Enfin  on  découvrit  un  chemin ,  qui  parut  très-propre  à  Coli- 
Henri  II.  §nY  Pour  ^a*re  entrer  du  fecours  aans  la  place.  Il  faîloit  tra- 
j  ^  -  _      verfer  pour  cela  un  marais ,  où  il  n'y  avoit  que  quelques  fentiers 
fort  étroits,  ôc  encore  falloir- il  les  deffécher.   Au  fortir  de  ces 
fentiers ,  on  trouvoit  un  ruiffeau  qui  couloit  au  milieu  du  ma- 
rais ,  ôc  qu'on  ne  pouvoit  paffer  qu'avec  des  batteaux.  Le  con- 
nétable de  Montmorency  fit  avertir  Coligny  d'en  faire  prépa- 
rer? ôc  pour  s'affùrer  lui-même  de  ce  paffage ,  il  partit  de  ra 
*  d'Août.      Fere  le  8  de  ce  mois*  ,  à  la  tête  de  2000  chevaux  ôc  de  4000 
hommes  d'infanterie,  commandez  par  le  capitaine  EnardMef- 
tre  de  camp.  Dès  qu'il  fut  arrivé  à  un  village,  appelle  le  grand 
EfTigny,  il  y  laiifa  fes  troupes  rangées  en  bataille,  ôc  s'étant 
fait  fuivre  du  prince  de  Condé,  du  duc  de  Nevers,  d'Honorat 
de  Savoye  comte  de  Villars  ,  de  Louis  de  Bueil  comte  de 
Sancerre ,  de  Montmorency  fon  fils,  Ôc  d'Andelot ,  il  s'avança  le 
plus  près  qu'il  put  du  marais  5  il  envoya  enfuite  Fumet  ôc  deux 
autres  capitaines ,  pour  reconnoître  ces  fentiers  ,  les  corps  de 
garde  des  ennemis ,  la  diftance  des  uns  ôc  des  autres ,  ôc  leurs 
fituations.    Ces  capitaines  3  après  s'être  acquittez  deleurcom- 
mifîion  avec  toute  la  diligence  pofTible ,  firent  un  rapport  très- 
uniforme  de  ce  qu'ils avoient  remarqué,  chacun  en  particulier. 
Le  Connétable  plus  confirmé  que  jamais  dans  le  deffein  de 
faire  entrer  du  fecours  dans  la  place ,  revint  fur  le  foir  à  la  Fere, 
ôc  le  lendemain,  au  foleii  couchant ,  il  fit  paffer  fon  infanterie 
fur  un  pont,  qu'il  avoit  fait  préparer  pour  cet  ufage  5  elle  con- 
fiftoit  en  ij  compagnies  Françoifes  ôc  2.2.  Allemandes.    Il  fit 
aufli  paffer  quatre  grofles  pièces  d'artillerie  3  quatre  couîevrines, 
ôc  quatre  autres  petites  pièces  de  canon.  Le  jour  fuivant,  fête 
S.  Laurent,  il  partit  de  grand  matin  avec  fa  cavalerie ,  ôc  alla 
joindre  le  refte  de  fes  troupes.    Il  mit  fon  armée  en  bataille, 
ôc  arriva  fur  les  neuf  heures  au  fauxbourg  d'Ile  ,  où  étoient  lo- 
gées 14  compagnies  Efpagnolles ,  les  mêmes  qui  au  commen- 
cement de  ce  liège  s'étoient  emparées  de  ce  fauxbourg.    Le 
duc  de  Savoye  étoit  campé  du  même  côté  >  ôc  fon  logement 
s'étendoit  au  de-là  du  marais  ôc  de  la  rivière.    Deux  compa- 
gnies d'Efpagnols ,  qui  étoient  poftées  vers  un  moulin ,  fe  mi- 
rent d'abord  en  défenfe  h  mais  les  nôtres  les  chafîerent  bien- 
tôt du  terrein  qu'elles  occupoient,  ôc  firent  un  fi  grand  feu  de 
leur  canon  ,  qu'ils  mirent  le  camp  du  duc  de  Savoye  tout  en 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XIX.        157 

défordre  :  fa  tente  fut  renverfée  5  ce  prince  même  eut  à  peine 

le  tems  de  prendre  fa  cuirafTe  ,  ôc  de  fe  fauver  dans  le  quar-  Henri  IL 

tier  du  comte  d'Egmond.  1557. 

A  trois  mille  du  fauxbourg ,  le]  Connétable  de  Montmo- 
rency avoit  remarqué  qu'il  y  avoit  des  vallons  ôc  des  che- 
mins forts  étroits  ,  lieu  qui  auroit  pu  être  avantageux  aux  en- 
nemis, pour  y  dreffer  une  embufcade,  ôc  attaquer  nos  trou- 
pes à  leur  retour.  Il  réfolut  donc  de  s'en  emparer  le  premier, 
ôc  envoya  à  cet  effet  la  compagnie  d'Arquebufiers  à  cheval  du 
Rheingrave  pour  fe  faifirde  ce  paffage.  Il  ne  fut  pas  d'avis  d'y 
envoyer  de  l'infanterie ,  dans  la  crainte  que  fi  les  ennemis  la 
mettoient  en  déroute ,  elle  ne  pût  rejoindre  l'armée  ,  ôc  qu'elle 
ne  fe  trouvât  dans  un  grand  péril  à  caufe  de  la  longueur  du 
chemin.  Le  Connétable  d'un  autre  côté  faifoitfes  efforts,  pour 
faire  traverfer  le  marais  aux  troupes  qu'il  vouloit  jetter  dans 
Saint  Quentin»  mais  comme  il  n'avoit  qu'un  petit  nombre  de 
batteaux,  il  étoit  difficile  d'en  faire  paffer  un  grand  nombre 
à  la  fois,  quoique  les  foldats  y  entraffent  enfouie.  Cet  incon- 
vénient fut  fuivi  d'un  plus  grand.  Il  arriva  que  les  foldats  ne 
purent  abordera  l'autre  rive.  Les  batteaux  étant  trop  chargez, 
s'enfoncèrent  dans  la  bourbe,  ôc  les  foldats  ne  purent  fauter 
à  terre  qu'avec  un  grand  danger  :  les  uns  tombèrent  dans 
des  trous  profonds  où  ils  furent  abîmez  ,  les  autres  s'étant  éga- 
rez dans  les  fentiers  qu'ils  ne connoiffent pas,  fe  difperferent 
de  côté  d'autre  ,  ôc  fervirtnt  de  jouet  à  l'ennemi.  Il  en 
arriva  très-peu  dans  la  ville  :  heureufement  d'Andelot  frère  de 
Coligni  fut  de  ce  nombre. 

Les  ennemis  cependant  tâchoient  de  profiter  de  ce  défor- 
dre.  Dès  que  le  duc  de  Savoye  eut  réuni  fes  forces  avec  celles 
du  comte  d'Egmond  ,ils  confulterent  enfemble  fur  les  moyens 
de  furprendre  nos  troupes  à  leur  retour  \  ils  réfolurent  pour 
Cela  de  s'emparer  de  cqs  paffages ,  dont  le  Connétable  avoit 
envoyé  fe  faifir  par  la  compagnie  du  Rheingrave.  Le  Con- 
nétable avoit  commandé  au  duc  de  Nevers  de  fuivre  cette 
compagnie  avec  la  fienne  ,  ôc  avoit  donné  le  même  ordre  aux 
compagnies  du  baron  de  Curton,  d'Aubigny,  ôc  de  Vaffé. 
Cependant  les  ennemis ,  qui  y  avoient  envoyé  une  partie  de 
leur  cavalerie ,  ôc  donné  ordre  à  leur  infanterie  de  la  fuivre  de 
près»  s'étoient  déjà failis  de  ces  défilez,  îorfqu'ils  rencontrèrent 

V  iij 


i$$  HISTOIRE 

w  '  "^  le  duc  de  Nevers  qui  y  arrivoit.  Le  premier  de/Tein  du 
Henri  II.  duc  dans  un  péril  il  prenant,  fut  de  combattre  les  ennemis, 
1  S  S  7-  avant  la  jonction  de  toutes  leurs  forces.  Ce  deffein  parohToit 
fort  téméraire  ;  l'événement  fit  voir  néanmoins  qu'il  étoit 
avantageux  ôc  falutaire  :  car  par  le  danger  que  quelques  trou- 
pes auroient  couru  ,  on  auroit  évité  la  déroute  de  toute  l'ar- 
mée ;  mais  les  ordres  qu'il  avoit  reçus  du  Connétable  l'empê- 
chèrent de  prendre  ce  parti  :  d'ailleurs  les  officiers  qui  étoient 
avec  lui  lui  confeillerent ,  de  ne  rien  faire  qui  pût  engager  une 
bataille.  Il  fit  donc  garder  les  rangs ,  ôc  alla  joindre  le  prince 
de  Condé,  qui  s'étoit  porté  avec  de  la  cavalerie  légère  vers  ce 
moulin,  dont  nous  avons  déjà  parlé  :  delà  tournant  fur  la  gau- 
che ,  ils  allèrent  enfembie  trouver  le  Connétable  qui  faifoit  déjà 
retraite. 

Les  ennemis  ayant  afièmblé  toutes  leurs  troupes ,  pourfuivi- 
rentlcs  François ,  avec  huit  efcadronsde  cavalerie.  Mais  s'étant 
aperçus  du  petit  nombre  des  nôtres,  ils  laifferentSchaumbourg 
avec  fon  efcadron  pour  garder  les  paffages  ,  ôc  nous  approche- 
Bataille  de  rent  de  plus  près.   Le  comte  d'Egmond  commença  la  char- 
Saint  Quen-  „Q  avec  deux  mille  chevaux  ,  ôc  attaqua  notre  armée  en  flanc. 

tmouieCon-   ^    .  ^    •    ,       1  ^  %>  1      v 

nètabie  eft      Lnc  ôc  Ërneft  de  .Bruniwick  donnèrent  1  attaque  de  1  autre 
battu.  c£t^  avec  chacun  mille  arquebufiers  à  cheval  ;  ils  étoient  fui- 

vis  de  Philippe  de  Montmorency  comte  d'Home ,  qui  com- 
mandoit  mille  Gens-d'armes.  Pierre  Erneft  de  Mansfeld  accom- 
pagné des  comtes  de  Vuillen  ,  d'Hocftrate  ôc  Lallain,  atta- 
quèrent en  même  tems  l'armée  de  front  avec  tant  de  furie  , 
qu'ils  remplirent  nos  rangs  de  défordre  ôc  de  confufion.  Le 
trouble  s'étant  augmenté  ,  les  uns  fe  renverferent  fur  les  au- 
tres, ôc  il  ne  fut  plus  poffible  aux  nôtres  de  foutenir  l'effort 
des  ennemis.  La  déroute  commença  par  les  goujats,  les  mar- 
chands, ôc  autres  gens  de  cette  efpecequi  fuivent  les  armées; 
ceux-ci  entraînèrent  les  foldats  dans  leur  fuite.  Il  arriva,  pour 
comble  de  malheur ,  que  le  duc  de  Nevers ,  qui  s'avançoit  à 
gauche  dans  une  vallée  profonde,  pour  faire  face  aux  ennemis, 
fe  trouva  tout  à  la  fois  accablé  par  leur  nombre  ôc  par  la 
multitude  des  nôtres  ,  qui  descendirent  d'une  éminence  pour 
fe  joindre  à  lui.  Ce  nouvel  accident  culbuta  ôc  rompit  les 
rangs.  Le  Duc,  après  différentes  attaques,  ôc  un  grand  car- 
nage de  fes  troupes  ,  fut  contraint  de  fe  retirer  avec  le  petit 
nombre  de  foldats  qui  purent  échaper. 


DÉJ.  A.   DE   THOU,  Liv.  XIX.         i$9 
Quoique  la  cavalerie  eût  été  mife  en  déroute  >  l'infanterie 


réfiftoit  encore ,  ôc  fe  tenoit  en  bon  ordre  s  mais  quelques  Henri  IL 
pièces  de  canon  que  les  ennemis  tirèrent  fur  eux  de  fort  loin  ,  1557. 
la  rompirent  ôc  la  mirent  en  défordre ,  entre  Efiîgni  ôc  Rize- 
rolles ,  dans  un  endroit  appelle  Blanc-Foffé.  Enfin  ,  après  un 
grand  carnage,  ôc  un  combat  de  quatre  heures,  elle  fut  en- 
tièrement défaite.  Nous  perdîmes  en  cette  journée  deux 
mille  cinq  cens  hommes  :  les  ennemis  n'en  perdirent  pas  plus 
de  cinquante.  Ceux  de  notre  infanterie ,  qui  ne  périrent  pas 
en  cette  occafion ,  ne  purent  éviter  d'être  faits  prifonniers. 
Les  ennemis  nous  enlevèrent  tout  notre  canon ,  à  l'exception 
de  deux ,  qui  par  les  foins  de  Bourdillon ,  furent  conduits  à 
la  Fere.  Il  périt  dans  cette  action  des  Officiers  Généraux  du 
premier  rang.  Jean  de  Bourbon,  frère  du  prince  de  Condé , 
après  avoir  fouvent  rétabli  le  combat ,  ôc  donné  des  preuves 
de  valeur  dignes  de  fon  fang,  fût  percé  d'un  coup  d'arqué- 
bufe,  ôc  emporté  dans  le  camp  des  ennemis,  où  il  mourut  un 
moment  après  ;  François  de  la  Tour ,  vicomte  deTurenne,  eut 
le  même  fort ,  auffi  bien  que  Nicolas  Tiercelin  ,  fils  de  Char- 
le  de  la  Roche  du  Maine  5  Claude  de  Roche-choùarn  Chan- 
denier ,  cornette  du  duc  de  Monpenfier  ;  Guron ,  cornette  de 
la  Roche-fur-Yon  5  Goulaines,  cornette  delaR  oche-du-Maine; 
Saint-  Gelais ,  cornette  de  Pierre  Strozzi  5  ôc  Rochefort  de 
Pluviot,  cornette  de  Bourdillon. 

Le  Connétable  fut  fait  prifonnier,  après  avoir  reçu  une  bief-  leConnêta- 
fure  dans  les  aînés.  Ce  Général  fut  accufé  de  trop  de  préfomp-  panier" 
tion,  en  ce  qu'il  avoit  efperé  faire  fûrement  fa  retraite ,  avec  tou- 
te fon  armée ,  à  la  vue  des  ennemis.  Monpenfier ,  après  s'être  dé- 
fendu courageufement ,  ôc  avoir  même  repris  de  fa  main  une 
enfeigne  >  tomba  vif  entre  les  mains  des  ennemis  ;  on  prit  auffi 
le  maréchal  de  Saint- André,  Eleonor  d'Orléans  duc  deLon- 
gueville ,  Louis  de  Gonzague  frère  du  duc  de  Mantouë , 
Vaffé ,  Curton ,  la  Roche  du  Maine  ,  le  Rheingrave  colo- 
nel des  Allemans  ,  tous  Chevaliers  de  l'Ordre  du  Roi.  Les 
ennemis  firent  encore  pxifonniers  ,  François  comte  de  la  Ro- 
chefoucault,  d'Aubigni,  Gabriel  de  Montberon  fils  du  duc 
de  Montmorenci ,  Jean  Gontaud  de  Biron  ,  qui  mourut  de 
déplaifir  du  mauvais  traitement  qu'il  reçût  dans  fa  prifon ,  Ro- 
chefort  ,  la  Chapelle  -  Biron  ,  Saint  Heran  ,  cornette  de 


160  HISTOIRE 

-  Montmorenci,  Lavernade  cornette  du  duc  d'Engulen  ,  Neu- 
Henri  IL  fui  cornette  de  Bourdillon  ,  Marcai  cornette  delà  Roche-du- 
*  S  S  7'  Maine  ,  Buffai  ôc  Monftreuil  Jieutenans  de  la  Roche-fur- 
Yon ,  Robert  du  Bellai  baron  de  Thouarcai ,  Mouy ,  Mo- 
linont,  Fumet,  Rezé,  Montfalel ,  ôc  quantité  d'autres.  Villars, 
beau-frere  de  Montmorenci ,  fut  dangereufement  bleffé.  Le 
duc  de  Nevers ,  après  la  bataille  s  rit  fa  retraite  à  la  Fere  avec 
le  prince  de  Condé  ,  le  comte  de  Sancerre  ,  Bourdillon  ôc 
d'autre  nobleffe.  François  de  Montmorency  s'y  rendit  auili 
avec  fes  troupes ,  mais  par  un  chemin  différent. 

Cette  défaite  fut  très-fatale  à  la  France  :  elle  lui  fit  perdre 
en  une  journée  le  fruit  de  tant  de  victoires  qu'elle  avoir  rem- 
portées depuis  plusieurs  années  ,  ôc  éclipfa  prefque  toute  la 
gloire  du  règne  de  Henri.  Mais  ce  qu'il  y  eut  de  plusfuneïte  , 
fut  que  cePrince.fi  heureux  jufqu'alors ,  fevit  contraint  de  faire 
une  paix  defavantageufe ,  qui  donna  lieu  aux  guerres  civiles 
qui  depuis  defolerent  ce  Royaume.  En  effet ,  ii  l'on  excepte 
la  perte  de  l'Etat  de  Sienne  >  ôc  la  journée  de  Marciano  ,  où 
l'on  fit  prefque  la  même  faute,  ce  Monarque  avoit  toujours 
réûflîdans  ks  entreprifes.  Mais  cette  guerre  allumée  par  l'am- 
bition de  quelques-uns  >  ôc  entreprife  contre  la  parole  qui  avoit 
été  donnée  ,  fut  recueil  de  fa  fortune  Ôc  de  fa  gloire  3  ôc  lui 
fit  perdre  ôc  fes  conquêtes  3  ôc  celles  de  fon  père. 

Le  connétable  de  Montmorenci ,  dès  le  commencement 
de  cette  guerre ,  en  avoit  prévu  les  fuites  fâcheufes.  Ce  grand 
homme,  qui  par  fa  prudence  ,  fon  amour  pour  fa  patrie,  ôc 
le  crédit  qu'il  avoit  auprès  du  Roi ,  étoit  devenu  l'homme  le 
plus  puiffant  du  Royaume ,  fe  vit  privé ,  après  cette  défaite  , 
de  la  faveur  de  la  Fortune  ,  ôc  en  même-tems  de  celle  des 
hommes.  Mais  on  peut  dire  que  11  fa  difgrace  fut  la  ruine  de  fon 
illuftre  maifon ,  elle  le  fut  auffi  de  toute  la  France.  En  effet  fes 
rivaux ,  qui  tirèrent  avantage  du  malheur  public  ,  ôc  qui  dans 
ces  conjonctures  prirent  le  maniment  des  affaires,  fçurent 
gagner  la  faveur  du  peuple ,  dont  le  Connétable  par  fa  mau- 
vaife  fortune  fe  voyoit  dépouillé ,  ôc  trouvèrent  les  moyens 
de  fe  la  conferver ,  autant  par  leur  activité  3  que  par  leurs  ar- 
tifices. 

Le  bruit  fe  répandit  d'abord  ,  ôc  il  parvint  même  jufqu'au 
duc  de  Nevers ,  que  le  Connétable  s'étoit  échappé  du  péril  , 


*S  S7- 


DE  J.  A.  DE  THOU.L'iv.  XIX.  i6x 
Ôc  qu'avec  le  fecours  de  quelques  troupes  qu'il  avoit  ralliées 
il  avoit  rétabli  le  combat ,  ôc  fe  battoit  encore.  Mais  ce  bruit  jjenr  jt 
fut  bien-tôt  diffipé.  Le  duc  de  Nevers,  à  fon  arrivée  à  la  Fere  > 
dépêcha  d'Efcars  au  Roi ,  qui  pour  lors  étoit  à  Compiegne  » 
pour  lui  faire  fçavoir  le  mauvais  fuccès  de  la  bataille.  Il  for- 
tifia enfuite  la  frontière ,  en  diftribuant  fes  troupes  dans  les 
garnifons  voifines.  Le  comte  de  Sancerre  ,  de  fon  propre  mou- 
vement i  alla  s'enfermer  dans  Guife ,  avec  fa  cornette  de  ca- 
valerie ,  celle  de  la  Roche-fur-Yon  ,  ôc  les  deux  compagnies 
d'infanterie  d'Eftrée  ôc  de  Pifieux.  Bourdillon  relia  à  la  Feue , 
avec  cinq  compagnies  d'infanterie ,  la  cornette  de  cavalerie 
du  duc  de  Lorraine  ôc  celle  de  Villars ,  ôc  les  compagnies  d'E- 
nard  Mettre  de  Camp.  Le  Baron  de  Salignac  ,  avec  fa  com- 
pagnie d'infanterie  ôc  celle  du  Baron  de  Clerac  ,  fe  rendit  au 
Catelet ,  dont  il  étoit  gouverneur  ;  d'Humieres  fut  mis  dans 
Perrone  avec  fa  cornette  de  cavalerie  ,  6c  celles  du  Maréchal 
Strozzi ,  ôc  de  Martin  du  Bellay  Seigneur  de  Langey  ,  ôc 
avec  fix  compagnies  d'infanterie.  On  lui  envoya  depuis  les  qua- 
tre compagnies  de  Grammont.  Le  comte  de  Chaumes  fut  mis 
dans  Corbie,  avec  fa  cornette,  ôc  celles  deVillebonôc  de 
Vaffé,  ôc  avec  les  compagnies  d'infanterie  de  Bellefourriere  ôc 
de  Blamecourt.  Peu  de  tems  après  Crevecœur  l'alla  joindre. 
Sépois  fut  envoyé  à  Han  s  avec  trois  compagnies  d'infanterie 
ôc  avec  la  cornette  du  maréchal  de  Saint  André.  Jacque  de 
Clermont  de  Bufïï  d'Amboife  alla  à  Saint  Dizier  avec  la  cor- 
nette de  le  Roche-du-Maine ,  ôc  deux  compagnies  d'infante- 
rie. On  mit  à  Coucy  Bouchavannes  avec  trois  compagnies 
d'infanterie.  Enfin Montigny  fut  envoyé  à  Chaulny,avec  la 
cornette  du  duc  de  Montpenfier  ôc  deux  compagnies  d'in- 
fanterie. 

Comme  il  ne  paroifïbit  parmi  nous  que  de  la  crainte  ôc  de 
la  triftefle ,  on  ne  voyoit  aufli  parmi  les  ennemis  que  de  la 
confiance  ôc  de  la  joye.  Ils  croyoient  que  toute  la  fleur  de 
notre  NoblefTe  avoit  péri  dans  cette  bataille  ,  ôc  ils  ne  pou- 
vaient s'imaginer,  qu'il  en  pût  refter  encore,  après  un  fi  grand 
carnage.  En  effet,  lorfque  le  duc  de  Nevers  eut  envoyé  un 
Trompette  au  duc  de  Savoye  ,  pour  reconnoître  les  morts  ôc 
les  prifonniers ,  à  peine  les  ennemis  voulurent-ils  ajouter  foi 
£tux  paroles  de  ce  Trompette  5  ils  foupconnerent  même  fa  lettre 
Tome  IIL  X 


i62  HISTOIRE 

de  faufTeté.  Ils  croyoient  que  le  duc  de  Nevers  avoit  été 
Henri  II.  tu^ ,  ôc  dans  cette  idée  Mansfeld  le  fît  chercher  parmi  les  morts. 
j  ç  ç  _  Mais  ne  l'y  ayant  pu  trouver  ,  on  fit  publier  que  les  prifon- 
niers  feroient  conduits  devant  le  duc  de  Savoye.  Ce  fut  alors 
que  Mansfeld  ,  pour  fe  dédommager,  comme  il  le  difoit  > 
des  pertes  que  fa  prifon  lui  avoit  caufées  >  fit  un  trafic  infâ- 
me. Il  acheta  à  vil  prix  lés  prifonniers  du  foldat  qui  ne  les 
connoiflbit  pas  3  ôc  en  tira  depuis  de  grofTes  rançons.  Tout  le 
monde  trouva  ce  procédé  dur  ,  cruel  >  ôc  contraire  au  droit 
des  gens.  Il  eft  toujours  fur  que  la  manière  indigne  dont  il 
traita  fes  prifonniers,  en  obligea  plufieurs  à  donner  pour  leur 
rançon  plus  que  leur  fortune  ôc  leur  condition  ne  leur  per- 
mettoient.  Biron  même  mourut  prifonnier  ,  foit  qu'il  n'eût 
pas  le  moyen  de  payer  une  fi  groffe  fomme ,  foit  qu'il  ne  la 
voulût  pas  donner. 

Cette  bataille  enfla  tellement  le  cœur  de  nos  ennemis  ; 
qu'ils  furent  d'avis  de  pourfuivre  leur  victoire ,  &  de  porter 
au  plutôt  la  guerre  dans  le  fein  de  la  France  :  ils  efpéroient 
même  ne  trouver  aucun  obftacle  à  fe  rendre  bien-tôt  maîtres 
de  Paris.  Ferdinand  de  Gonzague  étoit  de  ce  fentiment,  ôc 
fit  fes  efforts  pour  le  perfuader  à  Philippe.  Mais  ce  Prince  , 
plus  prudent  que  courageux  3  craignit  qu'en  laiffant  S.  Quen- 
tin derrière  lui,  le  Roi  n'affemblât  de  nouvelles  forces  >  Ôc  qu'a- 
vec le  fecours  de  la  Noblefle  ,  qui  eft  très  nombreufe  dans  ce 
Royaume  ,  il  ne  lui  arrachât  des  mains  le  fruit  de  fa  victoire  : 
il  ne  voulut  donc  pas  aller  plus  loin ,  qu'il  ne  fe  fût  rendu  maî- 
tre de  cette  place. 

Dès  que  le  Roi  eut  apris  la  défaite  de  fes  troupes ,  il  ren- 
voya d'Efcars  au  duc  de  Nevers ,  ôc  lui  donna  une  lettre  pour 
rendre  à  ce  Général.  Henri  y  donnoit  des  marques  d'une 
profonde  douleur ,  ôc  d'une  confiance  entière  dans  le  fecours 
de  la  Providence.  Il  loùoitles  foins  ôc  la  prudence  de  ce  Duc , 
d'avoir  pourvu  fi  à  propos  à  la  fureté  de  la  frontière.  Il  lui 
faifoit  fçavoir  qu'il  lui  envoyoit  Montgommery-de-L orges  , 
avec  ordre  de  faire  aflembler  à  Noyon  l'élite  des  gentilshom- 
mes de  fa  maifon  ôc  de  fes  gardes  ,  ajoutant  qu'il  jugeoit  à 
propos  de  confier  à  de  Pot  la  défenfe  de  Han  }  Ôc  à  Noail- 
les  celle  de  Coucy  ;  il  lui  ordonnoit  de  fe  rendre  lui-même 
à  Laon  3  avec  le  prince  de  Condé ,  Montmorenci,  ôc  Villars  3 


HMfrattoaymmMe» 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv,  XIX.         163 

pour  y  rallier  les  débris  de  l'armée ,  ôc  pour  y  recevoir  les  trou- 
pes qu'il  y  envoyeroit  de  toutes  les  provinces  du  Royaume.  Henri  IL 
Le  Roi  cependant  quitta  Compiegne ,  ôc  fe  rendit  à  Paris.  1  5  5  7. 
Il  trouva  cette  grande  ville  dans  une  confternation  étrange  ; 
fes  timides  habitans  fe  retiroient  çà  ôc  là  dans  les  villes  voi- 
fines,  ôc  s'imaginoient  déjà  voir  l'ennemi  à  leurs  portes.  Le 
Monarque  ,  par  fa  préfence  ôc  par  fes  difcours  ,  raffura  les 
Pariiiens.  Il  les  exhorta  à  ne  pas  perdre  courage ,  ôc  leur  pro- 
mit de  ne  les  pas  abandonner  ,  pourvu  qu'ils  ne  s'abandon- 
naffent  pas  eux-mêmes.  Il  leur  dit  ,  qu'il  les  avoit  traitez  juf- 
qu'à  prefent  avec  une  affection  paternelle  ,  qu'il  avoit  mieux 
aimé  engager  fon  domaine  ,  ôc  emprunter  de  groffes  fournies, 
pour  foûtenir  les  dépenfes  de  l'Etat ,  que  de  fouler  fes  peu- 
ples par  de  nouvelles  impofitions.  Il  leur  reprefenta  enfin  , 
que  la  néceffité  exigeoit  maintenant  qu'ils  eulTent  égard  à  fa 
fituation  préfente ,  ôc  qu'ils  ne  négligeaient  pas  un  danger  , 
qui  ménaçoit  généralement  toute  la  France. 

Les  Parifiens  s'étant  un  peu  remis  de  leur  frayeur ,  offrirent 
de  leur  propre  mouvement  trois  cens  mille  francs  pour  les 
frais  de  cette  guerre ,  ôc  promirent  au  Roi  toute  forte  de  fidé- 
lité. On  leva  enfuite  6000  Suiffes }  fous  la  conduite  du  colo- 
nel Luc  Riet  de  Bafle,  ôc  8000  dans  les  cantons  de  Glaris 
ôc  d'Uri.  Reckrod  fut  aufïi  envoyé  en  Allemagne  3  pour  y  le- 
ver de  nouvelles  troupes.  Mais  ce  payis  étoit  prefque  épuifc 
d'hommes ,  par  le  grand  nombre  de  foldats  que  les  ennemis  en 
avoient  tirés.  Le  Baron  de  Polviller  de  Weiffembourg  venoit 
tout  nouvellement  de  lever  3  au  nom  de  Philippe ,  vingt  compa- 
gnies d'infanterie  ôc  quelques-unes  de  cavalerie.  Le  Roi  fit 
aum*  lever  des  troupes  dans  tout  fon  Royaume  ,  ôc  donna  or- 
dre à  tous  les  Gentilshommes  3  ôc  à  tous  ceux  qui  avoient  cou- 
tume de  porter  des  armes  }  de  s'affembler  à  Laon  3  où  feroit 
le  duc  de  Nevers  }  afin  de  combattre  pour  la  gloire  ôc  le  fa- 
lut  de  l'Etat.  Il  menaça  de  punir  de  mort  tous  ceux  en  géné- 
ral qui  refuferoient  le  fervice  ,  ôc  de  dégrader  les  nobles  en 
cas  de  defobéïffance. 

Le  duc  de  Nevers  ,  à  fon  arrivée  à  Laon  }  fit  la  revue  des 
débris  de  l'armée.  De  la  cavalerie  Françoife  ,  qui  avant  la 
bataille  confiftoit  en  neuf  cens  Gensd'armes  ôc  mille  chevaux- 
légers,  ôc  arquebufiers  à  cheval ,  il  n'en  trouva  que  treize  cens. 

X  ij 


*-"* 


tfa  HISTOIRE 

De  quinze  compagnies  d'infanterie  Françoife  ;  il  n'enreftoit 
Henri  II.  que  quatre,  dont  les  foldats  même  étoient  incapables  de  ren- 
i  S  S  7'  dre  aucuns  fervices  ,  foit  par  les  bleffures  qu'ils  avoient  reçues, 
foit  parce  que  l'ennemi  les  avoit  defarmés.  Il  ne  reftoit  non 
plus  que  trois  cens  hommes  de  la  cavalerie  Allemande ,  qui , 
durant  la  prifon  du  R he ingrave ,  étoit  aux  ordres  du  comte 
de  Barbize.  L'infanterie  Allemande  commandée  par  Sternes  , 
ôc  qui  étoit  de  12000  hommes,  étoit  réduite  à  quatre  mille. 
Le  duc  de  Nevers  eut  encore  beaucoup  de  peine  à  leur  faire 
prendre  les  armes  -,  parce  que  la  plupart  avoient  été  faits  pri- 
fonniers  ,  &  n'avoient  été  relâchés  qu'après  avoir  juré,  qu'ils 
neporteroientde  fixmois  les  armes  pour  le  fervice  du  Roi.  On 
peut  juger  par  là  combien  cette  bataille  nous  fut  préjudiciable. 
Le  duc  de  Nevers,  après  cette  revue  ,  diftribua  fes trou- 
pes dans  les  garnifons  voifines.  'Il  s'attira  généralement  l'a- 
mitié de  tout  le  monde  ,  par  la  générofité  dont  il  ufa  à  l'é- 
gard des  Officiers ,  ôc  par  l'humanité  avec  laquelle  il  traita  les 
foldats  malades  ôc  bleffés.  Par  ce  moyen ,  il  les  encouragea 
à  fupporter  avec  patience  les  travaux  ôc  les  fatigues  de  la 
guerre.  Il  fit  venir  enfuite  quatre  compagnies  de  Metz ,  ôc 
donna  ordre  à  de  Jours  ,  de  lui  amener  fon  régiment  de 
Champagne.  Le  prince  de  Condé  de  fon  côté  faifoit  tout 
ce  qui  dépendoit  de  lui,  ôc  fatiguoit  les  ennemis  par  des  cour- 
Ïqs  continuelles  ;  il  elt  vrai  qu'ils  ne  laifferent  pas  que  de  lui 
rendre  quelquefois  la  pareille ,  furtout  lorfqu'après  la  defer- 
tion  d'une  comète  de  cavalerie-legere  Angloife  ,  qui  avoit 
abandonné  Grey  fon  capitaine,  ils  s'avancèrent  jufqu'àlatête 
de  nôtre  camp  pour  reconnoître  les  gués  ,  les  paflages  ôc  la 
fituation  des  lieux.  Le  comte  de  Sancerre,qui  étoit  à  Guife , 
faifoit  fouvent  des  courfes  fur  les  ennemis  :  Bourdillon  en 
faifoit  autant  à  la  Fere. 
Suite  du  Les  habitans  de  Saint  Quentin  ignorèrent  deux  jours  la 
Quentin. ain*  défaite  de  nos  troupes  :  cette  nouvelle  ,  lorfqu'ils  l'apprirent, 
les  jetta  dans  une  extrême  confternation.  Quoique  Coligny 
n'eût  aucune  efpérance  de  pouvoir  défendre  la  place ,  il  fit  ce- 
pendant tous  fes  efforts  pour  les  raiïurer  ,  ôc  pour  amufer 
l'ennemi,  jufqu'à  ce  que  leRoipût  envoyer  de  nouvelles  trou- 
pes, capables  d'arrêter  les  progrès  des  vainqueurs.  Sur  ces  en- 
trefaites d'Andelot  fe  jetta  dans  la  ville,  avec  cinq  cens  hommes 


DE  J.   A.  DE  THOU^  Liv.    XIX.       \6t 

d'élite ,  ôc  quelques  gentilshommes  volontaires  ,  du  nombre  ■"  ■'■  '  ■ 

defquels  étoient  le  vicomte  du  Mont-notre-Dame ,  la  Curée  ,  Henri  IL 
de  Matas,  Ôc  S.Remy.   Ce  dernier  s'entendoit  parfaitement     1557. 
au  travail  des  mines.  Il  y  arriva  aufïi  quelques  officiers  d'Artil- 
lerie ,  dont  les  afîiégés  avoient  grand  befoin.  On  fit ,  à  leur  ar-  *■ 
rivée ,  une  nouvelle  diftribution  des  quartiers  j  Saint  Remy  Ôc 
Lanfort  tinrent  confeil  au  fujet  des  mines  ôc  des  pionniers. 

Les  afîiégés  étoient  fort  incommodés  des  batteries  de  l'en- 
nemi. A  l'arrivée  de  Philippe  dans  le  camp ,  les  Efpagnols  re- 
commencèrent à  tirer  avec  tant  de  furie ,  qu'il  fut  impoïfible  aux 
afîiégés  de  fe  tenir  fur  le  rempart.  D'Andelot,pour  remédier 
à  ce  mal,  ufa  de  cette  invention  :  il  prit  des  batteaux  ou  Pon- 
tons, dont  on  fe  fert  à  la  guerre  pour  palier  les  rivières  -,  il  les 
fit  remplir  de  terre ,  ôc  mettre  enîuite  fur  le  rempart  les  uns 
fur  les  autres  j  par  ce  moyen  les  nôtres  furent  à  couvert  de 
tous  côtés  du  feu  des  ennemis.  Les  affiégeans  cependant 
avançoient  tous  les  jours  leurs  travaux ,  ôc  mettoient  en  bat- 
terie le  canon ,  que  Philippe  avoit  fait  venir  de  Cambray.  Nos 
Généraux  délibérèrent  donc  pour  la  féconde  fois,  fur  les  moyens 
de  faire  entrer  du  fecours  dans  la  place.  Le  duc  de  Nevers , 
le  prince  de  Condé,  ôc  la  plupart  des  autres  Seigneurs ,  furent 
d'avis  d'y  envoyer  trois  cens  arquebufiers  qui  étoient  à  Crepy 
en  Valois  ,  ôc  d'en  donner  la  conduite  à  Saint-Simon  ,  cor- 
nette du  duc  de  Nevers,  ôc  à  Chafteluz  lieutenant  de  Bour- 
dillon.  Leur  confeil  fut  fuivi  :  ces  capitaines  partirent ,  avec 
chacun  une  cornette  de  cavalerie ,  ôc  conduisent  ces  trou- 
pes jufqu'à  un  marais  ,  vers  un  fentier  étroit ,  qui  fut  indiqué 
par  des  pêcheurs  ,  ôc  où  le  foldat  avoit  de  l'eau  jufqu  au  nom- 
bril. Ils  y  arrivèrent ,  à  la  faveur  d'une  belle  nuit ,  ôc  après  s'y 
être  arrêtés  quelque-tems  ,  pour  donner  le  loifir  aux  arquebu- 
fiers de  traverfer  le  marais ,  ils  fe  retirèrent  avec  leur  cavale- 
rie ,  fans  être  aflurés  fi  le  fecours  étoit  entré  dans  la  place. 
Mais  comme  au  premier  bruit  qu'on  entendit  les  ennemis 
crièrent  aux  armes  ,  les  troupes  qu'on  faifoit  entrer  dans  la 
place  3  foit  qu'elles  euffent  pris  l'épouvante  ,  ou  qu'elles  fe  fuf- 
fent  égarées  dans  les  fentiers,  périrent  en  cette  occafion,  ou 
fe  difperferent  de  côté  ôc  d'autre.  Il  n'en  entra  dans  la  ville 
que  cent  -  vingt  ;  encore ,  comme  c'étoient  des  troupes  nou- 
vellement levées  t  Ôc  qu'elles  avoient  perdu  leurs  armes ,  elles 

Xiij 


i66        .  HISTOIRE 

ne  furent  pas  d'un  grand  fecours.    Ce  malheur  arriva  par  la 
Henri  II.  faute  des  cavaliers,  qui  avoient  eu  la  conduite  de  ces  troupes, 
i  S  S  7.     Car  fi  (  comme  Coligny  le  dit  dans  fes  Mémoires  )  ils  euffent 
fait  face  à  l'ennemi  déjà  épouvanté  ,  ôc  qu'ils  l'euiTent  amufé 
*  par  une  légère  réfiftance  (  ce  qui  pouvoit  fe  faire  fans  péril  ) 

ils  euffent  donné  le  tems  à  ces  arquebufiers  detraverfer  le  ma- 
rais ôc  d'entrer  dans  la  ville. 

Coligni  fe  voyant  privé  de  toute  efperancede  fecours,  em- 
ployoit  tous  fes  foins  à  faire  des  contremines.  Saint  Remy 
lui  étoit  d'un  grand  fecours  dans  ce  travail;  car  Lanfortcom- 
mençoit  déjà  à  fe  relâcher,  foit qu'il  défefpérât  du  fuccès,foit 
qu'il  fut  effrayé  du  péril  qui  le  menaçoit  personnellement. 
Coligni  s'attachoit  avec  d'autant  plus  d'ardeur  à  cet  ouvrage, 
qu'il  efperoit  par  là  rendre  les  travaux  des  ennemis  inutiles, 
ôc  les  chaffer  du  folfé  qu'ils  occupoient.  Les  affiégeans  avoient 
commencé  leurs  batteries  le  i\  d'Août ,  dix-neuf  jours  après 
avoir  mis  le  liège  devant  la  place.  Ferdinand  de  Gonzague, 
qui  par  fes  confeils  avoit  engagé  Philippe  à  cette  entreprife, 
preflbit  les  travaux  avec  toute  l'activité  poflïble,  ôc  ne  fortoit 
prefque  pas  du  foffé  ou  de  la  tranchée.  Ce  général  fit  faire  alors 
une  batterie  à  revers ,  dont  les  affiégez  furent  fort  incommodez; 
car  avant  ce  tems  là  les  ennemis  netiroient  qu'à  coups  perdus, 
à  caufe  des  parapets  que  d'Andelot  avoit  fait  faire ,  par  le 
moyen  des  pontons.  Les  ennemis  outre  le  grand  feu  de  leur  ar- 
tillerie qui  tira  pendant  llx  jours  ,  fe  mirent  à  miner  le  fofTé: 
quoiqu'ils  n  euffent  rien  à  craindre  du  canon ,  ni  de  la  mouf- 
queterie  des  affiégez,  cependant,  pour  fe  garantir  des  pierres, 
ils  fe  fervirent  de  mantelets  ôc  de  blindes.  Se  voyant  alors  à 
couvert  de  tous  cotez ,  ils  battirent  en  brèche,  depuis  la  porte 
faint  Jean  jufqu'à  celle  delà  rivière,  avec  plus  de  fuccès  qu'on 
n'avoit  cru  de  part  ôc  d'autre  ;  ils  ébranlèrent  les  tours  qui 
étoient  entre  ces  deux  portes ,  ôc  abatirent  un  pan  de  murail- 
le, que  les  affiégez  avoient  cru  capable  de  réfifter  atout  l'effort 
du  canon.  Quatre  jours  après  que  les  ennemis  eurent  com- 
mencé cette  batterie,  ils  en  drefferent  une  nouvelle  fur  le  plus 
haut  toit  du  monaftere  d'Ile ,  de  dix  pièces  de  canon,  qu'ils  bra- 
rent  contre  cet  endroit  de  la  muraille,  où  nous  avons  dit  que 
le  feu  avoit  pris  à  de  la  poudre. 

Saint  Remy  voyant  que  les  ennemis  avoient  entièrement 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XIX.        i67j 

miné  le  foffé,  défefpera  du  fuccès  de  fes  mines  ,  aufquelles  il  fbi- 
foit  travailler  avec  tant  de  diligence  :  il  avertit  même  Co-  Henri  lï» 
ligni,  que  le  courage  des  troupes  commençoit  à  fe  ralentir.  \<  <*>. 
Suivant  cet  avis ,  Coligni  tâcha  d'encourager  les  foldats ,  en 
allant  viliter  les  brèches  ;  il  les  appelloit  familièrement  par 
leur  nom  ,  ôc  confultoit  les  moindres  Officiers.  Il  ne  laiffoit 
cependant  pas  d'entendre  beaucoup  de  murmures.  Mais  il  les 
fçavoit  difïimuler ,  ôc  témoignoit  devant  tout  le  monde  qu'il 
avoit  réfolu  de  défendre  la  place,  jufqu'à  l'extrémité  ,  malgré 
tous  les  efforts  des  ennemis.  Il  ajouta  qu'il  permettoit  qu'on 
le  traitât  avec  ignominie ,  ôc  qu'on  le  chafsât  honteufement 
de  la  ville,  fi  jamais  il  parloit  de  fe  rendre  :  il  demanda  le 
même  droit  fur  ceux  qui  auroient  l'ame  allez  balfe  ,  pour 
ofer  parler  de  capitulation.  Les  foldats  ranimez  par  fes  dis- 
cours cefferent  de  murmurer,  ôc  fe  portèrent  au  travail  avec 
toute  l'ardeur  qu'on  pouvoit  attendre. 

Les  ennemis ,  après  un  feu  continuel  de  leurs  batteries  pen- 
dant fix  jours  ,  s'avancèrent  en  bataille ,  comme  s'ils  eulfent 
voulu  donner  l'affaut.  La  garnifon  fe  préparoit  à  une  vigou- 
reufe  défenfe  ,  lorfque  les  afliégeans  firent  jouer  des  mines  qui 
ébranlèrent  les  murailles  avec  un  fracas  terrible  ;  elles  n'eu- 
rent cependant  pas  l'effet  qu'ils  s'en  étoient  promis.  Les  enne- 
mis voyant  ce  peu  de  fuccès ,  ne  firent  que  confiderer  la 
brèche,  que  Coligni  avoit  entrepris  de  défendre,  ôc  après  être 
defcendus  dans  le  foffé  ,  que  d'Andelot  défendoit ,  chacun 
fe  retira  dans  fon  quartier.  Coligni ,  la  nuit  fuivante ,  fit  ré- 
parer les  ♦  brèches  ôc  éteindre  le  feu  ,  que  le  vent  avoit 
pouffé  dans  des  maifons  couvertes  de  chaume ,  fituées  der- 
rière le  couvent  des  Dominiquains.  Il  fit  abattre  les  mai- 
|fons  voifines ,  pour  empêcher  l'incendie  de  fe  communiquer. 
Mais  Saint  Remy  lui  ayant  donné  avis  pour  la  féconde  fois 
des  plaintes  des  foldats,  qui  fe  trouvoient  fort  incommodez 
dans  leurs  travaux  par  le  canon  de  l'ennemi ,  Ôc  qui  croyoient 
perdre  leur  tems  à  défendre  ôc  à  fortifier  une  place  fi  foible, 
Coligni  fut  obligé  de  vifiter  en  perfonne  les  corps-de-garde, 
ôc  d'exciter  les  troupes  par  fa  préfence  à  continuer  leurs 
travaux. 

Le   lendemain  les  affiégeans  redoublèrent   leurs  batte- 
ries avec  plus  de  furie  qu'auparavant.  Alors  Coligni  fit  appeller 


,i6S  HISTOIRE 

d' Andelot  fon  frère  ôc  Saint  Remy,  pour  qui  il  avoit  beaucoup 


Hfnrt  TT    d'eftime,  &  adreflantla  parole  à  ce  dernier,  il  lui   demanda 
'le  fecours  de  fon  art ,  contre  les  mines  des  ennemis.  Ce  ca- 
^  pitaine  lui  répondit  :  »  Je  ne  vois  aucun  moyen  de  s'oppofer 

o>  à  de  fi  grands  efforts.  Les  ennemis  fe  font  déjà  rendus  mal- 
oï  très  du  folié,  ils  ont  renverfé  les  tours  ôc  les  battions  :  il 
a>  n'y  a  pas  de  doute  qu'ils  ne  s'emparent  peu  à  peu  ôc  fans 
o>  danger  des  murailles  ;  fi  cela  arrive  ,  le  rempart  eft  trop  étroit 
n  pour  que  nous  y  puifïions  faire  une  longue  réfiftance  :  il  eft 
»  inutile  aufli  de  creufer  un  folié  en  deçà  du  rempart  ;  les  enne- 
»  mis  maîtres  de  ce  rempart ,  y  drefleront  avantageufement 
°>  des  batteries  à  caufe  de  fon  élévation  au-deffus  de  la  vil- 
o^  le.  Mais  j'ai  fait  préparer  deux  mines  que  jô  ferai  jouer; 
» -quand  il  en  fera  tems  ;  je  crains  cependant  qu'en  mettant 
»  lé  feu  à  la  première  ,  elle  ne  renverfé  une  tour  ,  dont  la 
3>  chute,  bien  loin  d'être  funefte  à  l'ennemi,  lui  procureroit  au 
35  contraire  le  moyen  de  monter  à  l'affaut.  Aufli  ne  ferai- je 
jouer  cette  mine-qne  lorfque  la  néceflité  femblera  l'exiger. 
Coligni  fit  à  ce  difcours  la  réponfe  fuivante  :  »  Je  vais , 
Meffieurs ,  dit-il ,  vous  communiquer  une  chofe  de  la  der- 
nière importance  ;  mais  je  vous  prie  que  ce  fecret  ne  foit 
=•>  point  divulgué.  Vous  m'avez  dit,  Saint  Remy,  que  vous 
0>  ne  trouviez  plus  de  reffource  contre  les  mines  des  enne- 
=>  mis  >  ce  n'eft  pas  ce  qui  m'afflige  :  je  fuis  prêt  de  répan- 
y>  dre  jufqu  à  la  dernière  goûte  de  mon  fang  ,  pour  le  falut 
de  ma  patrie,  ôc  la  glo*ire  de  mon  Roi.  Je  fçai  combien 
les  jours  ôc  les  momens  même  ,  que  nous  arrêterons  ici 
l'ennemi ,  peuvent  contribuer  au  rétabliffement  des  affaires 
de  fa  Majefté.  Mais  le  fouvenir  ôc  l'exemple  delà  prife  de 
Terouenne  fait  fur  moi  une  forte  impreflion.  On  y  accufe^ 
Montmorency  d'imprudence,  de  n'avoir  pas  traité  avec  l'en-' 
nemi  à  des  conditions  honorables  ,  dès  qu'il  le  vit  maître 
du  folié ,  ôc  prêt  de  faper  la  muraille  :  il  eût  pu  les  obtenir, 
s'il  eût  capitulé  deux  jours  plutôt.  Je  n'ignore  pas  qu'en 
pareilles  occafions ,  on  blâme  fouvent  ceux  qui  le  méritent 
le  moins  ;  c'eft  dans  cette  vue"  que  j'ai  lieu  de  craindre, 
«  qu'on  ne  m'accufe  de  témérité ,  d'avoir  expofé  les  plus  bel- 
*>  les  troupes  du  Royaume  ,  ôc  l'élite  de  la  cavalerie  ,  qui 
i»  dans  .les  conjonctures  préfentes ,  feroient  d'un  grand  fecours 

pour 


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35 
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a» 

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DE  J.  A.   DE  THOU,  Lrv.  XIX.         i<fc 

»  pour  la  défenfe  de  plufieurs  autres  places.  Mais  ,  Meilleurs,  - 

»>  Je  fuis  perfuadé  que  les  ennemis  n'ont  fait  aujourd'hui  de  Henri  II, 
»  il  furieufes  décharges  de  leur  canonique  pour  donner  bientôt  l  S  S  7? 
»  un  affaut  terrible.  Si  nous  le  foutenons  en  gens  de  courage,  ôc 
»>  fi  nous  pouvons  les  repoulTer  3  j'ai  lieu  de  croire  qu'ils  n'o- 
a>  feront  plus  nous  attaquer  à  force  ouverte ,  mais  qu'ils  traî- 
»  lieront  le  fiége  en  longueur  :  nous  profiterons  alors  de  ce 
«  délai ,  pour  faire  fçavoir  au  Roi  l'état  où  nous  fommes  ;  ôc 
«  fi  c'eft  fon  avis  ôc  fa  volonté ,  nous  traiterons  avec  l'enne- 
»  mi.  Mais  en  attendant  foyez  fûrs  ,  que  j'aime  mieux  périr, 
»  que  de  faire  la  moindre  démarche  indigne  de  moi.  Jefçai 
"  qu'il  y  en  a  beaucoup  parmi  nous ,  qui  n'ont  pas  tout  le 
»  courage  qu'ils  devroient  avoir  :  ufons  d'artifice  >  infpirons 
»  leur  du  courage  par  nos  difcours  ôc  notre  exemple ,  ôc  tâ- 
3ï  chons ,  s'il  fe  peut  ,  de  perfuader  à  ces  lâches  qu'ils  font 
»  braves.  Au  refte  quand  nous  entendrons  recommencer  les 
«  batteries ,  préparons-nous  à  nous  bien  défendre.  Si  nous 
*  venons  à  bout  de  repouffer  l'ennemi,  comme  je  l'efpere, 
o>  nous  demanderons  au  Saint  Efpnt  les  lumières  dont  nous  au- 
»  rons  befoin  dans  la  fuite.  »  Après  ce  difcours  chacun  re- 
tourna dans  fon  pofte. 

Il  n'y  avoit  dans  Saint  Quentin ,  pour  toute  garnifon ,  que 
huit  cens  hommes  d'armes.  Coligni  les  diftribua  dans  onze 
endroits  où  il  y  avoit  des  brèches ,  ôc  plaça  les  bourgeois  en 
différens  polies  ,  afin  que,  fi  les  ennemis  donnoient  l'affaut 
avec  des  échelles ,  ils  ne  trouvaient  aucun  endroit  des  mu- 
railles fans  défenfe.  Le  capitaine  Brueil ,  Breton ,  gouverneur 
de  la  place,  fut  choifi  pour  défendre  la  première  brèche  :  de 
Humes  comte  d'Aran  fut  mis  à  la  féconde  5  Coligni ,  dans 
fes  mémoires,  dit  que  ce  capitaine,  fut  celui  qui  s'acquit  le 
plus  de  gloire  dans  ce  fiége  :  Cuifieux  eut  la  défenfe  de  la 
troifiéme  ;  la  Garde  ,  avec  une  partie  de  la  compagnie  de 
Saint  André,  ôc  une  partie  de  la  cornette  du  Dauphin  fut 
mis  à  la  quatrième  :  Coligni  lui-même  étoit  à  la  cinquième, 
avec  la  compagnie  de  Gourdes ,  qui  avant  les  grandes  dé- 
charges de  l'artillerie  des  ennemis  étoit  de  cinquante  hom- 
mes ,  ôc  qui  à  la  fin  fut  réduite  à  dix-fept.  La  fixiéme  fut  don- 
née à  d'Angenne-Rambouillet  :  la  feptiéme  à  Jarnac  ,  qui 
avoit  avec  lui  le  capitaine  Bune  d'Arbouville  :  la  huitième 
Tome  III.  Y 


i7o  HISTOIRE 

,  aux  capitaines  Forces ,  Ogier,  ôc  Soleil,  ôc  à  Vaulperghe,  avec 

Henri  IL  quelques  cavaliers  ;  la  neuvième  à  d'Andelot  ôc  à  la  compa- 

x  <  ç  7.     gme  ^e  Saint  Roman  :  la  dixième  au   capitaine  Lignieres: 

l'onzième  enfin  à  Salevert,   avec  une  cornette   de  cavalerie 

de  la  Fayette.  On  y  joignit  les  capitaines  Sagauville,  Haque- 

ville  ôc  la  Barre. 

Les  ennemis ,  fans  faire  aucun  bruit  ,  ôc  fans  battre  le  tam- 
bour ,  commencèrent  à  donner  l'aiTaut  à  une  heure  après  mi- 
di. Alfonfe  Cazera  *  capitaine  des  vieilles  bandes  Efpagno- 
les,ôc  Lazare  Sch^endi ,  conduifoient  le  premier  corps 
compofè  d'Efpagnols  ôc  d'Allemans  ,  qui  pour  la  plus  grande 
partie  furent  tuez  à  la  première  attaque.  Navarrette  avoit  la 
conduite  d'une  partie  du  fécond  ,  qui  ètoit  compofè  d'Ef- 
pagnols ;  l'autre  moitié  compofèe  de  Flamans  ètoit  aux  ordres 
de  Charle  de  Brimeu,  comte  de  Megen  '■>  le  troisième  qui  confif- 
toit  en  trois  compagnies  Efpagnoles  ,  ôc  en  deux  mille  Anglois, 
étoit  commande  par  Julien  Romero  ,  qui  s'étant  lailTé  tomber 
de  la  brèche  où  il  ètoit  monté  ,  fe  rompit  la  cuiffe.  Le  qua- 
trième enfin  fut  donné  ,  avec  trois  compagnies  de  Francom- 
tois ,  à  Carondelet ,  qui  eut  la  main  coupée  en  combattant. 

On  crut  d'abord  que  les  ennemis  commenceroient  par  atta- 
quer la  brèche  défendue  par  Coligni,  ôcles  alliégez  s'étoient 
préparez  à  s'y  bien  défendre.  Mais  les  àiTiégeans  fe  détournè- 
rent tout  à  coup  vers  une  tour  extrêmement  haute ,  du  quar- 
tier confié  à  La  -  Garde  3  ôc  l'ayant  trouvée  fans  défenfe  3  ils  s'en 
emparèrent  prefque  auiii-tôt.  Coligni  y    accourut  avec  Sar- 
ragoufTe  3  pour  les  en  chaffer  :  mais  fes  troupes  l'abandonnè- 
rent 3  ôc  il  ne  refta  avec  lui  que  quatre  hommes  3  ôc  un  page. 
Prife  de  S.  Les  ennemis  entrèrent  fur  le  champ  dans  la  ville,  où  les  Aile- 
l/amiraî'de     mans  exercèrent  mille  cruautez.  Coligni  fut  bien-tôt  environ- 
Coiigni  eft     né  d'ennemis  :  mais  comme  il  tâchoit  de  tomber  plutôt  en- 
nicr.pn°a"     tre  ^es  mains  des  Efpagnols  que  des  autres,  il  fut  faitprifon- 
nier,  ôc  conduit  par  une  mine  que  les  ennemis  avoient  faite. 
Il  s'y  repofa  quelque  tems ,  ôc  au  fortir  il  rencontra  Cazera  -, 
ôc  peu  de  tems  après  le   duc  de  Savoye ,  qui  le  fit  conduire 
dans  une  tente.  La  ville  de   Saint   Quentin   fut  ainli  prife 
Ôc  pillée  :  il  eft  vrai  qu'elle  étoit  très-foible~;  mais  il  y  eut  auiîï 
beaucoup  de  la  faute  de  la  garnifon  ,  Ôc  principalement  de  la 
i    Nos  Hiftoriens  le  nomment  de  Cazieres. 


DE  J.   A.  DE     T  H  OU,  L  iv.  XIX.       171 

compagnie  de  cavalerie  du  Dauphin  ,  dont  le  Cornette  prit  ™ 
honteufement  la  fuite.  Ce  qui  fait  voir  combien  il  importe  tjv^tTt 
adesloldats  courageux  d  avoir  de  braves  omciers.  Cette  corn- 
pagnie  ,  depuis  la  mort  de  Teligni  fon  capitaine ,  fe  comporta 
toujours  lâchement,  &  fur-tout  dans  les  occafions  où  le  coura- 
ge étoit  le  plus  nécefifaire.  Quoique  la  ville  fût  prife  ,  d'An- 
dclot  ne  lailTa  pas  de  fe  battre  avec  opiniâtreté  dans  le 
quartier  où  il  commandoit  :  mais  enfin  accablé  par  la  multi- 
tude des  ennemis  ,  il  reçut  plufieurs  bleffures  ,  6c  fut  fait  pri- 
fonnier.  Nous  perdîmes  en  cette  occafionle  fils  de  la  Fayette, 
Sallevert  enfeigne  de  la  Fayette,  Ogier,  Vicques ,  la  Barre, 
l'Eftang ,  ôc  Gourdes  capitaines  d'infanterie.  Les  ennemis, 
outre  Coligni ,  ôc  d'Andelot  qui  depuis  s'échapa  de  leurs  mains, 
firent  prifonniers  Jarnac,  Saint  Remy ,  de  Humes,  la  Garde, 
Cuifieux  ,  Moulins ,  Brueil,  Rambouillet  ôc  Saint  Roman.  Ce 
fut  le  27  d'Août  que  la  ville  fut  prife. 

Cependant  le  duc  de  Nevers,  qui  étoit  à  Laon  avec  les 
troupes  dont  le  nombre  groffiffoit  tous  les  jours,  faifoit  for- 
tifier les  places  voifines,  ôc  y  mettoitdesgarnifons.  Il  harcel- 
loit  aufïi  les  ennemis  par  fes  courfes  continuelles  ,  ôc  tâchoit 
d'arrêter  leurs  progrès  en  furprenant  leurs  convois  ôc  leurs  fou- 
rageurs.  Le  Roi,  avant  la  prife  de  Saint  Quentin,  avoit  ré- 
folu  de  camper  à  Han ,  ôc  avoit  fait  pour  cela  tous  les  pré- 
paratifs néceffaires  :  mais  les  ennemis  ayant  pris  Saint  Quen- 
tin plutôt  qu'on  n'avoit  cru  ,  il  changea  de  deffein ,  ôc  ne 
fongea  qu'à  faire  fortifier  les  frontières,  Il  envoya  à  cet  effet 
de  vieux  foldats  de  la  garnifon  de  Metz ,  pour  fecourir  Bour- 
dillon ,  qui  étoit  à  la  Fere ,  aufïi  bien  que  le  comte  de  San- 
cerre,  qui  commandoit  dans  Guife  ôc  dans  la  Capelle,  ôc 
d'Humieres  gouverneur  de  Peronne. 

Sur  ces  entrefaites ,  Philippe  fortifia  Saint  Quentin  autant 
qu'il  lui  futpoffible  ,  ôc  donna  ordre  à  fes  troupes  d'aller  cam- 
per devant  le  Câtelet.  On  y  conduifit  du  canon ,  ôc  Barban- 
fon  comte  d'Aremberg  fut  commandé  avec  douze  cens  Siège  &prî 
chevaux  ôc  trois  compagnies  d'Allemans ,  pour  s'emparer  d' 
marais  qui  s'étendoit  jufqu'à  l'Abbaye  de  faint  Martin.  Les 
ennemis  drefferent  enfuite  une  batterie  de  vingt-une  pièces 
de  canon ,  du  côté  qui  regarde  Cambray  ôc  Saint  Quentin. 
Ilsrenverferentpar  ce  moyen  les  deux  bâfrions  qui  leur  étoient 

Y  i ; 


fe  du  Câtelec. 


172  HISTOIRE 

oppofez ,  ôc  firent  une  grande  brèche  à  la  muraille.  Le  baron 


Henri  H.  de  Solignac  commandoit  dans  la  place  :  c'étoit  un  capitaine 
1  S  S  1'     ^ort  renommé  >  ôc  qui  fembloit  promettre  au-delà  de  ce  qu'il 
fit  paroître.  Le  duc  de  Nevers  avoit  mandé  plufieurs  fois  au 
Roi  qu'il  n'eut  aucune  inquiétude  touchant  le  Câtelet,  que 
Solignac  en  viendroit   aux  dernières   extrêmitez  ,   avant  de 
rendre  la  place  ;  il  ofa  même   aflurer  que  cefiége    arrête- 
roit  les  ennemis  ,  au   moins  pendant  vingt  jours.  Tout   le 
monde  en  étoit  fi  perfuadé,  qu'on  eut  peine  à  croire  que  cette 
place  fe  fût  rendue'  à  Barbanfon  ,  comme  il  arriva  le  7  de 
Septembre.  Solignac  fut  arrêté  ôc  conduit  dans  lesprifons  de 
Paris  :  il  s'excufa  ,   en  remontrant  que  que  la  place  étoit  foi- 
ble  ,  que  les  fortifications  qu'on  y  avoit  commencées,  n'étoient 
pas  encore  à  leur  jufte  élévation  ;  qu'enfin  il  auroit  fallu  deux 
mille  hommes  de  garnifon  pour  défendre  cette  place,  ôc  qu'il  en 
avoit  eu  un  pareil  nombre  dans  la  défenfe  d'Eftrée  :  il  ajouta 
que  le  courage  du  peu  de  troupes  qu'il  avoit  avec  lui,s'étoit 
d'abord  ralenti ,  ce  qui  l'avoit  engagé  malgré  lui  à  capituler. 
Pendant  le  fiége  du  Câtelet  ,  les  nôtres  remportèrent  quel- 
ques avantages  dans  des  efcarmouches.  La  cornette  de  Vil- 
lars  tailla  en  pièces  quarante  fourageurs ,  ôc  prit  quantité  de 
chevaux  de  grand  prix.  La  cornette  du  Prince  de  Condé 
Ôc  celle  d'Archifon  Ecoffois  tuèrent  dans  une  autre  rencon- 
tre vingt  fantaflins  ôc  l'avantage  eut  été  plus  grand  ,  fi  la  cava- 
lerie fut  venue  à  leur  fecours.  Barbanfon  ,  après  la  prife  du 
Câtelet,  alla  à  Fonz-Somme  trouver  Philippe,qui  s'y  étoit  déjà 
rendu  avec  le  refte  de  l'armée.  Ce  Monarque  ,  pour  réjouir 
Charle  V.  fon  père  ,  qui  pour  lors  étoit  dans  fa  retraite ,  lui 
lit  fçavoir  les  vicloires  qu'il  avoit  remportées ,  Ôc  lui  deman- 
da fon  confeil  fur  les  affaires  préfentes.  Voici  la  réponfe  que 
fit  Charle. 
Sentimens        *  Quoique  dans  ma  retraite  ,  je  fois  indifférent  fur  tous  les 
de  Charle  v.  „  évenemens ,  cette  nouvelle  cependant  me  fait  un  plaifir  fen- 
des vidoires    sc  fible.  Je  me  réjouis  que  mon  fils,  que  j'aime  uniquement, 
4e  fon  fils.      =»  foit  fi  heureux  dans  les  commencemens  de  fon  règne.  Je 
?»  rends  grâces  au  Tout-puiffant ,  avec  toute  l'humilité  poffi- 
»  ble  ,  de  ce  qu'il  n'a  pas  laiflé  la  perfidie  impunie  ,   ôc  de 
:•»  ce  que  dernièrement  en  Italie,  ôc  récemment  fur  les  riron- 
■jo  tieres  des  Pays-bas,  il  nous  a  vengés  des  parjures.  Je  l'avok 


DE  J.  A.    DE  flTHOU,  Liv.  XIX.         *75 

»  toujours  efperé  ,  6c  je  me  confolois  dans  cette  attente.  J'é-  m  B 

»  tois  cependant  fâché  devoir,  que  tandis  que  la  trêve  avoitmis  jjenri  jj 

m  la  tranquilité  dans  l'Europe  ,  ôc  que  je  me  propofois  de  goû- 

»  ter  quelque  repos,  la  Chrétienté  fut  en  feu  par  une  guerre 

»  inopinée.  Au  refte  je  ne  veux  donner  ,  ni  ne  donnerai  à  l'a- 

»  venir  aucuns  confeils  à  mon  fils  :  il  a  auprès  de  lui  çjes 

o>  perfonnes   d'une  fidélité  reconnue ,  &  qui  ont  acquis  fous 

»  moi  une  telle  expérience  ,  que  je  les  confulterois  moi-mê- 

»  me,  fi  j'avois  encore  en  main  les  rênes  du  gouvernement. 

»  Qu'il  agilfe  donc  fuivant  leurs  confeils  >  ôc  qu'il  pefe  leurs 

»>  raifons  i  mais  qu'avant  tout  il  implore  le  fecours  ôc  les  gra- 

a>  ces  du  ciel. 

Le  camp  ennemi  étoit  en  ce  tems-là  rempli  de  défordres. 
Les  Allemans  ,  après  la  victoire  3  n'étant  pas  payés  de  leur 
folde  y  fe  mutinèrent  ;  mais  les  Efpagnols  ne  reçurent  leurs 
plaintes  qu'avec  cette  hauteur  qui  leur  eft  naturelle.  Les  An- 
glois, d'un  autre  côté,  fe  plaignoientdes  Efpagnols,  qui  pour 
fe  venger ,  comme  ils  difoient ,  des  mauvais  traitemens  qu'ils 
avoient  reçus  depuis  peu  en  Angleterre  ,  en  agiflbient  fort 
mal  à  leur  égard.  Us  demandèrent  même  la  permiiîion  de  fe 
retirer  :  ce  qui  leur  fut  accordé  pour  éviter  quelqu'accident 
plus  fâcheux.  Plufieurs  croyent  que  le  départ  des  Anglois  fut 
une  des  raifons  ,  pour  lefquelles  Philippe ,  après  de  II  grands 
avantages ,  ne  fit  plus  rien  de  confidérable,  ôc  laifla  fon  armée  fe 
diiïïper.  Ferdinand  de  Gonzague  n'étoit  pas  de  ce  fentiment , 
ôc  foûtenoit  que  ce  Prince  devoit  confet ver  toutes  fes  forces  , 
foit  afin  de  pourf^ivre  fa  victoire ,  foit  pour  s'oppofer  aux  Fran- 
çois ,  qui  après  une  fi  grande  défaite ,  aflembleroient  des  trou- 
pes innombrables  ,  ôc  feroient  les  derniers  efforts  pour  repa- 
rer leurs  pertes. 

Le  Roi ,  qui  craignoit  que  les  Anglois  ne  fiflent  quelque 
entreprife  dans  leur  retraite ,  donna  ordre  à  Senarpont ,  qui 
commandoit  dans  Boulogne  ôc  dans  Montreùil ,  de  ne  fortir 
de  ces  places  qu'après  le  paffage  des  Anglois.  En  même-tems 
il  manda  pour  la  féconde  fois  à  Sanfac  de  s'enfermer  dans  Ab- 
beville  ,  avec  fa  cornette  ôc  celle  de  d'Angenne ,  qui  avoit  été 
tué  depuis  peu  de  tems. 

Les  ennemis  en  attendant  quelque  réponfe  d'Efpagne  , 

Y  iij 


174  HISTOIRE 

jugèrent  à  propos  d'aller  camper  devant  la  ville  de  Han.    Cette 

Hr^ïo  t  tt  place  eft  dans  une  fituation  très-avantageufe.Bâtie  dans  une  plai- 
j  c  c  _  ne,  elle  nelt  commandée  par  aucune  eminence,  ôc  eft  entou- 
rée d'un  côté  par  la  rivière  de  Somme,  ôc  de  l'autre  par  un  marais 
prefque  inaccefïïble ,  qui  a  cinq  cens  pas  d'étendue.  Il  eft  vrai 
que  les  murailles  font  de  peu  de  réliftance  >  mais  elle  eft  dé- 
fendue par  une  citadelle  flanquée  de  quatre  baftions  ronds  ôc 
d'une  tour  quarrée  ,  fans  rampart  ôcfans  dehors.  Le  Connéta- 
ble de  Saint  Pol  de  Luxembourg  l'avoit  fait  bâtir  ancienne- 
ment. Cette  ville  paffoit  dans  ce  tems-là  pour  une  place  d'im- 
portance ,  ôc  ce  Connétable  en  avoit  même  une  telle  idée  , 
qu'il  eut  la  témérité  de  fe  rendre  arbitre  entre  Louis  XI.  ôc 
Charle  duc  de  Bourgogne ,  qui  pour  lors  fe  faifoient  la  guerre; 
fans  confidérer  que  ceux-là  feulement  fe  doivent  rendre  mé- 
diateurs, qui  font  allés  puiffans  pour  contraindre  par  la  force 
celui  qui  ne  veut  pas  fe  foumetrre  à  leur  décifion  ;  comme  en 
effet  l'événement  le  fit  voir. 

Sepois ,  quicommandoit  dans  la  ville  de  Han  ,  jugeant  cette 

Ï)lace  trop  foible  pour  foûtenir  un  fiége ,  fut  d'avis  d'y  mettre 
e  feu ,  afin  d'en  rendre  la  prife  inutile  aux  Efpagnols.  Il  crut 
aum*  que,  pour  amufer  l'ennemi,  on  devoit  fe  contenter  de  met- 
tre quelques  troupes  dans  la  citadelle.  Son  confeil  fut  fuivi , 
Ôc  Piffeleu  fieur  de  Heilly  Gentilhomme  de  la  première  no- 
bleffe ,  ôc  capitaine  fort  expérimenté ,  fut  envoyé  pour  défen- 
dre cette  citadelle.  François  de  Montmorency  partit  en  mê- 
me-tems  pour  Amiens  }  avec  fa  cornette  de  cavalerie  ôc  celle 
de  fon  père  :  François  d'Ailly  Vidame  de  ce^te  ville ,  Auguef- 
fant  ôc  Morvilliers  s'y  étoient  déjà  rendus ,  avec  leurs  cor- 
nettes. Le  prince  de  Condé  eut  ordre  d'aller  dans  le  Soiffo- 
nois  avec  de  la  cavalerie  légère ,  pour  garder  les  gués  des  riviè- 
res ôc  faire  des  courfes  fur  les  ennemis.  Ce  Prince  mit  le  Ba- 
ron de  Cleri  dans  Noyon,  avec  fa  compagnie  de  cavalerie  ôc 
quelques  Ecoffois.  On  donna  à  de  Lille  feigneur  de  Mari- 
vaux la  défenfe  de  Beauvais  ôc  de  Saint-  Dizier  ,  ôc  Raffes 
Prife  de  fut  envoyé  à  Senlis.  Les  ennemis  cependant  firent  approcher 
Hap-  du  canon  de  la  citadelle  de  Han,  ôc  après  une  violente  bat- 

terie ,  ils  firent  brèche  à  la  muraille.  Alors ,  comme  il  étoit  im- 
poflible  aux  affiégez  de  creufer  un  fofle  en  dedans 3  ils  fe  ren- 
dirent le  12  Septembre, 


DE  J.  A.  D  E  THOU,Liv.  XIX.        17? 

Après  la  prife  de  Han,  onignoroit  parmi  nous  quelle  route 
prendroit  l'ennemi.  On  ne  fçayoit,  s'il  fe  jetteroitdans  le  Bou-  Henri  IL 
lonnois  ,  fi  au  contraire  il  iroità  Compiegne ,  ou  fi  enfin,  pour  1  S  S  7- 
ne  pas  incommoder  fes  peuples  par  le  pafiage  de  fon  armée , 
il  s'en  retourneroit  par  la  Champagne  ,  ôc  mettroit ,  chemin  fai- 
fant,  notre  payis  au  pillage.  Cette  dernière  opinion  n'étoit 
pas  fans  fondement.  On  avoit  appris  que  le  Baron  de  Pol- 
viller  ,  qui  par  ordre  de  Philippe ,  étoit  allé  depuis  quelque- 
tems  en  Allemagne  ,  en  étoit  de  retour  ,  ôc  qu'il  étoit  fur  la 
frontière ,  avec  vingt  compagnies  d'infanterie  Ôc  douze  cens 
chevaux  Allemans.  On  difoit  aufli  que  ces  troupes  étoient  dcf- 
tinées  pour  l'Angleterre.  Ainfi  comme  il  falloit  que  ce  capi- 
taine traverfat  laChampagne,  pour  fe  rendre  dans  ce  Royaume, 
il  étoit  alfés  vraifemblable  que  Philippe  iroit  au-devant  de  lui. 
C'eft  pourquoi  François  de  Montmorency,  qui  commandoit  en 
Picardie ,  en  fit  fortifier  la  frontière.  D'Eftrée  fut  mis  enfuite 
dans  Soiffons ,  avec  trois  compagnies  d'infanterie  nouvelle- 
ment levées ,  ôc  quatre  vingts  chevaux ,  commandés  par  Fave- 
rolies,  fans  compter  les  troupes  qu'on  y  avoit  déjà  envoyées. 
Le  prince  de  Condé ,  avec  Charmazel  ôc  Gondrin  ,  qui  s'é- 
toient  venu  joindre  par  les  ordres  du  Roi,  gardoit  les  paffa- 
ges  de  la  rivière ,  ôc  avoit  répandu  fur  les  bords  de  part  ôc 
d'autre  fa  Cavalerie  -  légère.  Le  Roi  avoit  aufîi  pourvu  à  la 
fureté  de  la  Champagne ,  ôc  y  avoit  envoyé  Jametz  ôc  d'Efche- 
nets  avec  leurs  cornettes  de  cavalerie.  De-Jours  eut  ordre  en 
même-tems  d'affembler  le  régiment  de  Champagne. 

Philippe  employoit  le  tems  à  faire  fortifier  Saint  Quen- 
tin ôc  Han,  afin  que  fes  troupes  euffent  des  logemens  com- 
modes ôc  des  vivres  en  abondance.  Il  furprit  Noyon  de  la 
manière  que  je  vais  dire.  Il  y  envoya  quelques  cornettes  de 
cavalerie,  qui  étant  entrées  fans  enfeignes  dans  cette  ville,  en 
chafferent  aifément  le  Baron  de  Clery  ,  qui  y  commandoit 
avec  quelques  Ecoffois.  Au  refte,  cette  place  étoit  très-foible, 
ôc  avoit  été  brûlée  quelque  tems  auparavant.  Les  enne- 
mis fe  rendirent  maîtres  en  même-tems  de  la  ville  de 
Chaulny.  Ils  ne  la  fortifièrent  pas ,  mais  ils  y  mirent  une  bon- 
ne garnifon  ;  parce  que  cette  place  leur  étoit  d'une  grande 
commodité  pour  faire  vendanger  le  payis  d'alentour ,  &  pour 
faire   conduire  des    convois  dans  le  camp.    Les  mois   de 


i7<*  HISTOIRE 

— ~" """£  Septembre  6c  d'O&obre  fe  pafferent  à  faire  des  courfes  les  uns 

Henri  IL  fur   les    autres.  Enfin  les  Allemans  s'étant  foûlevés  ouverte- 
*  S  S  7*     ment  ,  abandonnèrent  Philippe  ;  ôc  comme  fi  leurtems  de  fer- 
vice  fût  expiré,  ils  fe  mirent  dans  celui  de  la  France.  Ils  furent 
incorporés  dans  nos  compagnies  d' Allemans ,  diminuées  con- 
sidérablement par  nos  pertes  précédentes. 

Le  Roi  raffembloit  des  troupes  de  toutes  parts.  VarafTieux 
par  fon  ordre  alla  recevoir  fur  les  frontières  de  Bourgogne  ôc 
6c  de  Champagne  les  SuifTes  qu'on  avoit  levés.  Mendofe  fe 
rendit  à  Lyon ,  pour  y  recevoir  4000  Suiffes  qui  venoient  de 
Piémont.  Marolles  fut  envoyé  à  Iffutille  1 ,  pour  faire  la  revûë 
des  nouvelles  recrues  d'Allemans  ,  arrivées  depuis  peu  dans 
cette  ville  ,  fous  la  conduite  de  Reckrod  ôc  de  Reiffemberg. 
On  atteiibloit  de  jour  en  jour  le  duc  de  Guife  ,  qui  revenoit 
d'Italie  avec  fon  frère  le  duc  d'Aumale ,  félon  les  ordres  qu'il 
en  avoit  reçus  du  Roi  après  la  journée  de  Saint  Quentin.  Le 
duc  de  Nevers  eut  aufli  ordre  de  quitter  Laon  ôc  de  fe  ren- 
dre à  Compiegne  ,  pour  faire  fortifier  cette  place.  A  fon  arrivée 
il  fit  travailler  à  un  camp  près  de  la  ville ,  ôc  à  cet  effet  on  en- 
toura de  fofTés  un  terrein  aflfés  fpacieux. 

Pendant  ces  travaux ,  le  duc  de  Nevers  ne  fut  pas  oifif  à 
Compiegne.  Il  avoit  remarqué  que  la  garnifon  de  Chaulny  for- 
toit  jufqu'au  nombre  de  15"  00  chevaux ,  ôc  faifoit  des  courfes 
continuelles.  Il  donna  ordre  à  Bourdillon,  de  fe  trouver  aYec 
fes  troupes  dans  un  certain  endroit,  ôc  lui  marqua  le  jour  qu'il 
devoit  s'y  rendre.  Pour  lui  il  alla  à  SoifTons  ,  fous  prétexte  d'y 
recevoir  dix-huit  compagnies  Suiffes,  qui  venoient  d'y  arriver. 
Ayant  raffemblé  les  garnifons  de  la  Fere,  de  Coucy  ôc  de  Soif- 
fons ,  ôc  le  prince  de  Condé  s'étant  aufli  trouvé  au  rendés-vous 
avec  fa  cavalerie-legere ,  il  dreffa  des  embufeades  autour  de 
Çhaulny.  François  d'Hangeft  de  Jenlis  eut  ordre  enfuite  d'attirer 
l'ennemi  au  combat ,  pour  le  faire  tomber  dans  l'embufcade  , 
en  reculant  peu  à  peu.  Mais  comme  la  plus  grande  partie  de 
la  cavalerie  de  la  garnifon  avoit  été  rappellée  dans  le  camp  en- 
nemi ,  ceux  qui  réitèrent  n'oferent  pourfuivre  les  François  ; 
ainfi  le  projet  n'eut  pas  le  fuccès  qu'on  avoit  efpéré.  On  fur- 
prit  cependant  quelques  cavaliers  Albanois  avec  leur  capitaine. 
Le  Prince  de  Condé  défit  aufli  un  détachement  d'infanterie 

1  Sur  la  rivicre  de  Tille  près  de  Dijon. 

Efpagnole  ; 


i  i  «ni  ihii   i 


DE  J.  A.  DE   T  HOU,  L  iv.  XIX.         177 

Efpagnole ,  qui  voyant  qu'elle  s'étoit  trop  avancée ,  alla  s'enfer- 
mer dans  une  chaumière  :  maisAUigny  ayant  mis  pié  à  terre  avec  Henri  IL 
fa  compagnie  d' Arquebufiers ,  contraignit  ces  troupes  à  fe  r en-  1  r  e-  7. 
dre.  Le  capitaine  Launay  tua  leur  Chef  en  préfence  du  Prince 
de  Condé  ,  qui  irrité  d'une  a&ion  fi  barbare  voulut  le  faire  pu- 
nir j  mais  Launay  le  pria  d'excufer  fa  colère,  ôc  lui  remontra 
que  cet  Efpagnol  avoit  ufé  de  la  même  cruauté  fur  des  prifon- 
niers  François  ôc  même  fur  fesgens.  Les  ennemis,  au  bruit  de 
ce  combat ,  firent  fortir  de  leur  camp  4000  chevaux,  pour  pour- 
fuivre  les  nôtres  ■■>  mais  ce  fut  fans  effet  5  car  ils  s'étoient  déjà 
retirés. 

Tandis  que  les  Efpagnols  fortifioient  Saint  Quentin ,  le  Câ-     Mort  3e 
telet  ôc  Han,  Philippe  fur  la  fin  d'0£tobre  partit  pour  Cam-  Ferdinand  de 
bray  ,  ôc  fe  rendit  à  Bruxelles  avec  toute  fa  Cour.  Ce  Prince  SoTcàuOere;. 
étoit  accompagné   de  Ferdinand  de   Gonzague  ,  qui  épuifé 
par  fes  travaux  paffésj  ôc  par  les  fatigues  qu'il  venoit  d'effuyer 
au  fiége  de  Saint  Quentin ,  tomba  malade ,  Ôc  mourut  le  1  $  de 
Novembre ,  âgé  de  cinquante-un  ans.    Ce  fut  un  homme  d'un 
grand  courage ,   mais    d'un  efprit  opiniâtre.  Il  fut   employé 
dans  de  grandes  entreprifes  ,  ôc  la  Fortune  lui  fit  éprouver  tou- 
tes fes  viciiTitudes.  Sur  la  fin  de  {qs  jours  il  fut  accufé  d'une 
avance  ôc  d'une  cupidité  infatiables.  On  pouvoit  dire  de  lui 
ce  que  les  Romains  difoient  autrefois  de  L.  Lucuilus,  que  ce 
Général  prefqu'invincible  avoit  été  vaincu  par  fon  avidité  ,  ôc 
qu'elle  l'avoir  enfin  chaifé  de  fon  gouvernement.  La  rapacité 
de  Gonzague   engagea   l'Empereur  à  lui  ôter  le  gouverne- 
ment du  Milanez.  Mais  ce  Prince  ,  qui  connoiffoit  fa  pruden- 
ce ôc  fa  capacité  >  confeilla  à  Philippe  fon  fils  de  le  confulter 
dans  toutes  fes  affaires  importantes ,  mais  de  ne  lui  jamais  con- 
fier ni  gouvernement ,  ni  aucune  charge  publique.  Gonzague 
s'étoit  attiré  la  haine  des  Efpagnols,  par  la  févéritéavec  laquelle 
il  avoit  puni  les  rebelles  de  Sicile.   Cependant  les  Flamansl'ai- 
moient  :  ils  lui  firent  des  obfeques  magnifiques  ,  où  les  plus 
grands  Seigneurs  de  la  Cour  affilièrent.   Philippe  lui  rendit  de 
fréquentes  vifites  dans  fa  maladie  :  ce  monarque  même,  en  con- 
sidération de  fes  fervices,  honora  Cefar ,  fon  fils  aîné ,  Prince  de 
jVIolfetta ,  du  commandement  général  de  la  cavalerie,  dans  l'E- 
tat de  Milan.  Après  le  départ  de  Philippe  ,  Henri  fe  rendit  à 
S.Germain.  Ce  Prince  avoit  avec  lui  des  troupes  innombrables, 
Tome  III.  Z 


I78 


HISTOIRE 


qu'il  avoit  fait  lever,  tant  dans  fon  Royaume,  qu'en  Allema- 
Henri  IL  gne  ^  en  SuiiTe  >  &   d  l^  en   atnvoit  encore  continuelle- 
j  -  .  7  4    ment. 

Entreprife  Sur  ces  entrefaites  îe  baron  de  Polwiller l  traverfa  les  mon- 
du  Baron  de  tagnes  de  Vôge ,  ôc  defcendit  dans  le  comté  de  Ferrette.  Il 
prit  des  vivres  des  Franc-Comtois,  contre  le  traité,  ôcfutde 
là  en  Brefle ,  à  la  perfuafion  du  duc  de  Savoye.  Granger  de 
Mions ,  Gentilhomme  de  Brefle ,  accufé  du  crime  de  leze-ma- 
jefté  ôc  de  celui  de  faufle  monnoye,  s'étoit  réfugié  auprès  de 
ce  Général.  Il  lui  avoit  fait  efpérer  que  les  peuples  de  cette 
province  fe  foûleveroient ,  s'ils  voyoient  des  troupes  étrangè- 
res dans  leur  payis.  Sur  cette  aflurance  le  baron  de  Pobeiller 
vint  à  Trefort ,  à  la  tête  de  dix  mille  hommes  d'infanterie  , 
ôc  de  douze  cens  chevaux  Allemans  ,  que  le  roi  de  Bohême  , 
à  ce  qu'on  difoit ,  lui  avoit  envoyez.  Il  ne  refta  dans  cette  ville 
que  le  tems  qu'il  lui  falloit ,  pour  raflembler  les  reftes  de  fes  trou- 
pes ,  répandues  dans  les  villes  d'alentour.  Il  partit  enfin  le  1 5: 
de  Septembre  2 ,  avec  toute  fon  armée  ,  ôc  vint  camper  allés 
près  de  Bourg-en-BrelTe 3 ,  capitale  de  la  province.  Cette  ville 
eft  fituée  dans  unterrein  marécageux,  mais  très-fertile.  Elle  eft 
bornée  à  l'Orient  par  le  Mont  Saint  Claude ,  ôc  par  d'agréa- 
bles coteaux ,  couverts  de  vignobles.  Elle  regarde  la  Franche- 
Comté  au  Septentrion  ,  ôc  la  ville  de  Lyon  au  midi.  Au  cou- 
chant elle  a  une  grande  plaine  ,  qui  s'étend  jufqu'à  la  Saône. 
Le  baron  de  Digoine  ,  qui  commandoit  dans  la  ville ,  étoit  lieu- 
tenant de  la  Guiche  gouverneur  de  la  province  ,  qui  pour  lors 
étoit  malade.  Sur  le  bruit  qui  couroit  de  l'arrivée  des  enne- 
mis ,  le  Baron  fit  fortifier  la  place  ,  y  mit  bonne  garnifon 
ôc  manda  à  d'Efchenets  de  le  venir  trouver  avec  le  régi- 
ment de  Champagne.  Il  ruina  la  campagne  ôc  les  terres  d'a- 
lentour ,  afin  que  l'ennemi  ne  pût  rien  trouver  pour  fa  fubfif- 
tance  ;  il  fit  enfin  tous  les  préparatifs  nécefîaires  pour  foûte- 
nir  un  fiége.  Le  duc  deGuifè  ,  après  avoir  traverfé  les  Alpes, 
revint  en  ce  tems-là  d'Italie.  A  fon  arrivée ,  il  envoya  dans 
Bourg  François  de  Vendôme  Vidame  de  Chartres ,  avec  deux 


1  Nos  Hiftoriens  le  nomment  de 
Polleville.  Il  étoit  Allemand ,  de  Maf- 
munfter  en  Alface  ,  félon  Pierre  Mat- 
thieu, tom,  i.  p.  1751. 


2  On  a  ici  corrigé  la  date  qui  paroit 
fautive  dans  le  texte. 

3  Cette  ville ,  félon  quelques-uns , 
eft  le  Tamtm  des  anciens. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XIX:       179 

mille  hommes  de  vieilles  troupes.  Le  refte  de  fon  armée ,  corn-  ■ 

pofé  de  Suiffes  ôc  d'Allemans ,  fut  diftribué  dans  le  Mâconnois  Henri  II 
ôc  le  Lyonnois ,  pour  fervir  félon  les  conjonctures.  Cependant      [Çf, 
toute  la  province  étoit  en  allarmes  :  les  habitans  emportoient 
ce  qu'ils  pouvoient  de  leurs  meubles  >  ôcs'enfuyoient  dans  les 
villages  d'au-delà  de  la  Saône.    Les  bois  ,  les  montagnes  Ôc 
les  cavernes  étoient  remplis  de  vieillards ,  de  femmes  Ôc  d'en- 
fans ,  qui  y  cherchoient  un'  azile  contre  la  fureur  de  l'ennemi. 
Polwiller ,  à  fon  arrivée  à  la  Sardiere  ôc  à  Chalez  ,  envoya 
l'élite  de  fa  cavalerie  pour  reconnoître  la  fituation  de  Bourg. 
Mais  ces  cavaliers  furent  fort  maltraités  par  une  volée  de  ca- 
non qu'on  tira  fur  eux ,  lorfqu'ils  s'y  attendoient  le  moins.  Le 
lendemain  29  de  Septembre  1  Y  armée  *  ennemie  s'avança  juf- 
qu'aux  moulins  de  Rozieres ,  ôc  après  avoir  paffé  le  ruiffeau  , 
elle  vint  jufques  à  la  chapelle  de  Saint  Jean ,  vis^à-vis  la  porte 
de  Mâcon  3  ôc  campa  en  cet  endroit.  Elle  fit  enfuite  trois  dif- 
férens  campemens  ;  mais  les  nôtres  ayant  fait  une  fortie ,  ils  fur- 
prirent  les  ennemis  3  tuèrent  les  fentinelles  ,  ôc  portèrent  la  ter- 
reur ôc  le  carnage  jufques  au  milieu  des  corps-de-garde.  Les 
Allemans  difoient  tout  haut ,  qu'ils  avoient  été  trahis.  D'un  au- 
tre côté>  la  faifon  étoit  très-incommode,  Ôc  les  grandes  pluyes 
qui  étoient  tombées  3  empêchoient  les  foldats  de  continuer  les 
travaux  qu'ils  avoient  commencés.  Enfin  les  Bourgeois  ayant 
fait  une  fortie  le  14  Octobre  pour  mettre  le  feu  aux  ouvrages 
des  ennemis  ,  d'Efchenets  les  attaqua  en  même-tems  3  ôc  les 
pourfuivit  jufques  dans  leurs  retranchemens  :  mais  la  déroute 
fut  plus  grande  que  le  carnage.  Ainfi  comme  la  promeffe  de 
Mions,  au  fujetde  la  révolte  des  habitans,  n'avoit aucun  effet, 
les  ennemis  prirent  le  parti  de  publier  plufîeurs  Manifeftes ,  au 
nom  du  duc  de  Savoye  ôc  de  Polwiller  même ,  où  ils  faifoient 
voir  les  injures  qu'ils  avoient  reçues  de  François  I.  ôc  de  Henri. 
Ils  femerent  dans  leurs  écrits  plufieurs  traits  amers  ôc  piquans , 
pour  exciter  la  haine  des  autres  Princes  3  ôc  engager  les  peu- 
pies  à  la  révolte.  Les  ennemis  refterent  encore  là  pendant  cinq 


1  La  date  a  paru  encore  fautive  en 
cet  endroit ,  8c  on  a  cru  qu'il  falloir 
lire  III.  Kal.  VIII  bres.  au  lieu  de  III. 
Eid.  VIII  bres.  au  moyen  des  deux 
reftitutions  préce'dentes ,  il  n'y  a  plus  de 
difficulté  dans  la  date  du  14  d'Octobre, 


qui  fuit.  Ces  me'prifes  ,  qui  font  rares, 
fe  rencontrent  dans  le  texte,  non  par  la 
faute  de  M.  de  Thou,  mais  des  Editeurs. 
Il  feroit  à  fouhaiter  que  ceux  de  Lon- 
dres les  eufTent  toujours  corrigées  dans 
leur  magnifique  e'dition. 

Zij 


i8o  HISTOIRE 

.  jours  :  mais  Polwiller  apprit  alors  par  fes  efpions  ,  que  îe  duc 
Henri II  d'Aumale  »  ^a  Guiche  qui  fe  portoit  mieux,  ôc  Vilîefrancon, 
s'étoient  affemblés  à  Mâcon ,  ôc  que  les  troupes  qui  étoient  à 
5  '  Mont-Revel ,  étoient  déjà  en  marche  ;  il  fçut  d'ailleurs  qu'on  le- 
voit  des  foldats  dans  Lyon  ôc  dans  Mâcon,  ôc  que  les  bords 
de  la  Saône  en  étoient  tous  couverts  '■>  il  décampa  donc  pen- 
dant la  nuit  ôc  conduifit  fes  troupes  à  Mont-July  ôc  à  Cefiria. 
Ce  capitaine  repafla  par  la  Franche-Comté ,  ôc  fit  fa  retraite 
avec  tant  de  bonheur  ôc  de  célérité  ,  qu'il  avoit  déjà  fait  cinq 
lieues  de  chemin ,  avant  que  les  nôtres  fuflent  avertis  de  fon 
départ.  Les  Allemans  cependant  voyant  qu'on  ne  leur  tenoit 
point  parole,  fe  débandèrent.  D'Efchenets  les  pourfuivit  jufqu'à 
ce  qu'ils  euflent  traverfé  la  Franche-Comté  ;  mais  ce  fut  fans 
fuccès. 

Le  dixième  de  Décembre  de  cette  même  année ,  Granges 
de  Mions,  dont  nous  avons  déjà  parlé  3  Charle  de  Luzingues 
fieur  des  Alimes,  Claude  Dupuy  3  Buchard ,  Liatod,Briod  , 
Rouffet  ,  ôc  Verdet  ,  furent  condamnés  par  contumace ,  par 
le  Parlement  de  Chamberi  ,  comme  rebelles  ôc  auteurs  de 
l'entreprife  du  baron  de  Polwiller.  Il  fut  ordonné  qu'on  les  ar- 
rêteroit ,  en  quelque  endroit  qu'on  pût  les  trouver ,  ôc  qu'on 
les  mettroit  entre  les  mains  de  l'exécuteur  de  la  haute  Juftice? 
qu'ils  feroient  traînés  fur  une  claye  dans  la  ville  de  Bourg  5  que 
leur  corps  feroit  mis  en  quatre  quartiers  ;  ôc  que  leurs  têtes  fe- 
roient plantées  dans  une  place  marquée  par  l'arrêt ,  pour  y 
fervir  d'exemple.  Il  fut  ordonné  enfin ,  qu'à  caufe  du  crime  de 
trahifon ,  ils  feroient  notés  d'infamie  ,  eux  ôc  leurs  defcendans  5 
déclarés  incapables  de  tefter ,  d'être  appelles  en  témoignage  ôc 
d'occuper  jamais  ni  charges  ni  dignités.  Telle  fut  la  fin  de  la 
formidable  Ôc  vaine  entreprife  du  baron  de  Polwiller. 

Lorfque  le  duc  de  Guife  fe  fut  rendu  à  faint  Germain,  le 
Roi  lui  fit  un  très-bon  accueil ,  Ôc  lui  donna  le  principal  foin 
des  affaires  de  la  guerre,  dont  le  duc  de  Nevers  étoit  chargé, 
depuis  la  prife  du  Connétable.  Le  duc  de  Guife  pria  alors 
îe  Roi  de  permettre  à  Montluc  de  revenir  en  France  5  ce 
qui  lui  fut  accordé.  Le  Duc  avoit  delfein  de  fe  fervir  de  ce 
Capitaine  ,  parce  que  d'Andelot ,  colonel  général  de  Finfan- 
rie  )  lui  étoit  devenu  fufpecl ,  ôc  qu'ils  fe  ha'ùToient  mutuelle- 
ment a  ôc  étoient  jaloux  l'un  de  l'autre  :  il  avoit  encore  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XÎX.       181 

prétexte  de  la  religion  ,  qui  excita  en  ce  tems-là  de  grands  trou-  «^«^^«. 
blés  dans  le  Royaume  :  voici  ce  qui  y  donna  lieu.  Henri  IL 

Comme  le  nombre  des  Proteftans  augmentoit  tous  les  jours  j  .  ,  7> 
à  Paris,  ils s'alTemblerent  le  quatrie'me  Septembre  fur  le  foir, 
à  l'hôtel  de  Bertomier,  dans  la  rue  faint  Jacque,  pour  y  prier 
Dieu,  ôc  y  célébrer  la  Cène.  Les  voifins  l'ayant  fçû,  prirent 
des  armes  ôc  des  pierres ,  pour  les  attaquer  au  fortir  de  leur 
Prêche.  L'affemblée  n'ayant  fini  que  bien  avant  dans  la  nuit, 
les  premiers  qui  fortirent  furent  attaquez  à  coups  de  pierre?. 
Toute  la  populace  accourut  aufTi-tôt  ,  comme  à  un  lignai  qui 
auroit  été  donné,  ôc  fit  fes  efforts  pour  enfoncer  les  portes  de 
l'hôtel.  Ceux  qui  étoient  dedans  prirent  un  parti  conforme  à 
la  nécefiité  où  ils  fe  trouvoient.  Ils  fortirent  l'épée  à  la  main, 
ÔC  quoiqu'il  y  en  eût  quelques-uns  de  bleflez ,  ils  fe  fauverent 
tous ,  à  l'exception  d'un  feul  qui  fut  tué  dans  la  foule.  Les 
femmes  ôc  les  autres  qui  ne  purent  fe  défendre  ,  fe  ren- 
dirent à  Martines ,  procureur  du  Roi  au  Châtelet  de  Paris.  Ce 
Magiftrat,  le  lendemain  à  la  pointe  du  jour  ,  les  fit  con- 
duire en  prifon ,  ôc  put  à  peine  empêcher  le  peuple  de  les 
aflbmmer  entre  les  mains  des  Archers. 

Il  courut  divers  bruits  au  fujet  de  cette  afTemblée  noctur- 
ne ,  qu'on  traitoit  de  chofe  nouvelle  ôc  odieufe.  On  difoit  que 
ces  gens  s'étoient  affemblez  la  nuit,  pour  y  faire  la  débauche, 
ôc  qu'après  le  repas ,  ils  avoient  commis  des  crimes  horribles  ; 
que  le  père  n'avoit  pas  eu  honte  d'avoir  commerce  avec  fa 
fille  ,  le  fils  avec  fa  mère ,  ôc  le  frère  avec  fa  fœur.  On  ajou- 
tait ,  qu'on  avoit  trouvé  des  tables  dreffées  ,  l'appareil  d'un 
feftin ,  ôc  des  tapis  qui  confervoient  encore  les  marques  tou- 
tes récentes  d'une  infâme  lubricité.  Pour  animer  encore  plus 
le  peuple  contre  eux ,  on  faifoit  exprès  courir  le  bruit  qu'ils 
avoient  facrifié  des  enfans.  Le  Roi  en  fut  averti ,  ôc  perfonne 
n'ofa  prendre  la  défenfe  de  ces  malheureux ,  de  peur  d'être 
foupçonné  du  même  crime.  Cependant  les  Religionnaires  s 
pour  fe  juftifier,  mirent  au  jour  un  écrit,  fous  le  titre  d' Apo- 
logie ,  où  ils  démontroient  la  fauffeté  de  ces  bruits  >  ôc  fai- 
foient  voir ,  par  le  témoignage  des  Pères  de  l'Eglife ,  que  les 
Payens  en  avoient  agi  autrefois  avec  les  premiers  Fidèles ,  de 
la  même  façon  que  les  Catholiques  en  ufoient  alors  à  leur 
égard.  Afin  que  le  Roi  eût  connoiflance  de  cette  Apologie  ; 

Z  iij 


l82 


HISTOIRE 


Le  Parle- 
ment de  Paris 
fait  mourir 
des  Religion- 
naires. 


,  ils  la  jetterent  dans  fon  appartement.  Antoine  de  Mouchi  * , 

Henri  II   théologien 3  inquiflteur  de  la  Foi ,  ôc  Robert  Cenalis  s  évêque 

x  -  f  _      d'Avranches ,  rirent  une  réponfe  à  cet  écrit.  Cependant  Jean 

Munier ,  lieutenant  civil ,  eut  ordre  de  faire  le  procès  aux  pri- 

fonniers. 

Le  Parlement  prit  connoiffance  de  cette  affaire  i  Nicolas 
Ciinet,  natif  de  Saintonge  ,  âgé  de  foixante  ans  3  qui  avoit  en- 
feigne  long-tems  dans  l'Univerfité  de  Paris  ,  ôc  Taurin  Gra- 
velle ,  avocat  au  Parlement ,  furent  brûlez  vifs ,  par  arrêt  de 
cette  Cour.  Philippine  Luns  de  Perigord ,  depuis  peu  veuve 
de  Graveron,  fut  étranglée  le  14.  de  Septembre z3  ôc  enfuite 
jettée  au  feu.  Quatre  jours  après  ,  Nicolas  le  Cène  3  Nor- 
mand y  médecin  de  profeflion  3  ôc  Pierre  Gambard  ,  Poitevin, 
furent  brûlez  >  François  de  Rebeziers  de  Staffort  né  dans  le 
Condomois ,  ôc  Frédéric  Danville ,  d'Oleron  en  Bearn  3  furent 
pendus ,  ôc  jettez  au  feu. 

Le  Parlement  avoit  interrogé  douze  autres  de  ces  accufez, 
ôc  le  tems  approchons  où  ils  dévoient  être  jugez,  lorfqu'une 
Dame  de  condition ,  qui  étoit  du  nombre  3  préfenta  une  re- 
quête au  Parlement  3  pour  qu'il  lui  fût  permis  de  recufer  les 
Juges-CommifTaires  3  ôc  quelques  -  autres  Confeillers,  ôc  pro- 
pofa  plufieurs  moyens ,  pour  appuyer  la  juftice  de  fa  deman- 
de. Tandis  que  le  Parlement  délibéroit  fur  cette  requête  , 
les  Suifles ,  ôc  les  Princes  Proteftans  d'Allemagne ,  envoyè- 
rent des  Députez  au  Roi  ,  pour  demander  la  grâce  de  ces 
infortunez ,  qui  profeffoient  la  même  Religion  qu'eux.  Le  Roi 
voyant  que  Philippe  venoit  de  jour  en  jour  plus  redoutable  , 
jugeant  d'ailleurs  ,  qu'il  auroit  befoin  du  fecours  des  SuifTes 
ôc  de  ces  Princes  d'Allemagne  3  permit  en  leur  confédération , 
que  le  Parlement  traitât  cette  Dame  avec  plus  de  douceur. 
On  élargit  quelques-uns  des  prifonniers ,  ôc  les  autres  furent 
renvoyez  devant  le  Juge  Eccléfiaftique.  Par-là ,  ces  malheu- 
reux échappèrent  au  fupplice  qui  leur  étoit  deftiné.  Les  Dames 
de  Rantigni  ôc  de  Champagne ,  femmes  de  la  première  qua- 
lité, dont  les  maris  n'étoient  pas  de  cette  Religion  ,  ôc  la 


i  Appelle'  Demochares. 

2.  II  y  a  dans  le  texte  XIX  Kal. 
VlIIbres  Ceft  une  faute  fenfible  ,  car 
il  ne   peut  y  avoit  dans  Septembre 


que  1 B  jours  avant  les  Calendes  d'Oc- 
tobre. On  a  juge'  à  propos  de  lire 
XVIII.  pour  XIX. 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XIX.        183 

Dame  d'Oûarti  ,   furent  mifes  dans  la  maifon  de  la  Reine 

Catherine.  •  ,  ,  .  Henri  II 

Le  Roi  fît  publier  cette  année  un  édit  auffi  favorable  à  la 
Religion  ,  qu'à  l'honnêteté  publique,  pour  défendre  les  ma- 
riages  clandeftins ,  conformément  au  droit  Romain.  Cet  édit  lef  mariages* 
déclaroit  nuls  tous  les  mariages  faits  fans  le  confentement  des  clandeftins. 
parties  contractantes ,  ôc  fans  celui  de  leurs  parens.  Il  per- 
mettoit  aux  pères  ôc  mères  de  déshériter  leurs  enfans  ,  s'ils  fe 
marioient  fans  leur  aveu.  Il  ordonnoit  aux  Juges  de  punir  , 
félon  la  rigueur  des  loix,  ceux  qui  auroient  procuré  ou  favo- 
rifé  de  pareils  mariages.  Il  y  avoit  cependant  cette  exception  : 
Si  les  garçons  avoient  trente  ans  paffez,  ôc  les  filles  vingt-cinq, 
ou  fi  les  mères  s'étoient  remariées  ,  les  enfans ,  en  ces  cas-là, 
dévoient  feulement  demander  confeil  à  leurs  parens,  ôc  n'é- 
toient  pas  obligez  néceltairement  de  le  fuivre.  -Auparavant , 
6c  furtout  en  Italie ,  il  étoit  permis  aux  enfans  ,  en  puiffance 
de  père  6c  mère,  de  fe  marier  fans  leur  confentement  :  enforte 
que  ces  mariages  clandeftins  étoient  valides  6c  légitimes  ;  ce 
qui  étoit  contraire  ,  non  feulement  aux  bonnes  mœurs ,  6c  à 
îa  tranquillité  publique,  mais  encore  à  la  focieté  civile,  6c  à 
îa  loi  Divine.  Cette  licence  étoit  alors  fi  commune ,  même 
en  France,  qu'il  fe  contractait  quantité  de  mariages  entre 
perfonnes  d'inégale  condition  >  ce  qui  deshonoroit  6c  rui- 
noit  en  même  tems  les  maifons  les  plus  confidérables. 

On  croit  communément  que  ce  fut  le  Connétable  de  Mont- 
morenci,  qui  pouffé  par  des  raifons  particulières,  engagea  le 
Roi  à  faire  publier  cet  édit.  Le  Connétable  craignoit  que 
François  fon  fils  aîné ,  qui  aimoit  éperduëment  Mademoifelle 
dePienne,  del'illuftre  maifon  d'Haluyn,  ne  fe  mariât  avec 
elle,  fans  fon  confentement  6c  à  fon  infçu.  Quelque  tems  au- 
paravant il  avoit  envoyé  fon  fils  à  Rome,  6c  avoit  fait  folliciter 
le  Pape  de  caffer  la  promette  de  mariage,  que  fon  fils  avoit  faite 
à  cette  Demoifelle.Mais  le  Pape  avoit  toujours  éludé  fa  deman- 
de, 6c  avoit  renvoyé  au  confiftoire  cette  affaire ,  comme  dou- 
teufe.  Le  Connétable ,  fuivant  le  confeil  de  fes  amis ,  ne  vou- 
lut pas  attendre  de  la  faveur  du  Pape  ce  qu'il  pouvoit  obte- 
nir par  l'autorité  du  Roi.  Ainfi  ,  comme  il  avoit  beaucoup  de 
créait  auprès  de  fon  maître ,  cet  édit  fut  fait ,  ôc  enfui'te  en- 
legiftré  en  Parlement  le  premier  de  Mars.  On  y  ajouta  (  en 


184  HISTOIRE 

faveur  du  Connétable  )  que  puifque  Fédit  étoit  conforme  à 
Henri  IL  la  loi  divine  ,  il  auroit  lieu  pour  le  paffé,  fi  le  mariage  n'étoit 
i  S  S  7*  Pas  encore  confommé.  Cet  édit  fut  différent  des  autres  ,  en 
ce  qu'il  étoit  rétroaclif ,  &  que  les  édits  des  Princes  n'ont  lieu 
feulement  que  pour  l'avenir.  Quoique  celui  -  ci  fût  très- 
jufte  en  lui-même  ,  bien  des  gens  cependant  i'appellerent 
un  édit  ambitieux.  Après  la  promulgation  de  cette  loi,  Fran- 
çois de  Montmorenci  avoiia  qu'il  avoit  fait  une  promeffe 
de  mariage  à  Mademoifelle  de  Pienne ,  mais  à  condition  que 
le  Connétable  fon  père  y  confentiroit.  Cette  promeffe  étant 
déclarée  nulle,  il  époufa  Diane  fille  naturelle  du  Roi,  ôc veu- 
ve d'Horace  Farnefe  duc  de  Caftro ,  qui  avoit  été  tué  au  fiége 
d'Hedin. 

On  fit  un  autre  édit  très-fevere,  pour  punir  les  mères,  qui 
avoient  la  cruauté  de  faire  périr  leur  fruit.  Cet  édit  fut  enre- 
gistré au   Parlement  le  3  de  Mars ,  tet  que  cette  Cour  l'a- 
voit  demandé.  Ce  crime  jufqu'alors  avoit  été  impuni  5  ôc  ce- 
pendant depuis  la  loi ,  il  n'a  été  que  trop  fréquent.   Il  arri- 
voit  que  fi  les  filles    devenoient  groffes ,  elles  avoient  foin, 
pour  ménager  leur  réputation ,  de  cacher  leur  groffeffe.  Souvent 
même ,  accumulant  crime  fur  crime ,  elles  jettoient  leurs  en- 
fans  dans  des  latrines ,  ou  les  faifoient  noyer  dans  quelque 
rivière ,  ôc  les  privoient  par  là  du  bâtême  &  de  l'honneur  de 
la  fépulture.    Si  quelquefois  ces    filles  ,  fur  le  foupçon    de 
cet  affreux  parricide  ,  étoient    citées  en  juftice  ,  elles  di- 
foient ,  pour  fe  juftifier ,  qu'elles  étoient  accouchées  d'un  en- 
fant mort  ;  &  comme  il  fe  trouvoit  rarement   des  preuves 
pour  les  convaincre,  elles  échapoient  au  fupplice  dû  à  Ténor- 
mité  de  leur  crime.   Le  fentiment  des  Juges  dans  ces  fortes 
d'affaires  étoit  prefque  toujours  partagé  >  les  uns  condamnoient 
à  mort  les  coupables  :  mais  le  plus  grand  nombre,  touché  de 
compafiion ,  étoit  d'avis  feulement  de  les  mettre  à  la  quef- 
tion ,  pour  leur  faire   déclarer  ,  fi  leur  fruit  étoit  venu  au 
monde  mort  ou  vivant.  Si  elles  avoient  affez  de  courage  pour 
fupporter  les  tourmens,  elles  étoient  renvoyées  fans  autre  pu- 
nition. Le  Roi  par  cet  édit  ordonna  que   toutes  celles  qui 
au  roient  caché  leur  groffeffe,  ou  quin'auroient  pas  de  témoins, 
qu'elles  étoient  accouchées  d'en  enfant  mort  ou  vif,  feroient 
punies  comme  coupables  du  meurtre  de  leur  enfant ,  s'il  n'y 

avoit 


DEJ.  A.   DETHOU,Lrv.  XIX.        18; 

avoit  pas  de  preuve  d'ailleurs ,  que  cet  enfant  eut  été  bâtifé, 
ou  enterré  félon  l'ufage  ordinaire.  Depuis  la  publication  de  Henri  IL 
cette  loi ,  il  n'y  a  pas  eu  de  crime  qui  ait  été  puni  avec  plus  i  5-  y  7. 
de  rigueur.  Afin  que  perfonne  ne  fe  faffe  une  excufe  de  fon 
ignorance ,  tous  les  jugemens  qui  fe  rendent  fur  cette  ma- 
tière portent ,  que  l'édit  fera  affiché  ôc  publié  à  fon  de  trom- 
pe dans  l'étendue  des  Jurifdictions  fubalternes ,  ôc  dans  toutes 
les  places  ôc  carrefours  publics,  ôc  que  les  Curez  en  feront 
la  lecture  au  prône.  Malgré  cela,  il  neft point  aujourd'hui  de 
crime  plus  ordinaire  :  il  ne  fe  pafTe  point  de  femaine  qu'on 
ne  juge  à  la  Tournelle  criminelle  une  ôc  même  pluiieurs  cou- 
pables d'une  action  fi  déteftable.  Tant  il  eft  vrai  que  la  crainte 
des  jugemens  du  monde  ,  ôc  la  mauvaife  honte  ont  plus  de 
pouvoir  fur  ce  fexe  foible  ôc  timide ,  que  la  crainte  des  fup- 
plices  ,  ôc  que  les  remords  de  la  confcience. 

Le  Roi ,  cette  même  année  ,  par  une  autre  déclaration,  qui    Edk  pour  la 
fut  donnée  à  Villiers-Cotterez  le  premier  de  Mai.  ôc  enre-  refidence  des 

•n    /     1  t»i  j  t-«    a  /r->        Eveques  Se 

giltree  le  17  au  Parlement,  ordonna  aux  Eveques  ôc  aux  Cu-  des  Cuicz. 
rez  ,  de  faire  leur  réfidence  dans  leurs  diocefes  ôc  dans  leurs  pa-  ' 
roifTes ,  ôc  de  prêcher  le  peuple  eux-mêmes  3  ou  d'avoir  des 
vicaires  qui  s'en  acquitaflent  à  leur  place.  En  cas  de  défobéif- 
fance  l'édit  les  privoit  de  leur  temporel.  Louis  XL  avoit  fait 
une  pareille  ordonnance  l'an  1476 ,  le  8  de  Janvier  3  au  Pleflls- 
lez-Tours.  Le  Roi  créa  en  même  tems  des  receveurs  dans 
tous  les  diocefes  du  Royaume ,  afin  de  lever  les  impofitions 
établies  pour  la  folde  de  cinquante  mille  hommes  d'infan- 
terie 3  ôc  les  décimes  qui  fe  prennent  fur  les  biens  de  l'Egli- 
fe ,  ôc  qui  entrent  dans  le  tréfor  royal ,  en  un  mot  tous  les  au- 
tres droits  extraordinaires.  Cet  édit  fut  porté,  le  6  de  Juillet , 
à  la  Chambre  des  Comptes  ôc  à  la  Cour  des  Aides. 

Le  Roi  fit  publier  ôc  enregistrer  en  Parlement  le  2  du  mois     Edit  tou- 
fuivantun  édit,  par  lequel  il  créoitun  Prefident  dans  tous  les  chantlesPié- 
Prélidiaux ,  qu'il  avoit  établis  depuis  fix  ans  dans  chaque  Gou-   l  iaux' 
vernement.  Il  donnoit  pouvoir  à  ces  Cours  de  juger  en  der- 
nier reffort,  ôc  fans  appel,  touchant  les  héritages  ôc  biens  im- 
meubles, dont  le  revenu  pouvoit  aller  à  cinquante  livres,ôc  tou- 
chant les  effets  mobiiiaires  de  la  valeur  de  mille  livres.  Déjà, 
fous  prétexte  d'équité ,  on  avoit  ouvert  un  chemin  à  la  fean- 
daleufe  vénalité  des  charges  :  faut-il  s'étonner  fi  les  magiltrats 
Tom.  III.  A  a 


3S£  HISTOIRE 

fubalternes  commencèrent  alors  à  vouloir  fe  revêtir  de  grands 
Henri  IL  titres  ? 
i  S  S  7-  Ce  fiécle  d'or  avoit  vu  fleurir  en  Italie  P.  Bembo,  A.  Na- 
Mortdeplu-  vagero,  B.  Egnazio  ,  Henri  Fracaftor,  ôc  quantité  d'autres 
««""célébrés  ^eaux  efpriîs-  La  République  des  Lettres  perdit  cette  année 
dans  la  litte-  celui quireftoit  encore,  je  veuxdire,  J.BrRamufio, filsdu  jurif- 
rature.  fu[te  .  jj  £tQ-lt  fort  verfé  dans  les  langues  Grecque  ôc  Latine  , 

ôc  avoit  acquis  beaucoup  d'expérience  dans  les  affaires.  La 
République  de  Venife  ,  qui  connoiffoit  fon  mérite,  l'avoit 
employé  pendant  quarante-trois  ans  ,  dans  les  affaires  de  la 
plus  grande  importance.  Il  s'étoit  toujours  diftingué  dans  les 
emplois  qu'il  avoit  eus  ,  foit  en  qualité  de  Secrétaire,  foit  à 
la  fuite  des  Ambafladeurs  que  cette  République  avoit  envoyez 
en  différais  tems  à  des  Princes  étrangers.  C'eft  à  fes  foins  que 
nous  devons  la  connoiffance  de  différais  voyages  fur  mer , 
dont  il  a  fait  un  receùil ,  qu'il  a  enrichi  de  préfaces  fçavantes , 
ôc  furtout  d'un  difcours  Phyiique  fur  le  débordement  du  NiL 
Les  anciens  ont  fouvent  traité  cette  matière ,  fur  laquelle  les 
modernes  n'ont  encore  que  fort  peu  de  lumières.  Il  dédia  cet 
ouvrage  à  Fracaflor ,  avec  qui  une  conformité  de  goût  ôc 
d'études  l'avoit  étroitement  lié.  Il  avoit  aufîi  commencé  un 
traité  qu'il  a  laifïé  imparfait,  fur  le  flux  ôc  le  reflux  de  la  mer  ; 
queftion  que  plufieurs  Sçavans  ont  vainement  tâché  d'appro- 
fondir. Enfin ,  fe  voyant  dans  un  âge  avancé ,  il  demanda  fon 
congé  à  la  République,  à  qui  il  avoit  rendu  jufqu'alors  de 
grands  fervices ,  Ôc  l'ayant  obtenu  ,  il  paffa  le  refte  de  fes  jours 
à  Padouë,  où  il  mourut  âgé  de  foixante  ôc  douze  ans.  Son 
corps  fut  tranfporté  à  Venife ,  ôc  enterré  dans  l'églife  de  fainte 
Marie  des  jardins. 

Sur  la  fin  de  cette  année, Nicolas Tartalea, de  Brefle,  finit 
fes  jours  à  Venife.  Il  s'eft  rendu  célèbre  par  le  bel  ouvrage 
qu'il  a  compofé  fur  les  nombres  ôc  les  mefures ,  ôc  qu'il  a 
diftribué  en  fix  livres,  ôc  par  plufieurs  autres  écrits  fur  Eucli- 
de.  Il  a  éclairci  ôc  corrigé  ce  que  le  moine  Luc  de  Bruges 
avoit  écrit  fur  cette  matière.  Cet  auteur ,  à  l'imitation  de  Jé- 
rôme Cardan ,  a  traité  avec  efprit  plufieurs  queftions ,  ôc  a 
toujours  employé  la  façon  de  calculer,  qui  eft  en  ufage  parmi 
les  négocians. 

Pierre  Nannius ,  natif  d'Alkmar  en  Hollande  ,  décéda  & 


DE   J.   A.   DE  THOU  Liv.  XIX.         187 

Louvain  le  21  de  Juillet,  âgé  de  cinquante-fept  ans.  Il  avoit  " 

enfeigné  en  cette  ville  fort  long  -  tems  ,  ôc  avec  beaucoup  Henri  IL 

de  réputation,  les  langues  Grecque  ôc  Latine,  dans  le  Collège     l  S  S  7- 

de  Bufleiden  *,  Il  nous  a  laiffé  quantité  de  beaux  ouvrages, 

qui  ont  fort  contribué  à  l'avancement  des  belles  Lettres.  I! 

fut  enterré  dans  la  principale  églife.  Sigifmond-Frederic  Fug- 

ger  prononça  fon  oraifon  funèbre.  Corneille  Valere  Oudewa- 

ter ,  Hollandois ,  qui  fut  mis  en  fa  place  ,  s'acquit  beaucoup 

de  gloire,  ainfi  que  fon  prédecefleur ,  par  la  politefTe  de  fon 

efprit ,  ôc  par  fes  vaftes  connoiffances  :  il  mourut  l'an  15-88. 

Vitus  Amerbach ,  né  à  Wedingen  en  Bavière ,  après  avoir 
enfeigné  la  Philofophie  dans  l'Univerfité  d'Ingolftad,  mourut 
îe  13  de  Septembre  âgé  de  70  ans.  Nous  ne  pafferons  pas  fous 
filence  Macrin  de  Loudun2,  qui  mourut  chez  lui  accablé  de 
vieilleffe.  Il  fit  refleurir  parmi  nous  la  poëiie  ,  qui  avant  lui 
avoit  été  fort  négligée ,  ôc  à  laquelle  il  s'étoit  fort  appliqué 
dans  fa  jeuneffe.  Ce  fçavant  homme  avoit  commencé  fes  étu- 
des fous  le  Fevre  3  d'Eftaples.  Il  fut  tiré  enfuite  de  l'Univerfité , 
pour  être  précepteur  de  Claude  ôc  d'Honorat  de  Savoye ,  fils 
de  René  de  Savoye  comte  de  Tende.  Ce  pofte  lui  donna  ac- 
cès à  la  Cour,  où  il  devint  ami  des  Seigneurs  du  Bellai,  qui 
par  leur  mérite  avoient  acquis  beaucoup  de  crédit  auprès 
de  François  premier.  11  fut  en  grande  liaifon  avec  le  cardinal 
du  Bellay ,  à  qui  il  dédia  quantité  de  vers  liriques ,  que  nous 
lifons  aujourd'hui  avec  admiration  -,  car  c'eft  en  quoi  Macrin 
excelloit.  On  eftime  furtout  ceux  qu'il  fit  fur  les  chaftes  amours 
de  fa  Gelonis  ,  lors  qu'ennuyé  du  célibat  il  réfolut  de  fe  marier. 
31  l'époufa  en  effet,  ôcen  eutplufieurs  enfans.  L'aîné  qui  s'ap- 
pelloit  Charilaùs  fut  aufïl  bon  Poëte  que  fon  père  ;  mais  il  le 
furpaffa  dans  la  connoiffance  de  la  langue  Grecque.  Par  le  cré- 
dit de  fa  mère ,  il  devint  précepteur  de  Catherine  fœur  de 
Henry,  alors  roi  de  Navarre.  Il  périt  malheureufement  à  Paris  s 
avec  plufieurs  autres  dans  le  tems  des  troubles. 

Angelo  Caninio  d'Anghiari  mourut  à  peu  près  en  ce  tems- 
là.  Ce  grand  homme  pofTedoit  parfaitement ,  non-feulement  les 


1  Jérôme  Bufleiden  fonda  ce  Col- 
lège au  commencement  du  feiziéme 
fiécle,  pour  y  enfeigner  le  Latin,  le 
Grec  &  l'Hébreu.  On  l'appelle  pour 


cela  Callegium  triton  lingtiarum ,  &  en 
Flamand  dry  tonghen. 

z  On  l'appelloit  vulgairement  Mikron» 

l  Ou  Faber. 

Aaij 


x88    HISTOIRE   DE   J.  A.  DE  THO  U,&c. 

langues  Grecque  ,  Latine  a  ôc  Hébraïque  ,  mais  encore  la  Sy- 
Henri  IL  riaque  ôc  toutes  les  langues  Orientales.  Il  enfeigna  long-tems 
i  <  <  7.     ces  tangues  à  Padouë  ,  à  Venife,  à  Boulogne ,  ôc  enEipagner 
De  là  il  entra  chés  André  Dudith  Hongrois,  fi  renommé  de- 
puis par  fon  grand  fçavoir  Ôcpar  fes  ambalTades.  Au  fortirde 
chez  Dudith ,  Caninio  enfeigna  à  Paris  ;  Ôc  enfin  fur  la  fin  de 
fes  jours,  il  trouva  un  azile  dans  la  maifon  de  Guillaume  Du- 
prat  évêque  de  Clermont,ôc  mourut  en  Auvergne. 
Maladie  II  fe  répandit  cette  année  une  nouvelle  efpéce  de  maladie; 

contagieufe&  qUi  fit  de  grands  ravages,  furtout  en  Efpagne;  on  l'appeîloit 
ingu  ici  fièvre  Pon£ticulaire ,  à  caufe  des  petites  taches  qui  paroifibient 
fur  le  corps  de  ceux  qui  en  étoient  attaqués ,  taches  différen- 
tes de  celles  qui  paroiffent  dans  les  fièvres  pourpreufes.  Cette 
maladie,  qui  étoit  du  genre  des  putrides ,  a  été  inconnue  aux  an- 
ciens 5  elle  étoit  maligne  ôc  épidemique,  ôc  relTembloit  affés  à 
la  pefte.  Elle  n'étoit  pas  néanmoins  entièrement  contagieufe  ; 
elle  ne  fe  communiquoit  point  par  la  refpirarion  ,  mais  feule- 
ment par  l'attouchement.  Il  n'y  avoit  aucune  partie  du  corps 
où  elle  s'attachât  particulièrement.  Son  principe  étoit  tantôt 
dans  la  bile ,  tantôt  dans  la  pituite  3  ôc  tantôt  dans  l'humeur 
mélancholique  h  ça  été  au  moins  le  fentiment  de  Louis  de  Toro 
Médecin  de  Plaifance  :  d'autres  Médecins  ont  penfé  différem- 
ment. Cette  maladie  populaire,  après  avoir  fait  de  grands  ra- 
vages en  Efpagne ,  alla  en  diminuant  jufqu'à  l'année  1 570  ;  mais 
peu  de  tems  après  la  guerre  de  Grenade  ,  elle  commença  à 
renaître ,  Ôc  fit  périr  beaucoup  de  monde.  Elle  devint  enfin 
aufli  commune  dans  l'Ifle  de  Chypre  ôc  en  Afie  ,  qu'elle  l'é- 
toit  en  Europe. 

Jean  B.  Adriani  rapporte  que  la  fièvre ,  que  les  Florentins  ap- 
pellent Petecchie  3  ôc  qui  Tannée  précédente  avoit  fait  de  grands 
ravages  fur  les  côtes  de  la  mer  de  Tofcane  ,  fe  répandit  dans 
toute  l'Italie.  Il  dit  aufli  que  les  perfonnes ,  qui  étoient  atteintes 
de  cette  fièvre ,  avoient  la  peau  couverte  de  taches  livides  ,  ôc 
que  cette  maladie  n  étoit  différente  de  la  pefte ,  qu'en  ce  qu'elle 
n'étoit  pas  fi  contagieufe. 

Fin  du  dix-neuvième  Livre. 


i8y 


**>^ 


9§ 


«   EU  «®§ 


U  Soooo^^ooo^^ooo^^ooo^poooit^ooo^^oooo^lîooooë  21 


HI  STO 


D  E 

JACQUE     AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 


LIVRE    VINGTIEME. 

MMhM>S^j^S;^AÀmv;Mi&  U  i  l  me  ioit  permis  de  deiaiier  .  par 

P  #  •&  #  #  #  4c  <i  quelques  traits  de  l'hiftoire  étrangère ,  Henri  il. 

*  mmmm  &  i  le  le&eur,  qu'une  longue  &  trille  nar-     i  5  5  7- 

*  ^  /""*\  ^  #  $*  ration  a  peut-être  fatigué,  ôc  d'éloigner 

*  8  V^J  8  *  ®  ^e  ^on  e^Pr!t  ^es  ^flexions  fâcheufes 


m 

m 

as 


fur  la  fituation  de  nos  affaires  ,  en  ra- 


,,   ^  ^,  «  «  .,  ^  portant  des  evenemens  plus  agréables, 

&  ou  au  moins  qui  s  étant  paliez  dans  des  „ 
^^a&<ss^|£»s^^»m  payis  éloignez ,  feront  moins  capables 
de  nous  affliger.  J'ai  parlé  fort  au  long  dans  le  feptiéme  livre 
des  differens  royaumes  des  deux  Mauritanies  3  ôc  du  commen- 
cement de  l'Empire  des  Cherifs  dans  ces  contrées  :  ainfi  il 
me  paroît  à  propos  d'en  continuer  l'hiftoire  ,  puifque  ce  fut 
en  cette  année ,  que  leur  domination  s'affermit  fur  la  plus  gran- 
de partie  de  l'Afrique.  Affaires  de 

Buhaçon  étoit  venu  à  Aufbourg  trouver  l'Empereur ,  comme  Maroc. 

A  a  iij 


fto  HISTOIRE 

,  nous  l'avons  dit,  ôc  étoit  retourné  en  Efpagne  avec  îe  roi 
Henri  II  Phihppe*  Peu  de  tems  après  Muiey-Bucar  qui  le  joignit ,  ôc 
quelques  habitans  de  Fez  qui  lui  écrivirent ,  l'avertirent  de 
faire  approcher  de  Vêlez  le  plus  de  troupes  qu'il  lui  feroit 
poffible.  Buhaçon  voyant  qu'il  ne  pouvoit  efperer  aucun  fe- 
cours  des  Efpagnols ,  eût  recours  aux  Portugais.  Le  roi  Jean ■ 
lui  fournit  de  l'argent  ,  ôc  il  partit  de  Portugal  en  1553.  Il 
entra  avec  fa  flotte  dans  le  port  Alhuzemas  ,  ôc  dès  qu'il  eût 
pris  terre  ,  il  en  vint  aux  mains  avec  les  Barbares  des  contrées 
voifines  >  ôc  principalement  avec  les  habitans  de  la  vallée  de 
Botoya  ,  Ôc  des  Montagnes  de  la  Gomera.  Pendant  qu'on 
combattoit,  Salh-Rais,  ennemi  de  la  puiflance  des  Cherifs, 
qui  commandoit  dans  Alger  au  nom  de  l'Empereur  Soliman, 
palTa  par  hazard  dans  cet  endroit ,  avec  dix-huit  vaifïeaux  bien 
équipez ,  en  revenant  du  détroit  de  Gibraltar,  Ayant  recon- 
nu des  vaifleaux  Chrétiens  dans  ce  port,  il  les  attaqua  fur  le 
foir,  ôc  après  un  combat  qui  dura  pendant  toute  la  nuit.»  ilfe 
rendit  maître  de  la  flotte  entière.  Buhaçon  s'échapa,  ôc  fe 
plaignit ,  que  Salh-Rais  fe  fût  déclaré  contre  lui ,  dans  le  tems 
qu'il  étoit  lui-même  en  guerre  avec  le  Cherif  5  mais  celui-ci 
lui  reprocha  avec  aigreur ,  qu'il  avoit  employé  le  fecours  des 
Chrétiens  pour  attaquer  le  Cherif,  quoiqu'il  fût  leur  ennemi 
commun,  au  lieu  d'avoir  recours  aux  Turcs  ,  dont  il  pouvoit 
employer  les  forces  pour  cette  expédition  ,  avec  plus  debien- 
féance  ôc  de  fureté,  fans  bleffer  ni  fa  confcience,  ni  Ion  honneur. 
Enfin  Buhaçon  traita  avec  Salh-Rais  ,  ôc  fe  rendit  à  Alger,  où 
non  feulement  il  paya  la  rançon  de  tous  les  efclaves  Chrétiens, 
mais  encore  il  convint  avec  Salh-Rais  que  ce  dernier  fe  char- 
geroit  lui-même  de  la  guerre  de  Fez ,  avec  les  troupes  auxi- 
liaires des  Turcs ,  à  condition  que  Buhaçon  les  payeroit  pen- 
dant quarante  jours  ,  à  raifon  de  mille  écus  d'or  par  jour , 
dont  il  donna  caution  ;  ôc  que  fi  l'on  fe  rendoit  maître  de 
cette  ville  ,  tous  lesthréfors  qu'on  y  trouveroit  /feroientpour 
les  Turcs.  Salh-Rais,  après  ce  traité,  ie  rendit  à  Tremecen  avec 
quatre  mille  hommes,  ôc  douze  canons.  Muley  Amar,  fei- 
gneur  de  Dubudu  ,qui  étoit  à  Melilla  >  fe  joignit  à  lui ,  pour 
reprendre  avec  le  fecours  des  Turcs  ,  ce  que  le  Cherif  lui 
avoit  enlevé. 
1  Jean  III, 


DE   J.  A,  DE  THOU,  Liv.  XX.  jj>i 

Le  Cherif  Mahamet  éroit  alors  occupé  à  la  guerre  contre 


••ni  MHRMWM 


les  barbares  de  Derenderen.  Dès  qu'il  eût  appris  l'arrivée  de  Henri  IL 
Salh-Rais,  qui  marchoit  contre  Fez,  il  s'y  rendit  à  grandes  1557. 
journées  :  enfuite  il  envoya  devant  à  Tezar ,  fur  la  frontière 
des  royaumes  de  Fez  Ôc  de  Tremecen ,  les  troupes  qu'il  avoit 
affemblées  de  toutes  parts ,  ôc  campa  proche  les  murs  de  la 
ville ,  011  il  fçavoit  que  les  ennemis  dévoient  paffer.  Il  y  refta 
pendant  plus  de  cinquante  jours  :  mais  Muley-Nacer }  ôc  Ma- 
hamet }  fils  de  Buhaçon  ,  qui  s'étoient  retranchez  dans  les 
montagnes  voilines  de  Matagara ,  d'où  ils  faifoient  des  cour- 
fes  de  tous  cotez  ,  Ôc  enlevoient  les  marchands  ,  ôc  ceux  qui 
alloient  au  fourage ,  le  contraignirent  d'abandonner  ce  pofte , 
par  ledéfaut  de  vivres,  &  de  fe  retirer  plus  avant  dans  le  payis , 
après  qu'il  eut  mis  deux  cens  hommes  de  garnifon  dans  Te- 
zar ,  avec  Meluco  pour  les  commander. 

Peu  s'en  fallut  que  Salh-Rais  ne  prévînt  le  départ  de  Ma- 
hamet. Dès  qu'il  parut  ,  les  habitans  de  Tezar  fe  rendirent, 
à  condition  que  Meluco  &  la  garnifon  auroient  la  vie  fauve; 
il  laiflfa  dans  la  ville  une  garnifon  de  deux  cens  Turcs,  ôc  com- 
me il  avoit  beaucoup  d'infanterie ,  il  prit  la  route  de  Fez  par 
des  chemins  montagneux  ôc  difficiles  ,  afin  d'éviter  la  nom- 
breufe  cavalerie  du  Cherif ,  qui  occupoit  la  plaine.  Il  battit 
dans  des  défilez  Muley  Abdaîa,  qui  conduifoit  l'arriere-garde, 
ôc  lui  prit  tous  fes  bagages  ôc  fes  équipages;  enforte  que  le  Che- 
rif fon  père  fut  contraint  de  marcher  toute  la  nuit  ôc  le  jour 
fuivant,  pour  fe  retirer  à  Fez,  ôc  de  s'enfermer  dans  la  ville. 

Salh-Rais  campa  enfuite  fur  le  rivage  du  fleuve  Cebu  :  le 
Cherif,  qui  fe  défioit  de  la  fidélité  des  habitans  de  Fez,  fut 
obligé  d'envoyer  au  Turc  ,  pour  lui  préfenter  la  bataille ,  par 
la  feule  néceffité  où  le  réduifoit  le  mauvais  état  de  fes  affai- 
res. Les  habitans  de  Fez  ont  un  droit  particulier  :  ils  peuvent 
capituler  avec  un  ennemi  qui  s'avance  jufqu'à  une  lieuë  de 
leur  ville  ,  avec  une  armée  affez  confidérable  pour  s'en  empa- 
rer, fans  qu'on  puifTe  les  accufer  d'être  infidèles  à  leur  Prince, 
lorfqu'il  n'eft  pas  en  état  de  lui  livrer  bataille. Les  rois  de  Fez  eux- 
mêmes  leur  ont  accordé  ce  privilège ,  ne  croyant  pas  que  cette 
ville  riche  ôc  opulente  dût  être  expofée  au  pillage  ôc  à  tous  les 
dangers  de  la  guerre ,  en  foûtenant  inutilement  un  fiége ,  par  une 
vaine  orientation  d'attachement  ôc  de  fidélité.  Ainfi  le  Cherif 


i9i  HISTOIRE 

BsimaaMa  réglant  fes  defiêins  fur  les'  circonftances  prefentes  ;  réfolut 
Henri  IL  d'attaquer  Salh-Rais ,  dont  les  troupes  étoient  fatiguées ,  ôc  dif- 
i  S  S  7'  perfées  en  difFerens  endroits.  Il  fortit  donc  de  la  ville  avec 
huit  mille  chevaux  'de  Sus ,  ôc  craignant  que  Haly ,  capitaine 
de  fes  gardes  Turcs  ,  ne  tramât  fecretement  quelque  confpira- 
tion  contre  lui,  il  lui  fit  trancher  la  tête.  Ayant  rangé  en  ba- 
taille toute  fon  armée  compofée  de  quatre- vingt  mille  che- 
vaux; il  campa  fur  le  chemin  de  Dubudu  3  à  deflein ,  ou  d'ar- 
rêter Salh-Rais  dans  fa  marche ,  ou  de  le  mettre  en  fuite ,  lorf- 
qu'il  feroit  occupé  à  palier  le  gué.  Il  feflattoit  de  réûffiravec 
d'autant  plus  de  facilité ,  qu'il  fe  fouvenoit  d'avoir  huit  ans 
auparavant  défait  fans  peine  ôc  par  le  même  moyen  le  roi 
de  Fez  à  Buacuba.  Il  (it  prendre  les  devans  aux  huit  miile  che- 
vaux de  Sus ,  qui  s'avancèrent  jufques  fur  les  bords  de  la  rivière, 
dont  il  n'y  avoit  que  la  largeur  qui  féparât  les  deux  armées. 
Salh-Rais  s'en  apperçut ,  ôc  comme  il  avoit  pris  la  réfolution  de 
faire  tous  fes  efforts  pour  paffer  le  gué ,  il  braqua  fes  douze  pie- 
ces  d'artillerie  contre  les  troupes  du  Cherif,  ôc  fit  en  même- 
tems  entrer  dans  le  gué  fes  cavaliers ,  chacun  avec  un  arque- 
bufier  en  trouffe. 

Dès  que  le  fignal  fut  donné ,  les  Turcs  fe  jetterent  dans  l'eau 
avec  tant  d'ardeur ,  qu'à  la  faveur  du  canon  qui  tiroit  fur  les 
troupes  du  Cherif  ,  ôc  qui  les  avoit  obligées  de  fe  mettre  à 
couvert  derrière  une  éminence  ,  ils  gagnèrent  prefque  tous, 
fans  faire  aucune  perte  ,  le  rivage  oppofé  ;  ils  s'y  retranchè- 
rent auiïi-tôt ,  ôc  furent  toute  la  nuit  fous  les  armes.  Le  lende- 
main le  Cherif  fit  fortir  fes  troupes  ôc  les  rangea  en  bataille  :  il 
les  avoit  divifées  en  trois  corps ,  avec  l'un  defquels  Muley  Ab- 
daîa  eut  ordre  de  fe  porter  à  Dardubag ,  petit  village  qui  eft 
proche  du  grand  chemin  :  le  Cherif  lui-même  fe  plaça  dans  la 
plaine  de  l'autre  côté  du  chemin  ,  avec  le  fécond  corps  de 
troupes  :  le  troifiéme  étoit  au  milieu  du  même  chemin  :  il  y 
avoit  fait  faire  un  foffé  de  communication  de  l'un  à  l'autre ,  6c 
avoit  drelfé  en  cet  endroit  une  batterie  de  douze  pièces  de  canon. 
Salh-Rais  partagea  fes  troupes  en  deux  efcadrons  qui  mon- 
toientenviron  à  douze  mille  hommes  ,  la  plupart  archers.  L'un 
de  ces  corps,  qui  formoit  Pavant-garde ,  fut  mis  fous  la  conduite 
de  Buhaçon  ôc  du  Seigneur  de  Dubudu.,  avec  ordre  de  marcher 
vers  Zefero,  ahn  que  pendant  que  le  Cherif  s'obftineroit  à 

défendre 


DE  J.   A.   DE  THOU,  Liv.    XX.       ipj 

défendre  cette  place,  Salh-Rais  lui-même  pût  s'emparer  de  Dar-     ;  gjgjjg;*^ 
dubag,  qui  n'avoit  point  de  garnifon,  d'où  enfuite  il  pourroit  pé-  f£ENRI  jj 
nétrer  jufqu'au  centre  du  Royaume  par  des  chemins  difficiles  ,     .  ^  f  _ 
fans  craindre  les  infultes  de  la  nombreufe  cavalerie  du  Cherif. 
Un  heureux  fuccès  fuivit  un  projet  fi-bien  concerté.    Car  la 
cavalerie  de  Sus  s'étant  mife  en  marche  pour  défendre  Zefero, 
Salh-Rais  avec  fes  arquebufiers  fe  rendit  maître  de  Dardubag  : 
il  reçut  cependant  quelque  échec  à  fon  retour  j  car  la  même  ca- 
valerie  lui  prit  trois  pièces  de  campagne. 

Le  fignai  du  combat  fut  bien-tôt  donné  :  les  armées  étoient 
prêtes  à  fe  mêler ,  lorfque  le  Cherif  s'apperçut  que  fes  Gardes 
Turcs  tiroient  à  coups  perdus.  Cela  lui  fit  craindre  une  trahifon  ; 
c'eft  pourquoi,  il  leur  fit  faire  alte,  &  fit  marcher  devant  eux 
les  Renégats  5  on  appelle  de  ce  nom  ceux  qui  quittent  la  Re- 
ligion Chrétienne  pour  embrafTer  la  Religion  Mahometane  : 
mais  cette  précaution  fut  trop  tardive  ;  car  les  gardes  Turcs , 
gagnés  par  Caraguardi  de  Malaga  leur  capitaine  3  arrachèrent 
l'étendart  du  Cherif,  ôc  l'ayant  abattu ,  comme  pour  fervir  de 
fignai  à  leurs  camarades ,  ils  fe  jetterentfur  les  Renégats,  &  après 
en  avoir  tué  un  grand  nombre  ,  ils  mirent  le  refte  en  fuite. 
Dans  le  même-tems  Salh-Rais  Attirer  le  canon  fur  les  ennemis , 
ôc  les  Turcs  tombèrent  de  tous  cotez  des  éminences  voifines 
fur  les  troupes  du  Cherif,  qui  déjà  étoient  écartées.  Le  Che- 
rif lui-même  fut  obligé  de  fuir ,  avant  d'être  entièrement  enve* 
îoppé ,  ôc  fe  retira  ,  avec  ceux  de  Maroc  ôc  de  Sus  ,  dans  Fez 
la  neuve  :  ceux  de  Fez  avoient  pris  la  fuite  avant  lui ,  ou  s'é- 
toient  retirés  dans  Fez  la  vieille.  Les  Turcs  les  fuivirent  ; 
mais  la  pourfuite  fut  moins  vive  ,  parce  qu'ils  gardèrent 
toujours  leurs  rangs  :  ainfi  ils  trouvèrent  les  portes  fermées 
avant  leur  arrivée.  La  plupart  des  amis  de  Buhaçon  aban- 
donnèrent le  Cherif,  &  fe  joignirent  aux  Turcs. 

Dès  que  le  Cherif  fut  entré  dans  Fez  la  neuve  ,  il  ordonna  à 
Abdala  fon  fils  defe  pofter  dans  la  vieille  ville  avec  fa  cavalerie. 
Cet  ordre  fut  exécuté  avec  diligence  ;  Abdala  trompant  l'attente 
de  tout  le  monde ,  fit  faire  feu  fur  les  Turcs ,  &  par  fa  fiere  con- 
tenance fit  croire  qu'il  vouloit  foûtenir  un  fiége.  Salh-Rais  en 
fut  indigné  contre  Buhaçon ,  comme  fi  ce  dernier  n'eût  eu  que 
des  efpérances  mal  fondées  de  prendre  la  ville  :  mais  Buhaçon, 
pour  faire  voir  qu'il  ne  s'étoit  point  flatté  vainement ,  demanda 
Tome  III,  Bb 


iM  HISTOIRE 

■  i    ..  à  Salh-Rais  cinq  cens  JanifTaires.  Dès  qu'il  les  eut  obtenus  ; 

Henri  II   ^  ^t  d°nner  l'affaut ,  ôc  après  avoir  rompu  les  portes  de  la  ville , 

.  '  ^        il  fe  jetta  dedans  avec  fes  troupes.  Abdala  ,  qui  fe  défioit  de 

la   fidélité  des  habitans  ,  fe  fauva  par  une  faufle  porte  ,   ôc 

fe  retira  auprès  de  fon  père  dans  Fez  la  neuve.  Le  Cherif  ne 

fut  point  étonné  de  ce  péril  :  il  conferva  toute  fa  prefence  d'ef- 

»  ^eft.à.    prit.  Ayant  mis  aux  portes  Ali-ben-Bubcar  *  pour  les  garder  ; 

«Jire  Bnbcar  il  entra  dans  le  ferrail  >  ôc  ordonna  à  toutes  fes  femmes  de  fe 
d  AlL  fauver  fur  des  chevaux ,  avec  ce  qu'elles  avoient  de  plus  pré- 
tieux.  Le  Cherif  monta  lui-même  fur  le  plus  vigoureux  de  fes 
chevaux  ,  ôc  ayant  pris  un  bouclier  ôc  mis  l'épée  à  la  main , 
il  fortit  de  la  ville  par  une  fauffe  porte  ,  abandonnant  tous 
fes  thréfors  ,  que  ceux  de  Fez  pillèrent  le  même  jour.  Dès  que 
Bubcar ,  que  le  Cherif  avoit  laiffé  pour  la  garde  de  la  ville,  eut 
jugé  que  fon  maître  étoit  en  fureté ,  il  commença  à  parlemen- 
ter avec  Salh-Rais  ,  ôc  lui  ouvrit  les  portes  de  la  ville,  après  avoir 
pourvu  par  une  capitulation  à  fa  fureté  ,  ôc  à  celle  des  habitans. 
Salh-Rais  étant  maître  desdeux  Fez,  fit  proclamer  Roi  Merini 
fils  d'Oataz,  après  avoir  fait  emprifonner  Buhaçon  ,  à  la  per- 
fuafion  de  Laadel ,  de  Cacen  Zarahoni ,  ôc  de  Muley  -  Maha- 
metBarrax,  les  trois  principaux  gouverneurs  du  Royaume,  ôc 
les  ennemis  mortels  de  Buhaçon ,  qu'ils  accufoient  d'être  fecre- 
tement  d'intelligence  avec  les  Chrétiens.  Le  bruit  courut  qu'on 
avoit  maffacré  ce  dernier  :  aufli-tôt  les  habitans  du  vieux 
Fez  fe  foûleverent  ?  la  fédition  alla  fi  loin,  qu'on  fut  obligé  de 
leur  faire  voir  Buhaçon ,  pour  les  affùrer  qu'il  étoHt  encore  vi- 
vant h  mais  le  feul  afpe£t  de  ce  Prince ,  qu'on  leur  prefentoit 
comme  un  fantôme ,  ne  put  les  appaifer  ;  ils  voulurent  en- 
core le  voir  libre  :  Buhaçon  fut  donc  mis  en  liberté  ,  ôc  Salh- 
Rais  fut  obligé  de  dépofer  Merini  fils  d'Oataz ,  ôc  de  mettre 
Buhaçon  fur  le  Thrône  :  il  conçut  tant  de  dépit  de  s'être 
trouvé  réduit  à  cette  néceffité ,  qu'il  envoya  Ali-ben-Bubcar 
au  Cherif  qui  étoit  à  Maroc,  fous  prétexte  défaire  un  échan- 
ge des  femmes  de  Buhaçon  qui  étoient  refiées  à  Sus  ,  ôc  de 
celles  du  Cherif  ,  qui  étoient  tombées  entre  les  mains  des 
Turcs  ,  dans  la  prife  de  Fez ,  mais  en  effet  pour  l'exciter  à  en- 
treprendre le  recouvrement  de  cette  ville ,  ôc  l'affûrer  qu'il  ne 
devoit  rien  craindre  de  la  part  de  Salh-Rais,  qui  lui  promet- 
toit  de  ne  donner  dans  la  fuite  aucuns  fecours  à  Buhaçon.  Ainf] 


DE   J.   A.  DE   THOU.Lrv.   XX         faf 

Salh-Rais  après  avoir  exige  une  once  d'argent  de  chaque  mai-    ■     m 
fon  de  Fez  ,  pour  punir  les  habitans  d'avoir  pris  les  armes  con-  JJENR1  JJ. 
tre  les  Turcs ,  en  partit  le  premier  d'Avril  avec  de  riches  dé-     x  -  -  7 
poùilles,  6c  un  butin  immenfe.  Il  entra  enfuite  comme  en  triom- 
phe dans  Alger  ,  après  avoir  employé  quarante  jours  à  cette 
expédition. 

Peu  de  tems  après ,  le  gouverneur  de  Penon  de  Vêlez  re- 
mit cette  Place  à  Mahamet  fils  de  Buhaçon.  Salh-Rais  la  re- 
demanda auffi-tôt  à  ce  dernier.  Mais  il  refufa  de  la  rendre, 
fous  différens  prétextes ,  6c  entr'autres ,  parce  que  fon  fils  s'y 
oppofoit.  Le  Turc  en  fut  irrité  ,  ôc  donna  ordre  au  corfaire 
Yahaya ,  qui  croifoit  fur  ces  mers  avec  quinze  galères  ,  de 
s'emparer  de  cette  Place  par  quelque  moyen  que  ce  fut.  Le 
Coriaire  enleva  Mahamet,  qui étoit  forti  de  la  ville  pour  fe 
promener  ,  6c  le  traita  avec  tant  de  dureté  ,  que  ce  dernier 
jugea  qu'il  n'avoit  point  d'autre  parti  à  prendre,  pour  fe  tirer 
des  mains  de  ce  barbare ,  6c  avoir  fa  liberté,  que  de  lui  remet- 
tre la  Place.  Ainfi  les  Turcs  fe  rendirent  maîtres  de  cette  ville, 
6c  elle  a  été  fous  leur  domination ,  jufqu'à  ce  que ,  quelques 
années  après ,  les  Chrétiens  la  conquirent  fur  eux ,  fous  lesauf- 
pices  de  Philippe  II. ,  comme  nous  le  dirons  dans  la  fuite.  D'un 
autre  côté  le  Cherif  ordonna  à  fon  fils  qui  étoit  dans  Mequi- 
nez ,  d'abandonner  cette  place ,  ôc  de  le  venir  trouver  à  Ma- 
roc. Dès  qu'il  en  fut  parti,  Buhaçon  s'en  empara.  Hamet 
frère  du  Cherif  crut  auffi  avoir  trouvé  une  occafion  favora- 
ble ,  de  fe  venger  des  outrages  qu'on  lui  avoit  faits  autrefois , 
6c  ayant  alTemblé  le  plus  grand  nombre  de  troupes  qu'il  put, 
il  marcha  contre  Tafilete  :  les  habitans  lui  ayant  volontiers 
ouvert  leurs  portes,  il  s'en  rendit  maître  fans  combat. 

Le  Cherif  ayant  reçu  les  avis  fecrets,  qu'Ali- ben-Bubcar 
îui  avoit  donnez  par  ordre  de  Salh-Rais ,  ôc  étant  par  là  infor- 
mé de  l'état  des  affaires  de  Fez ,  donna  une  partie  de  fes  trou- 
pes à  Abdala  pour  marcher  contre  Buhaçon,  ôc  partit  lui-mê- 
me avec  le  reite,  pour  aller  à  Tafilete.  Abdala  ayant  avec  lui  les 
Arabes  d'Arrahamena  ,  nation  puiffante  ôc  belliqueufe  ,  mar- 
cha droit  à  Fez.  Muley-Nacer  ôc  Mahamet  allèrent  à  fa  ren- 
contre :  le  premier  étoit  fils  naturel  de  Buhaçon ,  ôc  le  fécond, 
fon  fils  légitime.  Leur  père  leur  avoit  donné  la  conduite  d'une 
armée;  mais  la  jaloufie  les  divifa  bien-tôt  ;  Mahamet  fuivk 

Bb  ij 


i96  HISTOIRE 

,  les  mauvais  confeils  de  fesflateurs,  ôc  ce  jeune  Prince  trop 
tj         tt   avide  de  gloire  voulut  avoir  feul  tout  l'honneur  de  la  victoi- 
re ,  qu'une  confiance  téméraire  lui  faifoit  regarder  comme  cer- 
**'*     taine.    Il  fépara   donc  fes  troupes  de  celles  de  ion  frère, 
ôc  ayant  voulu  charger  avec  trop  de  précipitation  les  Portu- 
gais qui  étoient  en  embufcade  >  il  fut  battu  ôc  obligé  de  pren- 
dre la  fuite.  Muley-Nacer  craignit  que  cette  déroute  ne  fût 
une  trahifon,  ce  qui  l'engagea  de  faire  partir  fes  bagages  ôc 
•     de  fe  retirer  à  Fez.  La  perte  que  fit  Buhaçon  parut  plus  con- 
fidérable ,  qu'elle  ne  l'étoit  en  effet  :  mais  il  la  répara  bien-tôt 
par  fon  activité  ;  car  en  témoignant  toujours  la  même  intré- 
pidité, il  fe  mit  auffi-tôt  en  campagne,  livra  bataille  à  Ab- 
dala ,  le  vainquit ,  le  pourfuivit  jufqu'à  Maroc ,   ôc  tailla  en 
pièces  prefque  toutes  les  troupes  auxiliaires  de  Sus ,  que  le 
Cherif  avoit  répandues  dans  la  province  de  Tremecen.  Tous 
ces  évenemens  arrivèrent  en  15*  5*  5*. 

Cependant  le  Cherif  afîiégeoit  Hamet  fon  frère  ,  qui  s'étoit 
enfermé  dans  Tafilete.  Il  y  apprit  la  défaite  d'Abdala  fon  fils? 
mais  cette  fàcheufe  nouvelle  ne  le  troubla  point  :  il  prit  au 
contraire  avec  adreffe  ôc  prudence  de  juftes  mefures  pour  dif- 
fïmuler  cette  difgrace ,  en  faifant  courir  un  bruit  contraire  : 
que  Buhaçon  avoit  été  défait,  qu'étant  fans  efpoir  il  s'étoit  ré- 
fugié à  P'enon  de  Vêlez,  ôc  qu'Abdala  victorieux  s'étoit  déjà 
rendu  maître  de  Fez.    Hamet  en  fut  allarmé  ,  ôc  fon  defef- 
poir  alla  fi  loin ,  que  ne  doutant  point  de  la  défaite  de  Buha- 
çon ,  fur  lequel  il  comptoit  beaucoup  ,  il  confeilla  lui-même  à 
fes  enfans  d'aller  trouver  leur  oncle  ,  ôc  de  fe  jetter  humble- 
ment aux  pieds  du  vainqueur  pour  implorer  fa  clémence ,  fans 
lui  demander  autre  chofe  que  la  vie.    Ain-fi  Hamet ,  ayant 
rendu  la  place  ,  fe  mit  avec  fes  enfans    entre  les  mains  du 
Cherif  fon  frère  :  il  fut  aulïi-tôt  relégué  dans  un  lieu  defert  ; 
que  la  Religion  faifoit  regarder  comme  un  azile.  Mahamet 
mit  garnifon  dans  Tafilete,  ôc  emmenant  avec  lui  Nacer ,  ÔC 
Zidan  fils  de  Hamet   fon  frère ,  il  alla  camper  à  Garciluy  : 
étant  entré  de  ce  côté-là  dans  le  royaume  de  Fez ,  il  fit  égor- 
ger fes  neveux ,  de  crainte  de  quelques  nouveaux  mouve- 
mens  ,  s'il  les  lauToit  vivre  plus  long-tems.  S'étant  enfuite 
avancé  dans  le  payis ,  il  en  vint  aux  mains  avec  Buhaçon  :  le 
combat,  qui  fut  très- fanglant ,  mit  fin  à  une  longue  guerre? 


DE  J.  A.  DE   THOU  ,  L  i  v.  XX.  15*7 

Mahamet  fils  de  Buhaçon ,  qui  combattoit  à  la  tête  de  l'ar- 
mée ,  fit  de  fi  grands  efforts  de  valeur  ,  qu'ayant  chargé  les  Henri  IL 
ennemis  avec  quatre  mille  Arabes ,  il  tailla  en  pièces  pref-  15  5  7- 
que  toutes  les  troupes  de  Maroc ,  &  mit  en  fuite  tout  ce  qui 
s'oppofa  à  lui  :  mais  ceux  de  Fez  ne  fécondant  pas  {qs  efforts 
avec  le  même  courage,  ôcle  Cherif  ayant  rallié  fes  troupes, 
Mahamet  fut  contraint  de  reculer  peu  à  peu ,  fon  armée  ploya, 
ôc  cet  heureux  fuccès  augmenta  le  courage  des  ennemis.  Bu- 
haçon, qui  combattoit  en  défefperé  avec  Nacer  fon  fils,  fut 
tué  d'un  coup  de  lance  qu'il  reçut  dans  la  cuiffe  :  ceux  qui 
étoient  à  côté  de  lui  prirent  aufli-tôt  la  fuite.  Nacer ,  fuivi 
d'un  petit  nombre  de  fes  gens ,  fe  retira  dans  les  montagnes 
voifines  :  fon  frère  Mahamet  prit  la  route  de  Fez  avec  cin- 
quante cavaliers  5  mais  voyant  que  cette  défaite  avoit  refroidi 
l'affection  des  habitans ,  il  fortit  de  la  ville  ,  ôc  s'étant  joint 
à  fon  frère  ,  ils  allèrent  enfemble  à  Mequinez  ôc  à  Sa- 
lé ,  où  s'étant  embarquez  fur  le  vaiffeau  d'un  Marchand 
Chrétien ,  ils  furent  pris  par  des  Corfaires  Bretons ,  fur  la  côte 
d'Efpagne.  Ali-ben-Bubcar  ,  qui  s'étoit  trouvé  à  la  bataille 
avec  Buhaçon ,  fe  rendit  à  Tremecen  >  ôc  paffa  à  Alger  ,  où 
il  mourut  peu  de  tems  après  de-  la  pefte 

Ainfi  le  Chetif  reprit  Fez  fans  combattre.  Il  y  laiffa  Ab- 
dala  ,  pour  aller  châtier  ceux  de  Derenderen ,  qui  s'étoient  ré- 
voltez tant  de  fois  :  mais  cette  expédition  n'eut  pas  le  fuccès 
qu'il  attendoit,  parce  que  ces  peuples  étoient  trop  puiffans  pour 
pouvoir  être  domptez  en  peu  de  tems.  Il  fit  venir  près  de  lui , 
fous  bonne  garde ,  Hamet  fon  frère ,  avec  les  enfans  ôc  les 
petits-fils  qui  lui  reftoient ,  ôc  comme  fi  tout  eût  été  tranquille, 
il  retourna  à  fes  anciens  plaifirs  ,  ôc  réfolut  de  prendre  une 
nouvelle  époufe ,  félon  fa  coutume  5  car  les  carefTes  de  fes 
femmes  ne  pouvoient  ordinairement  lui  plaire  que  pendant 
un  an.  Ayant  formé  ce  defTein ,  il  fe  mit  en  marche  pour  fe 
rendre  à  Sus ,  accompagné  de  deux  de  fes  filles ,  avec  deux 
mille  hommes  de  fes  gardes  Turcs ,  ôc  une  nombreufe  ca- 
valerie ?  mais  ce  voyage  lui  fut  fatal.  En  effet  Hafcen ,  fils 
d'Airadin  Barberouffe ,  qui  avoit  été  roi  d'Alger,  ayant  fuc- 
cedé  dans  le  gouvernement  de  cette  ville  à  Salh-Rais ,  qui 
étoit  mort  quelque  tems  auparavant ,  prit  ombrage  de  la  puif- 
fance  du  Cherif,  ôc  pour  s'en  défaire ,  il  engagea  un  fcelerat, 

Bb  iij 


5P8  HISTOIRE 

accoutumé  aux  brigandages  6c  aux  meurtres,  qui  portoit  le 
Henri  IL  même  nom  que  lui,  d'aiïafïiner  Mabamet  ,  de  quelque  raa- 
1  S  S  7-  niere  que  ce  fût.  Ce  Hafcen,  pour  faire  réùfïir  fon  projet,  fei- 
*  ou  De  &nlt  C1U '^  avo^  ^té  maltraité  par  le  Roi  *  d'Alger  ,  ôc  comme 
s'il  eût  été  obligé  de  prendre  la  fuite ,  il  pafla  par  Tremecen, 
d'où  il  fe  rendit  au  plutôt  à  Fez  }  avec  vingt  confpirateurs. 
Abdala  qui  haïffoit  les  Turcs ,  ayant  fçû  le  fujet  de  fa  fuite , 
comme  le  perfide  le  lui  raconta,  lui  confeilla  de  pafTer  outre, 
ôc  d'aller  trouver  le  Cherif  fon  père ,  qui  fans  doute  le  com- 
bleroit  d'honneurs.  Hafcen  arriva  à  Maroc ,  dans  le  tems  que 
le  Cherif  étoit  prêt  de  partir  pour  Sus.  Ce  Prince  le  reçut 
honorablement ,  ôc  le  fit  même  Capitaine  de  fes  gardes  ;  ce 
fcelerat  ayant  un  moyen  fi  facile  d'exécuter  le  crime  qu'il  avoit 
projette ,  gagna  fecrettement  les  Turcs  qui  haïffoient  déjà  le 
Cherif,  parce  qu'ils  n'étoientpas  payez  depuis  un  an,  ôc  que 
Bugumeda  fon  tréforier  les  avoit  maltraitez.  Il  les  flatta  de 
l'efpérance  de  piller  les  thréfors  du  Cherif.  Ce  motif  leur  fit 
prendte  la  réfolution  d'enlever  le  Prince  ,  ou  même  de  le 
tuer ,  s'ils  ne  pouvoient  faire  autrement.  Hafcen  leur  fit  voir 
encore ,  pour  difïîper  entièrement  leurs  craintes ,  qu'après  ce 
coup  ils  pourroient  facilement  fe  retirer  par  la  Numidie  *  à 
*  ou  le  Bile-  Tremecen ,  où  ils  trouverpient  une  retraite  affûrée  :  le  com- 
duigend.  mencement  de  l'entreprife  fut  heureux  ;  mais  le  fuccès  aveu- 
gla les  conjurez  :  ils  devinrent  infolens ,  par  conféquent  té- 
méraires ,  ôc  incapables  de  prévoir  le  danger.  Ainfi  ils  trou- 
vèrent la  jufte  punition  de  leur  crime. 

Le  Cherif  étant  donc  arrivé  dans  un  endroit  du  Mont  An 
las,  appelle  Alguel ,  fitué  au  milieu  des  défilez  de  Bibona,!»par 
où  il  faut  pafTer  néceffairement ,  pour  aller  de  Maroc  à  Taru- 
dante ,  piufieurs  Turcs  choifis  }  conduits  par  Hafcen  ,  fous 
prétexte  de  le  faluer,  le  rencontrèrent  devant  fa  tente,  ac- 
compagné feulement  de  Bugumeda  ,  dont  nous  avons  déjà 
parlé  ,  ôc  d'un  renégat  Portugais.  En  même  tems  Hafcen 
met  l'épée  à  la  main  :  le  Cherif  épouvanté  veut  s'enfuir  ; 
mais  il  tombe  en  courant  avec  trop  de  précipitation  :  l'afTafîin 
l'ayant  atteint  lui  coupe  les  jarêts  ;  le  refte  des  conjurez  fur- 
vient  aufïi-tôt,  ôc  le  perce  de  mille  coups.  Bugumeda  avoit 
eu  le  tems  de  fe  fauver  ;  mais  le  renégat  Portugais  défendit 
courageufement  fon  Maître ,  ôc  fut  tué  avec  lui  dans  le  même 
endroit. 


DE   J.   A.   DE   T  H  O  U  ,  Liv.XX.        199 

Telle  fut  la  fin  du  Cherif  Mahamet.  Il  eft  difficile  de  dé- 


cider fi  fon  génie  fuperieur,  ôc  fa  préfence  d'efprit  au  mi-  Henri  IL 
lieu  des  plus  grands  périls ,  l'ont  emporté  fur  fa  perfidie,  6c  1  c  c  j, 
fon  inhumanité.  Il  fut  cependant  fort  regreté  de  tous  fes  fu- 
jets  ,  à  caufe  de  fon  habileté  dans  le  gouvernement,  6c  de  l'ex- 
périence qu'il  s'étoit  acquife  durant  une  longue  vie,ôc  un  règne 
de  37  ans.  Cet  événement  fe  palfa  au  mois  de  Septembre  de 
cette  année.  Ses  thréfors  furent  auiTi-tôt  pillez,  ôc  fes  deux  fil- 
les tombèrent  entre  les  mains  d'Hafcen.  Celui-ci  fit  tous  fes 
efforts  pour  excufer  ce  meurtre,  comme  commis  avec  juf- 
tice  en  la  perfonne  d'un  tyran,  6c  promit  l'impunité  à  ceux  qui 
voudroient  le  fuivre.  Enfuite  il  continua  fa  route,  parlaprc- 
vince  de  Sus,  avec  les  Turcs  dont  il  pouvoit  difpofer,  avec  les 
Maures  6c  avec  quelques  renégats ,  ôc  il  marcha  vers  Tarifan- 
te ,  où  étoit  Muley-Odman  fils  du  Cherif,  que  d'autres  appel- 
lent Abel  Mumen.  La  place  ayant  été  abandonnée  par  Qà- 
man ,  Hafcen  s'en  empara  aufli-tôt ,  auffi  bien  que  de  la  ci- 
tadelle ,  ôc  des  thréfors  qu'on  y  gardoit. 

Il  y  avoit  dans  la  ville  un  Juif ,  appelle  Gazi  Muca,  qui  avoit 
renoncé  à  fa  religion  pour  embrafîer  celle  de  Mahomet  :  il 
étoit  en  prifon ,  foupçonné  de  quelque  crime  ,  au  refte  d'un 
efprit  rufé ,  ôc  homme  d'expédition.  Hafcen  le  mit  aufïi-tôt  en 
liberté ,  ôc  le  fit  premier  Cadi  de  cette  ville.  Il  avoit  confeillé 
à  Hafcen  de  faire  promptement  fortifier  Tarudante,  pour  y 
demeurer  en  fureté ,  jufqu'à  ce  qu'il  lui  fut  venu  du  fecours 
d'Aller ,  ôc  de  Tremecen.  Hafcen  refta  dans  l'irréfolution , 
ôc  perdit  inutilement  vingt  jours,  foit  àfe  déterminer,  foità 
rafraîchir  fes  troupes  :  enfin  croyant  que  le  Juif  lui  donnoit 
un  mauvais  confeil,  il  s'enfonça  dans  de  vaftes  deferts  pour 
tromper  l'ennemi.  Mais  le  Juif,  qui  après  le  départ  du  Turc 
fe  voyoit  fans  appui,  crut  qu'il  étoit  de  fon  avantage  de  ga- 
gner les  bonnes  grâces  ôc  de  mériter  la  protection  de  ceux 
fous  la  domination  defquels  il  alloit  être.  Il  fit  donc  avertir 
Abel  Mumen,  fils  du  Cherif,  du  départ  d'Hafcen ,  ôc  l'exhorta  à 
venger  la  mort  de  fon  père,  par  la  facilité  qu'il  trouveroit  dans 
l'exécution  de  cette entreprife.  Abel  Mumen  fuivit  cet  avis,  ôc 
ayant  laifTé  à  Maroc  Ali-ben-Bubcar ,  il  marcha  contre  les 
Turcs,  avec  huit  millechevaux.il  fit  informer  de  cette  expé- 
dition Abdalafon  ftere  qui  étoit  alors  àFez,ôc  qui  affembloit 


200  HISTOIRE 

— " — J ■  fon  armée.  Cependant  le  Juif,  en  attendant  que  ïes  deux  frètes 

Henri  II.  euffent  joint  leurs  forces,  fe  mitàlapourfuite  des  fuiards  avec 
1  S  S  7*  des  coupes  levées  à  la  'hâte  >•  les  ayant  enveloppez  il  les  tailla 
prefque  tous  en  pièces ,  recouvra  les  thréfors  de  Mahamet ,  ôc 
délivra  fes  deux  filles:  il  reçut  aufli  le  ferment  de  fidélité  des 
habitans  deTarudante,  oùHafcen  avoit  porté  le  nom  de  Roi 
pendant  quelques  jours. 

La  nouvelle  de  la  mort  du  Cherif  fe  répandit  bien-tôt  de 
tous  cotez.  Ali-ben-Bubcar ,  l'un  des  gouverneurs  du  Royaume 
qui  avoit  le  plus  d'autorité,  craignant  que  Hamet,  quoiqu'âgé 
de  quatre-vingt-dix  ans,  avec  fes  enfans  «5c  fes  petits-fils ,  n'ex- 
citâifent  des  troubles  pour  difputer  la  fuccefïion  à  la  couron- 
ne, les  fit  maffacrer  tous ,  fans  attendre  un  ordre  d'Abdala  :  il 
n'épargna  pas  même  les  enfans  de  Zidan  ôc  de  Mariem ,  fceur 
d'Abdala.  Cette  cruauté  fut  peut-être  falutaire  au  Royaume  , 
mais  elle  fut  fatale  à  Bubcat  ;  car  Mariem ,  après  la  mort  de 
fon  mari  Ôc  de  fes  enfans ,  cacha  le  reffentiment  qu'elle  en  avoit 
Ôc  fe  retira  auprès  de  fon  frère  Abdaia.  Dès  qu'elle  fe  vit  dans 
fes  bonnes  grâces ,  elle  chercha  aufïi-tôt  l'occafion  de  fe  ven- 
ger de  la  cruauté  de  Bubcar ,  ôc  elle  fe  fervit  enfin  de  cet  artifice. 
La  converfation  roulant  un  jour  fur  la  fuccefïion  du  Royaume, 
Mariem  dit  à  fon  frère,  qu'il  étoit  à  craindre,  qu'au  cas  qu'il 
mourut  dans  les  circonftances  prefentes  ,  le  fils  unique  qu'il 
avoit,  ôc  qui  étoit  encore  en  bas-âge,  ne  lui  fuccedât  pas:  elle 
ajouta  que  les  grands  du  Royaume  ,  ôc  Bubcar  lui-même  n'au- 
roientpas  les  mêmes  intentions  qu' Abdaia ,  ôc  qu'ils  croirpient 
qu'il  feroit  plus  avantageux  pour  l'Etat  de  mettre  fur  le  Tnrône 
fon  frère,  qui  étoit  eviàgQ  de  gouverner,  que  d'obéir  à  un  en- 
fant. Pour  prouver  ce  qu'elle  avançoit ,  elle  perfuada  à  Abdaia 
de  feindre  une  maladie  ,  ôc  de  faire  venir  enfuite  Bubcar ,  com- 
me fi  ce  Prince  fut  mort  :  elle  ajouta  qu'alors  elle  confereroit 
de  la  fucceffion  avec  Bubcar ,  ôc  que  par  ce  moyen  le  Roi  ap- 
prendroit  de  la  bouche  même  de  ce  Seigneur  tout  ce  qu'il  pro- 
jettoit. 

La  rufe  réûiïit  ;  car  dans  le  même-tems  Abdaia  tomba  véri- 
tablement malade,  ôc  ne  fe  fit  voir  à  perfonne  pendant  quel- 
ques jours  :  Bubcar  vint  trouver  Mariem,  ôc  la  pria  de  lui  dire  des 
nouvelles  delà  fanté  du  Roi ,  parce  que  les  affaires  du  Royau- 
me étoient  en  un  tel  état ,  qu'il  ne  pouvoit  refter  plus  long-tems 

dans 


DEJ.  A.    DE   THOU,  Liv.  XX.  201 

dans  l'incertitude  fur  une  chofe  de  cette  importance.  Mariern  « 


fit  alors  entrer  Bubcar  dans  une  chambre  ,011  Abdala  étoitcou-  j-|ENRI  jj 
ché  fur  un  lit  ,  ôc  couvert  d'un  drap ,  comme  s'il  eût  été  mort.     x  .     _ 
Elle  dit  à  Bubcar  d'une  voix  plaintive ,  que  le  Roi  fon  frère  ve- 
noit  d'expirer ,  en  lui  montrant  le  corps  avec  fon  doigt  :  elle  le 
pria  de  faire  enforte  par  fa  prudence  ,  que  la  Couronne  ne  fût 
pas  donnée  à  d'autres  qu'aux  héritiers  légitimes ,  ôc  qu'on  con- 
servât les  droits  de  Mahamet  fils  d' Abdala.  Ces  Royaumes ,  ré- 
pondit Bubcar,  ne  font  pas  afles  tranquilles,  pour  qu'on  puuTe 
en  confier  l'adminiitration  à  un  enfant  ;  Ci  d'un  côté  j'ai  juré  une 
éternelle  fidélité  à  Abdala,  l'amour  de  la  patrie  m'oblige  de 
l'autre ,  à  fonger  avant  toutes  chofes  à  fon  repos  ,  ôc  à  fa  fu- 
reté. Le  Roi  a  un  frère  d'un  âge  mûr  ;  il  efl  capable  de  gou- 
verner ;  il  faut  donc  le  couronner  :  c'eft  l'intérêt  même  du  fils 
du  Roi  dans  les  circonftances  prefentes  5  la  tranquillité  publique 
ôc  notre  repos  particulier  l'exigent.  Bubcar,  après  avoir  ainfi par- 
lé ,  voulut  fortir  brufquement  du  Palais  :  mais  le  Roi  s'étant 
aufli-tôt  levé  ,  ôc  ayant  jette  le  drap  qui  le  couvroit ,  prit  un 
bâton  pour  fe  foûtenir(car  fa  maladie  l'avoit  fort  affbibli  )  ôc 
rappella  Bubcar  qui  fe  retiroit.  »  Eft-ce  là ,  perfide ,  lui  dit-il ,  la 
»  reconnoiflance  que  vous  avez  de  tous  mes  bienfaits  Ôc  de  tous 
»  les  honneurs  ,  dont  je  vous  ai  comblé  ?  Vous  voulez  ôter  ma 
3>  couronne  à  mon  fils  ,  pour  la  donner  à  mon  frère  !  Mais  je  vis 
»  encore,  ôc  je  vivrai  ailés  pour  récompenfer,  ou  punir  ceux 
35  qui  le  méritent.  «  Ces  paroles  couvrirent  de  honte,  ôc  rempli- 
rent de  crainte  Bubcar,  qui  s'enfuit  aufli-tôt  chez  lui:  il  prit  alors 
un  habit  de  femme  pour  fe  déguifer,  Ôc  il  fortit  de  la  ville.  S'étant 
couvert  le  vifage  ,  de  crainte  d'être  reconnu  ,  il  fe  mit  au  pie 
d'un  olivier  pour  y  attendre  fes  gens }  à  qui  il   avoit   donné 
ordre  de  lui  amener  en  cet  endroit  le  plus  vite  de  fes  chevaux. 
Mais  quelques  cavaliers  fatiguez  de  la  chafle  l'ayant  apperçu , 
le  prirent  pour  une  fille  publique ,  ôc  piquèrent  de  fon  côté. 
Ils  lui  ôterent  fon  voile,  ôc  l'ayant  reconnu  ,  ils  craignirent 
qu'il  n'eût  quelque  mauvais  deflein  5  ils  le  conduisirent  donc 
dans  le  même  état  à  Abdala  ,  qui  le  fit  aufli-tôt  étrangler.  Ainfi 
Ja  dernière  action  de  Bubcar  fit  oublier  tous  fes  fervices  paffez , 
ôc  la  vengence  d' Abdala  fut  aufli  celle  de  Mariem  fa  fœur , 
fans  que  ce  Prince  eût  deflein  de  la  venger. 

Peu  de  tems  après  Abdala,  pour  ne  plus  trouver  perfonne  qui 
Tome  III.  C  c 


502  HISTOIRE 

cenfurât  fes  débauches ,  ôc  qui  le  troublât  dans  fa  molle  oifiveté* 
Ienri  j  ^  tuer  Abdel-Cader-ben-Mahamet ,  feigneur  de  Mequinez  , 
c  _  fon  coufin  >  parce  qu'il  étoit  aimé,  ôc  qu'on  refpectoit  fa  ver- 
tu :  il  lui  avoit  fait  époufer  Lela  Sophia  fa  nièce.  Depuis  ce 
tems-là  il  jouit  paifiblement  de  ce  varie  ôc  puiffant  empire  , 
que  fon  père  ôc  fon  ayeul  lui  avoient  acquis.  Il  comprend  les 
deux  Mauritanies  ,  la  Tingitane,  la  Cezarienne  ,  ôc  une  grande 
partie  de  la  Numidie  ,  comme  la  Getulie  '■>  ce  qui  forme  qua- 
torze Provinces.  11  eft  borné  au  midi  par  les  fleuves  de  La- 
rache  ôc  de  Sus  ,  à  l'Orient  par  celui  de  Saffaya ,  au  Nord  Ôc 
à  l'Occident  par  le  détroit  de  Gibraltar ,  Ôc  la  mer  Atlantique. 
Les  troupes  de  cet  Etat  montent  à  foixante  mille  chevaux  , 
qu'on  paye  tous  les  quatre  mois  en  tems  de  paix ,  comme  en 
tems  de  guerre  :  les  provinces  de  Dara  ôc  de  Sus  en  fournif- 
fent  quinze  mille,  le  Royaume  de  Maroc  vingt-cinq  mille , 
ôc  celui  de  Fez  vingt  mille  ,  entre  lefquels  on  choifit  ordinai- 
rement cinq  mille  hommes  pour  la  garde  du  Prince.  Toute 
l'infanterie  ne  confifte  qu'en  un  corps  de  deux  mille  Renegats3 
ôc  de  mille  arquebufiers  de  Sus ,  qui  font  en  garnifon  dans  la 
nouvelle  Fez:  on  y  met  aufîi  cinq  cens  cavaliers  Renégats  ; 
ôc  quand  il  en  eft  befoin ,  on  y  joint  des  Arabes  ,  ôc  d'autres 
Lybiens  ,  qui  reçoivent  tous  les  jours  leur  paye.  Voilà  à  peu 
près  les  forces  de  ce  puiffant  empire  ;  que  les  Cherifs  ont  fondé 
de  notre  iiécle  en  Afrique. 

Il  faut  maintenant  quitter  ces  payis  éloignés ,  ôc  revenir  au 

récit  de  nos  malheurs  :  les  commencemens  de  cette  narration 

feront  agréables ,  mais  elle  aboutira  enfin  à  de  trilles   évene- 

mens  ,  ôc  à  une  paix  defavantageufe  ,  fuivie  de  troubles  fu« 

.-.      ,    nèfles  à    ce   Royaume.    Les    troupes  étant  enfin  aflemblées  , 

Affaires  de  ,  .        J  .  r       SJ  .r      ^      ,,,., 

Fance.  on  en  donna  le  commandement  au  duc^de  Guile.  Unaeiibera 
enfuite  de  quel  côté  on  les  feroit  marcher  ,  ou  pour  re- 
prendre les  places  que  nous  avions  perdues  ,  ou  pour  faire 
quelque  nouvelle  conquête.  Car  il  étoit  nécelTaire ,  pour  la  dé- 
fenfe  du  Royaume  ôc  la  gloire  de  la  nation,  de  ne  pas  laif- 
fer  dans  l'inattion  une  Ci  grande  armée ,  quoique  la  faifon  fût 
avancée  }  ôc  très-rude.  On  ne  jugea  pas  à  propos  de  s'atta- 
cher aux  places  que  nous  avions  perdues ,  parce  que  l'ennemi 
les  avoit  fortifiées ,  ôc  y  avoit  mis  de  nombreufes  garnifons ,  ôc 
tout  ce  qui  eft  néceffaire  pour  foûtenir  un  fiége.  On  craignoit 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Lïv.  XX.         203 

aufïï  que  le  foldat  ne  fût  épouvanté  à  la  vue  des  marques  ré- 
centes de  notre  défaite ,  ôc  qu'il  eût  moins  de  courage  dans  fjENRI  jj 
ce  payis  fatal ,  que  dans  un  autre.  Ainfi  on  reprit  le  deffein  1  ç  r  7 
d'afîiéger  Calais.  Senarpont  Gouverneur  du  Bouîonnois  l'avoit 
propofé  au  connétable  de  Montmorency  ,  ôc  ce  projet  aurok 
été  exécuté  l'été  dernier,  Ci  nous  n'euffions  pas  été  battus  à  S. 
Quentin.  La  proportion  de  ce  fiége  ayant  été  faite  dans  un 
confeil  fecret  qui  fe  tint  à  Compiegne ,  où  étoit  le  Roi  3  Pierre 
Strozzi  homme  d'exécution  fe  chargea  d'aller  reconnoître  la 
place.  Il  fe  déguifa  fous  un  mauvais  habit  ,  6c  partit  le  2  de 
Novembre  avec  Maxime  Delbene }  ôc  peu  de  fuite.  Dès  qu'il 
eut  exactement  obfervé  les  dehors  de  la  place ,  la  forme  ôc 
la  folidité  des  battions  ôc  des  ouvrages  qui  les  accompa- 
gnoient ,  il  revint  trouver  le  Roi ,  ôc  l'afifûra  que  la  conquête 
en  feroit  facile  ,  fi  l'on  voulait  y  employer  du  foin  ôc  de  l'ac- 
tivité. 

L'armée  fut  partagée  en  pîufieurs  corps ,  pour  tenir  la  chofe 
plus  fecrete.  On  donna  au  duc  de  Nevers  la  conduite  d'une 
partie ,  qui  confiftoit  en  vingt  compagnies  SuifTes  ,  pareil  nom- 
bre d'Allemandes ,  quinze  Françoifes ,  ôc  fix  cens  Gendarmes, 
avec  quelques  pièces  de  canon.  On  fît  en  même-tems  cou- 
rir le  bruit  que  ce  Général  avoit  quelque  deffein  fur  Luxem- 
bourg ôc  fur  Arlon  3  afin  que  les  ennemis  divifaffent  leurs  forces 
pour  couvrir  ces  places  3  qui  n'avoient  pas  d'affez  fortes  gar- 
nifons.  Le  duc  de  Guife  alla  fur  la  frontière  ,  comme  pour 
empêcher  qu'on  ne  fît  entrer  des  vivres  dans  S.  Quentin  , 
Han  3  ôc  le  Câtelet.  Le  duc  de  Nevers  ayant  fait  pafier  les 
troupes  qu'il  commandoit  aux  environs  d'Argone  ,  fe  rendit  à 
Stenay.  Après  quelque  féjour  dans  cette  ville  >  il  fit  toute  la  di- 
ligence poflible  pour  renvoyer  fes  troupes  au  duc  de  Guife  , 
qui  étoit  alors  à  Amiens  3  où  les  ennemis  s'irnaginoient  qu'il 
s'arrêtoit  3  pour  faire  entrer  un  convoi  dans  Dourlans.  Dès 
que  l'armée  du  duc  de  Nevers  fe  fut  jointe  au  duc  de  Guife , 
celui-ci  entra  dans  le  Bouîonnois  ,  comme  pouraflurer  Ardres 
ôc  Boulogne.  Dès  qu'il  vit  tout  préparé  pour  le  fiége  de  Calais, 
étant  d'ailleurs  parfaitement  inftruit  de  l'état  de  la  place  ,  il  s'y 
rendit  à  la  hâte,  ôc  fans  y  être  attendu.  Le  premier  de  Janvier  j  *  *  jg 
1  $$  8.  il  campa  près  du  Pont  de  Nieullay,  qui  n'eft  éloigné  que 
de  mille  pas  de  la  ville ,  ôc  où  conduit  une  levée  entourée  de 

C  cij 


204  HISTOIRE 

._»«---.  marais  des  deux  cotez.  Les  Anglois  avoient  bâti  un  Fort  à  l'en- 

Htt   trée  de  la  levée,,  proche  le  bourg  de  Sainte  Agathe.  On  y  en- 
ENRI  11.  -ii  i      r  •    i  •  j'        i_i/  v~ 

„      voya  trois  mille  arquebuiiers  qui  le  prirent  d  emblée  ,  après 
*     '       avoir  repoufle  la  garnifon  qui  avoit  fait  d'abord  une  fortie. 

Ce  premier  fuccès  donna  de  l'épouvante  aux  Anglois,  ôc  ra- 
nima le  courage  de  nos  troupes  î  enforte  que  quoique  la  nuit 
approchât,  elles  s'avancèrent  jufqu'à  Nieullay,  &  s'y  retran- 
chèrent i  après  que  le  duc  de  Guife  ,  &  Paul  de  Thermes  eu- 
rent reconnu  l'endroit.  On  fit  même  approcher  le  canon ,  pour 
commencer  dès  le  lendemain  à  battre  la  ville.  Comme  le 
duc  de  Guife  attendoit  principalement  l'heureux  fuccès  de  ce 
fiége,  ôc  de  fon  activité,  ôc  de  la  diligence  avec  laquelle  on  le 
prefTeroit,  il  fit  prendre  la  gauche  à  une  partie  de  l'armée  vers 
les  côtes  de  la  mer,  pour  attaquer  leRifban  qui  défend  l'en- 
trée du  port ,  afin  qu'étant  maître  de  tous  les  Forts  ,  il  n'eût 
plus  qu'à  s'emparer  de  la  ville  qui  étoit  au  milieu  ,  ôc  qu'on 
ne  pût  la  fecourir ,  ni  par  terre  du  côté  de  la  Flandre ,  ni 
par  mer  du  côté  de  l'Angleterre.  La  ville  de  Calais  eft  fituée 
dans  une  plaine ,  ôc  entourée  par  la  rivière  ;  des  ruiffeaux  ôc 
des  marais  la  rendent  inacceflible  de  trois  cotez.  A  l'occident, 
elle  a  un  vafteport,  ôc  la  mer  pour  barrière  :  trois  baftions  qui 
font  fur  les  angles  de  la  place ,  ôc  un  quatrième  qui  eft  au  mi- 
di, où  eft  la  vieille  citadelle ,  la  rendent  de  figure  quarée.  Il 
y  a  un  large  rampart ,  qu'on  croyoit  être  degafon,  quoiqu'il 
ne  le  fût  pas ,  comme  nous  le  reconnûmes  à  nos  dépens  ;  car 
la  terre  eft  fabloneufe  dans  tout  cet  endroit ,  ôc  les  batteries 
de  canon  les  plus  violentes  ne  peuvent  que  la  faire  voler , 
comme  la  pouffiere.  La  place  eft  encore  fortifiée  par  un  foffé 
auiîi  large  que  profond ,  qui  fert  de  lit  à  la  rivière  de  Hames, 
ôc  où  les  ruiffeaux  des  marais  voilins  viennent  aufii  fe  dé- 
charger-. T>u  côté  du  marais,  on  ne  peut  entrer  dans  la  ville 
que  par  la  levée ,  où  eft  le  pont  de  Nieullay  j  du  côté  de  la 
mer  on  ne  peut  entrer  dans  le  port  qu'avec  l'agrément  de  la 
garnifon  du  Rifban  ;  c'eft  pour  cela  qu'il  falloit  abfolument 
s'emparer  de  ces  deux  poftes,  pour  fe  rendre  maître  de  la 
ville. 
Calais  affié-  Ainfi  le  duc  de  Guife  ,  accompagné  du  duc  d'Aumale  fon 
de  Guife.  UC  ^ere  >  de  Pierre  Strozzi  maréchal  de  France  ,  de  Paul  de  Ther- 
mes ,  de  Jean  d'Eftrée  grand-Maître  de  l'artillerie,  de  S anfac. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XX.        20? 

d'Àndelot,  de  Tavanes  ,  ôc  de  Senarpont,  fe  rendit  dans. 
la  même  nuit  fur  le  bord  de  la  mer,  pour  reconnoître  le  Henri  lî. 
Rifban  ,  dont  il  approcha  de  vingt-cinq  pas  ,  fans  que  les  i  ç  ç  8. 
ennemis  s'en  apperçuffent.  Il  envoya  aufli-tôtle  jeune  d'Alé- 
grej  ôc  un  de  fcs  gentilshommes,  pour  fonder  un  gué,  que 
Charle  de  la  Rochefoucault-Randan  avoit  trouvé  dans  le  port. 
Après  qu'on  eut  fondé  le  gué,  on  arrêta  au  Confeilde  guerre, 
que  dès  le  lendemain  on  battetoit  avec  le  canon  en  même 
tems  Nieullay  ,  ôc  le  Rifban,  ce  qui  fut  exécuté  dès  le  point 
du  jour.  Ceux  de  Nieullay  fe  rendirent  les  premiers,  avec 
la  permiflTion  du  gouverneur  de  Calais ,  qui ,  comme  on  l'a  fçu 
depuis ,  ne  vouloit  pas  expofer  la  gat nifon  à  un  danger  évi- 
dent, parce  qu'il  n'avoit  avec  lui  que  peu  de  troupes  dans  la 
ville.  Le  Rifban  fe  rendit  à  difcretion  une  heure  après.  On 
trouva  dans  ce  Fort  un  grand  nombre  de  canons  ,  ôc  d'autres 
^chofes  en  abondance.  Mais  pour  empêcher  qu'aucun  fecours 
ne  pût  entrer  ,  on  plaça  ,  de  l'avis  des  principaux  officiers, 
entre  la  ville  6c  le  marais ,  au  bout  de  la  levée ,  vingt  com- 
pagnies d'infanterie  Françoife ,  avec  le  régiment  du  Rhein- 
grave  ',  huit  cens  chevaux  Allemands,  ôc  trois  cens  Gens- 
d'armes,  fous  la  conduite  du  Prince  de  la  Roche-fur-Yon.  De 
Thermes  étoit  pofté  vers  la  mer  fur  le  chemin  de  Guines ,  avec 
le  relie  de  la  cavalerie ,  ôc  les  Suiffes.  Enfuite ,  fans  perdre 
de  tems ,  on  braqua  le  quatre  de  ce  mois  fix  pièces  de  gros 
canon  contre  la  porte  de  la  Rivière ,  ôc  trois  cens  coulevri- 
nes  pour  foudroyer  les  fortifications ,  ôc  on  pouffa  la  tranchée 
avec  ardeur,  comme  fi  les  afliégeans  euffent  voulu  s'attacher 
particulièrement  de  ce  côté  là,  6c  y  réunir  tous  leurs  efforts. 
La  porte  fut  ébranlée  parla  violence  du  canon;  quelque  tours 
voifines  n'y  purent  réfifter.  Les  afïiégez  ne  craignoient  rien 
du  côté  de  la  citadelle ,  quoique  les  murailles  n'en  fuffent  pas 
terraffées.  On  fit  cependant ,  fans  qu'ils  s'y  attendiffent ,  une 
batterie  de  quinze  groffes  pièces  d'artillerie ,  ôc  on  battit  la 
citadelle  avec  tant  de  furie  ôc  filong-tems,  que  le  bruit  du 
canon  fe  faifoit  entendre  jufqu'à  Anvers ,  qui  en  eft  éloigné 
de  trente-trois  milles  d'Allemagne. 

Dès  qu'on  eut  fait  brèche ,  ôc  qu'on  vit  approcher  la  nuit, 
on  donna  ordre  à  d'Andelot  de  paffer  au-delà  du  port  avec 

1  Philippe. 

C  c  iij 


206  HISTOIRE 

.  douze  cens  arquebufiers  ôc  un  grand  nombre  de  Gentilshom* 

Uri,niTT   mes,  ôc  de  fe  retrancher  entre  la  ville  ôc  le  rivage.  On  don- 
Henri  H.         '    r  , ,       ,  .,  e  &  . 

g      na  aux  ioldats  des  outils ,  que  benarpont ,  après  avoir  reconnu 

*  exactement  le  terrain ,  avoit  préparez  pour  ouvrir  la  tranchée. 

Elle  fut  pouffée  jufqu'au  foffé  de  la  ville  ,  afin  que  les  eaux 
qui  y  étoient  entraient  dans  cet  efpece  de  canal ,  d'où  elles 
s'écouleroient  dans  la  mer  :  par  ce  moyen  ce  folTé,  que  les 
Anglois  regardoient  comme  la  plus  forte  défenfe  de  Calais, 
de  voit  refter  à  fec.  On  employa  un  grand  nombre  de  claies 
enduites  de  poix,  fur  lefquelles  les  foldats  pouvoient  être  à 
pied  fec  dans  ce  terrain  fangeux,  où  fans  cette  précaution  ils 
auroient  été  abîmez.  Senarpont  avoit  aufii  inventé  une  efpece 
de  boucliers  faits*de  pieux  entrelaffés  d'ozier ,  d'un  demi  pied 
d'épaiffeur,  qui  étoient  couverts  en  dehors  de  trois  cartons  $ 
on  pouvoit  les  porter  facilement,  ôcles  planter  en  terre,  quand 
on  le  jugeoit  à  propos ,  par  le  bout  des  pieux  qui  étoit  fer^* 
ré  h  les  foldats  s'en  couvraient  comme  d'un  parapet ,  ôc  ti- 
roient  par  de  petites  ouvertures  qu'on  y  avoit  faites  exprès. 
Enfin  fur  le  déclin  du  jour  la  muraille  étant  ouverte  , 
le  duc  de  Guife  ,  de  crainte  que  les  affiégez  ne  reparaflent 
la  breche,ordonna  à  Grammont  de  s'avancer  à  huit  heures,avec 
trois  cens  Arquebufiers  ,  lorfque  la  marée  fe  retireroit ,  pour 
faire  un  feu  continuel  ôc  empêcher  l'ennemi  de  travailler. 
Strozzi  eut  aufli  ordre  de  fe  pofter  de  l'autre  côté  du  port 
avec  trois  cens  Arquebufiers ,  ôc  cent  pionniers  qui  étoient 
fous  la  conduite  de  Sarlaboz  :  mais  il  fut  repouffé  par  le  feu 
des  ennemis,  ôc  contraint  de  fe  retirer  vers  le  quartier  du 
duc  de  Guife ,  avec  perte  de  vingt-cinq  de  fes  gens.  Dès  que 
le  jour  parut,  ce  Prince  s'étant  avancé  jufqu'au  port,  avec  les 
ducs  d'Aumale  Ôc  d'Elbœuf  fes  frères ,  François  de  Mont- 
morenci,  le  duc  de  Bouillon,  Ôc  le  refte  de  la  Nobleffe  ,  il  fit 
reconnoître  la  brèche  par  Brancaccio.  Celui-ci  rapporta  qu'elle 
étoit  affez  large ,  ôc  qu'on  pouvoit  y  palier.  On  donne  aulïi- 
tôt  le  fignal  pour  monter*  à  l'affaut  ;  Grammont  eft  comman- 
dé pour  marcher  devant  avec  fes  Arquebufiers  5  Strozzi  de- 
voit  le  fuivre  avec  trois  cens  Cuiraffiers ,  foutenus  par  un 
pareil  nombre  d'autres  troupes.  Le  Général  lui-même  fe  jette 
dans  l'eau  jufqu'à  la  ceinture ,  ôc  paife  de  l'autre  côté  de  lai 
rivière ,  avec  le  refte  de  l'armée.  On  arrive  enfin  au  pied  du 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XX.         207 

mur.  Nos  foldats  aufll-tôt  montent  à  l'affaut  avec  tant  d'ar- 
deur ôc  de  furie  ,  qu'ayant  renverfé  tout  ce  qui  fe  préfentoit  Henri  IL 
devant  eux ,  ils  emportent  en  un  moment  la  citadelle  ,  ôc  j  -  f  g 
ôc  contraignent  le  peu  de  foldats  qui  reftoient  encore ,  à  fe 
réfugier  dans  la  ville.  Le  duc  de  Guife  y  mit  une  garnifon 
capable  de  foutenir  les  efforts  des  ennemis  >  s'ils  vouloient 
l'attaquer  pendant  la  nuit,  ôc  voyant  que  la  marée  commen- 
cent,  il  s'en  retourna  de  l'autre  côté. 

Mais  les  ennemis ,  foit  par  défefpoir ,  foit  par  honte  d'a- 
voir fi-tôt  abandonné  la  citadelle ,  ôc  reconnoiflant  trop  tard 
de  quelle  importance  étoit  ce  polie  pour  fe  rendre  maître 
de  la  ville ,  fe  préparèrent  aufli-tôt  à  la  reprendre.  Ils  l'atta- 
quent ,  mais  ils  font  repouffez  ;  ils  reprennent  cependant  cou- 
rage ,  ôc  à  la  faveur  du  feu  de  quatre  pièces  de  canon  bra- 
quées au  bas  du  pont ,  ils  retournent  à  l'affaut  avec  plus  d'ar- 
deur •■>  ils  battent  fans  difeontinuation  la  porte  de  la  citadelle  , 
au  moyen  d'un  cavalier,  qu'ils  avoient  élevé  au  milieu  de 
la  place  de  la  Ville  :  enfin  ils  font  obligez  de  fe  retirer  après 
un  combat  opiniâtre ,  avec  perte  de  deux  cens  de  leurs  meil- 
leurs foldats. 

Milord  Dumfort  ,  gouverneur  de  Calais  ,  perdit  l'efpérance 
de  pouvoir  fe  défendre,  après  le  mauvais  fuccès  de  cette  der- 
nière action ,  ôc  demanda  à  capituler.  Après  plusieurs  con- 
teftations ,  on  traita  à  ces  conditions  :  Que  les  habitans ,  leurs 
femmes ,  ôc  leurs  enfans  auroient  la  vie  fauve ,  ôc  fortiroient 
fans  qu'on  leur  fit  aucun  outrage  ;  Qu'ils  pourroient  en  toute 
fureté  fe  retirer  en  Flandre,  où  en  Angleterre  :  Que  Milord 
Dumfort  ôc  cinquante  autres  perfonnes  ,  au  choix  du  duc 
de  Guife  ,  demeureroient  prifonniers  :  Qu'on  laifferoit  de 
bonne-foi  dans  la  ville  les  canons ,  les  boulets ,  la  poudre , 
les  armes ,  les  drapeaux  ,  ôc  toutes  les  machines  de  guerre  , 
qui  y  étoient  :  Que  le  duc  de  Guife  pourroit  difpofer  à  fon 
gré  des  meubles ,  del'of,  de  l'argent,  ôc  des  chevaux  :  Que 
les  Anglois  laifleroient  tout  en  entier ,  fans  pouvoir  démolir 
les  maifons ,  arracher  même  un  clou ,  ou  remuer  une  pierre 
de  fa  place ,  ni  fouiller  la  terre ,  ni  dépaver  les  rues.  Cette 
dernière  condition  fut  ajoutée,  pour  prévenir  la  malice  des 
Anglois  ,  qui  quelques  années  auparavant  ayant  rendu  Bou- 
logne par  capitulation ,  avoient  prefque  ruiné  cette  ville 
avant  d'en  fortir. 


ao'8  HISTOIRE 

■r— — •*—      Ces  articles  ayant  été  fignez  le  8  de  Janvier ,  tous  les  An- 
Henri  IL  glois  fortirent  de  la  ville  dès  le  lendemain ,  après  un  fiége  de 
155-8.    fept  jours,  fous  le  règne  de  Philippe  roi  d'Angleterre  K  Après 
Prife  de  Ca- ^a  bataille  de  Crecy,  deux  cens  ans  auparavant  ,  les    Fran- 
hïs.  çois  s'y  étoient  maintenus  pendant  un  an  ,  fous  Philippe  de 

Valois  ,  quoique  les  forces  du  Royaume  fufTent  épuifées  ; 
mais  enfin  Jean  de  Vienne ,  qui  en  étoit  gouverneur  ,  fe 
voyant,  fans  aucune  efpérance  de  fecours,  alTiegé  par  mer  ôc 
par  terre  s  fut  obligé  de  rendre  la  place  à  Edouard  III.  On 
croit  que  Xlccius-Portm  ,  dont  parle  Céfar  3  Ôc  d'où  il  dit 
qu'il  n'y  avoit  qu'un  petit  trajet  en  Angleterre  ,  étoit  en  cet 
endroit.  En  effet  du  port  de  cette  ville ,  aujourd'hui  fi  célèbre 
par  fon  commerce  à  caufe  de  fa  commodité ,  on  ne  compte 
que  vingt  milles  jufqu'à  Douvres.  Calais  a  pris  fon  nom  de 
celui  de  toute  la  contrée  ,  comme  il  arrive  ordinairement  ; 
car  les  peuples  du  payis  ,  qui  eft  depuis  l'embouchure  de  la 
Seine,  jufqu'à  la  rivière  d'Aa  ,  qui  baigne  les  murailles  de 
Gravelines ,  s'appelloient  autrefois  Caleti  \  L'endroit  appelle 
GeJJoriacus  pagus  eft  auffi  dans  la  même  contrée ,  quoique  plu- 
fieurs  fe  foient  imaginé ,  fans  aucun  fondement  que  c'eft 
Gifors  ,  ville  limée  dans  le  Vexin ,  au-deffus  de  Rouen. 

La  place  étoit  à  peine  rendue  3  qu'il  parut  en  pleine  mer 
une  flotte ,  qui  venoit  au  fecours  des  afîiégez  ;  mais  ayant  re- 
marqué de  loin  les  Enfeignes  Françoifes ,  les  Anglois  recon- 
nurent qu'ils  arrivoient  trop  tard  ,  ôc  fe  retirèrent.  Philippe 
avoit  préifenti  nos  delfeins ,  ôc  y  ayant  fait  reflexion  ,  il  en 
avoit  écrit  à  la  Reine  fon  époufe ,  ôc  lui  avoit  offert  des  fe- 
cours d'hommes ,  ôc  d'argent  h  mais  la  méfiance  des  Anglois 
les  empêcha  de  profiter  de  cet  avis  :  ils  crurent  que  Philippe , 
par  une  rufe  Efpagnole,  n'agiflbit  ainfi  ,  que  pour  s'emparer 
lui-même  de  Calais  5  cependant  l'événement  confirma  ce  qu'il 
avoit  prévu  avec  tant  de  clairvoyance.  Quoiqu'on  eût  négli- 
gé fon  premier  avis,  il  ne  difcontinua  point  fes  fervices,  ôc  il 
envoya  un  fecours  de  troupes  Efpagnoles  à  Guines ,  qui  étoit 
preffé  par  les  François. 


1  M.  de  Thou  donne  fouvent  dans 
cettehiiloireà  Philippe  roi  d'Efjpagne 
le  titre  de  Roi  d* Angleterre  ,  quoique 
réellement  il  ne  fût  que  le  mari  de  la 
Ileine.  Apparemment   que  du  vivant 


de  la  reine  Marie  ,  c'e'toit  l'ufage   de 
Tappeller  ainfi. 

z  Une  partie  de  ce  payis  conferve 
encore  ce  nom  ;  ôc  on  l'appelle  Payis 

de  Caux. 

En 


DE  J.  A.  DE    THOU,  Liv.  XX.  2o<> 

En  effet 3  après  la  prife  de  Calais ,  on  agita  dans  le  Con- 


feil  de  guette,  s'il  étoit  à  propos  d'allet  attaquet  G  innés  ,  qui  Henri  IL 
n'eft  éloignée  que  d'environ  une  lieuë,  ou  Gravelines  :  Calais  eft      i  ç  ç  8. 
entre  ces  deux  places.  Aptes  une  mute  délibetation  on  réfolut    „.,     c 

j»   tr  <  r^    •  i  <  Siège  &pn- 

ct  allieget  Guines  ,  patce  que  cette  place  étant  en  notre  pou-  fe  de  Guines. 
voit  ferviroit  beaucoup  plus  à  la  confervation  de  notre  det- 
niere  conquête  ,  que  Gravelines  ,  qui  en  eft  plus  éloignée. 
Milord  Grey  étoit  dans  Guines  3  avec  une  forte  gatnifon.  Le 
duc  de  Guife  parut  devant  la  place  le  1 5  de  Janvier ,  &  la 
ptit  d'emblée.  Les  Anglois  s'étoient  retirez  dans  la  citadelle: 
nos  foldats  fongeant  plutôt  au  pillage  ,  qu'à  mettre  des 
corps-de-gardes  pour  leur  fût  été ,  les  ennemis  fitent  fut  eux 
une  fûttie,  les  chafferent  >  mirent  le  feu  auxmaifons.,  ôc  ren- 
trèrent dans  la  citadelle.  Ttois  jouts  aptes  ,  on  ouvtit  lattan- 
chée  y  qui  fut  pouifée  jufqu'au  folfé ,  àla  faveut  des  gabions ,& 
on  dreffa  une  battet ie  de  trente-cinq  gros  canons ,  pout  battre 
de  revers  la  citadelle.  Le  baftion  3  qui  défendoit  la  potte ,  en 
fut  ébranlé  ôc  ruiné  en  partie  ;  la  brèche  fut  ouverte  3  mais 
la  montée  en  étoit  difficile.  Le  duc  de  Guife  la  fit  reconnoî- 
tte  plufieuts  fois ,  ôc  commanda  cent  vingt  hommes  d'élite , 
ôc  des  pionniers ,  pour  applanir  le  chemin  ,  avec  défenfe  d'en- 
treprendre autte  chofe.  Enfin  3  le  20  de  Janvier  s  d'Andelot 
ayant  reçu  ordte  defe  tenir  fous  les  armes  3  un  régiment  Alle- 
mand 3  qui  étoit  commandé  pout  l'attaque  ,  monta  impé- 
tueufement  à  l'alfaut.  Le  duc  de  Guife  franchit  un  folTé 
très-profond ,  parle  moyen  d'une  efpece  de  pont  fait  avec  des 
clayes  placées  en  travers  fur  des  tonneaux  flottans^ôc  gagna  une 
colline ,  qui  étoit  vis-à-vis ,  pour  y  attendre  le  fuccès  de  cette 
attaque.  Il  fut  bien-tôt  obligé  de  venir  au  fecours  de  fes 
ttoupes.  Sa  préfence  rétablit  le  combat  3  ôc  infpira  aux  fol- 
dats une  nouvelle  audace.  Les  aiïiégez ,  trop  foibles  pour 
leur  réllfter,  abandonnèrent  la  brèche 3  avec  perte  de  trois 
cens  hommes ,  ôc  entre-auttes  de  deux  cens  Efpagnols  -,  ils 
futent  enfuite  contraints  de  fe  retirer  auprès  de  Grey  3  dans 
la  vieille  citadelle. 

D'un  autre  côté ,  le  régiment  de  Reckrod  emporta  deux  pe- 
tits baftions  ;  ôc  pat  ce  moyen  les  François  s'emparèrent  en-* 
tierement  de  la  faufîe-braye.  Milord  Grey  3  qui  étoit  encore 
maître  du  plus  grand  baftion  3  d'où  il  pouvoit  foudroyer  ceux 
Tom.  III.  D  d 


210  HISTOIRE 

dont  nous  venions  de  nous  emparer  ,  fut  fi  étonné  de  cet  heu- 
Henri  II.  reux  faccès ,  que  fans  ofer  attendre  un  nouvel  affaut ,  il  en- 

i  5  c  8.  voya  aufïi-tôt  deux  gentilshommes  au  duc  de  Guife  ,  pour 
régler  les  articles  de  la  capitulation.  On  convint  le  len- 
demain ,  que  les  foldats  de  la  garnifon  fortiroient  avec  leurs 
armes  ,  mais  fans  drapeaux,  ôc  qu'ils  laifieroient  les  canons , 
les  boulets  ,  la  poudre ,  ôc  toutes  les  autres  munitions  ;  Que 
Grey  lui-même  ,  avec  les  Officiers,  ôc  toute  la  Nobleïïe,  ref- 
teroit  prifonnier  de  guerre.  Il  en  fortit  plus  de  huit  cens 
hommes  Anglois ,  Flamands,  ou  Efpagnols.  Milord  Grey^ 
.  qui  avoit  donné  des  preuves  de  fon  courage  en  d'autres  oc- 
cafions ,  perdit  dans  celle-ci  toute  fa  réputation  ;  parce  qu'il 
ne  fit  que  peu  de  réiiflance,  quoiqu'il  eût  avec  lui  des  Offi- 
ciers de  mérite,  ôc  des  foldats  aguerris,  dans  une  place  bien 
fortifiée.  On  prit  auffi  Chriftophle  de  Mondragon,  qui  quel- 
que tems  auparavant,  s'étoit  échappé  de  la  baftille,  où  il  étoit 
prifonnier.  Les  Anglois  s'étoient  autrefois  emparez  de  Guines 
en  1 3 5*  i  pendant  une  trêve,  par  la  trahifon  du  lieutenant  de 
Beaucourroi,  gouverneur  de  la  Province,  dont  la  perfidie  fut 
punie  du  dernier  fupplice. 

Il  ne  reftoit  plus  dans  ce  payis  qu'on  appelle  ordinairement  le 
comté  d'Ôye,  qu'un  château,  qui  à  la  vérité  étoit  fans  fortifica- 
tions, mais  que  fa  fituation  rendoit  prefque  inaccefiible  :  il  étoit 
environné  de  tous  cotez  de  marais  ,  Ôc  onnepouvoity  aborder 
que  par  une  levée  fort  étroite  ;  la  plupart  des  ponts  de  bois , 
avoient  été  coupez.  La  garnifon  qui  y  étoit,  ayant  appris  la  prife 
de  Guines  ,  n'attendit  pas  l'arrivée  de  nos  troupes  >  ôc  aban- 
donna le  canon  de  la  place  pour  s'enfuir  plus  vite.  On  envoya 
auiïi-tôt  Sipierre  pour  s'en  emparer ,  avec  la  cornette  du  duc 
de  Lorraine ,  dont  il   étoit  Lieutenant. 

Affemblée  Cependant  le  Roi  avoit  convoqué  les  Etats  du  Royaume  à 
Paris.""  a  Paris,  afin  d'en  tirer  des  fommes  d'argent ,  dont  il  avoit  befoin 
pour  recouvrer  ce  que  nous  avions  perdu ,  ôc  foûtenir  les  ef- 
forts des  ennemis.  Le  6  de  Janvier  on  s'aflembla  dans  la  cham- 
bre de  Saint  Louis  ,  qui  étoit  magnifiquement  préparée.  Le 
Roi  monta  fur  fon  thrône ,  ayant  à  fa  droite  un  peu  plus  bas 
le  Dauphin  ôc  le  duc  de  Lorraine  avec  les  Cardinaux  5  ôc^ 
fa  gauche  le  prince  de  la  Roche-fur-Yon ,  le  duc  de  Nevfft 
Sancerre,  d'Urfé  ,  Bourdillon,  ôc  le  refte  de  laNoblefle  5  les 


D  E  J.   A.   D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XX:        au 

autres  Ordres  du  Royaume  étoient  au-defïous.  Le  Roi  fitl'ou-  - — " 

verture    des  Erats  par  un  difcours  majeftueux  ôc   folide.  Il  Henri  IL 
reprefenta  que  depuis  ion  avènement  à  la  couronne  ,  il  na-     l  S  $  %• 
voit  rien  eu  plus  à  cœur  ,  que  de   foûtenir  non-feulement  la 
gloire  de  toute  la  Nation,  mais  encore  de  témoigner  à  tous 
les  Ordres  en  particulier   une   affe&ion  paternelle  ,  Ôc   de 
conferver  les  droits  ôc  les  privilèges  de  chacun  ,  comme  un 
bon  Prince  devoit  faire  :  Qu'il  étoit  de  la  gloire  du  Royaume 
ôc  de  l'intérêt  de  tous  les  Ordres  particuliers ,  de  repouffer  les 
efforts  des  ennemis ,  de  conferver  les  anciens  fiefs  de  la  Cou- 
ronne ,  de  recouvrer  ce  qu'on   avoit  perdu ,  ôc  d'affurer  les 
frontières  :  Qu'ayant  toujours  eu  ces  fentimens  dès  qu'il  s'étoit 
vu  furleThrône,  il  avoit  entrepris,  pour  recouvrer  Boulogne 
ôc  les  payis  voifins  s  une  guerre  dangereufe  contre  l'Angleterre, 
mais  dont  le  fuccès  avoit  e'té  heureux  :  Que  pour  foûtenir  cette 
guerre  ,  ôc  pour  plusieurs  autres  befoins  que  par  un  enchaîne- 
ment fatal,  elle  avoit  fait  naître  >  il  avoit  fait  des  dépenfes  excefli- 
y  es  :  Que  les  revenus  ordinaires  ne  pouvant  y  fuffire,  il  avoit  en- 
gagé fon  domaine ,  ôc ,  ce  qui  lui  faifoit  plus  de  peine,  qu'il  avoit 
été  obligé  d'établir  de  nouveaux  impots  :  Que  ces  extrêmitez 
où  il  avoit  été  réduit,  ôc  aufquellesun  bon  Prince  devoit  tou- 
jours être  fenfible ,  l'avoient  extrêmement  touché ,  ôc  l'avoient 
engagé  à  demander  la  paix  à  des  conditions  defavantageu- 
fes  ;  que  n'ayant  pu  l'obtenir-,  ôc  fçachant  que  l'ennemi  en- 
flé de  fes  fuccès  ,  faifoit  de  plus  grands  préparatifs  ,  pour  con- 
tinuer la  guerre ,  il  avoit  voulu  déclarer  à  tous  les  Ordres  de 
fon  Royaume  fes  intentions  ôc  fes  deffeins  ,  Ôc  leur  témoigner 
publiquement  combien  ,  après  la  confiance  qu'il  avoit  aux  fe- 
cours  du  Ciel ,  il  comptoit  fur  la  fidélité  ôc  le  courage  de  fes 
fujets  :  Qu'il   croyoit  donc  néceffaire  d'oppofer  toutes  fes 
forces  aux   efforts  des  ennemis  :    Que   perfonne  n'ignoroit 
que  l'argent  étoit  le  plus  grand  reffort  de  la  guerre ,  fans  lequel 
on  ne  pou  voit  ni  entretenir  une  armée ,  ni  retenir  des  foldats 
dans  le  devoir ,  ôc  fans  quoi  on  perdoit  ordinairement  les  plus 
belles  occafions  de  réûffir  ,  qui  fe  prefentoient  inutilement  : 
Qu'ainfi  ils  dévoient  donner  tous  les  fecours  pofTibles  à  leur 
Roi ,  ôc  fubvenir  aux  befoins  du  Royaume  ôc  à  la  néceflité  pu- 
blique ,  puifqu'ils  y  étoient  eux-mêmes  intereffez  :  Qu'il  n'i- 
gnoroit pas  que  le  malheur  des  tems  Ôc  les  circonftances 

D  d  ij 


212  HISTOIRE 

fâcheufes  avoîent  corrompu  les  mœurs,  ôc  introduit  dans  le  gou- 
Henri  II  vernement  des  a^us  »  dont  les  peuples  étoient  les  viêtimes  : 
Iffg  mais  qu'il  les  réformerait ,  ôc  qu'il  promettoit  en  même-tems 
de  décharger  le  peuple  des  impôts  qui  l'accabloient ,  dès  que 
par  leur  fecours  il  feroit  debarrafle  des  difficultez  qui  l'envi- 
ronnoient ,  ôc  qu'il  auroit  afluré  la  uaix  par  la  force  de  fes  ar- 
mes :  Qu'il  avoit  voulu  que  le  Dauphin  ,  l'héritier  du  Royaume, 
fût  préfent  à  cette  affemblée  ,  non  feulement  comme  témoin, 
ôc  comme  garant  despromeiTes  de  fonpere,  mais  pour  l'enga- 
ger lui-même  à  exécuter  un  jour  ce  que  le  Roy  promettoit  d'ac- 
complir exactement  fur  la  foi  de  fa  parole  royale. 

Après  que  le  Roi  eut  ainfi  parlé  ,  le  cardinal  de  Lorraine  fe 
leva,  ôc  fit  un  difcours  enflé,  diffus ,  ôc  félon  fa  coutume ,  rem- 
pli de  loùangues  ôc  de  flatteries.  Il  s'étendit  fort  au  long  fur  l'af- 
feclion  du  Roi  envers  tous  les  Ordres  du  Royaume  ôc  fur  fa  gé- 
néralité, ôc  il  promit  au  nom  du  Clergé  de  grandes  fommes  d'ar- 
gent. Enfuite  le  duc  de  Nevers ,  qui  portoit  la  parole  pour  la  No- 
bleffe,  feleva,  ôc  dit  en  peu  de  mots  qu'elle  étoit  prête ,  comme 
elle  l'avoit  toujours  été ,  de  prodiguer  ôc  fon  fang  ôc  fes  biens, 
pourfon  Roi ,  pour  la  défenfe  du  Royaume,  ôc  pour  la  gloire 
_  ,     ,      de  la  Nation. 

Cjrdrc  des 

Magiftrats  Alors  Jean  de  Saint  André  s'étant  jette  aux  genoux  du  Roi, 

des  Cours  fu-  ]e  remercia  au  nom  du  Parlement ,  ôc  de  toutes  les  Cours  fupe- 
pfacé  entrela  rieures  du  Royaume  dont  les  députés  étoient  prefens  ,  de  ce 
Noblefle  &  le  <qu'il  avoit  formé, ôc  uni  aux  Etats  du  Royaume  un  quatrième  Or- 
dre diftingué  des  autres,  qui  étoit  celui  des  Magiftrats,  qui  dépo- 
,  fitaires  de  fon  autorité  rendent  la  juftice  en  fon  nom  5  après  avoir 
loué  la  bonté  ,  ôc  la  prudence  du  Roi ,  il  offrit  les  biens  ôc  la 
vie  de  ceux  pour  lefquels  il  parloir. 

Enfin  André  Guillart  du  Mortier ,  pour  le  tiers  Etat,  s'étant 
aufïi  jette  aux  pieds  de  Sa  Majefté  donna  de  grandes  louanges 
à  la  bonté  ôc  à  la  fagefTe  du  Roi ,  qui  avoit  réfolu  de  faire  une 
paix  glorieufe  par  la  force  de  fes  armes ,  ôc  de  corriger  les 
abus  qui  s'étoient  gliffés  dans  le  gouvernement  à  la  faveur  du 
malheur  des  tems  5  il  dit  encore  que  quoique  le  peuple  fût 
chargé  d'impôts ,  ôc  accablé  par  les  maux  d'une  guerre  con- 
tinuelle, fçachant  néanmoins  que  des  fujets  dévoient  tout  à 
leur  Roi  ,  ôc  voulant  donner  des  marques  autentiques  de  leur 
parfait  dévouement ,  ôc  de  leur  fidélité  dans  hs  circonftances 


DE   J.   A.   DE  THOU  Liv.  XX.         213 

préfentes,  ils  ne  refuferoient  point  de  fournir  des  fommes  affés 
confidérables,  pour  remédier  auxbefoins  de  l'Etat ,  ôc  foûtenir  jj[enri  jj# 
avec  gloire  la  guerre  qu'on  avoit  commencée.  1  ç  c  S 

Après  que  du  Mortier  eut  fini ,  Jean  Bertrandi  Garde  des 
Sceaux ,  qu'on  appelloit  alors  le  cardinal  de  Sens  ,  fe  mit  à 
genoux ,  fuivant  la  coutume ,  pour  prendre  l'avis  du  Roi  :  ayant 
repris  fa  place  ,  il  dit  que  Sa  Majefté  ordonnoit  que  pour  com- 
mencer la  réforme ,  le  tiers  Etat  donneroit  un  cahier ,  où  il  ex- 
poferoitfes  fujets  de  plaintes,  ôc  les  differensabus  qu'il  ialloit  re- 
former, ôc  le  remettroit  entre  les  mains  de  Du  Mortier,  qui  en  fe- 
roit  fon  rapport  à  Sa  Majefté  pour  y  remédier  fuivant  fa  volonté. 

Enfuite  on  congédia  l'afTemblée.  Dès  que  le  Roi  fut  forti ,  le 
Cardinal  de  Lorraine  par  fon  ordre  fit  venir  en  particulier  les 
députez  du  tiers  Etat  :  il  leur  repréfenta  que  le  Roi  avoit  befoin 
de  trois  millions  d'écus  d'or ,  pour  les  frais  de  la  guerre  :  Que 
le  Clergé  ayant  offert  un  million ,  outre  les  décimes ,  il  étoit 
îufte  que  le  tiers  Etat  fournît  les  deux  autres  :  Que  pour  le  faire 
avec  plus  de  commodité  ôc  plus  promptement  ,  parce  que  le 
befoin  qu'on  en  avoit  demandoit  plus  de  diligence,  il  falloir 
que  les  députez  donnaient  les  noms  de  deux  mille  bourgeois 
les  plus  confidérables  de  toutes  les  villes  du  Royaume,  qui  prê- 
teroient  chacun  mille  écus  d'or.  Les  députez  refuierent  d'abord 
de  donner  ces  noms ,  ôc  foûtinrent  que  ce  moyen  étoit  odieux, 
6c  qu'il  y  avoit  même  du  danger  de  l'exécuter  :  Que  d'un  côté 
onnepouvoit,  fans  exciter  des  murmures  ôc  s'attirer  la  haine 
de  tous  les  particuliers ,  les  obliger  de  donner  des  déclarations 
de  tous  leurs  biens  ,  ôc  d'en  faire  une  efpéce  de  dénombrement  : 
Que  d'un  autre  côté  le  commerce  du  Royaume  fouffriroit 
beaucoup ,  fi  les  biens  des  Négotians  étoient  connus  de  tout 
le  monde  ;  parce  que  3  comme  on  les  croit  fouvent  plus  ri- 
ches qu'ils  ne  le  font,  la  perte  de  leur  crédit  ruineroit  leur 
négoce.  Enfin  on  jugea  plus  à  propos  de  faire  une  impofition 
de  cette  fomme  furies  Provinces,  ôc  fur  les  Villes  qu'elles  ren- 
ferment ,  pour  la  répartir  enfuite  entre  les  plus  riches  particu- 
liers, afin  que  cette  contribution  >  qu'un  petit  nombre  de  bour- 
geois n'auroient  pu  payer  fans  en  être  accablez  ,  parût  plus  lé- 
gère par  la  répartition  qui  en  feroit  faite  entre  un  grand  nom- 
bre de  perfonnes. 

Après  la  tenue'  des  Etats ,  le  Roi  accompagné  de  la  Reine 

Ddiij 


2i4  HISTOIRE 

fon  époufe,  du  Dauphin,  &  de  tous  les  Seigneurs ,  afîifta  a 
Henri  IL  une  Meffe  qui  fut  célébrée  avec  folemnité  dans  la  fainte 
i  $  $  S.  Chapelle  du  Palais  le  10  de  Janvier.  On  rendit  des  aciions 
de  grâces  à  Dieu  pour  le  recouvrement  de  Calais.  Le  Roi 
devoit  aller  vifiter  cette  place  5  mais  avant  de  partir  il  vint 
félon  la  coutume  au  Palais ,  où  il  tint  un  lit  de  Juftice.  On 
y  renouvella  ,  ôc  on  y  enregiftra  de  nouveau  plufieurs  édits 
Ôc  déclarations ,  touchant  l'adminirlration  des  affaires  civiles , 
qui  n'éto^ent  plus  obfervez.  Enfin  |e  Roi  partit  pour  Calais  ôc 
après  avoir  vifité  la  place,  dont  il  donna  le  gouvernement  à  Paul 
de  Thermes,  il  réfolut  de  la  faire  fortifier,  fuivantl'avis  du  Con- 
feil  de  guerre ,  ôc  revint  enfuite  dans  l'intérieur  du  Royaume. 
Le  duc  de  Nevers  étant  de  retour  en  Champagne,  com- 
manda aux  Gouverneurs  des  places,  où  il  y  avoit  des  garnifons* 
de  mettre  leurs  foldats  en  état  de  marcher ,  ôc  donna  ordre 
aux  Commandans  des  compagnies  de  cavalerie  de  Bouillon 
Ôc  de  Jamets ,  $c  à  Senarpont  qui  étoit  à  la  tête  de  la  fien- 
ne ,  d'affembler  leurs  troupes.  Il  fe  rendit  lui-même  à  Yvoy 
au  commencement  de  Février.  On  y  tint  Confeil  de  guerre, 
où  aflifta  Jamets  vieux  capitaine  qui  avoit  beaucoup  de  réputa- 
tion ,  ôc  on  y  réfolut  d'afîiéger  Herbemont ,  à  la  prière  de 
Haultcourt.  Herbemont  eft  un  château  iitué  dans  la  forêt  d'Ar- 
denne ,  fur  un  rocher  efcarpé  de  toutes  parts ,  fi  ce  n'eft  du 
côté  par  où  l'on  y  entre,  ôc  qui  appartient  au  comte  deBei- 
liftein.  Il  fervoit  de  rendez-vous  aux  ennemis  pour  faire  des 
courfes ,  qui  incommodoient  beaucoup  Yvoy  ôc  la  contrée  voi- 
fine.  Léon  Defpot ,  qui  commandoit  fur  la  frontière  delà  Pro- 
vince en  l'abfence  de  Bourdillon,  avoit  déjà  un  nombre  fuffifant 
de  pionniers  ôc  de  chevaux ,  pour  conduire  l'artillerie  où  le  duc 
de  Nevers  le  jugeroit  à  propos.  On  envoya  donc  en  diligen- 
ce ôc  fecretement ,  par  différentes  routes ,  Trouffebois  gou- 
verneur de  Mezieres  ,  ôc  Chambry  gouverneur  de  Maubert- 
Fontaine,  pour  inveftir  la  Place  avec  leurs  troupes.  On  con- 
duifit  par  Sedan  une  partie  de  l'artillerie  efcortée  de  la  ca- 
valerie légère ,  ôc  Haultcourt  fit  paffer  l'autre  partie  avec  tous 
les  équipages  par  une  route  différente  fous  la  conduite  dejaç- 
que  Wolf.  Le  duc  de  Nevers  les  fuivit  avec  ce  qu'il  avoit  de 
troupes  armées  à  la  légère.  Le  paffage  du  canon  fur  la  rivière 
de  S  émois,  qui  eft  au-deffous  du  château ,  fut  très  difficile^ 


DE  J.  A.  DE  THÔU,  Liv.  XX.        \mf 

à  caufe  de  la  glace ,  ôc  des  neiges  extraordinaires.  La  garni-  •M——^ 
fon  fit  d'abord  une  fortie,,  ôc  on  combatit  vigoureufement.  Henri  II. 
Ayant  été  repouffée ,  Cormon  s'empara  du  chemin  couvert  où  155  8. 
les  payifans  s'étoient  retirez  avec  tous  leurs  troupeaux.  On 
éleva  enfuite  une  batterie  du  côté  où  l'on  entre  dans  le  châ- 
teau :  la  violence  du  canon  abattit  le  baftion  qui  en  couvroit 
la  face,  ôc  la  brèche  étant  allez  confidérable ,  on  fe  prépara 
à  donner  l'affaut.  Mais  le  Gouverneur  n'en  voulut  pas  atten- 
dre l'événement  3  Ôc  offrit  de  fe  rendre  ,  au  moyen  d'une 
capitulation  honorable.  Ayant  été  refufé ,  il  fe  rendit  le  6  de 
Février  à  difcretion  au  duc  de  Nevers  ,  qui  ,  à  la  prière  de  Ja- 
mets  ,  le  renvoya  fans  rançon  ,  avec  fa  femme  ôc  toute  fa  fa- 
mille ,  ôc  renvoya  de  même  les  foldats  de  la  garnifon  :  le  duc 
de  Nevers  donna  le  gouvernement  de  cette  Place  à  la  Croix 
lieutenant  de  Haultcourt.  On  envoya  enfuite  des  troupes  pour 
s'emparer  des  châteaux  de  Jpnoigne  3  de  Chigny  3  de  Roiïi- 
gnol ,  ôc  de  Villemont  3  que  les  ennemis  avoient  bâtis  dans  ce 
payis;  mais  la  plupart  avoient  été  abandonnez  par  les  garni- 
ions  ,  au  bruit  de  l'arrivée  du  duc  de  Nevers ,  ôc  les  autres  fe 
rendirent,  dès  que  nos  troupes  parurent. 

Le  bruit  de  la  prife  de  Calais  s'étant  répandu  en  Italie,  y  Affaires 
fit  non  feulement  oublier  la  défaite  de  Saint  Quentin,  mais  d'Italie? 
encore  releva  le  courage  des  François  ôc  du  duc  de  Ferrare, 
ôc  leur  fit  former  de  plus  grandes  entreprifes.  Les  François 
avoient  d'abord  eudefleinde  furprendre  Orbitello,  parce  qu'on 
leur  avoit  rapporté  qu'on  faifoit  peu  de  garde  du  côté  de  l'é- 
tang. Ils  partirent  donc  fans  bruit  de  Montalcino  pour  exécu- 
ter ce  projet  3  mais  étant  arrivés  fur  le  lieu,  les  échelles  qu'on 
avoit  préparées  pour  l'efcalade  fe  trouvèrent  trop  courtes ,  par 
îa  faute  de-  celui  qui  avoit  été  chargé  de  les  faire  ',  ainfî  ils 
furent  obligez  de  fe  retirer,  avec  perte  de  quelques  foldats  qui 
furent  tuez  parle  canon  de  la  place.  Le  duc  de  Ferrare  de  fon 
côté  voyant  que  les  ennemis  étoient  fort  fatiguez,  ôc  que  les  in- 
commoditez  qu'ils  fouffroient  les  avoient  obligez  de  fe  retirer 
dans  leurs  quartiers  d'hiver ,  fe  mit  en  campagne  ,  ôc  s'éten- 
dit dans  les  terres  de  Parme  qu'il  ravagea.  La  garnifon  de  Brif- 
fello  ayant  fait  des  courfes  jufqu  a  San-vitale ,  prit  huit  gre- 
nadiers ,  ôc  le  Porte-étendart  du  prince  d'Afcoli.  Dans  le  mê- 
me  tems  Alfonfe  accompagné    de   Corneille  Bentivoglio , 


.-»»ji'*"w:vï«*r>afc« 


21e  HISTOIRE 

étant  forti  de  Reggio  avec  quatre  mille  homme  de  pié ,  & 
Henri  II    9uatre  pieces  de  canon ,  reprit  San-Polo,  ôc  défarma  le  petit 
o   *  nombre  de  foldats  qui  y  étoient  ;  ils  pafferent  enfuite  fans  bruit 
la  rivière  de  la  Lenza ,  qui  fépare  l'état  de  Parme  des  terres 
de  Reggio ,   pour  afïiéger  le  château  de  Guardigione ,  dont 
la  garnifon  fe  rendit,  après  quelques  volées  de  canon.  Roffe- 
na  ,  château  de  la  dépendance  des  Correggio ,  fut  enfuite  atta- 
qué, Ôc  battu  à  coup  de  canon?  ayant  été  emportée  il  fut 
faccagéôc  brûlé.  Delà  on  marcha  vers  Canofîa  :  la  place  effuya 
le  feu  de  l'artillerie ,  fans  vouloir  fe  rendre  •■>  mais  elle  futprife 
d'affaut ,  ôc  prefque  toute  la  garnifon  futpafleeaufil  de  l'épée. 
Ottavio  touché  de  ces  pertes,  ou  plutôt  de  la  honte  de  ne 
pouvoir  arrêter  ces  conquêtes ,  follicitoit  des  fecours  de  tous 
cotez  ;  il  en  envoya  chercher  à  Milan ,  ôc  en  Tofcane.  Il  pria 
Jean  Figueroa  de  lui  prêter  deux  mille  Allemans ,  mille  Efpa- 
gnols  ,  Ôc  deux  compagnies  de  Gendarmes ,  que  ce  dernier 
avoit  envoyés  dans  leurs  quartiers  d'hiver  pour  fe  rafraîchir, 
comme  s'ils  euffent  fait  quelque  expédition  d'importance,  en 
prenant  Ponzone ,  qui  n'eft  qu'un  petit  château  fur  le  chemin 
d'Alexandrie  de  la  Paille  à  Gènes.  Mais  Ottavio  n'en  put  af- 
fembler  qu'un  petit  nombre ,  parce  que  l'argent  lui  man- 
quent pour  payer  fes  troupes.    Ainfi  voyant  qu'il  fe  fatiguoit 
inutilement  ,  il   fe    borna  au   deffein  de  reprendre  ce  que 
le   duc  de  Ferrare  lui  avoit  enlevé ,  ôc   de  demeurer  chez 
lui.  Le  cardinal  Alexandre  fon  frère  l'exhortoit   d'exécuter 
promptement  cette  réfolution ,  parce  qu'il  prévoyoit,  que  dès 
que  la  flotte  Turque  paroîtroit,  toutes  les  troupes  fe  réuniraient 
pour  défendre  les  côtes  d'Italie  ,  ôc  que  par    conféquent    il 
étoit  hors  de   faifon   ôc  même  préjudiciable  à  fon  frère  ,  de 
s'engager  témérairement  dans  une   guerre    contre  un  Prince 
voilïn.    Outre  cela   François  d'Eft  ,   frère  du  duc  de   Fer- 
rare ,  qui  jufqu'alors  avoit  fuivi  le  parti  de  l'Empereur ,  ôc 
lui  avoit  rendu  des  fervices  importans  dans  la  guerre  d'Alle- 
magne, ayant  reçu  dans  le  même  tems  le  collier  de  l'Ordre, 
étoit  pafTé  de  notre  côté  ,  ôc  avoit  été  envoyé  en  Tofcane  , 
en  qualité  de  Généraliflime  des  armées  de  France ,  pour  y 
faire  la  guerre  au  nom  du  Roi  :  ce  qui  contribua  beaucoup 
h  établir  la  réputation  des  François  dans  ce  payis  ,  ôc  à  y  affer- 
mir la  puilTance  du  duc  de  Ferrare.  Corne  qui  n'avoit  jamais 

éprouvé 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv\  XX.         217 

éprouvé  la  guerre  qu'.on  faifoit  à  ce  Prince,  fe  fervit  de  cette  — ««muw 
occafioa  ,  pour  agir  plus   ouvertement  avec  les  Efpagnols ,  jjENRI  jj 
ôc  prefler  Philippe  de  traiter  à  l'amiable  avec  le  duc  de  Fer-     lî?g( 
rare. 

Ce  Prince ,  qui  étoit  déjà  vieux,  &  dont  les  deffeins  n'a- 
voient  pas  eu  le  fuccès  qu'il  attendoit ,  fe  prêtoit  volontiers 
à  un  accommodement  s  mais  il  ne  vouloit  quitter  notre  al- 
liance ,  qu'à  des  conditions  honorables.  Enfin  ,  par  l'entre- 
mife  de  Côme,  qui  avoitun  plein  pouvoir  du  Roi  Philippe, 
on  convint ,  que  le  duc  de  Ferrare  renonceroit  au  titre  de 
Généralifïime  des  armées  de  France  en  Italie  *  &  à  la  ligue 
qu'il  avoit  faite  avec  le  Pape  ,  ôc  le  Roi  contre  Philippe  : 
Qu'il  embrafferoit  la  neutralité  ,  fans  pouvoir  fournir  au  Roi 
de  l'artillerie ,  ni  aucunes  autres  munitions  de  guerre  5  qu'on 
rendroit  réciproquement  tout  ce  qui  avoit  été  pris  de  part  ôc 
d'autre  dans  cette  guerre  :  Que  le  Duc  vivroit  en  bonne  in- 
telligence avec  OttavioFarnefe,ôc  qu'il  rendroit  à  Sigifmond  de 
Gonzague  la  ville  de  San  -  Martino  ,  qu'on  lui  avoit  prife,  ôc 
fes  autres  biens  que  le  Duc  avoit  confifquez.  Ce  dernier  article 
étoit  infupportable  au  duc  de  Ferrare ,  parce  qu'il  lui  ôtoit  la 
liberté  de  punir  à  fon  gré  un  de  fes  fujets.  Barthelemi  Con- 
cini  fut  envoyé  pour  faire  ratifier  ce  traité  par  le  Roi  d'Ef- 
pagne ,  ôc  lui  demander  fon  agrément ,  pour  l'alliance  que 
Corne  ôc  le  duc  de  Ferrare  vouloient  contracter  enfemble  ; 
On  lui  en  faifoit  voir  les  motifs  ôc  l'utilité.  Le  Roi  d'Efpagne 
approuva  les  traitez  ,  ôc  la  paix  fut  conclue  avec  le  duc  de 
Ferrare.  Alfonfe  vint  aufll-tôt  à  Florence ,  où  il  époufa  Lu- 
crèce ,  princeffe  âgée  de  quatorze  ans  ;  car  Marie ,  qui  étoit 
plus  avancée  en  âge  ôc  qui  lui  étoit  deftinée ,  étoit  morte 
quelque  tems  auparavant.  Les  noces  furent  célébrées  avec 
beaucoup  de  magnificence. 

Les  fêtes  ôcles  divertiflemens ,  qui  accompagnèrent  ce  ma* 
rjage ,  ne  firent  pas  refter  Corne  dans  l'inaction  5  il  employoit 
tous  fes  foins  à  faire  fortifier  les  côtes  de  la  mer ,  pour  s'op- 
pofer  aux  defcentes  de  l'armée  navale  des  Turcs ,  qui ,  corn- 
mêle  bruit  couroit,  devoit  attaquer  l'iile  d'Elbe,  Portercole 
Piombino,  Savone,  ôcNice.  Chiappino  Vitelli  fut  envoyé  à 
Portercole,  pour  faire  entourer  d'un  foffé  une  colline  qui  corn- 
mandoit  la  ville ,  -ôc  à  qui  le  Roi  d'Efpagne  donna  dans  la, 
Tome  IJL  E  e 


ai8  HISTOIRE 

fuite  fon  nom ,  ôc  pour  faire  rétablir  avec  des  pionniers  les 
Henri  II  ouvrages  de  ^a  citadelle  de  Piombino  ,  que  les  Efpagnols 
g  '  avoient  négligez.  Gabriel  Serbellone  eut  ordre  de  fe  rendre 
dans  l'ifle  d'Elbe  >  pour  y  faire  fortifier  Portoferraio  ,  en  ajou- 
tant de  nouveaux  battions  au  Fort  deFalcon.  Côme  prenoit  ces 
mefures  pour  mettre  les  côtes  de  la  mer  à  couvert  des  mena- 
ces des  Turcsmiais  s'étant  apperçù  que  dans  l'intérieur  du  payis, 
les  François  étoient  devenus  à  charge  aux  peuples,  parce  qu'ils 
ne  payoient  pas  les  troupes ,  il  entreprit  d'enlever  toutes  les 
moiiTons ,  pour  attirer  à  lui  peu  à  peu  les  Bannis  de  Sienne  , 
qui  avoient  déjà  quelques  fujets  de  mécontentement  ;  car  la 
garnifon  de  GrolTeto  diminuoit  de  jour  en  jour ,  à  caufedu  mau- 
vais air  ;  ôcles  débordemens  de  l'Ombroncqui  avoient  ren- 
verfé  les  fortifications,  mettaient  cette  place  en  grand  danger. 
La  flotte  Turque  ,  compofée  de  cent  vingt  voiles  ,  parut 
proche  de  la  Previza ,  fur  les  côtes  de  Calabre.  Ayant  pafle 
à  la  vûë  de  Brindili ,  qu'on  fortifioit  à  la  hâte  ,  elle  prit  la 
même  route  que  celle  qu'elle  avoit  tenue  auparavant  ,  lorf- 
qu'apres  avoir  doublé  le  Fare  de  IVIeirine  ,  Ôc  faccagé  Reg- 
gio ,  elle  aborda  à  l'ifle  de  Stromboli.  Les  Turcs  fe  répan- 
dirent enfuite  dans  le  Golfe  de  Surrento ,  ôc  ayant  fait  une  des- 
cente proche  de  Salerne,  ils  enlevèrent  plus  de  quatre  mille 
perfonnes ,  qu'ils  réduifirent  à  une  dure  fervitude  ,  ôc  entre 
autres  ,  plufieurs  Religieufes  ,  ôc  un  grand  nombre  de  Moines 
des  couvents  voifins  ,  que  l'agréable  fituation  de  ce  payis  y 
avoit  fait  bâtir.  Us  mafîacrent  les  enfans  ôc  les  vieillards ,  Ôc 
viennent  à  la  vûë  de  Naples  :  fans  reconnoître  Terracine  , 
ville  de  l'état  Eccléfiaftique ,  ils  defcendent  dans  l'ifle  d'Elbe  s 
Ôc  après  une  nuit  de  féjour  feulement  dans  Porto-longone  3 
croyant  que  toute  la  côte  étoit  bordée  de  foldats  3  ôc  qu'Au- 
relio  Fregofe,  qui  étoit  depuis  peu  arrivé  de  Lombardie  s 
paroiflbit  avec  fa  cavalerie ,  félon  l'ordre  qu'il  en  avoit  reçu , 
ils  prennent  la  route  de  l'ifle  de  Corfe  ,  où  ils  efpéroient  trou- 
ver encore  la  flotte  Françoife.  Mais  elle  en  étoit  partie  quel- 
que tems  auparavant,  Ôc  le  bruit  courut  qu'on  avoit  defïein, 
ou  d'efcalader  Savone,  ou  d'afliéger  Nice,  ou  de  s'emparer  du 
port  de  Ville-Franche.  Le  Génois ,  qui  en  furent  allarmez  3 
envoyèrent  de  riches  préfens  au  Bâcha  ,  pour  détourner  l'o- 
rage de  deflus  leurs  terres ,  quoique  Gomez  de  Figueroa  leur 


DE  J.  A.  DE   THOU,Liv.  XX.       ni9 

repréfentât  que   c'étoit  offenfer  Piulippe  ,  ôc  malgré  les  re-  ___ s 
montrances  d'André  Doria  ,  que  fon  extrême  vieillefle  ren-  Henri  II. 
doit  alors  méprifable  à  fes  concitoyens.  Les  Génois  firent  plus  :      i  c  j  8. 
ils  réfolurent  d'envoyer  des  AmbaiTadeurs  jufqu'à  Conftanti- 
nople,  pour  obtenir  de  Soliman  l'entière  liberté  de  leur  com- 
merce, ôc  pour  demander,  par  un  traité  qu'ils  offroient  de  faire, 
la  permiffion  d'acheter  ôc  de  tranfporter  des  bleds  pour  la  Ré- 
publique ,  parce  que  les  Efpagnols  ne  leur  en  fourniffoient 
tous  les  ans  de  la  Sicile ,  que  médiocrement  ôc  avec  peine. 

Le  bruit  fe  confirma ,  lorfque  la  flotte  Turque  eut  pris 
la  même  route  que  la  flotte  Françoife  :  on  conje&ura  qu'elles 
fe  rendroient  de  concert  fur  les  côtes  de  Provence ,  pour  fe 
joindre  enfemble  ,  6c  enfuite  attaquer  Nice.  On  croyoit  en- 
core que  le  maréchal  de  BrifTac  partiroit  de  la  Cour  avec  de 
l'argent ,  Ôc  pafferoit  le  Var  pour  féconder  avec  une  armée  de 
terre  les  efforts  des  deux  flottes  ;  mais  tout  arriva  autrement. 
Le  Maréchal  étant  venu  à  la  Cour  ,  ou  de  fon  propre  mou- 
vement, ou  par  ordre  du  Roi ,  auprès  duquel  il  prétendit  s'ê- 
tre pleinement  juftifié  des  aceufations  fecretes  de  concufîion 
dans  fon  gouvernement ,  intentées  contre  lui ,  donna  des  éclair- 
ciffemens  fur  l'état  prefent  des  affaires  ;  ôc  ayant  fait  voir  la 
nécefîlté  où  l'on  étoit  de  continuer  la  guerre,  il  fut  renvoyé  en 
Italie.  Comme  l'argent  furtout  lui  manquoit,  il  eut  ordre  d'en 
prendre  à  Lyon  des  Banquiers,  à  quelque  prix  que  ce  fût  , 
pour  foûtenir  les  frais  de  cette  guerre  j  mais  ayant  inutilement 
perdu  beaucoup  de  tems  à  Lyon ,  il  fut  obligé  de  retourner  en 
Piémont,  où  étant  hors  d'état  de  former  de  plus  grandes  en- 
treprifes  ,  il  crut  faire  affés ,  s'il  ravageoit  les  terres  voifines  de 
Foffano ,  ôc  de  Cuni ,  ôc  s'il  fe  rendoit  maître  de  ces  deux  pla- 
ces, qu'il  affiégeoiten  quelque  forte  depuis  long-tems ,  en  les 
reduifant  par  la  famine  aux  dernières  extrêmitez. 

D'un  autre  côté  Jean  de  Figueroa  faifoit  la  guerre  de  la  mê- 
me façon.  Il  ravagea  les  environs  de  Saint  Damian  pour  in- 
commoder la  garnifon ,  ôc  faifoit  voir  d'autant  moins  d'activité* 
qu'il  attendoit  de  jour  en  jour  un  fucceffeur.  En  effet  après 
que  le  duc  d' Albe  eut  remis  au  roi  d'Efpagne  le  commande-   ^  »  Ou  Gow> 
ment  général  de  fes  armées  en  Italie,  le  duc  de  Seffa  petit-fils  fa,ez  >,  f*v~ 
du  grand  Gonfalve*,  fut  choifi  pour  gouverneur  du  Milanez  ,  Grand-Capi- 
&  on  donna  la  Viçeroyauté  de  Naples  à  Dom  Perafan  de  taine! 

E  e  ij 


■ 


220  HISTOIRE 

Ribera  duc  d'Alcala  Viceroi  de  Catalogne  :  en  fon  abfence 
Henri  II.  Pierre  Manrique  fut  chargé  du  gouvernement  du  Royaume. 
i  $  $  8.  L'armée  Navale  des  Turcs  s'étant  rafraîchie  en  Provence 
pendant  quelque-tems  ,  fit  une  defcente  dans  l'Ifle  de  Minor- 
que  ;  ils  y  affiégerent  une  ville  appellée  Citadella.  Après  en 
avoir  fait  approcher  le  canon  i  ôc  donné  plufieurs  aflauts  ,  ils 
l'emportèrent  enfin  avec  une  perte  confidérable  ;  car  on  rap- 
porte qu'il  périt  dans  ce  fiége  plus  de  quatre  cens  de  leurs  fol- 
dats.  Ils  ne  rirent  aucune  autre  conquête ,  malgré  tous  les  ef- 
forts des  François  pour  les  retenir  ;  ils  abordèrent  proche  de 
Savone ,  où  Cefar  Maggi  s'étoit  enfermé  ,  ôc  biffant  derrière 
eux  les  cotes  d'Italie  ,  ils  firent  voile  vers  l'Orient  au  commen- 
cement d'Août, 

Cependant  le  Roi  fit  faire  en  France  de  nouvelles  levées  ; 
&  principalement  en  Gafcogne  ôc  en  Guienne,  payis  fertiles 
en  bons  foldats  :  on  leva  aufïi  en  Allemagne  de  l'infanterie 
ôc  de  la  cavalerie  en  plus  grand  nombre  qu'à  l'ordinaire ,  parce 
qu'il  étoit  néceffaire  de  garnir  la  frontière  de  ce  payis.  Tou- 
tes ces  troupes  eurent  ordre  de  s'affembler  fur  la  fin  d'Avril  pour 
la  revue  générale. 
Mariage  du  ^ur  ces  entrefaites*  on  célébra  à  Paris  le  24  d'Avril  avec 
Dauphin^       la  dernière  magnificence  les  noces  du  Dauphin  François ,  ôc  de 

StïLÎ*Rdù  Marie  Stuart  reine  d'Ecofre  i fille  de  Jacque  V.  ôc  de  Marie  de 
d'Ecoffe.  Lorraine,  fœur  des  Guifes.  Les  Cardinaux ,  Charle  de  Bourbon 
Charle  de  Lorraine  ,  Odet  de  Coligny  de  Chaftillon,  ôcjean 
Bertrandi,  les  Princes  de  Condé,  ôc  de  la  Roche-fur-Yon , 
de  la  maifon  de  Bourbon ,  les  ducs  de  Lorraine ,  de  Nemours, 
de  Guife ,  de  Nevers  Ôc  d'Aumale  y  affifterenr.  Il  s'y  trouva 
entre  les  feigneurs  Ecoffois  l'archevêque  de  Glafcow  Primat 
du  Royaume  ,  l'Evêque  des  Orcades,  les  comtes  deRothes 
ôc  de  Caffilis  ou  Caffellei ,  Fleming ,  Seton ,  ôc  Dunes,  dont 
nous  avons  déjà  parlé.  Le  Roi  permit  avec  trop  de  facilité  au 
duc  de  Guife  de  faire  ,  en  l'abfence  du  connétable  de  Mont- 
morency que  les  ennemis  avoient  fait  prifonnier,  l'office  de 
Grand-maître  de  la  maifon  du  Roi  dans  le  repas  fomptueux 
qu'il  donna.  Le  duc  de  Guife  briguoit  déjà  cette  charge,  qu'il 
ôta  dans  la  fuite  à  la  maifon  de  Montmorency.  Après  la  cé- 
lébration du  mariage  ,  les  Ambaffadeurs  d'Ecoffe  furent  intro- 
duits dans  le  Conlèih  Bertrandi  Garde  des  Sceaux  conféra 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XX.       221 

avec  eux  ,  pour  les  engager  à  repréfenter  la  couronne  ôc  les  '"" 
autres  marques  de  l'autorité  fouveraine  ,  ôc  à  proclamer  Roi  Henri  IL 
d'Ecoffe  l'époux  de  leur  Reine.  Les  AmbafTadeurs  ayant  ré-  *  5  5 & 
pondu  qu'ils  n'avoient  pas  d'inftrutYion  fur  une  affaire  de  cette 
importance  ,  Bertrandi  repartit  qu'il  n'exigeoit  pour  lors  que 
ce  qui  dépendoit  d'eux  ;  qu'ils  dévoient  donc  promettre  par 
écrit ,  d'appuyer  dans  l'affemblée  des  Etats  par  leurs  fuffrages 
la  prétention  du  Dauphin ,  qui  demandoit  un  honneur  qui  lui 
étoit  dû  à  fi  jufte  titre  :  mais  les  AmbafTadeurs  le  refuferent  , 
fous  prétexte  que  leurs  pouvoirs  étoient  limités ,  ôc  ne  pou- 
voient  s'étendre  jufques-là.  Ils  promirent  feulement  de  rendre 
tous  les  fervices  pollibles  aux  François  >  à  qui  ils  étoient  unis 
par  tant  de  raifons ,  ôc  de  foufcrire  à  tout  ce  que  des  amis  pour- 
voient honnêtement  demander  ',  mais  ils  prièrent  en  même- 
tems  qu'on  n'exigeât  d'eux ,  que  ce  qui  étoit  dans  les  termes 
de  l'équité. 

Ainfi  les  A mbafladeurs  furent  congédiez,  ôc  quoiqu'ils  fif- 
fent  toute  la  diligence  pofïible  pour  le  rendre  en  Ecoffe  3  ils 
perdirent  cependant,  avant  de  fortir  de  France  î'évêque  des  Or- 
cades,  lescomtesd'Angus  ôc  deCafïllis,  ôc  Fleming  qui  étoit 
le  chef  de  fa  maifon  :  ces  quatre  Seigneurs  étoient  de  la  pre- 
mière qualité ,  ôc  aufïi  illuftres  par  leur  vertu  ,  que  par  l'amour 
de  leur  patrie.  Plufieurs  de  ceux  qui  les  accompagnoient  mou- 
rurent aufïi ,  non  fans  quelque  foupçpn  d'avoir  été  empoifon- 
nés  par  les  frères  du  Régent  ,  comme  le  bruit  s'en  répandit  en 
Ecoffe  ,  parce  qu'ils  étoient  contraires  à  leurs  deffeins.On  crut 
aufïi  qu'ils  avoient  voulu  fe  défaire  par  le  même  moyen  de  Jac-  deAfarrayfils 
que  *  frère  de  la  Reine  î  car  quoique  fon  tempérament  vigou-  naturel  de 
reux  ,  ôc  la  force  de  fa  jeunefle  l'euffent  empêché  de  fuccom-  Jacclue  v* 
ber  à  la  violence  du  poifon ,  cependant  depuis  ce  tems-là  il 
fut  toujours  incommodé  d'un  mal  d'eftomach,  tant  qu'il  vécut. 
Ceux  qui  revinrent  jufque  dans  leur  payis }  obtinrent  facilement 
dans  l'affemblée  des  Etats  la  ratification  des  acles,  aufquelsils 
avoient  confenti  en  France.  On  donna  enfuite  audience  à  no- 
tre Ambaffadeur.  Après  s'être  étendu  fort  au  long  fur  l'ancien- 
ne ôc  fidèle  amitié  que  les  François  avoient  toujours  eûë  pour 
les  Ecoffois  ,  il  fe  fervit  des  termes  les  plus  forts  >  pour  les  con- 
jurer tous  en  général  ôc  en  particulier  d'accorder  à  l'époux  de 
leur  Reine  une  couronne ,  qu'il  appelloit  conjugale  ;  il  ajouta 

E  e  iij 


222  HISTOIRE 

,  que  le    Dauphin  ne   prétendoit  point  en  tirer  avantage  > 
Henri IT   n*  cIue^e  ^ul  donnât  un  plus  haut  degré  de  puiffance  ,  mais 
«  '  qu'il  ambitionnoit  feulement  le  finiple  nom  de  leur  Roi.  Quoi- 
*    '    que  plufieurs  s'oppofaffent  à  la  demande  de  l'Ambaffadeur  , 
cependant  par  les  brigues  de  ceux  qui  étoient  dans  nos  inté- 
rêts ,  il  obtint  qu'on  accorderoit  la  couronne  d'Ecoffe  au  Prin- 
ce. Gilepfic  Cambell  comte  d'Argathley,ou  d'Argathel,  ôc  Jac- 
que  frère  de  la  Reine  ,  furent  choifis  pour  la  lui  porter  ;  mais 
ils  fe  préparèrent  fi  lentement  à  ce  voyage ,  qu'en  le  différant 
de  jour  à  autre  fous  difFerens  prétextes ,  Marie  reine  d'Angle- 
terre mourut  fur  ces  entrefaites  :  cet  accident  occafionna  quel- 
ques changemens  dans  la  face  des  affaires ,  non-feulement  en 
Angleterre  ,  mais  encore  en  France ,  comme  nous  le  ver- 
rons dans  la  fuite. 

Après  que  la  Couronne  eût  été  décernée  à  François  mari 
de  la  Reine,  on  le  nomma  le  Roi  Dauphin  ,  du  confente- 
ment  de  fon  père.  La  plupart  des  Ecoffois  difoient  que  cette 
alliance  feroit  fatale  à  leur  patrie  ,  ôc  plufieurs  fages  politi- 
ques conje&uroie.nt  pareillement  qu'elle  nous  feroit  préjudi- 
ciable ,  par  l'accroiffement  de  la  puiffance  des  Guifes.  La  pri- 
fon  du  connétable  de  Montmorenci  leur  ennemi  ôc  de  l'a- 
miral de  Coligni  leur  fourniffoit  déjà  une  occafion  de  faire 
tous  leurs  efforts  pour  s'emparer  de  toute  l'autorité,  dans  une 
cour  pleine  de  factions.  Après  le  Connétable  ôc  Coligni,  ils 
avoientpour  adverfaires  d'Andelot  colonel  de  l'infanterie  Fran- 
çoife ,  que  cette  charge  rendoit  très-confidérable  dans  l'ar- 
mée. C'eft  pourquoi  le  duc  de  Guife  >  qui  vouloit  s'attribuer 
toute  l'autorité  fur  les  troupes ,  fit  accufer  d'Andelot  devant  le 
Roi,  d'avoir  de  mauvais  fentimens  fur  la  Religion ,  afin  de  le 
dépouiller  de  cette  dignité.  Le  Roi  confidéroit  d'Andelot , 
tant  à  caufe  de  l'amitié  qu'il  avoitpour  fon  oncle,  que  par  fon 
propre  mérite ,  ôc  à  caufe  des  fervices  importans  qu'il  avoir 
depuis  peu  rendus  au  fiége  de  Calais.  Le  Cardinal ,  pour  lui 
faire  perdre  l'affection  du  Roi ,  fe  fervit  d'une  occafion  qui  fe 
*ouChrtf-  préfenta  dans  le  mêmetems.  La  ducheffe  Chriftine  *,  mère  de 
tieme.  Charle  duc  de  Lorraine ,  fille  d'un  Tyran  '  barbare  ôc  inhumain, 

ôcd'Elifabethfœur  de  l'Empereur,  haiffoit  la  nation  Françoi- 
fe.  Cette  Princeffe ayant  accompagné  Philippe,  s'étoit  avancée 

i  ChrifUeme  II.  Roi  de  Dannem^rc. 


DE   J.   A.   DE   THOU,  Liv.  XX.       223 

jufqu'à  Peronne  avec  l'agrément  du    Roi  pour  y   conférer  -■ 
avec  fon  fils.  Le  cardinal  de  Lorraine  obtint  du  Roi  la  per-  Henri  II 
million  de  fe  rendre  au  même  endroit  ,  avec  le  duc  fon  frère.     1  s  S  8. 
On  parla  d'abord  des  moyens  de  faire  la  paix ,  et  on  dit  qu'An- 
toine Perrenot  évêque  d'Arras  ,  qui  accompagnoit  Chrifti-   Conférence; 
ne  par  l'ordre  du  Roi  d'Efpagne  ',  eut  avec  le  Cardinal  des  fccretes  du 
conférences  fecretes,  dans  lesquelles  il  lui  repréfenta,que  le  Roi  Lorraine  & 
d'Efpagne  étoit  très-fâché ,  que  des  guerres  allumées  par  des  de  l'évêcuie 
motifs  d'ambition  entretinffent  une  défunion  fatale  au  vain-  dAna-' 
queur  même,  ôc  que  l'inimitié  augmentant  de  jour  en  jour 
épuisât  peu  à  peu  les  forces  des  deux  nations ,  qu'elles  dévoient 
plutôt  réunir  contre  le  Turc  leur  ennemi  commun,  ôc  celui 
de  toute  la  Chrétienté ,   auquel  il  négligeoient  de    réfifter , 
parce  qu'étant  plus  éloigné,  il  leur  par  oiffoit  moins  redoutable  : 
qu'au  refte  les  deux  nations  avoient  un  ennemi  beaucoup  plus 
dangereux,  qu'elles nourriffoient  dans  leurfein,  Phéréfie,qui 
à  la  faveur  de  la  défunion  des  Princes  répandoit  fon  poifon, 
ôc  qui  en  attaquant  la  Religion ,  corrompoit  tous  les  cœurs; 
que  laFlandre,  ôc  la  plus  grande  partie  de  la  France  en  étoient 
infeclées ,  ôc  qu'on  ne  pouvoit  y  remédier  tant  que  la  guerre 
dureroit  :  qu'une  paix  fincere  ôc  folide  pouvoit  feule  étouffer 
ce  monftre  j  qu'au  contraire  fi  la  divifion  continuoit,  il  étoit 
à  craindre  que  les  pertes,  que  les  deux  Rois  feroient  dans  l'in- 
térieur de  leurs  Royaumes,  nefufTent  plus  confidérables,  que 
les    avantages  que  l'un  ou  l'autre   remporteroit  au  dehors  : 
que  Henri  en  devoit  être  perfuadé  ,  ôc  que  le  Cardinal  méri- 
teroit  la  reconnoiflance  ôc  la  vénération  de  tous  les  gens  de 
bien ,  s'il  engageoit  le  Roi  à  confentir  à  la  paix ,  ôc  s'il  uniffoit 
parce  moyen  deux  Princes  puiffans,  pour  joindre  toutes  leurs 
forces  en  faveur  de  la  Religion ,  dont  ils  ne  pouvoient  con- 
ferver  la  pureté ,  tant  qu'ils  fouffriroient  les  fedaires  répandre 
leurs  erreurs  de  tous  cotez. 

Perrenot ,  homme  pénétrant ,  découvrit  facilement  l'effet 
de  ce  difeours  fur  l'efprit  du  Cardinal  de  Guife  :  connoiffant 
d'ailleurs  fon  génie  ambitieux,  il  ajouta,  pour  l'ébranler  davan- 
tage,  que  Philippe  prévoyoit  tous  les  mouvemens  ôc  tous  les 
foupçonsque  ce  projet  exciteroit,fi  l'on  n'en  commençoit  l'exé- 
cution avec  une  extrême  prudence  ,  ôc  avec  beaucoup  de  bonne 
foi;  parce  que  la  réuflite  des  entreprifes  dépend  toujours  d'un 


224  HISTOIRE 

?  commencement  bien  concerté  :  que  par  cette  raifon  il  avoït 

Henri  IL  long-tems  héfité  ,  avant  de  découvrir  à  aucun  François  fes  fen- 
i  j"  f  8.  timens  fur  une  affaire  fi  délicate  ;  mais  qu'il  profitoit  de  cette 
heureufe  occaiion  pour  fortir  de  fonirréfolution  :  que  le  Génie 
tutelaire  de  la  France  avoit  confervé  au  milieu  des  malheurs 
qui  l'avoient  accablée ,  le  Cardinal  ôc  le  duc  de  Guife  fon  frère, 
pour  exécuter  un  projet  Ci  falutaire  à  leur  Roi ,  ôc  qui  interef- 
foit  la  gloire  de  Dieu  même ,  fi  utile  au  Royaume .,  dont  les  dis- 
putes de  religion  altéroient  la  tranquillité ,  ôc  qui  combleroit 
de  gloire  la  maifon  de  Guife ,  en  leur  attirant  la  vénération 
du  peuple,  à  qui  un  tel  projet  feroit  agréable  ,  ôc  dont  ils 
avoient  intérêt  de  ménager  l'affection,  pour  prévenir  des  ré-: 
volutions  inopinées. 

L'évêque  d'Arras  voyant  que  la  rufe  réuflïflbit,  ôc  que  l'am- 
bitieux Cardinal  ne  pouvoit  entièrement  diflimuler  la  joie  fe- 
crete ,  qu'un  difcours  fi  flateur  lui  caufoit ,  continua  en  ces 
termes  :  *>  La  Fortune ,  qui  afuggeré  ce  projet  à  mon  maître, 
»  vous  préfente  une  occafion  pour  l'exécuter,  tandis  que  le 
»  connétable  de  Montmorenci   ôc  l'amiral  de  Coligni    fon 
=>  principal   confident  font  prifonniers  :  on  fca.it  qu'ils  font 
*>  vos  rivaux ,  ôc  les  ennemis  de   la  gloire  de  votre  illuftre 
=>  maifon  :  il  efl  encore  public  que  les  Colignis  font  en  Fran- 
=>  ce  l'appui  des  Sectaires  ,  ôc  que  Montmorenci ,  quoique 
»  peut-être  oppofé  à  leurs  opinions ,  a  tant  d'affection   pour 
«  cette  maifon ,  qu'il  eft  prêt  de  s'expofer  lui-même  ,  pour  en 
;»  défendre  les  biens ,  ôc  la  gloire.  D'Andelot ,  qui  depuis  peu 
«  s'eft  échapé  de  nos  mains ,  a  fur  la  religion  des  fentimens 
=>  impies  Ôc  indignes  d'un  Chrétien ,  dont  il  infecte  les  gens  de 
«  guerre ,  ôc  fon  mauvais  exemple  les  corrompt ,  comme  nous 
=»  l'apprenons  tous  les  jours  :  quoique  nous  duffions  paroître 
»  nous  réjouir  de  tous  ces  maux ,  comme  des  ennemis  ont  coû- 
=»  tume  défaire,  cependant  nous  en  gémiffbns,  ôc  nous  croyons 
«  qu'il  eft  jufte  de  vous  fournir  un  remède,  dont  l'effet  fera  aufïï 
*>  prompt  que  falutaire  j  nous  le  croyons  avec  d'autant  plus  de 
»  raifon,  qu'il  nous  fera  à  nous-mçme  avantageux,  puifque  cette 
«  peftcqui  ravage  laFrance,s'étenddéjà  dans  la  Flandre,où  elle 
»  s'eft  gliffée  par  le  voifinage  de  l'AUemagne.Or  je  ne  crois  pas 
»  que  dans  les  circonftances  préfentes  il  y  ait  un  plus  puif- 
p  faut  moyen  de  remédier  à  tous  ces  maux ,  qu'une  paix  afîurée 

entrç 


DE  J.  A>    DE  THOU,  L'iv.  XX.        22$ 

*  ehtre  deux  Princes,  qui  ont  autant  de  puiffance,  que  de  zélé  , 

»>  pour  Ja  Religion.  Mon  Maître  ne  défefpere  pas  deréuflîr  urMn,  tt 

r,  1         rr  ■  r  i  •  HENRI  11. 

»>  dans  cette  grande  amure  ,  11  vous  voulez  y  concourir  avec        f     8 

»>  lui ,  Ôc  l'aider  de  vos  confeils  :  il  vous  demande  votre  ami- 

»  tié ,  comme  il  vous  offre  la  tienne  par  mon  miniftere ,  en 

a>  vous  engageant  fa  foi ,  qu'il  fera  toujours  votre  protecteur ,  ôc 

»  celui  de  votre  illuftre  maifon.  Mais  comme  une  entreprife 

»  de  cette  importance  demande  un  grand  fecret  ,  je  prendrai 

»>  dans  la  fuite  de  fi  juftes  mefures,  puifque  le  Roi  monmaî- 

»  tre  m'a  confié  la  conduite  de  cette  affaire,  que  fans  donner 

»>  lieu  à  desfoupçons ,  ôc  fans  hazarder  votre  réputation ,  nous 

a»  pourrons  agir  de  concert ,  en  communiquant  enfemble  par 

=»  le  moyen  de  certaines  perfonnes ,  qui  paroîtront  n'avoir  de 

•»  commerce  qu'entre  elles.  » 

Le  Cardinal  reçut  avec  joie  des  propofitions  fi  honorables, 
Ôc  en  même  tems  fi  avantageufes  à  lès  frères ,  ôc  à  toute  fa 
Maifon  déjà  très-puiffante  en  France.  Il  remercia  Perrenot , 
en  lui  difant  que  fon  mérite  juftifioit  le  choix  que  le  Roi  d'Ef- 
pagne  avoit  fait  de  lui,  pour  être  l'arbitre,  ôc  le  médiateur 
d'une  affaire  de  cette  importance  ;  il  lui  promit  de  faire  pour 
les  intérêts  de  fon  maître  tout  ce  qui  dépendroit  de  lui ,  ôc 
de  fes  frères.  Telle  fut  la  bafe  de  l'amitié  ,  ôc  tel  fut  le  mo- 
tif des  complots  des  Princes  Lorrains  avec  l'Efpagne.  Si  les 
circonftances  des  tems  les  ont  quelquefois  obligez  d'abandon- 
ner la  fuite  de  ce  premier  projet ,  ils  y  font  bien-tôt  après  re- 
venus. Ainfi  l'on  fe  retira  de  part  ôc  d'autre  de  Peronne.  On 
débita  alors  que  Chriftine  étoit  feulement  entrée  en  quel- 
ques pourparlers  de  paix  ,  mais  qu'on  n'avoit  pu.  rien  faire. 
te  Cardinal ,  à  fon  retour,  fit  courir  adroitement  le  bruit,  pour 
prévenir  les  foupçons  qui  pouvoient  naître  de  cette  confé- 
rence ,  que  les  ennemis  l'avoient  pourfuivi  contre  leur  parole, 
&  qu'il  n'étoit  échapé  qu'avec  peine  de  leurs  mains.  La  prife 
de  Nèfle ,  qu'un  parti  de  troupes  forties  de  Saint  Quentin  ôc 
de  Han  faccagea ,  après  avoir  taillé  en  pièces  la  garnifon,  ren- 
dit ce  bruit  affez  vrai-femblable. 

Dès  que  le  Cardinal  fut  arrivé  à  la  Cour ,  il  rapporta  avec 
artifice  au  Roi  les  entretiens  qu'il  avoit  eus  avec  la  Ducheffe 
Chriftine  ,  ôc  l'évéque    d'Arras.  Il  y  repréfenta  que  Philip- 
pe craignoit ,  qu'à  la  faveur  de  leurs  divifions  ,  les  Sectaires 
Tom.  III.  F  f 


22*  HISTOIRE 

n  infe£taffent  de  leurs  opinions  les  deux  Royaumes  ,  fans  qu'on 
Henri  II  Pllt  ^ans  *a  **u*te  ^  remedier  ;  qu'on  voyoit  déjà  les  funeftes 
<  <r  8  progr^s  de  l'héréfie.  Il  ajouta  qu'il  fçavoit  par  lui-même  que 
la  plupart  des  Seigneurs  du  Royaume  en  étoient  imbus ,  ôc 
communiquoient  aux  autres  leurs  dangereux  fentimens  :  que 
l'évêque  d'Arras  lui  avoit  particulièrement  défigné  Andelot , 
qui  avoit  ofé  proférer  en  public  des  paroles  facrileges  con- 
tre le  faint  facrifice  de. la  Méfie  :  que  ce  motif  engageok 
Philippe,  qui  voyoit  la  religion  en  péril,  à  propofer  un  accom- 
modement ,  fous  des  conditions  que  les  circonftances  pou?* 
voient  faire  accepter  3  quoiqu'une  heureufe  fortune  femblàt 
guider  les  armes  de  ce  Prince  3  ôc  que  le  feu  de  fa  jeuneffe 
l'excitât  à  pouffer  plus  loin  fes  conquêtes. 

Ce  difcours  fit  imprefîlon  fur  l'efprit  du  Roi.  D'un  côté 
l'efpérance  qu'on  lui  donnoit  d'une  paix  prochaine ,  ôc  pref- 
que  néceiTaire  pour  remédier  au  mauvais  état  de  fes  affaires, 
le  flatta  beaucoup  :  ôc  de  l'autre  3  ce  que  le  Cardinal  lui  avoit 
rapporté  3  touchant  les  Sectaires  qui  fe  repandoient  de  tous 
cotez,  l'allarmai  car  il  avoit  pour  eux  une  haine  mortelle, 
qui  lui  avoit  été  infpirée  dès  le  berceau ,  quoique  d'ailleurs 
ce  Prince  fut  très-moderé.  C'eft  pourquoi  il  ne  crut  pas  de- 
voir négliger  les  avis  que  le  Cardinal  lui  avoit  donnez  fur  les 
fentimens  d'Andelot ,  dont  il  avoit  déjà  appris  quelque  chofe. 
Ainfi  il  donna  ordre  au  Cardinal  de  Chamllon  frère  d'Ande- 
lot ôc  à  Montmorenci  fon  coufm  de  le  faire  venir  3  ôc  de  l'a- 
vertir auparavant  de  répondre  avec  modération  aux  demandes 
qu'on  lui  feroit  :  il  leur  dit  même  qu'il  trouveroit  en  lui 
un  juge  favorable  ,  ôc  qu'il  fouhaitoit  le  voir  innocent  du 
crime  dont  on  l'accufoit.  On  manda  donc  Andelot  :  après 
avoir  été  averti  delà  conduite  qu'il  devoit  tenir  ,  ilfepréfenta 
au  diner  du  Roi  qui  étoitàMonceauxjmaifon  deplaifance  delà 
Reine ,  proche  de  Meaux.Le  Roi  témoigna  d'abord  combien 
il  avoit  d'affection  pour  lui,  ôc  s'étendit  aufïi  fur  les  fervices 
qu'il  en  avoit  reçus.  J'ai  appris  avec  chagrin  de  plufieurs  en- 
droits ,  lui  dit-il  3  que  vous  vous  éloignez  des  fentimens  ca- 
tholiques >  ôc  en  même  tems  il  lui  ordonna  d'expofer  fa  foi 
fur  le  facrifice  de  la  Meffe ,  que  les  Calviniftes  attaquoient  ôc 
die  d'Andelot  avoient  en  horreur.  Andelot  3  qui  avoit  beaucoup  de  fierté  ôc 
au  Roi.         de  hauteur ,  répondit  à  cette  demande ,  fans  rien  déguifer  \ 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XX.  227 

fuivantla  do&rine  de  Calvin.  Le  Roi,  qui  attendoit  ôcfouhai-  „• 
toit  même  une  autre  réponfe ,  l'exhorta  avec  bonté  à  faire  quel-  jjENRI  jj# 
ques  réflexions  fur  le  danger  où  il  s'expofoit,  &  qu'il  pouvoit  '  x  ç  ç  8. 
prévenir  5  mais  Andelot  répondit  avec  encore  plus  de  liberté 
qu'auparavant  :  Que  les  louanges  que  fa  Majefté  donnoit  à  fes 
fervices ,  ôc  à  fa  fidélité  le  combloient  d'honneur ,  ôc  le  fla- 
toient  beaucoup  j  qu'il  avoit  tâché  de  donner  en  tout  des  mar- 
ques de  fon  parfait  dévouement  à  fon  Souverain  ,  qui  avoit 
répandu  fes  faveurs  avec  libéralité  fur  lui,  ôc  fur  toute  fa  fa- 
mille; mais  qu'en  matière  de  Religion  on  ne  pouvoit  uferde 
déguifement  ,  ni  tromper  Dieu  :  que  le  Roi  pouvoit  difpofer 
à  fon  gré  de  fa  vie ,  de  fes  biens  ,  de  fes  charges  ;  mais  que  fon 
ame,indépendante  de  tout  autre  Souverain,n  étoit  foumife  qu'au 
Créateur  de  qui  il  l'avoit  reçue,  ôc  à  qui  il  croyoit  devoir 
obéir  dans  les  circonitances  préfentes  ,  comme  au  Maître  le 
plus  puiflant. 

Le  Roi  fut  fi  irrité  de  cette  réponfe  hardie ,  que  de  colère  „  ǰ,er.e  ,du 
ayant  pris  une  aiiiette  pour  la  jetter  par  terre,  il  en  bleiTa  par  jot  eit  anêtc. 
malheur  le  Dauphin ,  qui  étoit  affis  au-deflbus  de  lui.  S'étant 
aufïi-tôt  levé  de  table ,  il  donna  ordre  à  Jean  de  Babou ,  fieur 
de  la  Bourdaifiere  ,  maître  de  la  garde-robe  ,  de  conduire 
Andelot  à  Meaux  ,  où  il  fut  gardé  dans  l'évêché  pendant 
quelque  tems ,  ôc  d'où  il  fut  enfuite  transféré ,  par  un  autre  ordre 
du  Roi ,  au  château  de  Melun.  Après  l'éloignement  d' Andelot, 
on  ne  délibéra  pas  long-tems  fur  le  choix  d'une  perfonne ,  à 
qui  on  pût  donner  la  charge  de  colonel  de  l'infanterie  Fran- 
çoife;  on  jetta  auiTi-tôt  la  vue  fur  Blaife  de  Montluc,  à  caufe 
des  fervices  qu'il  avoit  rendus  à  l'Etat ,  ôc  particulièrement , 
parce  qu'il  avoit  été  élevé  à  la  cour  du  Duc  de  Lorraine ,  & 
que  par  conféquent ,  il  étoit  attaché  à  cette  maifon.  Il  refufa 
d'abord  cette  dignité ,  comme  il  le  rapporte  lui-même  dans 
fes  Mémoires,  craignant  de  fe  rendre  odieux  en  l'acceptant, 
ôc  prévoyant  en  homme  fage  ,  qu'il  s'attireroit  l'indignation 
des  Montmorencis ,  dont  il  croyoit  devoir  par  intérêt  ménager 
l'amitié,  ou  du  moins  ne  pas  s'attirer  l'inimitié. 

Le  cardinal  >  enflé  de  ce  fuccès ,  pour  ne  pas  perdre  la  moin- 
dre occafion  de  traverfer  fes  ennemis ,  entreprit  volontiers  la 
défenfe  de  Françoife  d'Amboife,  veuve  du  comte  de  Senighem 
qui  étoit  honteufement  pourfuivie  ,  comme  coupable  de  la 

Ffij 


228  HISTOIRE 

_, fuite  du  duc  d'Arfchot  :  Jean  Munier,  lieutenant  civil ,  qui 

Henri  II.  avo^  informé  de  cette  affaire ,  fembloit  en  avoir  fait  fa  pro- 
i  ç  <  8.     Pre  cau^e^  comme  les  témoins,  qu'il  avoit  fubornez ,  le  dé- 
poferent.  La  comtefTe  de  Senighen ,  qui  redoutoit  la  puiffance 
Arrêt  con-  du  Connétable,  quoiqu'il  fût  abfent  ,  abandonnoit  prefquefa 
lieutenantrci-  justification  -•>  mais  à  la  follicitation  du  Cardinal  ,  elle  accufa 
yil  Munier  de  prévarication  ;  il  fut  convaincu ,  ôc  puni  avec  une 

rigueur  extrême,  non  pas  néanmoins  du  dernier  fupplice  ;  car 
les  Juges  fe  biffèrent  fléchir  par  les  larmes  du  Greffier,  qui 
écrivoit  leurs  opinions ,  &  qui  avoit  été  Secrétaire  de  Mu- 
nier. En  effet,  cet  homme  ayant  eu  ordre  de  lire  les  opinions, 
comme  on  a  coutume ,  les  fanglots  lui  étouffèrent  la  voix  ;  un 
des  Confeillers ,  ayant  pris  le  regiftre  du  Greffier ,  fut  furpris 
de  le  voir  fi  mouillé  de  larmes  ,  qu'elles  avoient  prefque  en- 
tièrement effacé  l'écriture  ,  &  il  le  montra  à  fes  confrères.  En 
ayant  appris  la  caufe  du  Greffier  même ,  ils  furent  touchez  de 
compaffion ,  ôc  quoique  d'une  voix  unanime  ils  euffent  tous 
opiné  que  Munier  méritoit  le  dernier  fupplice  ,  cependant  ils 
lui  remirent  la  peine  de  mort.  Ce  malheureux  fut  conduit  dans 
tous  les  carrefours  de  la  ville,  noté  d'infamie,  ôc  enfuite  re- 
légué dans  rifle  de  Ré.  L'affront  en  rejaillit  en  quelque  fa- 
çon fur  le  Connétable  ;  car  on  crut  que  Munier  ,  qui  d'ail- 
leurs étoit  un  magiftrat  fevere  ôc  un  bon  juge ,  n'avoit  prévari- 
quéfi  groflierement  dans  l'affaire  de  la  comteffe  de  Senighen, 
que  pour  plaire  à  ce  Seigneur. 

Le  Connétable  étant  inftruit  de  tout  ce  qui  fe  paffbit ,  fit 
efpérer  aux  ennemis ,  qu'il  pourroit  faire  confentir  le  Roi  à 
un  accommodement  ;  ils  lui  permirent  donc  fur  fa  parole  d'al- 
ler à  Beauvais  ,  où  il  parla  auRoi ,  Ôc  où  il  regagna  t'es  bonnes 
grâces  ;  il  fe  remit  enfuite ,  avec  plus  de  tranquillité  ,  entre  leurs 
mains ,  comme  il  l'avoit  promis.    Dès  que  le  Connétable  fut 

Ï>arti ,  le  duc  de  Guife ,  pour  fonder  les  fentimens  du  Roi  , 
ui  dit  dans  une  converfation  familière  :  «  Je  ne  doute  point, 
■  Sire,  que  le  Connétable  ne  vous  ait  prié  de  lui  conierver  fa 
«  charge  ôc  fes  biens  ,  ôc  d'accorder  votre  protedion  à  fes 
»  enfans.  Il  paroît  jufte  que  Votre  Majefté  ait  égard  à  ce  qu'il 
»  vous  a  demandé,  &  que  vous  le  laiffiez  dans  le  rang  qu'il 
»  occupe,  tant  à  caufe  de  fon  mérite  perfonnel ,  que  des  fer- 
.»  vices  qu'il  a  rendus  à  l'Etat  s  mais  >  s'il  mouroit  ,  j'efpere 


91 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XX.         22$ 

que  vous  ne  donneriez   pas  à   un  autre  qu'à  moi  fa  char-  ~ 


»  ge  de  Grand-Maître  de  votre  Maifon ,  dont  j'ai  déjà  fait  Henri  lî, 
»  les  fondions  au  mariage  de  M.  le  Dauphin  ».  Le  Roilui  ré-  1  ^  j  8, 
pondit  ,  que  le  Connétable  ne  lui  avoit  point  parlé  de  cela, 
mais  que  les  fervices  l'engageoient  à  lui  accorder  ce  qu'il  pour- 
roit  demander,  tant  pour  lui  que  pour  fa  famille.  Le  duc  de 
Guife  i  trompé  par  cette  réponfe ,  n'ofa  répliquer  ,  avec  d'au- 
tant plus  de  raifon ,  qu'il  fçavoit  que  la  puiffance  de  fa  maifon 
faifoit  ombrage  à  la  ducheffe  de  Valentinois  ,  dont  le  duc 
d'Aumale  fon  frère  avoit  époufé  la  fille  ;  ôc  que  l'orgueil  du 
cardinal  de  Guife ,  dont  cette  PrincefTe  avoit  fait  des  plaintes 
au  Roi ,  l'avoit  engagée  à  fiancer  la  fille  du  duc  de  Bouillon  fon 
gendre  à  Henri  de  Montmorenci  fécond  fils  du  Connétable. 

Cependant  le  Roi  ayant  appris  l'arrivée  des  Allemans ,  pro- 
pofale  fiége  deThionville.  Bourdillon  dans  ce  deffein  avoit 
été  envoyé  à  Metz ,  au  commencement  de  Mai  ,  fous  pré- 
texte de  recevoir  les  Ambaffadeurs  de  quelques  Princes  d'Al- 
lemagne ;  mais  en  effet  ,  afin  de  reconnoitre  une  féconde  fois  la 
place ,  Ôc  préparer  ce  qui  étoit  néceffaire  pour  en  former  le 
fiége.  Le  duc  de  Lunebourg  y  étoit  venu  :  Grombach  ,  "Wol- 
fang  Schenefes ,  Baudopré  3  Henri  Stoup  capitaine  de  ca- 
valerie ,  ôc  Reiffenberg  lieutenant  de  l'un  des  fils  du  Land- 
grave de  HelTe  3  qui  commandoit  quatre  compagnies  3  s'y 
ctoient  aufïi  rendus.  Toutes  leurs  troupes  montaient  à  cinq 
mille  chevaux  ou  environ  ;  les  regimens  de  Rockendorff,  de 
Reckrod  ,  de  Luflebourg  3  des  deux  ReirTenhergs  frères ,  6c 
de  Valdebourg ,  qui  y  étoient  3  compofoient  un  corps  d'envi- 
ron quatorze  mille  nommes  d'infanterie.  Bourdillon  mit  le 
fiége  devant  Thionville  avec  ces  troupes  ,  aufquelîes  Vieille- 
Ville,  gouverneur  de  Metz,  fe  joignit  avec  une  cornette  de 
cavalerie ,  ôc  les  vieilles  garnifons  de  Verdun,  de  Toul  3  Ôc  de 
Damviliiers. 

Thionville  eft  dans  le  Luxembourg  ;  cette  place  a  cinq  Siège  Je 
angles ,  ôc  a  prefque  la  figure  d'une  gibecière  j  elle  eft  fituée  Th 
dans  une  plaine  marécageufe ,  qui  la  rend  prefque  inaccefïî- 
ble,  ôc  où  elle  n'eft  commandée  par  aucune  éminence.  A 
l'Occident,  vers  le  Nord, elle  a  la  Mofelle,  qui  y  paffe  mê- 
me dans  un  foffé  fort  profond.  Du  même  côté ,  il  y  a  deux 
grands  baftions  éloignez  l'un  de  l'autre ,  ôc  qui  n'ont  pas  allez 

Ff  iij 


hionviae. 


23o  HISTOIRE 

de  faillie  pour  battre  ceux  qui  les  attaquent  en  flanc  s  elle  a 

Henri  II   ^e  gran(^es  tours  en  dehors  ,  ôc  un  large  rempart  en  dedans. 

'      g      Quarebbe  ,  gentilhomme  de  Louvain  ,   commandoit  dans 

cette  place  avec  dix-huit  cens  hommes  de  pié,ôc  deux  cens 

chevaux. 

Le  duc  de  Nevers  fe  mit  en  marche  le  1 8  de  Mai ,  ôc 
étant  arrivé  à  Pont- à-Mouflon  ,  il  raflembla  toutes  les  troupes 
à  Stenai ,  pour  fe  rendre  avec  le  duc  de  Guife  à  Metz.  La 
place  ayant  été  reconnue  le  premier  de  Juin,  le  duc  de  Guife 
partit  le  lendemain,  ôc  difpofa  ainfi  fon  armée.  Il  en  devoit 
commander  lui-môme  le  corps ,  ôc  fe  loger  auprès  de  Flo- 
renges ,  au-delà  de  la  rivière.  Le  duc  de  Nevers ,  qui  con- 
duisit l'avant-garde ,  devoit  aufli  pafler  le  fleuve ,  ôc  fe  pofter 
à  la  grange  aux  poiflbns.  Le  duc  de  Nemours  avoit  ordre 
d'avancer  plus  loin  avec  la  cavalerie  légère  ,  ôc  d'occuper  le 
chemin  de  Luxembourg  au-deflus  du  mont  d'Eftrain.  Le  Sei- 
gneur de  Jamets  étoit  au-deflus  de  lui ,  proche  le  chemin  de 
Mets  ,  avec  quelques  compagnies  de  Gendarmes ,  ôc  la  ca- 
valerie Allemande. 

Nos  troupes  en  faifant  les  approches  de  la  place ,  avoient  ou- 
vert de  l'autre  côté  de  la  rivière  >  ôc  hors  de  la  portée  du  ca- 
non ,  une  tranchée  large  ,  ôc  très-profonde ,  avec  une  levée 
afles  haute  ôc  aflés  large  pour  y  drefler  des  gabions  ôc  de  -l'ar- 
tillerie ,  ôc  fe  couvrir  contre  le  feu  des  ennemis.  On  mit  fur  ce 
retranchement  trois  couîevrines,  ôc  cinq  grofîes  pièces  de  canon 
qui  tiroient  fur  le  baftion  oppofé  -,  pour  démonter,  s'il  étoit  p  of- 
ficie ,  une  batterie  de  quatre  pièces ,  qui  d'une  tour  de  la  ville , 
tiroient  fur  notre  camp  ,  où  elles  faifoient  un  grand  ravage.  De 
l'autre  côté,  on  conduifit  la  tranchée  jufqu'à  une  plate -forme , 
ôc  on  y  drefla  une  batterie  de  fix  canons ,  qui  battoient  à  revers 
les  ouvrages  qui  couvroient  le  baftion.  On  fit  encore  plus  près  de 
la  Mofelle  un  autre  retranchement ,  où  l'on  mit  cinq  canons 
pour  battre  la  courtine  des  deux  battions.  D'Eftrée  ôc  plu- 
sieurs autres  Gentilshommes  s'expoferent  courageufement  au  feu 
des  ennemis ,  ôc  firent  voir  leur  habileté  ôc  leur  expérience  dans 
cet  ouvrage  ,  auquel  ils  travaillèrent  eux-mêmes. 

Le  cinquième  jour  du  fiége,on  commença  à  battre  la  place 
avec  trente-cinq  pièces  de  canon  ;  ce  qui  épouvanta  extrême- 
ment les  afliégez ,  parce  que  la  ville  manquoit  de  défenfeurs, 


DE   J.  A.  DE  T  HOU,  L  iv.  XX.  231 

6c  qu'ils  n'avoient  pas  cru  que  la  circonvallation  dût  être  Ci- 
tât faite.  Philippe  de  Montmorency ,  comte  de  Horn  ,  s'étoit  Henri  ÏI. 
avancé  pendant  la  nuit  pour  faire  entrer  dans  la  place  trois  ,  ,  jg( 
compagnies  de  vieilles  troupes  Efpagnoles  ;  mais  il  avoit  été 
repouffé  par  les  corps  de  gardes ,  ôc  contraint  de  fe  retirer  avec 
perte  de  quelques  foldats.  Deux  jours  après  quatre  compagnies 
de  Flandre  6c  de  Namur,  avec  cinquante  chevaux  tentèrent  inu- 
tilement la  même  chofe.  Après  que  le  canon,  qui  battoit  en 
flanc,  eut  renverfé  ces  ouvrages,  oncanonna  la  place  de  front 
le  dix  de  Juin.  Le  feu  continuel  de  nôtre  artillerie,  qui  dura  pen- 
dant trois  jours,  ouvrit,  6c  renverfa  prefque  entièrement  le 
baftion  rond  ,  6c  fit  à  la  muraille  une  brèche  de  plus  de  qua- 
rante pas  ;  mais  il  y  avoit  derrière  un  rempart  prefque  impéné- 
trable, 6c  il  falloit  ,  pour  aller  jufqu'à  la  brèche,  traverferla 
Mofelle ,  quoiqu'on  affurât  qu'on  pouvoit  la  paffer  à  gué  dans 
cet  endroit.  Cependant  quelques  autres  diffîcuitez  ,  qui  re- 
gardoient  la  montée  ,  firent  différer  l'aiTaut.  Le  duc  de  Gui- 
fe  ,  qui  vouloit  ménager  fes  troupes  ,  fit  reconnoître  l'en- 
droit ,  6c  chargea  de  ce  foin  Blaife  de  Montluc  ,  qui  y  alla 
avec  Salaboz  ,  Millas  ,  Sipierre ,  Saint  Eftef ,  6c  Montluc 
fils.  Le  lieu  ayant  été  reconnu ,  6c  le  gué  fondé  avec  des  piques , 
Montluc  rapporta  au  duc  de  Guife  ,  qu'au  pied  de  la  Tour  les 
foldats  n'auroient  de  l'eau  que  jufqu'à  la  ceinture  -■>  mais  qu'a- 
vant que  d'y  arriver,  il  y  avoit  une  palliffade  qui  environnoit 
la  tour  6c  retenoit  l'eau. 

Le  duc  de  Guife  foûtint  qu'il  n'y  avoit  point  de  palliffade  ; 
6c  Montluc,  quoique  fâché  qu'on  n'ajoutât  pas  foi  à  ce  qu'il 
affùroit ,  fe  chargea  d'examiner  une  féconde  fois  l'endroit.  Il 
prit  donc  avec  lui  la  nuit  fuivante  quatre  cens  piquiers ,  qu'il 
fit  coucher  par  terre  à  cent  pas  de  la  Ville  ,  6c  il  approcha  de 
la  Tour  avec  un  pareil  nombre  d'arquebuliers.  Étant  arrive  près 
delà  palliffade,  il  attaque  une  garde  avancée  de  vingt-cinq  fol- 
dats ,  en  tuë  une  partie ,  met  l'autre  en  fuite ,  pourfuit  les  fuyards 
jufque  dans  le  retranchement  voifin  ,  ôc  y  entre  avec  eux. 
Enfin  il  fut  obligé  de  s'arrêter  à  une  porte  qu'il  ne  put  forcer, 
Il  prit  cependant  une  petit  pièce  de  canon  ,  ôc  fes  troupes 
étant  forties  par  la  brèche  la  plus  proche  ,  on  combattit  quel- 
que-tems  ;  on  eût  pu  même  donner  fur  le  champ  l'affaut  à  la 
Ville  ,  fi  les  échelles  euffent  été  prêtes.  Montluc  fit  du  moins 


252  HISTOIRE 

.  tout  ce  qui  lui  étoit  pofïible  >  car  on  abattit  à  coups  de  hache 
Henri  ÎJ  ^a  P^h^de,  &  l'eau  s'étant  auffi-tôt  retirée ,  les  troupes  retour- 
.  ,  «  nerent  au  camp  à  pie  fee.  Nous  fîmes  quelque  perte  dans 
cette  téméraire  attaque.  Saint  Eftef ,  Sipierre  enfeigne ,  ôc 
quelques  autres  y  furent  tuez.  Cet  accident  ne  troubla  point 
le  duc  de  Guife;  il  craignoit  néanmoins  qu'on  ne  mandât  au 
Roi  que  fes  troupes  avoient  été  repoufTées  dans  un  affaut. 

Auili-tôt  après ,  par  l'avis  du  Confeil  de  guerre ,  on  pafTa  la 
rivière  :  Montluc  ouvrit  une  tranchée  aux  pieds  de  la  tour  , 
qui  regardoit  le  quartier  du  duc  de  Nevers ,  ôc  la  conduifit  en 
trois  jours  jufqu'au  pié  d'une  groffe  tour,  appelléelaTourdes 
Puces.  Montluc  étant  attaché  à  faire  avancer  ces  travaux,  les 
affiégez  crurent  devoir  profiter  de  l'occafion ,  ôc  rirent  une  for- 
tie  du  côté  de  la  Mofelle ,  avec  trois  cens  hommes  de  pié , 
ôc  foixante  chevaux  ,  ayant  à  leur  tête  Jean  Quarebbe  :  ils 
entrèrent  dans  la  tranchée  ôc  renverferent  tout  ce  qui  fe  pre- 
fenta  devant  eux  i  mais  Montluc  avoit  fait  faire  des  coupures 
de  part  ôc  d'autre  dans  les  flancs  de  la  tranchée,  d'où  en  biai- 
fant  on  voyoit  fur  la  levée  5  ainfï  les  foldats  qui  y  étoient 
de  garde  >  conduits  par  le  capitaine  Lago  ,  prirent  tout  à 
coup  en  flanc  les  ennemis  ,  qui  fe  glorifioient  déjà  de  l'a- 
vantage qu'ils  avoient  remporté.  S'étans  ralliez  ,  ils  foûtinrent 
d'abord  le  choc  ;  mais  ayant  feint  inutilement  de  vouloir  parle- 
menter avec  le  duc  de  Lunebourg,  ôc  nos  troupes  ne  pou- 
vant fournir  qu'on  les  amufât ,  ils  furent  repouffez  dans  la  ville 
avec  perte. 

Les  Anglois  que  le  duc  de  Guife  avoit  amenez ,  firent  des 
mines  fous  cette  tour.  Les  ennemis  s'en  étant  apperçus  élevè- 
rent à  la  hâte ,  en  dedans  ,  de  petites  plate-formes  ,  pour  tirer 
fur  nos  troupes  ,  dès  que  la  muraille  feroit  ouverte.  Le  duc 
de  Guife ,  pour  remédier  à  cet  inconvénient  ,  fit  approcher 
une  groffe  pièce  de  canon ,  pour  faire  brèche  en  même-tems 
qu'on  renverferoit  ces  nouveaux  ouvrages.  Il  commanda  aufïï 
des  pionniers  ,  pour  faciliter  la  montée  à  la  groffe  tour.  Avant 
que  de  donner  l'affaut  de  ce  côté-là ,  il  vouloit  fairedreffer  une 
batterie  de  quatre  coulevrines ,  pour  renverfer  les  fortifications 
oppofées  ,  ôc  il  avoit  retenu  Strozzi  malgré  lui ,  pour  choifir 
enfemble  le  lendemain  un  lieu  qui  y  fût  propre.  Mais  en  exa- 
minant cet  endroit,  Strozzi  fut  tué  d'un  coup  d'arquebufè ,  qui 

le 


D  E  J.  A.  DE   T  H O U  ,  L i  v.  XX.        ±tf 

le  blefTa  au-deffous  de  la  mamelle  gauche.  Le  duc  de  Guife  r  - 

s'appuyoit  alors  fur  fon  épaule  ;  Adrien  Baglioni,  ôc  le  comte  Henri  IL 
Théophile  Calcagnini  fes  amis  intimes  étoient  à  côté  de  lui.  w,  g_ 
Le  coup  fut  fi  mortel  qu'il  ne  put  dire  que  ces  paroles  :  Le 
Roi  perd  par  ma  mort  un  bon  <&  fidèle  ferviteur.  Strozzi  fut  un 
homme  d'un  grand  courage ,  que  fa  prefence  d'efprit  ,  fa  va- 
leur ,  fon  habileté  ,  Ôc  fon  expérience ,  égalèrent  aux  plus  fameux 
Capitaines  de  fon  tems  3  ôc  mirent  au-dellus  de  pluiieurs.  On 
cacha  fa  mort  par  l'ordre  du  duc  de  Guife  ,  de  crainte  que  cet 
accident  ne  décourageât  le  foldat  prêt  à  monter  à  l'aflaut. 

La  pièce  de  canon  ayant  été  placée  ,  le  duc  de  Guife  fit  met- 
tre devant  des  planches  de  l'épaifleur  d'un  pied  3  qui  étoient 
portées  fur  des  roues  ,  ôc  qu'on  pouvoit  élever  avec  des  cordes 
après  que  le  canon  auroittiré  ,  pour  mettre  la  batterie  ôc  les  ca- 
noniers  à  couvert  du  feu  des  ennemis.  Il  y  a  voit  au  ffi  entre  la 
Tour  Ôc  l'ouvrage  voifin  quatre  cens  hommes  couverts  par  des 
mantelets ,  ôc  qui  écartoient  à  coups  de  moufquet  les  ennemis 
qui  ofoient  paroître  pour  tirer  d'en  haut.  Il  fe  faifoit  de  part 
ôc  d'autre  un  grand  carnage  5  les  logemens  que  nous  avions  faits 
au  pié  des  fortifications  de  la  ville ,  ôc  une  batterie  de  quatre 
coulevrines,  dont  François  Rafin  ,  dit  Poton,  Sénéchal  d'A- 
genois,  avoit  foin  ,  incommodoient  extrêmement  les  afîiégez; 
mais  de  leur  côté  ils  mettoient  tout  en  ufage  pour  leur  défenfe  > 
nos  troupes  étoient  en  bute  aux  pierres }  aux  arquebufades  ,  aux 
pots  à  feu  que  les  ennemis  lançoient  ;  enforte  qu'on  ne  pou- 
.voit  même  dreffer  les  gabions  3  qu'on  met  ordinairement  pour 
couvrir  les  batteries.  Le  duc  de  Nevers  ôc  Bourdillon  averti- 
rent inutilement  Montluc  de  fe  retirer  d'un  endroit  où  il  étoit 
expofé  à  un  danger  manifefte  ?  il  craignoit  qu'en  fe  retirant 
tous  fes  gens  n'abandonnaiTent  ce  pofte.  Comme  s'il  eût  été 
réduit  aux  dernières  extrêmitez  ,  il  prit  un  parti  que  le  defef- 
poir  fembla  lui  fuggerer  :  il  donne  ordre  à  Volmar  capitaine 
d'infanterie  de  fe  jetter  ,  à  la  faveur  du  canon  qui  droit,  avec 
fix  arquebufiers }  ôc  deux  piquiers  /dans  les  ravelins  que  les 
ennemis  avoient  faits  depuis  peu  derrière  le  mur,  ôc  de  les  en 
chafTer.  Il  commande  en  même-tems  à  un  autre  capitaine  de 
monter  fur  la  Tour  avec  quelques  foldats ,  par  ce  chemin  dont 
nous  avons  parlé  ;  mais  à  peine  ce  dernier  y  fut-il  parvenu  avec 
un  de  fes  gens  \  qu'on  tira  fur  lui  d'un  ouvrage  voifin ,  ôc  qu'il 
Tome  III.  G  g 


234  HISTOIRE 

tomba  mort  erître  le  duc  de  Nevers  &  Bourdillon.  Montîuc 
Henri  IL  ne  perd  cependant  pas  courage,  il  preffe,  il  excite  Volmar 
1558.  par  l'exemple  de  l'autre  capitaine,  il  lui  dit  qu'il  eft  déjà  fur  la 
tour  :  Volmar  fe  jette  avec  les  Tiens  dans  ces  ravelins,  qui  n'é- 
toient  encore  couverts  que  de  planches  ;  l'ennemi  les  abandon- 
ne :  Volmar  eft  bien-tôt  fuivi  deMontluc  le  fils ,  de  ColTens ,  de 
la  Mole,  de  Caftel-Sagrat,  ôc  de  Des-Aufillons,  tous  Gafcons. 
Montluc  le  père  leur  infpire  une  nouvelle  audace  ,  6c  les  ani- 
me à  tout  tenter  pour  la  gloire  de  leur  payis.  On  combat  vi- 
goureufement  5  l'ennemi  fait  tous  fes  efforts  pour  regagner  ce 
pofte  ,  mais  leur  chef  eft  tué.  D'Anglure,  Ôc  Vallenville  iurvien- 
nent  avec  trente  hommes  d'élite  î  le  duc  de  Lunebourg,  qui 
avoit  ordre  d'y  envoyer  quelques-uns  de  fes  foldats  >  accourt 
lui-même  avec  fes  troupes  :  enfin  les  François  reftent  maîtres 
de  ces  ravelins.  On  a  fçu  depuis  que  la  jaloufie  avoit  defuni 
les  Efpagnols  ôc  les  Flamans  \  chacune  des  deux  nations  vou- 
lant fe  charger  à  l'envi  de  la  défenfe  de  ces  ravelins  ,  ôc 
que  Quarebbe  ,  pour  finir  la  conteftation  ,  en  avoit  donné 
la  garde  à  fa  compagnie.  Les  Efpagnols  lui  en  firent  même 
un  crime  auprès  de  Philippe  ;  il  fut  arrêté  ôc  retenu  long-tems 
prifonnier  en  Efpagne ,  où  l'on  a  coutume  de  punir  avec  fé- 
vérité  la  lâcheté  des  foldats ,  ôc  les  fautes  des  commandans. 
En  effet  cette  defunion  fut  caufe  que  ni  les  uns  ni  les  autres 
n'agirent  pas  dans  cette  action  avec  toute  la  vigueur  dont  ils 
étoient  capables. 

Le  duc  de  Guife  accourut  aufli-tôt  en  cet  endroit  ,  ôc  fit  ■ 
abattre  les  ravelins.  Les  Allemands  y  travaillèrent  eux-mêmes  , 
ne  pouvant  fouffrir  la  lenteur  des  pionniers.  Dès  que  ces  ou- 
vrages furent  démolis ,  ils  étendirent  d'avantage  leurs  loge- 
mens  dans  la  Tour.  On  réfolut  enfuite  de  faire  des  mines  fous 
les  fortifications  qui  étoient  derrière,  ce  qui  fut  promptement 
exécuté  la  nuit  fuivante ,  fous  les  ordres  du  duc  de  Nevers  Ôc 
de  Bourdillon. 
Frife  de  Le  lendemain  les  afiiégez  ne  pouvant  rien  efpérer  d'une 
Thionville.  réfiftance  plus  opiniâtre  ,  envoyèrent  un  Trompeté  pour  de- 
mander à  parlementer.  Rabutin  rapporte  que  Quarebbe  fortit 
lui-même  de  la  place ,  pour  traiter  ues  articles  de  la  capitula- 
tion ,  après  qu'il  eut  pris  fes  furetez  ,  ôc  qu'on  lui  eut  donné 
en  otages  Haultcourt  Gouverneur  d'Yvoy ,  ôc  le  capitaine 


DE  J.  A.    DE    THOU,  Liv.  XX.  23? 

Cadiou  gouverneur  de  Montmedi.   Si  ce  fait  eft  vrai  ,  Qua-  * 

rebbe  agit  alors  contre  les  règles  de  la  guerre  ,  qui  ne  permet-  Henri  II. 
tent  pas  qu'un  Gouverneur  d'une  place  afîiégée  en  forte  pour  1  5  y  8. 
parlementer.  ?4ontluc  rapporte  qu'on  donna  de  part  ôc  d'au- 
tre quatre  otages  ,  mais  il  ne  dit  point  que  le  Gouver- 
neur fortit  pour  la  capitulation.  Elle  fe  fit  à  ces  conditions  : 
Que  la  Ville  feroit  remife  de  bonne  foi  au  duc  de  Guife  dans 
l'état  où  elle  fe  trouvoit  :  Que  l'artillerie  ,  la  poudre ,  les  bou- 
lets ,  les  enfeignes  ôc  les  armes  refteroient  entre  les  mains  du 
vainqueur  :  Que  la  cavalerie  pourroit  fortir  avec  armes  ôc  che~ 
vaux,ôc  l'infanterie  avec  leurs  épées,  leurs  bayonnettes ,  ôcles 
autres  bagages ,  fans  crainte  qu'on  les  attaquât  :  Que  les  Ecclé- 
fiaftiques,les  Gentilshommes,  ôc  le  refte  des  habitans  pourroient 
emporter  leur  or ,  leur  argent ,  ôc  leurs  autres  effets  :  Qu'on 
ne  feroit  aucun  outrage  aux  femmes  ,  ôc  qu'enfin  on  prêteroit 
des  chariots ,  des  batteaux  ,  ôc  tout  ce  qui  étoit  néceffaire  pour 
conduire  en  lieu  de  fureté  ,  tant  les  malades  ,  que  ceux  qui 
étoient  en  fanté.  Ceci  arriva  le  22.  de  Juin.  Le  même  jour 
quatre  mille  habitans  fortirent  de  la  place  ,  ôc  furent  fuivis  le 
lendemain  par  quinze  cens  hommes  de  la  garnifbn ,  qui  étoient 
prefque  tous  bleffez  à  la  tête,  parceque  nos  troupes,  qui  étoient 
logées  au  pie  de  la  Tour,  à  couvert  fous  des  mantelets ,  avoient 
tiré  de  bas  en  haut  fur  tous  ceux  qui  ofoient  paroître.  Nous 
perdîmes  quatre  cens  foldats  dans  ce  fiége  ;  mais  il  y  en  eut 
un  plus  grand  nombre  de  bleffez  ,  qui  furent  conduits  à  Metz> 
pour  être  traités  dans  l'hôpital  que  Gafpard  de  Coligny  y  avoit 
autrefois  fait  bâtir  avec  autant  de  prévoyance  que  d'humanité. 
Le  duc  de  Nevers  entra  enfuite  dans  la  Place ,  pour  empêcher 
que  le  foldat  ne  fe  portât  à  des  excès  contraires  à  la  capitu- 
lation. On  donna  le  gouvernement  de  la  ville  à  François  de 
Vieille-Ville ,  avec  huiteompagnies  d'infanterie  pour  la  garder. 

Après  la  prife  de  Thionville,  le  duc  de  Guife  écrivit  à 
l'électeur  de  Trêves  ,  dont  les  terres  n'en  font  pas  éloignées, 
pour  l'affurer  de  l'affection  du  Roy  à  l'égard  de  tous  les  Princes 
de  l'Empire  ôc  de  l'Empire  même ,  ôc  il  lui  promit  que  les 
garnifons  Françoifes  ne  feroient  aucun  dégât  dans  les  terres  de 
fa  dépendance. 

On  attaqua  enfuite  le  château  d'Arlon,  qui  eft  à  dix  mille 
de  Metz.   La  garnifon  étoit  compofée  de  cent  -  cinquante 

Ggij 


A3*  HISTOIRE 

Allemands  ,  6c  de  quatre  cens  Flamans.  L'efpérance  d'être  fe- 
HenriII.  courus  les  empêcha  de  fe  rendre,  quoiqu'on  les  eût  fommés. 
i  $  5  8.  Montluc  ayant  fait  furie  foir  la  circonvallation  de  la  place , 
fit  defcendre  pendant  la  nuit  un  foldat  Flamand  dans  le  fofle. 
Ce  foldat  monta  ,  par  un  degré  qu'on  avoit  fait  dans  la  terre , 
jufqu'aux  retranchemens  que  les  ennemis  élevoient  à  la  hâte. 
Après  qu'il  eut  reconnu  le  lieu ,  fans  être  vu  ni  entendu  de 
perfonne. ,  il  revint  trouver  Montluc ,  ôc  lui  rapporta  qu'on  ne 
faifoit  point  de  garde  de  ce  coté  là,  qu'on  pouvoit  y  monter 
fi  facilement  ,  que  s'il  vouloit  s'emparer  de  ce  porte,  ilfe  ren- 
droit  infailliblement  maître  de  la  place.  On  renvoya  le  foldat 
avec  quatre  arquebuliers ,  ôc  deux  capitaines  >  dont  l'un  s'ap- 
pelloit  Gous  :  le  foldat  s'étant  approché  des  fortifications ,  à  la 
faveur  de  la  nuit  qui  étoit  fort  obfcure,  la  fentinelle  lui  cria 
en  Allemand  ,  qui  va  là  ?  Il  répondit  en  la  même  langue ,  Ami , 
ôc  lui  dit  que  l'affection  qu'il  avoit  pour  fes  compatriotes  l'o- 
bligeoit  de  les  avertir  du  péril ,  où  ils  aîloient  être  expofez  > 
que  le  lendemain  le  duc  de  Guife  devoit  arriver  pour  foudroyer 
la  place  avec  toute  fon  artillerie;  mais  que  ce  Général  voulant 
épargner  les  Allemands,  1  avoit  chargé  de  les  avertir,  que  s'ils 
ne  fongeoient  de  bonne  heure  à  leur  falut ,  tout  le  fais  de  la 
guerre  tomberoit  fur  eux  ,  ôc  qu'ils  fentiroient  les  terribles  ef- 
fets de  la  fureur  du  foldat.  Pendant  qu'il  amufoit  ainfi  la  fen- 
tinelle )  un  grand  nombre  de  nos  troupes  venoit  à  la  file  ,  ôc 
Montluc  lui-même  étoit  defcendu  dans  le  foffé.  Le  foldat  Fla- 
mand demandent  du  vin,  pour  fe  rafraichir  de  la  chaleur  qu'il 
difoit  avoir  foûtenuë  pendant  le  jour  entier ,  lorfque  nos  trou- 
pes entrèrent ,  ôc  ayant  chaiTé  les  ennemis  de  ce  pofte ,  les  pour- 
fuivirent  jufqu'aux  maifons.  Le  foldat  accourut  à  l'endroit  où 
les  Allemands  s'étoient  enfermés  :  il  fit  tant  par  prières  ôc 
par  menaces,  qu'ils  ouvrirent  les  portes,  ôc  fe  rendirent.  Les 
foldats  victorieux  n'en  vinrent  à  aucune  violence  :  il  fut  aifé  de 
voir  que  ces  vieilles  troupes  étoient  accoutumées  à  la  difei- 
pline  militaire  ,  puifqu'elles  furprirent  cette  place  ,  ôc  l'em- 
portèrent fans  répandre  de  fang.  Mais  par  malheur  le  feu  ayant 
pris  aux  poudres  ,  ôc  s'étant  communiqué  à  trois  maifons ,  le 
vent  qui  étoit  violent  augmenta  l'incendie  ,  enforte  que  la 
Ville ,  où  il  y  avoit  beaucoup  de  lin  ,  qui  croît  en  abondance 
dans  ce  payis ,  fut  prefque  entièrement  réduite  en  cendres. 


DE   J.  A.  D  E   T  H  O  U ,  L  i  v.  XX.         237 

Cet  accident  arriva  le  trois  de  Juillet.  Enfin  le  feu  étant  éteint,  '- 

en  ruina  toutes  les  fortifications  de  la  Ville  ,  ôc  on  la  laifla  ou-  Henri  II. 

verte  de  tous  cotez.  1  S  S  %- 

On  forma  enfuite  le  deflein  d'afïiéger  Luxembourg  ,  où 
Pierre  Erneft  de  Mansfeld  ,  gouverneur  de  la  Province ,  s'é- 
toit  enfermé  avec  Je  comte  de  Hoye  ,  ôc  une  forte  garnifon 
d'Efpagnols ,  ôc  d'Allemands.  Le  duc  de  Nevers  ayant  mar- 
ché de  ce  côté-là  ,  avec  trois  mille  chevaux  Allemands ,  ôc 
quelque  cavalerie  Françoife  ,  perdit  inutilement  le  tems  à 
efearmoucher.  Haultcourt  y  fut  aum*  envoyé  à  la  tête  de  cinq 
compagnies  d'infanterie,  ôc  de  deux  cens  «arqucbufiers  à  che- 
val ,  appeliez  Carabiniers ' ,  ôc  avec  de  Prie ,  6c  la  cornette  du 
comte  de  Viliars  dont  il  étoit  lieutenant,  pour  s'emparer  de 
Roffignol ,  de  Villemont  ôc  de  Chiny ,  trois  Forts  que  les  enne- 
mis avoient  repris ,  6c  qui  font  proche  d'Herbemont.  Il  brûla,  ôc 
fit  rafer  Roffignol  ôc  Villemont ,  mais  on  jugea  à  propos  de  for- 
tifier Chiny,  pour  couvrir  Yvoi  ôc  Herbemont.  La  divifion  fe 
mit  quelque  tems  après  entre  les  troupes  Françoifes ,  Ôc  les  Alle- 
mands ,  qui  ordinairement  de  l'oifiveté  parlent  bien-tôt  à  la 
fédition  5  ils  en  fullent  venus  aux  mains ,  ii  le  duc  de  Nevers 
n'eût  interpofé  fon  autorité.  Ces  expéditions  de  peu  de  consé- 
quence, ôc  les  accidens  qui  furvinrent  après  îaprife  deThion- 
ville,  arrêtèrent  nos  troupes  fans  aucun  fruit.  Dans  le  même 
tems  les  tentes  ,  les  chevaux ,  ôc  les  équipages  du  duc  de 
Guife ,  ôc  une  partie  de  ceux  de  Bourdillon  furent  brûlez , 
fans  qu'on  pût  fçavoir  la  caufe  de  ce  malheur  :  enfin  on 
pafTa  dix-fept  jours  à  faire  repofer  l'armée  à  Arlon,  ôc  à  Vi- 
reton,  dans  un  tems  où  le  duc  de  Guife  eût  pu  fe  joindre 
à  Paul  de  Thermes  ,  ôc  prévenir  par  fa  diligence  une  défaite 
qui  ruina  entièrement  nos  affaires  ,  déjà  en  affez  mauvais 
état. 

On  avoit  réfolu  dans  le  Confeil  du  Roi,  que  de  Thermes, 
à  qui  on  avoit  exprès  donné  le  gouvernement  de  Calais  ,  fe- 
roit  des  courfes  dans  le  comté  de  Saint-Pol  ,  pour  répandre  la 
terreur  dans  tout  ce  Payis  j  que  dans  le  même  tems ,  le  duc 
de  Guife  marcheroit  de  ce  côté  -  là  ,   avec  les  Allemands 


ce  &  ailleurs  ,  appeliez  carabins  6c  de- 
puis  carabiniers.    Une  carabine  étoit 


1  C'eft  la  première  fois  que  l'Au- 
teur parle  de  cette  efpece  de  trou- 
pes ,  qui  ont  parte  d'Efpagne  en  Fran-       une  petite  arquebufe  à  roiiet 

G  g  »i 


2j8  HISTOIRE 

—  auxiliaires ,  qu'il  devoit  lever  dans  le  payis  de  Mets  ,  ôc  de  Touï, 

Henri  IL  &  qu'il  attendroit  le  duc  d'Aumale  fon  frère  ,  qui  raflembloit 
i  s*  <  8.  ^es  tr°upes  à  la  Fere  en  Vermandois.  Si  ce  projet  eût  été 
exécuté  j  Philippe  eût  été  réduit  à  une  telle  extrémité ,  qu'il  au- 
roit  été  obligé  de  recevoir  de  nous  les  loix  qu'il  nous  donna 
dans  la  fuite  :  mais  les  intérêts  perfonnels  étouffant  déjà  dans 
le  cœur  de  quelques  François  l'amour  de  leur  patrie  ,  ce  pro- 
jet 3  qui  devoit  être  fi  avantageux  ,  fut  éludé  par  un  retarde- 
ment pernicieux  ,  ôc  comme  quelques  -  uns  l'ont  crû  ,  par 
une  lenteur  concertée  avec  nos  ennemis. 

De  Thermes  partit  donc  de  Calais,  au  commencement  de 
Juin,  avec  cinq  mille  hommes  d'infanterie ,  en  partie  Gafcons, 
mais  la  plupart  Allemands,  ôc  quinze  cens  chevaux ,  emmenant 
avec  lui  Jean  d'Eftouteville,  fieur  de  Villebon,  Annebauld,  Se- 
narpont,  ôc  le  comte  de  Chaulnes.  Après  avoir  pafifé  la  Foffe- 
neuve,  qu'on  appelle  ordinairement  Boîaïe ,  il  mit  en  fuite  des 
payifans ,  qui  vouloient  s'oppofer  au  paflage  de  fes  troupes. 
Laiffant  derrière  lui  Gravelines  ôc  Bourbourg,  il  arriva  à  Dun- 
kerque,  port  de  mer,  le  2  de  Juillet.  Quatre  jours  après  on 
prit  cette  ville  d'affaut ,  pendant  que  les  Bourgeois  parlemen- 
toient  ;  elle  fut  pillée,  ôc  on  y  mitgarnifon.  De  Thermes  s'avan- 
çant  enfuite  plus  avant  dans  le  payis,  fe  rendit  maître  fans  beau- 
coup de  peine  ôc  abandonna  au  pillage  Bergues-faint-Winoc, 
ville  fort  riche.  Mais  la  goûte,  dont  il  étoit  ordinairement  in- 
commodé, l'empêchant  alors  d'agir ,  il  remit  le  commandement 
de  l'armée  à  d'Eftouteville.  Ce  Capitaine  ,  accoutumé  aux  pilla- 
ges ôc  aux  embrafemens ,  laifla  trop  de  liberté  au  foldau  il  fe 
commit  des  cruautez  inoûies  dans  ce  payis ,  qui  fut  ravagé  juf- 
qu'à  Nieuport. 

Philippe ,  pour  détourner  l'orage  que  fa  prévoyance  lui  fai- 
-  foit  craindre ,  fi  le  deflein  des  François ,  dont  il  avoit  été  in- 
formé  ,  eût  été  exécuté  aufïi  fidèlement  qu'il  avoit  été  prudem- 
ment conçu  ,  avoit  envoyé  le  duc  de  Savoye  vers  le  comté 
de  Namur  ,  avec  ordre  d'affembler  les  troupes  à  Maubeuge,  ôc 
de  s'oppofer  au  duc  de  Guife.  Mais  voyant  qu'après  la  priie  de 
Thionville ,  ce  Général  perdoit  fon  tems  à  Arlon  ôc  à  Vi- 
reton ,  il  crût  devoir  profiter  de  l'occafion ,  ôc  réfolut  d'atta- 
quer les  François  embaraffez  de  leur  butin ,  avant  qu'il  leur 
fût  venu  un  renfort  plus  coniidérable  de  troupes.  Il  chargea  de 


DE   J.   A.   DE    THOU,  Liv.  XX.         23P 

î'exécution  le  comte  d'Egmond ,  capitaine  de  grand  courage  3 

dont  l'activité  lui  avoit  fait  remporter  la  victoire  de  Saint-  Henri  II, 

Quentin.  Le  Comte  vint  de  Flandre,  dontiiétoit  Gouverneur,      *  S  S  &• 

à  Gravelines  ;  il  s'y  pofta ,  ce  lieu  étant  entre  Dunkerque  ,  ôc 

Calais  où  nous  devions  faire  nôtre  retraite.  Ponce  de  Laîlain 

fieur  de  Binicour ,  maréchal  de  camp  ,  fe  joignit  à  lui  dans  cet 

endroit  :  ayant  raffemblé  les  garnifons  de  Bethune ,  Saint  Orner, 

Aire  ôc  Bourbourg ,  ôc  reçu  le  renfort  que  le  duc  de  Savoye 

lui  avoit  envoyé  de  Maubeuge ,  il  forma  une  armée  de  douze 

mille  hommes  de  pié  ,  ôc  de  trois  mille  chevaux ,  outre  un 

grand  nombre    de    Payifans  ,   tant  hommes   que  femmes  , 

qui  fe  rendoient  de  tous  cotez  à  fon  camp ,  pour  profiter  de 

l'occafion  de  fe  venger  de  tous  les  outrages    qu'ils  vendent 

de  recevoir. 

Dès  que  de  Thermes ,  qui  attendoit  le  duc  de  Guife  de  jour  à 
autre ,  en  fut  informé  ,  il  fit  revenir  fes  troupes ,  qui  étoient 
difperfées  de  tous  cotez.  Quoique  malade  ,  étant  monté  à 
cheval ,  il  campa  proche  de  Gravelines ,  pour  chercher  les 
moyens  de  fe  retirer  ;  mais  il  y  fongea  trop  tard  :  le  comte 
d'Egmond  étoit  déjà  en  préfence  à  la  portée  du  moufquet.  De 
Thermes  tint  pendant  la  nuit  un  Confeil  de  guerre ,  où  l'on 
réfolut  unanimement  de  fe  retirer  du  côté  de  la  mer  ,  à  Calais  , 
pendant  le  reflus  ,  ôc  de  profiter  du  moyen  que  la  nature 
offroit  pour  fe  mettre  en  lieu  de  fureté.  Nos  troupes  paffe- 
rent  facilement  à  l'embouchure  de  la  rivière  d'Aa  3  que  le 
reflus  rendoit  plus  baffe.  Dès  qu'Egmond  s'en  apperçut  3  il 
paffa  aufli  la  rivière  au-deffus  de  Gravelines  avec  lès  troupes, 
Ôc  fe  préfenta  de  front  à  l'armée  Françoife ,  qui  avoit  déjà 
franchi  ce  mauvais  pas.  Alors  deThermes  ne  fe  voyant  d'autre 
reffource  que  fon  courage  ,  ayant  la  Mer  au  Nord ,  la  Foffe- 
neuve  à  dos ,  ôc  l'ennemi  à  gauche ,  ôc  en  tête  ;  fe  rangea 
en  bataille  de  "telle  forte,  que  croyant  n'avoir  rien  à  craindre 
ni  derrière  lui  ni  à  fa  droite,  il  mit  à  fa  gauche  vers  le  Midi 
les  chariors  ôc  le  bagage  ,  ôc  plaça  à  la  tête  de  fes  troupes 
fon  artillerie  ,  qui  confiftoit  en  quatre  Coulevrines  ôc  trois 
Fauconneaux  :  il  laiiTa  un  grand  efpace  à  la  cavalerie  ,  que 
les  Gafcons  foûtenoient  des  deux  cotez ,  ôc  qui  étoient  fuivis 
des  troupes  Françoifes  ôc  Allemandes. 

Le  comte  d'Egmond  au  contraire  ne  jugeant  pas  à  propos 


24û  HISTOIRE 

de  différer,  ni  d'attendre  du  canon,  de  crainte  que*  pendant 
Henri II.  Ce  tenis  les  François  ne  lui  échapaffent  ,  partagea  fa  ca- 
1  S  S  $'  valerie  en  cinq  efcadrons  :  il  envoya  devant  les  chevaux- 
légers  ,  qui  étoient  divifez  en  trois  corps  ;  le  comte  de  Pont- 
de-Vaux  avoit  la  conduite  de  l'aile  droite ,  Henrique  Hen- 
riquez  Aragonois  étoit  à  la  gauche  ,  ôc  d'Egmond  au  corps 
de  bataille  >  la  cavalerie  Allemande  fuivoit ,  fous  la  condui- 
te de  Lazare  Schwendi  ;  les  compagnies  de  Gensd'armes 
Flamans  marchoient  enfuite  ayant  à  leur  tête  les  comtes  de 
Renty  ôc  de  Reux  :  l'infanterie  étoit  divifée  en  trois  corps, 

Î>arce  qu'elle  étoit  compoféede  trois  différentes  nations ,  d'Al- 
emands,  de  Flamans,  Ôc  de  vieilles  troupes  Efpagnoles;  elle 
étoit  commandée  par  Hildmar  de  Munchaufen  gentilhomme 
de  Saxe,  Binicourt,  ôc  Carvajal  Efpagnol. 

Le  comte  d'Egmond  ayant  ainfi  difpofé  fon  armée ,  fon 
courage  ne  put  foufïrir  un  plus  long  retardement;  Nous  fommes 
vainqueurs ,  s'écria-t-il ,  que  ceux  qui  aiment  la  gloire  ôc  leur 
patrie  me  fuivent.  Il  pouffa  en  même  tems  fon  cheval  avec 
impetuoiité  :  les  Gafcons  foutiennent  ce  premier  choc  avec 
beaucoup  de  fermeté ,  à  la  faveur  du  canon  qui  renverfa  les 
premiers  rangs  des  ennemis ,  ôc  qui  tua  même  le  cheval  du 
comte  d'Egmond  :  l'ennemi  fuperieur  s'approche  :  l'infanterie 
contre  l'infanterie,  la  cavalerie  contre  la  cavalerie  ;  tout  fe  mêle, 
tout  combat  :  l'efperance  d'une  vicloire  prefque  certaine  ani- 
me les  Flamans  :  le  défefpoir  donne  aux  François  une  nou- 
velle audace.  On  fut  long-tems  fans  s'appercevoir  de  quel  côté 
panchoit  la  vi&oire  ;  les  Gafcons  pour  l'emporter  firent  des 
prodiges  de  valeur ,  ôc  s'expoferent  à  tout ,  par  un  courage 
naturel  à  leur  nation;  mais  les  Allemands  n'étoient  que  com- 
me des  fpe6tateurs  inutiles  du  combat ,  qu'ils  regardoient  d'un 
ceil  tranquille ,  ôc  la  pique  haute.  La  cavalerie  fe  trouva  trop 
refferrée  ,  ôc  n'agit  que  foiblement.  Enfin  un  accident  imprévu 
décida  du  fort  de  cette  journée  ;  car  pour  comble  de  mal- 
heur, dix  vaiffeaux  Anglois  abordèrent  par  hazard  fur  cette 
côte  :  ayant  vu  de  loin  le  combat ,  ils  tirèrent  fur  le  côté  droit 
de  nos  troupes,  où  elles  croy oient  avoir  moins  à  craindre.  L'in- 
fanterie ne  put  foutenir  cette  attaque  inopinée  :  les  rangs  s'ou- 
vrent ,  la  cavalerie  fe  fépare  ,  le  corps  de  bataille  plie  ;  en- 
fin la  cavalerie  ayant  la  première  pris  la  fuite ,  l'infanterie  fut 

entièrement 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XX.         241 

entièrement  défaite ,  après  une  vigoureufe  réfiftance  ,  êc  un  ■        ! 

combat  opiniâtre.  HenriII. 

Il  refta  fur  le  champ  de  bataille  quinze  cens  François;  mais  un     1  j  $  Ê . 
plus  grand  nombre  tomba  entre  les  mains  des  payifans ,  Ôc  des     Défaite  dea 
femmes  mêmes  :  le  fouvenir  des  maux  au  ils  avoient  foufferts  taS'dt  ** 
les  rendoit  furieux  ,  ôc  ils  fe  firent  un  plaifir  cruel  de  mafia-  Gravelines, 
crer  ces  malheureux ,  que  l'épée  du  vainqueur  avoit  épargnez. 
Plusieurs  périrent  dans  les  flots  de  la  mer  5  prefque  tous  les 
principaux  ofïiciers,comme  de  Thermes,  Villebon,Annebauld, 
Senarpont ,  le  comte  de  Chaulnes ,   &  Morvilliers  furent  pris. 
Les  vaiffèaux  Anglois  firent  deux  cens  prifonniers ,  qu'ils  euf- 
fent  pu.  noyer ,  mais  à  qui  ils  aimèrent  mieux  fauver  la  vie , 
pour  les  conduire  comme  en  triomphe  en  Angleterre ,  ôc  les 
préfenter  à  leur  Reine.  Cependant  cette  vicloire  coûta  du  fang 
aux  ennemis ,  qui  perdirent  plus  de  cinq  cens  hommes ,  ôc  en- 
tr' autres   Pelu  ,  gentilliomme    Flamand  ,  Ôc    officier   très- 
brave. 

On  blâma  de  Thermes  de  ce  qu'il  avoit  été  trop  facile  à  per- 
mettre le  pillage  ,  fans  prévoir  ôc  fans  fe  mettre  en  état  de 
prévenir  le  danger  ,  ni  fonger  à  la  retraite  ,  ôc  de  n'avoir  pas 
profité  du  moins  de  la  nuit  qui  précéda  le  combat,  pour  dé- 
camper. Mais  fa  maladie  l'excufa  en  partie  ,  ôc  les  ennemis 
même  le  juftifierent  3  car  leurs  écrivains  difent  que  ce  Général 
ne  refta  fi  long-tems  dans  le  comté  de  Saint-Pol  ,  que  par  les 
ordres  du  Roi,  pour  y  attendre  le  duc  de  Guife,  qu'il  efpe- 
roit  devoir  le  venir  joindre ,  comme  on  en  étoit  convenu. 

Tel  fut  le  trifte  fort  de  la  bataille  de  Gravelines  qui  fe  don- 
na le  13  de  Juillet.  Cette  fatale  journée,  qui  fuivit  défi  près 
celle  de  Saint  Quentin ,  dont  la  France  commençoit  à  répa- 
rer les  pertes,  mit  le  comble  à  nos  malheurs,  ôc  obligea  le 
Roi,  qui  s'ennuyoit  de  la  guerre ,  quoique  les  commencemens 
en  euffent  été  heureux ,  à  confentir  à  la  paix ,  que  l'amour  du  re- 
pos lui  fit  fouhaiter ,  quelque  défavantageufe  qu'elle  fut.  Lorf- 
quele  duc  de  Guife,  qui  etoit  à  Vireton,eut  reçu  cette  facheufe 
nouvelle ,  ôc  qu'il  eut  appris  en  même  tems  que  les  ennemis 
s'étoient  déjà  affemblez  en  grand  nombre  aux  environs  de 
Maubeuge  ôc  de  Marolles  places  peu  éloignées  de  Guife  , 
voyant  qu'on  étoit  dans  l'impuiflance  d'attaquer  la  Flandre  , 
comme  on  l'avoit  projeté,  paffa  par  Sedan,  Mezieres,  ôc  la 
Tome  III.  H  h 


mbMSmJim 


242  HISTOIRE 

■5  Tierache ,  êc  fe  rendit  le  28  de  Juillet  à  Pier r e-Poftt  ;  pofte 

HenriII.  fitué  entre  la  Picardie,  ôcla  Champagne,  &  commo  de  pour 

155-8.     y  former  un  camp,  afin  de  marcher  par  tout  où  il  fer  oit  né- 

ceflaire. 

.  °"cIllnte       Dans  le  même  tems  qu'on  recevoit  de  tous  cotez  de  fa- 
des Pfeaumes     ,       r  „  r  À      _. 

en  vers  Fran-  cneules  nouvelles  ,  au  iujet  des  avantages  que  remportoient 
cois  à  Pans,. ies  ennemis  de  la  France,  ce  Royaume  étoit  encore  agité 
cîercT.  '  de  divifïons  inteftines.  Une  grande  quantité  de  perfonnes 
prenant  à  Paris  le  frais  fur  le  foir,  comme  c'eft  la  coutume, 
dans  le  pré  aux  Clercs,  au-delà  du  fauxbourg"  faint  Germain, 
quelques  Religionnaires ,  dont  le  nombre  s'augmentoit  de  plus 
en  plus ,  eurent  la  hardieffe  de  chanter  en  fe  promenant  les 
Pfeaumes  de  David  en  vers  François.  Les  zelez  Catholiques 
.s'imaginèrent  que  ces  Proteftans  n'agiflbient  ainfi,  que  pour 
fe  faire  des  profelytes,  par  la  douceur  de  ces  chants,  ôc  par 
l'amour  de  la  nouveauté  ,  qui  fait  toujours  beaucoup  d'im- 
preffion  fur  les  efprits  foibles.  Cette  conjecture  n'étoit  pas  fans 
fondement  ;  car  prefque  tous  ceux  qui  étoient  à  la  promena- 
de, quittèrent  les  jeux  qui  les  amufoient,  ôc  fe  joignirent 
à  ceux  qui  chantoient,  pour  chanter  les  mêmes  Pfeaumes. 
La  promenade  fut  plus  fréquentée  les  jours  fuivans  ;  on  y  vit 
même  Antoine  roi  de  Navarre ,  ôc  la  reine  Jeanne  fon  épou- 
fe,  dont  les  fentimens  fur  la  Religion  étoient  déjà  fort  fuf- 
petts.  Le  Clergé  ne  le  put  fouffrir ,  prétendant  qu'on  ne  chan- 
toit  ces  Pfeaumes  en  vers  François  ,  qui  étoient  entendus 
de  tout  le  monde ,  que  pour  faire  méprifer  au  peuple  l'ancien 
ufage  introduit  par  FEglife  Romaine,fuivant  lequel  on  doit  faire 
le  fervice  divin  en  langue  Latine.  La  chofe  fut  rapportée  au 
Roi ,  comme  s'il  y  eût  eu  de  la  cabale  ,  ôc  de  la  fédition  ;  il 
donna  ordre  qu'on  informât  contre  les  auteurs  de  ce  fcanda- 
le ,  ôc  on  défendit ,  fous  peine  du  dernier  fupplice  ,  de  tenir 
dans  la  fuite  de  pareilles  affemblées ,  Ôc  de  chanter  ces  Pfeau- 
mes en  public. 
Defcente         §ur  ces  entrefaites,  on  apprit  que  l'armée  navale  Angloife, 

des  ennemis  r,       -,  .  l  .*  /      vrr  j  *-" 

snBi-etaone.  compolee  de  cent-vingt  navires  de  dinerente  grandeur,  avoit 
paru  fur  les  côtes  de  Normandie  fous  la  conduite  de  Milord 
Clinthon.  Comme  on  craignoit  principalement  pour  le  Havre 
de  grâce ,  ôc  pour  Dieppe  ,  le  duc  de  Bouillon  gouverneur  de  la 
Province  eut  ordre  de  s'y  rendre ,  pour  défendre  ces  côtes.  La 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XX.  243 

flotte  Angloife  ayant  côtoyé  la  Bretagne  ,  en  cherchant  un  — — .  ■»■■■■■ 
endroit  commode  pour  une  defeente ,  aborda  enfin  le  dernier  jjenri  H. 
de  Juillet  au  Conqueft,  port  fameux  de  Bretagne  ,  où  eft  le  .  .  g^ 
Couvent  de  S.  Mahé  ,  fitué  dans  un  endroit  que  les  habitans 
du  payis  appellent  le  bout  du  monde.  Elle  mit  à  terre  des 
foldats  dès  la  pointe  du  jour  :  cent  cinquante  payifans ,  à  la  fa- 
veur du  canon  de  la  place  ,  foûtinrent  pendant  quelque-tems 
l'effort  des  ennemis.  Mais  fept  mille  Anglois  s'étans  jettez 
fur  ces  payifans ,  qui  la  plupart  étoient  fans  armes ,  ôc  le  ca- 
non des  vaiffeaux  favorifant  leur  defeente  ,  les  habitans  n'o- 
ferent  plus  refifter ,  ôc  n'efpérant  pas  de  fecours  ,  ils  abandon- 
nèrent la  place.  Les  Anglois  s'en  emparèrent  auffi-tôt.  La 
ville  fut  livrée  au  pillage  5  la  fainteté  des  Temples  ne  les  mit 
point  à  couvert  de  l'avarice  du  foidat  j  tout  fut  en  proye  à  la 
barbarie  la  plus  cruelle  >  ôc  à  la  dernière  brutalité.  Mais  Ker- 
fimon ,  feigneur  de  ce  payis  arriva  à  l'improvifte  avec  fept 
mille  hommes,  qu'il  avoit  alTemblez  en  faifant  allumer  de 
grands  feux  dans  la  campagne  pour  fervir  de  lignai  5  on  chaffa 
les  ennemis  ,  qui  furent  enfin  obligez  de  regagner  leurs  vaif- 
feaux avec  perte  de  fix  cens  hommes.  On  fit  plus  de  cent 
prifonniers  ,  entre  lefquels  il  fe  trouva  un  Hollandois,  qui  dit 
que  la  flotte  Flamande  compofée  de  trente  voiles  ou  environ  t 
fous  la  conduite  de  Waackene  ,  s'étoit  jointe  dans  l'Ifle  de 
Wight  y  par  l'ordre  du  Roi  d'Efpagne  ,  à  la  flotte  Angloife  > 
qu'on  avoit  enjoint  aux  officiers  fous  peine  de  la  vie  de  s'em- 
parer de  Breft,  qui  eft  un  port  de  mer  très- fur  dans  ce  payis  5 
ôc  qu'à  delTein  de  s'en  rendre  les  maîtres ,  ils  avoient  fait  cette 
defeente.  Cependant  les  milices  des  Diocefes  de  Léon  ôc  de 
Cornouaille  s'étant  affemblées  jufqu'au  nombre  de  trente  mille 
hommes ,  les  ennemis  fe  retirèrent  à  fille  de  Bail  qui  eft  éloi- 
gnée de  douze  lieues  de  la  terre  ferme ,  quoiqu'ils  euffent  reçu 
un  renfort  de  trente  vaiffeaux  de  guerre  5  mais  les  payifans  les 
fuivirent  des  yeux ,  le  plus  loin  qu'il  leur  fut  poffible  3  de  crain- 
te d'en  être  furpris.  Jean  de  BroiTes  duc  d'Eftainpes ,  gouver- 
neur de  la  Province ,  ayant  levé  fept  mille  chevaux  ôc  quinze 
mille  hommes  de  pié ,  accourut  de  ce  côté-là,  ôc  les  fortes 
garnifons  qu'il  mit  dans  Breft  Ôc  dans  Saint  -  Malo ,  rendirent 
inutiles  tous  les  efforts  des  ennemis. 

Le  duc  de  Guife  étant  arrivé  à  Pierre-Pont  ?  Jean  Guillaume , 

H  h  ij 


244  HISTOIRE 

ggg  »  l'un  des  fils  de  l'éle&eur  Jean  Frédéric  de  Saxe  y  vint  auiïi 
Henri  IL  avec  fept  cornettes  de  cavalerie  Allemande,  qui  formoient  un 
!  f  ç  g.  '  corps  de  deux  mille  hommes  ,  la  plupart  de  Pruffe  ;  il  étoit  ac- 
compagné de  Jacob  d'Aufbourg  ,  capitaine  d'expérience  ôc  de 
réputation ,  qui  commandoit  dix  compagnies  d'infanterie  bien 
entretenues  ,  ôc  qui  avoit  été  autrefois  lieutenant  d'Albert  de 
Brandebourg  fi  fameux  par  fes  ravages  dans  l'Allemagne.  Le 
Roi  étant  à  Marchetz  alla  le  fept  d'Août  au-devant  du  Prince 
de  Saxe  ,  qui  avoit  à  fa  fuite  cent  Gentilshommes  >  ôc  le  reçut 
magnifiquement  :  il  le  remercia  des  fecours  qu'il  lui  amenoit, 
ôc  promit  de  rendre  le  même  fervice  à  ce  Prince  Ôc  à  fon  illuf- 
tre  maifon  3  quand  l'occafion  s'en  prefenteroit.  Le  lendemain 
le  Roi  fît  la  revue  de  fon  armée.  Jamais  aucun  de  nos  Rois  n'en 
avoit  eu  une  fi  nombreufe,  fi  l'on  en  croit  Montiuc  ,  qui  ra- 
porte  s  que  lorfqu'elle  fut  rangée  en  bataille ,  elle  occupoit  une 
lieue  ôc  demie  de  terrein  ,  ôc  qu'il  falloit  trois  heures  de  tems 
pour  en  faire  le  circuit  :  depuis  l'aîle  droite  jufqu'à  la  gauche , 
elle  formoit  un  demi  cercle  :  l'aîle  gauche  s'étendoit  jufqu'à 
Laon  fur  le  chemin  de  Crecy  5  elle  étoit  compofée  des  arque* 
bufiers  de  Faverolles  ôc  de  Trichafteau  au  nombre  de  deux  cens, 
Ôc  de  la  cavalerie  légère  fous  la  conduite  des  capitaines  Pieries , 
Nogaret ,  la  Vallette ,  Rotigotty  ,  Lagny  ;  ôc  du  Bâtard  de 
Bueil  :  les  cornettes  étoient  chacune  compofées  de  cent  hom- 
mes. Le  duc  de   Lunebourg  les  fuivoit  à  la  tête  de  quatre 
compagnies  de  cavalerie.  Les  gens  armés  à  la  légère,  qui  for- 
moient  un  corps  de  quatre  cens  hommes  ou  environ  ,  dont 
Antoine  de  Luxembourg  comte  deRouiîi  ,  Lombay ,  Truche- 
pot,  Thomas  Albanois,  ôc  de  Cleves  comte  d'Eu  étoient  les  prin- 
cipaux officiers,  marchoientenfuite,  avec  la  compagnie  de  Gen- 
darmes du  duc  deNemours,  qui  commandoit  la  cavalerie-legere. 
Le  duc  de  Guife  étoit  au  corps  de  bataille,  avec  les  com- 
pagnies de  Gendarmes  de  la  Roche-fur-Yon  ,  de  Curton ,  de 
la  Roche-Foucault-Randan ,  de  Defcars ,  de  la  Vauguion  ; 
d'Hangeft-Janlis ,  de  la  Roche-du-Maine  ,  ôc  de  Montmoren- 
ci ,   qui  étoient  chacune  de  cinquante  chevaux.  Il  y  avoit aufïî 
quatre   compagnies  Allemandes  fous  la  conduite  des  Sche- 
neves ,  qui  étoient  foûtenuès  par  celles  de  Beauvais ,  de  Tava- 
nes ,  de  Bourdillon  ,  du  duc  de  Lorraine  ,  ôc  du  duc  de  Guife 
même.  Baudopré  étoit  devant  le  duc  de  Guife,  avec  cinquante 


DE  J.  A.   DETHOU,  Liv.XX.       24* 

des  gardes  de  ce  Duc  à  cheval ,  6c  à  côté  cinquante  arquebu-  ——■—"— »— 
fiers  à  cheval,  fous  la  conduite  de  Ventou.  Le  iils  de  JeanFre-  Henri  II. 
deric  de  Saxe  étoit  au  -  deffous  du  duc  de  Guife  ,  à  la  tête  1558. 
de  fept  compagnies  ,  ôc  à  côté  de  lui  les  regimens  de  Reiffen- 
bergers  &  de  Falkemburg ,  qui  étoient  couverts  par  quatre 
cornettes  de  cavalerie  Allemande,  que  commandoit  Henri 
Stoup.  Les  cornettes  du  Prince  de  Salerne  ,d'Eleonor  Chabot 
comte  de  Charni ,  ôc  du  connétable  de  Montmorenci  étoient 
fur  la  même  ligne.  Elles  étoient  fuivies  de  dix  compagnies 
Allemandes  fous  la  conduite  de  RockendorfF,  ôc  de  fix  com- 
pagnies SuifTes ,  que  commandoit  Guillaume  Frelich.  On  avoit 
placé  en  cet  endroit  quinze  gros  canons,  douze coulevrines, 
ôc  tous  les  équipages ,  que  couvroient  de  ce  côté  feize  com- 
pagnies de  pionniers  ,  ôc  pardevant  quatre  compagnies  de  vo- 
lontaires. Huit  compagnies  Françoifes  couvroient  ï aîle  droite, 
ôc  derrière  elles  il  y  en  avoit  neuf  autres  d'Allemands  fous  la 
conduite  de  Reckrod.  Le  fils  du  Landgrave  étoit  à  leur  côté 
droit  avec  quatre  compagnies.  Les  cornettes  du  Dauphin  , 
des  ducs  d'Aumale  ôc  de  Bouillon ,  compofées  chacune  de 
cent  chevaux  ,  étoient  fur  la  même  ligne  :  on  avoit  placé  au- 
deffous  d'elles  les  Regimens  de  Luffeburg,  ôc  de  Jacob  d'Aus- 
bourg,  chacun  de  dix  compagnies. 

Du  côté  de  Marie  où  étoit  l'aîle  droite,  ôc  l'arriére  -  garde 
commandée  par  le  duc  de  Nevers  ôc  par  le  duc  d'Aumale 
fous  lui ,  on  avoit  rangé  la  cornette  du  duc  de  Nevers  ,  ôc 
celle  de  S.  André,  chacune  de  cent  chevaux  ,  celles  de  Choi- 
feul  ôc  d'Efchenetz  de  cinquante  chevaux,  qui  étoient  précé- 
dées par  Grombach  à  la  tête  de  quatre  compagnies  de  cava- 
lerie ,  ôc  au-deffous  de  celui-ci ,  par  celles  du  duc  de  Mont- 
penfier  ôc  du  marquis  d'Elbceuf.  Après  des  décharges  de  l'ar- 
tillerie en  ligne  deréjoiiiffance,  on  fit  la  revûë  de  l'armée.  Le 
Roi  fe  retira  enfuite  à  Marchetz ,  ôc  l'armée  prit  le  chemin  de 
la  Fere  en  Vermandois. 

D'un  autre  côté  le  roi  d'Efpagne,  qui  étoit  à  Arras,  vint  au 
camp  le  21  d'Août.  Il  avoit  avec  lui  le  duc  d'Albe,  dont  nous 
avons  fouvent  parlé ,  qui  étant  depuis  peu  de  retour  d'Italie  , 
avoit  emmené  avec  lui  plufieurs  Seigneurs  du  royaume  de  Na- 
ples ,  comme  les  ducs  de  Seminara  ôc  d'Atry ,  le  Prince  de  Sul- 
mone  ,  Policaftro  ,  le  comte  de  Bagno,  ôc  Afcanio  de  la 

H  h  iij 


2i6  HISTOIRE 

Cornia.  Erneft  ôc  Eric  deBrunfwick  ,  Othon  comte  de  Shaum* 
Henri  II.  bourg,  ôc  l'Ambaifadeur  de  i' électeur  de  Brandebourg  accom- 
ï  7  S*  8.  pagnoient  aufli  Philippe.  On  craignit  qu'à  fon  arrivée  les 
ennemis  ne  s'emparaifent  de  quelque  place  fur  la  frontière; 
ainfi  Montluc  fit  entrer  dans  Corbie  fept  compagnies  de  trou- 
pes auxiliaires ,  fous  la  conduite  du  capitaine  Brueil ,  Breton. 
On  mit  à  Peronne  ,  dont  d'Humieres  étoit  Gouverneur  ,  huit 
compagnies  de  cavalerie-legere ,  ôc  quatre  d'infanterie  ;  on  en- 
voya à  Dourlans  la  Ferté  ,  avec  trois  cens  arquebufiers  que 
commandoit  Drenelle  ,  quoique  Bouchavanes  ôc  Crevecœur 
s'y  fuffent  déjà  enfermez.  Après  qu'on  eut  ainfi  pourvu  à  la 
fureté  de  la  frontière,  l'ennemi  n'ofa  plus  rien  entrepren- 
dre. Le  roi  d'Efpagne  campa  fur  la  rivière  d'Authie  qui  n'en 
eft  pas  éloignée.  Les  deux  armées  fe  retranchèrent  dans  leurs 
camps  ,  avec  tant  de  précaution  3  qu'il  fembloit  que  chacune 
de  fon  côté  craignît  d'y  être  afiiégée. 

On  parloit  toujours  de  la  paix ,  que  le  Connétable  ôc  le 
maréchal  de  Saint  André  tâchoient  de  ménager  ,  pendant  qu'ils 
étoient  prifonniers.  Le  Connétable ,  qui  étoit  âgé.»  avoitpeu 
de  penchant  à  la  guerre  ,  ôc  pour  travailler  avec  plus  de  fruit 
à  la  paix  ,  qu'il  croyoit  devoir  être  avantageufe  au  Roi  ôc  à 
toute  la  Nation ,  il  avoit  promis  pour  fa  rançon ,  ôc  celle  de 
fon  fils ,  cent  foixante-cinq  mille  écus  d'or.  Le  crédit  du  duc 
de  Savoye  auprès  du  roi  d'Efpagne  ne  lui  fervit  pas  peu  dans 
cette  affaire  ;  car  ce  Prince  ,  qui  fongeoit  aux  moyens  de  ren- 
trer dans  fes  Etats  ,  n'efpéroit  les  recouvrer  que  par  un  traité 
entre  les  deux  Rois  :  s'étant  perfuadé  que  le  Connétable  pou- 
voit  beaucoup  contribuer  à  la  paix ,  il  lui  avoit  ménagé  la  li- 
berté d'aller  où  bon  lui  fembloit.  Chriftine  mère  du  duc  de 
Lorraine ,  faifoit  l'office  de  médiatrice  ,  ôc  le  Cardinal  de 
Lorraine ,  qu'elle  introduifit  auprès  du  roi  d'Efpagne  ,  comme 
le  bruit  en  courut  3  fous  prétexte  de  conférer  de  la  paix ,  con- 
firma lui-même  la  parole  qu'on  avoit  donnée  à  Granvelle. 

Les  deux  armées  étant  dans  cette  iituation,  le  duc  de  Ne- 
mours ,  qui  étoit  logé  à  Pecquigny  avec  la  cavalerie-legere  3 
ayant  pris  la  compagnie  du  comte  d'Eu ,  celles  de  Tournon ,  de 
Roufïïllon,  dePeiou,  d'Hallewin  feigneur  dePienne,  de  Jean 
Nogaret,  de  la  Valette ,  de  la  Ferté,  de  Tuty  ,  de  Lagny ,  de 
Jean  Leomont  Puy-Gaillard ,  ôc  du  Baron  de  Banna,  marcha 


E  J.  A.  DE  THOU,L'iv;   XX:       247 

de  nuit ,  ôc  dans  un  grand  filence  vers  le  camp  des  ennemis  ;         «.■■—■■, 
il  tua  les  fentinelles ,  pouffa  jufqu'à  l'endroit  où  étoit  Partillerie ,  J-[enri  II 
renverfa  les  tentes  après  en  avoir  coupé  les  cordes  ,  ôc  ayant     j  ç  t  g 
mis    le  defordre  ,  ôc  jette    l'épouvante  dans   toute   l'avant- 
garde,  il  revint  heureufement  au  camp.  Dans  le  même  tems 
le  bâtard  de   Bueil  ayant  pris  l'étendart  de  Bourgogne ,  pour 
tromper  l'ennemi ,  vint  à  Arras  avec  fa  compagnie,  comme 
pour  y  prendre  des  vivres,  ôc  eut  la  hardieffe  de  piller,  ôc  de 
mettre  le  feu  à  une  partie  des  fauxbourgs. 

De  Thermes  étant  prifonnier  ,  on  donna  le  gouvernement  de 
Calais  à  François  de  Vendôme  vidame  de  Chartres.  Il  avoit 
quelque  efpérance  de  furprendre  Saint  Orner,  avec  le  fecours 
des  prifonniers  François  qui  y  étoient.  Il  fe  rendit  donc  à  A r- 
dres  fous  prétexte  de  faire  fortifier  cette  place ,  ôc  donna  jour 
à  Sipierre ,  lieutenant  de  la  cornette  du  duc  de  Lorraine }  à 
Lagny  ôc  à  Thomas  Albanois ,  capitaines  de  cavalerie-legere  ; 
ôc  à  quelques  efcadrons  d'arquebufiers  à  cheval ,  pour  fe  trou- 
ver à  Deuvre,  où  les  corps  de  troupes  étoient  affemblés  : 
Alailly  gouverneur  de  Montreùil  devoit  aufli  s'y  rendre  avec 
douze  compagnies  d'infanterie.  Sipierre  arriva  le  premier  à 
Deuvre  ;  il  défit  en  y  allant  quelques  foldats  de  la  garnifon 
de  Renty ,  qu'il  rencontra  lorfqu'ils  alloient  au  fourrage.  S'é- 
tant  joint  au  Vidame  de  Chartres  >  ils  approchèrent  enfemble 
de  Saint  Orner  ;  mais  l'entreprife  fut  découverte.  Nos  troupes 
qui  étoient  en  marche,  n'en  furent  point  informées  t  quoique 
ceux  avec  qui  elles  avoient  intelligence  dans  la  place ,  le  fçuf* 
lent  5  les  prifonniers  François  prirent  donc  les  armes  à  l'heure 
marquée,  ôc  ayant  égorgé  les  corps  de  garde,  ils  s'emparèrent  de 
la  citadelle.  Mais  les  habitans  qui  en  connoiffoient  la  fcibleffe,, 
en  rirent  auiTi-tôt  approcher  le  canon  ;  la  brèche  fut  ouverte  3 
ôc  ils  maflacrerent  les  prifonniers.  Le  Vidame  fut  ainii  obli- 
gé de  retourner  à  Calais  fans  avoir  rien  fait. 

Dans  le  meme-tems  de-Jours  vint  avec  le  régiment  deCham- 
pagne  au  camp ,  d'où  on  l'envoya  à  Calais  5  dix  compagnies 
Suiifes  arrivèrent  aufli ,  avec  un  pareil  nombre  de  vieilles  ban- 
des Italiennes  ,  dont  Boniface  la  Mole  étoit  colonel,  ôc  qui 
avoient  pour  capitaines  Moneftier  ,  le  Baron  de  Dorade  s. 
Bourdet,  Barthelemide  Pefaro  ,  Colincourt,  Jaulnay,  Mazey3. 
Valfenieres ,  la  Chapelle  ,  qui  fut  tué   queîque-tems    aprèâ 


248  HISTOIRE 

^p~~—  proche  de  Ferrare ,  ôc  Béguin.  On  apprenoit  auflî  que  l'armée 
Henri  II   ennemie  grofïifïbit  de  jour  en  jour ,  par  les  nouvelles  trou- 
i  c  r  8.     Pes  cîu^  ven°ient  d'Allemagne. 

Affaires  En  Tofcane  ,  le  départ  des  Turcs  diiïipa  les  craintes  du 

d'Italie.  duc  de  Florence.  La  trêve  qu'on  avoit  faite  avec  lui  n'étojt 
pas  fort  religieufement  obfervée.  Il  follicitoit  les  Efpagnols  à 
profiter  de  la  foibleffe  de  nos  garnifons ,  pour  faire  des  cour- 
tes fur  les  côtes ,  ôc  il  en  avoit  même  écrit  à  Philippe.  Le  Roi 
d'Efpagne  donna  donc  ordre  à  Chiappino  Vitelli ,  ôc  à  Simeon 
RofTermini  qui  fervoit  déjà  le  duc  de  Florence,  de  fe  joindre 
à  Sanche  de  Levé ,  Ôc  à  Lodogno  qui  commandoit  quinze 
cens  Efpagnols  ,  qu'on  faifoit  paffer  du  royaume  de  Naples 
dans  le  Milanez,  6c  de  s'emparer  des  places  que  les  François  oc- 
cupoient  encore  fur  les  côtes  de  la  mer.  De  Levé  ôc  Lodogno, 
fuivant  ces  ordres ,  n'entreprirent  point  le  fiége  de  Groffeto  , 
parce  que  cette  place  étoit  trop  avancée  dans  les  terres  ;  mais 
ils  marchèrent  contre  Telamone  >  que  la  garnifon  qui  n'étoit 
compofée  que  de  trente  foldats ,  abandonna  dès  que  les  enne- 
mis parurent.  Ils  firent  enfuite  approcher  le  canon  de  Cafti- 
glione  de  la  Pefcaia  ,  où  il  y  avoit  quarante  hommes  en  garni- 
fon ,  qui  fe  rendirent  lorfque  la  brèche  fut  ouverte. 

François  d'Efte ,  voyant  qu'il  étoit  de  fon  honneur  de  ne  pas 
fouffrir  au  commencement  de  fon  gouvernement ,  que  les  en- 
nemis s'emparaflent  à  fa  vue  ,  6c  fans  prefque  aucun  combat, 
des  places  qu'on  lui  avoit  confiées,  fe  difpofaàles  reprendre. 
Mais  le  duc  de  Florence  fit  échouer  ce  projet  par  fon  adrefle. 
En  effet  Caftiglione  6c  Tille  de  Giglio ,  qui  appartenoient  an- 
ciennement à  la  famille  des  Picolomini ,  6c  qui  avoient  tou- 
jours été  feparées  de  l'état  de  Sienne  ,  étoient  palTées  dans  une 
autre  famille ,  par  le  mariage  de  Sylvie  Picolomini  fille  du  duc 
d'Amalfi  avec  le  duc  de  Capeftrano.  Le  duc  de  Florence  en 
fit  un  achat  fimulé  des  véritables  Seigneurs  ,  6c  fit  dire  à  Fran- 
çois d'Efte  qui  fe  préparait  à  la  guerre,  que  Caftiglione  n'appar- 
tenoit  plus  aux  Efpagnols ,  mais  qu'il  en  étoit  lui-même  le  maî- 
tre ,  6c  que  les  François  ne  pouvoient  employer  la  force ,  pour 
reprendre  cette  place  ,  fans  violer  la  trêve.  François  d'Efte  y 
acquiefça  d'autant  plus  volontiers ,  qu'il  ne  cherchoit  qu'un  pré- 
texte plaufible  de  ne  pas  prendre  les  armes  ;  parce  que  n'étant 
pas  en  état  de  fe  mettre  en  campagne ,  il  craignoit  l'événe- 
ment de  cette  guerre.  Côme 


DE  J.  A.  DE    T  HOU,  L  iv.  XX.  24P 

Corne   s'étant  fervi    de  ce  moyen  pour  conferver  Cafti-  ! 

glione ,  menageoit  aufTi  avec  adreffe  les  Siennois ,  pour  lesac-  Henri  IL 
coûtumer  peu  à  peu  à  l'empire  de  leur  nouveau  maître.  Il  1  5  £  8. 
leur  fourniffoit  des  vivres  en  plus  grande  abondance  qu'ils 
n'en  avoient  fous  la  domination  des  Efpagnols.  Il  reftitua  à 
la  République  de  Sienne  une  partie  des  terres  que  les  Floren- 
tins lui  avoient  ôtées  ;  il  rendit  même  Aima-  Longa  ,  ôcTur- 
rita ,  qu'on  avoit  regardées  comme  une  dépendance  de  Luci- 
gnano ,  qui  appartenoit  aux  Florentins.  Mais  l'amour  de  la  li- 
berté l'emportoit  toujours  dans  le  cœur  des  Siennois.  Les 
François  leur  avoient  été  à  charge  ,  ôc  ils  en  avoient  beaucoup 
fouffert  ;  cependant  ils  étoient  capables  de  fouffrir  encore  d'a- 
vantage pour  la  recouvrer ,  ôc  il  n'y  avoit  qu'une  force  fupe- 
rieure  ôc  invincible ,  qui  pût  les  faire  fléchir  fous  une  puiffan- 


éti  mge 


Dans  le  même-tems  les  AmbafTadeurs  d'Efpagne  ,  fuivant  y^f0^^ 
les  ordres  de  leur  maître ,  prétendirent  à  Venife  le  même  rang  la  préférence 
qu'avoienteu  ceux  de  Charle-quintperede  leur  Roi,  tant  dans  *  ^^Fran- 
l'Etat  de  Venife  ,  que  chez  les  autres  Princes ,  ôc  qui  n'eft  dû  ce  fur  celui 
qu'à  la  majefté  Impériale.  Ils  vouloient  précéder  tous  ceux  des  d'EfP2sne- 
autres  têtes  couronnées ,  quoique  l'Empire  ne  fut  pas  pafTé  à 
Philippe  ,  mais  à  Ferdinand  fon  oncle.  François  de  Noailles 
évêque  d'Acqs  étoit   alors  AmbafTadeur  de  France.  Ce  Pré- 
lat, qui  avoit  autant  de  fermeté  que  d'habileté,  refifta  coura- 
geufement  aux  entreprifes  des  Efpagnols.  La  querelle  s'étant 
échauffée ,  ôc  le  Sénat  ayant  été  informé  du  différend  ,  ces  fages 
Républiquains  refuferent  de  décider  ,  de  crainte   de  s'attirer 
l'inimitié  de  l'un  ou  l'autre  des  deux  Rois.  Mais  les  Efpagnols 
ne  purent  fouffrir  plus  long-tems  que  Noailles ,  qui  l'emportoit 
par  fon  crédit  Ôc  qu'une  ancienne  poffeiTion  appuyoit ,  prît 
toujours  le  pas  fur  eux  ,  avec  une  égale  fermeté  î  ôc  ils  fi- 
rent infiance  pour  que  l'affaire  fût  décidée.  Le  Sénat ,  comme 
le  rapporte  Pierre  Giuftiniani ,  jugea  que,  fuivant  l'ancienne 
coutume  ,  l'Ambaffadeur  de  France  précederoit  celui  d'Ef- 
pagne dans  les  cérémonies  publiques.  Le  roi  d'Efpagne  rap- 
pella  fon  Ambaffadeur  ordinaire ,  ôc  n'en  renvoya  un  autre 
à  Venife  ,  que  long-tems  après.  Jean-Baptifle  Hadriani   fait' 
auiïi  mention  de  ce  fait  dans  le  dix-feptiéme  livre  de  l'hifloire 
de  fon  tems. 

Tom,  III.  I  i 


*jo  HISTOIRE 

Cependant  les  Princes  concouroient ,  avec  la  même  af- 


Henri  II   ^eur,  *  ^a  concluiion  de  la  paix.  On  s'étoit  d'abord  affemblé 
i  c  c  8      ^  l'Me  en  Flandre  5  mais  on  trouva  plus  commode  ,  pour  le 
Congrès  ,  le  monaflere  de  Sercamp  ,  dans  le  Cambrefis.  Les 
Plénipotentiaires  s'y  rendirent  de  part  &  d'autre,  vers  la  mi- 
O&obre.  Le  Roi  y  envoya  le  cardinal  de  Lorraine ,  Anne 
de  Montmorenci ,  Jacque  d'Albon  de  Saint- André  marquis 
de  Fronfac  maréchal   de  France ,  Jean  de  Morvilliers  évê- 
que  d'Orléans ,  ôc   Claude  de  l'Aubépine  fecretaire  d'Etat. 
Dom  Ferdinand  Alvarez  de  Tolède    duc   d'Albe    grand- 
maître  de  la  maifon  du  Roi ,  Guillaume    de  Naffau  prince 
d'Orange  ,  tous    deux  chevaliers  de  la  Toifon  d'Or  ,  Ruy 
Gomes  de  Silva  comte  de  Melito  ,  Antoine  Perrenot  évêque 
d'Arras  ,  ôc   Ulric  Viglius    feigneur   de  Swichen  3  autrefois 
aufli  fameux  par  fa  fcience  dans  la  jurifprudence  qu'il  étoit 
alors  habile  politique ,  affilièrent   au  Congrès  de  la  part  du 
Roi  d'Efpagne.  Les  Plénipotentiaires  de  la  Reine  d'Angle- 
terre 3  étoient  Thomas  Thirleby  évêque  d'Eli  3  Thomas  Hov- 
vard  d'Effingham  premier  gentilhomme  de  la  Chambre  3  ôc 
Nicolas   Woton   doyen  d'Yorck.  Thomas  Langufci   comte 
deStropiano  3  ôcle  Préfident  de  la  cour  cl' AU  y  foûtenoient  les 
intérêts  du  duc  de  Savoye.  Chriftine  ôc  Charle  duc  de  Lorraine 
fon  fils  y  affilièrent  aufli  comme  médiateurs,  ôc  comme  amis, 
Dès  la  première  conférence  3  on  convint  qu'il  étoit  nécef- 
faire  de  renvoyer  les  troupes  3  parce  que  le  voifinage  de  deux 
armées  ennemies  convenoit.  peu  à  une   affemblée  qui  devoit 
terminer   la  guerre.  C'eft  pourquoi   l'armée  des  Espagnols , 
après  avoir  fait  une  féconde  marche  du  côté  d'Abbeville,  fur 
les  bords  de  la  rivière  d'Authie  ,  fe  retira   aufTï-tôt  à  Saint 
Orner  3  ôc  fe  fépara  entièrement  dans  l'Artois.   Le  Roi  de  fon 
côté   diftribua  l'infanterie  dans    les  places  frontières  3  ôc  ren- 
voya la  cavalerie  pour  fe  rafraîchir  après  les  travaux  de  cette 
guerre.  On  congédia  aufli  les  troupes  Allemandes,  ôc  le  duc 
de*Nevers  eut  ordre  de  les  reconduire.  On  retint  cependant 
3e  duc  de  Lunebourg ,  parce  que  dans  le  camp  proche  d'A- 
miens il  avoit  ofé   mettre  l'épée  à  la  main  contre  le  duc  de 
Guife    Général   des  armées  du  Roi  :  il  fut  arrêté  ôc  mis  à  la 
Baftille. 

Il  y  eut  entre  les  Plénipotentiaires  une  grande  conteflation 


DE  J.  A.  DE   THOU,Lîv.  XX.  a;r 

au  fujet   de  Calais.    Les  François  vouloient  retenir   cette  - 

place,  comme  étant  une  ancienne  dépendance  du  Royaume,  Henri  IL 
qui  avoit  été  depuis  peu  reconquife;  les  Anglois  au  contraire ,  i  $  $  8. 
refufoient  de  foufcrire  au  traité ,  fi  cette  place  ne  leur  étoit 
rendue.  Pendant  que  cette  difficulté  les  arrêtoit,  le  Roi  d'Ef- 
pagne  envoya  en  Angleterre  le  comte  de  Feria,  pour  faluer 
la  Reine  fon  époufe  ,  qui  étoit  déjà  malade ,  ôc  lui  propofer 
Je  mariage  d'Elifabeth  fa  fceur,  avec  le  duc  de  Savoye,  puif- 
qu'il  n'y  avoit  aucun  moyen  d'engager  les  François  à  rendre 
Calais. 

Mais  la  mort  de  la  Reine  d'Angleterre  leva  la  difficulté  ; 
ôc  termina  la  conteftation  au  fujet  de  Calais.  On  travailla  au 
traité  fur  un  nouveau  plan ,  &  on  donna  une  nouvelle  forme 
aux  proportions  qui  avoient  déjà  été  faites.  Pendant  la  vie 
de  Marie ,  les  Efpagnols  ne  pouvoient  rien  relâcher  de  leurs 
prétentions  fur  Calais  5  mais  depuis  fa  mort ,  ils  paroiflfoient 
ne  devoir  pas  les  foutenir  avec  la  même  fermeté.  Cette  Prin- 
ceffe  avoit  projette  le  mariage  de  Dom  Carlos ,  fils  de  Phi- 
lippe, avec  Elifabeth  fa  fceur,  que  Philippe  demanda  pour 
lui-même ,  après  la  mort  de  la  Reine  fon  époufe.  C'eft  pour- 
quoi ,  il  n'ofoit  pas  abandonner  tout  à  coup  les  intérêts  des 
Anglois  •■>  il  vouloit  encore  voir  ,  avant  la  concluûon  du 
traité ,  comment  les  affaires  tourneroient  en  Angleterre  '■>  les 
Plénipotentiaires  jugèrent  donc  à  propos  de  fe  féparer  dans 
les  circonftances  préfentes  ,  ôc  convinrent  de  remettre  la 
négociation  au  mois  de  Janvier  fuivant. 

Quant  à  la  Reined' Angleterre,  lorfqu'elle  vit  que  la  guerre 
qu  elle  avoit  déclarée  à  la  France  avec  trop  de  légèreté ,  ne 
lui  étoit  pas  favorable ,  que  Calais ,  ôc  les  autres  places  que 
les  Anglois  poffedoient  au-delà  de  la  mer  avoient  été  prifes , 
ôc  que  le  Roi  fon  époux ,  dont  elle  ne  pouvoit  fouffrir  l'ab- 
fence ,  étoit  engagé  dans  la  guerre  de  Flandre ,  elle  en  con- 
çût un  chagrin  inexprimable  ;  elle  devint  outre  cela  hydro-     Mort  &? 
pique ,  ôc  prenant  cette  maladie  pour  une  véritable  groflefTe ,  d'Angleterre, 
elle  refufa  tous  les  remèdes  qui  auroient  pu  lui  convenir ,  Ôc  &  au  cardinal 
voulut  obferver  un  régime  dévie  très-contraire  à  fa  guërifon,    ° 
ôc  à  fa  fanté.  Une  fièvre  d'abord  affez  légère  furvint ,  mais 
augmentant  peu  à  peu ,  elle  conduifit  enfin  cette  PrincefTe  au 
tombeau  le  15  de  Novembre, 

li  ij 


252  HISTOIRE 

;  Le  cardinal  Renaud  Poole  mourut  le  même  jour  d'une 
Henri  IL  fîévre  double  quarte ,  feize  heures  après  la  Reine  ;  elle  avoir 
i  S  S  8.  toujours  été  fort  unie  de  fentimens  avec  le  Cardinal  3  ôc  il 
y  avoit  eu  beaucoup  de  rapport  entre  eux  ,  par  la  reffemblance 
de  leur  fortune  pendant  leur  vie  :  la  mort  même  fembla  ne 
pas  vouloir  les  défunir.  Le  Cardinal  dès  fa  jeuneffe  efîuya 
plufieurs  revers ,  ôc  il  ne  fut  rappelle  dans  fa  patrie  ,  que  lorf- 
que  Marie  monta  fur  le  trône.  Il  eut  une  fageffe,  une  droi- 
ture ,  une  prudence  3  ôc  une  érudition  peu  communes  ;  fon 
mérite  ôc  tes  vertus  éminentes  le  rendoient  dignes  du  Sou- 
verain Pontificat  -,  ôc  s'il  ne  monta  pas  fur  la  chaire  de  faint 
Pierre ,  il  n'en  fut  exclus  que  par  l'envie  ôc  l'ambition  qui 
régnent  à  la  cour  de  Rome.  Son  innocence  ôc  fa  vertu  fu- 
rent toujours  à  l'épreuve  des  coups  d'une  Fortune  aveugle  ; 
qui  le  perfécuta  jufqu'à  la  fin  de  fa  vie.  Paul  IV.  qui  étant  Car- 
dinal s'étoit  oppoféavec  chaleur  à  fon  élévation  au  Pontificat, 
lui  avoit  cependant  donné ,  avec  des  louanges  magnifiques , 
l'archevêché  de  Cantorbery ,  outre  la  légation  d'Angleterre  3 
qu'il  avoit  reçue  de  Jule  III.  Mais  la  trêve  ayant  été  rom- 
pue ,  ôc  la  guerre  s'étant  rallumée  entre  la  France  ôc  l'Efpa- 
gne  3  ôc  quelque  tems  après  avec  l'Angleterre ,  en  faveur  du 
Pape  ;  Paul  IV.  apprit  que  le  Cardinal  n'approuvoit  point 
cette  guerre  :  il  en  fût  fi  irrité,  qu'il  lui  ôta  fa  légation  ôc  le 
fit  citer  à  Rome  3  comme  fi  fes  fentimens  fur  la  Religion 
euffent  été  fufpecls.  Guillaume  Peyt  cordelier  3  homme  de 
baffe  naiflance  3  qui  n'étoit  cardinal  que  depuis  un  an  >  fut 
mis  à  la  place  de  Poole.  Dans  le  même  tems  le  Pape  fît 
arrêter  prifonniers  dans  le  château  faint  Ange,  fous  le  même 
prétexte  3  le  cardinal  Jean  Morone,  aufli  recommandable  par  fa 
probité ,  que  par  fa  prudence  3  Ôc  Thomas  San-Felice  évêque 
de  la  Cava  >  Ôc  il  fit  mettre  dans  les  prifons  de  l'Inquifition  Gille 
Fofcararo  évêque  de  Modene  3  parce  qu'il  étoit  ami  du 
cardinal  Morone. 

Philippe  ôc  la  Reine  fon  époufe  prièrent  le  Pape  de  chan- 
ger de  réfolution ,  ôc  lui  firent  remontrer  que  Féloignement 
du  cardinal  Poole  feroit  préjudiciable  à  l'Etat  ôc  à  la  Reli- 
gion, dont  il  étoit  le  plus  ferme  appui.  La  Reine  lui  repré- 
fenta  que ,  fi  les  fentimens  du  Cardinal  étoient  fufpeêts  ,  fa 
Sainteté  pouvoit  l'en  inftruire  ,  ôc  qu'elle   nommeroit  en 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XX.  253 

Angleterre  des  Commiffaires  Eccléfiaftiques ,  devant  îefquels 
Poole  paroîtroit  pour  rendre  raifon  de  fa  foi.  La  défaite  des  Henri  IL 
troupes  du  Pape  à  Segna ,  ôc  la  perte  de  la  bataille  de  Saint  1558» 
Quentin  firent  plus  d'imprefîion  fur  fon  efprit 3  que  toutes 
ces  remontrances  :  il  ceffa  enfin  de  perfécuter  le  Cardinal  s 
&  modéra  un  peu  fon  animofité.  La  Reine  empêcha  que  Poole 
ne  fe  rendît  à  Rome  j  mais  pour  faire  voir  qu'il  refpectoit 
les  ordres  du  Pape ,  il  ne  voulut  plus  depuis  ce  tems  permet- 
tre qu'on  portât  devant  lui  la  croix  d'argent ,  qui  eft  la  mar- 
que du  Légat ,  Ôc  il  n'en  rît  plus  aucune  fonction  -,  il  envoya 
même  à  Rome  Ormaneto  ..pour  y  rendre  compte  de  fa  léga- 
tion 3  ôc  fe  purger  des  foupçons  qu'on  pouvoit  avoir  de  fa 
foi.  Le  Pape  parut  fatisfait  j  il  confola  même  le  Cardinal,  de 
ce  qu'à  l'exemple  de  Jefus-Chrift  il  avoit  été  expofé  à  plu- 
fieurs  faufles  accufations.  Il  fit  févérement  interroger  le  Car- 
dinal Morone  par  des  Cardinaux  qu'il  commit  pour  cette  affai- 
re 3  ôc  le  mit  enfuite  hors  de  prifon. 

Quelque  tems  avant  fa  mort  3  le  Cardinal  Poole  fentant 
augmenter  fa  maladie  avoit  fait  fon  teftament  le  4  d'Oclobre, 
par  lequel  il  inftitua  fon  héritier  Louis  Priuli  qui  étoit  dans 
fa  plus  étroite  confidence  depuis  vingt-fix  ans.  La  vertu  de 
ce  noble  Vénitien  3  ôcla  conformité  de  leurs  inclinations  3  l'a- 
voient  rendu  inféparable  du  Cardinal.  Toutes  les  propofitions 
avantageufes  qu'on  lui  fit  pour  l'en  détacher  furent  inutiles  :  Jule 
III.  ne  put  même  y  réuflir  3  quoiqu'il  lui  offrit  un  chapeau  de 
cardinal.  Priuli  refufa  la  fuccefïion  de  fon  ami,  ôc  exécuta  ce- 
pendant toutes  les  autres  difpofitions  du  teftament  avec  la 
dernière  exa&itude.  Il  lui  furvêcut  vingt  mois,  ôc  employa 
tout  ce  tems  à  recouvrer  tous  les  biens  de  la  fucceflion  du 
Cardinal ,  qui  étoient  difperfez  en  différens  endroits  3  pour 
les  diftribuer  avec  toute  forte  de  bonne  foi  ôc  de  droiture. 
L'aclion  de  Priuli  eft  un  exemple  refpe&able  d'une  vraie  ôc 
fincere  amitié  3  dont  la  feule  vertu  fans  aucun  motif  d'inté- 
rêt avoit  formé  les  nœuds ,  que  la  différence  des  tems  ôc  la 
diftance  des  lieux  ne  purent  jamais  rompre  3  ôc  qui  enfin  unit 
inféparablement  ces  deux  parfaits  amis  jufqu'au  dernier 
foupir. 

La  mort  de  Marie  occafionna  de  grandes  révolutions  en 
Angleterre ,  ôc  caufa  même  quelques  mouvemens  en  France, 

li  jij 


a*4?  HISTOIRE 

La  Reine   d'Ecofïe   fe  porta    aufli-tôt   pour  Therltiere  de 

Henri  II    Marie,,  ôc  fit  mettre  fur  fes  meubles ,  ôc  fur  tous  les  équipa- 

i  ç  <;  8      §es  ^e  ^a  ma^on  j  les  titres  ôc  les  armes  des  Rois  d' Angleter- 

_,   .  „        re.  Ainlî  quoique  dans  le  même  tems  la  France  s'épuisât  en- 

Marie  Stuart     .  \         *.  ,   „  .  .  r       r 

reine  d'EcoUe  tierement  dans  les  guerres  qu  elle  avoit  entreprîtes  ,  pour  fou- 
ie porte  pour  tenir  fes  droits  fur  Milan ,  Naples ,  ôc  les  Payis-bas  ,  cepen- 
Mane,àiafol-  dant  p°ur  mettre  le  comble  aux  malheurs  des  peuples,  on 
licitation  de  forma  encore  de  chimériques  prétentions  fur  le  royaume 
PrinTes^e"  d'Angleterre.  Un  excellent  hiftorien  rapporte  que  les  oncles 
Lorraine.  de  la  Reine  en  furent  les  auteurs  :leur  vanité  leur  faifoit  croire 
qu'ils  paroîtroient  par  là  ayoir  donné  un  nouveau  luftre  à  la 
gloire  de  la  nation. 

Philippe  ,  pour  retenir  en  quelque  façon  dans  fa  maifon  le 
titre  de  Roi  d'Angleterre  qu'il  perdoit  après  la  mort  de  la  Rei- 
ne fon  époufe,  confeilla  à  l'Empereur  fon  oncle  de  ména- 
ger le  mariage  d'Elizabeth  ,  fœur  de  Marie,  ôc  qui  avoit  été 
reconnue  Reine  d'Angleterre  ,  avec  Ferdinand  l'un  de  fes  fils. 
L'Empereur  ne  négligea  point  cet  avis ,  ôc  il  envoya  en  An- 
gleterre le  comte  de  Lodrone  ;  mais  le  ferment  d'Elizabeth 
étoit  directement  oppofé  aux  projets  ambitieux  de  la  maifon 
On  croit  en  d' Autriche  :  car  on  dit  que  cette  Princeffe  avoit  promis  à  fon 

France  que  le  r  »  11        »•/         .r       •  t>  ■  '  r\ 

Roi  d'èfpag-  lacre ,  qu  elle  n  epouleroit  aucun  r rince  étranger.  On  crut  en 
neveutépou-  France  que  Philippe  fongeoit  lui-même  férieufement  à  épou- 
Elizlabeth"0  ^er  Elizabeth  i  ôc  qu'il  envoya  pour  cet  effet  en  Angleterre 
le  comte  de  Feria  (comme  il  paroît  par  les  lettres ,  dont  j'ai 
les  copies  entre  les  mains  )  Ôc  que  le  Roi  de  France  écrivit 
dans  ce  tems  à  Philibert  Babou  évêque  d'Angoulefme  fon 
AmbafTadeur  à  Rome. 

Henri  avoit  vu  fon  Thrône  ébranlé  par  les  forces  de  l'Ef- 
pagne  ôc  de  l'Angleterre  jointes  enfemble.  Craignant 
que  Philippe  ,  en  réunifiant  par  cette  nouvelle  alliance  les 
troupes  Flamandes  ôc  Angloifes  ,  ne  reprît  avec  plus  d'ardeur 
fes  anciens  projets  d'attaquer  la  France  ,  il  manda  àfonAm- 
baiTadeur  de  fe  fervir  de  l'afcendant  des  Theatins  fur  l'efprit 
du  Pape,  qui  les  confidéroit  beaucoup,  pour  empêcher  le 
fuccès  de  cette  affaire  ;  d'engager  par  un  motif  de  Religion 
ce  bon  vieillard,  qui  étoit  fcrupuleux  obfervateur  de  ladif- 
cipline  Eccléfiaftique ,  àrefufer  desdifpenfes  à  Philippe,  pour 
époufer  la  foeur  de  Marie  fon  époufe ,  ôc  de  lui  repréfenter 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XX.  a^ 

qu'Elizabeth  protegeoit  les  Protellans,  ôc  quelle  étoit  aum*  i 

éloignée  des  fentimens  catholiques ,  que  Philippe  y  étoit  atta-  Henri  II  ' 
ché.  Le  Roi  recommandoit  en  même-tems  à  fon  ambaffadeur  |  ç  ç  g, 
de  prendre  de  fi  juftes  mefures }  que  les  Miniftres  de  Philippe 
ne  s'apperçurTent  aucunement  que  le  Roi  agiiïoit  fous  mains 
parce  qu'ils  euffent  pu  en  informer  Elizabeth  :  car  comme 
on  ne  pouvoit  encore  prévoir  quel  fuccès  auroit  cette  affaire, 
il  étoit  de  fon  intérêt ,  qu'on  ne  crût  pas  que ,  bien  loin  de 
ménager  la  nouvelle  Reine  3  il  eût  cherché  l'occafion  de  l'ir- 
riter ,  &  de  renouveller  les  anciennes  querelles  de  la  France 
&  de  l'Angleterre. 


Fin  du  vingtième  Livre. 


§*******•**-*•*•****■*****&) 
********************  *(*; 
********************tZ 
********************  *;?; 


<3 
<3 


t^7> 


HI  STOI RE 


D  E 


JACQUE     AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 


H£NRI  II. 

ï  $  $  8. 

Affaires 
d'Italie. 


vi/  S*    *    ■*    *     («5  N2? 


*g^ 


LIVRE   VINGT-VNI  EME. 

$$m&mmmMm  Près  qu'on  eut  levé  le  fiége  de  Fof- 
'  <J)  <J)  <J)  <?>  <J>  (J)  |§  fano  6c  de  Coni ,  villes  du  Milanez  3 

qu'on  n'avoit  attaquées  que  foible- 
ment  ,  le  duc  de  SefTa  voulant  fe 
fignaler  par  quelque  entreprife  con- 
fidérable ,  s'avança  vers  Centale  avec 
douze  mille  hommes  d'infanterie  3  ôc 
deux  mille  chevaux.  Il  commença  le  1 8 
d'Août  le  fiége  de  cette  place  3  peu  é- 
loignée  de  Foffano  3  qui  avoit  pour 
gouverneur  le  capitaine  Pierre-longue  ;  ôc  ayant  ouvert  des 
brèches  avec  le  canon 3  ôc  fait  faire  des  faignées  pour  détourner 
les  eaux,  il  la  prit  ôc  larafa.  Ce  fut  durant  ce  fiége  ,  qu'Artus 
Codé  de  Gonor,  frère  du  maréchal  de  Brifïac,  défit  auprès 
de  Cérifolles  cinq  cens  hommes  de  pie  ,  ôc  autant  de  ca- 
valerie qui  venoient  d'Aft  pour  fe  rendre  au  camp  des  ennemis. 
Aptes  la  prife  de  Centale  >  le  duc  de  Sefla  prit  Sommerive, 

Roquemont 


^1*    À 


D  E  J.  A,  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XXL        an 

Roquemont,  Roche- Sparviere  ôc  Carail,  ôc  fe  rendk  àAft, 

où  il  paya  fes  troupes.  Enfuite  il  marcha  droit  à  Montcalvo ,  Henri  IL 

place  fituée  au  milieu  du  Montferrat  ,   ôc  en  forma  le  fiége.     1  5  c  8. 

La  garnifon    de  cette  ville  ,    compofée  de  huit  bataillons     Siège  de 

François  ,    de  deux  Enfeignes  Italiennes  ,  ôc  de    deux  Al-  M?ntj,al™  „ 
**',:*  jP  a       -■'"-ri    \v  j    d  •    Pns  daflaut 

lemandes ,  etoit  commandée  par  Antoine  Dailli  de  recquigni,  par  les  enne- 

Ôc  fous  fes  ordres ,  par  le  capitaine  de  l'Ifle  ,  ôc  par  François  mis* 
de  Beaumont  baron  des  Adrets  ,  dont  nous  aurons  occafion 
de  parler  plufieurs  fois  dans  la  fuite  de  cette  hiftoire.  Les  nô- 
tres envoyèrent,  d'Alba ;  au  fecours  de  la  place ,  quelques  trou- 
pes ,  qui  furent  taillées  en  pièces  par  les  Efpagnols.  Enfin  on 
lit  venir  vingt-cinq  pièces  de  canon  pour  battre  la  ville  : 
quoique  les  ennemis  euffent  fait  un  feu  continuel  ,  cependant 
la  brèche  ne  parut  pas  affés  grande  le  2  Octobre  3  pour  donner 
un  affaut  général  ,  ôc  l'on  remit  l'attaque  au  lendemain. 

Ce  jour-là  l'Artillerie  fit  encore  un  feu  très-vif  jufqu'à  midi. 
Alors  quelques  Efpagnols  étant  fortis  de  la  tranchée  ,  pendant 
que  le  duc  de  Seffa  dînoit  ,  ôc  ayant  jugé  la  brèche  fuffifante, 
montèrent  par  le  côté  que  défendoit  Dailli  ;  des-Adrets  oc- 
cupoit  un  autre  pofte.  Le  peu  de  foldats  qui  étoient  fur  la 
brèche  n'eurent  pas  plutôt  vu  les  Efpagnols ,  qu'ils  prirent  la 
fuite.  Aufli-tôt  les  alFiégeans  montent  tous  à  l'aflaut  ,  ôc  em- 
portent la  place ,  fans  que  Dailli,  qui  fe  retira  dans  la  citadelle 
avec  plus  de  mille  foldats ,  eût  fait  la  moindre  réfiftance.  Cette 
conquête  ne  coûta  aux  Efpagnols  que  vingt-cinq  hommes. 
De  l'Ille ,  ôc  le  baron  des  Adrets ,  qui  croyoient  que  Dailli 
défendoit  fon  pofte  ,  fe  trouvèrent  enveloppez  lorfqu'ils  s'y 
attendoient  le  moins  ,  ôc  furent  faits  prifonniers.  Enfuite  les 
ennemis  attaquèrent  la  citadelle  que  les  François  avoient  for- 
tifiée >  mais  où  ils  avoient  lailTé  peu  de  munitions ,  comptant 
que  la  ville  tiendroit  plus  long-tems.  La  garnifon  promit  de 
fe  rendre  ,  Ôc  d'abandonner  le  canon ,  fi  dans  deux  jours  le  ma- 
réchal de  BrifTac  ne  venoit  à  fon  fecours  ,  à  condition  qu'elle 
fortiroit  avec  fes  armes,  tambour  battant  ,  ôc  enfeignes  dé- 
ployées. Dans  la  fuite  le  baron  des  Adrets  ayant  payé  fa  ran- 
çon ,  cita  Dailli  devant  François  IL  qui  avoitfuccedé  à  Henri, 
pour  le  faire  condamner  à  lui  reftituer  l'argent  de  fa  rançon , 
ôc  à  l'indemnifer  de  fon  équipage ,  qu'il  avoit  perdu  à  Mont- 
calvo ,  il  prétendoit  que  cette  place  n'auroit  pas  été  prife  fans 
tome  III.  K  k 


253  HISTOIRE 

la  mauvaife  défenfe  du  commandant.  Dailli ,  qui  voyoit  fon 
tt  77  honneur  cruellement  attaqué  par  une  telle  accufation  3  fît  de 

'l      "  *  grandes  plaintes  >  ôc  demanda  à  la  Cour  juflice  d'un  pareil  ou- 
Piaintes  du  tfage>  Alors  le  Baron  mettant  le  comble  à  l'injure  3  offrit  de 
Baron   des     prouver  par  le  duel  la  vérité  de  ce  qu'il  avançoit,  ôc  fuppliale 
^^scontre  Roi  de  le  lui  permettre.  Ces  deux  Gentilshommes  avoient  cha- 
cun leurs  protecteurs  à  la  Cour.  Mais  Dailli  étant  foûtenu  par 
les  Princes  de  la  maifon  de  Lorraine ,  alors  tout- puilTans  ,  ob- 
tint un  jugement  favorable ,  qui  déclara  qu'on  ne  de  voit  point 
lui  imputer  la  perte  de  Montcalvo  ,  le  déchargea  de  l'accufa- 
tion  du  Bâton  ,  ôc  fit  défenfe  à  l'un  ôc  à  l'autre  de  s'attaquer 
à  ce  fujet ,  à  peine  d'être  regardez  comme  criminels  de  leze- 
majefté.  Le  Baron  fut  fi  irrité  de  cet  arrêt  du  Confeil  du  Roi, 
,       qu'il  jura  hautement  de  fe  venger  ,  non  de  Dailli ,  dont  il  di- 
foit   qu'il   étoit  fatisfait,  mais  des  Princes  de  la  maifon   de 
Guife  ,  fi  l'occafion  s'en  préfentoit.  Plufieurs  croyent  que  des 
Adrets  ,  qui  étoit  attaché  à  la  Religion  Catholique  ,  embralla 
dans  cette  vue  le  parti  des  Huguenots  ,  ôc  eut  part  au  meurtre 
de  la  Motte-Gondrin  ,  lieutenant  du  duc  de  Guife  ,  après  la 
prife  de  Valenza. 

Après  que  Montcalvo  eut  été  pris  par  la  faute  des  François, 
ôc  qu'on  y  eut  mis  une  bonne  garnifon  ,  le  duc  de  SeiIa 
marcha  vers  Cafal,  ayant  envoyé  devant  le  marquis  de  Pef- 
caire ,  pour  faire  le  dégât  clans  le  payis  3  ôc  pour  empêcher 
qu'on  ne  fit  entrer  des  munitions  de  bouche  dans  la  place. 
Nos  troupes  firent  durant  cefiégeune  vigoureufefortie,  ayant 
à  leur  tête  Bellegarde,  la  Curée  3  ôc  Gazette,  mirent  le  camp 
en  defordre  ,  ôc  enlevèrent  une  enfeigne  aux  ennemis.  Ce 
defavantage  3  les  pluyes  continuelles  qui  tombèrent  en  abon- 
dance ,  le  befoin  d'argent  qu'avoit  Sella ,  qui  s'étoit  vu  con- 
traint de  tirer  de  grofles  contributions  de  la  Province  ,  tout 
cela  détermina  ce  général  à  lever  le  fiége  de  Cafal.  Après  avoir 
pris  Pomaro  fur  fa  route  3  il  fe  rendit  à  San-  Martino ,  château 
litué  entre  Valence  ôc  Cafal,  qu'ilfit  fortifier  ,  ôc  où  il  jugea 
à  propos  de  mettre  une  bonne  garnifon  ,  pour  harceler  nos 
troupes, 
la  CourTl'é-  Cependant  BrifTac  étoit  réduit  à  de  grandes  extrêmitez  :  il 
gard  du  ma-  avoit  beau  preflfer  $c  folliciter  la  Cour  5  le  Roi  ôc  les  courti- 
Briîfcc  de      ^ans  ^e  moccluoient  de  ^es  juftes  plaintes  :  ils  difoient  que  la 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.   XXL       ^9 

néceffité  preffante   où  il  fe  trou-voit  lui  devoit  fournir  des  ref-  1 
Iburces.  On  ajoûtoit  que   le  tréfor  du  Roi  ,  déjà  épuifé  par  Henri  II. 
tant  de  dépenfes,  ne  pouvoit  fuffire  à  entretenir  les  garnifons     1  r  e  8. 
de  tant  de  villes  que  nous  avions  en  Italie.  Quoique  la  Cour 
eût  donné  à  Briffac  le  pouvoir  de  nommer  les  Gouverneurs 
des  places ,  il  recevoit  fouvent  des  mortifications  à  ce  fujet. 
De  Gordes   ayant   quitté  fon  gouvernement  de  Montdovi  , 
pour  prendre  la  lieutenance  de  la  cornette  du  connétable  de 
Montmorenci  ,  la  Cour  mit  de  Pelous  en  fa  place  ,  quoique 
Briffac  eût  déjà  nommé  de  Laval  beau-frere  de  Gordes  pour 
Commandant,  lequel  fut  obligé  de  fe  retirer  avec  honte.  Briffac, 
qui  jufque-là  avoit  eu  l'eftime  ôc  la  confiance  des  troupes  , 
eut  le  chagrin  de  tomber  peu  à  peu  dans  le  mépris.  Il  arriva 
même  ,  que  les  cinq  petits  Cantons  Catholiques,  voyant  le  peu 
de  cas  que  faifoit  le  Roi  de  fes  Officiers  ôc  de  fes  troupes 
d'Italie,  rappellerent  leurs  foldats.  Ainfi  Briffac  fe  vit  prefque 
abandonné.   Le  peu  de  foldats  qui  lui  reflètent ,  quittoient 
tous  les  jours  leurs  garnifons  >  pour  aller  à  Turin  ,  ôc  méprifant 
fes  ordres ,  refufoient  de  retourner  à  leurs  quartiers.  Tant  de 
difgraces  l'obligèrent  d'envoyer  Gonnor  fon  frère  à  la  Cour  , 
pour  inftruire  le  Roi  de  l'état  de  toutes  chofes  ,  afin  qu'on  ne 
lui  imputât  pas  les  fâcheux  événemens  qu'on  pouvoit  craindre. 
Après  que  les  Electeurs  ôc  le  Roi  Ferdinand  fe  furent  ren- 
dus à  Francfort,  comme  on  en  étoit  convenu,  les  Ambaffa-  ^étnet  ^e' 
déurs  dont  j'ai  parlé  ,  le  prince  d'Orange ,  Selden  ,  Ôc  Haller  l'Empire. 
y  vinrent  auîîi  le  24  de  Février,  avec  les  pleins  pouvoirs  de 
l'Empereur  ,  pour  renoncer  en  fon  nom  à  la  dignité  Impéria- 
le en  faveur  de  Ferdinand.  On  avoit  choifi  le  24.  jour  de  Fé- 
vrier que  fe  célèbre  la  fête  de  faint  Matthias,  parce  que  Char- 
le  l'avoit  toujours  regardé  comme  un  jour,  qui  lui  étoit  heu- 
reux. En  effet  à  pareil  jour  il  étoit  né  à  Gand ,  avoit  gagné 
une  célèbre  victoire  auprès  de  Pavie ,  avoit  reçu  des  mains 
du  Pape  Clément  la  couronne  impériale  à  Boulogne,  ôc  avoit 
fait  nommer  à  Aix-la-Chapelle  Ferdinand  fon  frère  roi  des 
Romains.  Lorfqu'on  eut  lu  la  démifïion  de  l'Empereur ,  Ôc  que 
les  Electeurs  eurent    donné  leur  confentement  en  faveur  de 
Ferdinand  à  certaines  conditions ,  on  fit  les  préparatifs  néce£ 
faires  pour  le  couronnement ,  fuivant  l'ancien  ufage.   On  bâ- 
tit au  milieu  de  la  place  publique  un  édifice  de  bois ,  où  l'on 

Kkij 


srfo  HISTOIRE 

montoit  par  des  degrez  ,  ôc  dont  le  dedans  étoit  orné 
Henri  IL  de  riches  tapis  d'or  ,  6c  de  foye.  Ferdinand  s'y  rendit  au 
1  5  S  S.  jour  marqué ,  revêtu  des  ornemens  de  l'Empire  ,  avec  une 
nombreufe  fuite  ,  ôc  monta  fur  le  thrône  qui  lui  étoit  prépa- 
ré. Les  fept  Electeurs  tous  enfemble ,  ôc  fuivis  d'un  grand 
nombre  de  cavaliers  ,  coururent  trois  fois  au  galop  autour 
du  thrône  Impérial ,  leurs  enfeignes  marchant  devant  eux  au 
bruit  de  leurs  trompettes  &  de  celles  de  Ferdinand.  Enfuite 
ils  dépendirent  de  cheval ,  ôc  s'approchant  du  thrône  ,  cha- 
cun fuivant  la  prérogative  de  leur  dignité ,  ils  fe  mirent  à  ge- 
noux ,  ôc  prêtèrent  le  ferment  de  fidélité.  Ferdinand  écrivit  à 
Charle  pour  le  remercier ,  &  l'affûta  que  Philippe  fon  fils  lui 
feroit  aufii  cher  ,  ôc  à  tous  les  Ordres  de  l'Empire  ,  que  fes 
propres  enfans.  Il  écrivit  aufïi  aux  Seigneurs  qui  tenoient  la 
Chambre  de  Spire ,  pour  leur  faire  part  de  fa  nouvelle  digni- 
té y  leur  mandant  de  rendre  à  l'avenir  la  juftice  en  fon  nom  , 
ôc  leur  permettant  de  fe  fervir  du  fceau  de  Charle  V.  jufqu  à 
ce  qu'il  leur  eût  envoyé  le  fien.  L'afiemblée  ayant  été  con- 
gédiée, le  nouvel  Empereur  s'embarqua  fur  le  Danube  vers 
le  mois  de  Novembre,  &  defcendit  à  Vienne  ,  où  il  fut  reçu 
avec  de  grandes  réjoùiffances.  Après  cela,  il  envoya  à  Rome 
Martin  Gufman  fon  grand  Chambellan ,  pour  rendre  en  fon 
nom  l'obéhTance  filiale  au  faint  Père ,  fuivant  l'ancien  ufage,  ■ 
après  lui  avoir  fait  part  de  l'abdication  de  Charle  en  faveur 
de  fon  frère  déjà  élu  Roi  des  Romains.  L'Ambaffadeur  avoit 
ordre  d'afîurer  le  Pape,  que  le  nouvel  Empereur  ne  feroit  pas 
moins  affectionné  au  Saint  Siège  ôc  à  l'Eglife  Romaine ,  que 
fes  prédecefieurs ,  ôc  qu'il  feroit  paroître  autant  de  zélé  pour 
elle ,  que  ceux  qui  dans  les  tems  difficiles  s'étoient  le  plus 
fignalez  pour  fa  défenfe,  ôc  pour  celle  des  autres  églifes.  Il 
devoir  ajouter  aufii,  que  Ferdinand  envoyeroit  inceiîamment 
une  ambafïade  folemnelle  au  faint  Père  à  l'occafion  de  fon 
couronnement ,  fuivant  l'ancienne  coutume.  Telle  étoit  la  com- 
mifîlon  de  Gufman  ;  ôc  il  fembloit  que  ces  marques  refpec- 
tueufes  d'arïe&ion ,  d'obéiffance ,  ôc  de  fidélité  de  la  part  de 
l'Empereur  dévoient  être  reçues  du  Pape  avec  des  fentimens 
de  confiance  réciproque.  Cependant  le  vieux  "  Pontife ,  qui 
malgré  le  dernier  traité  de  paix,  n  avoit  pas  oublié  les  fu  jets  de 
i  Paul  IV. 


DEJ.A.DETHOU,Liv.  XXL       161 

mécontentement  qu'il  croyoit  avoir  reçus  de  la  maifon  d'Au-        ■ 
triche,  refufa  de  donner  audience  àGufman  ,  ôc  d  écouter  des  pjENFI  jj 
proportions  dont  il  avoit  pénétré  l'objet.  Il  affembla  le  facré        .  ç  g 
Collège ,  &  leur  propofa  les  points  fuivans  à  examiner. 

Si  Gufman  ,  qui  fe  difoit  envoyé  de  la  part  de  Ferdinand  au 
fouverain  Pontife  ôc  au  faint  Siège ,  ne  devoit  pas  leur  faire 
part  de  ce  qui  s  'étoit  paffé  entre  Charle-Quint  ôc  le  Prince 
fon  frère  ,  à  l'occafion  de  l'abdication ,  ôc  leur  communi- 
quer les  conditions  mutuelles  de  cette  renonciation.  Suppofé  Difficulté* 
que  l'Ambafladeur  fatisfît  en  ce  point,  les  Cardinaux  étoient  de'laCowdc 
chargez  de  difcuter ,  fi  l'élévation  de  Ferdinand  fans  le  con-  Rome. 
fentement  du  Pape  ôc  du  faint  Siège  pouvoit  être  regardée 
comme  légitime  ,  ôc  s'il  n'y  avoit  pas  encore  quelques  autres 
raifons  qui  la  rendiffent  nulle.  Les  Cardinaux  5  que  le  faint 
Père  avoit  choifis  pour  l'examen  de  cette  affaire ,  étoient  fes 
créatures  dévouées  ,  toujours  prêts  à  prononcer  fuivant  fes 
vues,  ôc  d'ailleurs  portés  à  élever  au  plus  haut  point  l'auto- 
rité pontificale.  Ainfi  après  avoir  exagéré  fort  au  long  l'em- 
barras, ôc  l'importance  de  la  matière  propofée,  ils  répondirent 
qu'avant  toute  chofe  il  falloit  juftifier  au  faint  Siège  par  des 
titres  autentiques,  comment  la  dignité  Impériale  étoit  devenue 
vacante  par  la  démifîîon  de  Charle ,  ôc  enfuite  à  quel  droit 
Ferdinand  en  étoit  revêtu  :  que  cependant  on  ne  devoit  pas 
reconnoître  fon  AmbafTadeur,  avant  qu'il  fût  décidé,  fi  Charle , 
qu'on  difoit  s'être  démis,  l'avoit  fait  légitimement  i  enforteque 
fon  fuccelfeur  pût  être  regardé  comme  un  jufle  pofïefleur.  Ils 
ajoutèrent  que  ce  qui  s'étoit  paffé  à  Francfort  n'étoit  de  nulle 
confidération ,  puifque  l'autorité  du  faint  Siège  n'y  étoit  pas 
intervenue,  ni  celle  du  fouverain  Pontife,  à  qui  les  clefs  du 
cielôc  de  l'Empire  de  la  terre  étoient  confiées,  ôc  fans  le  confen- 
tement  duquel  on  ne  pouvoit  pas  dire ,  que  Charle  fût  délié 
juridiquement  de  l'Empire ,  ni  Ferdinand  élu  à  jufte  titre  :  Qu'il 
étoit  vrai  que  ce  Prince  avoit  été  créé  roi  des  Romains  à  Co- 
logne ,  ôc  que  Clément  VIL  avoit  confirmé  cette  élection  -, 
que  cepedant  il  n'avoit  pu  fucceder  à  l'Empire  ,  à  moins  qu'il 
ne  fût  devenu  vacant  ,  ou  par  mort ,  ou  par  renonciation ,  ou 
enfin  par  une  privation  forcée  ;  ôc  que  ces  deux  derniers 
moyens  étoient  du  feul  reffort  du  Pape  Ôc  du  faint  Siège  ; 
Qu'une  raifon  efTentielle  rendoit  nul  encore  tout  ce  qui  s'étoit 

Kkiij 


262  HISTOIRE 

,i  paffé  à  Francfort;  que  des  hommes  infectez  d'héréfie  avoient 
Tj  tt  concouru  à  cette  élection  ,  quoique  déchus  de  tout  droit  de 
s  '  fufFrage ,  depuis  qu'ils  s'étoient  féparez  de  l'Eglife  Romaine  : 
Que  ce  commerce  de  Ferdinand  avec  des  hérétiques  le  ren- 
doit  même  coupable  ;  que  c'étoit  à  lui  à  fe  venir  juftifier  ,  ôc 
à  avoir  recours  au  remède  falutaire  de  la  pénitence  :  Qu'au 
refte  ce  Prince  pouvoitfe  promettre  d'obtenir  aifémentle  par- 
don de  fa  faute  ,  d'un  père  tendre  ôc  indulgent  ;  qu'ainfi  il 
devoit  envoyer  un  miniftre  à  Rome  avec  fa  procuration,  pour 
déclarer  qu'il  fe  défiftoitde  tout  ce  qui  s'étoit  fait  à  Francfort 
en  fa  faveur ,  comme  étant  abfolument  nul,  ôc  qu'il  fe  remet- 
toit  au  Pape  de  confirmer  fon  élection ,  quoique  peu  légitime. 
Les  Cardinaux  difoient  encore ,  qu'on  devoit  produire  devant 
le  Pape  le  décret  Impérial  par  lequel  Charle  abdiquoit  l'Em- 
pire y  qu'on  fçavoit  que  cet  acte  n'étoit  adreffé  qu'aux  fept 
Electeurs  5  mais  que  ce  défaut  pouvoit  être  fupplée  par  celui 
qui  avoit  un  pouvoir  fuprême  en  ces  matières. 

Suivant  ces  articles  ,1e  Pape  fit  dire  à  Gufman,  qui  folli- 
citoit  une  audience ,  que  puifque  Charle  n'avoit  pu  fe  démet- 
tre de  la  dignité  Impériale  qu'en  fes  feules  mains ,  ni  Ferdi- 
nand la  recevoir  que  de  fon  confentement ,  ce  Prince  de- 
voir dans  Fefpace  de  trois  mois  fatisfaire  à  ce  que  les  Car- 
dinaux déléguez  demandoient  de  lui ,  ôc  que  jufque  -  là  fa  Sain- 
teté ne  pouvoit  écouter  fon  miniftre.  Dans  ce  même  tems 
Philippe  voulut  employer  fa  médiation  ôc  fes  bons  offices  en 
faveur  de  Ferdinand  fon  oncle.  Il  écrivit  à  Vargas  fon  Am- 
baffadeur  à  Venifedefe  rendre  à  Rome,  ôc  de  folliciter  puif- 
famment  en  fon  nom  l'affaire  dont  il  s'agiffoit.  Mais  le  faint 
Père  n'eut  point  d'égard  à  fon  entremife.  Il  défendit  même 
à  Figueroa,  qui  venoità  Rome  de  la  part  de  Philippe,  d'en- 
trer dans  la  ville  ;  alléguant  pour  prétexte  ,  que  ce  miniftre 
avoit  encouru  les  cenfures  Eccléfiaftiques ,  pour  avoir  fait  em- 
prifonner  un  courier  du  Pape ,  lorfqu'il  étoit  gouverneur  de 
Milan.  On  croit  cependant  que  ce  refus  fut  l'effet  des  intri- 
gues de  Vargas ,  qui  fe  flatoit  de  remplacer  Figueroa  ,  ôc  que 
quelques  Cardinaux ,  ôc  fur-tout  les  Caraffes ,  entrèrent  dans  les 
vues  de  cet  Ambaffadeur ,  qui  leur  avoit  promis  de  fe  laiffer  con- 
duire en  tout  par  eux ,  dans  les  affaires  du  Roi  fon  maître.  Au 
relie  lorfque  Ferdinand  eût  appris  par  les  lettres  de  Gufman  les 


HmaeasKTrvi'-.-WETï1 


DE  J.   A.    DE  THOU)  Liv.  XXL       263 

difpofitions  du  Pape  à  fon  égard ,  il  manda  à  fon  Miniftre  ;  qu'a- 
près avoir  mis  ordre  à  fes  affaires ,  il  eût  à  partir  fans  délai ,  s'il  Henri  II 
n'obtenoit  pas  audience  du  Pape  dans  trois  jours  ,  à  compter  1  ç  r  g. 
du  jour  de  la  réception  de  fa  lettre.  Il  lui  ordonnoit  en  mê- 
me tems  de  déclarer  au  facré  Collège,  qu'il  étoit  venu  à  Rome 
en  qualité  d'ambafTadeur  de  l'Empereur,  pour  rendre  au  faint 
Père ,  félon  l'ancien  ufage ,  les  devoirs  d'un  refpeft  filial  ;  ôc 
que  n'ayant  pu  obtenir  une  audience  demandée  fïlong-tems, 
il  ne  pouvoitplus  demeurer  à  Rome  avec  bienféance ,  ôcfans 
bleffer  la  majefîé  de  la  perfonne  facrée  de  fon  maître  :  qu'il 
partoit ,  pour  faire  part  à  l'Empereur  de  ce  qui  s'étoit  païTé  à 
cette  occafion  ■>  ne  doutant  point  que  ce  Prince  n'inftruisît  les 
Electeurs  de  toutes  chofes,  pour  prendre  enfuite  des  mefures 
convenables  à  la  dignité  de  l'Empire.  Suivant  ces  ordres,  Guf- 
man  ayant  encore  follicité  une  audience  ,  ôc  déclaré  qu'il  lui 
étoit  ordonné  de  fe  retirer  de  Rome ,  s'il  ne  l'obtenoit  incef- 
famment  ;  enfin  le  13  de  Juillet  il  fut  admis  en  qualité  d'Am- 
baffadeur  de  l'Empereur  (  car  ce  Miniftre  infifta  fortement  fur 
ce  titre  )  non  à  une  audience  publique  du  Pape  ,  mais  parti- 
culière, où  afîiftérent  fept  Cardinaux. 

D'abord  le  faint  Père  s'excufa  de  n'avoir  pas  plutôt  fatis- 
faità  la  demande  de  TAmbafTadeur ,  fur  l'importance  de  l'af- 
faire dont  il  étoit  chargé  :  il  ajouta  ,  que  n'ayant  pas  eu  encore 
le  tems  de  difcuter  férieufement  les  différens  chefs  propofez 
par  les  Cardinaux  déléguez  ,  ôc  que  PAmbafTadeur  ne  pouvant 
demeurer  à  Rome  plus  long-tems ,  il  confentoit  qu'il  partît, 
lorfqu'ille  jugeroità  propos:  qu'au furplus il  envoieroit  incef- 
famment  un  Nonce  à  l'Empereur.  C'eft  ainfi  qu'il  lui  plaifoit 
d'appeller  encore  Charle  V.  quoiqu'il  fe  fût  démis  de  l'Em- 
pire. Alors  Gufman  expofa  au  faint  Peie  les  ordres  qu'il  avoir 
de  protefter  ,  en  cas  de  refus  d'une  audience  publique  5  à 
quoi  ce  Pontife  répondit ,  qu'il  ne  le  trouveroit  pas  mau- 
vais ,  ôc  que  cela  pourroit  être  avantageux  à  l'Empereur  ,  ôc 
à  lui.  Ainfi  Gufman  fit  faproteftation,  prit  congé  de  fes  amis, 
&  partit.  Quelque  tems  après  Paul  IV.  étant  mort ,  Pie  IV. 
qui  luifucceda,  approuva  la  démifïion  de  Charle  en  faveur  de 
Ferdinand,  ôc  reçut  avec  de  grands  honneurs  les  AmbalTa- 
deurs  de  ce  Prince,  qu'il  regarda  toujours  comme  Empereur 
egitime. 


2<$4  HISTOIRE 

■  Ferdinand  fignala  fon  avènement  au  thrône  Impérial  par  un 
Henri  II.  jugement  mémorable',  &  plein  d'équité.  Il  s'étoit  élevé  un  grand 
i  $  c  8.  différend  entre  les  parens  ôc  héritiers  d'Albert  marquis  de 
Brandebourg,  qui  etoient  ibutenus  par  les  Princes  de  Saxes 
ôc  de  Heffe  ,  leurs  anciens  alliez  ,  ôc  les  évêques  de  Fran- 
conie  joints  au  Sénat  de  Nuremberg ,  fur  ce  qu'Albert ,  à 
l'occafion  des  guerres  paffées ,  avoit  fait  d'horribles  dégâts  dans 
la  Franconie ,  ôc  dans  les  Provinces  voilines.  Les  premiers 
foûtenoient  qu'on  devoit  leurrefrituer  les  terres  d'Albert,  dont 
on  s'étoit  emparé  après  fa  mort ,  ôc  les  indemnifer  des  places 
de  ce  Prince ,  qu'on  avoit  démolies.  Les  Evêques  de  Fran- 
conie demandoient  au  contraire,  que  les  puiffances  Germani- 
ques fupportaffent  également  les  frais  d'une  guerre  entreprife 
contre  un  Prince  profcrit  par  un  décret  de  l'Empire.  Ferdi- 
nand jugeant  que  ce  démêlé  n'étoit  pas  une  affaire  particu- 
lière ,  mais  qu'il  intereffoit  la  tranquillité  publique ,  travailla 
à  le  terminer  de  bonne  heure.  Quoique  ce  qu'on  avoit  fait 
contre  Albert  fût  légitime,  cependant,  comme  la  mort  fem- 
bloit  avoir  effacé  fon  crime  ,  ôc  dû  éteindre  la  haine  qu'on 
lui  portoit ,  l'Empereur  voulut  cimenter  la  paix  ôc  l'union 
entre  les  Princes ,  les  Evêques  ôc  les  Villes  libres  de  l'Em- 
pire, ôc  qu'on  eût  égard  aux  pertes  qu'avoit  fouffertes  la 
maifon  de  Brandebourg.  Il  ordonna  donc  aux  Alliez  de  payer 
cent  foixante  ôc  quinze  mille  écus  d'or ,  pour  dédommage- 
ment des  places  démolies ,  à  George  Frédéric  marquis  de 
Brandebourg,  couiin  ôc  héritier  d'Albert,  à  qui  dès  le  mois 
de  Mars  ils  avoient  déjà  reftitué  les  payis  dont  ils  s'étoient 
emparez.  Ce  jugemenr  fut  enfin  accepté  des  Evêques ,  qui 
facrifierent  en  cette  occafion  leurs  intérêts  particuliers  à  la  tran- 
quillité publique ,  ôc  évitèrent  par  là  les  fuites  fâcheufes  d'une 
guerre  civile. 
L'cvêquede  Le  rp  d'Avril  de  cette  même  année  Melchior  Zobel ,  évê- 
cit  aflafluicf  que  de  Wirtzbourg ,  duc  de  Franconie ,  fut  affafïiné  dans  fa 
ville  par  quinze  conjurez  ,  crime  inoui  jufqu'alors  en  Alle- 
magne ,  depuis  plusieurs  fiécles.  Car  depuis  que  Philippe  Ce- 
far,  duc  de  Sueve  ôc  deTofcane,  avoit  été  lâchement  affaiîi- 
aé  dans  fa  fortereffedeBambergle  22  de  Juin  de  l'année  1207 
par  Othon  Wittelfbach  comte  Palatin ,  ôc  qu'Engilbert  Arche- 
vêque de  Cologne  avoit  été  tué  de  même ,  vingt-deux  ans 

après 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXL         itf 

après  >  par  Frédéric  comte  d'Ifembourg ,  on  ne  fe  fouvenoit  ■ 

point  qu'il  fût  arrivé  rien  de  femblable  dans  l'Empire.  Cette  Henri  IL 
action  déteftable  donna  de  juftes   allarmes  aux  Souverains  j     1558. 
enforte  que  ceux  ,  qui  s'étoient  crus  aflez   en  fureté ,  par  la 
fidélité    Ôc   l'amour  de  leurs  fujets,  fongerent  alors  à  pren- 
dre des  gardes.  Au  refte  telles  furent  les  circonftances  du  meur- 
tre de  Zobel.  Ce  Prélat  revenant  d'un  château  qu'il  avoit  au- 
delà  du  Mein  ,  dans  fa  ville,  pour  y  rendre  juftice  à  fes  fujets, 
ôc  paflant  devant  une  hôtellerie ,  fut  attaqué  par  des  cavaliers, 
qui  comme  prêts  à  partir  demandoient  le  vin  ,  félon  la  coutume 
d'Allemagne.  Ils  le  tuèrent,  lui  6c  deux  hommes  à  cheval  qui 
l'accompagnoient ,  Ôc  en  blefferent  quelques  autres.  Aufîi-tôt 
un  grand  tumulte  s'éleva  dans  la  ville  5  le  peuple  courut  en 
foule ,  comme  pour  éteindre  un  incendie ,  parce  que  les  meur- 
triers  en  fuyant  ciïoient   au  feu.  Ils  s'échappèrent  dans  ce 
défordre  par  une  porte  quegardoient  leurs  complices,  ôc  s'en- 
foncèrent en  des  vallons  détournez ,  par  des  chemins  imprati- 
cables. Ayant  rencontré  Jean  Zobel  coufin  de  l'Evêque,  qu'ils 
venoient  d'afTaiTiner ,  ils  l'attaquent ,  l'arrêtent ,  ôc  comme  s'ils 
l'eulTent  fait  prifonnier  de  guerre  ,  ils  le  font  jurer  qu'il  fe  repré- 
fentera  à  tel  jour  ôc  à  tel  lieu  ,  qu'ils  lui  marquèrent.  On  igno- 
ra quelque  tems  fauteur  de  ce  meurtre.  Mais  après  d'exaêles  re- 
cherches ,  ôc  telles  que  le  méritoit  l'atrocité   du  crime  ,  on 
en  accufa  Chriftophle  Kretzen,  comme  l'ayant  fait  àl'inlti- 
gation  de  Guillaume  Grombach.  L'année  fuivante  il  fut  con- 
damné à  mort  à  la  diète  d'Aufbourg  :  après  s'être  long-tems 
caché ,  il  fut  pris  enfin  dans  la  citadelle  de  Schaumbourg  fur 
les  confins  de  la  Lorraine ,  par  l'adrelTe  ôc  les  foins  de  Ku- 
gelfbach.  On  le  menoit  à  Wirtzbourg  lieu  de  fon  fupplice,  lorf- 
qu'il  s'étrangla  lui-même,  pendant  que  fes  gardes  étoient  en- 
dormis ,  après  avoir  auparavant  déclaré  fes  complices.  On  ne 
douta  plus  alors ,  que  le  crime  n'eût  été  commis  par  l'ordre 
de   Grombach.   Ce   gentilhomme  de  Franconie   étoit  irrité 
contre  Zobel ,  de  ce  qu'il  n'avoit  pas  voulu  payer  à  fa  femme 
ie  legs  ,  que  lui  avoir  fait  Conrad  Bibrach  évêque  de  "Wirtz- 
bourg avant  Zobel ,  ôc  de  ce  que  ce  dernier  l'avoit  dépouillé 
de  fes  biens,  lorfque  joint  à  Albert  marquis  de  Brandebourg 
il  portoit  le  fer  ôc  le  feu  dans  une  partie  de  l'Allemagne. 
En  cetems-là ,  le  grand  duc  de  Mofcovie  commit  plufieurs 
Tom.  III.  L  1 


266  HISTOIRE 

hoftilitez  en  Livonie  ,  province  qu'on  peut  regarder,  corn* 
Henri  II.  me  dépendante  de  l'Empire.  Mais,  avant  que  d'en  parler  ,. 
1  S  S  8*  je  crois  qu'il  eft  à  propos  de  dire  quelque  chofe  de  la  fitua- 
tion  s  ôc  de  l'état  de  ce  payis.  Au-delà  de  la  Viftule  s  qui 
fépare  l'Allemagne  de  la  Pologne  >  du  côté  de  l'Orient ,  s'é- 
tend vers  le  Nord  une  vafte  contrée  ,  que  Ptolomée  a  dési- 
gnée fous  le  nom  de  Borufîie.  Ce  payis  eft  habité  par  les 
Affaires  de  BorufTes  ,  appeliez  PrufTes  aujourd'hui  par  corruption.  Au- 
Livome.  ^ej^  ju  Cron ,  qu'on  nomme  aufïi  vulgairement  Memel,  ou 
Samoiten ,  (  ôc  Reufïen  ,  dans  cet  efpace  de  fon  cours  ,  qui  eft 
repoufifé  par  la  barre  de  la  mer,)  eft  la  Samogitie  ,  qui  dé- 
pend de  la  Pologne,  comme  la  PrufTe;  quoique  la  Saxe  la 
reclame  ,  ôc  la  comprenne  dans  fon  Cercle.  La  Livonie  eft 
fituée  entre  les  PrufTes  ,  les  Samogitiens ,  les  Lithuaniens  5 
ôc  les  RulTes  ,  ou  Mofcovites.  Elle  a  pour  bornes  au  cou- 
chant le  Golfe  de  PautzKerwich ,  ôc  au  levant  Nerwa ,  ôc 
beaucoup  de  lacs  ôc  de  forêts ,  qui  la  féparent  de  la  Mof- 
covie.  Ce  payis  eft  plat,  couvert  de  bois,  entre-coupé  de 
rivières  ,  ôc  a  d'excellens  pâturages.  Il  a  dans  fes  dépen- 
dances la  Curlande ,  l'Eften,  ôc  le  Letten  >  contrées  habitées  par 
des  peuples  différens  en  moeurs  ,  ôc  dont  les  langues  ne  font 
pas  les  mêmes,  quoiqu'elles  ayent  toutes  beaucoup  de  con- 
formité avec  le  Saxon.  La  Curlande  eft  féparée  du  Letten  ; 
du  côté  du  Nord  par  la  Duina,  qui  fortant  du  lac  de  Rufîiea 
placé  environ  huit  lieues  au-deflus  de  Moskwa ,  fait  plufieurs 
détours ,  arrofe  la  Lithuanie ,  ôc  la  Livonie  ,  ôc  fe  perd  enfin 
dans  la  mer  vers  le  couchant ,  une  demie  lieuë  au-defTous  de 
Riga ,  capitale  du  payis  de  Letten.  Le  Volga  fort  de  ce 
même  lac  en  un  endroit  ,  qui  n'eft  éloigné  de  celui  d'où 
la  Duina  prend  fon  cours  que  d'environ  trois  lieues  ,  quoi- 
que quelques-uns  foutiennent  que  le  Volga  a  fa  fource  dans 
une  forêt  marécageufe,  nommée  Volkoska.  Ce  grand  fleuve* 
qui  arrofe  l'Europe  ôc  l'Afie ,  prend  fon  cours  vers  l'Orient , 
ôc  traverfe  les  vaftes  provinces  de  la  Mofcovie ,  ôc  de  la 
Tartarie.  Au-defTous  de  Volochga  il  porte  batteau ,  ôc  a  plus 
de  mille  pas  de  largeur  :  fes  bords  ,  dont  la  terre  eft  fort 
graffe ,  font  couverts  de  Bouleaux  ôc  de  Chênes.  Enfin  il 
détourne  fes  eaux  vers  le  midi ,  ôc  après  avoir  reçu  dans  fon 
fein  foixante  ôc  dix  rivières ,  il  fe  jette  dans  la  mer  Cafpienr 
ne ,  près  d'Aftracam. 


DE  J.   À.   DE    T  H  O  U,  L  i  v.  X  XL         267 

Le  Borifthene  *  vient  aufti  du  même  lac  ,  ou  de  la  même  — 


forêt ,  ôc  coulant  vers  le  midi ,  baigne  les  murs  de  Smo-  Henri  ÏI. 
îensko  ,  ville  fi  célèbre  par  les  combats  des  Polonois  ôc  des  1  S  5"  8« 
Mofcovites  j  parle  à  Kiou  ,  autrefois  capitale  de  la  Ruflie  *0UieNié  er. 
Polonnoife,  ôc  va  enfin  fe  perdre  dans  le  pont  Euxin  3  40 
milles  au-deflbus  delà  Circaflie.  Peu  loin  de-là  eft  encore  une 
autre  rivière  nommée  Lowat ,  qui  paffe  à  "Wieliki-Luki,  ôc  à 
Novogrod ,  à  travers  le  lac  Ilmen  s  puis  changeant  de  nom ,  eft 
appellée  Wolchow  ,  ôc  fe  rend  enfin  dans  un  lac  3  au-deffus 
de  Coporie.  Quelques  -  uns  ajoutent  à  ces  fleuves  le  Tanaïs, 
ou  le  Don ,  qui  étoit  regardé  autrefois  comme  une  des  bor- 
nes de  l'Europe ,  ôc  qui  prenant  fa  fource  un  peu  au-deflbus 
du  Volga  3  a  un  cours  moins  étendu ,  ôc  fe  perd  dans  le 
Pont-Euxin.  Au-delà  de  la  Duina  3  eft  le  payis  de  Letten  , 
dont  la  capitale  eft  Riga  ,  ôc  qui  compte  encore  entre  fes 
villes  Kokenhufen,  Venden,  ôc  Volmer.  Là,  font  aufll  les 
Livoniens  proprement  dits ,  qui  ont  donné  leur  nom  à  toute 
la  contrée  ,  ôc  qui  habitoient  autrefois  Salis  ôc  Parnaw  le 
long  des  rivages  de  la  mer  s  ôc  vers  l'embouchure  de  la  Duina. 
La  capitale  du  payis  d'Eften  eft  Revel.  Hapfel  en  eft  le  Siège 
épifcopaU  établi  autrefois  àLéal,  ôc  depuis  tranfporté  à  Ofel, 
qui  eft  une  Ifle  vis-à-vis  la  terre  ferme ,  d'environ  trois  lieues 
Ôc  demie  de  circuit  3  ôc  qui  eft  aujourd'hui  le  patrimoine  des 
Evêques  d'Hapfel.  En  marchant  vers  l'Orient ,  vous  trou- 
vez Derpt  3  ville  épifcopale  3  qui  confine  aux  Mofcovites. 
Cette  province  a  environ  vingt-deux  lieues  de  longueur  fur 
douze  de  largeur. 

On  lit  dans  l'hiftoire  de  ces  peuples  3  que  les  Allemands  3 
entre-autres  ceux  du  payis  de  Brème  3  ayant  été  jettez  par 
la  tempête  dans  le  Golfe  de  Livonie ,  firent  amitié  avec  ceux 
du  payis  3  dans  la  vue  d'établir  un  commerce  utile  avec  eux  ; 
qu'ils  conclurent  enfuite  un  traité,  quialfùroit  aux  Marchands 
qui  y  viendroient  négocier  une  exemption  de  tous  droits  5  ôc 
qu'ils  y  bâtirent  une  chapelle  dans  une  Ifle ,,  à  l'embouchure 
de  la  Duina ,  où  ils  célébrèrent  le  Sacrifice  à  la  manière  des 
Chrétiens,.  La  plupart  des  feigneurs  de  la  Livonie  >  touchez 
xde  la  douceur  des  mœurs  de  ces  Allemands  3  Ôc  perfuadez  par 
leurs  difeours  ,  fe  convertirent  à  la  foi ,  ôc  preflerent  ceux  de 
Brème  3  de  leur  envoyer  quelque  perfonnage  d'une  pieté 

Ll  ij 


258  HISTOIRE 

.  éminente ,  qui  fut  le  chef  des  Miniftres  de  la  Religion  en 
Henri  II.  ^eur  PaY^s*  On  leur  donna  pour  premier  évêque  Ménard  , 
j  c  c  g  moine  de  Segelberg,  qui  fut  facré  par  l'archevêque  de  Brè- 
me, fous  l'empire  de  Frédéric  BarberouiTe,  6c  fous  le  Pon- 
tificat d'Alexandre  III.  Il  établit  fon  fiége  à  Uxkul  ,  fur  les 
bords  de  la  Duina ,  Ôc  étendit  le  culte  des  Chrétiens  dans 
ce  payis.  Il  eut  pour  fuccelTeur  Bertolde  ,  religieux  de  S. 
Paul ,  envoyé  de  Brème  comme  Ménard.  Ce  fut  en  ce  mê- 
me tems ,  fuivant  le  témoignage  d'Adam  dans  fon  hiftoire 
Eccléfialtique ,  où.  il  fait  mention  de  Ménard  ,  qu'Adalbert , 
archevêque  de  Hambourg,  envoya  piufieurs  Evêques  dans 
la  l  Cherfonefe  -  Cimbrique ,  ou  le  Dannemarc ,  ôc  dans  la 
Peninfule  de  Scandinavie ,  que  les  anciens  ont  crue  une 
ifle,  ôc  appellce  Thulé.  Je  dirai  en  paffant,  qu'il  ne  faut  pas 
croire,  que  l'ifle  de  Thule  des  anciens  foit  ce  que  nous 
appelions  aujourd'hui  l'Ifland ,  comme  quelques-uns  l'ont 
avancé *  ôc  entre  autres  Scaliger. 

Au  refte  ,  Bertolde  ,  fécond  Evêque  de  Livonie ,  ayant 
voulu  établir  la  Religion  par  la  force  ,  plutôt  que  par  la  per- 
fuafion  de  la  parole  de  Dieu  ,  fut  tué  en  l'année  1 197  par 
ces  peuples  féroces  ,  dont  piufieurs  étoieiit  encore  payens. 
Ce  fait  eft  rapporté  dans  l'hiftoire  des  Archevêques  de  Brème } 
où.  Bertolde  eft  nommé  entre  les  Evêques  de  Livonie.  Al- 
bert ,  qu'on  tira  du  Chapitre  de  Brème ,  lui  fucceda  ,  ôc  fit 
bâtir  la  ville  de  Riga ,  qu'il  entoura  de  murailles ,  dans  le 
tems  qu'Hartwig  étoit  archevêque  de  Brème.  Cet  Albert , 
qui  fuivit  les  traces  de  fon  prédéceffeur  ,  prit  de  plus  juftes 
mefures ,  ôc  s'unit ,  par  le  confeil  d'Engilbert  ôc  de  Théo- 
doric  de  Tifenhaufen  fes  parens ,  aux  Chevaliers  2  de  l'Or- 
dre Teutonique  ,  Religieux  militaires  ,  qui  avoient  été  en- 
voyez dans  ces  payis  Septentrionaux  ,  pour  y  foutenir  la  Re- 
ligion ,  ôc  qui  étoient  comme  une  branche  de  l'Ordre  des 
Templiers ,  inftitué  par  Foulques  roi  de  Jerufalem.  Ce  fut 
avec  le  fecours  de  ces  Chevaliers ,  qu'Albert  fournit  la  Livo- 
nie ,  dont  il  leur  donna  la  troifiéme  partie ,  par  un  ménage- 
ment alors  nécefTaire,  mais  qui  fut  très-préjudiciable  dans  la 
fuite  à  fes  fucceffeurs.  Ce  fut  auffi  fous  ce  Prélat ,  qu'on  établit 

1  Elle  comprend  la  Norwege  ,  la    1  z  On  les  appellent  Porte-glaives, 
vmede ,  la  Mofcovie ,  &  la  Tartarie. 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XXI.        &j> 

en  Livonie  une  réildence  de  Chevaliers  Teutoniques  ,  dont 

Vinno  fut  le  premier  Maître.  Auffi-tôt  il  joignit  fes  forces  à  Henri  IL 

celles  de  l'Evêque }  fit  de  grands  progrès  en  Livonie,  envoya     ï  $  S  8> 

le  chevalier  Volquin  à  Torpa,  ville  foumife  aux  Mofcovites , 

qu'il  prit  ,  ainfi  que  Kokenhaufen  ,  ôc  chafla  enfin  de  la  Livonie 

tous  les  RufTes  ,  que  leur  perfidie  avoit  rendu  odieux. 

Albert  eut  pour  fuccefTeur  Nicolas }  ôc  celui-ci  un  autre 
Albert ,  dans  le  tems  que  le  chevalier  Volquin  fut  mis  en  la 
place  de  Vinno  lâchement  afTaiIiné.  Ce  fut  alors  que  le 
liège  de  Riga  fut  décoré  du  titre  d'Archevêché,  ôc  que  les 
Evêques  de  Warmeland,  de  Culm,  dePomefanie  ,ôc  de  Szam- 
land  ,  villes  de  PrufTe  ,  fe  reconnurent  pour  fes  SufTragans. 
Les  Chevaliers  Livoniens  s'étant  unis  à  l'Ordre  des  Teuto- 
niques ,  la  dignité  de  Volquin  devint  plus  éminente.  Mais  il 
ne  jouit  pas  long-tems  du  magiftere ,  ayant  été  tué  par  les 
Lithuaniens.  Il  eut  pour  fuccefTeur  le  chevalier  Herman  Valk, 
qui  avoit  été  durant  fept  ans  chef  de  l'Ordre  dans  la  Pruflè. 
Ce  fut  lui  ,  qui  rendit  aux  Danois  Revel ,  Wefeberg ,  ôc 
Nerva,  que  Waldemar  II.  roi  de  Dannemarc  avoit  bâties, 
lorfque  vingt  ans  auparavant  ce  Prince  avoit  envoyé  des  trou- 
pes dans  la  Livonie  Septentrionale.  Au  refte,  tant  que  les 
Archevêques  de  Riga  ,  ôc  les  Grands  -  Maîtres  de  l'Ordre 
Teutonique  eurent  des  guerres  à  foutenir  contre  les  Lithua- 
niens ,  les  Mofcovites ,  ôc  ceux  de  Samogitie  ôc  de  Semigale  , 
l'union  Ôc  la  concorde  régna  entre  eux.  Mais  lorfqu'ils  n'eu- 
rent plus  rien  à  craindre  au  dehors,  la  jaloufie  alluma  bien- 
tôt entre  ces  puiffances  des  diffentions  domeftiques.  Les  Che- 
valiers, enflez  de  leurs  victoires,  avoient  peine  à  fe  foumet- 
tre  aux  loix  eccléfiaftiques.  Des  hommes  toujours  fous  les  ar- 
mes ne  pouvoient  fouffrir  le  joug  pacifique  des  Prêtres.  Le 
fultan  Melec  ayant  pris  la  ville  d'Acre,  où  le  Chef  de  l'Or- 
dre Teutonique  faifoit  fa  réfidence,  ce  Grand -Maître  étoit 
venu  s'établir  d'abord  à  Marbourg  ,  enfuite  à  Mariembourg. 
Les  Chevaliers  de  Livonie  venant  fouvent  en  cette  dernière 
ville ,  faire  leur  cour  à  leur  Chef ,  ôc  prenant  infenfiblement 
des  fentimens  de  fierté  ôc  d'indépendance  ,  auprès  de  celui 
qu'ils  regardoient  comme  leur  unique  Souverain ,  ne  pouvoient 
fe  réfoudre  à  obéir  à  des  Prélats ,  qu'ils  croyoient  leurs  infé- 
rieurs.   Ils  chafferent  Jean  comte  de  Suerin ,  qui  fe  retira  à 

Ll  iij 


û7o  HISTOIRE 

Rome ,~  ôc  après  lui  Ifaure  ,  qui  fe  réfugia  en  Dannemare, 
Henri II.  Enfin  Frédéric  de  Bohême  fut  contraint  aufli  d'aller  à  Rome, 
i  T  c  8.  °^  ^  demeura  trente-neuf  ans.  Ce  fut  durant  cette  longue 
abfence  ,  que  les  Chevaliers  ayant  afiiegé  Riga ,  les  habitans 
appellerent  les  Lithuaniens  à  leur  fecours  ,  ôc  qu'il  fe  donna 
plu fieurs  combats  avec  des  fuccès  différens.  En  ce  tems  -  là 
les  payifans  prirent  aufïi  les  armes,  ôc  égorgèrent  la  plupart 
des  Gentilshommes  dans  Ofel ,  Virtlandt  ,  ôc  Harnlandt ,  fans 
épargner  ni  l'âge ,  ni  le  fexe. 

Enfin  ,  le  différend  qui  regnoit  depuis  fi  long-tems  entre 
les  Archevêques  de  Riga,  ôc  les  Chefs  de  l'Ordre  Teutoni- 
que  ,  fut  fournis  à  la  décifion  de  l'Empereur  Charle  IV: 
ôc  de  Clément  VI.  fouverain  pontife,  qui  prononcèrent  en 
faveur  des  Prélats.  Mais  peu  après  Fromilde  archevêque  de 
Riga  ,  ôc  le  duc  de  PrufTe ,  qui  avoit  acheté  Nerwa  ,  Revel  > 
ôc  Wefemberg  de  Valdemar  IV.  roi  de  Dannemarc  ,  pour 
le  prix  de  dix-neuf  mille  marcs  d'argent ,  ôc  qui  avoit  joint 
ces  villes  à  la  Livonie ,  fe  rendirent  à  Dantzick  le  7  de  Mal 
de  l'année  1348  ,  pour  régler  à  l'amiable  les  droits  de  1  Eglife , 
ôc  ceux  des  Chevaliers.  On  convint ,  que  l'Archevêque  au- 
rait une  jurifdiction  fouveraine  fur  la  ville  de  Riga  ,  ôc  que 
le  Chef  de  l'Ordre  Teutonique  ferait  difpenfé  de  prêter  à 
l'avenir  au  Prélat  la  foi  ôc  hommage,  que  les  Grands-Maîtres  de 
l'Ordre  fes  prédecelTeurs  3  lui  avoient  toujours  rendu  jufqu'alors* 
Cet  accord  ne  fît  qu'aflbupir  pour  un  tems  les  démêlez  du 
Clergé  3  ôc  de  l'Ordre ,  ôc  donna  même  occafion  à  ces  Re- 
ligieux militaires  de  faire  d'injuftes  entreprifes  contre  des  Prê- 
tres fans  défenfe.  En  effet ,  lorfque  Siffroi-Blomberg  fucceffeur 
de  Fromilde  eût  quitté  ,  du  confentement  du  Pape ,  l'habit 
de  Religieux  Prémontré,  pour  prendre  celui  de  l'Ordre  des 
Auguftins  ,  les  Chevaliers  prirent  de-là  occafion  de  faire  la 
guerre  à  leur  Archevêque  >  ôc  de  le  chaffer  de  Riga.  On 
vit  alors  plufieuts  Chevaliers  entrer  dans  le  Chapitre  de 
Riga,  ôc  l'on  vit  même  dans  la  fuite  monter  fur  le  Siège 
Archiépifcopal  de  cette  ville  Jean  Wallenrod  ,  chevalier  de 
i  Ordre ,  que  le  Pape  Boniface  confirma,  foit  qu'il  y  fût  con- 
traint, foit  qu'il  voulût  faire  plaifir  au  Grand-Maître.  Enfuite 
l'Archevêque  fut  dépouillé  peu-à-peu  de  fes  domaines  ;  ôc 
en  l'année  1424  3  Herminge-Scherffenberg  vendit  au  Grand- 


DE  J.  A.   DE   THOU,  Lîv.  XXI.        271 
Maître  de  l'Ordre  le  payis  de   Semigale  ,  ôc  tout  ce  qu'il  m  , 

poffedoit  au-delà  de  laDuina.  Henri  IL 

Silveftre  Toron,  qui  fut  le  fucceflèur  d'Herminge>  futcon-  l  j  j  8a 
traint  de  fe  foûmettre  à  une  loi  que  lui  impoferent  les  Che- 
valiers vingt-fix  ans  après,  ôc  de  jurer  que  lui  ôc  fes  Chanoi- 
nes porteroient  à  l'avenir  l'habit  de  l'Ordre  Teutonique.  Ce 
même  Prélat  confentit  qu'on  annullât  la  tranfa&ion  de  Fro- 
milde ,  ôc  du  duc  de  PrufTe ,  renonça  lâchement  à  tous  fes  droits, 
ôc  à  tous  fes  privilèges  énoncés  dans  le  jugement  de  l'Empe- 
reur Charle  IV.  ôc  du  Pape  Clément  VI.  céda  au  maître  de 
l'Ordre  un  droit  de  juridiction  fur  la  moitié  delà  ville  de  Riga; 
ôc  perdit  enfin  le  titre  de  prince  de  Livonie  ,  qu'il  avoit  eu 
la  foibleffe  de  partager  avec  un  rival  plus  puiffant  que  lui.  Les 
habitans  de  Riga  fouffroient  impatiemment  depuis  long-tems 
l'orgueil ,  les  vexations ,  ôc  les  entreprifes  injuries  des  Cheva- 
liers. Ils  prennent  les  armes ,  afïiégent  Dunamond  ,  place  forte, 
qu' avoit  bâtie  Moncheim  grand-maître  de  l'Ordre ,  ôc  après  un 
fiége  affés  long ,  la  prennent ,  ôc  la  rafent  jufqu'aux  fondemens. 
Cependant  en  14.95  "Walter  Plettemberg  chevalier  d'un  mérite 
rare,  ôc  d'une  valeur  diftinguée,  reftaurateur  de  l'Ordre  après 
Vinon  qui  en  fut  le  premier  chef,  ôc  après  Herman  qui  unit 
les  Chevaliers  de  PrufTe  à  ceux  de  la  Livonie ,  perfonnage  au- 
deflus  de  l'envie ,  fçut  terminer  les  differens  de  fes  Chevaliers 
avec  les  habitans  de  Riga  ,  joignit  à  la  ville  la  citadelle,  que 
ceux-ci  avoient  abattue,  ôc  enfuite  relevée  ,  ôc  défit  les  Mof- 
covites  au  commencement  de  ce  fiécle ,  en  deux  grandes  ba- 
tailles ,  la  première  en  Livonie  ,  ôc  l'autre  auprès  de  Pleskou  , 
ôc  contraignit  le  grand  Duc  de  confentir  enfin  à  une  paix  de 
cinquante  années  ,  qui  le  combla  de  gloire ,  ôc  fut  très-avan- 
tageufe  à  toute  la  Livonie.  Après  cela,  il  affranchit  les  chevaliers 
de  Livonie  de  la  dépendance  du  grand-maître  de  Pruffe,moyen- 
nant  une  fomme  d'argent ,  qu'il  paya  à  Albert  ,  dont  nous 
avons  ci-devant  parlé;  ôc  étant  devenu  le  premier  chef  de  fon 
Ordre ,  il  gouverna  la  Livonie  avec  une  grande  fageffe  juf- 
qu'en  1555  ,  foit  durant  la  guerre,  foit  durant  la  paix. 

Mais  vingt  ans  après  les  anciennes  diffentions  s'étant  renou- 
vellées  entre  Guillaume  de  Brandebourg  ,  archevêque  de  Riga 
Chriftophle  de  Mekelbourg ,  ôc  Henri  de  Galen  grand-maître 
de  l'Ordre  5  Guillaume,  ôc  Chriftophle  furent  faits  prifonniers 


.17*  HISTOIRE 

par  Furftemberg  chef  des  Chevaliers ,  Ôc  délivrés  enfuite  par 
Henri  II.  Sigifmond  roi  de  Pologne  ,  qui  entra  dans  cette  Provin- 
i  y  y  8.  ceavecunepuhTante  armée  ,  rétablit  le  Prélat  dans  fes  ancien- 
nes prérogatives  ,  ôc  humilia  le  Grand-maître  de  l'Ordre  Teuto- 
nique  ,  en  le  forçant  defoufcrire  à  un  traité  honteux.  Au  relie, 
ces  démêlez  toujours  renaiffans  ,  qui  inquiétoient  fans  cefle 
les  Princes  voifins ,  ôc  faifoient  craindre,  aux  Polonois  ,  que 
les  Mofcovites  dans  ces  tems  de  trouble  ôc  de  confufion  ne 
s'ouvriflent  un  chemin  par  la  Livonie  ,  pour  entrer  en  Po- 
logne, furent  enfin  funeftes  aux  Chevaliers,  comme  ils  l'a- 
voient  été  d'abord  aux  Archevêques.  Car,  comme  Sigifmond 
roi  de  Pologne  ,  avoit  jugé  à  propos  trente-trois  ans  aupara- 
vant d'éteindre  l'Ordre  Teutonique  en  Pruffe  ,  ôc  de  donner 
la  fouveraineté  de  cette  province  à  Albert  de  Brandebourg 
fon  neveu  ,  à  condition  d'en  rendre  hommage  à  la  Pologne  ;  de 
même  Sigifmond  Augufte ,  à  l'exemple  du  Roi  fori  père  ,  abo- 
lit les  chevaliers  de  Livonie  ,  ôccréa  duc  de  Curlande  Gothard 
Ketler  dernier  Grand-maître  de  cet  Ordre.  De  plus  pour  étein- 
dre jufqu'aux  moindres  éteincelles  de  difcorde  ôc  d'envie  ,  il 
ôta  à  Chriitophle  de  Mekelbourg  la  dignité  Archiepifcopale , 
ôc  unit  à  la  couronne  de  Pologne  toutes  les  prééminences 
de  cette  prélature.  Mais  cela  n'arriva  que  quelques  années 
après.  Je  croirois  aifément ,  que  cette  grande  révolution  en 
Livonie  fut  une  fuite  du  changement  de  Religion  arrivé  quel- 
ques années  auparavant  dans  cette  province,  qui  avoit  reçu  la 
doctrine  de  Luther. 

Au  refte ,  il  eft  à  propos  de  rapporter  de  quelle  manière 
cette  doctrine  fe  répandit  dans  la  Livonie.  Treptaw  eft  une  ville 
fituée  dans  la  Pomeranie  Orientale  fur  les  bords  de  la  rivière 
de  Rega  ,  qui  l'environne  de  tous  cotez  ,  ôc  va  fe  perdre  peu 
loin  de  là  dans  la  mer  Baltique.  La  fituation  agréable  de  cette 
ville,  dont  les  environs  font  très- fertiles  ,  l'a  fait  choifirpour 
y  établir  le  collège  de  la  Nation  :  c'étoit  là  que  toute  la  jeu- 
neffe  de  Livonie  venoit  faire  fes  études.  Or  dans  le  tems  que 
Jean  Bugenhagen ,  dont  je  parlerai  bien-tôt ,  y  étoit  profeffeur, 
on  y  apporta  le  livre  de  Luther,  qui  a  pour  titre  de  la  capti- 
vité de  Babilone.  Cet  homme  irrité  contre  la  cour  de  Rome , 
qui  l'avoit  tout  récemment  maltraité  ,  fe  déchainoit  dans  cet 
ouvrage  contre  le  faite  du  fouverain  Pontife  ,  ôc  contre  les 

abus 


DE   J.  A.  DE  T  H  O  U,  L  i  v.  XXL         *7j 


abus  qui  regnoient  à  Rome ,  difoit-il ,  ôc  qui  de  là  s'étoient  .,  .  ■  m* 
rép3iidus  dans  l'Eglife  d'Occident,  foûmife  au  Saint  Siège.  Henri  IL 
Ce  Livre  répandu  par  Othon  Sluton,  Sénateur  deTreptaw  ,  i  ç  c  8. 
&  approuvé  par  Bugenhagen,  ôc  par  André  Cnoffné  à  Cu- 
ftrïn  au  confluent  de  l'Oder  ôc  de  la  Varte  ,  fut  alors  extrê- 
mement goûté  par  la  plupart  des  étudians.  Enfuite  il  fe 
forma  des  aflemblées  ôc  des  conférences  ,  où  l'on  faifoit  des 
prières  fuivanr  la  liturgie  de  Luther.  L'ardeur  de  l'âge  joint  au 
zélé  de  la  Religion  échauffant  les  efprits,  on  dit  ôc  l'on  fit 
beaucoup  de  chofes  avec  infolence  contre  les  Chanoines  du 
Chapitre  ,  ôc  contre  les  Moines  de  la  ville ,  ôc  l'on  abbattit 
même  quelques  ftatuës  d'une  églife  qu'on  jetta  dans  un  puits 
voifin.  Les  Chanoines  ,  qui  regardoient  cette  injure  comme 
leur  affaire  particulière  ,  ont  recours  à  Erafme  Mandwel  évê- 
que  de  Camin,  dont  ils  dépendoient,  fouleventle  peuple,  ÔC 
chaflent  de  Treptaw  les  nouveaux  Docteurs  ,  avec  les  écoliers 
qui  leur  étoient  atrachés  ,  ôc  les  menacent  du  dernier  fupplice. 
Bugenhagen  fe  retira  à  Wittemberg ,  où  Luther  le  reçut  avec 
bonté,  ôc  le  garda  auprès  de  lui  fort  long-tems,  ôc  jufqu'à  fa 
mort.  André  Cnoff,  accompagné  dejoachim  Mullern  ôc  des 
jeunes  Livoniens  fes  difciples ,  alla  à  Riga  trouver  Jacque  fon 
frère  Chanoine  de  cette  ville-là. 

L'évêque  de  Camin  n'arrêta  que  pour  un  tems  le  cours  des 
nouvelles  opinions,  qui  s'élevèrent  fur  la  fin  du  règne  de  Bo- 
giflas  duc  de  Pomeranie.  Car  Barnims  ôc  Philippe  fes  enfans 
lui  ayant  fuccedé  ,  ils  alfemblerent  en  15"  34  les  Etats  du  payis 
à  Treptaw ,  y  abolirent  l'ancienne  Religion  d'un  confente- 
ment  général ,  Ôc  reçurent  la  dodrine  de  Luther.  D'un  autre 
côté  CnorT,  qui  prêchoit  à  Riga,  parloit  dans  fes  fermons  de 
la  corruption  de  1  Eglife ,  paroilfant  néanmoins  ne  pas  defap- 
prouver  les  coutumes  reçues.  Par  cette  adreffe ,  il  infinua  peu 
à  peu  à  fes  auditeurs  de  la  haine  pour  le  Pape.  Mais  les  autres 
Prédicans,ôc  fur-tout  Silveftre  Teget-mejer, homme  emporté, 
quiétoit  venu  depuis  peu  de  Roftoch ,  n'enuferent  pas  avec  tant 
de  modération.  Car  ce  dernier  fe  déchainant  contre  les  Bulles 
des  Papes,  anima  tellement  les  efprits  déjà  difpofez  par  CnorT, 
foit  par  fes  déclamations ,  foit  par  la  le£lure  des  lettres  qu'il  rece- 
voit  fouvent  de  Luther,  que  les  peuples  coururent  un  jour  en 
foule  à  l'églife ,  pour  abattre  les  ftatuës ,  ôc  que  la  fureur  fe 
Tome  III.  M  m 


^74  HISTOIRE 

couvrant  du  voile  fpécieux  de  la  pieté  ,  ils  renverferent  plu- 
HenriII.  fieurs  autels  :  cela  arriva  à  Riga,  lorfque  Gafpard  Lindenéroit 
1  5"  5  8.  Archevêque.  On  commit  de  pareils  excès  à  Derpt,  à  l'infti- 
gation  d'un  marchand  de  peaux  de  Wittemberg  ,  dans  les 
églifes  de  la  fainte  Vierge  ,  ôc  de  faint  Jean.  Les  fe£taires  al- 
lumèrent un  grand  feu  dans  la  place  publique,  &  y  jetterent 
les  plus  prétieux  ornemens  des  temples  ;  difant  ,  qu'ils  vou- 
loient  ôter  par  là  tout  lieu  de  croire ,  qu'ils  eufïent  foulevé  le 
peuple  pour  piller,  plutôt  que  pour  abolir  un  culte  fuperfitieux. 
Ils  en  uferent  de  même  dans  les  églifes  de  faint  François  ,  ôc 
de  faint  Dominique ,  ôc  dans  un  monaftere  de  Religieufes  , 
fans  que  le  Sénat  de  Derpt  parût  fe  mettre  en  peine  d'arrêter 
ces  defordres.  Les  Moines  chaflez  de  leurs  couvens  ,  échape- 
rent  à  peine  à  la  fureur  des  Proteftans.  On  vit  néanmoins  des 
Religieux  Ôc  des  Religieufes  ,  flattez  d'une  révolution  qui  leur 
promettoit  une  vie  plus  libre  ôc  plus  douce  ,  renoncer  à  leurs 
vœux ,  ôc  fe  marier.  C'eft  ainfi  que  l'ancien  culte  s'abolit  peu 
à  peu ,  ôc  que  de  nouveaux  miniftres  ayant  pris  la  place  des  Prê- 
tres ,  l'Eglife  changea  de  face. 

De  fi  grands  excès  obligèrent  le  Clergé  de  Livonie ,  ôc  Jean 
Blankelfeldqui  avoitfuccédé  à  Lind  dans  l'archevêché  de  Riga, 
de  porter  leurs  plaintes  à  l'Empereur.  Philippe  marquis  de 
Bade  ,  qui  gouvernoit  les  affaires  de  l'Empire  en  l'abfence  de 
ce  Prince  3  leur  fit  une  réponfe  favorable,  Ôc  ordonna  au  Sénat 
fous  de  grandes  peines  de  rétablir  l'Archevêque ,  les  Chanoi- 
nes ôc  les  Prêtres  dans  leurs  biens  ôc  dans  leurs  dignitez.  Ceux 
de  Riga  ,  qui  fçavoient  que  l'Empereur  étoit  occupé  de  guer- 
res étrangères ,  rirent  peu  de  cas  de  ces  menaces.  Avant  que 
l'Empereur  arrive  en  Livonie ,  difoient-ils ,  fa  cavalerie  fera 
ruinée  ôc  hors  de  combat.  S'il  vient  avec  une  grande  armée  , 
elle  fera  bien-tôt  vaincue  par  la  faim  ,  ôc  la  difette  de  toutes 
chofes  :  s'il  n'amené  que  peu  de  forces  ,  il  n'eft  pas  à  crain- 
dre. Au  refte  les  Proteftans  voyant  que  leurs  permiers  efforts 
avoient  réùfTi ,  crurent  qu'ils  fe  pouvoient  tout  promettre  à 
l'avenir.  Les  marchands  Mofcovites  avoient  bâti  des  temples 
à  Riga  i  à  Rével ,  ôc  à  Derpt ,  où  ils  faifoient  l'exercice  de 
leur  Religion  fuivant  le  rit  des  Grecs.  Les  fetlaires ,  qui  de- 
venoient  plus  hardis  de  jour  en  jour  ,  ôc  pour  qui  une  folle  licen- 
ce avoit  des  charmes,  attaquent  ces  Eglifes  ,  ôc  les  démoliffent 


DE  J.  A.  DE  THOU;  Liv.  XXL      27; 
de  fond  en  comble.  A  Derpt  on  fit  un  arfenal  de  l'églife  '■ 

des  Dominicains  ,  ôc  on  fit  fervir  celle  des  Religieux  de  faint  Henri  IL 
François  à  cuire  de  la  chaux  >  afin  que  les  Catholiques  ne  puf-  1  c  c  8. 
fent  faire  fervir  aux  exercices  de  leur  culte  les  reftes  de  ces 
lieux  démolis.  Le  temple  des  Mofcovites  fut  donné  aux  Al- 
lemands ,  pour  faire  un  cloaque  public  d'un  lieu  deftiné  aux 
prières.  On  dit  ,  que  Bafile  IV  grand  duc  de  Mofcovie  ayant 
appris  ces  excès  impies  ,  jura  hautement  que  des  que  la  trêve 
feroit  expirée ,  il  vengeroit  cette  injure  par  une  guerre  fanglante. 
Mais  une  mort  prématurée  empêcha  l'exécution  de  fes  def- 
feins.  Car  cette  action  fcandaleufe  étant  arrivée  en  172  3  ,  il 
mourut  douze  ans  après ,  lahTant  pour  fuccefleur  le  duc  Jean 
fon  fils  qui  conferva  la  même  haine  contre  les  Livoniens. 

Avant  que  d'aller  plus  loin  ,  il  faut  dire  quelque  chofe  de 
l'Empire  des  Mofcovites ,  dont  nous  n'avons  point  eu  encore 
occafion  de  parler.  La  Mofcovie,  dont  les  états  font  vaftesôc 
immenfes ,  commence  à  Nerwade  Ruffie  ,  qui  eft  feparée  ;  par 
une  rivière  de  même  nom,  d'une  autre  ville  de  Nerwa  en  Li- 
vonie.  Elle  s'étend,  depuis  cette  place  bâtie  en  1400,  vers 
l'Orient  ôc  le  Septentrion  ,  jufqu'à  la  mer  Cafpienne ,  ôc  juf- 
qu'à  la  Tartarie.  Elle  tire  fon  nom  de  la  citadelle  de  Mofca, 
6c  d'une  rivière  du  même  nom ,  qui  fe  jette  dans  l'Occa ,  ôc 
dans  le  Wolga ,  fur  laquelle  Jean  fils  de  Daniel  bâtit  un  Fort 
il  y  a  environ  200  ans.  C'eft  le  fentiment  de  Sigifmond  Her- 
berftein  ,  qui  prétend  l'avoir  lu  dans  les  annales  de  ce  payis  , 
ôc  qui  ne  croit  pas  que  les  Mofcovites  ayent  emprunté  leur 
nom  de  ces  Mofques ,  qui  confinoient  à  la  Colchide  au-delà 
de  la  mer  Cafpienne  ,  dont  parle  Strabon  ,  ôc  que  Plutarque 
dit  avoir  été  fubjuguez  par  Pompée.  Les  Ruffes,  qui  viennent 
peut-être  des  anciens  Roxolans  ,  (  ces  deux  noms  ayant  quel- 
que reffemblance ,  )  fubjuguerent  ces  vaftes  Provinces.  Leurs 
chefs  viennent  des  Varages,  peuples  qui  habitoient  un  payis  au- 
delà  de  la  mer ,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  leurs  hiftoriens.  Ils 
établirent  d'abord  le  fiége  de  leur  Empire  à  Nowogorod  r ,  en- 
fuite  à  Kiow ,  ôc  enfin  à  Wolodimer  avant  que  de  le  fixer  en 
Mofcovie.  Ruric  Prince  de  cette  Nation,  ayant  fait  la  guerre 
en  Bulgarie  avec  avantage  ,  s'y  établit ,  engagé  par  la  douceur 

1  II  y  a  plufieurs  villes  de  ce  nom  |  Wolkowa.  Celle-ci  s'appelle  Nowo- 
cn  Mofcovie  ;  l'une  fut  la  rivière  de  grod  la  Grande  ,  ou  Nowogorod- 
Wolga ,  &  l'autre  fur  la  rivière  de   I   Veliki. 

Mmij 


27*  HIST    OIRE 

!  du  climat,  6c  par  la  fertilité  du  payis.  Il  avoit  laifle  fes  enfans 
Henri  IL  à  Nowogorod,  qui  en  furent  chafTés  par  un  certain  Ulodimir 
i  y  y  8.  qui  étoit  efclave  ,  ôc  fils  d'une  fervante  ,  auquel  il  avoit  don- 
né le  gouvernement  de  la  ville.  C'eft  de  cet  ufurpateur  que 
defcendoient  ceux  qui  tinrent  cet  empire  ,  qui  fut  partagé  en 
douze  Principautez  pour  les  douze  enfans  que  lailTa  Ulodimir  : 
Jatopolk  fils  de  Ruric  ,  fit  de  vains  efforts  pour  remon- 
ter fur  le  trône  de  fes  pères.  Ces  Princes ,  ôc  leurs  peuples 
embrafferent  enfuite  la  Religion  Chrétienne,  ôc  furent  redeva- 
bles des  lumières  de  la  foi  à  une  alliance  auffi  heureufe  qu'il- 
luftre.  Ulodimir  époufa  '  Anne  foeur  des  Empereurs  Bafile 
Porphirogenete  ,  ôc  Conftantin  ,  vers  l'année  ppo  :  de  là 
vient  qu'aujourd'hui  encore  les  Mofcovites  fuivent  le  rit  des 
Grecs.  Ce  fait  eft  rapporté  dans  les  annales  de  Mofcovie  , 
ôc  de  Pologne  ,  quoique  l'hiftoire  Bifantine  n'en  dife  rien.  Il 
y  a  lieu  de  s'étonner,  que  les  Grecs,  toujours  vains  ou  cré- 
dules 3  ayent  paffé  fous  filence  une  circonftance  aufïi  mémora- 
ble ,  eux  qui  d'ailleurs  rapportent  au  fujet  des  RufTes  les  faits 
allés  conformes  à  ce  que  nous  en  avons  dit.  Car  Zonaras  a 
écrit ,  que  Nicephore  Phocas  pria  le  prince  des  Bulgares  de 
refufer  le  paffage  aux  Hongrois  ôc  aux  Turcs ,  qui  venoient 
par  fes  Etats  ,  pour  faire  une  irruption  dans  la  Romanie  ;  ôc  que 
ce  Prince  s'étant  excufé  fur  fon  impuiflance  ,  ôc  fur  l'alliance 
qu'il  avoit  avec  les  Turcs  ,  Phocas  follicita  le  fouverain  des 
RofTes  de  faire  la  guerre  au  prince  de  Bulgarie  >  ôc  lui  envoya 
dans  cette  vûë  Calocyre  fils  du  Cam  des  petits  Tartares.  Zo- 
naras ajoute ,  que  Sphendoftable  (  c'eft  ainfi  qu'il  appelle  le 
chef  des  RofTes  )  entra  en  Bulgarie  avec  une  puiffante  ar- 
mée ,  qu'il  y  fit  d'horribles  dégâts ,  ôc  un  grand  butin  ;  qu'en- 
fuite  Phocas  étant  mort ,  les  RofTes  fubjuguerent  la  Bulgarie 
fous  l'empire  de  Jean  Zimifque ,  ayant  pour  chefs  Borife  ôc 
Romain ,  ôc  qu'ils  réfolurent  de  fixer  leur  demeure  en  cette 
Province  ,  à  la  follicitation  de  Calocyre ,  qui  leur  promit  que 
l'Empereur  leur  cederoit  ce  qu'il  avoit  en  Bulgarie  ôc  s'allie- 
roitavec  eux,  s'ils  vouloient  le  reconnoître  pour  Roi  des  Ro- 
mains. 11  dit  encore  que  les  RofTes  ayant  refufé  ces  propofi- 
tions  avec  hauteur  ,  ôc  même  maltraité  les  AmbafTadeurs  de 

i  M.  de  Thou  s'étoit  trompé  en  di-   1    phirogenete  :  Bafile  8c  Conftantin  ,  ê- 
fant  qu'Anne  étoit  fille  de  Bafile  Por-   ]    toient  frères  ôc  fils  de  Romain  le  jeune. 


D  E  J.  A.  DE  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXL      277 

Zimifque ,  ce  Prince  réfolut  de  leur  faire  la  guerre  '■>  qu'à  fon  ^^r 
arrivée  les  Taurofcytes  prirent  la  fuite  5  que  Calocyre  fe  re-  Henri  IL 
tira  chés  les  RofTes  '■>  qu'il  fe  donna  un  grand  combat  auprès     1  ç  j  8. 
de  Drifter  fur  les  bords  du  Danube  3  où  les  RofTes  furent  tail- 
lés en  pièces  >  qu'alors  Zimifque  fit  le  fiége  de  Drifter  s  qui 
fut  très-long  ;  que  les  afTiégez  fe  voyant  réduits  à  de  grandes 
extrêmitez  ,  tentèrent  un  nouveau  combat  ,  fous  les  ordres  de 
Sphendoftable  ,  où  ils  furent  entièrement  défaits  ,  après  avoir 
long-tems  difputé  la  victoire  ;  qu'après  cela  il   s'étoit  fait  un 
traité  entre  Zimifque  &  Sphendoftable  ,  qui  portoit  que  ce 
dernier  abandonnerait  avec  les  RofTes  la  Bulgarie,  ôc  retour- 
nerait dans  fon  payis ,  &  que  dans  fa  retraite  il  avoit  été  taillé 
en  pièces   par  Pazinacarez  }    qui  lui  avoit  drelfé  des   em- 
bûches. 

Voilà  ce  que  rapporte  Zonaras  ;  en  quoi  il  s'accorde  par- 
faitement avec  ce  que  les  annales  de  Ruflïe  racontent  de  l'ex- 
pédition de  Ruric.  Cet  événement  arriva  en  neuf  cens  foixante 
&  douze  3  la  féconde  année  de  l'empire  de  Zimifque.  En  ce 
tems-là  ,  Bafile  Scamandrée  étoit  Patriarche  de  Conftantino- 
ple  ,  ayant  fuccedé  à  Theophila£te  fils  de  Romain  -Lecapéne. 
C'eft  lui  qui  établit  la  Religion  Chrétienne  chés  les  RufTes  , 
s'il  en  faut  croire  leurs  annales.  Dans  la  fuite  destems  André 
duc  de  Susdalie ,  qui  étoit  iffu  des  enfans  d'Ulodimir  ,  fit  un 
accord  avec  fes  onze  coufins  >  chaffa  Miciflas  qui  occupoit 
Kiow  ,  fixa  à  Ulodomirie  *  le  fiége  de  fon  empire  ,  ôcaffura  la  *  ou  Wlodzi 
couronne  dans  la  branche  des  ducs  de  Sufdalie.  Au  refte  ,  mierz' 
quoique  les  autres  Ducs  ,  defcendus  de  la  même  tige  que  lui, 
ne  le  reconnufTent  pas  pour  fouverain ,  cependant  ayant  pris 
le  titre  de  Grand  Duc,  il  fit  enforte  que  ces  Princes  rendiffent 
un  efpece  d'hommage  à  fa  dignité.  Mais  après  que  les  Tarta- 
res ,  dont  nous  parlerons  dans  la  fuite  ,  eurent  défait  Cottiana 
duc  de  Polaquie,  ôc  Miciflas  fils  de  Romain  ,  &  duc  de  Sier- 
navie,  ôc  plufieurs  autres  Princes  alliez  le  17  Mai  de  l'année 
1224  ,  ou  l'année  du  monde  fix  mille  fept  cens  trente-deux  , 
fuivant  la  manière  de  compter  des  RufTes  ,  ôc  lorfque  treize 
ans  après  ces  mêmes  barbares ,  fous  la  conduite  de  Batti ,  eurent 
vaincu  ceux  de  Rofan  &  d'Ulodomirie,  ôc  eurent  rendu  toute 
la  Rufïie  tributaire  ;  on  choifit  chez  les  Tartares  les  grands 
ducs  de  Ruffie ,  qu'on  ne   prenoit  auparavant  que  dans  la 

M  m  iij 


iy;8. 


2?g  HISTOIRE 

maifon  des  princes  de  Sufdalie.  Enfin  après  la  mort  d'André  fils 
tt  |t   d'Alexandre  arrivée  en  1304  ,  la  couronne  fut  difputée  entre 

Michel  duc  de  Twerin  fils  de  Jaroilas,  ôc  George  duc  de 
Mofcovie  fils  de  Daniel.  Ces  deux  concurrens  demandèrent 
la  grande  principauté  d'Ulodomirie  auxTartares  ,  qui  pronon- 
cèrent d'abord  en  faveur  de  Michel ,  ôc  quelque-tems  après  en 
faveur  de  George  à  l'exclufion  de  Michel,  en  l'année  6825  , 
fuivant  le  calcul  des  Grecs. 

Ce  fut  ce  dernier  Prince ,  qui  rranfporta  en  Mofcovie  le 
fiége  de  fon  empire,  ôc  qui  tranfmit  à  fes  defcendans  cette 
grande  monarchie,  malgré  î'oppofirion  de  tous  les  RufTes  ,  qui 
foûtenoient ,  que  les  Tartares  dévoient  rétablir  dans  cette  au- 
gufte  dignité  les  princes  delà  maifon  de  Sufdalie.  De  ce  Geor- 
ge fortit  Jean  fils  de  Daniel ,  qui  bâtit  le  château  de  Mofcow. 
De  ce  Jean  font  iffus  en  ligne  directe  un  autre  Jean  Deme- 
trius  ,  ôc  Bafile  qui  époufa  la  Princeffe  Sophie  fille  de  Witto- 
len  duc  de  Lithuanie.  Quelque  tems  après  un  autre  Bafile  , 
fils  de  ce  dernier ,  fut  chaffé  du  trône  ,  ôc  privé  de  la  vue  ;  De- 
metrius  Siemacha  duc  de  Suerien,  ôc  fils  de  fon  frère  George, 
confpira  contre  lui  avec  Jean  fils  d'André  duc  deMofaicen  ; 
Ôc  Boriffe  fils  d'Alexandre  duc  de  Tweren.   Cependant  dans 
la  fuite  ,  ce  Prince  infortuné  recouvra  fes  Etats  par  le   fe- 
cours  de  ceux  de  Nowogorod ,  ôc  régna  paifiblement  jufqu'à 
fa  mort.  Il  eut  pour  fucceifeur  fon  fils  Jean ,  qui  prit  le  titre  de 
Prince  de  toute  la  Rufïîe,  ôc  qui  fut  furnommé  le  Grand.  Sous 
prétexte  de  venger  l'injure  faite  au  Grand  Duc  fon  père  ,  il 
dépouilla  le  duc  de  TVeren  de  fes  Etats ,  quoiqu'il  eût  époufé 
une  Princeffe  de  cette  maifon.  Il  furprit  la  grande  ville  de 
No^ogorod  ,  qu'il  unit  à  fon  Empire ,  ôc  abaiiïa  tous  les  autres 
Princes  de  Rufïïe ,  profitant  de  leurs  mutuelles  difcordes.  En- 
fin il  fecoùa  le  joug  odieux  des  Tartares ,  qui  jufques-là  avoient 
toujours  donné  à  fes  prédéceffeurs  l'inveftiture  ,  ôc  le  droit  à  la 
couronne.  Sophie,  de  la  maifon  Impériale  des  Paleologues  , 
Princeffe  d'un  grand  courage  ,  qu'il  avoit  époufée  après  la 
mort  de  la  fille  du  duc  de  TVeren  >  lui  avoit  infpiré  ce  no- 
ble deffein.  Ce  Monarque  fut  toujours  heureux  ôc  vainqueur, 
fi  l'on  excepte  les  batailles  qu'il  perdit  en  Livonie,  ôc  auprès 
de  Pleskow  ,  qui  furent  fuivies  d'une  trêve  de  cinquante  ans, 
qu'il  "fit  avec  fes  ennemis  ,  pendant  laquelle  il  eut  le  tems  de 
réparer  fes  pertes, 


DE   J.   A.   DE    THCU  Liv.  XXL        27P 

Bafile  fon  fils  ,  qui  lui  fucceda  3  ne  fut  pas  moins  heureux  ! 

que  fon  père.  Il  augmenta  fes  Etats  de  la  principauté  de  Smo-  Henri  II. 
lensko ,  ôc  des  terres  qui  reftoient  au  duc  de  Suerien.    Ce     l  S  $  %- 
Prince  affiégea  par  mer  ôc  par  terre  la  ville  de  Cafan  ;  ôc 
ayant  ôté  aux  Princes  fes  parens  les  portions  de  l'empire  ,  qu'ils 
retenoient  encore ,  il  fournit  la  ville  de  Pleskow.  Il  fut  le  pre- 
mier Grand  Duc ,  qui  prit  le  nom  de  Czar  ,  titre  qui  figni- 
fie  Roi  en  langue  Efclavonne  :  fes  prédéceffeurs   n'avoient 
porté   que    le  titre  de  Knez  *.    En   l'année   ipf,   il  lailfa  *C'eft-à-dire, 
par  fa  mort  fa  couronne  à  Jean  fon  fils  5  prince  auiiï  heureux  Comte  ,   ou 
ôc  aufïi  brave  que  fes  pères  5  ôc  qui  de  plus  joignant  la  rufe    elsneur* 
ôc  la  fineiTe  à  une  exatîe  difeipline  dans  l'art  Militaire,  confer- 
va  non-feulement  les  vaftes  Etats  que  Bafile  lui  avoit  laifkz  , 
mais  fcût  encore   en  reculer  fort  loin  les  frontières.  En  effet 
il  réduifit  fous  fa  puiffance  les  royaumes  de  Cafan  ôc  d'Aflra- 
can ,  que  le  Grand  Duc  fon  père  n'av'oit  pu  conquérir.  Il  y  avoit 
envoyé  des  troupes  difeiplinées  ,  qui  étonnèrent  ces  peuples 
plus  vaillans  qu'aguerris.  Enfuite  il  pouffa  fes  conquêtes  juf- 
qu'à  la  mer  Cafpienne  ôc  jufqu'au  royaume  de  Farfi  J  qu'il 
fubjugua  ,  après  s'être  flgnalé  par  de  grandes  actions ,  dont  fa 
cruauté  ternit  quelquesfois  l'éclat  ,  comme  nous  le  dirons  dans 
la  fuite. 

Au  refte  ,  les  Mofcovites  font  prefque  toujours  en  guerre  Mœurs  des 
avec  les  Tartares  Précopites ,  Nogaïs  ou  de  Crimée ,  ôc  avec  Mo^comes- 
les  Turcs.  A  peine  ont-ils  la  paix  avec  ces  peuples  3  qu'ils 
tournent  leurs  armes  contre  la  Lithuanie,  ôc  contre  les  Li- 
voniens.  Le  Grand  Duc  ,  ou  Czar ,  peut  entretenir  très-long- 
tems  de  nombreufes  armées  j  car  il  ne  paye  point  fes  troupes. 
Ceux  à  qui  il  loué'  des  terres  pour  un  prix  affez  modique  3  font 
obligez  de  le  fervir  à  leurs  dépens.  Au  refte,  les  levées  fe  font  de 
cette  forte.  Les  foldats,  dont  les  noms  font  inferits  dans  des 
rôles  3  fe  préfentent  l'un  après  l'autre  devant  le  Prigce  ,  ôc  lui 
donnent  une  pièce  de  monnoye ,  nommée  Ein-Denninck  en 
langue  Ruiïienne  3  à  peu-près  de  la  valeur  d'un  Gros  de  Po- 
logne, laquelle  ils  font' obligez  de  venir  lui  redemander,  la 
guerre  étant  finie.  Le  Czar  voit  par  les  pièces  de  monnoye, 
qu'on  ne  vient  point  reprendre,  combien  il  a  perdu  d hom- 
mes à  la  dernière  guerrs.   Outre  cela ,  on  prend  encore  dans 

1  ou  Farfïfian, 


2$o  HISTOIRE 

o^-»uu— u»  les  provinces  des  hommes  de  condition  médiocre ,  pour  les 

Henri  IL  arm^es  »  &  on  ^lt  tous  ^es  ans  un  r^le   exacVde  ceux    qui 
g>     fe  contentent  d'une  modique  paye.  Mais  le  Czar  ufe  d'une 
févérité  bien  plus  grande  à  l'égard  des  Grands  de  l'Etat.  Soit 
qu'un  Seigneur  (bit  mandé  à  la  Cour ,  foit  qu'on  l'envoyé  à 
la  guerre  ,  ou  en  ambaffade  dans  un  payis  éloigné ,  il  eft  obli- 
gé de  marcher  à  fes  frais.  Leur  foumillîon  eft  fi  prompte , 
que  ,  dès  qu'ils  reçoivent  un  ordre  du  Prince  ,  qu'ils  (oient 
à  table  ou  couchez  ,  quand   le  Courier  de  la  Cour  arrive , 
ils  prennent  fur  le  champ  leurs  armes  en  fa  préfence,  mon- 
tent à  cheval,  ôc  fe  mettent  en  chemin,  accompagnez  d'un 
Ecuyer.   Ceux  qui  n'obéuTent  pas  périffent  dans  les  tourmens. 
Il  n'eft  point  de  Prince,  qui  pu n  fie  plus  féverement  fes  fu- 
jets;  ôc  il  n'y  en  a  point,  qui  en  foit  plus  aimé,  ni  fervi  avec 
plus  de  zélé  Ôc  de  fidélité.  Les  bons  Princes ,  qui  traitent  leurs 
peuples  avec  le  plus  de  douceur  ôc  d'humanité  ,  ne  trouvent 
pas  un  attachement  plus  inviolable.   Les  voifins  de  la  Mof- 
covie  apportent  ces  raifons ,  pour  rendre  croyable  une  chofe 
fi  extraordinaire.   Outre  la  cruauté  des  fupplices  ,  qui  intimide 
les  Rudes ,  ils  regardent  encore  comme  barbares ,  Ôc  ont  en 
horreur  les  autres  Peuples ,   qui  ne  fuivent  pas  leur  religion  ; 
fans  même  excepter  ceux  qui  font  attachez ,  comme  nous , 
à  l'Eglife  Romaine.    Le  Czar ,  qui  a  furtout  cette  opinion 
fortement  imprimée,  ne  donne  jamais  audience  à  des  Am- 
baffadeurs  de  Princes  étrangers,  qu'il  ne  lave  fes  mains  dans 
un  bafïïn  d'eau  ,  qui  eft  auprès  de  lui  ôc  deftiné  à  cet  ufage, 
dès  qu'ils  fe  font  retirez  ;  comme  fi  la  conférence  qu'il  vient 
d'avoir  avec  eux  l'avoit  fouillé.  D'ailleurs    les  Mofcovites , 
fuivant  les  dogmes  de  leur  foi,  croyent  devoir  à  leur  Prince 
autant  de  refpetl  ôc  de  fidélité ,  qu'à  Dieu  même.    Leur  ex- 
travagance va   jufqu'à  vanter  autant  un  homme  ,  qui  eft  de- 
meuré fid#le  à  fon  Prince  jufqu'au  dernier  foupir ,  qu'un  vé- 
ritable Chrétien,  qui  a  confervé  jufqu'à  la  fin  une  foi  vive  ,  ôc 
une  charité  brûlante  pour  Jefus-Chrift  ;  ôc  ils  croyent  que  le 
ciel ,  après  cette  vie  >  eft  également  le  partage  de  l'un  ôc  de 
l'autre. 

Afin  que  ces  opinions  foient  toujours  inaltérables  dans  l'ef- 
prit  de  ces  peuples ,  le  Prince  leur  défend  avec  une  extrême 
févérité  tout  commerce  avec  les  Etrangers  ,   ôc  les  voyages 

au 


DE  J.  A.  DE  THO  U,  Li  v.  XXL        281 

au  dehors  de  l'Empire.   Lesfeuls  AmbafTadeurs,  que  le  Czar  < 

envoyé  dans  les  Cours ,  ont  ce  privilège.  Mais  on  leur  donne  Henri  IL 
des  furveillans  ,  pour  obferver  leur  conduite  ,  ôc  pour  être  1  c  c  8. 
préfens  ,  lorfqu'ils  confèrent  avec  les  Etrangers  5  d'où  il  ar- 
rive ,  qu'ignorant  la  douceur  du  gouvernement  des  autres 
nations ,  ils  préfèrent  l'efclavage  à  une  lu jettion  raifonnable  3  leur 
étatpréfentàune  condition  meilleure  ,  ôcce  qu'ils  connoiflent 
à  des  biens  incertains  ôc  douteux.  De  plus  ;  lorfque  les  Grands- 
Ducs  envoyent  quelqu'un  de  leurs  fujets  en  Ambaflfade  3  ou 
qu'ils  lui  donnent  quelque  emploi  important ,  foit  à  la  guerre , 
foit  dans  les  provinces ,  ils  ont  la  précaution  de  retenir  auprès 
d'eux,  comme  en  otage,  fa  femme  ou  fes  enfans,  afin  que 
des  gages  fi  chers  foient  de  fùrs  garans  de  fa  fidélité.  Si  le 
Prince  trouve  que  cet  homme  le  foit  mal  comporté  dans 
fon  emploi ,  ôc  n'ait  pas  agi  fuivant  fes  intentions  ,  on  fait 
fouffrir  de  cruels  tourmens  à  ces  otages  infortunez.  C'eft 
ainfi  que  parmi  eux,  ceux  qui  foupirent  le  plus  après  la  liberté , 
ôc  qui  font  le  moins  nez  pour  la  fervitude  ,  demeurent  dans  le 
devoir ,  ou  par  des  motifs  de  religion ,  ou  par  la  crainte  des 
fupplices ,  ou  par  la  vue  des  périls  où  ils  expoferoient  leurs 
proches. 

Au  refte  le  Czar  Jean  voyant  que  la  trêve  ,  que  fon  père 
avoit  conclue  après  fa  défaite,  alloit  expirer  en  l'année  i^yo 3 
ôc  que  les  anciens  démêlez  fe  renouvelloient  entre  l'Arche- 
vêque de  Riga,  ôc  le  Grand-Maître  de  l'Ordre  Teutonique, 
crut  devoir  profiter  de  ces  heureufes  conjonctures ,  ôc  fe  prépara 
à  la  guerre.  Alors  JodocReck  ,  que  Jean  Beck  Grand-Maî- 
tre de  l'Ordre  avoit  fait  évêque  de  Derpt,  fçutfi  bien  ména- 
ger le  Mofcovite  ,  dont  il  avoit  tout  à  craindre  par  la  fitua- 
tion  de  fes  Etats  ,  qu'il  obtint  une  prolongation  de  la  trêve 
pour  cinq  ans.  Les  conditions  du  traité  furent  qu'on  rebâti- 
roit  à  Derpt ,  à  Riga,  ôc  à  Revelles  temples  des  Mofcovites, 
qu'on  avoit  abattus  -,  que  la  province  de  Derpt  payeroit  fans 
fraude  au  Grand-Duc  le  tribut  accoutumé,  à  ce  que  difoit  ce 
Prince ,  ôc  qu'au  furplus  on  donneroit  fatisfa&ion  fur  quelques 
autres  articles  5  moyennant  quoi  le  Mofcovite  promettoit ,  au 
bout  de  la  trêve  de  cinq  ans  de  confentir  à  une  paix  de  quinze 
autres  années,!!  on  exécutoit  les  conventions  de  bonne  foi.  Lorf- 
que la  trêve  fut  expirée ,  le  Grand-Maître  de  l'Ordre  ôc  Herman 
Tome  III.  N  n 


2%2  HISTOIRE 

évêque  de  Derpt  envoyèrent  des  Ambaffadeurs  au  Czar  pour 
Henri  IL  négocier  une  prolongation.  D'abord  ce  Prince  refufa    d'en- 
1  S  S  8.     tendre  à  aucune  proportion  ',  difant  que  les  Allemands  n  avoient 
pas  exécuté  les  articles  du  dernier  traité  ,  n'ayant  ni  payé  le 
tribut  ,  ni  rétabli  les  Eglifes  démolies.  Enfin  il  accorda  en- 
core une  fufpenfion  d'armes  pendant  trois  années,  aux  mêmes 
conditions  que  celles  du  précèdent  traité.   Il  y  ajouta  néan- 
moins un  impôt  d'un  marc  d'argent  par  tête  fur  chaque  habitant 
du  territoire  de  Derpt ,  dont  il  exempta  les  feuls  Prêtres  Catholi- 
ques, par  une  politique  ra-finée,  ôc  pour  entretenir  les  diiTenfions 
domeftiques.  Les  Livoniens  jurèrent  en  préfence  des  Ambaf- 
fadeurs  Mofcovites  d'obferver  religieufement  le  traité,  6c  baifé- 
rent  la  croix ,  en  prêtant  un  ferment  qu'ils  violèrent  bientôt.  Au 
bout  de  la  trêve  de  trois  années ,  le  Mofcovite  déclara  la  guer- 
re aux  Livoniens,  ôc  fit  publier  un  manifefte,  où  il  reprochoit  au 
Grand-Maître  de  l'Ordre,  à  l'archevêque  de  Riga,  à  l'évêquede 
Derpt ,  aux  autres  Prélats ,  ôc  à  tous  ces  peuples  >  l'infraclion 
des  articles  de  la  trêve  ,  qui  portoit  :  qu'on  répareroit  les  dom- 
mages que  les  Mofcovites  avoient  foufferts  :  qu'ils  auroient 
la  liberté  du  commerce  en  Livonie  ,  où  ils  pourroient  vendre, 
ou  échanger  de  la  cire ,  du  fuif ,  des  cuirafles  Ôc  des  armes  : 
que  l'évêque  de  Derpt  leveroit  dans  fon  diocefe  le  tribut  con- 
venu ,  ôc  envoyeroit  la  troifiéme  année  de  la  trêve  une  ca- 
pitation  d'un  marc  par  tête  ;  ce  qu'il  feroit  tenu  de  faire  cha- 
que année  après  la  fin  de  cette  trêve.  Le  manifefte  contenoit 
encore  ,  que  les  Livoniens  s'étoient  engagez  pareillement  de 
donner  paffage  à  tous  ceux  qui  iroient  en  Mofcovie  par  leurs 
terres ,  foit  pour  le  fervice  du  Czar ,  foit  pour  leurs  affaires 
particulières  î  ôc  qu'ils  avoient  aufli  promis  de  n'aider  ni  de 
troupes  ni  d'argent  le  Roi  de  Pologne  ,  ôc  le  duc  de  Lithua- 
nie ,  ou  ceux  qui  reprefenteroient  ces  Princes.  Le  Czar  ajoû- 
toit ,  que  puifque  les  Livoniens  avoient  violé  tant  de  fois  des 
traitez ,  qu'ils  avoient  juré  d'obferver  religieufement ,  en  bai- 
fant  la  croix ,  ôc  en  donnant  la  main ,  Ôc  qu'ils  avoient  fcel- 
lez  du  fceau  de  la  nation  joint  au  fceau  de  fon  empire ,  il  fe 
voyoit  contraint  de  prendre  les  armes ,  pour  venger  l'outrage 
fait  à  Dieu,  ôc  à  lui  :  qu'il  les  avoit  avertis  plus  d'une  fois  de 
prendre  garde,  que  leur  perfidie  ne  fît  répandre  le  fang inno- 
cent, Ôc  n'occafionnât  des  meurtres,  qu'il  avoit  en  horreur* 


DE  J.  A.  DE   T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXL         m 

comme  prince  Chrétien:  qu'enfin  il  efpéroit,  que  Dieu  n'im-  - — l-liëj..  - 
puteroit  tant  de  maux>  qu'ils  s'étoient  préparez  par  leurs  par-  Henri  II. 
jures,  qu'à  ceux  qui  en  feroientles  feuls  auteurs.  1^58. 

L,qs  Livoniens  ayant  reçu  cette  déclaration  du  Grand 
Duc  datée  du  mois  de  Novembre  de  l'année  7067  l  ,  fui- 
vant  la  manière  de  compter  des  Mofcovites ,  furent  extrême- 
ment confternez.  D'ailleurs  Guillaume  de  Furftemberg  grand 
Maître  des  Chevaliers  de  Livonie ,  qui  avoit  fix  compagnies 
d'Allemands,  dont  il  s'étoit  fervi  pour  faire  la  guerre  au  Roi 
de  Pologne ,  avoit  envoyé  des  députez  en  Moicovie  ,  pour  de- 
mander la  prolongation  de  la  trêve ,  ôc  avoit  eu  pour  réponfe, 
que  s'il  fouhaitoit  la  paix ,  il  devoit  congédier  fes  troupes, 
parce  que  le  Czar  ne  vouloit  pas  que  l'on  crût  qu'il  eût  été 
forcé  de  continuer  la  trêve.  On  tint  un  grand  confeil  au  fujet 
de  cette  réponfe  du  Mofcovite.  Les  fentimens  furent  parta- 
gez. Les  uns  étoient  d'avis ,  que  non-feulement  on  devoit  re- 
tenir les  troupes  qu'on  avoit  fur  pied ,  mais  qu'il  falloit  faire 
de  nouvelles  levées.  Les  autres,  du  nombre  defquels  étoit 
Furftemberg ,  difoient  qu'il  falloit  congédier  les  Allemands , 
pour  ôter  au  Czar  tout  prétexte  de  faire  la  guerre  j  Ôc  que  fi, 
malgré  ces  précautions ,  ce  Prince  vouloit  entreprendre  quel- 
que chofe ,  on  ne  manqueroit  ni  de  courage  ni  de  troupes 
pour  le  repoufTer.  Ce  dernier  avis  ayant  prévalu,  parce  que 
cetoit  celui  des  Proteftans  fupérieurs  en  nombre ,  on  arrêta, 
qu'on  enverroit  au  Czar  une  célèbre  ambaffade  ,  dont  les  chefs 
furent  Elard  Cmiflen ,  ôc  Nicolas  Franck. 

Ces  miniftres  arrivèrent  à  la  Cour  du  Grand  Duc  >  avec  une 
fuite  nombreufe ,  &  avec  toute  la  magnificence  de  ces  peuples 
feptentrionaux  ,  ôc  furent  reçus  avec  une  pompe  extraordi- 
naire. Le  Prince  étoit  dans  un  vafte  appartement  richement 
meublé,  afTis  fur  un  thrône  d'or,  ayant  une  couronne  ôcun 
fceptre  à  la  main ,  ôc  étant  revêtu  d'une  robe  facerdotale.  On 
voyoit  à  fa  gauche  auprès  d'une  table  dorée  douze  Knez ,  fes 
principaux  Confeiliers  d'état,  qui  avoient  des  habits  tiffus  d'or, 
à  la  manière  des  Lévites.  Il  y  avoit  auili  deux  interprètes , 
qui  fçavoient  l'Allemand  ôc  la  langue  du  payis.  Le  Czar  ayant 
fait  demander   fièrement  aux  Ambaffadeurs  ,  s'ils  venoient 

1  Les  Mofcovites ,  à  l'exemple  des       leurs  années  depuis   la  création    du 
Grecs ,  dont  ils  fuivent  le  rit,  comptent       monde. 

Nnij 


n$4  HISTOIRE 

: — — ■  demander  la  paix ,  ils  répondirent ,  qu'ils  étoient  envoyez  par 

Henri  IL  le  Grand-Maître  deLivonie,  ôc  par  l'évêque  de  Derpt,  pour 
i  5*  5*  8.  en  traiter  ;  ôc  préfenterent  en  même  tems  au  Prince  des  cou- 
pes d'or ,  qui  furent  portées  par  fon  ordre  dans  une  falle  à 
manger  près  de-là.  Alors  le  Czar  reprocha  aux  Livoniens 
leur  perfidie  ,  ôc  leurs  parjures  ;  n'ayant  jamais  obfervé  une 
feule  des  conditions  de  la  trêve  ,  quoique  munie  du  fceau  de 
leur  province ,  ôc  cimentée  par  la  religion  du  ferment.  En- 
fuite  il  leur  repréfenta  ,  combien  ils  avoient  dégénéré  de  la 
vertu  des  anciens  Livoniens ,  peuples  fi  recommendables  par 
leur  religion  ,  leur  courage  ,  ôc  leur  fidélité  à  garder  leur  pa- 
role ;  exagérant  à  deffeia,  pour  les  mieux  confondre  ,  les 
grandes  qualitez  de  leurs  pères.  Il  ajouta  ,  qu'ils  avoient  re- 
noncé à  leur  ancien  culte  ,  abattu  les  temples  ,  pillé  ou 
prophané  les  Monaiteres  des  Religieux  ôc  des  Vierges  ; 
qu'enfin ,  bien  loin  de  coniidérer  le  Grand  -  Maître  de  l'Or- 
dre &  l'Evêque  ,  comme  des  Princes  de  l'Eglife ,  on  ne  les 
devoit  regarder  que  comme  des  hommes  plus  cruels  que  les 
peuples  les  plus  fauvages  ,  ôc  qu'ils  étoient  indignes  qu'il  leur 
donnât  la  paix. 

Les  Livoniens  répondirent,  qu'après  avoir  parcouru  leurs 
regiftres  des  tems  les  plus  reculez  3  ils  n'avoient  pas  trouvé  , 
qu'il  fut  du  aucun  tribut  aux  Mofcovites;  que  du  refte,  puif- 
qu'on  leur  refufoit  la  paix  3  ils  en  porteroient  leurs  plaintes 
au  Chef  de  l'Empire  ,  dont  ils  étoient  membres,  ôc  qui  les 
devoit  protéger.  Le  Czar  foûrit ,  lorfque  les  Livoniens  rirent 
mention  de  l'Empereur  î  fçachant  bien  que  les  fecours  3  que 
pourroit  leur  envoyer  ce  Prince,  n'arriveroient  que  bien  tard. 
Puis  il  prit  occafion  de-là,  de  reprocher  encore  aux  Ambaf- 
fadeurs  l'impiété  de  leurs  peuples ,  qui  avoient  méprifé  les 
ordres  de  leur  Empereur ,  en  détruifant  les  églifes  Catholi- 
ques ,  violant  le  refpecl  dû  aux  Autels  ,  ôc  traitant  indigne- 
ment les  Prêtres.  Il  leur  dit  cependant ,  que  s'ils  vouloient 
lui  payer  une  fomme  de  quarante  mille  Joachims ,  pour  être 
quittes  de  ce  qu'ils  lui  dévoient  des  années  précédentes,  ôc 
s'engager  à  lui  donner  tous  les  ans  mille  pièces  de  Hongrie 
pour  le  payis  de  Derpt ,  il  leur  accorderoit  la  paix.  Peu  de 
jours  après ,  ce  Prince  fe  repentant  de  s'être  relâché  à  leur 
égard  3  leur  envoya  demander  le  payement  de  la  fomme  } 


E3K9.VO&  *CWJB' 


D  E  J.  A,   DE  THOU,  Liv.  XXI.      28; 

dont  nous  venons  de  parler.  Les  Ambafladeurs  firent  répon-  « 

fe,  qu'ils  ne  l'avoient  pas  ,  mais  qu'ils  étoient  prêts  à  donner  Henri  IL 

caution  de  ne  point  partir,  qu'elle  ne  fut  entièrement  payée,     i  ç  c  8. 

Le  Grand  Duc,  qui  vouloit  la  guerre,  leur  fit  dire,  au'il 

ne  pouvoir  fe  fier  à  des  gens,  qui  l'avoient  trompé  tant  de 

fois  5  qu'ainfi  ils  eufTent  à  retourner  au  plutôt  dans  leur  payis, 

où  il  les  fuivroit  bien-tôt,  pour  les  forcer  de  payer  les  fommes 

qui  lui  étoient  promifes.  Telle  fut  la  manière  dont  le  Czar  reçut 

ces  Députez,  qui  ne  purent  arriver  chez-eux,  que  vers  la 

fin  du  mois  de  Février,  parce  qu'on  leur  donna  des  guides 

infidèles ,  qui  leur  firent  prendre  exprès  de  longs  détours  ôc  une 

fauffe  route. 

La  fuite  fit  voir  qu'on  en  ufa  ainfi  à  leur  égard  ;  afin  de  fur- 
prendre  les  Livoniens  ,  ôc  qu'ils  ne  pûfTent  fe  préparer  à  la 
guerre.  En  effet  le  Mofcovite  ayant  affemblé  une  puifTante 
armée  ,  entra  dans  le  payis  de  Derpt  le  p  de  Février ,  avant 
le  retour  des  Ambafladeurs.  Ne  trouvant  point  de  réfifrance., 
il  met  tout  à  feu  ôc  à  fang,  brûle  les  granges  ôc  les  gre- 
niers ,  tuë  tout  ce  qu'il  rencontre ,  jufqu'aux  beftiaux  qu'il  ne 
peut  emmener.  Les  garçons  au-deflus  de  dix  ans  furent  égor- 
gez, ceux  de  vingt  vendus  aux  Tartares,  Ôc  ceux  qui  paflbiem 
cet  âge  périrent  par  le  fer ,  fans  que  rien  pût  fléchir  ces  hom- 
mes impitoyables.  Tous  les  villages  étoient  en  feu,  ôc  les  fo- 
rêts retentiffoient  des  cris  lamentables  des  femmes  ôc  des  en- 
fans.  Aucun  lieu  ne  fut  exempt  de  la  défolation  générale ,  à 
l'exception  de  la  ville  de  Derpt ,  ôc  de  quelques  places  fortes; 
ôc  ces  affreufes  hoftilitez  enfanglanterent  une  étendue  de 
payis  de  plus  de  feize  milles.  On  exerça  fur-tout  d'horri- 
bles cruautez  fur  les  Allemands.  On  coupoit  les  bras  à  ceux 
qu'on  avoit  pris^ôc  le  fein  aux  femmes*  ou  bien  on  les  met- 
toit  en  morceaux ,  ôc  on  couvroit  les  chemins  de  leurs  mem- 
bres épars,  pour  infpirer  de  la  terreur.  Ceux  qui  purent  écha- 
per  à  la  fureur  du  ioldat,  fe  retirèrent  en  foule  à  Derpt  avec 
leurs  femmes ,  Ôc  leurs  enfans.  Mais  comme  un  fi  grand  nom- 
bre ne  pouvoit  loger  dans  la  ville ,  plus  de  dix  mille  fe  cachèrent 
dans  les  foffez  ,  où  ils  eurent  à  fouffrir  les  plus  grandes  extrê- 
mitez ,  fe  trouvant  expofez  durant  un  hiver  très-rigoureux  aux 
injures  de  l'air ,  prefque  nuds.  La  plupart  furent  emportez  par 
les  maladies, ou  parla  faim.  Enfin  les  Mofcovites  furvenant 

Nn  ii) 


226  HISTOIRE 

firent  périr  ces  miférables  reftes ,  que  le  froid ,  &  la  faim  avoient 
Henri  II  épargnez.  Ils  entrent  dans  ces  foflez  profonds  ,  ôc  trouvant 
c  c  g  un  peuple  fans  défenfe,le  paiTent  au  fil  del'épée.  Leshabitans 
de  la  ville,  n'ofant  fortir  de  leurs  ramparts  pour  fecourir  ces 
malheureux ,  fe  contentèrent  de  canoner  les  ennemis.  Ceux- 
ci  fe  répandirent  enfuite  dans  le  payis  deLetten,  de  la  dépen- 
dance du  Chef  de  l'Ordre ,  ôc  y  commirent  les  mêmes  cruau- 
tez  :  il  paroiflbit  bien  ,  qu'ils  vengeoient  les  injures  de  plu- 
fleurs  années.  Ces  furieux  ayant  parcouru  ,  la  flamme  à  la  main, 
la  campagne  de  Nerva ,  ôc  de  Virlandt  t  ôc  une  partie  du  payis 
de  Riga  brûlèrent  ôc  ravagèrent  tout ,  ôc  retournèrent  chez  eux 
chargez  d'un  riche  butin. 

En  ce  tems-là  parut  une  grande  Comète  avec  une  longue  ôc 
terrible  chevelure,  qui  acheva  de  confternerles  Livoniens.  Ces 
peuples  fupermtieux  s'imaginant  que  ce  phénomène  leur  annon- 
coit  des  malheurs  plus  grands  encore  que  ceux  qu'ils  venoient 
d'éprouver ,  aflemblerent  à  "Wenden  les  Etats  du  payis ,  pour 
délibérer  fur  ce  qu'ils  avoient  à  faire.  D'abord  les  efprits 
étant  animez  par  les  maux  récens,  on  fut  d'avis  d'envoyer  des 
!  troupes  dans  le  payis  ennemi  ,  pour  y  faire  les  mêmes  ravages 
qu'on  avoit  foufferts  ,  ôc  pour  venger  par  de  pareilles  cruautez 
le  fang  innocent  qu'on  venoit  de  répandre.  Mais  d'autres  pré- 
férant la  fureté  du  payis  à  un  reflentiment  généreux  ,  dirent 
qu'il  falloit  à  force  d'argent  acheter  lapaix  d'un  ennemi  extrême- 
ment avide.  Tous  étant  revenus  à  cet  avis ,  le  Grand-maître  de 
l'Ordre  fit  partir  un  courier,  pour  demander  au  Mofcovite 
une  trêve  de  quatre  mois ,  ôc  la  liberté  de  faire  partir  une  Am- 
baflade ,  pour  traiter  de  la  paix.  Le  Czar  ayant  agréé  ces  pro- 
polirions  ,  les  Ambaflfadeurs  fe  mirent  en  chemin  au  commen- 
cement du  mois  de  Mai.  Mais  tandis  qu'ils  faifoient  leur  route 
de  Derpt  à  Mofcow ,  réfidence  du  Grand  Duc  diftante  de 
Derpt  de  cent-cinquante  milles  d'Allemagne,  il  furvint  un  évé- 
nement  qui  rit  évanouir  les  efpérances  de  la  paix. 

Il  y  avoit  dans  la  ville  de  Nerva  de  Livonie ,  qui  eft  vis- 
à-vis  de  Nerva  de  Rufïie ,  une  garnifon  de  trois  cens  hom- 
mes, Ôc  de  cent-cinquante  chevaux  ,  qui  faifoit  une  garde 
exacte  ,  de  crainte  de  furprife.  Ces  foldats  ayant  crû.  voir  dans 
la  ville  voifme,  plus  d'hommes  qu'à  l'ordinaire  ,  foit  qu'ils  crai- 
gnirent d'être  attaquez  ,  foit  que  le  vin  les  eût  rendu  furieux, 


DE   J.  A.  DE  T  HOU,  L  iv.  XXL         287 

pointèrent  deux  pièces  de  canon  de  ce  côté-là  ,  ÔC  tirèrent » 

plufieurs  coups.  A  ce  bruit  les  gamifons  voifines  ,  croyant  la  Henrt  IL 
trêve  rompue ,  prennent  les  armes  à  l'exemple  de  la  ville  de  x  r-  ^  3, 
Nerva  de  Livonie  ,  font  un  grand  feu  de  leur  artillerie  ,  ôc 
tuent  beaucoup  de  Mofcovites.  Ceux-ci,  pour  ne  pasenfrain- 
dre  la  trêve,  au  lieu  de  commettre  des  hoftilitez,  envoy enta 
Mofcow  donner  avis  de  ce  qui  s'étoit  palïé.  Le  Czar  Jean 
reçut  ces  plaintes ,  dans  le  tems  qu'on  introduifoit  les  Ambaffa- 
deursLivoniens  à  l'audience.  Ce  Prince  fort  irrité  foûtint  à  ces 
miniftres  ,  que  ces  hoftilitez  avoient  été commifes  à  deflein,  ôc 
non  par  malheur  &  à  leur  infçu.  Il  leur  reprocha  encore  leur  per- 
fidie ,  ôc  leur  changement  de  Religion  ,  ajoutant  que  les  Livo- 
niens ,  en  renonçant  au  culte  de  leurs  pères ,  avoient  renoncé  à  la 
bonne-foi,  &  à  toute  pudeur,  Ôc  il  les  renvoya  fans  avoir  voulu  les 
entendre,  ni  recevoir  l'argent  qu'ils  apportoient.  En  même-tems 
il  leva  une  grande  armée  ,  qu'on  fait  monter  jufqu'à  trois  cens 
mille  hommes  ,  ôc  qui  étoit  compofée  de  quatre  corps  de 
Rufîîens  ,  deux  de  Tartares  ôc  un  autre  de  douze  mille  arque- 
busiers ôc  piquiers.  Toutes  ces  troupes  étoient  commandées , 
en  l'abfence  du  Prince,  par  le  fameux  Corfaire  Pierre  ,  fur- 
nommé  Sifegaleider ,  ou  félon  d'autres  Zerfigal ,  parce  qu'il 
a  voit  fait  long- tems  le  métier  de  Pirate  fur  le  Pont-Euxin  avec 
fept  grandes  galères.  Ce  général  marcha  droit  à  Nerva  de 
Livonie  à  la  tête  de  l'armée  ,  ôc  fuivi  d'une  nombreufe  artille- 
rie. Il  n'y  avoit  que  huit  jours  que  le  iiége  étoit  formé ,  lorf- 
qu'il  fit  jetter  dans  la  ville  des  feux  d'artifice  ,  qui  ayant  em- 
brafé  les  maifons ,  qui  étoient  toutes  de  bois  ,  gagnèrent  fort 
vite  tous  les- quartiers ,  ôc  même  les  portes  de  la  ville.  Les 
habitans  voyant  leur  ville  ouverte  de  toutes  parts ,  fe  retirèrent 
dans  la  citadelle ,  avec  la  garnifon.  Peu  après  manquant  de 
vivres  ils  capitulèrent,  à  condition  que  les  Allemands  ôc  eux 
auroient  vie  Ôc  bagues  fauves.  Cependant  ils  furent  dépouil- 
lez de  tous  leurs  biens  :  le  gouverneur  de  la  place  reprefenta 
inutilement ,  qu'on  violoit  la  foi  donnée.  Ceux  qui  demeu- 
rèrent dans  la  ville,  furent  obligez  de  prêter  ferment  au  Mof- 
covite. 

Après  que  l'armée  eut  defolé  la  campagne  de  Nerva  ,  elle 
entra  dans  le  payis  de  Derpt ,  Ôc  alla  camper  auprès  de  New- 
haus  3  place  forte  appartenant  à  l'évêque  de  Derpt ,  dont  elle 


28g  HISTOIRE 

«  .vj^mmvmm  eft  éloignée  de  dix  huit  milles.  Les  Livoniens  difolent ,  qu'il 
ii,Mni  tt  V  avoit environ  cent-vingt-un  ans  ,  que  les  Mofcovites  avoient 

HENRI  II.    J  i      /    i  °  i«    ■      ""  ti 

P  reçu  un  grand  échec  en  ce  lieu.  Ils  tenoient  pour  cer- 
tain ,  que  la  garnifon  étant  en  ce  tems-là  réduite  aux  dernières 
extrêmitez  ,  le  gouverneur  avoit  imploré  le  fecours  du  ciel ,  ôc 
lancé  en  même-tems  un  trait ,  qui  perça  le  Prince  ennemi  : 
qu'alors  les  Rufïiens  épouvantez  de  cette  mort ,  comme  fi  le 
coup  fut  parti  du  ciel  ,  avoient  levéhonteufement  le  fiége.  Je 
n'ofe  affurer  ,  fi  ce  fait  eft  véritable ,  ou  fuperftitieufement  con- 
trouvé.  Ce  qui  eft  de  certain ,  c'eft  qu'on  gardoit  dans  l'Eglife 
principale  de  Newhaus  un  arc  fufpendu  à  la  voûte ,  comme  un 
monument  de  cette  heureufe  délivrance.  Mais  alors  le  ciel  ne 
fut  pas  fi  favorable  aux  habitans.  Car  la  garnifon  ,  ôc  les  bour- 
geois ayant  tenu  environ  un  mois ,  ôc  voyant  qu'il  ne  leur  venoit 
point  de  fecours  ,  ôc  que  le  Grand-Maître  de  l'Ordre  fe  tenoit 
depuis  vingt-jours  renfermé  dans  fon  camp  de  Kiériépe-à  fix 
milles  de  Newhaus ,  fans  ofer  en  fortir ,  ils  fe  rendirent ,  ôc  ob- 
tinrent la  vie  ôc  la  liberté  pour  eux ,  ôc  pour  leurs  femmes.  Sur 
ces  nouvelles  le  Chef  de  l'Ordre ,  qui  avoit  peu  de  forces  ,  fe 
retira  dans  le  fond  de  la  Province. 

Alors  les  garnifons  de  plufieurs  places  ayant  pris  la  fuite  , 
Weifemberg,  Tolfburg,  Warnebeck,  Newhaus  ,  ôc  Ringen  ou- 
vrirent leurs  portes  aux  vainqueurs ,  qui  ayant  fait  le  dégât  dans 
une  étendue  de  payis  de  trente  milles  ,  vinrent  camper  à  fix 
milles  de  Derpt.  Ces  barbares  prennent  fur  la  route  quelques 
Allemands ,  ôc  des  femmes  ,  coupent  les  bras  aux  uns,  Ôc  le 
fein  aux  autres,  ôc  les  renvoyent  ainfi  mutilez ,  pour  intimider 
ceux  qui  oferoient  faire  réfiftance.  L'évêque  de  Derpt  avoit 
fait  venir  le  capitaine  Groeninghen  avec  foixante  foldats  ,  ôc 
donné  le  commandement  de  la  place  à  cet  officier  ,  qui  étoit 
d'une  grande  réputation  à  la  guerre.  Mais  les  bourgeois  étoient 
defunis  au  fujet  de  la  Religion.  L'évêque  ôc  fon  Chapitre 
avoient  de  grands  différends  avec  les  Magiftrats  ,  qui  étoient 
les  plus  puhTans:  ceux-ci  prétendoient  qu'on  fermât  les  portes 
de  l'Eglife,  ôc  qu'on  n'y  pût adminiftrer  les  Sacremens  qu'à  la 
manière  des  Luthériens  s  les  premiers  au  contraire  vouloient 
garder  le  culte  de  leurs  ancêtres ,  déteftant  les  deffeins  de  leurs 
adyerfaires  ,  blâmant  la  conduite  du  Sénat ,  ôc  difant  tout  haut, 
que  depuis  qu'on  avoit  changé  la  Religion  ,  ils  avoient  été 

accablez 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXL       i%o 

accablez  de  malheurs  ,  6c  qu'on  nepouvoit  attribuer  qu'à  cette 
funefte  révolution  Finvafion  des  Mofcovites.  Enfin  l'intérêt  JJENR1  ]J# 
commun  fit  prendre  ce  parti.  On  arrêta,  que  puifqu'il  ne  s'a-  i  ç  ç  8. 
giiToit  pas  alors  de  la  Religion  ,  mais  de  défendre  fa  patrie ,  ôc 
fes  foyers  ,  il  feroit  libre  à  chacun  de  demeurer  dans  la  Reli- 
gion qu'il  croiroit  la  meilleure  ;  ôc  tous  jurèrent  de  combat- 
tre jufqu'au  dernier  foupir  ,  plutôt  que  de  fe  rendre. 

Cependant  les  ennemis  s'approchèrent  de  la  ville  l'onziè- 
me de  Juillet  à  la  faveur  d'un  brouillard  fort  épais ,  ôc  ouvri- 
rent la  tranchée  du  côté  de  la  porte  S.  André.  Les  quatre  pre- 
miers jours ,  il  y  eut  divers  légers  combats ,  dans  les  forties  que 
firent  les  afïiégez  ï  ôc  le  canon  de  la  place  ayant  fait  un  grand 
feu  ,  plufieurs  cavaliers  Mofcovites  furent  tuez  ou  blefTez  :  les 
ailiégeans  de  leur  côté  firent  approcher  leur  artillerie  ;  ôc 
au  lieu  de  braquer  les  canons  contre  les  murs  de  la  ville  ,  ils 
tiroient  fort  haut ,  afin  que  les  boulets  que  deux  hommes  au- 
roient  eu  bien  de  la  peine  à  porter,  venant  à  retomber  fur  les 
maifons ,  qui  étoient  toutes  de  bois  ,  écrafafTent  les  femmes  ôc 
les  enfans.  Enfin  les  mines  ayant  joué  vers  la  porte  S.  André, 
ôc  le  feu  continuel  de  l'artillerie  ayant  fait  en  ce  lieu  une  brè- 
che confidérable  le  17  de  Juillet ,  les  cris  des  femmes  ôc  des 
enfans  répandirent  la  confternation  dans  la  ville.  Les  Magiftrats 
allarmez  ,  ôc  craignant  l'avenir,  vont  trouver  l'Evêque  ôc  le 
Clergé,  ôc  leur  font  rapport  de  l'état  de  la  place  ;  ajoutant  , 
que  puifqu'on  ne  pouvoit  tenir  plus  long-tems ,  on  ne  devoir, 
pas  attendre  les  dernières  extrêmitez  5  ôc  que  fe  rendant  quel- 
ques jours  plutôt  ,  on  obtiendrait  des  conditions  plus  avan- 
tageufes.  Ceux-ci  répondirent,  que  les  Magiftrats  agifToient 
contre  la  foi  de  leurs  fermens  ;  ce  qui  n'empêcha  pas  le  Sénat , 
qui  avoit  enfin  attiré  à  fon  avis  l'Evêque ,  prélat  d'un  caractère 
allez  doux  ,  de  députer  aux  ennemis ,  pour  demander  à  capi- 
tuler ,  à  condition  qu'on  leur  accorderoit  la  vie  ôc  les  biens. 
Les  Mofcovites propoferent ,  félon  leur  coutume,  que  lesha- 
bitans  euffent  à  renoncer  à  la  domination  du  Pape  ôc  de  l'Em- 
pire Romain.  Les  députez  ayant  promis  de  la  part  des  bour- 
geois une  fourmilion  (încere  à  cet  égard  ,  les  ennemis  s'enga- 
gèrent de  traiter  à  ces  conditions. 

Mais  le  bruit  de  l'accord  qu'on  projettoit  s'étant  répandu 
dans  la  ville ,  les  Prêtres  ôc  le  Gouverneur ,  qui  avoit  foixante 
Tome  11L  O  o 


spo  HISTOIRE 

,  Soldats  à  fes  ordres ,  excitèrent  un  grand  tumulte  >  difant3  que 
Z^r  77  les  Luthériens  les  trahiflbient ,  ôc  que  non  contens  d'avoir 
'  quitté  la  Religion  Catholique ,  ces  perfides  Ôc  ces  impies  vou- 
1  *  *  '  loient  encore  les  livrer  aux  Mofcovites.  Us  ajoûtoient  ,  que 
pour  eux  ils  étoient  préparez  à  tout  événement,  &  qu'ils  ne  vou~ 
loient  pas  que  la  pofterité  les  aceufât  d'avoir  facrifié  à  l'amour  de 
îa  vie  leur  patrie,  leur  liberté  ôc  la  religion  de  leurs  pères.  L'en- 
nemi étoit  fort  fatisfait  de  ces  divifions  domeftiques.  D'un  au- 
tre côté ,  il  craignoit  qu'un  parti  abandonné  au  defefpoir  n'en- 
gageât le  parti  contraire  à  fe  défendre  jufqu'à  l'extrémité.  C'efl 
pourquoi  il  fit  dire  aux  afîlégez ,  qu'il  ne  vouloit  forcer  per- 
fonne  à  renoncer  à  l'obéiiTance  du  Pape  ,  ôc  à  prêter  ferment 
au  Czar  ;  qu'il  étoit  réfolu  de  fe  rendre  maître  de  la  ville ,  ou  de 
force ,  ou  du  confentement  des  habitans  :  Que  s'il  y  en  avoit 
qui  ne  vouluffent  pas  obéir  aux  Mofcovites  ,  on  leur  donne- 
roit  un  fauf-conduit ,  pour  fe  retirer  en  Allemagne  :  Que  la 
vie  ôc  les  biens  feroient  confervez  à  ceux  qui  voudroient  re- 
connoître  le  grand  Duc  pour  leur  Souverain  ;  mais  qu'on  fe- 
roit  mourir  ceux  qui  refuferoient  d'accepter  ou  l'un  ou  l'autre 
parti  ;  qu'enfin  ils  n'avoient  que  peu  de  tems  pour  déterminer 
ce  qu'ils  avoient  à  faire ,  puifque  les  portes  de  la  ville  feroient 
fûrement  forcées  le  lendemain  au  matin.  Enfin  la  ville  fe  ren- 
dit le  18  de  Juillet ,  malgré  l'oppofition  du  Gouverneur,  de 
îa  garnifon  ôc  des  Prêtres.  Deux  cens  Gentilshommes  des  plus 
qualifiez,  ôc  autant  de  Dames,  aimèrent  mieux  abandonner 
leur  payis ,  que  de  renoncer  au  Pape ,  ôc  que  de  fe  donner  aux 
Mofcovites.  Ce  départ  fut  un  trifte  fpeâacle.  On  voyoit  le 
mari  quitter  fa  femme  ,  la  fœur  fon  frère ,  les  enfans  leur  père 
ôc  leur  mère ,  ôc  ceux  qui  étoient  unis  par  les  liens  du  fang 
le  féparer.  Les  autres  aimèrent  mieux  céder  à  la  néceflité ,  que 
d'abandonner  leurs  maifons  par  attachement  au  S.  Siège  ,  qu'ils 
ne  reconnoiffoient  pas  ,  quoiqu'ils  euffent  d'ailleurs  une  grande 
haine  pour  les  Mofcovites.  LesTartares,  quis'étoient  promis 
un  riche  butin  dans  le  pillage  de  la  ville ,  ne  goûtoient  guéres 
les  conditions  d'un  traité  >  qui  leur  déroboit  leur  proye.  Déjà 
ils  bandoient  leurs  arcs  contre  les  Livoniens ,  qui  feretiroient 
fur  la  foi  publique ,  lorfque  les  cris  ôc  les  hurlemens  des  femmes 
ayant  été  entendus  du  Général ,  il  fît  fonner  la  retraite ,  ôc  arrê- 
ta la  fureur  des  barbares.  Ces  malheureux  habitans  ayant  traverfé 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XXL         291 

l'armée  ennemie ,  ôc  évité  la  fureur  des  Tartares,  arrivèrent  en-  ■—MtUfclaM— 
fin  à  Revel ,  d'où  quelques-uns  fe  retirèrent  àLubec.  Herman  pjENRI  \\ 
de  Wefel  delà  maifon  de  Reck  ,  évêque  de  la  ville  ,  fut  détenu  'y -  -.  g 
queîque-tems  prifonnier  dans  le  couvent  de  Falkenaw  3  puis 
mené  en  Mofcovie.  Tel  fut  le  fort  de  la  ville  de  Derpt,  qui  ayant 
été  autrefois  fous  la  domination  des  Ruffiens ,  avoit  été  prife 
parWolquin  grand-Maître  de  l'Ordre,  où  Herman  avoit  établi 
le  liège  Epifcopal  en  l'année  1230,  ôc  qui  revint  enfin  fous 
l'empire  de  fes  anciens  maîtres.  La  jaloufie  de  deux  puiffans 
partis  fut  caufe  de  cet  événement.  Les  Prêtres  ôc  les  Catholi- 
ques imputoient  ce  malheur  aux  Chevaliers ,  ôc  à  ceux  qui 
fuivoîent  la  Confefllon  d'Aufbourg.  Mais  plufieurs  difoient 
que  les  deux  partis  avoient  caufé  également  la  prife  de  la  ville? 
que  prefque  tous  amollis  par  les  plaifirs  ,  ôc  plongez  dans  de 
honteufes  débauches ,  avoient  renoncé  au  célibat  ,  ôc  que  leurs 
grands  biens  ne  pouvant  fuffire  à  entretenir  leur  luxe  ,  ils  dé- 
voroient  le  miferable  peuple  ,  le  furchargeoient  d'impôts  3  lui 
faifoient  toutes  fortes  d'outrages  ,  ôc  le  chargeoient  de  coups, 
comme  de  vils  efclaves  j  qu'enfin  ils  s'abandonnoient  à  tous 
les  excès  ,  qui  attirent  tôt  ou  tard  les  vengences  d'un  Dieu  tou- 
jours jufte,  quoique  lent  à  punir. 

Les  autres  villes  de  la  province ,  étonnées  des  progrès  que 
faifoient  les  Mofcovites  ,  ne  pouvant  compter  fur  leurs  pro* 
près  forces  ,  ôc  n'ayant  aucune  efpérance  du  côté  de  l'Empire, 
furent  contraintes  de  s'adrefTer  aux  Princes  voifins.  Ceux  de 
Revel ,  à  qui  le  Czar  avoit  déclaré  la  guerre  par  des  lettres 
remplies  de  menaces  ,  ôc  la  Nobleffe  de  ce  territoire ,  envoyè- 
rent des  députez  à  Chriftierne  III.  roi  de  Dannemarc ,  pour  lui 
offrir  de  mettre  fous  fa  prote&io'n  royale  ,  leur  ville  ,  Ôc  les 
payis  d'Harlandt  3  de  "Wirlandt ,  Ôc  d'Eften  :  ôc  pour  lui  dire 
que  la  juftice  ôc  la  reconnoifTance  les  obligeoient  ,  auiïi-bien 
que  la  néceflité^de  lui  faire  ces propofitions  ;  puifque  Walde- 
mar  II.  roi  de  Dannemarc  avoit  bâti  leur  ville  ,  ôc  que  la 
nobleffe  de  Wirlandt  Ôc  d'Eften  tenoit  de  ce  même  Prince  fes 
plus  beaux  privilèges.  Mais  Chriftierne,  prince  modéré,  déjà 
vieux  ,  ôc  fe  voyant  près  de  fa  fin  ,  refufa  d'entrer  dans  cette 
guerre  :  il  allégua  la  foibleffe  de  fon  âge ,  peu  propre  à  foûte- 
nir  tant  de  foins  ,  ôc  un  fi  grand  fardeau  ;  ôc  dit  ,  qu'il  ne 
penfoit  point  à  étendre  fes  Etats,  en  y  joignant  ce  qui  ne  lui 

Ooij 


191.  HISTOIRE 

appartenoit  pas  ;  qu'au  refte  il  n'étoit  pas  fi  puiffailt  qu'ils  fe 
Henri  II   ^magui°ient  >  n*  en  état  de  défendre  des  peuples   éloignez 
I       g    '  contre  un  ennemi  fi  redoutable.    Enfuite  il  les  congédia  avec 
des  marques  de  bonté  s  leur  ayant  donné  de  l'argent,  des  vivres^ 
&  fur  tout  de  la  poudre  ,  dont  ils  manquoient.  Cependant  le 
Prince  de  Mekelbourg  3  qui  avoit  fuccedé  à  Guillaume  3  arche- 
vêque de  Riga  3  ôc  qui  avoit  été  confirmé  dans  fa  dignité  par 
Frédéric  "Wolckerfam  3  afîembla  une  armée  ,  ôc  étant  entré 
dans  le  payis  de  Derpt,  tailla  en  pièces  les  Mofcovites  au- 
près du  village  de  Torefer  3  ôc   reprit  le  château  de  Ringen. 
Mais  la  rigueur  de  l'hiver  l'empêcha  de  faire  de  plus  grands 
progrès,  Peu  après  ,  ôc  au  commencement  de  l'année  fuivante., 
les  Mofcovites  entrèrent  par  un  autre  côté  dans  le  payis  de 
Riga ,  à  la  faveur  des  rivières  glacées  ,  y  firent  de  grands  dé-, 
gâts  ôc  vengèrent  leur  dernière  défaite. 
Mort    de        Enfin  le  2 1  de  Septembre,  jour  de  S.  Mathieu ,  l'Empereur 
Charle  v.      Charle  V.  père   de  Philippe  roi  d'Efpagne  finit  i^cs  jours  ac- 
Réflexions  fur  caD]i  d'infirmitez.  -Il  avoit  vu  mourir  au  mois  de  Février  de 

les  grandes  A  .  .     , 

quahtez  de  ce  cette  même  année  la  reine  iileonor  la  iœur ,  qui  avoit  epoule 
Prince.  Emanuel    roi   de  Portugal  3  ôc  enfuite   François  I.  roi   de 

France.  Avant  que  Charle  mourût ,  on  avoit  vu.  le  treizième 
d'Août  fur  le  foir  une  Comète ,  fous  la  chevelure  de  Bérénice, 
dont  la  queue  paroiflbit  regarder  l'Efpagne  ,  ôc  qui  s'avançant 
enfuite  vers  l'Orient  ne  parut  plus  le  cinquième  de  Septem- 
bre. On  peut  dire  à  l'égard  de  ce  Prince  3  que  la  Vertu  fem- 
bla  difputer  avec  la  Fortune  3  pour  l'élever  à  l'envi  lune  de 
l'autre  au  plus  haut  point  de  la  félicité  ,  dont  il  étoit  digne  ? 
ôc  je  ne  crois  pas  que  notre  fiécle.,  ni  les  temsles  plus  recu- 
lez puiiTent  nous  donner  uir  modèle  d'un  prince  orné  de  plus 
de  vertus ,  ôc  plus  digne  d'être  propofé  aux  Souverains ,  qui 
veulent  gouverner  par  des  principes  de  juftice  ôc  de  vertu, 
Car  que  lui  manqua-t-il  3  pour  être  un  prince  accompli  ;  foit 
qu'on  confidere  fon  génie  ôc  fa  prudence  dans  la  conduite 
de  fes  defleins  3  fa  fermeté  dans  les  malheurs  3  fa  modération 
dans  laprofperité  ;  foit  qu'on  fe  reprefente  fon  fang  froid  dans 
les  dangers  ,  fon  éloignement  des  plaifirs ,  ou  enfin  fa  juftice ; 
vertu,  qui  met  le  comble  aux  grandes  qualités  des  Souverains  ? 
Sa  vie  fut  ferieufe  dès  l'enfance  3  ôc  depuis  toujours  agitée  par 
de  grandes  affaires  ,  par  de  longs  voyages  3  ôc  par  diverfes 


DE  J.  A,  DE    THOU,  Liv.  XXL        a^ 

expéditions  de  guerre.  Nous  pouvons  ajouter  fans  flaterie  , 
que  depuis  qu'il  fut  élevé  à  l'Empire  ,  la  Religion  fut  fon  objet  J|ENRI  H, 
principal ,  ôc  qu'on  doit  rapporter  à  ce  motif  prefque  tout  ce  l  y  ^  g, 
qu'il  fit  durant  la  guerre  ôc  durant  la  paix ,  ôc  fur  tout  ce 
qu'il  entreprit  pour  procurer  ,  malgré  des  obftacles  infinis  , 
un  Concile  légitime  ,  qui  pût  mettre  la  paix  dans  l'Eglife  ; 
defTein,  qui  fut  tant  de  fois  traverfé,  foit  par  l'ambition  des 
Papes  ,  qui  n'agifloient  pas  en  cela  de  bonne  foi ,  foit  par  nos 
guerres  toujours  renouvellées  avec  un  malheureux  fuccès. 
Cependant  il  fuivit  toujours  ce  pieux  projet,  ôc  en  vint  heu- 
reufement  à  bout  :  de  forte  qu'on  ne  doit  point  s'étonner  3 
que  les  defleins ,  les  difeours ,  ôc  les  actions  d'un  Prince  qui 
avoit  des  vues  fi  religieufes  ,  ayent  toujours  été  éclairez,  ôc 
favorifez  par  le  fecours  du  ciel.  Au  contraire  il  feroit  furpre- 
nant,  qu'un  Empereur  qui  prit  toujours  la  juftice  ôc  la  pieté 
pour  règle  de  fes  actions  ,  qui  forma  fes  miniftres  aux  mêmes 
vertus  ,  ôc  laiiTa  au  Roi  fon  fils  un  Etat  appuyé  fur  de  fi  foli- 
des  fondemens  ,  n'eût  pas  tranfmis  à  fes  defeendans  ôc  per- 
pétué dans  fa  famille  ,  inftruite  par  de  fi  bons  exemples,  ce 
bonheur  dont  il  a  joui  toute  fa  vie.  Je  dirai  cependant,  que 
plufieurs  ont  regardé  Charle  V.  comme  un  prince  trop  fin  , 
ôc  plus  artificieux  qu'il  ne  lui  convenoit  dans  une  fi  haute  for- 
tune. On  affure  qu'il  prenoit  beaucoup  de  plaifir  à  lire  la  Vie 
de  Louis  XL  écrite  par  Philippe  de  Comines,  auteur  très-fage 
ôctrès  fenfé  ;  ouvrage  où  je  conviens  que  l'on  trouve  de  grands 
préceptes  de  prudence  ôc  de  bonne  conduite,  mais  où  il  faut 
demeurer  d'accord  que  l'on  voit  aufîi  plufieurs  exemples  qui 
marquent  un  efprit  fourbe  ôc  difïimulé ,  ôc  une  ame  peu  royale, 
On  blâme  dans  Charle  ce  voyage  qu'il  fit  par  les  provinces 
de  la  France  ,  pour  aller  au  plus  vite  appaifer  les  troubles  qu'a- 
voient  élevez  les  Gantois.il  pafTa  par  laFrance  comme  un  renard* 
il  y  trompa  le  connétable  Anne  de  Montmorenci ,  qui  ayant 
trompé  le  Roi  à  fon  tour  ,  fut  renvoyé  pour  ce  fujet  dans  fes 
terres  :  cependant  on  peut  exeufer  Charle  en  cette  occafion. 
On  reproche  fur-tout  à  fa  mémoire  la  captivité  du  Land- 
grave de  HeiTe  >  qui  contre  la  foi  donnée ,  fut  enfermé  cinq 
ans  dans  une  étroite  prifon ,  fous  prétexte  d'un  traité  dont 
quelques  termes  étoient  équivoques  ôc  captieux ,  ôc  qui  fut  du- 
rant tout  ce  tems  l'objet  des  railleries  ameres  des  Efpagnols  i 

O  o  iij 


2<?4  HISTOIRE 

procédé  non- feulement  honteux  ,  ôc  indigne   de  ce  prince 
Henri  IL  (  °IU^  cependant  agit  alors  moins  de  fon  propre  mouvement, 
i  y  5"  8.     <3ue  Par  les  confeilsdu  duc  d'Albe  &  de  Granvelle)  mais  qui 
lui  fut  encore  très-préjudiciable.  Carie  duc  Maurice,  qui  lui 
avoit  rendu  de  fi  grands  fetvices ,  ôc  qui  avoit  tant  contribué  à 
affermir  fon  autorité  en  Allemagne  ,  quitta  fon  parti,  indigné 
de  cette  infidélité ,  ôc  lui  fit  perdre  par  cette  défection  le  fruit 
de  tant  de  victoires.  Ce  malheur  fut  fuivi  du  iiége  de  Mets ,  où 
Châtie  échoua  avec  toutes  fes  forces,  6c   l'année  fuivante, 
de  la  bataille  de  Renti ,  dont  chaque  parti  s'attribua  le  fuc- 
ces.  Mais  ces  taches ,  qui  viennent  de  l'infirmité  humaine,  doi- 
vent moins  paroître  dans  un  Prince  élevé  fi  haut ,  &  font  com- 
me effacées  par  tant  d'aoions  dignes  de  l'immortalité.  La  fin 
d'une  vie  remplie  de  tant  de  merveilles  fut  fur-tout  admira- 
ble, ôc  fit  mieux  voir  encore  la  grandeur  d'ame  de  cet  Em- 
pereur, que  tout  ce  qu'il  avoit  fait.  Après  avoir  remporté  tant 
de  victoires  il  fait  fe  vaincre  lui-même.  Pour  mener  une  vie 
plus  chrétienne  ôc  plus  tranquille,  il  abandonna  une  vie  agitée; 
ôc  après  avoir  vécu  pour  fes  peuples ,  il  commença  à  vivre  pour 
lui-même,  ôc  pour  Dieu.  Il  fe  retira  les  deux  dernières  années  de 
fa  vie  dans  un  monaftere  de  l'ordre  des  Jeronimites  ,  où  con- 
duit par  les  avis  de  fon  Confeffeur  nommé  Conftantin,  il  fe 
confoloit  dans  fa  retraite,  par  la  lecture  des  ouvrages  defaint 
Bernard  né  François t  ôc  où  s'uniffant  à  Dieu  par  la  prière,  il 
difoit  fouvent  ces  paroles  :  Qu'il  étoit  indigne  d'obtenir  le 
royaume  du  ciel  par  fes  propres  mérites  ;  mais  qu'il  comptoit 
uniquement  fur  ceux  du  Seigneur  fon  Dieu  ,  à  qui  le  ciel  ap- 
partenoit  par  deux  droits  différens ,  ôc  comme  fils  du  Père  éter- 
nel, ôc  comme  ayant  fouffert  la  mort  fur  la  croix  5  que  le 
Sauveur  content  de  jouir  du  célefte  héritage  en  vertu  du  pre- 
mier titre  ,  lui  faifoit  part  du  fécond  ;  qu'il  y  prétendait  par 
cette  feule  raifon ,  ôc  qu'il  fe  confioit  que  fon  efpérance  ne 
feroit  point  confondue  :  Que  l'huile  de  la  miféricorde  ne  cou- 
loit  pour  ainfi  dire ,  que  dans  les  vafes  de  la  confiance ,  ôc  que 
cette  confiance  confiftoit  à  ne  point  compter  fur  foi ,  ôc  à  s'ap- 
puyer uniquement  fur  fon  Dieu  :  que  c'étoit  être  perfide ,  ôc 
non  fidèle  de  penfer  autrement  ;  que  nos  crimes  nous  étoient 
pardonnez  par  la  pure  bonté  du  Seigneur ,  ôc  que  nous  de- 
vions croire,  que  celui-là  feulpeut  effacer  les  péchez,  contre 


DE  T.  A.  DE  THOU  Liv.  XXL  29$ 
qui  nous  avons  péché  .>  dans  qui  il  n'y  a  point  de  péché  ,  ôc 
par  qui  feul  nos  péchez  nous  font  remis.  Henri  IL 

Enfin  une  fièvre  aiguë  s'étant  jointe  à  une  maladie  de  lan-  1  ç  r  8. 
gueur  ,  il  prit  le  crucifix  ,  qu'il  embraffa  avec  une  grande  fer- 
veur ,  ôc  dit  tout  haut ,  qu'il  n'attendoit  fon  falut  que  d'un 
Dieu  crucifié.  Ayant  reçu  le  viatique  :  Demeurez  en  moi,  dit- 
il,  aimable  Sauveur,  afin  que  je  demeure  en  vous.  Il  expira 
en  difant  ces  mots ,  ôc  finit  une  vie  comblée  de  gloire ,  en  ren- 
dant fon  ame  à  Dieu ,  de  qui  il Tavoit  reçue.  Il  vécut  cinquan- 
te-huit ans  fix  mois,  ôc  vingt-cinq  jours,  ôc  mourut,  après 
avoir  gouverné  quarante  ans  fes  payis  héréditaires,  ôc  tenu 
l'Empire  trente  ôc  un  ans.  Il  y  avoit  dix  ans ,  qu'étant  à  Auf- 
Bourg ,  après  avoir  abaiffé  les  Princes  d'Allemagne ,  il  avoit  fait 
fon  teftament ,  par  lequel  il  exhortoit  le  Prince  fon  fils  ,  qui 
étoit  abfent ,  à  fe  charger  du  gouvernement  de  fes  Etats.  Iî 
lui  recommandoit  la  pieté  fur  toutes  chofes ,  ôc  difoit  qu'après 
avoir  effayé  différens  moyens,  pour  appaifer  les  troubles  fur 
îe  fait  de  la  Religion ,  il  n'en  avoir  point  trouvé  de  plus  con- 
venable, que  la  célébration  d'un  Concile  ;  qu'il  lui  ordonnohy 
fi  Dieu  difpofoit  de  lui,  de  faire  tous  fes  efforts  avec  l'Empe- 
reur Ferdinand,  ôc  les  autres  Princes  Chrétiens  ,pour  mettre 
la  dernière  main  à  un  ouvrage  qu'il  avoit  entrepris  pour  la 
gloire  de  Dieu.  Il  confeilloit  au  Prince  d'aimer  la  paix  ,  que 
Dieu  a  tant  recommandée  aux  hommes ,  ôc  de  n'entreprendre 
aucune  guerre,  fi  elle  n'étoit très-jufte ,  ôc  s'il  n'y  étoit forcé. 
Après  cela  il  lui  donnoit  de  fages  préceptes  ,  pour  lui  appren- 
dre de  quelle  manière  il  devoit  fe  conduire  avec  le  Roi  des 
Romains,  ôc  les  Princes  fes  enfans,  avec  les  autres  puiffances 
de  l'Empire ,  avec  les  Allemands  ,  ôc  les  cantons  SuifTes ,  avec 
la  République  de  Venife,  avec  les  Ducs  de  Florence,  de  Fer- 
rare,  ôc  de  Mantouë,  avec  les  Républiques  de  Gènes,  ôc  de 
Sienne  ,  avec  le  Roi  de  France,  ôc  enfin  avec  les  fouverains 
Pontifes  ,  qui  étoient  mal  intentionnez ,  à  caufe  de  la  Pragma- 
tique de  Caftille ,  ôc  des  droits  litigieux  qu'ils  prétendoient  fur 
les  Royaumes  de  Naples  ôc  de  Sicile,  Il  ajoûitoit,  qu'il  fal- 
loit  toujours  être  fournis  au  faint  Siège,  fans  avoir  égard  aux 
bonnes  ou  mauvaifes  qualitez  de  ceux  qui  l'occupoient.  Il  fe  plai- 
gnoit  dans  ce  teftament  de  Paul  III.  qui  n'avoit  pas  agi  de 
fconne  foi  avec  lui,  au  fujet  de  la  convocation  d'un  Concile^- 


z96  HISTOIRE 

Enfuite  il  prefcrivoit  à  Philippe  fon  fils  ce  qu'il  devoit  faire  en 
Henri  II.  faveur  du  auc  deSavoye,ôc  de  fon  fils  ,  pour  les  rétablir  dans 
!  j  j§(  leurs  Etats*  Il  lui  confeilloit  encore  d'entretenir  les  traitez  d'al- 
liance avec  l'Angleterre ,  ôc  d'être  uni  d'amitié  avec  rEcoffe; 
de  ne  point  inquiéter  le  Roi  de  Dannemarc ,  au  fujet  des  dif- 
férends qu'on  avoir  eus  avec  fon  prédeceffeur  >  de  donner  le 
gouvernement  des  Indes  à  desVicerois,  gensde  bien,  éloignez 
de  toute  avarice ,  ôc  de  toute  avidité  s  ces  payis  exigeant  de 
lui  une  attention  d'autant  plus  grande,  qu'ils  étoient  plus  re- 
culez. Enfuite  il  luiparloitdu  mariage  des  PrincefTes  fes  filles, 
ôc  confeilloit  à  Philippe  d'époufer  ou  la  fille  du  Roi  de  Fran- 
ce ,  ou  l'héritière  de  la  maifon  d'Albret ,  princeffe  d'une  fanté 
vigoureufe,  d'un  caraftere  admirable,  vertueufe,  ôc  d'un  cœur 
digne  de  fa  nahTance.  Après  lui  avoir  donné  ces  éloges,  il 
ajoûtoit  qu'il  falloit  avant  que  défaire  cette  alliance,  conve- 
nir avec  elle  de  fes  droits.  Car  ce  fage  Prince  avoit  fur-tour 
en  vue  qu'on  rendît  juftice  à  la  maifon  d'Albret ,  à  qui  on  avoit 
enlevé  le  Royaume  de  Navarre,  ôc  qu'enfuite  on  unît  cette 
Couronne ,  par  le  mariage  de  la  Princeffe ,  aux  autres  de  l'Ef- 
pagne.  C'eft  pourquoi  il  fouhaitoit  qu'on  lui  remît  Jeanne 
d'Albret ,  du  confentement  du  Roi  Henri  fon  père. 

Il  fit  enfuite  peu  de  jours  avant  fa  mort  un  codicile,  qui  fut 
inféré  dans  le  teflament  de  Philippe.  Il  difoit  dans  cet  écrit, 
qu'il  croyoit  que  Ferdinand  fon  ayeul  avoit  eu  de  jufres  rai- 
fons  pour  réduire  la  Navarre  fous  fon  obéiffance  5  que  cepen- 
dant il  prioit  Philippe  de  fatisfaire  ceux  fur  qui  on  lavoit  con- 
*  Codicile  de  qUife.  Ilajoûtoit  à  cela  certaines  conditions,  qui  furent peut- 
Swfa-réfti-  ^tre  al°rs  employées,  à  deffein  d'éluder  la  reftitution  de  cet 
tution  de  la     Etat ,  ou  qui  furent  interprétées  depuis  avec  plus  de  fubtilité 
Navarre.         ^  ^Q  détours ,  que  de  bonne  foi.  Enforte  que  les  Princes  qui 
y  avoient  le  principal  intérêt,  ôc  nos  Rois  même,  ont  efperé 
en  vain  jufqu'ici  de  recouvrer  ce  Royaume.  Charle  laifla  trois 
enfans  d'Elizabeth  de  Portugal  ;  Philippe  fon  fuccefleur,  Ma- 
rie Augufte ,  qui  époufa  Maximilien  IL  fon  coufin  germain, 
ôc  Jeanne  qui  fut  mariée  à  Jean  prince  de  Portugal ,  dont  for- 
tit  Sebaftien , fils  pofthume,  qui  fut  Roi  après  fon  ayeul.  Avant 
que  d'être  marié ,  Charle  eut  d'une  maîtreffe  la  Princeffe  Mar- 
guerite, femme  d'Alexandre  de  Medicis ,  ôc  enfuite  d'Ottavio 
Farnefe  duc  de  Parme.  Ayant  perdu  l'Impératrice  long-ten^ 

avant 


DE  J.  A.  DE   T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXL       191 

avant  fa  mort ,  il  eut  Dom  Juan  d'Autriche  d'une  dame  de 
Rati/bonne.  Au  refle  ce  Prince  eut  tant  de  retenue  par  rap-  7J~ 
port  à  fes  foibleffes ,  qu'excepté  fes  plus  affidez  domeftiques,  "ENRI  ■ 
on  ignora  toujours  le  nom  de  la  mère  de  Marguerite,  &  qu'il  l  ^  $ 
ne  parla  jamais  de  Dom  Juan,  que  peu  de  jours  avant  fa  mort, 
îorfqu'il  chargea  quelques-uns  de  fes  courtifans  de  le  recom- 
mander de  fa  part  au  Roi  Philippe.  Ce  qui  doit  fervir  de  leçon, 
fur-tout  aux  Princes,  ôc  leur  apprendre  à  refpecterle  public,lorf- 
qu'ils  ont  commis  des  fautes,  &  à  prendre  foin  de  les  lui  cacher. 
La  mort  de  Charle  V.  fut  bien-tôt  fuivie  de  celle  de  Ma- 
rie reine  de  Hongrie  fa  fœur,  qu'il  a imoit très-tendrement, 
ôc  qui  étant  morte  le  1 8  Octobre  furvécut  à  l'Empereur  un  peu 
moins  d'un  mois.  C'étoit  une  Princefle  d'une  vertu  ôc  d'une 
modeftie  dignes  des  premiers  tems ,  ôc  d'un  courage  au-  defliis 
de  fon  fexe.  Quoi  qu'elle  eût  toute  fa  vie  protégé  les  bon- 
nes mœurs  dans  fa  Cour ,  &  qu'elle  en  eût  banni  la  galan- 
terie ,  cependant  nos  François  }  en  haine  des  courfes  que  fai- 
foient  fur  eux  les  Impériaux ,  lorfqu'elle  étoit  gouvernante  des 
Payis-bas ,  oferent  la  décrier  par  des  fatyres  ôc  par  des  chan- 
fons  compofées  avec  une  licence  militaire  ;  comme  11  elle 
avoit  eu  quelque  penchant  pour  Barbançon ,  le  feigneur  le 
mieux  fait  de  fon  tems,  mais  dont  la  conduite  fage  ôc  refpec- 
tueufe  égaloit  fes  autres  belles  qualitez.  Elle  avoit  tant  d'éloi- 
gnement  pour  le  vice ,  qu'on  lui  reprochoit  mal  à  propos,  qu'un 
Seigneur  favori  de  l'Empereur  foi*  frère  ayant  féduit  une  de 
fes  filles  d'honneur,  elle  ne  voulut  jamais  lui  pardonner ,  quoi- 
que ce  Prince  l'en  priât  ;  ôc  qu'elle  déclara  ,  que  s'il  ofoit  le 
préfenter  devant  elle  ,  fut-ce  même  à  la  fuite  de  l'Empereur, 
elle  le  feroit  mourir.  Philippe  rendit  à  Bruxelles  les  derniers 
devoirs  à  fon  père  avec  une  magnificence  extraordinaire.  Il 
avoit  fait  conftruire  un  vaiffeau  avec  beaucoup  d'art  3  où  l'on 
voyoit  l'Efpérance  debout  près  de  la  prouë,  la  Foi  qui  tenoit 
une  croix,  ôc  étoit  afîife  fur  un  thrône  près  le  malt ,  ôc  la  Cha- 
rité ,  qui  tenoit  le  gouvernail.  Philippe  vouloir  faire  voir  par 
cette  reprefentation,  que  fon  père  n'avoit  eu  d'autre  deifein,  du- 
rant le  cours  de  fa  vie  agitée ,  comme  la  mer,  de  fréquentes  tem- 
pêtes, que  de  procurer  la  gloire  de  Pieu  ,  Ôc  de  l'augmenter  ,, 

r  r  j  Mort  de  quel* 

par  toutes  lortes  de  moyens.  qucs  hommes 

Cette  année  fut  aufil  remarquable  par  la  mort  de  quelques  te  lettres, 
Tom,  IIL  Pp 


Fer  ne  t. 


29S  HISTOIRE 

-  hommes  illuftres  dans  la  République  des  lettres.  Jean  Bugen- 

Henri  IL  hagen  né  à  Wollin  dans  I'ifle  de  Wollin  en  Pomeranie ,  mou- 
i  5*  5  8.  rut  à  Wittemberg  le  2 1  de  Mars  dans  la  foixante  ôc  treizième 
année  de  fon  âge.  C'étoit  un  homme  d'un  efprit  doux  ôc  mo- 
déré, ôc  d'une  grande  érudition.  Six  jours  après  nous  perdîmes 
en  France  Jean  Fernel  d'Amiens ,  premier  médecin  du  Roi  5 
il  mourut  à  l'âge  de  cinquante- deux  ans  ,  ôc  fut  enterré  à 
Paris  ,  à  faint  Jacques  de  la  Boucherie.  Ce  grand  homme  s'é- 
tant  appliqué  long-tems  à  la  Philofophie ,  ôc  aux  Mathémati- 
ques avec  fuccès  ,  fe  donna  tout  entier  à  la  Médecine.  Il  a  fait 
des  traitez  fur  toute  la  Médecine ,  où  l'on  remarque  un  fça- 
voir  profond  ,  ôc  un  ftile  pur  ôc  poli.  Quoique  la  mort  l'ait 
empêché  de  mettre  au  jour  tous  fes  écrits ,  ôc  le  livre  de  fes 
Obfervations  fi  fouhaité  du  public ,  cependant  les  ouvrages  que 
nous  avons  de  lui,  lui  ont  acquis  tant  d'honneur  dans  toute  l'Eu- 
rope, que  l'Ecole  de  Médecine  de  Paris  fera  toujours  endroit 
de  fe  glorifier  d'avoir  formé  dans  fon  fein  un  fi  digne  élevé. 
Un  autre  grand  Médecin  mourut  aufïi  peu  après  cette  même 
année.  Ce  fut  Cornaro  de  Zuickaw  ,  qui  ayant  mis  au  jour, 
ôc  traduit  en  Latin  la  plupart  des  Philofophes ,  des  Médecins, 
ôc  des  Théologiens  Grecs ,  a  rendu  de  grands  fervices  aux  gens 
de  Lettres.  Il  finit  fes  jours  dans  fa  patrie  le  1 6  de  Mars  âgé  de 
cinquante-huit  ans.  On  perdit  aufli  cette  année  Jacque  Mi- 
cylle  né  à  Strafbourg  la  troifiéme  année  de  ce  fiécle.  Il  étoit 
ami  particulier  de  Joachim  Camerarius.  Après  avoir  enfeigné 
long-tems  avec  une  grande  réputation  les  humanitez  à  Wit- 
temberg,ôc  donné  plufieurs  ouvrages  eltimez,il  mourut  le  28 
de  Janvier. 

Jean  Pena ,  né  à  Aix  d'une  famille  diftinguée  dans  la  magif- 
trature,  le  fuivitde  près.  Il  fut  célèbre  par  la  connoilTance  pro- 
fonde des  Mathématiques, dont  il  infpira  le  goût  à  Pierre  Ra- 
mus ,  lorsqu'ils  enfeignoient  l'un  ôc  l'autre  à  Paris  dans  le  col- 
lège de  Prefle.  Ce  fut  lui  qui  mit  au  jour  plufieurs  ouvrages 
d'Euclide,  qu'on  n'avoit  point  encore  publiez.  Il  les  traduifit 
en  latin ,  ôc  y  joignit  des  commentaires.  Dans  la  préface  qui 
eft  à  la  tête  des  Catoptriques ,  il  dit  plufieurs  chofes  de  l'ufa- 
ge  du  miroir  cylindrique ,  qui  font  prefque  incroyables ,  ôc 
qui  donnent  de  l'étonnement,  comme  files  effets  n'en  étoient 
pas  naturels.  Lorfqu'on  avoit  tout  lieu  d'attendre  encore  de 


DE   J.   A.    DE   THOU,Liv.  XXL       299 

grandes  choies  de  lui, il  rut  emporte  par  une  hevre  violente  a _ 

l'âge  de  trente  ans  ,1e  23  d'Août ,  ôc  fut  enterré  à  Paris  dans  le  Henri  11. 
cloître  des  Carmes.  Romulus  Amafeo  mourut  aufïi  à  Rome  l  S  S  b# 
iemême  mois  ,  dans  fa  foixante-neuviéme  année.  Il  étoitné  à 
Udine  ,  qui  fut  la  patrie  de  Robortello  ôc  de  Luifino  ;  mais  fa 
famille étoit  originaire  de  Boulogne,  où  il  enfeigna long-tems 
avec  réputation  le  Grec  ôc  le  Latin ,  6c  où  il  époufa  une  fem- 
me de  la  maifon  de  Guafta-Viliani.  Cette  alliance  jointe  à  fon 
mérite  lui  fit  rendre  le  droit  de  citoyen  de  Boulogne  qu'il  avoit 
perdu ,  avec  les  privilèges  qui  y  font  attachez.-  Enfuite  le  Pa- 
pe Paul  III.  le  fit  venir  à  Rome  ,  pour  être  le  précepteur  du 
Cardinal  Alexandre  fon  neveu  5  emploi ,  dont  il  s'acquitta  fî 
dignement,  que  le  fouverain  Pontife  l'honora  fuccefhvement 
de  plufieurs  Ambaffades  auprès  de  l'Empereur ,  &  de  divers 
Princes  de  l'Allemagne,  ôc  auprès  du  Roi  de  Pologne.  Ayant 
perdu  fa  femme  fous  le  pontificat  de  Jule  III.  il  vint  à  Rome 
auprès  du  Pape  ,  ôc  fut  regardé  dans  cette  Cour  comme 
l'homme  le  plus  diftingué  entre  les  fçavans  de  ce  tems-là. 
Plufieurs  ouvrages  qu'il  a  mis  au  jour  rendent  témoignage  de 
fon  grand  fçavoir  ,  qu'il  tranfmit  à  Pompilio  fon  fils *  comme 
une  riche  fuccefïïon. 

Le  2 1  d'Oclobre  Jule  Cefar  Scaliffer  âs[é  de  foixante  ôc  JULE  ScAU 
quinze  ans  mourut  a  Agen  en  Guienne,  ou  u  s  etoit  marie.  .L  an- 
tiquité n'a  point  produit  un  plus  grand  homme*  ôc  notre  fiécle 
n'a  point  eu  de  fçavant  qui  l'égalât.  Car  fans  parler  de  fa  l  no- 
bleffe  ,  dont  tout  le  monde  convient*  il  furpafTa  tous  les  hom- 
mes de  fon  rems ,  par  la  force  de  fon  corps  ôc  par  la  fublimité 
de  fon  génie.  Quoiqu'il  eût  pafTé  fa  jeunefTe  dans  les  emplois 
de  la  guerre,  où  il  s'acquit  beaucoup  d'honneur  par  fon  cou- 
rage ,  ôc  par  fon  habileté  dans  l'art  militaire ,  ôc  qu'il  ne  fe 
fût  appliqué  aux  fciences  qu'allez  tard ,  cependant  il  y  fit  de 
il  grands  progrès  par  la  force  de  fon  génie  ,  qu'il  joignit  à  une 
parfaite  connoiffance  de  la Philofophie, celle  des  langues*  ôc 
fur-tout  de  la  Grecque  ôc  de  la  Latine ,  où  il  a  excellé ,  comme 
îe  prouvent  la  profe  ôc  les  vers  que  nous  avons  de  lui.  Quoi- 
qu'il eût  peut-être  un   jufte  fujet  de  fe  plaindre  d'Erafme,il 

1  Jule  Cefar  Scaliger  pre'tendoit  1  ont  difputé  cette  _  origine  ,  &  l'ont 
être  defcendu  des  Frinces  de  l'Efcale  accufé  d'une  vanité  ridicule  ;  quoi- 
fouverains  de  Vérone.    Plufieurs  lui   \    que  dife  M.  de  Thou. 

Ppij 


GER, 


3oo  HISTOIRE 

fit  un  ouvrage  contre  lui  trop  rempli  de  fiel  &  d'aigreur  ,  êc 
Henri  IL  peu  digne  de  deux  fi  grands  hommes.  Nous  avons  cet  écrit 

i  5"  c  8.  &  un  autre  qui  eft  plus  rat?e3  où  il  avoue  le  premier,  ôc  où 
l'on  reconnoît  la  même  amertume.  Dans  la  fuite  Scaliger, 
qui  étoit  né  généreux ,  fe  repentit  de  fon  emportement ,  6c 
marqua  dans  un  ouvrage ,  combien  il  étoit  mortifié  de  ne  s'être 
pas  reconcilié  avec  Erafme  avant  fa  mort;  ajoutant  qu'il avoit 
toujours  admiré  en  lui  un  grand  fçavoir  joint  à  une  pieté  fin- 
guliere,  un  goût  lur  ôc  exquis  dans  les  belles  lettres ,  ôc  un 
efpriten  quelque  forte  divin.  Nul  des  grands  hommes  de  l'an- 
tiquité ne  peut  entrer  feul  en  parallèle  avec  Scaliger,  foitque 
l'on  faffe  attention  à  fon  courage  ,  foit  que  l'on  penfe  aux  qua- 
litez  de  fon  efprit;  il  peut  être  comparé  tout  enfemble  àXé- 
nophon  ôc  à  Mafïiniffa.  Il  époufa ,  étant  déjà  allez  avancé  en 
âge ,  Andiette  de  Rocques  Lobéjac  fille  d'une  maifon  illus- 
tre ,  âgée  de  1 3  ans ,  dont  il  eut  plufieurs  enfans. 

Eloge  de  Le  dernier  de  tous  fut  Jofephjufte  Scaliger,  qui  vit  en- 
Scaliger.0  °P  core.  Celui-ci  marchant  fur  les  traces  de  fon  père  ,  l'emporte , 
au  jugement  de  tous  ,  fur  les  autres  fçavans  de  ce  tems  ,  ôc 
peut  être  regardé,  félon  l'exprefïion  d'un  homme  d'un  efprit 
fort  orné,  comme  un  autre  Apollon  entre  les  gens  de  Lettres. 
Sa  modeftie,  ôc  les  fervices  qu'il  m'a  rendus,  ne  me  permet* 
tent  pas  d'en  dire  d'avantage,  quoique  je  n'aye  pas  lieu  de 
craindre  de  bleffer  la  vérité  en  le  louant,  puifque  tout  ce  que 
je  pourrais  dire  ferait  fort  au-defTous  de  l'eftime  publique.  Je 
me  contente  donc  de  parler  de  lui  comme  en  paffant  ,  ôc 
d'honorer  par  un  filence  religieux  un  ami ,  qui  joint  à  un  ef- 
prit fublime  une  rare  probité.  J'ajouterai  feulement ,  qu'il  penfe 
comme  fon  père  du  fameux  Erafme  ,  ôc  du  démêlé  littéraire 
que  ces  deux  grands  hommes  eurent  enfemble  >  comme  je  viens 
de  le  dire. 

Cette  année  fut  encore  funefte  par  la  mort  d'Aloyfio  Lipo- 
mano ,  qu'on  vit  fuccefîivement  évêque  de  Modon,  de  Vérone, 
ôc  de  Bergame.  Ce  fut  un  homme  recommandable  par  l'inno- 
cence de  fes  mœurs ,  ôc  par  fon  érudition.  Quoique  employé 
en  diverfes  ambaffades ,  dont  il  s'acquitta  dignement  ,  il  ne 
fe  relâcha  jamais  de  fon  application  à  l'étude,  ôc  compofa,  au 
milieu  de  fes  pénibles  occupations ,  fes  ouvrages  fur  la  Genefe, 
fur  l'Exode  ;  Ôc  fur  les  Pfeaum.es.  Sur  la  lia  de  cette  année 


DE   J.   A.  DE  THOU3Liv.  XXL  30Ï 

André  Tiraqueau  finit  fes  jours.  Il  étoit  né  à  Fontenai  en  — ,i-""i-"ËËJÎ 
Poitou,  d'une  honnête  famille.  Joignant  à  une  grande  littérature  Henri  IL 
une  parfaite  connoiflance  du  Droit,  il  fut  le  plus  célèbre  Ju-  1558. 
rifconfulte  de  fon  tems.  Sa  réputation  le  fitchoifir  par  Fran- 
çois I.  pour  être  Confeiller  au  Parlement  de  Bordeaux  ,  ôc 
enfuite  par  Henri  IL  pour  remplir  une  pareille  Magiftrature 
dans  le  Parlement  de  Paris.  Il  laifla  une  nombreufe  pofterité 
ôc  un  grand  nombre  d  ouvrages ,  donnant  tous  les  ans  un  en- 
fant à  la  république  ,  ôc  un  livre  au  public.  Il  fit  un  grand 
honneur  à  la  patrie  ,  ainfi  que  les  Imberts  ,  les  Briffons  ,  les 
Vietes ,  ôc  les  Rapins }  qui  fe  font  diftinguez  dans  la  jurifpru- 
dence  ,  dans  les  Mathématiques  ,  ôc  dans  les  Belles-Lettres. 
Tous  ces  grands  hommes  ont  également  contribué  à  la  gloi- 
re de  la  France,  quia  fait  part  à  tous  les  payis,  où  les  Let- 
tres fleuriiTent ,  des  ouvrages  de  ces  fçavans.  Jean  Vergara 
Chanoine  de  Tolède  âgé  de  64  ans  ,  y  mourut  le  2 1  Février. 
Il  avoit  vu  mourir  1 3  ans  auparavant ,  ôc  le  même  mois ,  Fran- 
çois fon  frère  ,  fort  verfé  dans  les  langues  Grecque  ôc  Latine. 
Ils  travaillèrent  très-utilement  l'un  ôc  l'autre  ,  avec  Ferdinand 
de  Valladolid  ôc  Antoine  de  Nebrija,  à  l'édition  de  la  Bible 
de  Complute  ,  ou  d'Alcala  de  Henarez. 

Quoique  les  EcofTois  n'euflent  point  de  guerre  déclarée  avec  „  Affaires 
I  Angleterre  ,  on  ne  pouvoit  pas  dire  néanmoins  quils  eulient 
la  paix ,  les  deux  Nations  faifant  fans  ceife  des  actes  d'hoftili- 
té,  enlevant  des  beftiaux  ,  ou  brûlant  des  maifons.  Dans  ces 
efearmouches ,  où  il  y  avoit  fouvent  des  hommes  tuez  }  les 
Anglois  prirent  deux  Gentils-hommes  ,  Guillaume  Keith  fils 
du  Comte  Martial ,  ôc  Patrice  Grey  chef  de  cette  maifon.  Dans 
îe  même  tems,  les  Anglois  ayant  mis  une  flotte  en  mer  ,  dont 
Jean  Clare  étoit  Amiral  ,  pour  faire  le  dégât  fur  les  côtes 
d'Ecofle ,  firent  une  defeente  dans  les  Orcades  ,  Ôc  brûlèrent 
Kirkwalle  ville  épifcopale  (la  feule  de  toutes  ceslfles)  lituée  dans 
Mainland  la  plus  conlidérable  de  toutes.  Cette  action  ne  fut 
pas  long-tems  impunie.  Car  il  s'éieva  une  furieufe  tempête  , 
qui  difperfa  la  flotte  Angloife  ôc  l'éloigna  de  l'Jfle  ,  avant  que 
ceux  qu'on  avoit  mis  à  terre  ,  pudent  rentrer  dans  leurs  vaif- 
feaux ,  qui  battus  long-tems  par  les  vents  ,  eurent  bien  de  la 
peine  à  regagner  l'Angleterre.  Ceux  qui  étoient  reftez  dans 
Mainland  ,  furent  tous  taillez  en  pièces  par.  les  Infulaires.- 


d'Ecolle, 


502  HISTOIRE 

Il  y  eut  durant  le  cours  de  cette  même  année  de  grands 
Henri  II.  démêlez  fur  la  Religion,  fans  qu'on  pût  rien  décider.  Car  dans 
i  S  S  8-  le  tems  même  que  les  Prêtres  d'Ecofle  tâchoient  de  foûtenir 
leur  autorité  ôc  de  retenir  le  peuple  dans  l'ancienne  religion , 
par  les  châtimens  févéres  dont  on  puniflbit  les  Prédicans  5  ceux 
qui  penchoient  vers  les  nouvelles  opinions,  déchiroient  les  Ec- 
cléiiaftiques  par  de  fanglantes  fatyres  ,  ôc  faifoient  craindre  de 
plus  grands  troubles.  Ni  le  fupplice  de  Vaultier  de  Milli ,  qui 
avoit  été  dénoncé  par  Sommerville  ,  ôc  condamné  à  mort  > 
ni  le  banniffement  de  Paul  Mefan  ,  n'avoient  point  arrêté  la 
licence  des  fectaires.  Ils  oferent  bien  le  premier  jour  de  Sep- 
tembre,  fête  de  Saint  Gilles ,  renverfer  dans  la. boue  la  Chaffe 
de  ce  faint ,  qu'on  portoit  à  une  procefïion  folemnelle  dans 
Edimbourg.  Une  entreprife  aufîi  hardie  fit  connoître  aux 
Eccléfiaftiques,  que  leur  puiffance déclinoit.  Cependant,  com- 
me s'ils  euffent  eu  encore  leur  ancienne  autorité  ,  ils  indiquè- 
rent une  affemblée  générale  à  Edimbourg  pour  le  huitième  de 
Novembre  ,  afin  d'éprouver  s'ils  pouvoient  rétablir  leurs  affai- 
res chancelantes ,  en  faifant  voir  de  la  confiance  ôc  de  la  fer- 
meté. D'un  autre  côté  3  ceux  qui  favorifoient  les  Proteftans  , 
ôc  entre  autres  quelques  Gentilshommes  du  payis  de  Fife  ôc 
d'Anguish ,  ôc  plulieurs  bourgeois  des  villes  répandus  dans  les 
provinces,  exhortoient  les  peuples  à  embraffer  une  religion 
plus  pure  (  car  ils  parloient  ainfi  )  ôc  à  ne  fe  pas  laifTer  oppri- 
mer, eux  ôc  leurs  amis,  par  le  parti  le  plus  foible  >  ajoutant  , 
que  fi  leurs  adverfaires  vouloient  les  attaquer  dans  des  difputes 
réglées ,  ils  feroient  certainement  vaincus ,  ou  que  s'ils  ufoient 
de  violence ,  ils  ne  feroient  pas  les  plus  forts.  En  même-tems 
ils  préfentoient  un  écrit  ,  où  leur  doctrine  étoit  expofée ,  ôc  où 
fignoient  ceux  qui  agréoient  ces  nouveautez.  Ils  donnèrent  à 
cette  ligue  le  nom  de  Congrégation. 

Aufïi-tôt  ces  nouveaux  aflbciez  dreffent  un  cahier,  qui  con- 
tenoit  leurs  demandes ,  ôc  choififTent  Jacque  Sandlands  de  Cal- 
dera Gentilhomme  déjà  vieux ,  pour  le  prefenter  à  la  Reine 
Régente.  Ce  député  expofa  d'abord  à  cette  PrincefTe  1.les  rai- 
fons  preffantes,  qui  avoient  engagé  ceux  de  la  Congréga- 
tion à  l'envoyer  vers  elle  :  Qu'il  étoit  tems  que  fa  Majefté 

1  C'étoit  Marie  de  Lorraine  fille  de  Claude  I.  duc  de  Guife  ,  ôc  d'Antoinette 
éc  Bourbon  Vendôme. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXL 


03 


r:r-T. -— *-— .'■»"TW 


jj8. 


interpofàt  fon  autorité ,  fi  elle  vouloit  conferver  la  Religion  en 
Ecoffe ,  ôc  contenir  les  peuples  difpofez  à  la  révolte.  Enfuite 
il  demanda ,  que  les  Miniftres  de  l'Eglife  fe  ferviffent  d  une 
langue  qui  fut  entendue  de  tous  les  peuples  >  dans  les  prières 
publiques ,  ôc  dans  l'adminiftration  des  Sacremens  >  ôc  que  le 
peuple  pût  élire  fes  pafteurs,  fuivant  l'ancien  ufage.  Quoique 
la  Régente  favorifât  fecretement  la  cour  de  Rome ,  ôc  qu'elle 
fe  fut  engagée  à  lui  rendre  toute  forte  de  bons  offices  en  toute 
occafion  ;  cependant  après  de  longues  conférences  ôc  de  gran- 
des difputes ,  cette  Princeffe,  qui  craignoit  une  révolte, crût 
qu'il  falloit  fe  prêter  au  tems  ?  &  permit  au  parti  Proteftantde 
prier ,  d'adminiftrer  les  Sacremens ,  ôc  de  faire  les  autres  cé- 
rémonies en  langue  vulgaire.  Des  Gentilshommes  allèrent 
aufîi  à  Edimbourg  trouver  les  Théologiens  qui  y  étoient  affem- 
blez  ,  ôc  leur  firent  la  même  demande.  Mais  ceux-ci  répon- 
dirent ,  qu'à  l'égard  du  choix  des  miniftres  de  l'Eglife ,  il  falloit 
s'en  tenir  aux  règles  du  Droit  Canon  ,  ôc  aux  décifions  du 
Concile  de  Trente.  Comme  ils  témoignoient  beaucoup  d'é- 
loignement  des  Proteftans  ,  ceux  -  ci  envoyèrent  "encore  à 
Edimbourg  un  Seigneur  fort  eftimé  par  fon  fçavoir ,  qui  fut 
Jean  Areskin  Milord  de  Dunes  ,  par  engager  ces  Théolo- 
giens à  fe  relâcher  en  quelque  chofe,  Il  les  pria  par  le  culte 
que  les  hommes  doivent  à  Dieu  ,  ôc  par  la  charité  qu'ils  doi- 
vent au  prochain  3  de  trouver  bon  que  Dieu  fût  honoré  dans 
les  Eglifes  en  langue  vulgaire,  félon  le  précepte  de  l'Ecriture. 
Cette  propofition  fut  rejettée  par  les  Théologiens,  qui  fe  mon- 
trèrent inflexibles.  Ils  firent  même  revenir  la  Régente  à  leur 
fentiment  ;  enforte  que  cette  Princeffe ,  ou  perfuadée  par  eux, 
ou  fiere  du  décret  touchant  la  Couronne  Matrimoniale * ,  lequel 
avoit  été  accepté  ,  prit  tout  d'un  coup  un  autre  caractère ,  ôc 
changea  cette  bonté  ôc  cette  douceur  ordinaires,  qui  la  faifoient 
adorer ,  en  une  fierté  ôc  une  hauteur  infuportables  à  ces  peuples. 
Cette  conduite  fut  la  caufe ,  ou  le  prétexte  des  troubles  qui 
agitèrent  l'Eooffe  l'année  fuivante.  La  Régente  ayant  indiqué 
une  affemblée  à  Sterlin  pour  le   10  de  Mai,  la  NoblefTe  y 


i;s> 


1  Le  Décret  fur  la  Couronne  Ma- 
trimoniale dont  il  s'agit  ici,  &  dont 
la  Régente  fe  prévaloit  ,  e'toit  l'a&e 
par  lequel  on  reconnoifTok  le  Dau- 


phin pour  roi  d'Ecofîe.  Les  Ecofibisne 
le  comptent  néanmoins  pas  au  nom- 
bre de  leurs  Rois, 


504-  HISTOIRE 

~  députa  Alexandre  Cunningham comte  de  Glencarne,  &  Hu- 
Henri  II.  gues  Cambell,  gentilhomme  d'une  illuftre  maifon  3  efperant  que 
1  S  $  9*  la  Reine  accorderoit  quelque  chofe  à  des  Seigneurs  d'une  fi 
haute  naiffance.  Cette  Princeffe  leur  déclara  ,  qu'elle  avoit  ré- 
folu  de  rétablir  la  majefté  du  thrône,  que  la  licence  des  tems 
parlez  avoit  avilie.  Elle  menaça  de  fon  indignation  ceux  qui 
fomentoient  des  révoltes  ,  fous  le  fpécieux  prétexte  de  la  Re- 
ligion, &  dit  qu'elle  banniroit  de  fon  Royaume  tous  les  nou- 
veaux Prédicans.  Comme  les  députez  la  fupplioient  de  fe  fou- 
venir  de  fes  promeiTes  ,  elle  fit  réponfe  qu'on  ne  devoit  com- 
pter fur  la  parole  des  Princes ,  qu'autant  qu'il  leur  étoit  utile 
de  la  garder.  Alors  les  députez  lui  dirent  :  Nous  renonçons 
donc ,  Madame ,  à  vous  obéir  ;  c'eft  à  votre  Majefté  à  prévoir 
les  fuites  funeftes  qu'aura  la  déclaration  que  nous  venons  de 
vous  faire.  La  Reine  étonnée  d'une  réponfe  fi  hardie  dit , 
qu'elle  y  penferoit.  Il  fembîoit  que  cette  Princeffe  avoit  pris 
des  fentimens  plus  modérez ,  lorfqu'elle  apprit  que  ceux  de 
Perth  avoient  embraffé  publiquement  la  Religion  des  Protef- 
tans. A  cette  nouvelle  elle  fut  faifie  d'une  grande  colère ,  ÔC 
*  m  Reuven.  ^ut  fur"tout  très-indignée  contre  Patrice  Rethuen  *  gouverneur 
de  la  ville.  Auffi-tôt  pour  fatisfaire  fa  vengence ,  elle  ordon- 
na à  Jacque  Haliburton  gouverneur  de  Dundee  ,  de  lui  amener 
Méfan,  qui  avoit  trouvé  un  aziledans  cette  ville  là.  Du  refte 
elle  fit  écrire  ,  qu'on  eût  à  célébrer  le  jour  de  Pâques  qui  appro^ 
choit,  fuivant  l'ancien  ufage.  Mais  voyant  qu'on  avoit  méprU 
fe  fes  ordres ,  elle  cita  tous  les  Miniftres  à  comparoître  à  Ster- 
îin  le  8  de  Mai.  Ils  s'y  rendirent ,  &  en  plus  grand  nombre 
que  la  Reine  n'avoit  cru,  accompagnés  d'une  foule  de  Sec- 
taifes  ,  qui  leur  étoient  dévouez.  La  Régente  allarmée  de  voir 
tant  de  gens,  fit  enforte  par  l'entremife  de  Milord  de  Dunes, 
qui  étoit  fort  refpeclé  des  Proteftans ,  que  cette  fuite  nom- 
breufe  qui  accompagnoitles  Miniftres ,  fe  retirât  ;  ayant  pro- 
mis que  leur  abfence  ne  pourroitleur  porter  aucun  préjudice. 
Mais  Milord  de  Dunes  voyant  qu'on  s'étoit  porté  gux  dernières 
extrêmitez  à  l'égard  de  ceux  qui  n'avoient  pas  comparu ,  ôc  que 
la  Reine  les  avoit  fait  bannir  par  contumace ,  contre  la  foi 
donnée,  fe  retira,  &  alla  joindre  les  Seigneurs  qui  étoient  à 
Perth.  Il  leur  fit  voir  ce  qu'ils  dévoient  attendre  de  la  foi 
d'une  Princeffe ,  qui   haïffant  mortellement  les  Proteftans , 


n  avoit 


DE  J.  A.  DE   T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXI.         3°; 

n'avoit  aucun  égard  aux  règles  de  la  juftice  ,  ni  delà  bienféan- 

ce  ,  Ôc  dont  la  foi  variable  dépendoit  des  circonftances  ôc  des  J{ENRI  JJ# 

Les  Seigneurs  affemblez  arrêtèrent,  que  puifqu'il  n'étoit 
plus  tems  de  difTimuler  ,  on  devoit  repoufTer  la  force  par  la 
force.  Lorfque  les  efprits  des  grands  ôc  du  peuple  étoient  le 
plus  animez  ,  Jean  Cnox  fît  dansl'Eglife  de  Perth  un  difcours 
pathétique  ôc  véhément,  qui  difpofa  les  auditeurs  à  tout  en- 
treprendre. Il  arriva  donc  que  les  Seigneurs  étant  fortis  pour 
aller  diner  ,  ôc  qu'une  partie  du  peuple,  que  le  fermon  du  Fré- 
dicant  avoir  rendu  furieux ,  étant  demeurée  dans  l'Eglife ,  un 
jeune  homme  infulta  exprès  un  Prêtre  ,  qui  fe  préparoit  à  dire 
la  Mefle.  Alors  la  multitude  prenant  part  à  la  querelle ,  fe  jette 
furie  Prêtre,  le  maltraite  de  coups,  renverfe  les  autels  ôc  les 
images,  ôc  les  brife  en  un  inftant.  AufÏÏ-tôt  ils  courent  en  foule 
aux  Couvens  des  Religieux  de  faint  François,  ôcde  faint  Do- 
minique ,  abattent  les   autels  ,  ôc  les  ftatuës ,  tandis  que  le 
bas  peuple  s'amufe  à  piller ,   ôc  fait  un  riche  butin.  On  vole 
avec  la  même  fureur  au  monaltere  des  Chartreux,  dont  les 
richeiTes  furent  en  proie  à  la  vile  populace.  Les  gens  de  guer- 
re ,  qui  s'étoient  joints  à  ce  peuple  animé ,  s'abftinrent  de  pil- 
ler ;  mais  ils  travaillèrent  avec  ardeur  à  démolir  les  bâtimens, 
ôc  à  en  emporter  les  décombres,  enforte  que  deux  jours  après 
on  n'eût  pu  remarquer  les  traces  de  ces  grands  édifices.  Quand 
la  Reine  eut  appris  ce  qui  s'étoit  pafle  à  Perth,  elle  entra  dans 
une  jufte  colère  ,  ôc  jura  de  venger  parle  fer  ôc  le  feu  ces  ex- 
cès facrileges.  Elle  étoit  d'autant  plus  irritée,  qu'à  l'exemple 
des  habitans  de  Perth  ,  ceux  de  Cupre  en  la  province  de  FifTe 
avoient  abattu  des  ftatuës  dans  les  Eglifes.  Ayant  donc  donné 
commiflion  aux  comtes  d'Hamilton  ,  d'Athol ,  ôc  d'Argathel 
de  lever  des  troupes,  elle  réfolut  d'attaquer  la  ville  de  Perth. 
Son  armée  marcha  lentement,  pour  donner  le  tems  à  fon  ar- 
tillerie d'arriver. 

Ceux  de  Perth  écrivent  auflî-tôt  à  leurs  amis,  pour  les  aver- 
tir que  ,  s'ils  n'étoient  promptement  fecourus ,  la  religion  ôc  le 
falut  dest  citoyens  étoient  menacez  d'un  grand  danger.  C'eft 
une  chofe  incroyable  ,  que  la  promptitude  ôc  le  zélé  avec 
lefquels  on  accourut  à  leur  défenfe.  Sur  -  tout ,  Alexandre 
Tom.  III.  Q  q 


3otf  '  HISTOIRE 

m  Cunningham  leva  en  peu  de  jours  deux  mille  cinq  censhommes, 


HrxTntn   tant  a  pie  qu  a  cheval;  ôc  ayant  marche  jour  ôc  nuit  par  des 
ENRill.  r      n  >  -       v        '    d        i       -i       •      u 

chemins  détournez  ,  pour  éviter  1  armée  Royale,  il  arriva  neu- 

reufement  à  Perth.  La  Reine  jugeant  qu'il  ne  feroit  pas  fi 
aifé  qu'elle  avoit  cru,  de  réduire  par  la  force  les  Proteft ans ,  dont 
l'armée  ,  fuivant  le  rapport  de  fes  efpions ,  étoit  compofée 
de  plus  de  fept  mille  nommes  de  bonnes  troupes ,  envoya 
vers  eux  Jacque  Stuart,  ôc  Gilepfic  Cambell,  deux  courtifans 
qui  lui  étoient  demeurez  fidèles,  quoiqu'ils  favorifaffent  les 
Proteflans ,  parce  qu'ils  croyoient  qu'il  étoit  du  bien  public 
de  pacifier  les  troubles  plutôt  par  la  douceur ,  que  les  armes 
à  la  main.  Us  traitèrent  avec  Cunningham,  ôc  Milord  de  Du- 
nes ,  aux  conditions  fuivantes  :  Qu'on  renverroit  les  troupes  de 
part  ôc  d'autre:  qu'on  ouvriroit  la  ville  à  la  Reine,  qui  pou- 
roit  y  repofer  quelques  jours  avec  les  perfonnes  de  fa  Cour  : 
qu'il  ne  feroit  fait  aucun  tort  aux  habitans  :  qu'aucun  François 
ne  pouroit  entrer  dans  Perth ,  ni  en  approcher  plus  près  que 
de  trois  milles  :  Ôc  qu'au  furpîus  on  regleroit  les  autres  dif- 
férends dans  l'affemblée  prochaine  des  Etats.  Ainfi  les  trou- 
bles ayant  été  appaifez  fans  erTufion  de  fang,  la  Reine  fitfon 
entrée  dans  la  ville,  ôc  y  reçut  de  grands  honneurs.  Mais  il 
arriva  qu'un  foldat  infolent  tua  le  fils  d'un  bourgeois  confidé- 
rable  de  la  ville ,  ôc  que  le  corps  du  mort  ayant  été  préfenté 
à  la  Reine,  elle  ne  parut  que  fort  peu  touchée  decefpecta- 
cle  >  d'où  plufieurs  jugèrent  qu'elle  romproit  bien-tôt  le  traité 
que  l'on  venoit  de  faire.  En  effet  la  Reine  mit  trois  jours 
après  une  grande  confulion  dans  la  ville,  en  dépouillant  plu- 
fieurs bourgeois  de  leurs  biens,  en  exilant  quelques  autres, 
en  changant  les  Magiftrats ,  en  mettant  une  garnifon  d'Ecof- 
fois  à  fa  folde  ,  ôc  fur-tout  en  rétablifTant  les  Prêtres  dans  leurs 
fonctions  >  après  quoi  elle  retourna  à  Sterlin. 

Il  femble  que  la  fituation  delà  ville  de  Perth  faifantmoins 
craindre  les  conféquences  d'une  révolte,  engagea  la  Reine  à 
violer  les  conditions  du  dernier  accord.  Car  cette  ville >  qui 
eft  au  milieu  de  l'Ecoffe  >  n'avoit  d'autres  fortifications  que  de 
fimples  murailles.  Elle  renfermoit  véritablement  des  citoyens 
braves  ôc  aguerris ,  ôc  féduits  par  les  nouvelles  opinions  ;  au 
refte  il  étoit  aifé  d'y  envoyer  des  troupes  par  terre ,  Ôc  d'y  en 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXL  307 

faire  venir  du  côté  de  la  mer  par  la  rivière  deTay,  qui  bai-  » 

gne  fes  murs ,  ôc  qui  pouffée  régulièrement  par  le  flux  de  la  J-JENRI  JI. 
mer,  y  apporte  les  marchandifes  des  payis  étrangers.  Il  n'en  1  ç  c  9. 
étoit  pas  ainli  de  la  fituation  des  autres  villes  de  l'Ecofie,oit 
Ton  ne  pouvoit  arriver  que  par  des  chemins  difficiles  ,  ôc  en- 
trecoupez de  differens  canaux  ,  qui  s'écoulent  dans  la  mer  au 
tems  des  marées  ;  ce  qui  fait  que  des  troupes  n'avancent  que 
lentement  par  ces  chemins, où  l'on  ne  trouve  pas  affez  de  bat- 
teaux  fur  les  canaux ,  pour  pafler  une  armée  avec  les  munitions 
néceffaires,  à  moins  qu'on  n'y  employé  beaucoup  de  tems. 
Il  arrive  même  très-fou  vent,  que  les  vents  excitant  des  tem- 
pêtes fur  ces  petits  bras  de  mer,arrêtent  fort  long-tems  les  voya- 
geurs. C'eft  pour  cela  que  la  Reine  vouloit  fur-tout  fe  con- 
ferver  cette  place.  Mais  Ci  elle  affermit  fon  autorité  à  Perth , 
elle  perdit  d'un  autre  côté  toute  la  confiance  de  fes  peuples,  en 
manquant  à  fa  parole;  ôc  l'on  peut  dire  que  ce  jour  vit  étein- 
dre l'affection  qu'on  avoit  pour  elle ,  qui  fit  place  au  mépris  , 
ôc  à  une  haine  implacable.  En  effet  Jacque  Stuart  ôc  d'Ar- 
gathel ,  qui  avoient  toujours  été  jufqu'alors  attachez  à  la  Ré- 
gente, ôc  qui  avoient  ménagé  les  articles  du  dernier  traité, 
crurent  que  cette  Princeffe  n'avoit  pu  y  contrevenir ,  fans  les 
offenfer  dans  leur  honneur ,  ôc  pafferent  dans  le  parti  des  Pro- 
teftans.  Ayant  averti  ceux-ci ,  que  le  deffein  de  la  Reine  étoit 
d'envoyer  à  Cupre  ôc  à  faint  André  des  troupes  Françoifes , 
pour  s'en  emparer,  (  ce  qui  auroit  mis  dans  un  très-grand  danger 
toutes  lesEglifes  delà  province  de  Fiffe)  ilsreprennent  les  armes, 
font  une  irruption  dans  Carlil ,  ville  fituée  à  l'extrémité  du  payis 
de  Fiffe,  ôcrenverfent  les  images  ôc  les  autels.  Enfuite  ils  vont  à 
faint  André,  ôc  ayant  pillé  plufieurs Egiifes ,  ils  abattent,  mê- 
me en  préfence  de  l'Archevêque  ,  celles  des  Cordeliers  ôc  des 
Dominicains.  Quoique  ce  Prélat  eut  quelque  cavalerie  pour 
fa  fureté ,  cependant  voyant  combien  ce  peuple  nombreux 
étoit  irrité,  il  n'ofa  s'oppofer  à  ces  violences,  ôc  fe  retira  à 
Falkland  auprès  de  fa  famille. 

La  Reine  avant  appris  ces  nouvelles  hoftilitez ,  ne  put  conte- 
nir fa  colère.  Elle  fit  venir  au  plutôt  les  François  qui  étoient  dif- 
perfez  ,  ôc  leur  donna  ordre  de  marcher  vers  Cupre.  Ils  étoient 
AU  nombre  de  deux  mille  ,   commandez  par  Henri  Clutin 


5oS  HISTOIRE 

i^  d'Oifeî.  Les  EcofTois  avoient  pour  général  Jacque  Stuart  Ha- 

Un,in  T  tt    milton,qui  avoit  été  Viceroi  d'Ecoffe,  qu'on  appeiioit  ordinaire- 
Henri  11.  /",      ,  ^.  A    „  v       c    ,, ~  li\  r    , 

menr  le  duc  deChatelleraut,a  cauie  a  une  terre  ae  ce  nom  iituee 

*  en  Poitou.  LesProteftans  a  qui  fçavoient  le  deffein  de  la  Rei- 

ne, l'avoient  prévenue,  ôcétoient  déjà  arrivez  à  Cupre.  Le 
lendemain  ils  en  firent  fortir  leurs  troupes ,  qui  avoient  été 
renforcées  par  mille  bourgeois  de  Dundee  ,  ôc  par  cinq  cens 
autres  de  la  ville  de  Saint  André ,  ayant  à  leur  tête  Patrice 
Lermonth  leur  gouverneur.  Tous  marchent  vers  l'ennemi,  qui 
n'étoit  plus  féparé  d'eux  que  par  une  petite  rivière  :  alors  ils 
entourent  les  gens  d'Hamilton  ôc  d'Oifeb  ils  développent  6c 
étendent  leurs  rangs  •■>  ôc  biffent  derrière  eux  les  goujats  ôc 
les  valets,  avec  les  bagages  ,  qui  paroiffoient  de  loin  for- 
mer une  autre  armée  nombreufe.  On  confeilla  à  la  Reme , 
qui  s'étoit  arrêtée  à  Falkland,  de  ne  point  rifquer  le  combat 
contre  des  gens  animez  ôc  pleins  de  courage  ;  ôc  elle  con- 
fentit  qu'Hamilton  députât  vers  les  Proteftans  trois  officiers 
confidérables ,  qui  avoient  leurs  enfans  ôc  leurs  proches  dans 
l'armée  ennemie.  Ce  fut  en  cette  occalion  que  la  Reine  ap- 
prit par  une  trille  expérience  ,  combien  il  importe  aux  Princes 
de  garder  leurs  promeffes.  Car  quoiqu'elle  fouhaitât  la  paix, 
on  ne  put  trouver  aucun  moyen  de  la  faire  ;  parce  que  les 
Proteftans  qu'on  avoit  plufieurs  fois  trompez ,  ôc  qui  avoient 
perdu  toute  confiance ,  difoient  qu'ils  ne  pouvoient  compter 
fur  l'exécution  des  articles  de  paix  qui  leur  étoient  propofez. 
D'ailleurs  la  Reine  n'a  voit  rien  à  donner  pour  fureté  de  fa  pa- 
role, ôc  quand  elle  auroit  pu  fournir  à  fes  fujets  révoltez  une 
garantie  réelle ,  elle  ne  croyoit  pas  qu'il  fut  de  fa  dignité  de 
le  faire.  Il  y  avoit  encore  d'autres  difficultez.  Les  Proteftans 
demandoient  que  les  étrangers  fortiffent  du  Royaume  ;  ce  que 
laRégente  ne  pouvoitfaire,  fans  en  écrire  auparavant  au  Roi 
de  France.  D'ailleurs  ,  il  étoit  évident  qu'on  propofoit  une 
trêve,  plutôt  pour  avoir  le  tems  de  faire  venir  du  fecours, 
que  dans  le  deffein  de  parvenir  à  une  bonne  paix.  Jacque 
Stuart  trouva  cet  unique  tempérament ,  qui  fut ,  que  la  Rei- 
ne retireroit  la  garnifon  de  Perth.  Il  fit  d'autant  plus  volon- 
tiers cette  ptopofition ,  qu'il  voyoit  qu'on  s'en  prenoit  à  lui  de 
l'infraction  d'un  traité  qu'il  avoit  conclu,  ôc  qu'il  croyoit  que 


DE   J.  A.  DE   THOU3  Liv.  XXI.        309 

les  maux  de  l'Etat  étoient  une  fuite  de  l'inexécution  des  arti- 
cles convenus.  La  Reine  ayant  rejette  cette  proportion  ,  les  Henri  II. 
Proteftans  marchèrent  vers  Penh  ,  y  étant  appeliez  par  les  ha-     1555;. 
bitans  ,  qui  fe   plaignoient  que  Kinfan  leur  gouverneur  les 
traitoit  durement ,   ôc  permettoit  aux  foldats  toute  forte  de 
licence. 

On  fit  donc  le  fiégede  Perth,  qu'on  prit  en  peu  de  jours. 
On  chaffa  Kinfan ,  &  on  en  donna  le  gouvernement  à  Patri- 
ce Ruthuen  ,  qui  l'avoit  auparavant.  Enfuite  l'armée  alla  à  Sco- 
ne  qu'elle  pilla,  &  où  elle  mit  le  feu  ,  parce  qu'un  Proteftant 
y  avoit  été  tué  après  la  capitulation  fignée.  Les  Proteftans  fça- 
voient  que  la  Reine  devoir  faire  entrer  une  garnifon  Fran- 
çoife  dans  Sterlin  ,  pour  empêcher  ceux  de  leur  parti,  qui 
étoient  au-delà  du  détroit  deFirth,  de  fe  joindre  à  eux.  Smart 
ôc  Cambell  ,  pour  prévenir  ce  deffein  ,  partent  fecretement 
de  Perth,  la  nuit  étant  fort  avancée,  ôc  s'emparent  de  Ster- 
lin ,  où  ils  renverfent  les  images  ôc  les  autels ,  ôc  razent  Jes 
maifons  des  Religieux  mendians.  Trois  jours  après  ils  pri- 
rent le  chemin  d  Edimbourg,  ôc  s'étant  emparez  fur  la  route 
de  la  ville  de  Lythco  ,  ils  y  changèrent  la  forme  du  culte  di- 
vin, &  placèrent  ça  ôc  là  des  Miniftres  de  la  nouvelle  réforme. 
Les  François  attendoient  à  Dumbar,  où  ils  s'étoient  retirez 
avec  leurs  bagages ,  que  les  troubles  fufTent  appaifez  ,  îorf- 
qu'ils  apprirent  la  funefte  mort  de  Henri  II ,  dont  nous  par- 
lerons dans  la  fuite.  Alors  les  Proteftans ,  fiers  de  leurs  avan- 
tages ,  fe  livrèrent  à  une  folle  joye ,  ôc  fe  débandèrent  peu  à 
peu,  comme  s'ils  n'eufTent  plus  eu  rien  à  craindre.  La  Reine 
profitant  de  la  conjoncture,  va  droit  à  Edimbourg  avec  fes  trou- 
pes :  comme  on  étoitfur  le  point  de  donner  bataille,  Hamilton 
ôc  Douglas  comte  de  Mortoh  firent  enforte  qu'on  différât  le 
combat.  Enfin  après  de  grandes  conteftations ,  on  ménagea 
une  trêve  ,  qui  fut  fignée  le  24  de  Juillet t  ôc  qui  devoit  du- 
rer jufqu'au  10  de  Janvier  de  l'année  fuivante.  Les  condi- 
tions furent ,  que  tous  les  EcolTois  auroient  une  entière  liber- 
té de  confcience,  qu'il  n'y  auroit  point  de  garnifon  à  Edim- 
bourg ;  que  les  Prêtres  joùiroient  tranquillement  de  leurs  biens; 
qu'on  ne  pouroit  abattre  les  Eglifes ,  ou  les  faire  fervir  à  des 
ufages  profanes  j  qu'on  remettroit  le  lendemain  à  la  Régente 

Q  q  iij 


5io  HISTOIRE 

mamammmmmmmm  les  coins  de  la  monnoye,  qu'elle  rentrèrent  dans  fon  Palais, 
TjrKTD¥TT    &  qu'on  rendroit  tous  les  meubles  qu'on  avoit  enlevez.  Cette 
Frinceife,  a  qui  1  inexécution  du  dernier  traite  avoit  été  fi  rata- 
'  '        le,  crut  devoir  obferver  religieufement  celui-ci. 

fin  du  vingt-unième  Livre, 


5ii 

fj  o:==^=SS=S®=S3=S33=^==S®=©3===:oS; 

1Ks?i*  «i»  *e§§s*  *§§!*  •§§§*  €§&  «tï*  SÉal 

HISTOIRE 

D  E 

IACQUE    AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 


L  IV 'RE  VINGT-BEVXIEME. 

Sfcfa&MWÏWWèSèSfc  H  R  i  s  t  !  e  r  n  e  III.  roi  de  Danne- 

^  n C/S'-vî) O  ^  marc  mourut  a  Coldmgnen  les  pre-  Henri  II. 

p§^    Il  "  -,   .  Il    ^  miers  jours  de  cette  année  ,  âgé   de      \  $  $  p. 

**  JîI^^^^Jq  -F  cinquante-fix  ans  trois  mois  &  vingt      Affaires  de 
$2  t3  §    ^"^  |  tS  2*  jours.    Ce  Prince  rempli  de  juftice  ■ 
*£  ^S    V*^  |§  3*  d'un  caractère  doux  &  modéré, avoit 
Il  ScsrorcJs       2*  fuccedé  à  Frédéric  fon  père,  que  les 


^  0=3(2:^3=0  ^  états  du  Royaume  avoient  placé  fur 

'v-wwtwwwvv^  le  throne  »  aPrès  en  avoir  chai^  Chrif- 
¥9¥VVVV¥W  tierne  IL  detefté  pour  fes  cruautés. 

On  loue  Chriftierne  III.  d'avoir  pris  un  fameux  Corfaire  nom- 
mé Clément,  qui  défoloit  le  Jutland ,  &  de  lui  avoir  faitfouf- 
frir  le  dernier  fupplice;  d'avoir  taillé  en  pièces  auprès  d'Al- 
fens ,  ville  dans  le  Funen  \  une  armée  nombreufe  de  la  ville  de 


3i2  HISTOIRE 

Lubec  ,  ôc  de  Chriftophle  prince  d'Oldembourg,  qui  s'étoient 
t  ïr^n  t  tt    ëmuaré  de  fes  Etats  héréditaires  j  d'avoir  durant  la  paix  procuré 

IlENRI  II.  1  \      CL-  J        1       T»-1    1  T%  •  «         1>  '        •  /  S   f 

une  traduction  de  la  cible  en  Danois  ,  ôc  d  avoir  établi  un 
-  >  y  y>  c0Hége  célèbre  à  Copenhague,  qu'il  orna  d'une  Bibliothèque. 
Un  peu  avant  de  mourir ,  il  alla  voir  le  roi  Chriftierne  II.  fon 
coufin  ,  détenu  depuis  long-tems  prifonnier.  Il  l'entretint  avec 
bonté  ,  ôc  ces  deux  Princes  fe  pardonnèrent  réciproquement 
les  injures  reçues.  Chriftierne  III  eut  cinq  enfans  de  Dorothée 
fille  de  Magnus  duc  de  Saxe  ;  le  prince  Frédéric  qui  lui  fuc- 
céda  h  Magnus ,  qui  fut  évêque  de  Hapfel  en  Livonie  ;  le  prin- 
ce Jean;  Anne,  qui  époufa  Augufte  électeur  de  Saxe,  ôc  une 
autre  Princeffe ,  nommée  Dorothée  comme  fa  mère ,  qui  fut 
mariée  à  Henri  de  Lunebourg.  Chriftierne  II.  ne  furvêcut  à 
Chriftierne  III.  que  peu  de  jours.  Il  mourut  le  23  de  Janvier 
âgé  de  foixante  -  fept  ans  ,  dans  fa  prifon ,  où  il  étoit  détenu  de- 
puis vingt-fept  ans.  Ce  Prince  eft  un  exemple  mémorable  de 
la  viciffitude  des  chofes  humaines  5  ôc  fon  exemple  doit  ap- 
prendre à  tous  les  Souverains,  que  s'ils  veulent  régner  heu- 
reufement  ,  ils  doivent  modérer  leurs  pallions ,  ôc  ne  fe  pas 
livrer  à  un  défir  effréné  d'étendre  leur  puiffance  ;  qu'il  faut 
qu'ils  fe  fouviennent  toujours,  qu'il  eft  un  Dieu  vengeur,  qui 
fe  plaît  à  renverfer  du  thrône  ceux  qui  abufent  de  la  puiffan- 
ce qui  leur  eft  confiée. 

Après  la  mort  de  Chriftierne  III.  prince  fans  ambition  ,  ôc 
bien  éloigné  d'ufurper  les  états  de  fes  voifins ,  le  Roi  Frédé- 
ric fon  fils ,  pouffé  par  les  Princes  du  fang  Royal  ,  prit  les 
armes  contre  les  peuples  de  Dietmarfie.  Mais  avant  que  de 
parler  de  cette  guerre ,  il  eft  à  propos  de  dire  quelque  chofe 
de  la  fituation  de  ce  payis ,  de  l'origine  de  fes  habitans ,  ôc  de 
l'état  où  il  étoit  alors. 
Defci-iption  Au-delà  de  l'embouchure  de  l'Elbe  on  voit  vers  le  Septen- 
marc  Abrégé  trion  une  vaitc  contrée ,  qui  s  étend  entre  1  Océan  britannique 
de  l'hiftoire  &  Ja  mer  d'Allemagne  ,  formant  comme  une  peninfule ,  ôc 
dont  la  longueur  eft  environ  de  douze  jours  de  chemin  ,  ôc 
la  largeur  de  fix.  Les  Cimbres ,  fi  connus  par  les  guerres  qu'ils 
curent  avec  les  Romains ,  habitoient  ce  payis.  Ils  avoient  la 
même  origine  que  les  Cimmeriens,  qui  fortant  de  i'Afie,  où 
ils  habitoient  le  Bofphore  Cimmerien ,  ôc  s'étant  établis  près 
des  marais  Meotides  ,    occupèrent  la  Cherfonefe  ,  appellée 

C  imbrique 


DE  J.   A.  DE   T  H  O  U  i  Liv.  XXII.     313 

Cimbrique  de  leur  nom.  On  fçait  que  ces  peuples  Septen- 
trionaux inondèrent  plufieurs  fois  les  Gaules  ôc  l'Italie  ,  ôc  Henri  IL 
qu'ils  furent  fou  vent  vaincus.  Enfin  ces  barbares ,  avides  des  t  ^  jn 
terres  étrangères  ,  &  afFoiblis  par  leurs  incurfions ,  furent  ex- 
pofez  à  leur  tour  aux  courfes  des  peuples  voifins ,  ôc  à  l'inva- 
îiun  des  Saxons  qui  les  confinent ,  ôc  qui  en  font  feulement 
féparez  par  l'Elbe ,  la  Trave,  ôc  la  Bille.  Aujourd'hui  ce  payis 
eft  habité  par  les  peuples  de  Dietmarfie  ,  ôc  du  Holftein ,  qui 
tirent  leur  nom  de  la  fituation  du  payis  qu'ils  occupent.  Car 
les  derniers,  qui  font  placés  fur  des  lieux  arides  Ôc  élevez ,  ont 
pris  leur  nom  des  bois  ôc  des  forêts ,  dont  leur  contrée  eft 
remplie  •■>  au  lieu  qu'on  appelle  les  autres  Dietmarfiens  ,  parce 
qu'ils  habitent  un  payis  bas  ôc  marécageux  ,  où  ils  fe  défen- 
dent par  de  longues  digues  de  l'inondation  des  eaux. 

Le  Holftein  eft  enfermé  par  quatre  grandes  rivières  5  par  la  Guerres  des 
Bille  au  levant  ,  par  le  Stor  au  Couchant  3  par  l'Elbe  au  midi,  Dietmariîefls.. 
ôc  pat  l'Eider  au  Septentrion.  On  croit  communément  que  ce 
dernier  fleuve  a  feparé  autrefois  ce  payis  du  Dannemarc. 
Mais  d'autres  ,  comme  Aimoin  Hiftorien  François ,  fixent  la 
frontière  de  ce  payis  à  une  longue  fuite  de  foliés  ôc  de  rem- 
parts, dont  on  voit  encore  aujourd'hui  quelques  traces  ,  ôc 
qu'on  appelle  communément  l'ouvrage  des  Danois.  Il  fut  fait 
avec  une  extrême  diligence  par  le  roi  Godefroi ,  lorfque  Char- 
lemagne  venoit  en  ce  payis  avec  une  piaffante  armée.  Il  s'é- 
tend depuis  Sluë,  Golfe  de  la  mer  Baltique  affés  proche  des 
villes  de  Slefwik  ,  ôc  de  Gottop ,  jufqu'à  Hollingfted ,  place 
qu'arrofe  le  fleuve  Eider  en  fe  jettant  dans  la  mer.  Au  refte  > 
la  Dietmarfie  ,  qui  a  fept  milles  de  long ,  ôc  un  peu  moins 
de  large  ,  eft  très-bien  fortifiée  par  fon  afliette  j  étant  bornée 
au  Levant  par  le  fleuve  Eider,  au  Couchant  par  la  mer  d'Alle- 
magne ,  au  Nord  par  ces  foffez  &  ces  remparts  dont  j'ai  parlé, 
ôc  par  l'Elbe  au  midi.  Les  Saxons  occupèrent  ce  payis  après 
les  Cimbres  j  enfuite  les  habitans  élurent  pour  leurs  Princes 
des  Comtes ,  que  ces  peuples  remuans  ôc  féroces  traitèrent 
fouvent  avec  inhumanité.  Le  comte  Dedon  fut  tué  dans  une 
fédition  populaire.  Il  avoit  époufé  Ida  de  Sueve  nièce  de 
l'Empereur  Henri  III.  ôc  du  Pape  Léon  VIII.  Cette  Princeffe 
fîere  de  fa  haute  naiffance ,  ôc  cherchant  à  venger  la  mort  de 
Dedon ,  époufa  le  comte  Eicler ,  ôc  fembla  lui  avoir  apporte 
Tome  III,  R  r 


■P4  HISTOIRE 

__  en  dot  la  cruelle  deftinée  de  fon  premier  mari  ;  car  il  fut  tué 

Tj^  T„   tt    aufïi   par    les    Dietmarfiens.    Peu  après   le  marquis  Rodol- 
ri  en  ri  il.     .       à  ,  .  ,     . r  ,  ,     ,.    .      l   ,  „  i 

phe,  Souverain  de  ce  payis  par  droit  héréditaire,  éprouva  le 

■*  -*  même  fort ,  ainfi  que  le  Prince  fon  fils.  Les  barbares  ne  s'en 
tinrent  pas  là.  Ils  démolirent  le  château  de  Bolkelnbourg,  où 
le  meurtre  s'étoit  commis ,  ôc  ayant  coupe'  le  nez  ôc  les  oreil- 
les à  Walpurge  femme  de  Rodolphe  ,  ils  la  jetterentdansla 
rivière.  Hartwi ,  frère  ôc  héritier  de  Rodolphe  ,  épouvanté 
de  tant  de  crimes ,  abandonna  ces  peuples  parricides  ,  &  céda 
3e  droit  qu'il  avoit  fur  eux  à  l'archevêque  de  Brème  ,  ayant 
eu  en  récompenfe  le  payis  de  Staden. 

Enfuite  Henri  Léon  iubjugua  la  Dietmarfie,  dont  il  donna 
quelques  villages  à  l'évêque  de  Staden  .,  qui  fut  inhumaine- 
ment maflacré  par  les  habitans ,  lorfqu'iî  leur  demanda  les  fom- 
mes  qui  lui  étoient  dues.  Cinquante-cinq  ans  après ,  ces  peu- 
ples furent  fournis  par  AdolfelII.  de  la  famille  des  comtes  de 
Schaumbourg,  qui  pofTeda la  principauté  du  Holftein  vers  l'an 
1131  ,  après  les  defcendans  de  Herman  Billings.  Mais  ils  fé- 
couerent  ce  joug  prefqu'aufTi-tot ,  ôc  chailerent  toute  laNo- 
blefle.  Quelque  -  tems  après  ils  pafferent  fous  la  puiffance 
de  Hartwig  archevêque  de  Brème  ,  qui  les  traitant  avec  trop 
de  rigueur ,  les  obligea  de  fe  donner  au  roi  de  Dannemarck. 
Ils  ne  furent  pas  long-tems  fidèles  à  leur  nouveau  Souverain  5 
car  en  l'année  1227,  les  troupes  de  Dietmarfie,  qui  étoient 
dans  l'armée  du  roi  Valdemar  ,  l'abandonnèrent  lâchement  , 
lorfqu'iî  combattoit  auprès  de  Bornhovede  ,  contre  Adolfe 
IV.  comte  de  Holftein  ,  ôc  ceux  de  Lubec ,  après  que  le  comte 
leur  eut  promis  la  liberté  de  leur  payis,  Ôc  une  exemption  de 
tous  fublides.  Ils  conferverent  environ  foixante-deux  ans  cette 
indépendance,  qui  étoit  le  prix  de  leur  perfidie  ,  jufqu'au  tems 
que  Henri  de  Holftein  ôc  de  Stormar ,  ôc  Jean  comte  de 
Wager ,  reclamant  leurs  anciens  droits  ,  firent  une  irruption 
dans  leur  payis  3  les  vainquirent ,  ôc  les  mirent  en  fuite.  Mais 
trente-un  ans  après ,  des  diflentions  domeftiques  s'étant  élevées 
entre  les  Princes  de  la  maifon  de  Holftein  ,  ceux  de  Dietmarfie, 
à  la  faveur  de  ces  troubles,  entrèrent  fur  les  frontières  du  Holf- 
tein, ôc  s'avancèrent  jufqu'à  Kyel  ,  où  ils  firent  un  grand  bu- 
tin. Lorfqu'ils  retournoient  chez  eux,  chargez  de  riches  dé- 
pouilles ,  ils  furent  attaquez  auprès  du  village  de  Bornhovede 


DE  J.  A.  DETHOU,Liv.  XXII     31; 

par  Gérard  comte  de  Holftein  ,  qui  les  défit.  Il  y  en  eut  cinq  

cens  de  tuez  fur  la  place?  prefque  tous  les  autres  fuyant  l'en-  TT         ,T 
•  ,     c     r-    1      rv     7       '  •  \.       .a  -     Henri  IL 

nemi ,  qui  les  luivoit  de  près ,  le  précipitèrent  dans  un  marais. 

Gérard  enflé  de  ce  fuccès,  ôc  fler  d'avoir  vaincu  des  hom-  S  5  y* 
mes  jufqu'aîors  invincibles ,  s'allia  deux  ans  après  avec  Henri 
duc  de  Mekelbourg ,  pour  faire  la  guerre  à  ces  peuples.  Il 
pénétre  jufque  dans  l'intérieur  du  payis  ,  met  deux  fois  en 
fuite  tout  ce  qui  ofe  lui  faire  tête ,  taille  en  pièces  fept  cens 
hommes  ,  ôc  oblige  le  refte  de  fe  retirer  dans  une  églife  voi- 
fine ,  qu'ils  avoient  fortifiée  à  la  hâte.  Les  Dietmarfiens  voyant 
que  Gérard  avoit  fait  venir  des  matières  combuftibles ,  ôc  que 
déjà  on  y  mettoit  le  feu  ,  pour  les  brûler  dans  cette  Eglife  ; 
épouvantez  d'un  ii  grand  danger ,  offrent  de  fe  rendre  ôc  de 
fe  foumettre  aux  comtes  de  Holftein ,  pourvu  qu'ils  ayent  la  vie 
fauve.  Gérard,  ou  par  hauteur  ,  ou  par  le  peu  de  confiance  qu'il 
prenoiten  la  foi  de  ces  hommes  féroces,  rejetta  ces  propositions, 
ôc  demanda  qu'ils  fe  rendifTent  à  difcretion.  Déjà  le  feu  avoit 
gagné  le  comble  du  temple ,  ôc  fondant  les  lames  de  plomb 
dont  il  étoit  couvert,  ce  plomb  couloit  de  toutes  parts  parles 
ouvertures  fur  lesafTiégez  ,  lorfque  ces  malheureux  prenant  con- 
feil  du  defefpoir  où  ils  étoient  réduits ,  fortent  tout  furieux ,  ôc 
taillent  en  pièces  deux  mille  hommes  des  ennemis ,  quicroyoient 
n'avoir  plus  rien  à  craindre  ,  entre  lefquels  douze  officiers 
des  plus  confidérables  furent  tuez.  Quelques  années  après  , 
ils  fournirent  encore  un  grand  combat  contre  les  troupes  de 
Holftein  près  de  Triperft,  ou  la  perte  ayant  été  égale  de  part 
ôc  d'autre  ;  on  figna  un  traité ,  qui  portoit  ;  qu'il  y  auroit  fuf- 
penfion  d'armes  entre  les  deux  nations  5  qu'elles  ne  pourroient 
réciproquement  donner  retraite  aux  ennemis  de  l'une  ou  de 
l'autre ,  ôc  que  les  comtes  de  Holftein  s'engageoient  eux  ôc 
leurs  fuccefîeurs  à  entretenir  la  paix. 

En  l'année  1404.  Eric  duc  de  Saxe  ayant  commis  quelques 
hoftilitez  fur  les  terres  de  Dietmarfie ,  les  habitans  nés  fuper- 
bes prétendirent  qu'Albert  comte  de  Holftein,  qui  étoit  gen- 
dre d'Eric  ,  avoit  violé  la  paix ,  Ôc  firent  de  leur  côté  des  cour- 
fes  dans  le  Holftein.  Enfin  on  en  vint  à  une  guerre  ouverte  5 
quoique  les  Dietmarfiens ,  qui  s'étoient  vengez  ,  femblaffent 
fouhaiter  la  paix.  La  Fortune  favorifa  d'abord  ceux  du  Holftein  s 
cjui  prirent  Meldorp  ,   Delfïbruck  ,   ôc  Hannerow  ,   villes 

Rr  ij 


3irf  HISTOIRE 

»  frontières  6c  très  fortes.  A  la  faveur  de  ces  conquêtes,  ôc  des  pla- 


HenriII.  cesc^e  Tielbruk,  Ôc  de  Suavefted  ,  ils  faifoientde  grands  ravag 
w,.  dans  le  payis  ennemi.  Albert  étant  mort  peu  après  d  une 
chute  de  cheval,  (  dans  le  payis  de  Northamme  en  Dietmariie» 
lequel  confine  au  Holftein  )  lorfqu'il  revenoit  d'une  expédition 
de  guerre ,  Gérard  flaté  de  Fefpérancede  s'emparer  d'un  payis 
teint  du  fang  de  fon  frère  ,  y  pénètre  fort  avant.  Là ,  les  fol- 
dats  fe  répandant  de  tous  cotez  ,  fans  précaution  &  fans  difci- 
pline  ,  les  Dietmarfiens  fe  raflemblent  ,  occupent  les  défilez 
des  bois ,  attaquent  les  ennemis ,  qui  revenoient  fur  leurs  pas 
en  defordre,  les  entourent,  les  taillent  en  pièces  s  ôc  tuent 
Gérard  lui-même,  qui  avoit  ôté  fon  cafque,  ôc  couroit  au  fe- 
cours  du  page,  qui  portoit  fes  armes.  Douze  Chevaliers  ,  ôc 
trois  cens  Gentilshommes  de  la  principauté  de  Slelwick  ôc 
du  Holftein  périrent  en  cette  occafion  ,  félon  le  témoignage 
de  Chriftien  Cilic ,  qui  allure  que  les  meilleures  troupes  de 
Gérard  ,  ôc  toute  la  fleur  de  fa  jeune  nobleffe  ,  y  furent  de- 
faites.  Les  vainqueurs  exercèrent  des  cruautez  inouïes  juf- 
que  fur  les  corps  morts  de  leurs  ennemis,  dont  les  veuves  ôc 
les  parens  obtinrent  avec  bien  de  la  peine ,  à  prix  d'argent ,  la 
permifîion  de  leur  donner  la  fepulture  dans  un  monaftere  voifin. 
Alors  on  fit  un  traité  de  paix  ,  qui  renouvelloit  les  ancien- 
nes alliances ,  ôc  qui  portoit  ,  que  Delff bruk  feroit  démoli. 
Mais  dix  ans  après,  la  guerre  fe  ralluma  encore  pour  le  fujet 
que  je  vais  dire.  Ceux  de  Frife  avoient  condamné  au  dernier 
fupplice  quelques  Dietmarfiens  décriez  ,  à  ce  qu'on  difoit  , 
par  leurs  mauvaifes  actions  Ôc  par  leurs  brigandages.  Ceux  de 
Dietmarfie  fe  croyant  deshonorez  par  le  châtiment  de  leurs 
compatriotes ,  lèvent  des  troupes  dans  tous  les  villages ,  entrent 
dans  le  payis  de  Frife  ,  ôc  devenus  plus  cruels  par  quelque 
defavantage  qu'ils  avoient  eu  d'abord ,  mettent  tout  à  feu  ôc  à 
fang.  On  fait  monter  à  deux  cens  mille  marcs  d'argent  la  perte 
que  firent  ceux  de  Frife.  Leurs  ennemis  peu  fatisfaits  d'avoir 
ruiné  ces  peuples ,  leur  impoferent  encore  de  dures  conditions 
de  paix,  ôc  exigèrent,  que  lorfqu'il  s'éleveroit  quelque  diffé- 
rend entre  les  deux  Nations,  il  feroit  terminé  par  l'avis  de 
vingt  Dietmarfiens,  ôc  d'un  feul  habitant  de  Frife.  Adolfe 
comte  de  Holftein  n'apprit  qu'avec  indignation  un  traité  fi 
injufte.Le  différend,  qu'il  avoit  alors  avec  le  roi  de  Dannemaïc 


DE   J.  A.  DE  THO  U,  Liv.  XXÏI.       517 

au  fujet  de  la  principauté  de  Slefwick ,  fit  qu'il  difîîmula  l'in- 
jure reçue ,  ôc  qu'il  fut  contraint  d'en  remettre  la  vengence  Henri  IL 
à  un  autre  tems.  Les  Dietmarfiens  fiers  de  leurs  fuccès  paffe3  1  ^  5-  p» 
oferent  bien  s'offrir  pour  médiateurs  »  entre  le  roi  de  Danne- 
marc  ôc  le  Comte.  Mais  quelque-tems  après  ,  Adolfe  étant 
mort,  Chriftierne  premier ,  roi  de  Dannemarc  ,  lui  fucceda  au 
comté  de  Holftein ,  que  l'Empereur  Frédéric  III.  étigea  alors 
en  Duché.  Ce  fut  un  trifte  événement  pour  ceux  de  Dietmar- 
fie ,  qui  étant  compris  comme  ceux  de  Stormar  dans  l'éten- 
due du  Holftein,  eurent  au  lieu  des  comtes  de  ce  payis  ,  le  roi 
de  Dannemarc  pour  ennemi. 

En  effet  en  l'année  1 474.  Chriftierne  I.  prince  puiffant  ÔC 
foûtenu  de  l'autorité  de  l'Empereur  ,  cita  à  Rendefbourg  les 
Dietmarfiens  ,  pour  lui  prêter  ferment.  Ceux-ci  ayant  allégué 
leur  ancienne  dépendance  des  Archevêques  de  Brème,  refufe- 
rent  tout  hommage.  Vingt-fix  ans  après ,  Jean  fils  de  Chriftier- 
ne, après  avoir  fournis  la  Suéde  ,  voulant  venger  les  injures 
faites  au  Roi  fon  père ,  ôc  aux  comtes  de  Holftein  fes  ancê- 
tres ,  leur  déclara  la  guerte ,  ôc  entra  dans  leur  payis  avec  une 
puiffante  armée.  Elle  étoit  compofée  de  fix  mille  hommes  de 
pié  étrangers ,  outre  les  Danois  ,  ôc  de  deux  mille  chevaux. 
D'abord  il  prit  la  ville  de  Meldorp  >  mais  les  ennemis  s'étant 
retranchez ,  leRoivouîutpénétrerdans  des  lieux  marécageux  ôc 
dans  des  détroits  inacceffibles  Ôc  remplis  de  bois  ,  ôc  fut  défait 
entièrement,  entre  Meldorp  ôc  Henningftet  ,par  les  Dietmar- 
fiens ,  qui  avoient  appris  fa  marche  ,  ôc  l'état  de  fes  troupes 
par  un  habitant  de  Frife  ,  qu'ils  avoient  enlevé ,  ôc  à  qui  ils 
avoient  fait  fouffrir  les  plus  cruels  tourmens.  Quatre  mille  hom- 
mes demeurèrent  fur  la  place  du  côté  des  Danois.  On  compta 
parmi  les  morts  Adolfe  ,  ôc  Othon  Comtes  d'Oldembourg, 
Breda  de  Ranzau  frère  de  Jean  ,  dont  nous  parlerons  dans  la 
fuite,  ôc  foixante  Gentilshommes  des  plus  qualifiez  du  Holf- 
tein. Le  roi  Jean  ,  ôc  Fredetic  fon  frère  duc  de  Holftein  fe 
fauverent  à  peine ,  à  travers  des  monceaux  de  corps  morts. 

Jean  eut  pour  fucceffeut  Chriftierne  IL  à  qui  on  ôta  la  cou- 
ronne à  caufe  de  fes  cruautez.  Frédéric  fon  oncle  ,  qui  fut  <}e  Holftein 
mis  en  fa  place ,  laiffa  en  paix  la  Dietmarfie ,  parce  que  crat-  entreprend  ï» 
gnant  toujours  d'être  attaqué  par  Charle-quint  beau-frere  de  fj*1^  S""r-- 
Chriftierne ,  il  croyoit  qu'il  étoit  de  la  politique,  de  n'avoir  rien  marfiens. 

R  r  iij     . 


3^  '        HISTOIRE 

.  à  démêler  avec  fes  voifms.  Après  la  mort  de  Frédéric,  Chrif. 
Henri  IL  tlQïnQ  WS*  f°n  ®s  monta  fur  le  thrône  ,  Prince  d'un  efprit 
i  f  7  9>  ^oux  y  ^  ^u*  ^Ut  touJours  ennemi  de  la  guerre  ,  foit  par  dé- 
licatefTe  de  confcience  ,  foit  par  famauvaife  fanté  ,  Ôc  quis'op- 
pofa  tant  qu'il  vécut  aux  confeils  violens  d'Adolfe  duc  de 
Holftein  fon  frère,  qui  dès  fajeunefle  ne  refpiroit  que  laven- 
gence  contre  les  peuples  de  Dietmariie ,  pour  expier,  difoit- 
il ,  dans  leur  fang  tous  les  maux  qu'ils  avoient  faits  aux  comtes 
de  Holftein  fes  ancêtres.  Quoique  Charle-quint ,  oubliant  ou 
diiïimulant la  détention  rigoureufede  fon  beau-frere,eût  con- 
firmé Adolfe  dans  le  titre  de  duc  de  Holftein  l'an  iy^S, 
Chriftierne  III.  empêcha  toujours  qu'il  ne  fit  valoir  les  armes 
à  la  main  fes  droits  fur  la  Dietmarfie.  Il  y  avoit  déjà  fix  ans 
qu'Adolfe  étant  au  fiége  de  Metz  dans  l'armée  de  l'Empe- 
reur ,  avoit  engagé  à  fon  fervice  George  Holle ,  ôc  Hildemar 
Monninfchaufen  ,  officiers  de  grande  diftinfHon ,  ôc  qu'il  leur 
avoit  marqué  un  certain  jour ,  pour  fe  trouver  fur  les  confins 
du  payis  de  Brème.  Mais  ces  projets  de  guerre  furent  alors 
fans  effet,  parce  que  le  Roi  fon  frère  s'oppofa  à  fes  defteins. 
Ce  Prince  étant  mort ,  Adolfe  prépara  les  chofes  nécef- 
faires  pour  la  guerre  avec  un  grand  fecret ,  fans  en  rien  com- 
muniquer au  roi  Frédéric  fon  neveu  ,  qui  n'étoit  pas  encore 
couronné  ,  ni  au  prince  Jean  frère  du  Roi.  Il  ne  découvrit 
fon  projet  qu'à  Maurice  de  Ranzau,  à  Adam  Traziger  ôc  au 
duc  Henri  de  Brunfwic,  qu'il  vint  trouver  dans  cette  vûë  dans 
fon  château  de  Wolfenbutel ,  où  il  eut  avec  lui ,  comme  l'on 
croit,  des  conférences  à  ce  fujet. 

1  Daniel  de  Ranzau  gouverneur  de  la  forterefTe  de  Peim,  offi- 
cier d'une  grande  réputation  à  la  guerre,  engagea  au  fervice 
d'Adolfe  le  colonel  Wolfang  Schonwefen  vieux  capitaine, 
avec  fon  régiment,  ôc  Joachim  Blanckembourg  avec  la  cava- 
lerie qu'il  commandoit.  Il  ne  manquoit  à  Adolfe  que  l'ar- 
gent néceiTaire  pour  faire  la  guerre.  Heureufement  pour  lui 
c'étoit  le  tems  de  raffemblée  de  Kiel ,  où  la  N  oblefie  du  Hol- 
ftein fe  trouve  tous  les  ans,  Ôc  où  les  plus  riches  prêtent  leur  ar- 
gent à  ceux  qui  en  ont  befoin'.>  en  prenant  pour  fureté  desga- 
ges  ôc  des  cautions ,  ôc  où  les  créanciers  viennent  recevoir 

i  Jofias  de  Ranzau  maréchal  de  France,  mort  en  1 650,  e'toit  de  cette  illuflre  maï- 
fon  du  duché  de  Holitein. 


DE   J.   A.   DE   THOU   Liv.  XXÎI.        $19 

l'intérêt  des  fommes  confiées  ,  ou  bien  le  fort  principal.  Adol- 
fe  s'y  étant  rendu ,  emprunta  tous  les  fonds  dont  il  avoit  be-  7ï  ^ 
foin  ,  fous  prétexte  d'une  acquifition  qu'il  difoit  vouloir  faire? 
ôc  ayant  amaffé  de  groffes  fommes  en  peu  de  tems ,  il  fe  dif-  ^  ' 
pofa  tout  de  bon  à  la  guerre.  Mais  il  tint  fes  deffeins  fecrets 
autant  qu'il  le  put  3  parce  qu'il  vouloit  furprendre  les  Dietmar- 
fiens  ,  peuples  défians  ôc  belliqueux.  Cependant  il  ne  put  fi 
bien  diflimuler  fes  projets ,  que  Jean  de  Ranzau,  ôc  Henri 
fon  fils ,  gouverneur  pour  le  Roi  dans  le  Holftein ,  n'en  fuifent 
inftruits,  à  la  faveur  de  quelques  bruits  fourds,  ôc  n'en  écri-* 
viflent  à  Frédéric:  ils  le  fupplierent  en  même  tems  de  trou- 
ver bon.qu'ils  conferaffent  avec  le  Duc  fon  oncle  fur  fes  projets,, 
&  qu'ils  balançaffent  les  raifons ,  qui  pouvoient  empêcher ,  ou 
déterminer  cette  guerre. 

Dans  cette  vue  ,  Adolfe  envoya  Bertrand  Séefted,  un  de 
fes  principaux  confidens  ,  qui  fe  rendit  à  Nieumonfter ,  où 
vint  auffi  Jean  de  Ranzau.  Celui-ci  expofa  d'abord  les  incon- 
veniens  d'une  guerre  aufli  confidérable ,  entreprife  par  Adol- 
fe feul.  Il  dit  ,  que  les  Dietmarfiens  n'étoient  pas  des  enne- 
mis à  méprifer  ;  que  le  Roi  auroitlieu  d'être  ofTenfé,  auffi-bien 
que  le  Prince  Jean  fon  frère ,  fi  leur  oncle  ofoit  faire  fans  leur 
aveu  des  préparatifs  de  guerre  en  Dannemarc  ;  qu'enfin  il  y 
avoit  lieu  de  croire,  que  les  villes  maritimes  de  Lubec  ôc  de 
Hambourg,  ôc  le  duc  de  Lunebourg  fe  déclareraient  contre 
celui  qui  porterait  la  guerre  chez  leurs  voifins.  Après  que 
Séefted  eut  tâché  de  réfuter  les  raifons ,  qui  pouvoient  empê- 
cher une  guerre,  que  fon  maître  avoit  tant  à  cœur,  ôc  qu'il 
fçavoit  que  les  Ranzaus  eux-mêmes  fouhaitoient  dans  le  fond  3 
il  conjura  Jean  de  Ranzau ,  de  fe  fouvenir  de  fa  parole ,  ôc 
qu'il  s'étoit  autrefois  offert  lui-même  à  Adolfe  pour  Géné- 
ral ,  lorfque  l'occafion  fe  préfenteroit  d'attaquer  la  Dietmarfie. 
Ranzau  confentit  de  fervir  dans  cette  guerre,  pourvu  qu'elle 
fût  approuvée  du  Roi  ,  ôc  du  prince  Jean  frère  d'Adolfe. 
Il  confeilla  auffi  à  ce  dernier  de  découvrir  fon  deffein  à  ces 
princes,  dont  il  devoit  ménager  la  protection  ôc  l'amitié,  ôc 
de  les  engager  à  entreprendre  cette  guerre  à  frais  communs, 
pour  foutenir  la  majefté  du  thrône  ,  en  vengeant  les  injures  fai- 
tes aux  comtes  de  Holftein  ôc  aux  Rois  de  Dannemarc ,  leurs 
ancêtres,  Adolfe   ayant  déféré  à  cet  avis ,  Henri  de  Ranzaib 


320  HISTOIRE 

■«■^«■—  &  André  Barbey  ,  évêque  de  Lubec  &  Chancelier  du 
Henri  IL  R°yaume>  firent  lever  des  troupes ,  après  en  avoir  conféré  en- 
j  -  -,  g  femble  ,  fans  néanmoins  en  parler  au  Roi ,  qu'ils  fçavoient 
bien  ne  devoir  pas  s'y  oppofer.  Antoine  comte  d'Oldembourg, 
Jean  Barnern  gouverneur  de  Pinneberg ,  &  François  BuioW 
eurent  commiflion  de  faire  ces  levées.  On  fit  part  aufli  à  Au- 
gufte  Electeur  de  Saxe  de  ces  projets  ,  &  on  le  pria  de  vou- 
loir s'expliquer  fur  ce  qu'il  penfoit  de  cette  guerre. 

Adolfe  écrivit    alors  ,  fuivant  le    confeil  de  Ranzau  >  au 
Roi,  ôc  au  Prince  Jean  fon  frère  5  &  Henri  de  Ranzau  fe ren- 
dit à  la  Cour  en  même  tems  avec  André  Barbey  ,  pour  être 
préfensaux  Confeils  qu'on  tiendroit  àl'occafion  de  cette  guer- 
re ,  ôc  pour  y  déterminer  le  Roi  par  le  poids  de  leurs  raifons. 
La  chofe  ayant  été  mife  en  délibération  dans  le  Confeil  ;  ils 
dirent  qu'il  y  avoit  trois  partis  à  prendre  ,  dont  le  Roi  devoit 
en  choifir  un,  qui  fut  le  meilleur,  ôc  le  plus  convenable  à  la 
dignité  Royale  :  ou  qu'il  falloit  que  le  Roi  s'oppofât  formel- 
lement aux  deffein  du  duc  de  Holftein  fon  oncle,  comme  té- 
méraires, ôc  formez  au  préjudice  de  fon  autorité:  ou  qu'il  les 
approuvât:  ou  enfin  qu'il  entrât  dans  cette  guerre  comme  allié, 
s'il  trouvoit  qu'elle  fut  jufte  :  qu'il  étoit  dangereux  que  le  Roi 
mît  des  troupes  fur  pied,  pour  s'oppofer  aux  forces  du  Duc  fon 
oncle  ;  que  ce  feroit  commencer  une  guerre  civile ,  facile  à  allu- 
mer ,  ôc  qu'on  n'éteindroit   enfuite  qu'avec  peine  :  que  lorf- 
que  les  forces  du  Roi ,  ôc  celles  du  Duc  auroient  été  affai- 
blies par  des  troubles  domeftiques ,  il  y  avoit  tout  lieu  de  crain- 
dre que  ceux  de  Dietmarfie  qu'Adolfe  fe  flatoit  de  pouvoir 
foumettre,  ne  profitaffent  de  ces  diffenfions ,  pour  entrepren- 
dre quelque  chofe  contre  la  couronne  deDannemarc  ,  ôc  con- 
tre le  Holftein ,  à  quoi  peut  être  ils  ne  penfoient  pas  mainte- 
nant. Quefi  d'un  autre  côté  le  Roi  prenoit  le  parti ,  d'être  feu- 
lement fpetlateur  de  cette  guerre ,  il  feroit  tort  à  fes  propres 
intérêts ,  ôc  à  fa  dignité  ,    s'il  lailToit  à  Adolfe  tout  le  fruit 
ôc  toute  la  gloire  d'une  fi  importante  conquête  :  que  ce  que 
le  Roi  pouvoit  donc  faire  de  plus  à  propos  en  cette  occafion. 
étoit  de  joindre  fes  forces  à  celles  du  Duc  fon  oncle,  ôc  d'a- 
gir dans  cette  expédition  avec  autant  d'ardeur,  que  s'il  l'avoit 
entreprife  de  fon  feul  mouvement.  Le  Roi  ayant  approuvé  ces 
raifons  >  on  députa  Jean  Séefted  frère  de  Bertrand ,  au  prince 

Jean 


DEJ.  A.   DE   THOU,  Liv.  XXII.       321 

Jean  frère  d'Adolfe,  pour  lui  apprendre  ce  qui  avoit  été  ré-  ■  ; 

folu ,  ôc  pour  l'engager  dans  cette  guerre.  Henri  IL 

Les  Princes  alliez  envoyèrent  le  28  Avril  leurs  miniftres     x  ç  ç  0. 
à  Nortorp,pour  régler  certaines  conditions  par  rapport  à  la 
guerre.  On  convint  qu'on  ren droit  au  duc  Adolfe  les  avan- 
ces qu'il  avoit  faites  pour  cette  expédition  ,  qui  montoient  à 
deux  cens  mille  Taers  >  qu'à  l'avenir  chaque  prince  payeroit 
fon  contingent ,  ôc  que  (i  l'on  faifoit  la  conquête  delà  Diet- 
marfie  ,  elle  feroit  partagée  en  trois  parties  égales  ,  ôc  que  les 
trois  princes  confédérez  tireroient  au  fort  ■  celle  qui  leur  éché- 
roit.  Jean  de  Ranzau  fut  déclaré  général  de  l'armée.  Il  avoit 
refufé  d'abord  cet  emploi  honorable ,  alléguant  fon  âge  déjà 
avancé  ;  mais  il  l'accepta  enfin ,  ôc  on  lui  donna  pour  lieute- 
nant général  François  Bulow  3  après  que  Bertrand  Séefted  fe 
fut  excufé  de  remplir  cette  charge.  Enfuite  les  trois  princes 
nommèrent  chacun  deux  principaux  officiers,  pour  faire  le 
choix  des  troupes  qu'on  avoit  aflemblées  ,  ôc  pour  les  diftri- 
buer  en  différens  corps.  Nicolas  de  Ranzau  ,  ôc  Holger  Ro- 
fenkran furent  commiflaires  pour  le  Roi;  Othon  Tinnen,ÔC 
Gafpard  Bockwolden  pour  le  prince  Jean;  Nicolas  de  Ran- 
zau furnomméle  Louche,  ôc  Paul  de  Ranzau  fils  de  Jean  ,  le 
furent  pour  Adolfe.  On  créa  aufli    quatre  colonels,  qui  fu- 
rent Volfang  Schonwefen  ,  dont  j'ai  déjà  parlé ,  Guillaume 
Waltertumb ,  Reimers  de  Walde ,  ôc  Chriftophle  Wrifberge, 
ce  vieux  capitaine  qui  fe  fignala  dans  le  combat  de  Drachem- 
bourg,  quoique  la  fortune  ne  lui  eût  pas  été  favorable.   On 
fortifia  auffi  les  places  frontières.  On  commanda  à  la  NoblefTe 
de  Jutland  ôc  de  la  Fionnie,  de  prendre  les  armes ,  ôc  de  fe 
tenir  prête  au  premier  commandement.  On  équippa  des  vaif- 
feaux  de  guerre,  pour  croifer  vers  l'embouchure  de  l'Elbe,  pour 
être  prêts  à  tout  événement,  ôc  pour  faire  une  defcente  en  Diet- 
marfie,s'il  étoit  jugé  nécefTaire,ou  empêcher  l'entrée  auxfecours 
étrangers.  De  plus  le  comte  d'Oldembourg  eut  ordre  de  lever, 
le  plutôt  qu'il  (e  pourroit ,  vingt  compagnies  de  foldats,  ôcde 
les  faire  camper  au-delà  de  l'Elbe.  On  fit  venir  fix  pièces  de 
campagne  avec  deux  gros  canons  ,  ôc  des  pontons  pour  jetter 
fur  les  rivières;  on  s'alTura  auffi  de  mille  pionniers.  Les  gou- 
verneurs eurent  foin    de  faire  de  grands  amas  de  vivres  pour 
plufieurs  mois ,  ôc  de  les  faire  porter  avec  une  extrême  diligence 
Tome  III.  S  f 


322  HISTOIRE 

a  aux  lieux  indiquez ,  parce  qu'on  ne  pouvoir  pas  compter  de 


Henri  IL  tirer  aucunes  munitions  des  villes  maritimes,  qui  étoientop- 
1  S  S  9'    pofées  à  cette  guerre. 

Le  duc  de  Holftein  efperoit  que  le  Roi  fe  rendroit  à  Nor- 
torp  ,  pour  conférer  fur  les  opérations  de  la  campagne ,  com- 
me on  en  étoit  convenu.  Mais  quelques  courtifans  ,  en  qui  le 
Roi  avoit  beaucoup  de  confiance,,  s'oppofoient  à  ce  voyage  ;  ils 
difoient  que  le  Roi ,  qui  n'avoit  point  de  troupes ,  ne  devoit  pas 
aller  trouver  fon  ennemi  armé  (  c'eft  ainfi ,  qu'ils  appelloient  le 
duc  de  Holftein  )  &  qu'ils  avoient  vu.  des  lettres  qui  faifoient 
connoître  affez  les  mauvais  defleins  qu'on  avoit  contre  fa  per- 
fonne.  Comme  la  plupart  des  Princes  prêtent  volontiers  l'oreille 
aux  difcours  faux  ôc  calomnieux  ,  ces  avis  rirent  d'abord 
quelque imprefïion  fur  Fefprit  du  Roi.  Enfin  Henri  de  Ranzau 
Lieutenant  général  du  Royaume  ayant  difïipé  fes  foupçons,  en 
lui  faifant  voir  la  faufleté  ôc  la  fuppofition  de  ces  lettres  pré- 
tendues, ce  Prince  prit  le  chemin  de  Nortorp;  mais  pour  ne 
pas  paroître  méprifer  entièrement  les  confeils  de  fes  courti- 
fans, il  fe  fit  accompagner  de  cinq  cens  chevaux.  Le  duc  de 
Holftein  au  contraire,  qui  n'ignoroit  pas  les  mauvais  offi- 
ces qu'on  lui  avoit  rendus  auprès  du  Roi,  ôc  qui  vouloit  évi- 
ter de  donner  le  moindre  foupçon  ,  fe  rendit  à  Nortorp  avec 
deux  carofTes  feulement.  Ces  Princes  prirent  enfemble  les  me- 
fures  convenables,  ôc  fe  féparerent.  Le  Roi  ayant paffé  parle 
château  de  Segebert,  arriva  à  Coldengen,  ville  du  Jutland ,  dans 
un  carolTe  traîné  par  des  chevaux  hongres  rangez  trois  à  trois, 
qui  firent  une  grande  diligence.  Là  ce  Prince  trouva  la  NobleiTe 
du  Jutland,Ôc  deFionnie  aflembléepar  fes  ordres.  Il  la  remer- 
cia de  fa  prompte  obéifTance ,  la  congédia ,  ôc  la  difpenfa  de 
fervir  en  cette  guerre.  Enfuite  ayant  donné  les  ordres  néceflai- 
res  dans  les  Provinces,  fait  la  revûë  de  Ces  troupes,  ôc  payé 
leur  prêt  ,  il  vint  à  Newmunfter.  Il  y  fit  aufli  la  revûë  du 
régiment  de  fes  gardes ,  diftribua  les  emplois  aux  meilleurs 
officiers  de  Dannemarc  ôc  du  Holftein  ,  ôc  arriva  le  17  de 
Mai  à  un  village  nommé  Hohenvefted ,  où  toute  l'armée  fe 
tendit.  Le  lendemain  il  fut  réfolu,que  cinq  jours  après  on  en- 
treroit  en  Dietmarfie. 

Cependant  on  dreiïa  des  Lettres  fcellées  des  trois  fceaux  de 
l'Etat,  contenant  une  déclaration  de  guerre  aux  Dietmarfiens. 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXII.       525 

On  reprochoit  à  ces  peuples  dans  cet  écrit  de  vieilles  injures,  m  ■  ■ 
dont  cependant,  difoit-on,  on  venoit  moins  pourfuivrelaven-  j^enri  jj 
gence ,  que  punir  des  fujets  rebelles  ,  ôc  odieux  aux  peuples  x  ç  r  o. 
voifinsjon  obligea  un  homme  condamné  au  dernier  fupplice 
de  porter  ces  lettres.  Ce  prétendu  hérault  fe  rendit  à  Heiden, 
la  plus  forte  place  du  payis ,  où  quarante-huit  des  plus  nota- 
bles d'entre  les  Dietmarliens  conféroient  fur  leurs  affaires.  Trois 
jours  après  le  Roi  reçut  une  réponfe  àfon  manifefte  ;  ces  peu- 
ples ,  jufque  là  fi  fiers  ôc  fi  intraitables ,  y  employoient  les  ter- 
mes les  plus  humbles ,  pour  détourner  l'orage  dont  ils  étoient 
menacez  i  comme  s'ils  euffent  prévu  que  cette  guerre  leur 
feroit  funefte.  Après  avoir  dit ,  que  le  Roi  de  Dannemarc  ne 
pouvoit  établir  par  aucun  titre  qu'ils  fuffent  fes  fujets  ,  ôc 
après  avoir  allégué  leurs  anciens  traitez  avec  les  archevêques 
de  Brème ,  ils  ajoûtoient  qu'ils  étoient  difpofez  à  accepter  les 
conditions  qui  feroient  trouvées  raifonnables.  Enfuite  ils  con- 
juroient  le  Dieu  tout-puiffant ,  qui  protège  l'innocence ,  ôc  qui 
tient  dans  fes  mains  le  coeur  des  Princes,  de  vouloir  les  fléchir, 
ôc  détourner  les  maux  qu'ils  leur  préparoient  ;  ou  qu'au  moins 
il  leur  donnât  à  eux  affez  de  courage ,  pour  repoulfer  la  vio- 
lence, ôc  fe  garantir  des  effets  d'une  guerre  injufte. 

Le  Roi  ôc  les  Princes  fes  oncles  ayant  reçu  cette  réponfe, 
vinrent  camper  le  22  de  Mai  aux  bords  du  Stor ,  près  d'un  vil- 
lage nommé  de  Oerichftorp.  Telle  étoit  la  marche  de  l'ar- 
mée :  les  enfans  perdus  tirez  de  différens  corps  étoient  à  la 
tête  5  Maurice  de  Ranzau  conduifoit  les  premiers  batail- 
lons ,  qui  étoient  foutenus  d'un  gros  de  cavalerie ,  ôc  qui 
avoient  avec  eux  les  pionniers ,  ôc  les  pièces  de  campagne. 
Les  regimens  de  Volfang  Schonwefen  ôc  deReimers  de  Wal- 
de  venoient  enfuite.  Le  Roi  étoit  au  centre  ,  avec  fon  régiment 
des  gardes  ,  ôc  la  gendarmerie  des  Princes  richement  vêtue. 
Enfin  les  regimens  de  Walterthumbs ,  ôc  de  Blankembourg 
avec  la  cavalerie  de  Theodoric  Holle  fermoient  la  marche. 
De  plus ,  Antoine  comte  d'Oldembourg  fe  rendit  à  l'armée 
avec  quinze  bataillons.  On  vint  camper  fur  le  foir  à  Alver- 
ftorp ,  village  fur  les  frontières  de  Dietmarfie.  On  enleva  des 
bœufs  ;  on  pilla  des  maifons ,  ôc  on  fit  quelques  payifans  pri- 
fonniers ,  à  qui  on  donna  la  torture ,  pour  leur  faire  avouée 
quelles  étoient  les  forces  des  ennemis.    Enfuite  on  détacha 

Sfij 


524  HISTOIRE 

■»  Walterthumbs ,  &  Blamkenbourg  avec  leurs  regimens ,  pour 
Henri  IL  reconnoître  le  pays  ,  ôc  s'informer  11  les  prifonniers  avoient 
i  r  <-  gt  confeffé  la  vérité.  Les  payifans  avoient  bâti  trois  Forts  revê- 
tus de  lofiez  ôc  de  remparts ,  à  l'entrée  de  ces  détroits ,  par 
où  l'on  defcend  dans  ce  payis  bas  Ôc  marécageux ,  en  venant 
par  la  plaine.  D'abord  le  Roi  marcha  vers  Dielbruk ,  bourga- 
de aûez  mal  fortifiée ,  dont  les  habitans  avoient  retiré  leurs 
meilleurs  effets ,  pour  les  tranfporter  plus  avant  dans  le  payis. 
Mais  Jean  deRanzau,qui  craignoitque  l'ardeur  du  foldatne 
fe  confumât  vainement  auprès  d'une  méchante  bicoque ,  ôc  ne 
fe  ralentît  enfuite  ,  confeilla  au  Roi  d'attaquer  Hamme  ,  qui 
étoit  par  fa  fituation ,  ôc  par  les  ouvrages  qu'on  y  avoit  faits, 
la  meilleure  place  de  toute  la  Dietmarfie.  Mais  les  difficultez, 
qui  fe  rencontroient  à  faire  ce  fiége ,  firent  naître  de  gran- 
des conteftations  dans  le  Confeii  du  Roi  :  Breda  de  Ran- 
zau  foutenoit  qu'on  devoit  avant  toutes  chofes  faire  le  fiége 
de  Dielbruk.  Enfin  il  fut  réfolu  qu'on  afïiégeroit  Meldorpt,  ôc 
qu'en  même  tems ,  après  s'être  informé  de  la  fureté  des  paf- 
fages  par  le  moyen  des  déferteurs  ,  on  envoyeroit  des  troupes 
à  Hamme,  ôc  à  Dielbruk,  afin  que  les  ennemis  partageaflent 
leurs  forces ,  dans  l'incertitude  où  ils  feroient ,  laquelle  de  ces 
trois  places  on  vouloit  afïiéger.  Cette  rufe  réulfit  aux  Danois. 
Car  les  habitans  de  Dielbruk ,  qui  craignoient  pour  eux  ,  en- 
gagèrent par  des  lettres  prenantes  ceux  de  Meldorpt  «à  leur 
envoyer  quatre  cens  foldats  ;  fecours  qui  affoiblit  confidéra- 
blement  lagarnifon  de  cette  dernière  ville,  ôc  qui  fut  très-inu- 
tile  à  ceux  de  Dielbruk. 

On  marcha  à  Meldorpt  par  trois  chemins  différens.  On 
détacha  Schorrwefen  ,  Walde  ,  ôc  "Walterthums  avec  leurs 
regimens  ,  ôcgrand  nombre  de  pionniers,  aulfibien  queTheo- 
doric  Holle  avec  fa  cavalerie  ,  pour  attaquer  la  place  du  côté 
du  Nord.  Ils  avoient  pour  guide  un  déferteur  ,  nommé  Ber- 
thold  Peters.  Le  comte  d'Oldembourg  ayant  laiffé  à  coté  le 
bourg  de  "Windberg ,  s'approcha  de  la  ville  vers  le  midi ,  ac- 
compagné de  François  Bulow  ,  Ôc  foutenu  des  efcadrons  que 
commandoit  Maurice  de  Ranzau.  Les  Princes  avec  deux  en- 
feignes  prirent  aufïï  leur  quartier,  à  la  portée  du  canon  de  la 
place.  On  fit  venir  des  pontons  ,  ôc  des  claies ,  afin  que  dans 
ce  terrain  aquatique  ôc  marécageux  les  troupes  puffent  paiTeir 


DEJ.  A.  DE    THOU,  Liv.  XXII.       32? 

d'un  quartier  à  un  autre ,  ôc  fe  fecourir  mutuellement.  Ce  fut ^ 

devant  cette  ville  que  Sebaftien  Erfam  député  de  la  Régence  tjf  ,  tj 
de  Lubec  vint  trouver  les  Princes,  pour  leur  propofer  quel- 
que  voie  d  accommodement.  Jvlais  11  s  en  retourna  lans  avoir  *  - 
pu  rien  obtenir.  Schonwefen  s'étant  approché  très-près  de  la 
ville,  à  la  faveur  d'un  pont  qu'il  fit  jetter  la  nuit  fur  des  fofiez 
pleins  d'eau  ,  fut  expofé  au  feu  continuel  des  afliégez.  Alors 
fe  .trouvant  fans  Peters  fon  guide,  qui  étoit  retourné  fur  fes 
pas ,  pour  prendre  fon  cheval ,  il  voulut  quitter  fon  pofte  pour 
le  garantir  de  la  moufqueterie ,  ôc  tomba  avec  fes  gens  dans 
de  profondes  folles  remplies  d'eau  ôc  de  boue ,  d'où  fes  fol- 
dats ,  qui  y  étoient enfoncez  jufqu'au  cou,  ne  pouvoient  for- 
tir.  Peu  s'en  fallut  qu'ils  ne  périffent  tous  dans  ce  terrain  fan- 
geux ,  ou  qu'ils  n'y  fuffent  taillez  en  pièces.  Mais  Holle  étant 
accouru  fort  à  propos,  repouffa  les  ennemis  à  la  tête  de  fa  ca- 
valerie; les  gens  de  pied  ne  purent  combattre,  parce  que 
leur  armes  à  feu  étoient  gâtées  par  les  eaux ,  ôc  que  ce  fut 
affez  pour  eux  de  fortir  d'un  fi  grand  péril.  Schony/efen ,  qui 
avoit  engagé  les  autres  dans  le  danger,  fit  long-tems  le  devoir 
de  foldat  ôcde  capitaine,  ôc  combattit  vaillament  la  pique  à 
la  main  à  la  tête  de  fes  foldats.  Enfin  il  fut  bleffé  d'un  coup 
de  canon ,  dont  il  mourut  quatre  jours  après  ;  ôc  fon  régiment 
fut  donné  à  Vriûberger.  On  brûla  tous  les  moulins  à  vent ,  qui 
font  en  grand  nombre  en  cette  contrée. 

Alors  Henri  de  Ranzau  donna  l'ordre  pour  une  attaque  gé- 
nérale, parce  qu'on  étoit  convenu,  que  quand  toutes  les  trou- 
pes feroient  arrivées  au  fiége  ,  on  iroit  à  l'affaut.  Jean  de 
Ranzau  ,  voyant  que  le  foldat  ne  marchoit  qu'avec  lenteur , 
ôc  que  le  régiment  de  Schonwefen  ,  qui  avoit  été  fi  maltraité 
quelques  jours  auparavant }  paroiffoit  rebuté  >met  pied  à  terre, 
ôc  anime  par  fon  exemple  les  troupes ,  qui  euffent  été  honteu- 
fes  de  ne  pas  fuivre  leur  Général.  Aufli-tôt,  à  la  faveur  d'un 
grand  feu  d'artillerie  ,  il  fait  paffer  les  foffez  à  quatre  ragi- 
mens,  ôc  les  mené  au  pié  des  remparts.  Ces  peuples  féroces, 
redoutables  par  la  force  ôc  par  la  grandeur  de  leurs  corps  3 
défendoient  leurs  mûrs  avec  un  courage  ,  qu'animoit  encore 
deux  puifTans  motifs ,  le  zélé  pour  la  patrie  ,  ôc  l'amour  de  la 
liberté.  On  vit  même  des  femmes  Dietmarfiennes  mêlées  par- 
mi les   hommes  s'acquitter   des  devoirs  du  foldat  j  ôc  une 

Sfiij 


32*  HISTOIRE 

entr'autres  ,  qui  combattant  vaillament,tua  à  coups  de  couteau 
Henri  II.  plus  d'un  ennemi.  Enfin  les  afliégez  3  qui  avoient ,  fi  j'ofe  le 
•  S  S  p.     dire  >  plutôt  couvert  leur  ville  de  leur  corps  que  de  leurs  mu- 
railles ,  fe  voyant  accablez  par  le  nombre ,  abandonnèrent  le 
rempart.  Aufîi-tôt  les  foldats  de  Ranzau  étant  entrez  par  la 
brèche ,   ouvrirent  les  portes.  Adolfe  entra  le  premier  ,  fuivi 
de  quatre   Gendarmes  ;  puis  le  Roi  avec  fon  régiment  des 
Gardes  ,  &  Henri  de  Ranzau.  D'abord  le  foldat  furieux  n'é- 
pargna ni  fexe  ni  âge ,  Ôc  le  carnage  fut  fi  grand  s  que  des  ruifleaux 
de  fang  couloient  dans  les  rues  :  quatre  cens  hommes  furent  tuez 
du  côté  des  afliégez  ,  ôccent  du  côté  des  Danois.   Il  eft  certain 
que  fi  l'on  eût  donné  l'afTaut  en  plufieurs  endroits 3  ôc  qu'on 
n'eût  pas  perdu  du  tems  3  on  fe  feroit  rendu  maître  de  tous  les 
afliégez.  Mais  un  grand  nombre  fortit  de  la  ville  par   l'au- 
tre côté  3  avec  dix  enfeignes  déployées  3  emmenant  avec  eux 
vingt  grofles  pièces  de  canon  par  des  chemins  inconnus  aux 
Danois.    Cependant  plufieurs  de  ces  fuyards  rencontrèrent 
malheureufement  les   troupes  du  comte  d'Oldembourg  ,  ôc 
de  Maurice  de  Ranzau  3  qui  en  tuèrent  trois   cens  ,  ôc  pri- 
rent vingt-cinq  canons  de  toute  grandeur ,  avec  plufieurs  barils 
de  poudre.  C'eftainfi  que  Meldorpt  fut  pris  d'affaut ,  letroifié- 
me  du  mois  de  Juin.  Il  y  eut  de  grandes  conteftations  entre 
les  vainqueurs  dans  le  partage   du   butin  ,   ôc  peu  s'en  falut 
qu'on  n'en  vînt  aux  armes  ;  les  gens  de  pied  difoient  3  qu'eux 
feuls  avoient  fait  le  fiége ,  ôc  effuyé  tous  les  périls  3  ôc  que  par 
la  fituation  du  lieu ,  la  cavalerie  n'avoit  été  que  fpectatrice  de 
leurs  travaux ,  ôc  ne  devoit  point  avoir  part  au  butin.    Après 
que   les  Généraux  eurent    appaifé   le  tumulte  3    on  conduifit 
l'armée    à   Braunfbuttel.    Walde  ôc  Blankembourg    eurent 
ordre   de   retourner  dans  le  Holftein  3  le  premier  avec  fes 
gens  de  pied  ,  ôc  celui-ci  avec  fa  cavalerie  ,  ôc  de  prendre 
un  grand  détour  pour  joindre  Nicolas  de  Ranzau  >  qui  gardoit 
les  bords  de  l'Elbe  s  afin  de  fermer  le  paffage  aux  Dietmarfiens 
de  ces  cantons  3  qui  viendroientau  fecours  de  Braunfbuttel.' 

Jean  de  Ranzau  réfolut  d'attaquer  cette  place  d'emblée 
avec  les  troupes  de  Virfberger  ôc  de  Maurice  de  Ranzau. 
Il  s'avança  le  fept  de  Juin  le  long  des  bords  de  l'Elbe  jufqu'à 
un  terrein  fec  ôc  fabloneux ,  où  les  troupes  pouvoient  pafTer  le 
fleuve  fans  danger.  Ceux  de  Dietmarfie  voyant  ces  mouve- 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXII.       327 

mens ,  prirent  la  fuite  ,  abandonnèrent  leur  bagage  ,  ôc  per-  •**"—- ~^g 
dirent  environ  quatre  cens  hommes  ,  taillés  en  pièces  Henri  II. 
par  tes  Danois  qui  les  fuivoient  en  queue.  On  leur  enleva  l  S  S  9- 
un  drapeau ,  ôc  Ton  reprit  plulieurs  chariots  chargez  de  muni- 
tions ,  qu'ils  avoient  enlevez  aux  Danois  quelques  jours  aupa- 
ravant. Enfuite  Ranzau  entra  dans  Braunfbuttel,  qu'il  trouva 
abandonné  ,  les  habitans  s'étant  retirez  plus  avant  dans  le  payis. 
On  détacha  le  lieutenant  de  JBlankembourg ,  ôc  Maurice  de 
Ranzau  avec  trois  cens  Gendarmes,  afin  de  pourfuivre  les 
fuyards.  Plufieurs  de  ces  malheureux  habitans,  au  nombre  d'en- 
viron quatre  cens ,  n'ayant  pûfuivre  les  autres,  s'étoient écar- 
tez du  chemin,  ôc  avoient  gagné,  avec  leurs  femmes  ôc  leurs 
enfans ,  des  chaumières  bâties  dans  des  lieux  bas  ôc  maréca- 
geux. Là  ils  s'étoient  fortifiez  à  la  hâte  par  des  foflez  ,  par  quel- 
ques ouvrages  de  terre  ,  par  des  chariots  joints  enfemble,  par 
des  facs  remplis  de  laine  ou  de  bourre ,  ôc  par  tout  ce  que  la 
néceiîité  avoit  pu  leur  fournir  ;  réfolus  de  difputer  dans  ces 
cabanes  leur  vie  ôc  leur  liberté.  Mais  lorfqu'ils  fe  virent  envi- 
ronnez de  toutes  parts,  ils  jetterent  leurs  armes ,  ôc  fe  rendi- 
rent à  la  difcretion  du  vainqueur. 

Lorfqu'on  déliberoit  fur  ce  qu'on  feroit  des  prifonniers  ,  que 
plufieurs  regardoient  comme  indignes  de  toute  grâce,  Breda 
de  Ranzau  fut  d'avis  qu'on  leur  donnât  la  vie  :  il  dit ,  qu'il 
feroit  inhumain  d'égorger  des  gens  defarmez,  ôc  qui  venoient 
de  fe  rendre. 'Le  Roi  ayant  approuvé  ce  fentiment,  on  les 
embarqua  fur  des  batteaux  ,  ôc  ,  après  leur  avoir  fait  prêter 
ferment  aux  Princes ,  on  les  tranfporta  de  l'autre  coté  de  l'El- 
be. Les  plus  confidérables  furent  envoyez  en  differens  châ- 
teaux du  Holftein  ,  Ôc  détenus  jufqu'à  la  fin  de  la  guerre. 
On  renouvella  alors  dans  le  camp  les  conteftations  fur  le  par- 
tage du  butin ,  ôc  il  falut  quelque  tems  pour  calmer  le  tumulte. 
Enfin ,  pour  prévenir  ces  dangereux  differens  ,  les  Colonels 
eurent  ordre  de  dire  aux  Capitaines  ,  que  le  butin  appartien- 
droit  à  l'officier,  ou  aufoldat,  qui  l'auroit  fait  fur  l'ennemi  5 
ôc  qu'on  ne  pourrait  courir  au  pillage  ,  que  quand  l'ennemi 
feroit  entièrement  vaincu.  Enfuite  on  réfolut  dans  le  confeil 
de  mener  Parmée  à  Dielbruck  5  ôc  l'on  donna  ordre  au  comte 
d'Oldembourg  ,  ôc  à  Maurice  de  Ranzau ,  de  fe  rendre  de 
Meldorpt  au  camp  du  Roi  ,  ôc  de  feindre  de  vouloir  atta- 
quer en  chemin  la  ville  de  Henningftet ,  où  l'on  fe  fouvenoit 


328  HISTOIRE 

». ■■— ■  encore  ,  que  Jean  roi  de  Dannemarc  avoit  été  tué  par  les 

Henri  II.  Dietmarfîens.  Le  Général  Ranzau ,  qui  avoit  donné  cet  or- 
i  S"  T  9.  dre,  fe  perfuadoit  que  les  ennemis  croiroient  facilement ,  que 
les  Danois  en  vouloient  à  cette  dernière  place,  pour  venger  la 
défaite  de  leurs  pères  ,  ôc  l'affront  qu'ils  y  avoient  reçu.  Cette 
feinte  facilita  en  effet  la  prife  de  Dielbruk  ,  qui  n'avoit  qu'une 
foible  garnifon  5  car  toutes  les  forces  du  payis  s'étoient  rendues 
à  Henningftet ,  fur  le  bruit  que  l'on  alloit  en  faire  le  liège. 
Le  Général  ayant  enfuite  défait  en  chemin  quelques  payifans 
atroupez ,  vint  camper  aux  bords  d'une  petite  rivière  ,  qui 
coule  entre  Heyden  ôc  Dielbruk  ,  ôc  fit  pafler  fon  armée  de 
l'autre  côté. 

Comme  l'on  croyoit  qu'on  trouveroit  Heiden  abandonné , 
on  penfoit  déjà  à  y  loger  les  troupes.  Mais  Jacque  de  Blan- 
kembourg  ,  ôc  Afcagne  Holle ,  qu'on  envoya  à  la  découverte , 
avec  les  volontaires  qu'ils  conduifoient ,  apprirent  de  quel- 
ques femmes  en  approchant  de  la  ville,  qu'il  y  avoit  du  mon- 
de dedans.  En  même-tems  ils  apperçurent  de  loin  quatre  ba- 
taillons ennemis ,  qui  venoient  à  eux  en  bon  ordre  ,  ôc  avec 
du  canon ,  lefquels  trompez  par  leurs  efpions  croyoient  n'a- 
voir  tout-au-pius  que  deux  cens  hommes  à  combattre.  Ils  fu- 
rent quelque-tems  fans  s'appercevoir  de  l'erreur,  parce  qu'une 
colline  couvroit  le  refte  de  l'armée.  Cette  méprife  leur 
coûta  cher,  ôc  ils  furent  taillez  en  pièce.  Le  Roi  s'avança  lui- 
même  avec  fon  régiment  des  Gardes  le  long  du  coteau,  ayant 
Un  marais  à  fa  gauche  ,  ôc  vint  en  cet  endroit  où  les  ennemis 
^voient  placé  leur  canon.  Le  duc  de  Holftein  ,  ôc  le  prince 
Jean,  fes  oncles,  le  couvroient  avec  leurs  troupes  ,  tandis  que 
Joachim  de  Blankembourg  côtoyant  obliquement  les  foldats 
d'Adolfe,  occupoit  le  terrein  entre  les  gardes  du  Roi  ôc  la 
ville ,  pour  en  défendre  l'entrée  aux  habitans.  Cela  fut  caufe 
qu'il  y  en  eut  peu  de  ceux-ci  qui  échappèrent  >  près  de  cent 
fe  précipitèrent  dans  le  marais  ,  ou  fe  fauverent  par  des  fen- 
tiers  détournez.  Cet  avantage  ne  fut  pas  fans  quelque  perte 
du  côté  des  Danois  •>  Jean  ôc  Nicolas  Truzen  d'une  iliuftre 
maifon  de  Dannemarc  y  furent  bleflez  à  mort  5  Eric  Podef- 
buch  y  ôc  André  Friez  furent  tuez  par  la  faute  de  quelques 
Moufquetaires  ,  qui  pourfuivant  avec  trop  de  chaleur  les 
fuyards  épars  cà  ôc  là  tirèrent  imprudemment  fur  les  troupes 
du  Roi.  A  peine  ce  combat  fut  fini,  que  l'on  apperçut encore 

quelques 


DE  J.  A.   DETHOU,Liv.  XXII.       32^ 

quelques  efcadrons  ennemis.  Alors  le  Général  Ranzau ,  qui 
\ouloitles  attirer  au  combat,  cacha  fa  cavalerie  derrière  les  Henri  IL 
trois  montagnes  ,  qui  commandent  la  ville  ,  ôc  lui  défendit  j  ^n 
d'avancer  ,  pour  donner  lieu  aux  habitans  de  fortir  en  plus 
grand  nombre.  Enfin-  la  cavalerie  6c  l'infanterie  Danoifes 
donnèrent  en  même-tems  ;  ôc  celle  -  là  prit  fur  la  gauche  au- 
delà  de  la  ville  ,  pour  enfermer  les  ennemis. 

Les  Dietmarfiens  fe  voyant   invertis  de  toutes  parts  ~   ne 
perdent  point  courage.  Retirez  dans  une  prairie  derrière  des 
fofTez  ,  ôc  des  amas  de  terre ,  ils  combattent  vaillament  ,  ôc 
repoulfent  avec  des  pieux  ôc  des  piques  les  Danois  qui  ve- 
noient  à  eux  ,   6c  leur  enlèvent  même  un  drapeau.   Adolfe 
secourt  aufli-tôt  ,  fuivi  de  quelques-uns  de  fes  gardes  ,  6c  arrê- 
tant par  le  bras  ceux  qui  fuyoient  avec  leurs  drapeaux ,  il  les 
exhorte  à  retourner  au  combat.  Il  leur  dit  qu'ils  n'avoient  que 
ce  feul  moyen  de  fauver  leur  vie  ,  ôc  d'éviter  le  deshonneur: 
Qu'ils  n'ignoroient  pas  combien  leur  lâcheté  avoit  été  depuis 
peu  préjudiciable  à  l'armée  :  Quil  ne  tenoit  qu'à  eux  défaire 
oublier  le  paffé ,  d'afîurer  par  quelque  action  remarquable  la 
gloire  6c  le  repos  de  la  patrie  ,  ôc  de  s'attirer  la  bienveillance 
de  leurs  Princes:  Qu'enfin  ils  euflentà  fe fouvenir qu'ils com- 
battoient  contre  des  hommes  féroces  ôc  ruftiques  ,  qu'il  étoit 
moins  glorieux  de  vaincre ,  qu'il  n'étoit  honteux  d'en  être 
vaincu.  Alors  croyant  voir  renaître  le  courage  des  fiensj  il  vou- 
lut encore  les  animer  par  fon  exemple.  Il  pique  vers  l'ennemi  , 
ôc  perce  un  foldat  Dietmarfien  qu'il  rencontre.  Celui-ci  mal- 
gré fa  bleflure  lance  un  bâton  ferré  au  Prince  qui  s' étoit  avan- 
cé ,  ôc  le  bleffe  confidérablement  au-deffus  de  la   hanche  , 
parce  que  la  chaleur  lui  avoit  fait  quitter  les  armes  défenfives. 
On  le  retira  du  combat  ,  ôc  on  le  mit  fur  un  chariot.  A  ce 
fpe£tacle  les  Danois ,  que  ni  le  foin  de  leur  propre  fureté  ,  ni 
la  crainte  de  l'infamie,  ni  la  voix  du  Prince,  n'avoient  pu  ani- 
mer au  combat ,  reprennent  courage  ,  ôc  forcent  les  retran- 
chemens  ,  quoiqu'ils  euffent  fait  une  grande  route  toute  la  nuit 
par  une  chaleur  exceflive.  Ceux  des  ennemis  ,  qui  ne  furent 
pas  tuez  fur  le  champ ,  ou  fe  précipitèrent  dans  des  foffez , 
ou  furent  défaits  par  la  cavalerie  qui  les  pourfuivoit  5  enforte 
que  peu  fe  fauverent. 

Il  arriva,  que  durant  le  combat  quelques  cavaliers  Danois 
Tome  IIL  T  t 


33o  HISTOIRE 

entrèrent  dans  Heyden  pour  piller ,  contre  îe  règlement  qui 
Henri  II  avo^  été  fait.  Quoiqu'il  n'y  eût  qu'une  foibîe  garnifon  de  peu 
de  foldats  ,  ils  furent  repouffez  ,  ôc  perdirent  un  de  leurs  offi- 
ciers ,  appelle  Marc  Romanaw.  Mais  Maurice  de  Ranzau  , 
quiavoit  été  envoyé  à  Henningfted  ,  comme  nous  avons  dit, 
étant  alors  furvenu  ,  les  habitans  ,.  qui  s'étoient  contentez  de  fe 
défendre ,  attaquèrent  les  Danois ,  étant  animez  par  le  defelpoir  ,. 
ôc  combattirent  courageufement ,  jufqu'àce  que  la  cavalerie 
ennemie  fuperieure  en  forces  les  eut  prefque  tous  taillez  en 
pièces.  Trois  cens  Dietmariiens  périrent  en  ce  combat ,  où 
Theodoric  Holle  reçut  un  coup  mortel.  Ceux  qui  purent  écha- 
per ,  s'étant  ralliez  fur  le  foir,fe  retirèrent  en  un  endroit,  dont 
la  fitutation  étoit  avantageufe  ,  6c  comme  ils  fe  difpofoient  à 
fe  défendre,  on  fît  marcher  de  la  cavalerie  à  eux.  Alors  le 
Général  infatigable  ,  pour  ne  pas  donner  le  tems  aux  enne- 
mis de  fe  rallier ,  ôc  de  reprendre  courage  ,  s'approcha  avec 
fon  armée  ôc  avec  du  canon  des  mûrs  d'Heyden  ,  quoique  la 
plupart  des  officiers  ne  fulfent  pas  de  cet  avis.  Il  y  eut  là 
encore  un  combat  fanglant,  qui  ne  finit  que  par  l'embrafe- 
ment  de  la  ville ,  ôc  par  la  mort  de  ceux  qui  la  défendoient  , 
qui  furent  tous  enfevehs  fous  fes  ruines.  Telle  fut  la  defhnée 
de  cette  ville  ,1a  plus  confidérable  de  toute  la  Dietmarfie  par 
fes  foires  ,  par  fon  Sénat ,  ôc  par  fes  édifices.  Après  que  lefol- 
dat  s'y  fut  repofé  de  fes  fatigues  ,  ôc  qu'il  eut  bu  en  abondan- 
ce de  la  bière,  ôc  des  vins  de  liqueur  ,  le  Général  l'en  fit 
fortir  ,  ôc  lui  donna  ordre  de  fe  retirer  auprès  du  canon.  Il 
craignoit ,  que  ce  qui  reftoit  d'ennemis  pouffé  parle  defelpoir 
n'attaquât  les  liens  en  quelque  lieu  qu'il  les  trouvât ,  ôc  qu'il  ne 
les  furprît  la  nuit,  en  un  tems  où  la  joye  de  la  vicloire  fait  oublier 
le  foin  de  la  difcipline.  Il  mit  auffi  des  fentinelles  en  plufieurs 
endroits,  pour  empêcher  toute  furprife  ,  ôc  afin  que  rien  ne 
pût  diminuer  l'honneur  d'une  victoire  achetée  par  trois  com- 
bats donnez  le  même  jour.  Trois  mille  Dietmarfiens  y  perdi- 
rent la  vie ,  fans  compter  les  bleffez  qu'on  prit ,  ôc  d'autres  qui 
s'échappèrent  demi- morts  à  la  faveur  de  la  nuit.  Le  Roi  per- 
dit trois  cens  hommes ,  du  nombre  defquels  fut  George  Ale- 
velt  d'une  naiffance  iîluftre ,  qui  étoit  Enfeigne  de  la  compa- 
gnie des  Gardes  du  duc  d'Holftein.  Il  reçut  un  coup  d'arque- 
bufe  dans  les  reins  ,  dont  il  mourut  à  Redefbourg  neuf  jours 


DE  J.  A.  DE   THOU.Liv.  XXÎI.      331 

après.  Plufieurs  Princes  ou  Seigneurs  furent  bleffez. 

Après  cela,  l'armée  s'étant  avancée  près  de  Hamme  ,  Adol-  ]-tenri  h 
fe  fe  fît  porter  au  camp  ,  n'étant  pas  encore  guéri  de  fa  bief- 
fure  ,  ôc  fut  vifité  par  le  Roi  fon  neveu  ,  qui  lui  donna  bien 
des  marques  de  confiance  ôc  d'amitié.  Les  Danois  ,  qui   ve- 
noient  de  fubjuguer  cette  partie  de  la  Dietmarfie  ,  qui  eft  rem- 
plie de  campagnes  ôc  de  plaines  ,  avoient  encore  à  foumet- 
tre  cette  autre  qui  eft  plus  baffe,  ôc  toute  marécageufe  >  qu'on 
appelle  Marfland.   Ceux  qui  avoient  échappé  au  fer  ôc  à  la 
flamme,  les  femmes  ,  les  vieillards ,  les  enfans ,  s'étoient   re- 
tirez  en  ces  lieux  aquatiques  ,  avec  ce   qu'ils  avoient  de  plus 
prétieux  ,  réfolus  à  fouffrir  les  derniers  malheurs.  Durant  qu'on 
délibérait  fur  les  moyens  de  fe  rendre  maître  de  ce  payis ,  on 
vit  arriver  dans  le  camp  du  Roi  deux  Prêtres,  qui  fe  difoient  en- 
voyez aux  Princes  de  la  part  de  ces  peuples.  Ils  portoient  l'un  ôc 
l'autre  un  bâton  blanc  à  la  main  ,    où  étoit.  attachée  une  re- 
quête ouverte  ,  fans  fceau  ôc   fans  fignature.  Cet  écrit  por- 
toit,  qu'ils  reconnoiffoient  les  princes  Danois  pour  fouverains 
de  la  Dietmarfie  ôc  que  fi  jufqu' alors  ils  leur  avoient  refufé 
cette  qualité  ,  même  les  armes  à  la  main  ,  ils  ne  l'avoient  fait 
que  pour  conferver  leurs  droits   ôc  leur  liberté.  Les  Prêtres 
avoient  ordre  de  demander  aux  Princes,  qu'ils vouluffent  bien 
donner  audience  à  leurs  députez  ,  ôc  donner  des  furetez  pour 
ceux  qui  viendroient  traiter  des  conditions  de  la  paix.  On 
leur  accorda  ce  qu'ils  demandoient  j  ôc  le  Général  Ranzau 
fut  autorifé  de  donner  des  paffeports  au  nom  des  princes  pour 
ceux  qui  feroient  envoyez.  Le  1 6  de  Mai  ,  cinq  de  ces  qua- 
rante-huit Magiftrats ,  qui  gouvernoient  la  Province  ,  fe  ren- 
dirent au  camp ,  ôc  promirent  de  fe  foumettre  à  ce  qu'on  exi- 
geroit  d'eux  ,  pourvu  qu'on  leur  confervât  les  biens  ôc  la  vie. 
On  délibéra  long-tems  fur  cette  affaire  dans  le  confeil  du  Roi, 
où    fe  trouva  Adolfe  ,    qui  n 'étoit  pas    encore  guéri  de  fa 
playe.  Sa  préfence  rendit  d'abord  peu  libres  les  fuffrages  de 
ceux  qui  opinèrent.  Ils  fe  perfuadoient    que  ce  prince  irrité 
voudrait  qu'on  exterminât  cette  nation.  Mais    ayant  pris  la 
parole,  il  les  tira  d'un  grand  embarras  ,  en  déclarant    qu'il 
étoit  d'avis  qu'on  ufât  de  clémence.  On  régla  donc ,  qu'avant 
toutes  chofes  les  Dietmarfiens  prêteraient  ferment  de  fidélité 
aux  Princes ,  à  la  manière  accoutumée  5  qu'ils  reftitueroient  de 

1     t    i; 


33 


2  HISTOIRE 


5^5=  bonne  foi  les  enfeignes  prifes  autrefois  fur  Jean  roi  de  Danne* 
Henri  IL  marc  ,  &  fur  le  duc  Frédéric  fon  frère  ,  ôc  tout  le  butin  qu'ils 
*  S  S  9>  avoient  fait  alors  :  Qu'ils  payeroient  (ix  cens  mille  écus  d'o£ 
pour  les  frais  de  la  prefente  guerre  5  que  la  fouveraineté  du 
payis  ,  le  domaine  s  les  droits  de  charte  ôc  de  pêche  ,  ôc  tou- 
tes les  autres  prérogatives  féodales  feroient  dévolues  aux  Prin- 
ces ,  lefquels  pourroient  bâtir  aux  frais  des  habitans  trois  cita- 
delles dans  les  lieux  de  la  Dietmarfie,  qu'ils  jugeroient  les  plus 
convenables;  Que  les  peuples  voifins  de  ces  châteaux  feroient 
obligez  de  donner  des  fonds  en  bois 3  prairies 3  ou  terres  de 
labeur ,  pour  entretenir  les  garnifons  ,  ôc  les  ouvrages  :  Que 
fuivant  l'ufage  du  payis  ,  les  habitans  feroient  obligez  à  certai- 
nes corvées  ;  que  tous  les  Forts  feroient  abattus  ôc  rafez  :  Que 
les  Dietmarliens  feroient  obligez  de  faire  tranfporter  au  lieu 
qu'on  leur  indiqueroit ,  ôc  de  livrer  aux  Princes  tout  leur  ca- 
non 3  leurs  munitions  de  guerre  ,  les  agrès  des  vaiiTeaux  ,  ÔC 
généralement  toutes  les  armes  dépofées  en  des  arfenaux  3  ou 
à  l'ufage  des  particuliers  :  Qu'ils  leveroient  tous  les  ans  au  pro- 
fit des  Princes  les  mêmes  fommes  qu'ils  levoient  actuellement  ï 
pour  les  dépenfes  de  la  guerre  :  Qu'ils  feroient  voir  de  bonne 
foi  tous  les  titres  ôc  toutes  les  concefïions  émanées  en  leur  fa- 
veur des  Papes  ôc  des  Empereurs ,  ôc  de  tout  autre  Prince  : 
Qu'ils  jureroient ,  qu'ils  n'en  avoient  point  d'autres  en  leur 
pouvoir  5  ôc  declareroient  de  nulle  valeur  par  un  écrit  autenti- 
que ,  tous  les  actes  qui  ne  feroient  pas  reprefentez  :  Que  les 
Princes  feroient  en  droit  d'établir  une  jurifdi£tion  danslepayisj 
laquelle  reiTortiroit  à  leur  Confeil  :  Que  ces  peuples  payeroient* 
comme  ceux  du  Holftein  ôc  de  Stormar,  les  emprunts  &  les  dons 
gratuits  qui  feroient  demandez  :  Qu'ils  renonceroient  à  toutes 
alliances  faites  avec  les  étrangers 3  ôc  n'en  pourroient  contrat 
cler  de  nouvelles  :  Qu'enfin  ils  feroient  aux  Princes  unedépu- 
tation  folemnelle  ,  pour  demander  pardon  de  leurs  fautes  3  ôc 
fe  reconnoîtroient  fujets  des  Princes  par  un  écrit  folemnel  3  ôc 
muni  du  fceau  de  leur  province  ;  ôc  qu'on  donneroit  en  ôta* 
ge  huit  Magiitrats 3  du  nombre  des  quarante  -  huit  qui  gou- 
vernoient  la  province  3  ôc  de  plus  feize  des  plus  confidérables 
de  la  nation  5  pour  fureté  de  l'exécution  du  traité. 

On  renvoya  les  députez  chargez  de  ces  dures  propositions; 
<&c  on  leur  donna  pour  efcorte  François  Bulow  ,  ôc  Henri -de 


DE  J.   A.   DE   TH'OU,  L  i  v.  XXXIL    33? 

Ranzau.  Ils  revinrent  trois  jours  après ,  tems  qu'on  leur  avoit  ~.  .— ■ 1 

iixé  ,  ôc  ayant  rapporté  une  réponfe  fur  chaque  article,  ils  de-  Henri  IL 
elarerent  qu'ils  étoient  prêts  à  fe  foûmettre  à  la  plupart  des  1  ?  ç  o, 
conditions,  qui  leur  étoient  prefcrites.  Ils  ajoutèrent,  qu'au  refte 
il  n'étoit  pas  en  leur  pouvoir  de  rembourfer  les  frais  de  la 
guerre ,  ôc  conjurèrent  les  Princes  d'avoir  égard  à  leur  indi- 
gence ,  6c  aux  calamitez  d'un  payis  que  la  guerre  avoit  dé- 
folé.  Ils  prièrent  aufïi,  qu'on  changeât  l'article  qui  les  obli- 
geoit  à  bâtir  trois  citadelles  ,  ôc  à  en  entretenir  les  garnifons ,  en 
fourniffant  des  fonds  de  terre  à  cet  effet.  Ils  demandèrent 
auffi  d'être  traitez  comme  ceux  de  Crempermarfch ,  de  Frie- 
fen,  ôc  de  "Wilftermarch  fujets  des  Princes,  &  d'être  exempts 
comme  eux  des  corvées  ôc  des  travaux  mentionnez  dans  les 
articles.  Enfin  ils  fupplierent  les  Princes  de  leur  accorder  un 
Sénat  à  Eiderftad,  pour  juger  les  procès  de  la  nation  fuivant 
les  règles  du  droit  écrit ,  fauf  l'appel  au  Confeil  du  Roi  ôc 
du  Duc. 

Après  plufieurs  conteftations ,  qui  durèrent  quelques  jours;  *-es  Dî^ 
on  adoucit  un  peu  ,  de  l'avis  des  principaux  du  Confeil ,  ôc  foumewentf 
furtout  du  Général  Ranzau  >  que  les  Princes  avoient  laiffé  en 
leur  abfence  à  la  tête  des  affaires ,  les  conditions  qui  avoient 
été  d'abord  propofées  ,  ôc  la  paix  fut  conclue.  On  arrêta  qu'au 
21  de  Juin  les  vaincus  apporteraient  toutes  les  armes  ôc  tou- 
tes les  munitions  de  guerre  qu'ils  avoient  en  leur  poffefîion  s 
Ôc  viendraient  demander  grâce  '■>  ce  qui  fe  paffa  de  cette  forte. 
Les  princes  Jean  ôc  Adolfe  (  le  Roi  étant  abfent)  accompagnez 
des  perfonnes  du  Confeil  étoient  au  milieu  d'une  plaine.  Tous 
les  Dietmarfiens  étoient  autour  à  genoux,  ôc  la  tête  nue,  en- 
tre lefquels  on  aurait  pu  à  peine  en  compter  quatre  mille  ca-* 
pables  de  porter  les  armes ,  qui  avoient  échappé  aux  derniers 
combats.  Les  vaincus  étoient  environnez  de  toute  l'armée  : 
plufieurs  d'entre  eux  crurent ,  à  la  vûë  de  tant  de  troupes  ; 
qu'on  les  avoit  amenez  à  la  boucherie.  Ce  fut  en  ce  lieu  qu'ils 
demandèrent  pardon  aux  Princes  3  ôc  qu'ils  préfenterent  leurs 
armes ,  leurs  drapeaux ,  ôc  environ  cent  pièces  de  canon ,  qui 
furent  envoyées  auffi-tôt  à  Meldorpt ,  ôc  partagées  entre  les 
Princes ,  comme  ils  en  étoient  convenus.  Ils  donnèrent  aufîl 
vingt-quatre  otages,  à  qui  on  commanda  de  s'arrêter  à  Ren- 
defbourg.  Cependant  on  rendit  à  la  plupart  des  Dietmarfiens 

Tt  iij 


334  Hï    STOIRE 

leurs  piques  odeurs  javelines,  pour  fe  défendre  des  Danois  qui 

Henri  M.  voudroient  les  infulter.  Enfuite  on  envoya  en  différens  lieux 
j  ç  ^  ç      du  Holftein  l'infanterie  ,  qui  avoit  compté  fur  un  grand  butin, 
ôc  on  lui  ôta  fou  canon  ,  de  peur  qu'elle  n'entreprît  quelque 
chofe  contre  le  fervice  des  Princes. 

C'eft  ainfi  que  cette  guerre  ,  que  les  évenemens  paffez  fai- 
foient  regarder  comme  très-importante ,  fut  heureufement  ter- 
minée prefque  dans  l'efpace  d'un  mois.  Au  refte ,  tant  que 
ces  peuples  nefongerent  qu'à  défendre  la  liberté  ôc  la  patrie, 
ils  combattirent  vaillamment,  ôc  cauferent  de  grands  maux 
aux  Ducs  de  Holftein  ,  ôc  aux  Rois  de  Dannemarc  :  mais  leur 
orgueil  étant  parvenu  jufqu'au  comble ,  ils  fe  portèrent  à  de 
grands  excès  contre  Dieu  même  ,  ôc  contre  les  peuples  voi- 
iins.  Ayant  irrité  le  ciel  qui  les  avoit  jufques-là  protégez,  ôc 
îa  puirfance  de  leurs  ennemis  s'étant  accrue  3  ils  perdirent 
par  leur  fierté  brutale  prefque  en  un  moment  cette  liberté  ÔC 
cette  indépendance ,  que  la  valeur  de  leurs  pères  leur  avoit  affu- 
rée.  L'année  fuivante  l'Empereur  Ferdinand  agréa  le  traité  qu'on 
venoit  de  faire ,  ôc  le  confirma. 
Affaires  d'I-      ^  Y  eut  au  commencement  de  cette  année  une  grande  révo* 

salie.  lution  à  Rome  dans  le  gouvernement  des  affaires.  '  Le  Saint 

Père  ayant  enfin  ouvert  les  yeux  ,  ôc  reconnu  combien  la 
puiffance  de  fes  neveux  étoit  devenue"  infupportable  aux  Ro- 
mains ,  commença  à  les  haïr.  Comme  ils  connoiffoient  le  ca- 
ractère du  Pontife  leur  oncle,  qui  étoit  très-fier,  ôc  nepouvoit 
fouffrir  qu'on  l'offensât,  ils  lui  avoient  fait  entreprendre  une 
guerre  funefte  au  faint  Siége,ôc  à  toute  l'Italie.  Ils  s'étoient  con- 
duits en  cette  occafion  par  des  vues  ambitieufes ,  ôc  fe  livrant 
à  l'orgueil  ôc  à  l'avarice  ,  ils  avoient  à  l'infçu  du  Pape  violé 
toutes  les  loix  de  la  bienféance  ôc  de  l'équité.  Après  avoir  épuifé 
le  thréfor  de  TEglife ,  ils  avoient  engagé  le  Saint  Père  à  im- 
pofer  des  tributs  onéreux,  ôc  jufqu alors  inoùis.  Ils  avoient 
établi  quatre  monts  de  pieté  ;  deux  perpétuels  qui  dévoient  ren- 
dre en  neuf  années  les  capitaux  avec  un  intérêt  de  huit  pour 
cent,  à  la  caution  de  l'Hôpital  du  S.  Efprit ,  ôc  de  Thomas  Ma- 
rini;ôc  deux  autres  non  perpétuels,  dont  l'un  étoit  hypothéqué  fur 
les  revenus  del'Ombrie,  ôc  dePeroufe,  ôc  l'autre  fur  les  aluns 
qu'on  cuit  à  Tolfa.  On  leva  le  centième  ôc  le  cinquantième 

\  1  Paul  IV.  nommé  avant  fon  exaltation  Jean-Pierre  Caraffe,  comme  on  a  vu 
d-devant. 


DE   J.  A.  DETHOU,Liv,  XXII.         53 y 

denier  fur  tous  les  biens,  ôc  deux  dixièmes  fur  tous  les  béné- 
fices de  l'Etat  eccléfiaftique.  On  déclara  aufti  plufieurs  char-  Henri  II. 
ges  vénales  ,  &  entr'autres  celles  des  juges  criminels,  ôcl'on     1  5  y  p. 
fit  porter  au  thréfor  un  mois  des  gages  de  tous  les  offices.  En- 
fin tous  les  Religieux  furent  obligez  de  travailler  à  des  ou- 
vrages de  terre ,  qu'on  élevoit  à  l'occafion  de  la  guerre. 

Après  la  paix  conclue  avec  Philippe  roi  d'Epagne,  ôc  que 
les  animoiitez  eurent  ceffé,  le  Pape  rentra  en  lui-même,  ôc 
fut  averti  par  un  certain  Jérémie  de  l'ordre  des  *  Théatins, 
que  les  Caraffes  [es  neveux,  ôc  fur-tout  le  Cardinal,  abufoient 
à  fon  infçu  du  pouvoir  qu'il  leur  avoit  confié  :  ce  qui  fit  que 
plus  attentif  au  gouvernement  de  l'Eglife ,  il  examina  leur 
conduite  de  plus  près.  En  même  tems  il  y  avoit  dans  les 
prifons  de  Tofcane  plufieurs  prifonniers  3  Moines ,  Prêtres ,  ôc 
autres  }  qui  recufant  les  juges  laïques  ,  reclamoient  la  jurifdic- 
tion  Eccléfiaftique.  Corne  Grand  duc  de  Florence ,  qui  croyoit 
qu'il  étoit  du  bien  public  que  les  criminels  fufTent  punis ,  ôc 
qui  ne  vouloit  pas  lailfer  languir  fi  long-tems  fes  fujets  dans 
les  prifons ,  avoit  prié  plufieurs  fois  le  Pape ,  mais  inutilement, 
de  lui  envoyer  quelque  perfonnage  fçavant  ôc  vertueux  ,  pour 
juger  les  coupables.  Ce  Prince  voyoit  encore  avec  indigna- 
tion l'infolence  des  Caraffes  ,  qui  non  contens  d'exercer  leurs 
vexations  dans  le  territoire  de  l'Eglife ,  impofoient  de  leur  au- 
torité privée  de  grands  fubfides  en  Tofcane  ôc  dans  toute 
l'Italie,  fur-tout  iur  les  Hôpitaux,  fur  les  Communautez  ec- 
cléfiaftiques ,  ôc  fur  les  perfonnes  engagées  dans  les  Ordres 
facrez.  Il  avoit  chargé  Bongianni  Bonfigliazzi  fon  envoyé  à 
Rome ,  de  faire  en  fon  nom  des  remontrances  au  Pape  fur  ces 
entreprifes  ;  mais  les  Caraffes  avoient  toujours  empêché  que 
ce  miniftre  n'eût  audience.  Corne  prit  le  parti  d'écrire  au 
Cardinal  Vitelli ,  qui  déteftoit  depuis  long-tems  l'orgueil  ôc 
le  faite  des  Caraffes ,  ôc  de  lui  envoyer  une  lettre  pour  le  Saint 
Père,  que  le  Cardinal  lui  préfenta. 

A  la  lecture  de  ces  dépêches  ,  le  vieux  Pontife  conçut  un   ie  Pape  Pau! 
grand  chagrin.  Se  fouvenant  des  avis  qu'on  lui  avoit  déjà  don-  îv-  chalfe  fe* 

•  1    P.  .1      r^,   /  T/   /     *         0      1  j  j      neveux  dsRo* 

nez  ,  il  fait  venir  le   I  neatin  J  eremie  ,  ôc  lui  ordonne  de  me 


1  Cet  Ordre  fut  inftitué  par  Paul 
IV.  avant  fon  exaltation  ;  8c  com- 
me il  étoit  alors  Evêque  deTheate^ 


il  donna  à  cette  Congrégation  le  nom 
de  fon  Evèché.  Voyez  le  Livre  XV* 


33*  HISTOIRE 

^^^^^a^  s'informer  du  cardinal  Vitelli,touchant  la  conduite  des  CarafTes, 
Henri  IL  ôc  de  lui  en  faire  un  fidèle  rapport.  Ce  Pape  impérieux,,  ôc  ex- 
1  S  S  9>  trèmement  jaloux  de  ion  autorité,  apprit  avec  indignation  ,  que 
le  Cardinal  fon  neveu  avoit  promis  de  livrer  au  Roi  d'Ef- 
pagne  la  ville  de  Palliano,  ôc  qu'il  avoir  là-defîus  fait  un  traité 
avec  le  duc  d'Albe  ,  qui  s'étoit  engagé  au  nom  de  fon  maî- 
tre de  donner  au  lieu  de  cette  place  une  récompenfe  au  duc 
de  Palliano  frère  du  Cardinal.  Le  Saint  Père  ,  qui  vouloit 
que  Palliano  demeurât  dans  fa  maifon ,  ôc  qui  dans  cette  vue 
en  avoit  confié  le  gouvernement  à  Bernardin  Carbone  fon 
parent ,  oubliant  alors  l'affection  qu'il  avoit  eue  jufques-là  pour 
le  Cardinal-neveu,  lui  ordonna  defortir  du  Vatican  où  il  lo- 
geoit,  ôc  lui  fit  défendre  fous  de  grandes  peines  de  fe  pré» 
fenter  jamais  devant  lui.  Enfuite  ayant  afTemblé  le  Confiftoi- 
re  le  27  de  Janvier,  il  ôta  à  ce  Cardinal  le  miniftere,  ôc  la 
légation  de  Ferrare.  Il  priva  aufîi  le  duc  de  Palliano  du  com- 
mandement des  troupes  de  l'Eglife,  ôc  de  la  charge  de  Gé- 
néral des  galères ,  ôc  le  marquis  de  Monte-bello  du  gouver- 
nement du  Vatican.  Il  déclama  avec  les  termes  les  plus  forts 
contre  la  conduite  tyrannique  de  fes  neveux  5  &  comme  quel- 
ques Cardinaux  excufoient  leurs  actions ,  pour  adoucir  le  ref- 
fentiment  du  Pape ,  il  fit  voir  un  vifage  fevere ,  ôc  les  reprit 
avec  aigreur.  Il  dit  même  au  cardinal  Rainuce  Farnefe,  que 
fon  l  ayeul  auroit  mieux  fait  de  préférer  (  comme  il  faifoit  au- 
jourd'hui )  les  devoirs  d'un  bon  pafteur  à  l'amour  de  fa  famille* 
ôc  de  punir  les  débauches  de  Pierre-Louis  Farnefe  fon  fils, 
qui  donnoient  de  l'horreur  à  tout  l'univers.  Ainfi  ayant  re- 
jette les  difcours  flatteurs  de  plufieurs  membres  du  facré  Col- 
lège, il  déclara  qu'il  fe  porteroit  à  de  plus  grandes  extrê- 
mitez  contre  fes  neveux,  s'ils  nefortoient  de  Rome  au  plutôt. 
Il  exila  le  cardinal  Caraffe  à  Lavinia,  ôc  le  duc  de  Palliano  à  Ga- 
îefe  (  château  que  ce  Pontife  avoir  acheté  depuis  peu  de  Jule 
de  la  Rouere  )  ôc  le  Marquis  de  Monte-bello  en  Ombrie.  Il 
priva  aufîi  de  leurs  charges ,  ôc  de  leurs  dignitez  ceux  qui  les 
tenoient  de  fes  neveux  ,  en  fit  emprifonner  quelques-uns, 
êc  donna  à  d'autres  leurs  emplois.  Il  abolit  en  même  tems 


1  Pauï  Iïl.  nommé  le  Cardinal  Ale- 
xandre Farnefe  avant  fon  exaltation, 
avoit  eu  un  fils  nommé  Pierre-Louis, 


père  d'Ottavio,  de  Rainuce,  &c.  ainfi 
qu'on  a  pu  voir  dans  les  livres  pré- 
cédent 

certains 


DEJ.  A.   DE  T  HO  U  ,  L  i  v.  XXII.       337 

certains  droits  de  pafTages,  ôc  quelques  autres  impôts,  comme  ' 

établis  à  fon  infçu ,  ôc  il  donna  le  gouvernement  de  Rome,  Henri  IL 
6c  du  Vatican  à  Camille  des  Urfms  de  Lamentano  ,  qui  étant     *  S  S  9* 
mort  peu  après ,  eut  pour  fucceffeur  Antoine  des  Urfins  frère 
du  duc  de  Gravina.    Le  généralat  des  galères  fut  donné  à 
Flaminio  des  Urfins  de  Stabbia. 

Enfuite  il  établit  une  Congrégation  de  vingt  Cardinaux  6c 
de  quelques  moindres  officiers  du  Palais ,  pour  juger  avec  lui 
une  foi  la  femaine ,  dans  une  audience  publique ,  toutes  les  cau- 
fes  des  fujets  du  Saint  Siège.  Il  vouloit  faire  voir  par  là  fon 
zélé  pour  la  juftice,  ôc  que  tous  les  défordres  qu'on  avoitvûs 
jufqu'alors ,  ne  dévoient  être  imputez  qu'à  fes  neveux.  Mais 
comme  fa  mauvaife  fanté  ne  lui  permettoit  pas  d'aiTifter  régu- 
lièrement à  ces  jugemens  ,  il  nomma  les  cardinaux  Trani ,  de 
Spolette,  ôc  Coniigiieri ,  pour  tenir  fa  place,  ôc  pour  décider 
fouverainement  de  tous  les  différens.  Il  déclara  aufïï  par  un 
édit ,  que  ceux  qui  auroient  reçu  quelque  tort  des  Magiftrats 
où  des  gouverneurs ,  euffent  à  fe  préfenter  ,  ôc  qu'il  leur  ren- 
droit  une  prompte  juftice.  Se  voyant  alors  débaraffé  des  foins 
de  la  guerre ,  il  fe  donna  tout  entier  aux  fonctions  de  l'Inqui- 
fition ,  quil  appelloit  un  tribunal  très-faint,  ôc  rendit  des  ju- 
gemens fort  févéres  contre  toutes  fortes  de  perfonnes.  Il  choi- 
sit pour  préfider  à  cette  redoutable  jurifdi&ion  Michel  Ghifle- 
ri ,  qu'il  avoit  depuis  peu  aggregé  au  facré  Collège ,  ôc  qui 
fut  nommé  le  Cardinal  l-  Alexandrin ,  perfonnage  d'une  vie 
auftere ,  ôc  d'un  caractère  fort  dur.  Il  vouloit  que  ce  tribu- 
nal connût  non-feulement  du  crime  d'héréfie  ,  mais  enco- 
re de  quelques  autres,  qui  étoient  punis  auparavant  parles  ju- 
ges ordinaires.  Il  obligea  de  plus  par  un  Décret  tous  ceux  qui 
avoient  fait  des  vœux  de  Religion  ,  de  rentrer  dans  les  Mo- 
nafteres  dont  ils  étoient  fortis ,  quelque  prétexte  qu'ils  alléguât- 
fent  pour  juftifier  leur  défertion  s  ôc  fit  emprifonner  dans  tout 
l'Etat  Eccléfiaftique  ,  ou  condamner  aux  galères ,  ceux  qui  ré- 
futèrent d'obéir.  Il  fit  exécuter  fes  ordres  fur  cet  article  avec 
tant  de  févérité ,  fans  avoir  égard  ni  aux  exeufes  les  plus  lé- 
gitimes ,  ni  au  nombre  des  années  écoulées  depuis  ces  forties, 


tificat  fous  le  nom  de  Pie  V.  8c  a  été 
canonifé  en  ces  derniers  tems. 


i  Ce  Cardinal,  né  à  trois  lieues  d'A- 
lexandrie de  la  Paille  ,  avoit  e'té  Do- 
jïiinicain  :  il  fut  élevé  depuis  au  Pon- 

Tome  III,  V  u 


338  HISTOIRE 

wmmmmmmmmmm  que  plufieurs  furent  obligez  d'abandonner  leur  patrie ,  6c  de 
7J         77  fe  retirer  pour  un  tems  à  Venife.  Il  fignala  aufli  fa  charité  en- 
vers le  peuple  Romain  dans  un  tems  dedifette,  en  achetant 
*  '         huit  écus  certaine  mefure  de  bled  ,  ôc  la  revendant  cinq  feu- 
lement j  ce  qui  lui  coûta  cinquante  mille  écus. 
Nouveaux       D  fit  en  ce  même  tems  d'autres  chofes^  que  Thiftoire  ne  doit 
Evéchez  éta-  pas  oublier.  Il  créa  ,  dans  quelques  villes  des  Indes  foumifes 
Payis-bal  "  aux  Portugais ,  des  Evêchez,  comme  à  Cochin,  6c  à  Malaca. 
Il  érigea  en  métropole  lefiége  Epifcopal  de  Goa,  qu'il  ren- 
dit indépendant  de  l'archevêché  de  Lifbonne ,  à  caufe  de  l'é- 
loignement  des  lieux ,  6c  établit  en  ce  payis  là  de  nouveaux 
Evêchez  fuffragans  de  Goa.  Il  créa  aufïi  des  Evêques  dans 
les  Payis-bas  ,  ôc  en  rendit  d'autres  indépendans  de  la  jurif- 
diction  des  Métropolitains  de  France  ,  à  la  honte  du  nom 
François.  Plulieurs  imputèrent  ces  innovations  aux  lâches  in- 
trigues du  cardinal  de  Lorraine  archevêque  de  Rheims,  qui 
vouloit  cimenter  par  cette  complaifance ,  difoient-ils  t  le  traité 
qu'il  venoit  de  faire  avec  l'Efpagne.   Une  chofe  cependant 
peut  difîiper  ces  foupçons  î  c'eft  que  le  Pape  accorda  les  mê- 
mes prérogatives  au  Roi  d'Efpagne  ,  au  préjudice  de  l'Empe- 
reur ,  ôc  de  la  majefté  de  l'Empire.  Car   comme  Tournai , 
Cambrai ,  6c  Arras  furent  fouftraits  à  la  jurifdiclion  de  l'arche- 
vêque de  Rheims ,  de  même  quelques  portions  des  diocefes  de 
Cologne,  de  Munfter  ,  d'Ofnabruck ,  ôc  de  Paderborn ,  lefquel- 
les  étoientdans  les  Etats  du  roi  d'Efpagne  ,  en  furent  démem- 
brées ,  ôc  attachées  aux  nouveaux  fiéges  établis  dans  les  Payis- 
bas.  Le  prétexte  de  ces  érections  fut.,  qu'anciennement  ce 
payis  n'étant  pas  fort  peuplé  ,  peu  d'Evêchez  fuffifoient  alors* 
mais  que  comme  il  étoit  devenu  floriffant  par  le  nombre  de  fes 
habitans ,  6c  de  fes  grandes  villes,  il  falloit  plus  d'ouvriers  pour 
recueillir  une  plus  abondante  moiffon.  Ainfi  le  Pape  érigea 
des  lièges  épifcopaux  à  Malines ,  à  Anvers ,  à  Harlem ,  à  Dé- 
venter y  à  Léewaerden,  à  Groningue,  àMildebourg,  à  Bos- 
le-Duc ,  à  Namur ,  à  Saint  Orner ,  à  Ipres ,  à  Gand ,  ôc  à  Bru- 
ges, qui  étoient  les  villes  les  plus  confidérables  du  Brabant, 
de  la  Hollande  s  de  la  Zelande  ,  de  la  Frife ,  ôc  de  la  Flandre. 
Elles    dépendoient    auparavant    des   diocefes   de    Cambrai  ; 
d'Utrecht,  de  Tournai,  de  Liège,  ôc  de  Terouenne  ,  dont 
elles  furent  diitraites.  Malines ,  Cambrai ,  6c  Utrecht  furent 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  XXIL       33? 

choifis  pour  être  Métropoles  de  ces  nouveaux  Sièges.  «■_■•■• 

Quelque  tems  après  les  peuples  des  Payis-bas ,  bien  loin  ^j  Tt 
de  regarder  ces  nouveaux  établiffemens  comme  une  faveur 
du  faint  Siège,  difoient  qu'on  n'en  avoit  pas  ufé  ainfi  pour  la  '  '  ^% 
gloire  ou  l'utilité  de  la  nation  ,  mais  pour  leur  impofer  le 
joug  rigoureux  de  l'Inquifition ,  a  eux  qui  étoient  nez  libres, 
en  leur  donnant  des  Evêques ,  quiferoient  les  cenfeurs  de  leurs 
mœurs.  En  effet  les  bulles  du  Pape  touchant  ces  érections 
étoient  conçues  en  des  termes ,  qui  pouvoient  fonder  ces  dé- 
fiances. Elles  portoient  entre  autres  chofes ,  que  ces  établiffe- 
mens  étoient  fur-tout  néceffaires ,  en  un  tems  où  les  Payis-bas 
étoient  environnez  de  toutes  parts  ôc  comme  affiégez  par  les 
Schifmatiques ,  ôc  où  la  foi  des  Catholiques  &  le  falut  des 
âmes  étoient  en  bute  aux  artifices  féduifans .,  &  à  la  fauffe  doctri- 
ne des  Sectaires.  Il  eft  certain  qu'une  des  raifons  qui  déter- 
mina le  Roi  d'Efpagne  à  la  paix  ,  fut  qu'il  fe  perfuada  que  fi 
la  guerre  duroit  plus  long-tems ,  le  venin  de  l'héréfie  infe£te- 
roit  bientôt  les  Payis-bas,  dans  des  tems  de  licence  ôc  de 
trouble  où  les  loix  ont  moins  de  pouvoir ,  ôc  que  le  commer- 
ce fréquent  des  Flamans  avec  les  Allemands,  qui  fervoient 
dans  fon  armée,  donneroit  cours  aux  nouvelles  erreurs.  Le 
roi  Henri  II.  ne  put  s'empêcher  de  s'ouvrir  imprudemment  là- 
deffus  au  prince  d'Orange ,  qui  lui  avoit  été  envoyé  en  qua- 
lité d'AmbaiTadeur.  Dans  le  tems  qu'ils  étoient  à  la  chalTe; 
il  lui  dit  :  Que  le  deffein  du  Roi  d'Efpagne  étoit  d'étouffer  jus- 
qu'aux moindres  femences  d'héréfie  dans  les  Payis-bas,  après 
la  paix  conclue ,  6c  de  joindre  enfuite  fes  armes  à  celles  de 
la  France,  pour  attaquer  conjointement  les  nouveaux  fe£tai- 
res.  Le  prince  d'Orange  découvrit  peu  après  ce  projet  aux 
Flamans  5  ce  qui  fît  qu'ils  prirent  enfemble  des  mefures  pour 
s'affranchir  de  la  domination  des  Efpagnols ,  6c  qu'ils  oferent 
bien  préfenter  à  Philippe,  lorfqu'il  partoit  pour  retourner  en 
Efpagne ,  cette  requête  hardie ,  dont  nous  parlerons  bientôt. 

Au  refte  on  difoit  que  les  deux  Rois  avoient  le  même  def- 
fein pour  l'extirpation  de  l'héréfie ,  ôc  qu'ils  y  étoient  pouffez 
par  le  cardinal  de  Lorraine ,  ôc  par  Antoine  Perrenot  évêque 
d'Arras.  On  ajoûtoitqueles  édits  envoyez  l'année  précéden- 
te au  Parlement  de  Paris ,  6c  cette  célèbre  ■  Mercuriale  qu'on 
1  L'origine  des  Mercuriales  eft  expliquée  dans  la  fuite  de  ce  livre. 

Vu  i; 


340  HISTOIRE 

v  avoit  tenue   cette  année  ,  ôc  qui  fut  fi  funefte  au  Roi   ôc  à 

Henri  II.  toute  la  France ,  n'avoit  d'autre  but  que  d'opprimer  la  liberté, 
1  S  S  9'     fous  le  prétexte  fpécieux  de  maintenir  la  Religion  5  ôc  qu'à  la  fa- 
veur de  ces  mêmes  motifs ,  on  vouloit  éloigner  des  affaires  dans 
les  Payis-basles  Seigneurs  qui  avoient rendu  défi  grands  fervi- 
ces  à  leur  Roi ,  pour  y  établir  le  joug  defpotique  des  Efpagnols. 
Affaires  Les  deux  Rois  étant  enfin  convenus  des  conditions  de  la 

d'Allemagne.  ^\x  /  ^  n^tojt  p]us  qUeftion  que  de  la  reflitution  de  Calais  y 
difficulté  que  la  mort  récente  de  Marie  reine  d'Angleterre  ve- 
noit  en  quelque  forte  d'applanir.  Il  falloit  néanmoins  encore 
décider  à  qui  appartiendroient  Mets ,  Toul ,  ôc  Verdun ,  villes 
Impériales,  que  la  France  avoit  prifes  dans  la  dernière  guerre. 
Ce  dernier  article  intereffoit  fort  ces  deux  Princes.  Il  étoit  de 
la  gloire  ôc  de  l'intérêt  de  Philippe  ,  de  faire  voir  qu'il  fou- 
tenoit  les  Princes  &  les  Puiffances  de  l'Empire ,  en  les  com- 
prenant dans  le  traité  de  paix  qu'on  alloit  faire.  D'un  autre 
côté  ,  il  y  avoit  apparence  que  les  François  ne  fe  relâcheroient 
jamais  fur  cette  conquête.  Cependant  il  importoit  bien  plus 
à  la  France  de  conferver  ces  villes ,  qu'à  Philippe  de  s'opiniâ- 
trer  à  en  demander  la  reflitution  ',  lui  à  qui  la  paix  projettée 
étoit  d'ailleurs  très-avantageufe  pour  terminer  ces  differens. 
Bourdillon  ôc  Charle  de  Marillac  archevêque  de  Vienne  furent 
envoyez  de  la  part  du  Roi  à  la  Diète  de  l'Empire ,  ôc  Bar- 
bançon  comte  d'Aremberg  delà  part  de  Philippe?  ce  Prince 
voulant  par  fes  bons  offices  paroître  jaloux  des  droits  de  l'Em- 
pire. Ce  fut  en  cette  Diète  tenue  à  Ausbourg  le  25"  de  Février, 
qu'on  fit  les  funérailles  de  Charle  V.  avec  une  pompe  extraor- 
dinaire ;  l'oraifon  funèbre  fut  prononcée  par  Louis  Madruce 
nommé  évêque  de  Trente  ,  ôc  depuis  Cardinal ,  en  préfence  des 
Princes  ôc  des  Seigneurs  de  l'Empire ,  ôc  des  Ambafladeurs  de 
prefque  tous  lesPrinces  de  l'Europe, qui  ailifterent  à  la  cérémonie. 
Après  qu'on  eut  rendu  les  derniers  devoirs  à  l'Empereur 
Charle  V.  on  lut  publiquement ,  en  préfence  de  tous  les  ordres 
de  l'Empire, les  actes  de  la  conférence  de  Wormes  fur  le  fait 
de  la  Religion.  Ferdinand  voyant  les  efprits  partagez  Ôc  aigris 
à  ce  fujet ,  promit  de  procurer  la  convocation  d'un  Concile 
œcuménique ,  ôc  fit  un  difcours  plein  de  douceur  ôc  de  modé- 
ration, pour  engager  tout  le  monde  à  fefoumettre  aux  décrets  de 
cette  afîemblée.Les  députez  de  l'Electeur  de  Saxe  ôc  des  Princes 


DE  J.  A,   DE-THOU.Liv.  XXII.     3*1 

qui  lui  étoient  unis ,  dirent  qu'on  ne  devoit  attendre  nulle 
conciliation  par  la  voye  d'un  Concile  aflemblé  par  les  ordres  Henri  II 
du  Pape,  ôc  qu'il  falloir  s'en  tenir  aux  décrets  de  Paffaw  ôc  1  y  5  p. 
d'Aufbourg  touchant  la  paix  de  l'Eglife.  Comme  l'Empereur 
ne  voulut  point  fe  relâcher  fur  ce  qu'il  venoit  de  propofer  ; 
ils  ajoutèrent ,  qu'ils  ne  s'oppoferoient  pas  à  la  tenue  d'un  Con- 
cile en  Allemagne  ,  qui  fut  libre  ôc  univerfel,  pourvu  qu'il  fut 
convoqué  légitimement  par  l'Empereur,  ôc  non  par  le  Pape: 
Que  le  Pontife  y  eût  féance  ,  non  comme  préiident ,  mais 
comme  partie  ,  ôc  qu'il  fut  fournis  au  Concile  5  à  condition 
auffi  qu'il  délieroit  les  Prélats  ôc  les  Théologiens  du  ferment 
qui  les  attache  à  lui,  afin  que  libres  ôc  exempts  de  toute  crain- 
te ,  ils  donnaient  leurs  fuffrages.  Ces  députez  demandèrent 
encore ,  que  l'Ecriture  Sainte  fût  la  feule  règle  des  jugemens 
qu'on  rendroit ,  ôc  non  la  tradition  humaine,  ni  des  coutumes 
autorifées  par  l'Eglife  de  Rome,  ôc  fi  oppofées  à  la  parole  de 
Dieu  :  Que  les  Théologiens ,  qui  fuivoientla  confefïion  d'Auf- 
bourg ,  eufTent  entrée  au  Concile  ôc  y  puflent  opiner  :  Qu'on 
leur  donnât  des  fauf-conduits  ,  pour  la  fureté  de  leurs  perfon- 
nes ,  ÔC  pour  les  faire  jouir  delà  liberté  qui  leur  avoit  été  afîurée 
par  les  décrets  de  la  Diète  d'Aufbourg  :  Que  les  matières  con- 
troversées ne  fufTent  point  décidées  à  la  pluralité  des  voix,  com- 
me dans  les  affaires  civiles,  mais  par  les  règles  que  prefcrit 
l'Ecriture  :  Qu'enfin  on  anéantit  avant  toutes  chofes  les  a£les 
du  Concile  de  Trente  ,  comme  peu  légitimement  aflemblé  ; 
ôc  que  les  queftions  fur  la  foi  fufTent  mifes  de  nouveau  en  dé- 
libération. Les  Proteftans  affurerent  qu'à  ces  conditions  ils 
confentiroient  volontiers  à  la  tenue  d'un  Concile  ;  ôc  que  fi  le 
fouverain  Pontife  ne  vouloit  pas  l'accorder ,  ils  demandoient  à 
l'Empereur  Pobfervation  des  décrets  de  Paflaw,  fi  favorables  à 
la  paix  de  l'Eglife.  Ferdinand,  qui  vit  bien  que  les  propofitions 
qu'on  faifoit  ne  procureroient  jamais  la  réunion  des  efprits  t 
promit  de  n'inquiéter  perfonne  fur  les  matières  de  la  foi. 

Enfuite  on  parla  de  la  monnoye  ,  ôc  l'on  ordonna  qu'elle 
auroit  dans  tout  l'Empire  un  prix  intrinféque  ,  proportionné  à 
fon  cours.  On  régla  auffi  que  chaque  Cercle  chercheroit  les 
moyens  les  plus  convenables ,  pour  reprimer  les  entreprifes  de 
ceux  qui  troubloient  le  repos  public.  Enfuite  on  donna  audien- 
ce à  George  Segebert  envoyé  de  Guillaume  de  Furftemberg 

Vu  iij 


342  HISTOIRE 

,  grand-maître  des  chevaliers  Teutoniques  deLîvonîe.  Ce  mî- 
Henri  IT  n^re  avant  expofé  les  malheurs  de  la  Livonie ,  que  les  Mof- 
covites  avoient  Ci  cruellement  defolée  l'année  précédente ,  de- 
'  *  -  manda  du  fecours  aux  puiffances  de  l'Empire.  Sa  demande , 
qu'appuya  Jean  Albert  duc  de  Mekelbourg  parent  de  Furf- 
temberg  ,  parut  jufte  aux  Etats  de  la  Diète  >  qui  accorda  une 
fomme  de  cent  mille  écus  d'or ,  pour  lever  une  armée  con- 
tre les  Mofcovites.  Mais  les  Livoniens ,  qui  dans  leurs  difgra- 
ces  n'avoient  pas  encore  oublié  leur  ancienne  fierté  ,  refufe-* 
rent  cette  fomme }  comme  indigne,  delà  majéfté  de  l'Empire, 
ôc  peu  proportionnée  aux  befoins  preffans  de  leur  province. 
Ils  députèrent  à  Augufte  roi  de  Pologne  ,  pour  le  fupplier  de 
prendre  leur  défenfe  ,  fans  préjudicier  aux  droits  de  l'Empire  > 
lui  offrant,  en  garantie  des  frais  qu'il  feroit ,  neuf  places  qu'ils 
pourroient  retirer  quand  ils  voudraient,  en  lui  payant  fîx  censj 
mille  écus  d'or.  Le  roi  de  Poiogne  ayant  accepté  ces  propo- 
rtions, on  en  dreffa  des  a£tes  autentiques  ,  qui  furent  confir- 
mez de  part  &  d'autre  par  la  religion  du  ferment.  Alors  Go- 
tard  Ketler ,  Grand  -  maître  des  chevaliers  de  Livonie  par  la 
démiffion  de  Guillaume  de  Fuftemberg,  marcha  conjointe- 
ment avec  Chriftophle  de  Mekelbourg  contre  les  Mofcovites, 
&  mit  le  fiége  devant  Derpt.  Mais,  après  quelques  légers 
combats,  ils  furent  obligez  de  fe  retirer.  Ils  envoyèrent  leurs 
canons  à  Vellin ,  qui  furent  pris  l'année  fuivante  par  les  Mof- 
covites ,  lorfqu'ils  forcèrent  cette  place,  oùFurftemberg  acca- 
blé d'années  s'étoit  retiré. 

Les  Livoniens ,  ôc  fur-tout  les  députez  des  villes  de  Riga 
ôc  de  Revel ,  firent  de  grandes  plaintes  à  la  Diète  d' Auûbourg, 
contre  ceux  de  Lubec ,  qui  avoient  tranfporté ,  difoient-ils  ; 
à  Nerwa  de  Mofcovie  le  commerce  qu'ils  faifoient  aupara- 
vant à  Revel  ,  ôc  qui  voituroient  continuellement  dans  une 
ville  ,  leur  ennemie  ,  des  marchandifes  >  des  vivres ,  ôc  des  ar- 
mes ,  au  préjudice  delà  Livonie,  qui,  comme  eux  ,  dépendoit 
de  l'Empire.  La  Diète  ayant  égard  à  ces  remontrances,  défen- 
dit par  un  refcript  à  ceux  de  Lubec ,  de  porter  des  munitions 
de  guerre  ou  de  bouche  chez  les  Mofcovites.  Cette  Ordon- 
nance fut  quelque-tems  après  révoquée  ,  pour  des  raifons  que 
nous  dirons.  On  donna  aufli  audience  à  Alfonfe  de  Carretto 
marquis  de  Final  dans  l'état  de  Gènes,  qui  a  voit  été  chatte  de 


DE  J.  A.  DE  THOU  Liv.  XXIÏ.  343 
Final  par  fes  fujets  ,à  caufe  de  fa  cruauté  â  ôcqui  étoit  venu  à  — 
Ratifbonne  trouver  l'Empereur ,  pour  fe  plaindre  des  Génois,  jjenriji 
lefquels  commandez  par  André  Lomeliini  l'avoient  affiégé 
dans  fa  citadelle  l'année  précédente.  Quoiqu  André  Doria  '  '  ' 
fon  allié  eût  parlé  dans  le  Sénat  en  fa  faveur  ,  les  Magiftrats 
avoient  rejette  les  bons  offices  d'un  citoyen,  que  fa  vieilleffe 
commençoit  à  leur  rendre  méprifable  ,  ôc  n'avoient  pas  eu 
plus  d'égard  aux  repréfentations  de  Gomez  Figueroa  ambaffa- 
deur  d'Efpagne  ,  qui  fe  plaignit  de  ce  que  les  Génois  tour- 
noient fi  à  contre-tems  leurs  armes  contre  Final ,  ôc  de  ce 
qu'ils  vouloient  faire  des  conquêtes  ,  lorfqu'ils  étoient  fur  le 
point  de  perdre  ce  qui  leur  appartenoit. 

En  effet  les  François  s'étant  emparés  peu  auparavant  de  San- 
Fiorenzo  dans  Pifle  de  Corfe  ,  l'avoient  fortifié ,  ôc  leurs  vaif- 
feaux,  qui  croifoient  fur  cette  mer ,  rendoient  la  navigation  fort 
dangereufe.  De  plus,  ils  avoient  pris  un  Fort,  que  les  Génois 
avoient  élevé  près  de  Baftia  ?  ôc  ils  étoient  fur  le  point  d'aiîié- 
ger  Calvi ,  ôc  de  fe  rendre  maîtres  de  toute  cette  Iile.  Enfin 
Doria  fe  préparant  à  affembier  des  troupes  ,  pour  s'oppofer 
aux  entreprifes  de  fes  concitoyens ,  ôc  Figueroa  ayant  menacé 
le  Sénat  au  nom  de  Philippe ,  de  faire  venir  Gonzalez  de  Cor- 
douë  duc  de  Seffa  à  la  tête  d'une  armée,  les  Génois  levèrent 
le  fiége  de  Final  à  certaines  conditions.  Au  relie  l'Empereur 
fe  referva  la  connoiffance  de  l'affaire  du  marquis  Carretto. 

Enfuite  on  donna  audience  aux  Ambaffadeurs  de  France 
le  vingt-huitième  jour  de  Mars.  Ces  miniftres,  après  avoir  re- 
préfenté  fort  au  long  dans  un  difcours  éloquent  la  bonne  volonté 
du  Roi  envers  l'Empereur ,  ôc  les  princes  de  l'Empire ,  deman- 
dèrent qu'on  renouvellât  l'ancienne  alliance  entre  la  France 
ôc  l'Allemagne,  ôc  qu'on  l'affurât  par  les  liens  les  plus  forts.  Fer- 
dinand ayant  remercié  les  Ambaffadeurs  des  témoignages 
qu'ils  lui  donnoient ,  au  fujet  des  difpofitions  favorables  du  Roi 
leur  maître,  dit  ,  que  les  Puiffances  de  l'Empire  ôclui,  n'ou- 
blieroient  rien  pour  entretenir  une  fincere  correfpondance 
avec  ce  Prince  ,  pourvu  qu'il  agît  d'une  manière  conforme  à 
fes  promeffes,  ôc  qu'il  rendît  à  l'Empire  les  villes  qu'il  lui  avoir 
depuis  peu  enlevées  :  Que  s'il  fàifoit  cet  a£te  de  juftice  ,  ce  fe- 
roit  le  moyen  le  plus  fur  d'établir  entr'eux  une  amitié  fmcere  ôc 
durable.  Les  Ambaffadeurs  répondirent ,  que.  leur  inftruûion 


344  HISTOIRE 

ne  faifoït  point  mention  de  ces  villes  ',  mais  qu'ils  en  écriroient 
Henri  IL  au  R°i  ^eur  maître:  Que  cependant  ils  demandoient,  qu'on 
i  y  y  p.     répondît  par  une  bienveillance  réciproque  aux  témoignages 
finceres  de  fon  amitié.  Enfuite  la  Diète  fe  fépara  ,  ôc  nos  Am- 
baffadeurs  furent  traitez  ôc  renvoyez  avec  de  grands  honneurs. 
On  leur  dit  en  particulier ,  que  Ferdinand  n'avoit  pu  avec  bien- 
féance  ne  pas  demander  en  public  la  reftitution  des  trois  villes  î 
mais  que  du  refte ,  quand  même  les  villes  ne  feroient  pas  ren- 
dues ,  cet  article  ne  feroit  jamais  du  côté  de  l'Empereur  ,  ni 
des  PuifTances  de  l'Empire  ,  un  obftacle  à  la  paix  Ôc  à  la  bon- 
ne intelligence.  Enfuite  on  réfolut  d'envoyer  une  célèbre  am- 
baffade  en  France  :  Le  cardinal  d'Aulhourg ,  ôc  Chriftophle 
duc  de  Wirtemberg  furent  nommez  pour  cette  ambaffade. 
David Geor-       Avant  que  de  finir  le  récit  des  événemens  de  l'Allemagne, 
gm/i{neux     Je  cro^s  4U ^ e^  à  propos  que  je  parle  d'un  certain  fourbe,  nom- 
mé David  George, né  à  Delft1  en  Hollande,  dont  on  décou- 
vrit alors  les  impoftures.  Il  étoit  de  la  plus  baffe   naiffance  , 
fils  d'un  bateleur  ,  ôc  du  côté  de  fa  mère  ,  d'une  famille  très 
abjecte.  Quoiqu'il  n'eût  aucunes  lettres ,  qu'il  ne  fçût  d'autre 
langue  que  celle  de  fon  payis  ,    ôc  qu'il  fut  très  ignorant ,  il 
publia  néanmoins  beaucoup  d'écrits.  Cet  homme  d'un  efprit 
hardi,  entreprenant,  ôc  opiniâtre  ,  faifoit  voir  beaucoup  de 
douceur  ôc  de  modération  >  enforte  qu'on  le  croyoit  homme 
de  bien  3  ôc  plein  de  candeur.  Il  avoit  bonne  mine  ;  un  main- 
tien ôc  une  démarche  graves  ôc  modeftes  ,  &  tous  les  dehors 
de  la  probité.  Il  répandit  des  erreurs  abfurdes  dans  la  Hollan- 
de ,  qui  étoit  déjà  infe&ée  de  l'héréfie  ôc  des  folles  vifions  des 
Anabaptiftes.  Ce  perfonnage  ayant  feméavec  beaucoup  d'art 
ôc  de  fecret  fes  dogmes  empoifonnez  dans  une  terre  toute  dif- 
pofée  ,  pour  ainfi  dire ,  à  les  recevoir  ,  amafla  de  grandes  ri- 
cheflfes ,  que  lui  prodiguèrent  des  peuples  crédules  ôc  folement 
féduits.   Mais  craignant  que  s'il  demeuroit  plus  long-tems  dans 
fon  payis  ,  où  on  l'honoroit  comme  chef  d'une  doctrine  goû-> 
tée  ,  il  ne  perdît  de  fon  crédit ,  Ôc  qu'on  ne  découvrît  fes  ar- 
tifices ;  il  quitta  fa  patrie  ,  ôc  crut  que  de  loin  il  feroit  plus 
refpeclé  de  fes  difciples.  Il  arriva  à  Bâle  le  premier  d'Avril  de 
l'année  1J44.  avec  quelques-uns  de  fes  fe&ateurs  ,  ôc  un  train 
magnifique  >  ôc  prit  le  nom  de  Jean  Bruck.  Ayant  cru   qu'il 

j  Quelques  autres  difent  que  cet  impofteur  étoit  né  à  Gand. 

pourroit 


DE   J.   A.  DE  THOU,  Liv.  XXII.         34; 
pourroit  mieux  cacher  en  ce  lieu  qu'en  tout  autre  fes  pernl-  m 

cieux  deffeins  ,  il  fe  préfenta  au  Sénat  j  ôc  le  pria  de  vouloir  Henri  II 
donner  à  un  homme  fugitif  pour  la  religion  un  azile ,  où  il  Iîîg 
pût  vivre  tranquille  avec  fa  femme ,  fes  enfans  ,  fes  domefti- 
ques  Ôc  les  biens  qu'il  poffedoit.  Rien  ne  fe  démentoit  dans 
fa  perfonne  ni  dans  fes  difcours  ;  &  on  ne  pouvoit ,  à  le  voir 
ôc  à  l'entendre ,  ne  pas  plaindre  un  banni  qui  fouffroit  pour  la 
foi.  On  ne  connoifïbit  ni  le  fonds  de  fon  cœur  ,  ni  fes  mœurs, 
ni  fa  conduite  paffée.  Il  venoit  de  loin  >  fes  difcours  avoient 
quelque  vraifemblance  ;  6c  ce  qu'il  racontoit  de  {es  difgraces 
6c  de  fa  fuite  lui  étoit  en  ce  tems-là  commun  avec  bien 
d'autres. 

Ainfi  il  fut  reçu  dans  la  ville  le  2  y  d'Août  ,  après  avoir 
prêté  ferment  félon  la  coutume.  Comme  il  s'acquittoit  parfai- 
tement des  devoirs  de  la  Religion  ,  ôc  de  ceux  de  la  vie  ci- 
vile ,  en  honorant  les  Magiftrats ,  en  prévenant  les  particuliers 
par  toutes  fortes  de  bons  offices  ,  ôc  en  fe  rendant  afîidu  aux 
lieux  où  l'on  exerçoit  le  culte  divin  ,  tout  le  monde  étoit  bien 
éloigné  de  fe  défier  de  lui  ,  ôc  on  le  crut  aufïi  vertueux ,  qu'il 
le  vouloit  paroître  ,  ôc  que  le  croyoient  fes  difciples.  Il  me- 
noit,luiôc  les  fiens,  une  vie  fort  retirée  en  famaifonj  ôc  de 
peur  qu'on  ne  découvrît  qui  il  étoit  ,  il  avoit  grand  foin  qu'on 
cachât  fon  vrai  nom ,  qui  n'étoit  que  trop  connu  en  Frife  ôc 
en  Hollande ,  ôc  qu'aucun  de  fes  gens  ôc  de  fes  difciples  ne 
dît  de  quelle  condition  il  étoit  en  fon  payis.  Il  arrivoit  de  là 
que  plufieurs  le  croyoient  d'une  illuftre  naiflance  3  qu'il  vou- 
îoit  cacher  par  une  vie  retirée ,  ôc  que  d'autres  le  jugeoient 
un  fameux  Négociant  ,  qui  faifoit  par  fes  commis  un  grand 
commerce  fur  terre  ôc  fur  mer.  Enfin  il  fe  gardoit  bien  de 
publier  fa  dodrine  à  Baie  }  ni  dans  les  payis  voifins  ;  imitant 
en  cela  les  Martres  ôc  les  Belettes,  qui  épargnent,  dit-on, les 
poules  de  ceux  chez  qui  elles  fe  retirent ,  ôc  qui  font  grâce  à 
leurs  hôtes  ,  afin  qu  ils  les  laiffent  tranquilles  ,  ôc  qu'elles  ayent 
un  azile  pour  fe  réfugier  avec  leur  proye.  Ainfi  dans  le  mê- 
me-tems  que  David  ne  ceffoit  par  fes  lettres  ,  par  fes  livres 
ôc  par  fes  émiffaires  ,  de  foûtenir  fa  fecle  en  Flandre ,  en  Hol- 
lande ,ôc  en  d'autres  payis  éloignez  ,  il  gardoit  parmi  les  Suif- 
fes  un  filence  profond  fur  fes  erreurs. 

Ayant  vécu  ainfi  fix  années  entières  >  dans  un  repos  qui  étoit 


54<?  HISTOIRE 

.  le  fruit  de  fa  diiïiniulation ,  une  chofe  troubla  la  tranquillité  de 
Henri  II  l'auteur  ^e  ^a  P^us  abfurde  doctrine  qui  fut  jamais.  Un  de  fes  dif- 
ciples  revenu  à  lui-même  abjura  à  Baie  fes  folles  erreurs.  Ilfem- 
'  bla  aufli  que  le  tonnerre  ,  qui  tomba  en  ce  tems-là  fur  famaifon 
de  la  ville  ,  ôc  fur  des  biens  qu'il  avoit  à  la  campagne  ,  lui  an- 
nonçoit  la  chute  de  fa  fortune  ,  &  même  fa  mort  prochaine. 
Mais  rien  ne  lui  fut  plus  fenfible  que  l'arrivée  d'un  homme 
digne  de  foi  ,  qui  découvrit  à  Bâle  le  véritable  nom  de  ce 
fourbe ,  6c  fon  origine.  Il  en  conçut  un  fi  grand  chagrin  , 
que  réduit  au  defefpoir  ,  il  tomba  dangereufement  malade  3 
aufïi-bien  que  fa  femme.  Elle  mourut  la  première ,  Ôc  il  la  fui- 
vitpeu  après  ,  étant  mort  le  2$  d'Août  de  l'année  i^y 6.  Telle 
fut  la  fin  de  cet  impofteur,  qui  fe  difoit  plus  grand  &  plus  par- 
ticipant de  la  divinité  Ôc  de  l'immortalité  ,  que  Jefus-Chrift. 
Il  fut  enterré  avec  honneur  dans  l'églife  de  S.  Léonard  ;  fes 
fils ,  fes  filles  ,  fes  gendres  ,  fes  brus,  fes  domeftiques  ôc  une 
grande  foule  de  peuple  affilièrent  à  fes  obféques. 

Ses  principaux  dogmes  étoient  :  Que  la  doctrine  annoncée 
par  Moïfe  ,  par  les  Prophètes,  ôc  par  Jefus-Chrift  même  par 
les  Apôtres  &  fes  Difciples ,  étoit  imparfaite  3  ôc  ne  fervoit  de 
rien ,  pour  parvenir  au  bonheur  éternel  :  Que  la  fienne  feule 
pouvoit  procurer  à  ceux  qui  la  fuivrôient  une  véritable  fé- 
licité :  Qu'il  étoit  le  véritable  Chrift  ôc  Meffie  ,  le  fils  bien- 
aimé  du  père ,  provenu  non  de  la  chair  ,  mais  du  faint  Efprit, 
ôc  de  l'efprit  de  Jefus-Chrift  :  Que  cet  efprit  ,  après  que  la 
chair  du  fils  de  Dieu  eut  été  anéantie ,  étoit  demeuré  en  cer- 
tain lieu  inconnu  aux  Saints  ,  ôc  s'étoit  répandu  tout  entier  fur 
David  George ,  ôc  s'étoit  infus  dans  fon  ame  :  Qu'à  lui  feul 
avoit  été  donné  de  renouveller ,  par  l'efprit  ôc  par  le  vrai  ta- 
bernacle de  Dieu,  la  maifon  d'iîraël  ,  ôc  les  vrais  enfans  de 
Levij  c'eft-à-dire  ,  ainli  qu'il  l'entendoit,  ceux  qui  fuivoient 
fa  doctrine  :  Que  ce  renouvellement  ne  fe  feroit  point  par  la 
croix ,  par  les  afflictions  ,  ôc  par  la  mort  ;  moyens ,  difoit-il , 
dont  s'étoit  fervi  le  premier  Chrift,  qui  avoit  été  envoyé  du 
Père ,  ôc  avoit  pris  chair , pour  contenir  dans  le  devoir,  par  une 
doctrine  pleine  de  figures,  ôc  parles  cérémonies  des  Sacremens*, 
les  hommes  encore  foibles ,  femblables  à  de  petits  enfans  >  ôc 
incapables  de  goûter  une  feience  parfaite  ;  mais  que  ce  re- 
nouvellement s'opereroir  par  la  douceur  ,  par  l'amour  ôc  la. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  LïV.  XXIL         347 

grâce  de  l'Efprit  faint ,  que  le  père  lui  avoit  envoyé.  Pour  fe  ——lui— 
donner  un  caractère  tout  divin  ,  ôc  fe  mettre  au-defTus  du  vrai  J-[ENRI  Jja 
Meifie  :  il  ajoûtoit ,  que  tout  péché  commis  contre  le"  père  ôc     i  ç  t  q. 
le  fils   étoit  pardonné  ;  mais  que  celui  que  l'on  commettoit 
contre  David  George  ne  fe  remettoit  ni  en  ce  monde  ni  en 
l'autre.  Afin  de  fe  faire  des  fe&ateurs  par  un  dogme  féduifant  ôc 
licentieux  (  qu'avoient  forgé  avant  lui  les  Anabaptiftes  )  il  difoit 
que  le  mariage  ne  lioit  point  l'homme  à  une  feule   femme  , 
ôc  qu'il  étoit  permis  à  ceux  qui  étoient  régénérés  par  l'efprit 
de  David  ,  d'avoir  des  enfans  de  plufieurs. 

Ses  difciples  ,  qui  croyoient  leur  maître  immortel ,  furent 
confternez  de  la  mort  de  ce  monftre.  Mais  comme  il  s'étoit 
répandu  un  bruit ,  qu'il  avoit  dit  en  mourant ,  qu'il  refTufci- 
teroit  trois  jours  après  fa  mort,  ôc  qu'il  feroit  des  chofes  qui 
répondroient  aux  grandes  promettes  qu'il  avoit  faites ,  leur  cré- 
dulité étoit  flatée  de  cette  efpérance.  D'un  autre  côté,  plu- 
fieurs autres  furent  perfuadez  }  que  ce  qu'il  avoit  publié   du- 
rant fa  vie  ,  ôc  que  ce  qu'il  avoit  dit  devoir  arriver  après  fa 
mort ,  n'étoient  que  de  vaines  impoftures.  Cependant  on  parla 
de  tous  cotez ,  ôc  même  parmi  les  fçavans ,  de  cet  homme  , 
qui  ayant  changé  de  nom  ,  avoit  caché  fes  erreurs  dans  fa  re- 
traite.  On  fçut  que  ce  Jean  Bruck  ,  ou  Breiningen  (  nom  qu'il 
portoit  auffi  à  caufe  d'une  terre  qu'il  avoit  achetée  auprès  de 
Bâle)  étoit  ce  même  David  George,  Hérefiarque  Holiandois, 
qui  à  la  honte  du  nom  chrétien  ,  avoit  ofé  fe  dire  Roi  ;  Ôc 
plus  grand  que  Jefus-Chrift  >  ôc  on  porta  cette  affaire  devant 
le  Sénat.  Après  une  information  exacte  ,  on  cita  à  comparoî- 
tre,  le  12  de  Mars  de  cette  année,  devant  ce  tribunal,  les  en- 
fans  de  David  ,  fes  gendres ,  fes  créatures ,  ôc  fes  amis.    Ils 
étoient  onze ,  que  le  juge  du  peuple  interrogea  tous  en  préfen- 
ce  les  uns  des  autres ,  fur  le  nom  véritable  de  l'impofteur  ; 
fur  fa  famille  ,  ôc  fur  le  lieu  de  fon  origine.  Les  acculez  ayant 
répondu  à  fes  queftions,de  la  manière  dont  il  avoit  répondu 
lui-même  pendant  fa  vie,  Ôc  dont  il  avoit  ordonné  à  fes  parens 
ôc  amis  de  répondre  pour  ne  le  pas  faire  connoître  ,  ils  fu- 
rent tous  emprifonnez  féparement.  Cependant  on  fit  une  re- 
cherche exacte  de  leurs  livres  ôc  de  leurs  écrits ,  ôc  on  les  mit 
entre  les  mains  des  Théologiens,  pour  en  faire  leur  rapport 
au  Sénat.  On  interrogea  encore  féparement  les  prifonniers  , 

Xxij 


*$':$•* 


348  HISTOIRE 

i,  dont  quelques-uns  ayant  commencé  à  s'ébranler  Ôc  à  varier  dattà 
Henri  IL  ^eurs  réponfes ,  on  examina  encore  l'affaire  avec  plus  de  foin* 
Le  2.6  d'Avril  on  fournit  à  la  cenfure  de  l'Univerfité  de  Baie 
ôc  des  prédicateurs  les  articles  de  la  do&rine  de  David.  Ils 
dirent  tous  d'une  voix  unanime ,  que  ces  dogmes  étoient  con- 
traires à  la  foi  s  aux  faintes  Ecritures,  ôc  injurieux  à  lamajefté 
de  Dieu  ôc  de  Jefus-Chrift  3  ôc  qu'ils  dévoient  être  profcrits 
ôc  exterminez  parmi  les  Chrétiens. 

Enfuiteon  jugea  les  accufez,qui  étoient  en  prifon  depuis* 
près  de  deux  mois.  Ils  eurent  la  liberté  ;  à  condition  qu'ils  ne 
pourroient  acheter  aucuns  biens  hors  la  ville  ,  ôc  dans  fon  ter- 
ritoire 3  que  de  l'aveu  du  Sénat ,  qu'ils  ne  pourroient  loger: 
chez  eux  aucuns  étrangers  ,  non  pas  même  leurs  parens  3  qui 
viendroient  des  Payis-bas ,  lefqueîs  ne  pourroient  être  reçus, 
que  dans  les  hôtelleries  :  Qu'ils  remettraient  au  Sénat  ,  dès 
qu'ils  feroient  retournez  chez  eux ,  tous  les  livres  de  David. 
imprimez  ou  manufcrits  qu'ils  avoient  :  Qu'ils  ne  pourroient 
avoir  ni  lire  aucun  livre  écrit  en  Flaman  :  Que  leurs  enfans. 
feroient  inftruits  dans  les  écoles  publiques  de  Bâle  :  Qu'ils  paye- 
roient  l'amende  à  laquelle  ils  feroient  condamnez  5  ôc  qu'en- 
fin ils  fe  préfenteroient  au  jour  3  qui  leur  feroit  indiqué  3  dans 
le  principal  temple  de  la  ville  >  pour  y  faire  une  profefïioa 
publique  de  la  Religion  Chrétienne  ,  ôc  pour  y  détefter  les 
erreurs  de  David.  Deux  jours  après  3  on  donna  un  jugement  con- 
tre le  cadavre  de  l'impofteur,  qui  portoit  ,  que  ,  puifque  David. 
George  avoit  inventé  ôc  enfeigné  une  pernicieufe  doctrine  , 
ôc  qu'il  étoit  coupable  de  leze-majefté  divine,  fon  corps  fe- 
roit exhumé  ,  Ôc  porté  dans  un  tombereau  avec  fes  livres ,  ôc. 
fon  effigie  attachée  au  bout  d'une  pique ,  hors  la  porte  de  Pierre,; 
au  lieu  où  l'on  exécute  les  criminels  ,  ôc  que  le  tout  feroit  jette 
au  feu  par  leBoureau  3  ôc  réduit  en  cendres  ;  de  même  qu'on 
en  auroit  ufé  envers  David ,  s'il  avoit  été  vivant  :  Que  les  biens 
de  cet  impie  en  quelque  lieu  qu'ils  fuiTent  fituez .3  feroient  ven- 
dus à  l'encan  3  ôc  que  l'argent  qui  en  proviendrait  feroit  porté 
au  thréfor  public  3  ôc  que  quiconque  s'oppoferoit  de  fait  ou  par 
paroles  à  l'exécution  de  cette  fentence  3  encoureroit  les  mê-> 
mes  peines. 

Lorfque  le  Boureau  ouvrit  le  tombeau  de  David  3  il  trouva 
le  corps  affez  entier  3  fur-tout  fa  barbe ,  qui  étoit  rouffe  ,  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXII.       a4p 

faifoit  allez  reconnoître.   On  vit  qu'en  l'enfeveliffant,  on  luj S55S55S 

avoit  mis  à  la  tête  un  bonnet  de  velours  doublé,  de  pourpre,  ôc  Henri  II. 
une  couronne  de  romarin  ,  pour  marques  de  fa  prétendue  1559. 
Royauté.  Il  avoit  fous  fa  tête  d'affez  riches  couffins  5  le  relie 
du  corps  étoit  enveloppé  d'un  linge  blanc ,  ôc  couvert  d'une 
robe  de  camelot  rayé  en  ondes.  Ce  corps  fut  porté  au  bûcher 
avec  fes  livres  ôc  fon  portrait  ,  qu'on  avoit  trouvé  chez  lui  ; 
ôc  confumé  par  le  feu ,  deux  ans  ôc  demi  après  fa  mort.  Les 
fpectateurs  voyoient  avecétonnement,  que  le  corps  d'un  hom- 
me, qui  avoit  vécu  parmi  eux  dans  un  li  grand  éclat ,  ôc  dont 
les  obféques  avoient  été  11  magnifiques  ,  étoit  brûlé  par  un  ju- 
gement public  >  qui  avoit  condamné  la  mémoire  de  cet  impie. 

Cependant  les   plénipotentiaires  de  la  France  ,  de  l'Efpa-     Traité  avec 
gne  Ôc  de  l'Empire  fe  rendirent  au  commencement  de  Février  IaremeEhfa- 
à  Câteau-Cambrefis ,  qui  eftà  fix  milles  de  Cambrai ,  pour  trai-  reftitution  tiç 
ter  de  la  paix.  Il  y  eut  de  grandes  conteftations  fur  la  refhtu-  Cal*ls« 
tion  de  Calais ,  qui  furent  terminées  depuis ,  ailleurs  qu'en  ce 
congrès.  Elifabeth ,  fille  de  Henri  VIII.  ôc  d'Anne  de  Bou- 
îen,venoitde  fucceder  à  la  reine  Marie  fafœur,  ôc  avoit  été 
couronnée  folemnellement  à  Londres  le  15"  de  Janvier.  Cette 
princelfe  d'un  efprit  fuperieur,  ôc  d'une  prudence  au-delfus  de 
Ion  fexe,  craignant  que  11  elle  fe  conlioit  aux  Efpagnols ,  ils 
ne  l'abandonnaffent ,  ôc  voulant  d'ailleurs  foûtenir  l'honneur 
de  fa  Nation,  prit  le  parti  de  traiter  en  particulier  avec  la  Fran- 
ce à  ces  conditions  :  Que  Calais  feroit  rendu  au  Roi  avec  le 
territoire  qui  en  dépend  ;  mais  qu'au  bout  de  huit  ans  ce 
Prince  lerendroit  aux  Anglois  ,  ou  cinq  cens  mille  écus  d'or 
pour  équivalent  :  Que  le  Roi  promettroit  d'exécuter  cet  ac- 
cord de  bonne  foi ,  ôc  donneroit  pour  fureté  tels  Gentilshom- 
mes François  en  otage  ,  que  la  Reine  voudroit  choifir.- 

Quelque-tems  après,  il  y  eut  une  grande  révolution  en  An-  fc^rSTio* 
gleterre  dans  les  affaires  de  la  Religion.  Car  il  fut  ordonné  en  Angktes> 
dans  le  premier  Parlement  convoqué  fous  le  règne  d'Elifabeth, 
que  tous  les  Edits  de  la  reine  Marie  fur  le  fait  de  la  Religion 
feroient  caffés  ôc  abolis  5  qu'au  contraire  ceux  du  feu  Roi 
Edouard  fon  frère  feroient  exécutez,  ôc  qu'on  ne  reconnoî- 
troit  plus  l'autorité  du  Pontife  Romain.  Aufïi  -  tôt  le  peuple 
courut  en  foule  dans  les  Eglifes ,  ôc  dans  les  Chapelles ,  ôc  en 
enleva  toutes  les  images,  ôc  les  ftatuès,  excepté  un  Crucifix x 

X  x  uj 


re. 


IJflUi  liJLM^I 


3$o  HISTOIRE 

«  que  la  Reine  garda  dans  fa  Chapelle  ï  ôc  expofa  même  en 
Henri  IL  public  Cette  Princeffe  reçut  alors  le  titre  de  Chef  de  l'églife 
i  <•  r  o.  Anglicane  ,  que  les  Rois  Henri  ôc  Edouard  avoient  pris  avant 
elle.  Elle  établit  de  nouveaux  Evêques  ;  donna  à  plufieurs 
Pairs  du  Royaume  une  partie  des  biens  des  Communautez  ré- 
gulières ou  féculieres ,  6c  en  unit  la  meilleure  à  fon  domaine , 
qui  fut  augmenté  par  là  chaque  année,,  comme  l'on  croit >  de 
trois  cens  mille  écus  d'or. 
Négocia-  Au  refte,  lorique  les  plénipotentiaires  affemblez  à  Câteau- 
tiorts  pour  la  Cambrefis  eurent  appris  le  traité  conclu  3  au  fujet  de  la  refti- 
tution  de  Calais  3  dont  Gui  Cavalcanti  noble  Florentin  3  qui 
avoit  travaillé  utilement  à  cette  affaire  ,  leur  fit  part  3  ils  fe 
rendirent  plus  faciles  fur  les  autres  articles  conteriez.  On 
commença  par  agiter  la  queftion  fur  l'Etat  de  Sienne ,  dont 
les  François  s'étoient  emparez  ;  Ôc  elle  fut  moins  traitée  en  pu- 
blic 3  que  maniée  par  des  intrigues  fecrettes.  Corne  n'ignoroit 
pas  que  le  roi  d'Efpagne ,  jaloux  de  fa  puiffance  }  ne  lui  avoit 
accordé  qu'avec  bien  de  la  répugnance  la  fouveraineté  de 
Sienne  3  ôc  il  craignoit  que  ce  Prince  ,  qui  d'ailleurs  avoit 
pris  fes  furetez  3  gagné  par  les  follicitations  clés  Siennois  exilez, 
ou  rebuté  par  les  difficultés  3  n'abandonnât  fon  parti.  Chiapino 
Vitelli  3  ôc  Bernadetto  Minerbetti  évêque  d'Arrezzo,  fes  en- 
voyez ,  faifoient  les  plus  vives  inftances  auprès  de  Philippe  ,' 
afin  que  la  Tofcane ,  qu'il  tenoit  3  difoient-ils  ,  de  fa  libéralité, 
ôc  de  celle  de  l'Empereur  fon  père  ,  ne  fût  pas  démembrée. 
D'un  autre  côté  les  exilez  de  Sienne  follicitoient  le  roi  Henri, 
par  les  Sénateurs  Bernardin-Buoninfegni,  ôc  Achille  Buon- 
iignorio  leurs  députez  ,  de  ne  les  pas  abandonner ,  en  facrifiant 
la  juftice  de  leur  caufe  ôc  leur  liberté  à  leurs  ennemis.  Ils 
ajoûtoient  qu'ils  fe  croyoient  en  droit  de  demander  cette 
grâce  par  leur  fidèle  attachement  au  Roii  ôc  qu'ils  le  fup- 
plioient  de  laiffer  à  la  pofterité  ce  témoignage  mémorable , 
que  les  Princes  ôcles  Républiques  opprimées  avoient  trouvé  en 
France  de  tout  temsun  azile  afîuré. 

Le  duc  de  Ferrare ,  foûtenu  à  la  Cour  de  France  par  les 
Princes  de  la  maifon  de  Guife,  faifoit  de  fecrettes  inftances, 
afin  qu'on  lui  donnât,  pour  le  dédommager  des  frais  de  la  guer- 
re ,  ce  que  les  François  avoient  pris  en  Tofcane.  Il  croyoit  la 
çhofe  facile  ;  parce  que  Corneille  Bentivoglio.,  qui  commandoir 


DE    J.    A.    DE    THOU,  Liv.  XXII.  $?r 

alors  en  Tofcane  à  la  place  de  François  d'Efte ,  lequel  s'étoit  s 


retiré,  lui  étoit  entièrement  dévoué.  Alfonfe  fon  fils,  qui  ve-  Henri  II, 
noit  de  célébrer  fes  noces  à  Florence  ,  accourut  dans  cette  i  $  5  9* 
vue  auprès  du  Roi ,  pour  appuyer  la  négociation  par  la  pré- 
fence.  D'un  autre  côté  Philippe  fe  déclara  hautement  pour 
Corne.  Il  crut  que  fa  gloire  étoit  intereffée  à  le  mainte- 
nir dans  les  Etats  qu'il  lui  avoit  donnez.  Ainfi  il  infifta  for- 
tement fur  la  reftitution  de  tous  les  payis  ,  que  les  Fran- 
çois avoient  pris  en  Italie  ;  ce  qui  comprenoit  la  Tofcane  > 
dont  ils  avoient  enlevé  une  partie ,  par  la  défe&ion  des  Sien- 
nois. 

Il  falloit  encore  terminer  un  autre  différend  fur  la  refti- 
tution des  Etats  de  Savoye  ,  que  François  I.  &  Henri  II. 
avoient  enlevez  aux  ducs  Charle  &  Emanuel ,  &  que  le  Roi 
retenoit  moins  à  titre  de  conquête ,  que  par  droit  de  fucceffion, 
&  comme  héritier  de  fon  ayeule.  Comme  on  preffoit  la  con- 
clufion  de  cette  affaire  agitée  depuis  fi  long-tems  ,  le  Roi  ne 
vouloit  point  fe  relâcher.  Enfin  les  plénipotentiaires  trou- 
vèrent ce  tempérament  ,  pour  conferver  le  Roi  dans  fes 
droits,  en  procurant  au  duc  de  Savoye  la  reftitution  de  fes 
Etats  ;  ce  fut  que  le  Roi  garderoit  quelques  villes  pour  garan- 
tie de  fes  droits ,  lefquelles  il  feroit  obligé  de  rendre ,  quand 
îa  queftion  feroit  décidée.  Philippe ,  qui  avoit  de  grandes  obli- 
gations au  Duc  ,  &  qui  favorifoit  fes  intérêts  en  toutes  cho- 
fes,  ne  vouloit  pas  foufcrire  à  ces  propositions ,  que  du  con- 
fentement  de  ce  Prince.  L'ayant  prié  de  le  venir  trouver ,  il 
lui  dit ,  que  les  négociations  étoient  venues  à  ce  point ,  qu'il 
n'y  avoit  plus  que  fes  feuls  intérêts ,  qui  arrêtaflent  la  conclu- 
fion  de  la  paix  ;  que  c'étoit  à  lui  à  décider  ce  qu'on  devoit 
faire  en  ces  conjon&ures  ;  ajoutant ,  que  pour  lui ,  il  pren- 
droit  le  parti  de  continuer  la  guerre,  plutôt  que  d'abandon- 
ner fon  ami ,  fon  parent  &  fon  allié ,  qui  lui  avoit  rendu  de 
fi  grands  fervices.  Le  Duc ,  qui  voyoit  que  Philippe  fouhaitoit 
la  paix ,  &  qu'il  ne  lui  parloit  ainfi  que  par  bienféance ,  con- 
fentit  au  tempérament  propofé ,  &  dit  qu'il  ne  vouloit  pas  que 
l'on  pût  lui  imputer  Féloignement  d'une  paix  fi  fouhaitée ,  & 
fi  néceffaire  aux  Chrétiens.  Ce  fut  dans  le  tems  de  ces  négocia- 
tions ,  que  Henri  maria  Claude  fa  féconde  fille  à  Charle  duc 
de  Lorraine ,  qu'il  avoit  amené  avec  lui  en  France  encore 
Tome  IIL  X  x  iiij  * 


3p  HISTOIRE 

enfant  Les  noces  fe  firent  à  Paris  le  cinquième  de  Février 
Henri  II  avec  une  magnificence  extraordinaire. 
j  c  ç  Q  Enfin  la  paix  fut  conclue  fuivant  ces  conditions  :  Que  le  traité 

de  Madrid  fait  entre  l'Empereur  Charle  &  le  Roi  François  I. 
paix' entre  h  pères  de  leurs  Majeftez  &  fur-tout  le  traité  de  Vaucelles  feroient 
France  &  l'Ef-  gardés ,  en  ce  qui  ne  feroit  point  contraire  au  préfent  accord: 
pagne.  Qu'il  y  auroit  entre  les  deux  Rois  une  paix  &  une  concorde  du- 

rable ,  telle  qu'elle  doit  être  entre  des  frères  :  Qu'elle  feroit  (In- 
cere ,  exempte  de  toutes  fraudes ,  fans  embûches  étrangères  ni 
domeftiques,  &  qu'on  n'y  pourroit  déroger  ni  y  préjudicier 
par  aucunes  alliances  fecrettes ,  ni  par  des  intelligences  avec  les 
Turcs  &  les  Princes  de  l' Afie  :  Que  les  deux  Rois  jureroient  de 
procurer  au  plutôt  la  tenue  d'un  Concile  œcuménique  pour 
la  gloire  de  Dieu ,  &  pour  calmer  les  confciences ,  îorfqii'ils 
auraient  pacifié  les  troubles  domeftiques  dans  leurs  Etats: 
Qu'on  oublieroit  fincerement  de  part  &  d'autre  le  parle  :  Que 
qui  que  ce  foit  ne  pourroit  être  recherché ,  ni  inquiété ,  pour 
avoir  pris  en  cette  guerre  le  parti  de  l'un  ou  de  l'autre  Roi ,  6c 
qu'on  rendroit  les  biens  vendus ,  ou  dont  on  s'étoit  emparé ,  à 
leurs  anciens  &  légitimes  poffefleurs  ;  à  l'exception  néanmoins 
des  bannis  de  Naples ,  de  Sicile  &  du  Milanez ,  qu'on  déclaroit 
indignes  de  cette  grâce  :  Qu'on  reftitueroit  de  part  &  d'autre 
les  villes  &  les  places  conquifes  depuis  huit  ans  :  Que  le  Roi 
rendroit  à  Philippe  Mariembourg ,  Damvilliers }  Ivoi  3  &  Mont- 
midi  dans  les  Payis-Bas,  &  Valenza  dans  le  Milanez  ,  avec 
tous  les  châteaux  qui  en  dépendent  :  Qu'Ivoi  feroit  démantelée 
pour  compenfation  de  la  deftru&ion  de  Terouënne  ,  qu'on 
avoit  entièrement  ruinée  :  Que  de  fon  côté  le  roi  d'Efpagne 
rendroit  à  la  France  les  villes  de  Saint  Quentin ,  du  Câtelet 
&  de  Ham ,  &  tout  leur  territoire ,  &  retireroit  pareillement 
fes  troupes  du  diocéfe  de  Terouënne  5  enforte  néanmoins 
que  cette  dernière  ville ,  qu'on  avoit  détruite  ne  pourroit  être 
rebâtie  ni  fortifiée  de  nouveau  :  Qu'immédiatement  après  la 
publication  de  la  paix  ,  Philippe  pourroit  fe  mettre  en  pof- 
feffion  du  comté  de  Charolois,  &  du  bailliage  de  Hêdin3 
comme  étant  fon  ancien  patrimoine  :  Qu'en  même  tems 
3e  Roi  Dauphin  entreroit  en  polTefiion  de  Crevecœur  fituée 
fur  la  frontière ,  &  des  terres  qui  en  dépendent ,  fans  préju- 
dicier aux   droits  du  feigneur  de  Cruninghen  :  Que  pour 

reflerres 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXII.      £& 

refTerrer  de  plus  en  plus  les  liens  d'une  étroite  union  entre  les  ■ 
deux  Rois ,  Philippe  épouferoit  Ifabelle  fille  aînée  de  Henri,  jjeNRI  ut 
alors  âgée  d'onze  ans ,  qui  auroit  quatre  cens  mille  écus  d'or  -  -.  Q 
en  dot  :  Que  le  Roi  rendroit  à  Emanuel  Philbert  duc  de  Sa- 
voye  tous  les  payis  que  François  I.  ôc  lui,  avoient  pris, 
tant  en-deça  des  Alpes ,  qu'au-delà  ,  à  l'exception  de  Turin , 
de  Pignerol ,  de  Quiers,  de  Chivas,  ôc  de  Villa-nuova  d'Aft  ; 
places  que  le  Roi  garderoit  pour  garantie  ,  jufqu'à  ce  que  les 
droits  du  Roi,  comme  héritier  de  fonayeule,  fuffent  difcutez: 
Que  jufqu'à  ce  temsaufîi,  Philippe  pourroit  mettre  des  garni- 
rons dans  les  villes  d'Aft  ôc  de  Verceil ,  dépendantes  du  duc 
de  Savoye:  Que  ce  duc  garderoit  une  exacte  neutralité,  ôc 
épouferoit  Marguerite  fœur  du  Roi  3  avec  une  dot  de  trois 
cens  mille  écus  d'or ,  ôc  la  joùiiTance  du  duché  de  Berri  : 
Que  Henri  évacuëroit  toutes  les  villes  ôc  toutes  les  citadelles 
dont  il  s'étoit  emparé  dans  la  Tofcane  ;  parce  que  le  Duc  de 
Florence  donneroit  une  amniftie  générale  aux  nobles  Siennois 
ôc  aux  autres  qui  s'étoient  retirez  à  Montalcino  ,  ôc  qu'ayant 
égard  à  leur  foûmifïîon ,  il  les  rétabliroit  dans  leurs  biens  : 
Que  le  Roi  rendroit  tout  ce  qu'il  avoit  pris  dans  rifle  de 
Corfe  ,  ôc  dans  l'état  de  Gènes  3  parce  qu'aufli  cette  Républi- 
que accorderoit  un  pardon  général  à  ceux  de  fes  fujets ,  qui 
avoient  pris  les  armes  pour  le  Roi ,  ôc  qu'elle  promettrait  de 
mériter  les  bonnes  grâces  de  ce  Prince  par  une  foùmiflion  , 
à  quoi  elle  étoit  obligée  :  Que  la  citadelle  de  Bouillon  ferait 
rendue  à  l'évêque  de  Liège ,  fans  préjudicier  au  différend  fu* 
la  principauté  de  Sedan  :  Que  l'infante  de  Portugal  ne  pour- 
roit être  troublée  dans  la  joùiiTance  des  biens  ,  qui  lui  appar- 
tenoient  du  côté  de  la  Reine  fa  mère  :  Que  les  deux  Rois 
rendraient  à  Guillaume  duc  de  Mantouë  tout  ce  qu'ils  pofle- 
doient  dans  le  Montferrat ,  ôc  que  ces  Princes  pourraient  dé- 
molir les  citadelles  qu'ils  y  avoient  bâties  ,  s'ils  le  jugeoient  à 
propos  :  Que  Marie  de  Bourbon  jouirait  du  comté  de  Saint 
Paul ,  fauf  le  droit  des  parties ,  ôc  les  procès  intentez  ou  à  in- 
tenter à  ce  fujet  :  Que  le  Roi  commencerait  par  exécuter  le 
traité ,  en  rendant  les  payis  ôc  les  places  ftipulés  dans  l'efpa- 
ce  de  trais  mois  ,  après  quoi  Philippe  fatisferoit  de  fon  coté 
un  mois  après  à  ce  qu'il  avoit  promis  ,  ôc  donneroit  pour  fu- 
reté des  otages ,  au  choix  du  Roi.  Ce  Prince  demanda  le  duc 
Tome  III.  Y  y 


35*4  HISTOIRE 

■  d'Albe ,  le  Prince  d'Orange  ,  le  duc  d'Arfchot ,  êc  le  Comte 

Henri  II.  d'Egmont ,  qui  lui  furent  envoyez.  On  comprit  dans  ce  traité 
1  S  S  9>  le  Pape,  l'Empereur,  les  Ele&eurs ,  tous  les  Princes  ôcles  Or- 
dres de  l'Empire,  les  Rois  de  Pologne  ,  de  Suéde, de  Danne- 
marc,  ôc  d'Ecofle,  la  Reine  d'Angleterre ,  la  République  de 
Venife,  lesSuifles,  ôcles  Grifons,  les  Ducs  de  Lorraine,  de 
Savoye ,  de  Ferrare ,  de  Mantouë ,  d'Urbin ,  de  Parme ,  de  Plai- 
fance ,  ôc  les  Républiques  de  Gènes  ,  ôc  de  Lucques  ;  afin  que 
cette  paix  ne  parut  pas  feulement  être  faite  entre  les  François, 
ôc  les  Efpagnols,  mais  auiîi  entre  tous  les  Princes  Chrétiens. 
,?fetJ?"trai"  Peu  après,  cette  union,  qui  devoit  affurer  ,  cefemble,la  tran- 

teduCateau-         ....  1,       *  ,.  £i  ,  . .  „ 

Cambrcfîs.  quillite  publique,  occalionna  de  grands  maux  en  rrance,  ôc 
dans  lesPayis-bas  :  les  deux  Rois  guidez  par  les  mauvais  con- 
feils  de  leurs  Minières  prirent  de  fauffes  mefures ,  qui  excitè- 
rent des  troubles  domeftiques ,  plus  à  craindre  que  des  guer- 
res étrangères.  Car  on  fe  crut  alors  en  état  de  fuivre  les  delTeins 
jufques-là  cachez  du  cardinal  de  Lorraine,  ôc  de  Granvelle 
Evêque  d'Arras  ,  ôc  de  faire  périr  par  le  fer  les  nouveaux 
Sectaires.  Ceux-ci ,  pour  éviter  leur  perte  ,  oferent  faire  avec 
les  puiffances  étrangères  des  traitez  qu'on  diflimula  long-tems 
en  France,  ou  dans  la  vûë  de  maintenir  l'ancienne  Religion  ? 
ou  par  la  jeunefle,  ôc  la  foibleffe  de  nos  Rois,  ôc  qui pro- 
duifirent  enfin  une  rébellion  ouverte  contre  la  inajefté  du 
thrône. 

On  ajouta  au  traité  de  paix ,  qu'il  feroit  ratifié  par  le  Dauphin  5 
ôc  par  le  Prince  d'Efpagne  Charle  fils  de  Philippe  ;  que  les  deux 
Monarques  jureroient  de  l'obferver  religieufement,  &  l'envoyé- 
roient  dans  toutes  les  Cours  ou  Parlemens  de  leurs  Etats,  pour 
être  publié  ôc  enregiftré.  Il  fut  conclu  à  Câteau-Cainbrefis  le  3 
d'Avril,  Ôc  rendu  public  quatre  jours  après  à  Paris,  où  l'on 
rendit  à  Dieu  des  actions  de  grâce  folemnelles ,  aufli-bien  qu'à 
Rome  ,  où  il  y  eut  de  grandes  réjoùiflances  à  cette  occafion. 
Quoique  cette  paix  générale  fût  peu  avantageufe  au  Roi,  les 
François  ennuyez  d'une  longue  guerre  goûtèrent  une  tranquil- 
lité fifouhaitée.  Les  feuls  Siennois,  fe  flattant  toujours  de  l'ef- 
pérance  de  recouvrer  leur  liberté ,  auroient  mieux  aimé  la  guer- 
re que  la  paix.  Ils  difoient  même  ,  que  le  Roi  leur  avoit  pro- 
mis que  leur  ville  feroit  libre  ,  ôc  ils  expliquoient  en  leur  fa- 
veur les  articles  équivoques  du  traité ,  fur  la  reftitution  des  payis 


DE  J.  A.  DE  THOU/Liv.  XXII.      3;? 

de  Tofcane  ,  articles,,  qui  pourfauver  l'honneur  de  la  France  , 
avoient  été,  du  confentement  de  Philippe  ,  conçus  en  des  ter-  Henri  IL 
mes  enveloppez  6c  adoucis ,  qui  donnoient  lieu  à  ces  malheu-  1  5  S  9* 
reux,  que trompoient leurs  Députez  en  France,  de  s'imaginer 
vainement  que  leur  République  fubfifteroit  encore.  Ils  efpé- 
roient  du  moins,  que  fi  le  Roi  les  abandonnait,  ils  auroient 
la  liberté  de  fe  mettre  fous  la  protection  de  tel  Prince  qu'ils 
voudroient  choiiir.  Corneille  Bentivoglio  les  avoit  engagez 
à  fe  donner  au  duc  de  Ferrare ,  qui  étoit  venu  en  France  dans 
cette  vue' ,  6c  qui  fe  flatoit  de  réuflir  dans  fes  defleins  par  la 
faveur  des  Princes  de  la  maifon  de  Guife.  Quoiqu'il  fut  dé- 
jà avancé  en  âge ,  il  fe  préparait  à  aller  trouver  Philippe  en 
Flandres  :  6c  il  tne  doutoit  point ,  que  tandis  que  Bentivo- 
glio demeurerait  avec  des  troupes  en  Tofcane ,  il  ne  déter- 
minât en  fa  faveur  le  Confeil  d'Efpagne,  qu'il  fçavoit  avoir 
abandonné  à  regret  ceux  de  Sienne ,  6c  ne  voir  qu'avec  cha- 
grin PagrandifTement  de  Corne ,  dont  la  Fortune  rapide  don- 
noit  de  la  crainte  à  fes  voifins  ,  6c  de  la  jaloufie  même  à 
Philippe. 

D'un  autre  côté  le  duc  de  Florence  envoya  au  Roi  Léon 
Ricafoli,pour  fejuftifier  de  ce  qui  s'étoit  pafTé,parla  conjonc- 
ture des  tems ,  ôc  par  les  circonftances  delà  guerre ,  6c  pour  lui 
promettre  de  fa  part  un  attachement  inviolable.  En  même  tems 
il  faifoit  les  plus  fortes  inftances  auprès  de  Philippe  ,  par  Pandol- 
fe  de  la  Stufa  fon  agent  >  pour  engager  ce  Prince  à  lui  confer- 
ver  la  fouveraineté  fur  Sienne ,  qui  lui  avoit  été  depuis  long- 
tems  promife,  ôc  qui  venoit  de  lui  être  confirmée  par  le  der- 
nier traité  ;  ajoutant  qu'il  étoit  de  la  gloire  d'un  grand  Roi, 
qui  avoit  donné  la  paix  à  toute  l'Europe,  d'en  ufer  ainfi  en  fa- 
veur d'un  Prince  fon  allié.  Déjà  BrifTac  qui  commandoit  en 
Piémont  fe  préparait  à  revenir  en  France ,  aimant  mieux  que 
tout  autre  que  lui  reftituât  ce  qu'il  avoit  conquis  ;  ôc  Philip- 
pe avoit  mandé  au  duc  de  Seffa  gouverneur  du  Milanès  de 
joindre  fes  forces  à  celles  de  Corne  ;  pour  obliger  ceux  de 
Sienne  à  fe  foumettre  aux  articles  du  dernière  traité.  Ces  Ré- 
publicains ,  s'imaginant  que  Corne  vouloit  feulement  les  inti- 
mider, ne  pouvoient  abandonner  encore  le  defiein  de  con- 
ferver  leur  liberté.  Voyant  que  le  Roi  les  délauToit ,  ôc  que 
le  duc   de  Ferrare  étoit  trop  foible  pour  les  défendre  i   ils 

Y  y  ij 


3S*  HISTOIRE 

-  envoyèrent  à  Rome  NicodemeForte-guerra,Ôc  Germanie  Ban 


Henri  II  dini  leurs  agens ,  pour  offrir  au  fouverain  Pontife  de  mettre  fous 
1559»     fa  protection  Montalcino ,  ôc  les  autres  villes  qui  reftoient  à 
leur  République.  Mais  le  Saint  Père,  qui  n'étoit  plus  gouverné 
par  les  Caraffes  fes  neveux ,  étoit  bien  éloigné  de  vouloir  pen- 
fer  à  la  guerre  >  quoiqu'  Antoine  des  Urfins  ,  qui  avoit  fuccedé 
à  Camille  de  Lamentano  dans  le  gouvernement  des  affaires, 
lui  confeillât  de  protéger  des  citoyens  injuftemenr  opprimez, 
ôc  que  le  facré  Collège  l'en  prefsât,  aufïï-bien  que  la  plupart 
des  Princes  d'Italie  jaloux  de  la  puiffance  de  Côme,  quis'al- 
loit  accroître  par  la  ruine  de  Sienne.  Ainfï  ils  reçurent  cette 
trifte  réponfe  >  que  le  Pape  ne  vouloit  point  troubler  la  paix 
de  l'Europe  ;  que  c  étoit  à  eux  à  voir  ce  qu'ils  avoient  à  faire? 
ôc  qu'au  refte  le  meilleur  parti  qu'ils  euffent  à  prendre  étoit 
de  fe  conformer  au  traité  fait  entre  les  deux  Rois  >  ôc  de  fe  fou- 
mettre  aux  volontez  du  duc  de  Florence  ôc  du  Roi  d'Efpagne. 
LesSiennois       Au  milieu  de  ces  incertitudes,  ôc  de  ces  troubles,  Benti- 
nezdetoMfe  voglio  leur  donnoit  encore  un  refte  d'efpérance ,  en  différant 
monde.  de  retirer  fes  troupes  de  la  Tofcane,  ôc  en  leur  laiffant  entre- 

voir quelque  fecours  du  côté  de  la  France.  Quoique  Chiapino 
Vitelli  ôc  Jean  de  Guevara  fuffent  revenus  des  Payis-bas,  avec 
des  ordres  précis  du  Roi  d'Efpagne,  pour  fe  mettre  en  pof- 
feflion  des  villes  de  l'Etat  de  Sienne  occupées  par  les  François, 
ou  par  ces  Républicains,  ils  ne  laiflferent  pas  de  députer  encore 
au  Roi  de  France,  Camille  Spanochi,  pour  défendre  une  liberté 
qu'on  alloit  leur  ravir.  Cet  agent- eut  ordre  de  faire  auprès  du 
Roi  les  plus  vives  inftances  ,  ôc  de  fe  rendre  enfuite  auprès  de 
Philippe ,  s'il  n'avoit  pu  rien  obtenir  de  Henri,  afin  de  le  pref- 
fer  au  nom  de  la  République  de  Sienne ,  de  les  foutenir , 
ôc  de  leur  permettre  de  vivre  libres,  comme  avoient  fait  leurs 
pères ,  fous  la  protection  d'un  fi  grand  Prince.  Mais  cette  dé- 
putation  ne  fut  pas  plus  heureufe  que  l'avoient  été  les  autres. 
D'un  autre  côté  le  duc  de  Florence,  qui  vouloit  faire  réuflir 
fes  deffeins  par  toute  autre  voie  que  par  la  force  ,  envoya 
Vitelli,  Guevara  ,  ôc  Louis  de  Doara  àBentivoglio,  qui  fem- 
bloit  feul  par  fes  artifices  entretenir  les  Siennois  dans  le  refus 
opiniâtre  de  fe  foumettre.  Ils  étoient  chargez  de  repréfenter 
à  ce  Général ,  que  cette  affaire  de  voit  être  terminée  à  l'amia- 
ble 5  qu'il  ne  falloit  pas  qu'il  fut  caufe  qu'on  en  vînt  encore 


DE   J.A.DETHOU.Liv.  XXII.        3;7 

aux  armes ,  après  la  paix  faite  entre  les  deux  Rois  ;  qu'il  n'y 
avoit  que  trop  long-tems  qu'il  entretenoit  les  Siennois  de  dou-  Henri  IL 
ces,  mais  de  folles  efperances  ;  que  le  duc  de  Ferrare  ayant  fait  1559. 
jufqu'ici  de  vains  efforts  ,  il  et  oit  tems  de  terminer  férieufe- 
ment  cette  affaire  ,  puifqu'il  ne  pouv oit  ignorer  qu'il  agiffoit  en 
cela  contre  les  intentions  du  Roi  de  Francejqu'au  relie  le  duc  de 
Florence  n'ignoroit  pas  que  Bentivoglio  ne  vouloit  point  quit- 
ter la  Tofcane,  fans  s'être  procuré  quelque  avantage  particu- 
lier ;  que  ce  motif  étoit  raifonnable  3  que  Corne  n'avoit  pu 
douter  de  fes  intentions  là-deffus,  lorfqu'il  l'avoit  vu  fortifier 
à  la  hâte  Ottieri  place  appartenant  au  Seigneur  Sinolfo ,  ôc  y 
faire  porter  du  canon ,  ôc  des  munitions  de  guerre  ôc  de  bou- 
che? que  ce  Prince  confentiroit  volontiers  que  fes  fervices  Ôc 
fes  expéditions  militaires  fuffentrecompenfez,  s'il  vouloit  s'ou- 
vrir à  lui  avec  franchife  ,  ôc  ne  plus  mettre  d'obïlacle  par  di- 
vers artifices  à  la  conclufion  de  l'affaire  de  Sienne.  Comme 
Bentivoglio  alîeguoit  qu'il  ne  pouvoit  abandonner  les  Sien- 
nois ,  fur  ce  qu'il  n'avoit  point  reçu  d'ordre  du  Roi  à  ce  fujer, 
Jean  Ebrard  de  Saint  Sulpice  vint  mouiller  devant  Ombro- 
ne  avec  treize  galères  ,  ôc  fit  fçavoir  à  Bentivoglio ,  ôc  aux 
Siennois  qui  étoient  à  Montalcino,  qu'il  étoit  envoyé  par  le 
Roi  avec  de  l'argent,  pour  payer  les  troupes  ôc  les  ramener  en 
France,  avec  le  canon. 

Les  François  avoient  déjà  évacué  prefque  toutes  les  places  Affaires  dt 
qu'ils  occupoient  dans  le  Piémont ,  ôc  dans  les  Payis-bas  ;  Ôc  France- 
ils  ne  confervoient  que  Metz ,  Toul ,  ôc  Verdun ,  avec  Calais, 
pour  tout  fruit  d'une  guerre  qui  avoit  coûté  à  la  France  tant 
de  faug,  ôc  de  dépenie.  Alors  les  deux  Rois  fe  voyant  dé- 
livrez des  foins  de  la  guerre,  donnèrent  toute  leur  attention  à 
ce  qui  concernoit  la  Religion.  Il  y  avoit  deux  ans  que  le  Roi, 
ôc  fon  Confeil  avoient  travaillé  à  cette  affaire ,  puis  l'avoient 
négligée.  On  la  reprit  alors ,  au  milieu  des  réjoùiffances  ôc  de 
la  pompe  des  noces.  La  ducheffe  de  Valentinois  maîtreffe  du 
Roi,  qui  efperoit  de  s'enrichir  parla  confifcation  des  biens  de 
ceux  qui  feroient  condamnez ,  ôc  les  Guifes  qui  cherchoient 
à  fe  rendre  agréables  aux  peuples  par  la  punition  des  Seélai- 
res  ,  ne  ceffoient  de  dire  au  Roi  que  le  venin  del'héréfie  fe  ré- 
pandoit  par  toute  la  France  >  qu'il  ne  feroit  jamais  véritable- 
ment Roi ,  s'il  laiffoit  cette  feue  faire  déplus  grands  progrès, 

Yyiij 


3T3  HISTOIRE 

mmm;m  ■■.■■■■»■■  que  jes  proteftans ,  qui  n  avoient  jufqu'ici  femé  leurs  erreurs 
Henri  IL  qu'en  tremblant,  ôc  dans  des  entretiens  fecrets,  ofoient  au- 
1  5  $  9*  jourd'hui  les  publier  avec  infolence,  par  une  entreprife  aulîi 
injurieufe  à  Dieu  ,  que  préjudiciable  à  la  majefté  Royale  5  ôc 
que  ceux  qui  ofoient  violer  les  droits  divins ,  donnoient  auiïi 
atteinte  aux  droits  humains.  Déplus,  ils  firent  agir  auprès  du 
Roi  Gille  le  Maître  premier  Prefident ,  les  Prefidens  de  Saint 
André ,  ôc  Minard  >  Ôc  Gille  Bourdin  Procureur  Général  5  ôc  ils 
vinrent  à  bout ,  par  les  remontrances  de  ces  Magiftrats ,  fur-tout 
de  Gille  le  Maître ,  perfonnage  d'un  génie  élevé  ôc  d'un  ef- 
prit  vif,  d'irriter  ce  Prince  débonnaire,  qui  fit  des  fautes  plu- 
tôt féduit  pas  les  artifices  d' autrui,  que  de  fon  propre  mouve- 
ment. Ceux-ci  lui  repréfenterent,  qu'inutilemenr  avoit-il  don- 
né la  paix  à  la  France,  lî  une  guerre  plus  dangereufe  que  les 
guerres  étrangères  s'élevoit  dans  le  fein  de  l'Etat  :  que  le  mal 
étoit  venu  à  ce  point ,  qu'en  difllmulant  plus  long-tems ,  on  ne 
pourroit  plus  y  remédier  parla  févérité  des  loix ,  Ôc  qu'il  faudroit 
des  armées  ôc  toute  la  puiflance  Royale  pour  l'arrêter,  com- 
me il  étoit  arrivé  du  tems  des  Albigeois  :  que  jufqu'ici  on  avoit 
fait  peu  de  chofe  pour  bannir  les  erreurs  5  parce  que  les  pu- 
nitions n'étant  tombées  que  fur  des  gens  de  la  lie  du  peuple, 
ces  fupplices  avoient  paru  odieux,  ôc  avoient  fait  peu  d'impref- 
fion  par  l'exemple  :  qu'il  falloit  commencer  par  châtier  ceux 
des  Magiftrats  qui  entretenoient  l'erreur  ou  par  l'impunité 
ou  par  des  peines  arbitraires ,  en  favorifant  en  fecret  les  Sec- 
taires, ou  en  prêtant  l'oreille  aux  follicitations  de  leurs  amis; 
que  c'étoit  là  la  racine  du  mal  qu'il  falloit  arracher,  fion  vou- 
loit  travailler  utilement  :  qu'ainfi  ils  confeilloient  au  Roi  de 
venir  au  Parlement,  qu'il  trouveroit  affemblé  un  certain  jour 
à  l'occafion  des  Mercuriales,  ôc  de  lui  cacher  fon  arrivée. 
Origine  des  Ce  fut  Charle  VIII.  qui  établit  dans  les  Parlemens ,  ôc  dans 
les  Cours  de  fon  Royaume  une  cenfure  des  mœurs,  par  fon 
Edit  de  l'année  14.5)3  ,  qui  fut  confirmé  cinq  ans  après  par 
Louis  XII.  fonfuccefTeur,  Prince  dont  les  vertus  font  encore 
en  vénération  parmi  les  peuples.  Ce  Roi  ajoutant  à  l'édit  de 
fon prédeceffeur,  ordonna  que  deux  fois  chaque  mois,  ou  une 
au  moins,  les  Préfidensdu  Parlement,  ôc  ceux  des  Enquêtes, 
s'afTembleroient  le  mardi  ôc  le  mercredi ,  à  une  heure  après  midi 
avec  deux  Confeillers  de  chaque  Chambre ,  ôc  qu'en  préfencç 

1 


DE  J.  A.  DE  THÔU,  Li v.  XXII.     SS9 

des  gens  du  Roi  ,  ils  prendroient  connoiffance  des    mem"  » ■ » 

bres  de  la  Compagnie,  qui  auroient  manqué  à  leur  devoir  par  uENRI  jj 
négligence,  par  défobéiffance  ,  ou  par  des  mœurs  licentieufès,  J  x  .  ^ 
ou  qui  auroient  deshonoré  le  caractère  dont  ils  étoient  revêtus 
par  quelque  a&ion  condamnable.  Ceux  qui  feroient  tombez  en 
quelqu'une  de  ces  fautes  dévoient  être,  fuivant  ce  dernier  Edir, 
avertis  charitablement  de  fe  corriger,  ou  fi  le  cas  lerequerohv 
dénoncez  à  toute  la  Compagnie,  ôc  punis  par  des  corrections 
différentes,  ôc  même  par  la  privation  des  fondions  de  leurs 
charges  pour  un  tems ,  ou  pour  toujours.  On  étoit  encore  obli- 
gé de  dreffer  des  aêtes  de  cela  >  ôc  de  les  porter  au  Roi.  En* 
fuite  Henri  IL  ordonna  par  fa  déclaration  '  de  155 1  qu'on  tien- 
droit  à  l'avenir  tous  les  trois  mois  les  affemblées ,  appellées  de- 
puis Mercuriales,  du  mercredi  jour  deftiné  à  ces  féances,  ôc  que 
les  gens  du  Roi  feroient  tenus  de  requérir  contre  ceux  de  la 
Compagnie,  qui  auroient  fait  quelque  chofequi  fût  indigne  de 
leur  miniftere  ,  de  faire  informer ,  Ôc  de  pourfuivre  fans  délai 
le  jugement  de  Paccufation  qu'ils  auroient  intentée  ;  les  mena-* 
çant  de  perdre  leurs  charges ,  s'ils  fe  comportoient  négligem- 
ment dans  ces  affaires  2. 

Les  autres  Prélidens  n'étoient  pas  du  même  avis  que  le  Mai-  Conduite  in* 
tre  ôc  quelques  favoris  du  Roi ,  au  fujet  des  peines  dont  on  de-  digne  du  p.  p? 
voit  punir  les  Proteftans.  Ce  chef  du  Parlement  craignant  que 
Henri,  Prince  débonnaire,  ôc  quipanchoit  toujours  vers  ladou- 
ceur,  ne  fe  laiflat  ébranler  par  les  remontrances  de  fes  Col- 
lègues ,  avoit  perfuadé  au  Roi  qu'il  devoit  s'en  défier ,  comme 
de  juges  qui  favorifoient  les  erreurs  >  ôc  il  lui  avoit  confeillé  de 
3es  mander  en  particulier  ,  Ôc  de  leur  faire  connoître  fa  volon- 
té ;  afin  qu'ils  opinaffent  en  cette  affaire ,  non  avec  la  liberté 
dont  on  doit  jouir  dans  les  fuffrages,  mais  félon  les  vues  de 
la  Cour.  Chriftophle  de  Thou  un  des  Prélidens  ayant  été  man- 
dé, ofa,  comme  il  me  l'a  dit  plufieurs  fois,  difputer  long-tems 
contre  le  Roi,  avec  cette  franchife,  ôc  cette  candeur,  qui  lui 


1  M.  de  Thou  attribue  cette  Décla- 
ration à  François  I.  en  155P  ,  mais  il 
s'eft  trompé.  Car  François  I.  parfon 
Ordonnance  veut  que  les  Mercurai- 
les  fe  fafTent  tous  les  mois. 

2  II  y  a  dans  M.  de  Thou  ces  mots 
qui  fiïivent  ;  //  efl  Aujfi  ordonné  aux 


gens  du  Roi  d'avertir  le  Roi ,  ou  fin 
Chancelier  des  procédures  qu'ils  feront 
contre  les  coupables.  Mais  on  les  a 
fuprimez,  parce  qu'ils  ne  fe  trouvent 
point  dans  la  Déclaration  de  Henri 
II.  mais  dans  celle  de  Charle  IX, 
qui  eft  pofterigure, 


tfo  HISTOIRE 

étoient  naturelles,  pour  le  détourner  d'un  defTein,  que  cette 
Henri  II.  homme  plein  de  fagefle  prévoyoit  devoir  être  fatal  à  la  France 
i  $  y  p.  ôc  au  Prince  même.  Depuis  ce  tems-làil  vit  toujours  avec  ré- 
pugnance ces  aflemblées ,  dites  Mercuriales ,  qui  avoient  pour- 
tant été  fagement  établies  autrefois  pour  la  corre&ion  des 
mœurs. 

Ce  fut  le  i  y  de  Juin ,  que  le  Roi,  qui  perfiftoit  dans  le  defTein 
qu'on  lui  avoit  infpiré ,  vint  au  Parlement  ,  qui  tenoit  alors  fes 
féances  dans  le  Couvent  des  Auguftins  i  parce  que  le  Palais ,  où 
fe  rend  la  juftice,  étoit  embaraffé  parles  préparatifs  des  noces 
qu'on  alloit  célébrer.  On  avoit  déjà  commencé  à  opiner  fur 
le  genre  de  peine ,  dont  on  puniroit  les  Seclaires ,  lorfque  le 
Roi  arriva  accompagné  des  Princes  de  la  maifon  de  Bourbon, 
de  François  duc  de  Guife ,  du  Connétable  de  Montmorenci, 
ôc  des  cardinaux  de  Lorraine ,  ôc  de  Guife.  Il  fit  un  difcours  qui 
roula  fur  fon  zélé  pour  la  Religion ,  ôc  fur  le  defir  qu'il  avoit 
d'affurer  le  repos  public  ;  ôc  parla  de  façon ,  qu'on  jugea  qu'il 
cachoit  fa  colère  ,  ôc  qu'il  n'étoit  pas  venu  avec  un  efprit  cal- 
me ôc  tranquille.  Enfin  il  dit,  qu'il  avoit  cimenté  la  paix  par  le 
double  mariage  de  fa  fœur  ôc  de  fa  fille  ,  ôc  qu'il  efperoit 
qu'elle  feroit  utile  à  tout  fon  peuple ,  ôc  que  rien  ne  pourroit 
la  troubler  à  l'avenir  :  qu'au  refte,  il  ne  voyoit  qu'avec  un  ex- 
trême chagrin  qu'on  avoit  traité  jufqu'ici  dans  le  tems  de  la 
guerre,  fans  règle,  ôc  d'une  manière  féditieufe,  l'affaire  de  la 
Religion  ,  que  les  bons  Princes  doivent  avoir  extrêmement  à 
cœur  ;  qu'il  fouhaitoit  qu'à  l'avenir  on  prît  férieufement  la 
défenfe  de  l'Eglife  ;  ôc  que  comme  il  apprenoit  que  le  Par- 
lement  étoit  affemblé  à  ce  fujet,  il  l'exhortoit  à  délibérer  là- 
deffus  fans  prévention?  puifqu'il  s'agiffoit  de  la  caufe  de  Dieu, 
qui  feroit  fans  doute  attentif  aux  décifions  des  juges ,  com- 
me il  eft  préfent  toujours  aux  penfçes  les  plus  intimes  des 
hommes. 

Alors  le  Garde  des  Sceaux  ordonna  aux  juges  de  continuer 
les  délibérations.  Quoique  perfonne  ne  doutât  que  le  Roi  étoit 
venu ,  pour  connoître  les  fentimens  de  tous ,  Ôc  pour  gêner  les 
fuffrages,  il  fe  trouva  pourtant  des  Magiftrats  qui  opinèrent  en 
préfence  du  Roi ,  fans  craindre  la  mort  dont  ils  étoient  me- 
nacez ,  avec  la  liberté  des  anciens  Sénateurs.  Ils  déclamèrent 
contre  les  mœurs  de  la  Cour  Romaine ,  ôc  contre  lec  abus 

qu'elle 


DE  J.  A.   DETHOU.Liv.  XXIL     $6i 

qu'elle  avoit  introduits  ,  qui  étoient  devenus  peu  à  peu  ,  di-    tnmm 

ioient  ils,  de  grandes  erreurs,  ôc  qui  avoient  donné  lieu  à  dif-  trFNR*  it 
ferentes  fe£tes  de  s'élever.  Ils  conclurent  qu'il  falloit  mo- 
dérer les  peines  ôcfufpendre  la  févéritédes  jugemens  ,  jufqu'à  *  '  - 
ce  qu'un  Concile  œcuménique  eut  réformé  la  difcipline  del'E- 
glife ,  6c  calmé  les  troubles  dont  elle  étoit  agitée  ;  que  tout 
homme  de  bien  penfoitainfi,  ôc  que  ce  n'étoit  pas  fans  raifon 
que  les  Conciles  de  Bâle  ôc  de  Confiance  avoient  ordonné 
que  tous  les  dix  ans  on  afTembleroit  un  Concile.  C'étoit  l'avis 
d'Arnauîd  du  Ferrier,  préfident  aux  Enquêtes,  homme  refpec- 
table  par  fa  probité  ôc  par  la  gravité  de  fes  moeurs  ,  Ôc  fi  grand 
Jurifconfultc  que  Jacque  Cujas ,  l'ornement  de  notre  fiécle, 
reconnoiflbit  ne  devoir  qu'à  lui  feultout  ce  qu'il  fçavoit.  An- 
toine Fumée  fut  aufli  de  ce  fentiment,  auili-bien  que  Paul  de 
Foix,  magiftrat  distingué  par  l'éclat  de  fa  naiffance  ôc  par  fa 
vafte  érudition ,  Nicolas  du  Val ,  Euftache  de  la  Porte ,  ôc  quelr 
ques  autres. 

Lorfqu'on  déliberok  en  préfence  du  Roi,  Claude  Viole  opi-  ^libération 
na  de  la  même  manière,  ôc  après  lui  Louis  Faur,  homme  d'un  ef-  du  Parle-. 
prit  vif  ôc  hardi  ;  celui-ci  ajouta ,  que  tout  le  monde  penfoit  que  ment' 
les  troubles  venoientdes  différens  en  matière  de  Religion  ;  mais 
qu'il  falloit  examiner,  qui  étoit  véritablement  l'auteur  de  ces 
troubles ,  de  peur  qu'on  ne  fût  obligé  de  faire  la  même  réponfe 
qu'Elie  fit  autrefois  à  Achab ,  qui  lui  reprochoit  d'exciter  des 
troubles  : *  Ceji  vous  qui  troublexjfiael.  Enfuite  Anne  du  Bourg, 
après  avoir  long-tems  parlé  de  la  providence  de  Dieu  à  la- 
quelle toutes  chofesfont  nécefTairement  foumifes,  entra  en  ma- 
tière ,  ôc  dit  :  Que  les  hommes  commettoient  contre  les  loix 
plufieurs  crimes  dignes  de  mort ,  ôc  du  fupplice  des  efclaves; 
tels  que  font  les  bîafphemes  réitérez ,  les  adultères,  d'horribles 
débauches,  des  parjures  fréquens ,  que  non  feulement  on  diffi- 
muloit ,  mais  qu'une  honteufe  licence  même  entretenoit  j  tan- 
dis qu'on  inventoit  tous  les  jours  de  nouveaux  fupplices  con- 
tre des  gens  à  qui  l'on  ne  pouvoit  "reprocher  aucun  cri- 
me. »  Car  enfin,  ajoùta-t-il ,  peut-on  leur  imputer  le  crime  de 
»  leze-majefté  à  eux,  qui  ne  font  mention  du  Prince  que  dans 
P>  leurs  prières  ?  Peut-on  dire  qu'ils  violent  les  loix  de  l'Etat , 

i  On  a  été  obligé  de  changer  un    I    rendre  ce  pafTage  tel  qu'il  eft  dans  l'E- 
fnot  dans  le  texte  de  M.  de  Thou,  pour   J   criture  Sainte. 

Tome  1IL  Z  z 


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362  HISTOIRE 

»  m  qu'ils  tâchent  d'ébranler  la  fidélité  des  villes ,  ôc  qu'ils  portent 
Henri  IJ.  3>  ^es  Pr°vinces  à  la'révolte?  Quelque  peine  qu'on  fe  foit  don- 
i  <-  <-  nt  "  nee  jufqu'ici  ,  on  n'a  pu  faire  dire  à  des  témoins  même  choi- 
»  fis  ,  qu'ils  ayent  eu  feulement  cette  penfée.  Ce  qui  fait  qu'on 
»  les  regarde  comme  des  hommes  féditieux ,  n'eft-ce  pas ,  parce 
*>  qu'à  la  faveur  de  la  lumière  de  l'Ecriture  >  ils  ont  découvert  ôc 
s' révélé  le  turpitude  de  la  puiffance  Romaine ,  qui  panche  vers 
&>  fa  ruhie,  Ôc  qu'ils  demandent  une  falutaire  réformation.  » 

Enfuite  les  Préfidens  opinèrent  fuivant  leur  rang.  Chrifto- 
phle  de  Harlai  ôc  Pierre  Seguier  affurerentavec  une  force  mê- 
lée de  douceur,  que  jufqu'ici  le  Parlement  s'étoit  comporté  fui- 
vant les  loix  dans  le  jugement  des  caufes  capitales  ;  que 
fans  doute  cette  Cour  ne  fe  démentiroit  pas  dans  la  fuite , 
ôc  qu'elle  s'acquiteroit  de  fes  devoirs  dans  la  vue  de  la  gloire 
de  Dieu,  ôc  d'une  manière  qui  fût  agréable  au  Prince  ôc  au 
peuple.  Chriftophle  de  Thou  dit  avec  liberté,  que  les  gens  du 
Roi  meritoient  d'être  notez ,  pour  avoir  ofé  cenfurer  les  arrêts 
de  la  Cour,  ôc  révoquer  en  doute  fon  autorité.  René  Baillet, 
homme  de  bien  ,  fut  d'avis  qu'on  de  voit  revoir  les  édits  dont 
on  fe  plaignoit ,  ôc  les  examiner  avec  plus  d'attention.  Minard, 
qui  étoit  du  parti  des  favoris,  parla  peu,  pour  ménager  fa  com- 
pagnie, ôc  conclut,  qu'il  falloit  obéir  aux  édits  du  Roi.  En- 
fin le  premier  Préfident  déclama  fort  contre  les  Sectaires.  Il 
apporta  l'exemple  des  Albigeois  ,  dont  fix  cens  furent  brûlez 
en  un  jour  par  les  ordres  de  Philippe  Augufte  ;  ôc  celui  des 
Vaudois,  dont  une  partie  périt  par  le  feu  dans  leurs  maifons,ôc 
le  refte  fut  étouffé  par  la  fumée ,  dans  des  cavernes  ôc  des  carriè- 
res où  ils  s'étoient  cachez. 

Après  cela  le  Garde  des  Sceaux  s'approcha  du  Roi,  quite- 
noit  fon  lit  de  Juftice  fur  un  fiége  élevé ,  ôc  délibéra  quelque 
tems  en  fa  préfence  avec  les  Princes  ôc  Seigneurs  que  le  Roi 
avoit  amenez.  Enfuite  tous  s'étant  afïis ,  il  appella  Saint  Ger- 
main Grenier  de  la  Cour  ,  qui  avoit  écrit  les  avis  ,  ôc 
lui  ordonna  de  lui  donner  le  regiftre  ,  qu'il  porta  aufli-tôt 
au  Roi.  Alors  ce  Prince  prenant  la  parole  ,  blâma  en  ter- 
mes indirects  fon  Parlement  ,  d'avoir  entamé  à  fon  infcû , 
une  affaire  fi  importante  à  l'Etat  :  il  dit,  qu'il  voyoit  bien  que 
ce  qu'on  lui  avoit  dit  étoit  véritable  ,  que  quelques-uns  d'entre 
■eux  méprifoient  l'autorité  du  Pape,  ôc  lafienne  >  qu'à  la  vérité 


DE  J.    A.   DE    THOU,  L  i  v.  XXII.      363 

le  nombre  des  coupables  n'étoit  pas  grand  5  mais  que  leurs  fau-  » 

tes  deshonoroient  le  Parlement,  6c  les  perdroient  enfin  eux-  Henri II. 
mêmes >  qu'ainfi  il  exhortoit  les  autres  à  demeurer  dans  le  If  fQ< 
devoir.  Alors  il  fe  leva  ,  irrité  contre  Faur  ,  ôc  contre  du 
Bourg ,  dont  le  premier  avcit  cité  l'exemple  d'Achab ,  ôc  le 
fécond  avoit  parlé  de  ce  grand  nombre  d'adultères  qu'on  laif- 
foit  impunis.  En  même  tems  il  commanda  à  Montmorenci  de 
les  faire  arrêter.  Celui-ci  ayant  communiqué  l'ordre  du  Roi 
au  comte  de  Mongommeri  l'un  des  Capitaines  des  Gardes, 
ils  furent  pris,  ôc  conduits  à  la  Baftille.  On  arrêta aulîî  dans  leurs 
maifons  Paul  de  Foix,  André  Fumée,  ôc  Euftache  de  la  Porte. 
Mais  du  Ferrier,  du  Val,  ôc  Viole,  s'étant  cachez  chez  leurs 
amis ,  évitèrent  le  même  fort. 

La  plupart  jugèrent  de  cette  action  du  Roi  d  une  manière 
différente ,  ôc  fuivant  qu'ils  étoient  difpofez.  Mais  les  plus  fen- 
fez  voyoient  avec  douleur ,  que  le  Roi  pouffé  par  de  mauvais 
confeils  fût  venu  au  Parlement ,  pour  renverfer  l'ordre  desloix, 
dont  il  devoit  être  le  protecteur.  C'étoit  peu ,  difoient-ils ,  que 
le  Roi  fut  venu  fans  être  annoncé,  ôc  eût  affifté  à  une  délibé- 
ration déjà  commencée.  Mais,  ajoûtoient-iîs ,  peut-on  s'em- 
pêciier  de  croire  que  ce  bon  Prince  s'eft  livré  à  la  pafîlon  d'au- 
trui ,  lorfqu'au  lieu  de  compter  les  voix ,  il  a  fait  lire  les  fuffrages, 
qu'il  n'a  pas  permis  qu'on  achevât  une  délibération  commen- 
cée j  qu'il  a  fait  prendre  le  regiftre ,  où  les  avis  étoient  écrits, 
ôc  qu'après  de  grandes  menaces ,  il  a  fait  arrêter  des  magiftrats 
en  fa  préfence  ?  Qui  pourroit  s'empêcher  de  haïr  ces  lâches 
adulateurs ,  qui  pour  s'attirer  la  faveur  des  Grands ,  ont  trahi 
honteufement  les  fecrets  de  leur  compagnie  ,  ôc  fouillé  leur 
confcience  ?  Enfin  qui  ne  regardera  pas  cette  entreprife  com- 
me un  préfage  d'une  dangereufe  révolution  ?  Tels  étoient 
leurs  difcours. 

Le  lendemain ,  les  Chambres  s'étant  raflemblées  par  ordre  du 
Roi ,  on  rapporta  le  procès  criminel  de  Jacque  Spifame  évê- 
que  de  Nevers  ,  qui  s'étant  marié  fecretement ,  s'étoit  retiré 
à  Genève.  Après  qu'on  eut  lu  les  informations,  il  fut  décrété 
deprifede  corps.  Ces  exemples  defévérité  n'empêchèrent  pas 
les  miniftres  des  Eglifes ,  qu'ils  appelloient  reformées,  de  s'af- 
fembler  à  Paris  le  28  de  Juin  dans  une  maifon  du  fauxbourg 
Saint  Germain ,  fans  craindre  les  fupplices   dont  ils   étoient 

Zz  ij 


3*4  HISTOIRE 

menacés.  François  Morel  préfida  à  cette  conférence  ]  où  il  fe 


Miniftres  ,  fur  les  Prêtres  ôc  les  Diacres  ,  fur  les  cenfures  ôc  la 
correction  des  mœurs  ,  fur  les  dégrez  de  parenté  ôc  d'affinité , 
ôc  fur  la  manière  de  contracter  les  mariages  ,  ôc  de  les  diffou- 
die.  On  ajouta,,  que  ces  loix  ne  feroient  point  invariables ,  ôc 
qu'elles  pourroient  être  changées  fuivant  la  nécefllté  des  con- 
jonctures ôc  des  tems,  comme  les  Eglifes  le  jugeroientà  pro- 
pos ,  pourvu  qu'un  Synode  général  approuvât  ces  change- 
mens. 

En  ce  tems-là  3  des  députez  des  Princes  proteftans  de  l'Al- 
lemagne vinrent  trouver  le  Roi ,  avec  des  lettres  de  Frédéric 
comte  Palatin  du  Rhin ,  d'Augufte  duc  de  Saxe ,  de  Joachim 
Electeur  de  Brandebourg  3  du  duc  de  "Wirtemberg  ôc  du  comte 
Volfang  de  Veldenz.  Ces  lettres  portoient  en  fubftance  :  Qu'ils 
avoient  appris  avec  douleur,  qu'on  punifloit  en  France  par 
la  prifon,  par  la  perte  des  biens ,  par  l'exil  ôc  par  le  dernier 
fupplice ,  comme  féditieux  ôc  perturbateurs  du  repos  public,  des 
hommes  de  bien  3  amis  de  la  paix  3  qui  profeffoient  la  même 
religion  qu'eux  :  Qu'ils  s'étoient  crus  obligez  par  les  princi- 
pes de  la  charité  Chrétienne  ,  ôc  par  les  liens  d'amitié  qui  les 
attachoient  à  la  France,  de  députer  au  Roi,  pour  le  prier  de 
délibérer  mûrement  fur  une  affaire  qui  regardoit  la  gloire  de 
Dieu ,  ôc  le  falut  des  âmes  ,  ôc  de  ne  fe  point  laiffer  prévenir  : 
Qu'en  qualité  de  Princes  pieux  ils  avoient  à  cœur ,  aufïi-bien 
que  le  Roi  ,  l'honneur  du  nom  de  Dieu  ,  Ôc  le  falut  de  leurs 
fujets  :  Que  des  troubles  s'étant  élevez  dans  leurs  Etats  fur  la 
Religion ,  ils  avoient  cherché  les  moyens  les  plus  convena- 
bles pour  les  appaifer  >   qu'en  travaillant  féiïeufement  à  une 
affaire  Ci  importante,  ils  avoient  reconnu ,  que  l'ambition  ôc  Fa- 
varice  avoient  introduit  peu  à  peu  dans  l'Eglife  bien  des  abus 
injurieux  à  Dieu  ,   ôc  fcandaleux  pour  les  hommes ,  qui  de? 
voient  être  réformez  fuivant  les  régies  de  l'Ecriture ,  les  décrets 
des  anciens  Conciles ,  ôc  l'autorité  des  Pères  des  premiers  fié- 
cles  :  Que  ce  n'étoit  pas  d'aujourd'hui,  qu'on  fe  plaignait  de 
la  difcipline  ôc  des  mœurs  corrompues  de  la  Cour  de  Rome* 
qu'on  ri  ignorait  pas  en  France  ce  qu'avoient  écrit  à  ce  fujet 


D  E  J.  A.   DE  T  HO  U  ,  L  ï  v.  XXII.       3^ 

Guillaume  de  Paris ,  Jean  Gerfon  ,  Nicolas  de  Clemengis  , 
WefTel  de  Groeninghen ,  qui  fous  Louis  XI.  avoit  rétabli  TU-  JJenriII' 
niverlité  de  Paris ,  6c  d'autres  Théologiens  :  Que  François  \  t  %  g. 
I.  d'heureufe  mémoire  père  du  Roi ,  guidé  par  de  fages  con- 
feils,  avoit  donné  durant  quelque-tems  fes  attentions  à  con- 
cilier les  efprits  fur  les  différends  de  la  Religion  ,  ôc  à  refor- 
mer la  difcipline  eccléfiaftique  :  Que  ces  mêmes  foins  étoient 
dignes  du  Roi ,  fils  d'un  fi  grand  Prince  5  qu'ainfi  ils  le  fup- 
plioient  3  qu'en  un  rems  où  la  France  joùifToit  d'une  heureufe 
paix  y  il  employât  fa  médiation  toute-puiffante ,  pour  terminer 
à  l'amiable  les  diflentions  fur  les  matières  de  la  foi  :  Qu'au  relie 
ils  ne  voyoient  point  de  moyen  plus  convenable,  pourréùfïïr 
dans  cette  entreprife,  que  de  choifir  des  hommes  habiles  ôc 
amis  de  la  paix ,  pour  examiner  cette  affaire  fans  prévention 
ôc  fans  haine  ,  ôc  pour  dreiferune  confeflion  de  foi ,  conforme 
aux  principes  de  l'Ecriture  ,  ôc  aux  maximes  des  premiers 
Pères  de  l'Eglife:Que  cependant  il  fût  furfis  à  la  févérité  des 
jugemens  ;  qu'on  ouvrît  les  prifons  à  ceux  qui  y  languifToient 
depuis  long-temsj  qu'on  rappellât  les  exilez,  ôc  qu'on  rendît 
les  biens  à  ceux  qui  en  avoient  été  dépouillez  :  Que  le  Roi  en 
ufant  ainfi ,  feroit  une  chofe  agréable  àDieu ,  avantageufe  à  fes 
fujets  j  gloiïeufe  à  lui-même,  ôc  qui  combleroit  de  joye,  ôc 
engageroit  à  une  grande  reconnoiffance  des  Princes  ,  qui  lui 
envoyoient  des  députez,  pour  le  fléchir  en  faveur  de  ces  hom- 
mes opprimez ,  trilles  victimes  d'une  caufe  qui  leur  étoit  com- 
mune avec  eux. 

Le  Roi  reçut  très-bien  ces  envoyez ,  Ôc  ayant  lu.  les  lettres 
dont  ils  étoient  porteurs ,  il  fit  réponfe  qu'incelTamment  il  écri- 
roit  aux  Princes  leurs  maîtres ,  ôc  qu'il  efperoit  qu'ils  feroient 
fatisfaits.  Mais  ces  envoyez  étoient  à  peine  fur  les  frontières 
de  la  France ,  que  le  feu  que  leur  arrivée  fembloit  avoir  éteint ; 
fe  ralluma  après  leur  départ  avec  plus  de  violence.  Le  ip  de  Juin 
le  Roi  nomma  des  CommilTaires ,  pour  juger  les  Confeillers  qui 
avoient  été  emprifonnez.  Ce  furent  le  Préfident  de  S.  André , 
qui  avoit  donné  au  Roi  des  confeils  violens,  comme  nous 
l'avons  dit ,  Jean-Jacque  de  Mefme  Maître  des  Requêtes,  les 
Confeillers  Louis  Gayant ,  ôc  Robert  Bouette,  Euftaché  du 
Bellai  évêque  de  Paris  ,  qui  avoit  été  Confeiller-Clerc  ,  ôc 
Antoine  de  Mouchi ,  dit  Demochares ,  Inquifiteur  de  la  foi. 

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itt  HISTOIRE 

Ce  même  jour  Saint  André  interrogea  le  Confeiller  du  Bourg, 
Henri  II.  qui  refufa  de  répondre  ,  alléguant  le  privilège  qu'ont  les  offi- 
1  S  S  9>  clers  ^u  Parlement  *  de  ne  pouvoir  être  jugés  dans  les  procès 
criminels  que  par  les  Chambres  affemblées.  Alors  Bourdin 
Procureur  général  obtint  de  nouvelles  lettres  du  Roi  ,  qui 
obligeoient  du  Bourg  à  répondre  devant  les  CommifTaires  qu'on 
lui  avoit  donnez ,  ôc  qui  portoient  ,  que  s'il  n'obéïflbit ,  il  fe- 
roit  déclaré  convaincu ,  ôc  traité  comme  coupable  du  crime 
de  leze-majefté.  Ainfi  du  Bourg  fut  déclaré  indigne  de  jouir 
du  privilège  de  fa  chargera  caufe  de  l'atrocité  de  fon  crime, 
comme  on  parloit  alors.  Pour  ne  pas  paroître  rebelle  aux  ordres 
du  Roi ,  à  qui  il  difoit  vouloir  obéir  en  toutes  chofes  3  il  répon- 
dit trois  jours  après  aux  questions  qui  lui  furent  faites  fur  fa 
foi;  après  avoir  protefté  auparavant  que  fa  fourmilion  ne  pou- 
roit  lui  porter  préjudice  3  ni  aux  prérogatives  de  fon  office. 
Il  parut  que  fes  fentimens  étoient  les  mêmes  que  ceux  de  Lu- 
ther ôc  de  Zuingle ,  qui  s'accordent  affés  en  plufieurs  points. 
Sur  cette  confeilion  de  foi  3  ôc  fans  autres  preuves ,  l'évêque 
de  Paris  le  déclara  Hérétique  ,  le  dégrada  du  facerdoce  , 
dont  il  étoit  revêtu  ,  ôc  le  livra  au  bras  féculier  ,  c'eft-à-dire  , 
au  juge  royal  ,  pour  être  puni.  Peu  après  du  Bourg  appella 
de  cette  fentence  à  l'archevêque  de  Sens. 

Tandis  qu'on  traînoit  devant  les  tribunaux  plufieurs  perfon- 
nes  foupçonnées  des  nouvelles  erreurs  ,  ôc  qu'on  impliquoit 
dans  leurs  procès  leurs  protecteurs  3  leurs  amis ,  ôc  ceux  qui 
ofoient parler  trop  librement;  tandis  enfin  que  la  crainte  des  dé- 
lateurs faifoit  garder  un  morne  filence  >  tout  retentiffoit  à  la  Cour 
du  bruit  des  réjoùiffances  ôc  des  préparatifs  des  noces }  qui  fu- 
rent bien-tôt  fuivis  d'un  funefte  événement.  On  avoit  préparé 
un  tournoi  avec  beaucoup  de  magnificence  >  ôc  une  lice  y  non 
loin  de  la  Baftille  ,  où  étoient  emprifonnez  les  Confeillers. 
Cette  lice  étoit  drefTée  depuis  le  palais  des  Tournelles  où 
logeoit  le  Roi  }  ôc  traverfant  la  rue  Saint  Antoine  alloit  juf- 
qu'aux  écuries  royales.  Il  y  avoit  des  deux  cotez  de  longs 
échaffauts ,  où  l'on  montoit  par  des  dégrés ,  ôc  des  loges ,  com- 
me dans  les  falles  où  fe  donnent  les  fpectacles.  C'étoit  la 
carpiere  ;  où  les  Princes  ôc  les  Seigneurs  armés  de  toutes  pièces 
dévoient  courir  les  uns  contre  les  autres  ,  étant  féparez  par 
une  barrière.  Il  y  avoit  déjà  quelques  jours  que  duroient  ces 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXII.       367 

carroufels ,  lorfqu'il  prit  envie  au  Roi  le  29  de  Juin  de  courir 
contre  Montgommeri.  Leurs  lances  s'étant  brifées  ,  le  Roi  ,  Henri  IL 
qui  avoit  malheureufement  lavifierede  fon  cafque  levée  3  fut  x  r-  ,  c, 
blefTé  à  l'œil  d'un  éclat  de  lance  ;  ce  qui  l'ayant  fait  chance- 
ler fur  fon  cheval ,  il  fut  foûtenu  par  fes  officiers  ,  ôc  mené  au 
château  des  Tournelles.  On  dit  qu'alors  ce  Prince  paffant  de- 
vant la  Baftille  jetta  les  yeux  de  ce  côté-là  ,  ôc  que  fe  fouve- 
nant  dss  Confeillers  3  qu'il  y  avoit  fait  emprifonner  depuis  peu 
de  jours ,  il  dit  plus  d'une  fois 3  qu'il  craignoit  bien  d'avoir  traité 
injuftement  des  innocens;  ôc  que  le  cardinal  de  Lorraine  , 
qui  étoit  préfent,  dit  à  ce  Prince,  que  cette  penfée  ne  pou- 
voit  lui  être  infpirée  que  par  l'ennemi  du  genre  humain ,  qu'il 
devoit  la  rejetter  6c  demeurer  inébranlable  dans  fa  foi.  Je  n'o- 
ferois  affûrer  fi  ce  fait  eft  véritable  ou  fuppofé  5  ne  voulant 
écrire  que  des  chofes  certaines ,  ôc  dont  tout  le  monde  con- 
vienne. Car  les  Médecins  foûtiennent ,  que  quand  on  a  reçu 
«ne  pareille  plaie ,  on  perd  l'ufage  de  la  parole  ;  foit  que  le 
cerveau  foit  blefTé  3  foit  que  la  violence  du  coup  l'ébranlé  de 
fon  fiége,  foit  qu'une  veine  rompue  épanche  le  fangdansfa 
fubftance,  foit  que  la  dure-mere  qui  l'enveloppe,  étant  enfon- 
cée ,  le  pénétre  6c  en  fépare  la  continuité. 

Au  bruit  de  cette  trifte  nouvelle ,  Philippe  envoya  de  Bruxel- 
les André  Vefale  fon  Médecin  ,  homme  illuftre  par  fes  rares 
connoifTances  ,  6c  par  l'excellent  ouvrage  qu'il  a  compofé  fur 
la  ftrutture  du  corps  humain,  pour  faire  voir  par  ce  dernier 
devoir  fon  arTe&ion  envers  le  Roi  fon  beau-pere.  Mais  le  Mé- 
decin vint  trop  tard ,  6c  inutilement.  Car  un  abcez  s'étant  for- 
mé dans  la  tête ,  le  Roi  mourut  le  dixième  de  Juillet 1 3  âgé  de  Mort  de 
quarante  ans ,  trois  mois  >  onze  jours  ,  ayant  régné  douze  ans  pS^A 
ôc  trois  mois.  Avant  que  ce  Prince  expirât  ,  on  hâta  les  nô-  ce  Pi-ince, 
ces  de  la  princeiTe  Marguerite  fa  fceur ,  ôc  d'Emanuel  Phili- 
bert duc  de  Savoye ,  qui  furent  mariés  fans  cérémonie  dans 
la  Chapelle  du  Palais.  La  mort  du  Roi  donna  lieu  à  des  ju- 
gemens  ôc  à  des  difcours  bien  oppofez.  Les  uns  difoient  , 
que  ce  Prince  étoit  digne  de  louanges  immortelles  ;  Que  bel- 
liqueux Ôc  prefque  toujours  heureux  à  la  guerre ,  il  avoit  éten- 
du les  limites  de  la  France ,  ayant  fubjugué  une  grande  par- 
tie de  l'Italie ,  fournis  l'EcolTe  ôc  l'ifle  de  Corfe ,  Ôc  fait  fervk 

1  Vlï.Non.  £uieft  dans  le  texte  efl  une  faute  d'imprefîion  j  car  Henri  mourut 
le  iode  Juillet. 


16%  HISTOIRE 

les  deux  mers  comme  de  rempart  à fon  Royaume:  Qu'ayant 
77  77  obligé  Charle  V.  à  prendre  la  fuite  à  la  bataille  de  Renti ,  il 
1  '  l'avoit  forcé  de  conclure  une  trêve  ,  ôc  de  fe  retirer  dans  une 
>  *  9'  folitude,  ennuyé  d'une  grandeur,  qu'il  voyoit  décliner.  Ils  ajou- 
taient, que  ce  Roi  ,  toujours  plein  d'un  refpecl  filial  envers 
le  faint  Siège  ,  avoit  recommencé  la  guerre  ,  pour  tirer  Paul 
IV.  de  l'embarras  où  il  fe  trouvoit ,  Ôc  n'avoit  fait  revenir  fes 
troupes  d'Italie,  que  lorfque Philippe  roi  d'Efpagne,  ôc  Marie 
reine  d'Angleterre  avoient  uni  leurs  forces  ,  pour  attaquer  la 
France  :  Qu'il  avoit  conclu  une  paix  peut-être  peu  avanta- 
geufe  ôc  peu  honorable ,  mais  utile  au  moins  à  fes  peuples  , 
ôc  avoit  aflfuré  le  repos  public  par  le  mariage  de  fa  fille  ôc  de 
fa  fœur  :  Qu'enfin  ce  Roi ,  le  meilleur  ôc  le  plus  libéral  qui 
fut  jamais ,  étoit  mort  dans  l'exercice  des  armes  univerfelle- 
ment  regreté. 

D'autres  difoient  au  contraire ,  que  ce  Prince  qui  avoit  été 
heureux  durant  les  premières  années  de  fon  règne,  avoit  fouillé 
la  gloire  qu'il  avoit  acquife  à  la  guerre ,  par  l'infratlion  de  la 
trêve.  Ils  avoùoient  néanmoins ,  que  c'étoit  moins  fa  faute  que 
celle  de  ceux ,  qui  par  leurs  mauvais  confeils  l'avoient  engagé 
dans  une  malheureufe  guerre.  On  ajoûtoit  que  cette  entreprife 
avoit  épuifé  les  Finances  ôc  ruiné  les  forces  de  l'Etat  ;  qu'on 
avoit  perdu  des  batailles  ,  dont  le  fouvenir  étoit  encore 
honteux  aux  François:  Que  ce  Roi,  ôc  les  grands  de  l'Etat, 
avoient  été  le  jouet  de  l'ambition  ôc  de  la  perfidie  des  Ca- 
raffes  :  Que  le  nom  François  avoit  été  comme  éteint  en  Italie  : 
Que  ceux  qui  avoient  échappé  à  la  mort  dans  les  combats  , 
avoient  péri  par  la  faim  ,  ôc  que  peu  étoient  revenus  en  Fran- 
ce :  Qu'à  la  vérité  on  avoit  eu  la  paix  ,  bien  toujours  délira- 
ble  ,  mais  une  paix  honteufe ,  ôc  que  les  mariages  des  Prin- 
cefTes  n'avoient  été  ftipulez  ,  que  pour  couvrir  l'ignominie  du 
traité  :  Qu'enfin  ce  Roi  guerrier  avoit  péri  comme  un  fimple 
Gendarme,  au  milieu  des  jeux  ôc  des  tournois,  enfe  donnant 
lui-même  en  fpe&acle  à  fes  peuples.  On  n'oublioitpas  les  ac- 
tions particulières  de  ce  Prince  ,  qui  étant  marié  avoit  pris  une 
maîtrelTe ,  laquelle  l'avoit  comme  enchanté  par  fes  maléfices  > 
ôc  avoit  feule  régné.  On  difoit  que  de  là  étoient  nés  un  luxe 
prodigieux  ,  la  difïipation  des  Finances  >  des  débauches  non- 
teufes,.  ôc  la  cupidité  infatiable  des  Courtifans.  En  parlant  de 

ce 


DE   J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXII.       fo 

ce  fiécle  corrompu ,  il  ne  faut  pas  oublier  les  poètes  François , 

qu'il  enfanta  en  grand  nombre.  Ces  poètes  abufant  de  leurs  ta-  Henri  I 

îens,  fîattoient  par  des  éloges  honteux  une  femme  vaine  ;  détour-     1  5  c  p, 

noient  les  jeunes  gens  des  études  férieufes  &  utiles  ,  pour  lire 

des  vers  obfcénes  ;  ôc  gâtoient  l'efprit  6c  le  cœur  des  jeunes 

perfonnes  du  fexe  le  plus  foible  ,  par    des  chanfons  licen- 

îieufes. 

Pour  nous ,  qui  nous  faifons  un  devoir  de  juger  fans  partia- 
lité ,  nous  dirons  feulement  que  Henri  aima  la  guerre  ,  ôc  que 
rejettant  les  fages  avis,  que  Montmorenci  lui  donnoit  detems 
en  tems  pour  le  porter  à  la  paix  ,  il  faifitavec  joye  toutes  les 
occafions  qui  fe  préfenterent ,  de  prendre  les  armes.  Du  refte 
il  étoitbon  ôc  facile  ,  ôc  fuivoit  plutôt  les  imprefTions  d'autrui , 
que  fes  propres  fentimens.  Ceux  qui  penfoient  à  l'avenir,  ju- 
gèrent que  fa  mort  feroit  très  funefte  à  la  France.  Ils  pré- 
voyoient  ,  que  Henri  biffant  des  Princes  dans  l'enfance  3  une 
mère  ambitieufe  ôc  qui  vouloit  gouverner  3  Ôc  une  cour  par-* 
tagée  par  des  factions  ,  la  paix  ne  dureroit  pas  long-tems^  ôc 
que  des  diffentions  domeftiques  feroient  bien-tôt  fuivies   de 

guerres  étrangères  ,  fi  on  ne  remedioit   au  mal  de  bonne 

if 

neure. 

Il  eft  certain  que  Luc  Gauric  Mathématicien,  que  Paul  III. 
confideroit  beaucoup  ,  avoit  prédit  le  tems  ôc  le  genre  de  la 
mort  du  Roi ,  ôc  que  Catherine  de  Medicis  toujours  inquiète 
de  l'avenir,  l'ayant  confulté  fur  la  deftinée  de  fon  mari  ôc  de 
fesenfans,  il  lui  avoit  répondu,  que  le  Roi  feroit  tué  en  duel, 
ôc  mourroit  d'une  blefiure  à  l'œil.  Comme  on  penfoit  que 
ce  Prince  étoit  d'une  condition  ,  à  craindre  peu  les  hazards 
d'un  duel ,  on  fe  moqua  de  cette  prédiction ,  ôc  on  la  négli- 
gea dans  le  tems.  Quelques-uns  remarquèrent  qu'au  com- 
mencement de  fon  règne  il  avoit  autorifépar  fa  préfence 
un  véritable  x  duel  3  que  la  Religion  Chrétienne  défend  ,  ôc 
qu'il  perdit  la  vie  dans  les  jeux  ôc  la  feinte  d'un  combat  fin- 
gulier. 

Il  ne  s'agit  plus  maintenant  des  belles  maximes  >  ni  des  gran- 
des actions  de  nos  pères  ,  foit  dans  la  paix  ,  foit  dans  la  guerre. 


1  Le  duel  de  Gui  Chabot  Jarnac  , 
&  de  François  Vivonne  la  Châtaigne- 
raie ,  qui  fe  battirent  en  préfence  du 

Tome  III.  Aaa 


Roi  le  i<5  Juillet  1547.  où  le  demie* 
qui  étoit  favori  du  Roi  ,  fut  tué. 


57ô  HISTOIRE 

,  J'ai  à  expofer  les  malheurs  de  cet  Etat  ,  ceft-à-dire  ,  nos 
Henri  II  erreurs  &  nos  yices  »  qui  défolent  depuis  quarante  années 
j  w  -,  9t  ce  Royaume  autrefois  fi  florifTant.  Nous  proteftons,  que  nous 
ne  dirons  rien  ,  que  fuivant  les  mémoires  de  ce  tems-là,  que 
la  haine  avoit  peut-être  envenimez  3  ôc  que  nous  avons  adou- 
cis ôc  réformez  fur  le  témoignage  pofterieur  des  plus  gens  de 
bien.  Nous  aflurons  en  même-tems ,  que  c'eft  malgré  nous , 
ôc  pour  nous  prêter  à  la  vérité  de  l'hiftoire  ,  que  nous  parle- 
rons de  l'ambition  3  de  l'avarice ,  ôc  de  la  mauvaife  foi  de  quel- 
ques perfonnes ,  ôc  de  leurs  mauvais  confeils  qui  ont  été  fi  perni- 
cieux à  l'Etat.  Car  les  Hiftoriens ,  amis  de  la  vérité  3  font  forcés 
de  tout  dire,  pourvu  que  ce  foit  avec  candeur,  fans  pafiion 
ôc  fans  fiel.  Il  y  a  fi  loin  de  ce  tems-là  à  celui  où  j'écris ,  que 
je  ne  dois  pas  être  foupçonné  de  prévention  ,  ou  de  haine  j  ôc 
quant  aux  événemens  qui  font  arrivez  depuis  ,  la  pofterité  ju- 
gera ,  fi  je  mérite  des  reproches  ou  des  louanges. 


Fin  du  vingt-deuxième  Livre, 


g"4    \"'t   N1*-^    zy's.    n»<ï   j.wz    x»«     j.»v   £w£    ^X   w:    V".<   j^   x^    v*^    ^   x\^    xw^ 
î>iv?  5^  %&   &s  3m?  5w$  &.*    M   ï/'â  «fi?   ««   ^x-  /W.&R  5à<î   î^x  ?v*n   %iÇ 

vPis    *.*  v.*  *.*  *.*  v  *.*  v.*  v.*  >.*  y.*  >.*  v v  v  v  v  v«*  v  v.*  v.tf  H.*  *.*  v  *.*  *.<  *.*  >t*  a&3 

3  '*v  «c V  Va  V*  ti \  *X  *  a  V*  Vu  «H  V*  **  V*  Vu  »V  Va  V*  **  * *  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Vu  Vu  Va  *»3 

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S  ,v  *.*  V  V  V v.*  *<■<  *.*  *.* *•*  v.*  V  v.<  V  v.*  V  v.*  V  V  v.*  Y,*  *.*  v.*  V  Si"  V  V  *Jt    ■*& 
vQ&  Vu  V*  Vu  A  V<  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  Va  »  a  »a  $g~ 

&  #é&$4&A.$,&A  $  $  *  *  S  $  $  Éj  #  i-  #  S  £»  $g 

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fcS  yi  ^  %g  %g  fcg  >,^   ^  fcjj  îsjî  ?/^  ^  ^  ^  5/i  j;i  j^  î-/^ 


371 


HISTOIRE 

D  E 

IACQUE    AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 

LIVRE    VINGT-TROISIEME. 

Enr1  ayant  été  tué  au  milieu  des 


m  f'i  Sft  ^  n  fâ  âss 

?*S    "«x^    ?acÎ  5-/o?   5&S   5-/a<   &? 


fêtes,  ôc  des  tournois  >  François  duc  François 


de  Guife,  le  cardinal  de  Lorraine 
fon  frère,  Alfonfe  d'Efte  duc  de  Fer- 
rare  ,  Jacque  de  Savoye  duc  de 
Nemours  faluerent  le  Dauphin  com- 
me Roi ,  ôc  le  conduifirent  en  ca- 
rofle  au  Louvre  ,  où  la  Reine  mè- 
re fe  rendit  peu  après ,  accompa- 
gnée du  duc  de  Nemours.  Montmo- 
renci  ■  favori  de  Henri  fut  laiffé,  comme  par  mépris ,  auprès 
de  fon  corps ,  ôc  fut  obligé  de  rendre  le  cachet  du  Roi  fur  le 
champ  à  Claude  de  TAubefpine  fecretaire  d'Etat,  qu'on  lui 
envoya  à  cet  effet.  Le  corps  fut  expofé  fous  un  grand  portiquç 
i   Le  Connétable  de  Montmorenci. 

A  a  a  ii 


II. 

Aitaires  de 
France. 


33  s  m  m  m  &  m  b  || 


37*  HISTOIRE 

«■ ggsss  de  bois  ,  qu'on  avoit  conftruit  auprès  du  château  des  Tour- 

François  ne^es  &  diftiné  aux-  danfes  ôc  aux  jeux:  h1  fut  alors  tendu  de' 
jt         noir  ;  on  y  dit  des  MelTes  ,&ony  recita  des  prières  durant  qua^ 

rante  jours  ,  fuivant  la  coutume. 
*'  '  Montmorenci  alla  cependant  au  Louvre  faiuer  le  Roi,  ÔC 

eut  une  conférence  avec  la  Reine  mère  :  il  lui  confeilla  d'inf- 
pirer  au  Roi  fon  fils  les  meilleures  maximes  pour  bien  gou- 
verner fon  Etat  j  de  ne  point  fouffrir  qu'il  fe  laiflat  prévenir 
de  haine  contre  fes  fujets,  ni  qu'il  prêtât  l'oreille  aux  difcours 
de  gens   amis  de  la  difcorde  î  ôc   de  faire  enforte   que  fes 
aclions  fuffent  approuvées  delaNoblefTe  ,  ôcdes  autres  Ordres 
de  l'Etat  ;  ajourant  qu'il  falloit  pour  cela  ne  point  changer  les 
emplois,  ôc  ne  dépouiller  perfonne  de  fes  charges,  ôc  de  fes 
dignitez  ;  ôc  qu'elle  devoit  fe  fouvenir ,  qu'elle  alloit  comman- 
der à  une  nation ,  qui  obéit  volontiers  à  fes  Rois ,  ôc  à  fes  Prin- 
ces, ôc  qui  fouffre  impatiemment  la  domination  des  étrangers. 
Après  cela  il  lui  fit  les  plus  humbles  fournirions ,  ôc  l'aflûra 
d'un  attachement  inviolable  au  fervice  du  Roi,  ôcau  fien.  La 
Reine  le  congédia  avec  bien  des  marques  de  bonté  ôc  de  con- 
fiance ,  ôc  lui  fit  des  promeffes  très-flateufes.  Au  refte  ce  vieux 
ôc  habile  courtifan,  qui  avoit  prévu,  que  la  mort  de  Henri  ap- 
porteroit  un  grand   changement  dans   les  affaires ,  avoit  en- 
voyé,  dès  qu'il  l' avoit  vu  bleffé  a  la  Mare  valet  de  chambre 
du  Roi    à  Antoine  de  Bourbon  Roi    de  Navarre,  ôc  pre- 
mier Prince  du  fang,  qui  étôit  alors  dans  le  Bearn,  pour  le 
preffer  de  fe  rendre  à  la  Cour,  afin  de  prendre  le  gouverne- 
ment de  l'Etat ,  fi  le  Roi  venoit  à  mourir.  Mais  ce  Prince  qui 
avoit  peu  d'ambition ,  Ôc  qui  étoit  d'ailleurs  mécontent  du  Con- 
nétable, parce  qu'on  n'avoit  fait  nulle  mention  de  lui  dans  le 
dernier  traité  de  paix  ,  où  Montmorenci  avoit  eu  tant  de  part,, 
ne  fuivit  pas  exactement  fes  avis.  Il  ne  fe  rendit  qu'à  petites- 
journées  à  Vendôme*  où  s'étant  arrêté  même  quelque  tems,  il 
laiffa  échapper  l'occafion  de  fe  mettre  à  la  tête  des  affaires,  ôc  de 
prévenir  de  grands  troubles,  qui  furent  l'effet  de  fa  nonchalance* 
Louis  fon  frère ,  Prince  de  Condé ,  dont  les  lumières  éga- 
loient   la  valeur  ,   voyant   avec  chagrin  que  la  Reine  mère 
Ôc  lesGuifes  s'étoient  emparez  ,  contre  les  loix  de   l'Etat,  de 
toute  l'autorité  qui  appartenoit  de  droit  au  Roi  de  Navarre ,  fit  à 
fon  frère  des  reproches  plus  vifs  que  ne  demandoit  la  conjoncture 


DE   J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIII.         373 

des  terris  ;  imputant  à  fa  foiblefTe  tous  les  maux  qu'apporte-  ^ 
roient  à  l'Etat  l'ambition  ,  ôc  la  perfidie  de  leurs  ennemis.  Alors  rançois 
la  Reine  mère ,  qui  vouloit  gouverner  ,  éloigna  le  Connétable 
des  affaires,  ôc  s'unit  aux  Guifes  oncles  de  la  jeune  Reine ,  qui  l  '  '  '  ^-' 
ctoient  fort  aimez  du  Roi.  Comme  elle  ne  connoiflbit  pas 
encore  le  caractère  de  ces  Princes,  elle  ctut  qu'ils  iefoumet- 
troient  en  tout  à  fes  volontez.  Mais  fe  voyant  élevez  fi  vite  à 
un  point  de  grandeur,  où  ils  afpiroient  depuis  long-tems  ,  ils 
ne  longèrent  plus  qu'à  profiter  de  leur  fortune,  à  agrandir  leur 
maifon  ,  ôc  à  affermir  leur  puiffance.  Leurs  efpérances  étoient 
flatées  par  la  jeuneffe  d'un  Roi  foible  de  corps.  Ôc  d'efprit,parle 
crédit  qu'avoit  fur  fon  efprit  la  jeune  Reine  leur  nièce,  PrinceP 
fe  plus  ambitieufe  que  ne  le  comportoit  fon  âge ,  &  par  la  faveur 
de  la  Reine  mère  ,  qui  avoir  abandonné  le  Connétable  leur  con- 
current, pour  s'unir  à  eux.  Cette  Princeffe  n'avoit  pu  pardon- 
ner à  ce  favori  le  dévouement  bas  ôc  indigne ,  qu'il  avoit 
toujours  eu,  dans  la  vue  de  complaire  au  Roi,  pour  laDucheffe 
de  Valentinois ,  ôc  l'alliance  contractée  avec  elle  peu  de  tems 
avant  la  mort  de  Henri. 

Il  eft  à  remarquer  que  ce  qui  fut  fatal  à  Montmorenci  avoit 
été  très-avantageux  aux  Guifes.  Le  duc  d'Aumale ,  un  de  ces 
Princes,  avoit  époufé  une  fille  de  laDucheffe,  qui  lui  avoit  ap- 
porté une  dotimmenfe  ,par  la  profufion  du  Roi,  ôc  parla  con~ 
fifcation  des  biens  des  fettaires  condamnez.  Mais  à  peine 
Henri  fut-il  expiré,  que  le  duc  de  Guife  ôc  le  cardinal  de  Lor- 
raine abandonnèrent  cette  puiffante  maîtreffe,  dont  ilsavoient 
été  jufqu'alors  les  créatures  les  plus  dévouées  :  ils  la  perfécu- 
terent  même  ,  pour  s'attirer  les  bonnes  grâces  de  la  Reine  mère 
fon  ennemie.  Comme  le  duc  d'Aumale  leur  frère  ,  plein  de 
reconnoiffancepour  la  mère  de  fa  femme ,  tâchoit  de  les  fléchir 
en  fa  faveur,  le  cardinal  de  Lorraine  lui  dit  fièrement,  qu'il 
devoit  être  content  de  s'être  procuré  par  un  mariage  inégal 
de  grandes  richeffes  ,  ÔC  un  crédit  de  quelques  années  ;  mais 
que  cette  alliance  le  rendant  aujourd'hui  odieux,  ôc  le  cou- 
vrant de  honte  ,  il  étoitde  l'intérêt  d'une  illuftre  maifon,  d'ef- 
facer peu  à  peu  del'efprit  des  hommes  le  fouvenir  de  cette  in- 
famie, en  éloignant  la  Ducheffe  de  la  Cour  5  qu'il  devoit  pe'n^ 
fer  qu'on  nepouvoit  l'y  retenir ,  fans  offenfer  la  Reine  mère, 
qu'il  falloit  fur-tout  ménager  3  ôc  qu'ils  dévoient  confervev: 

A  a  a  iij 


574  HISTOIRE 

■■■■-^"  ôc  augmenter  par  des  moyens  honêtes  une  grandeur  honteu- 
François   fement  dûë  à  unemaîtreffe  accréditée  fous  le  dernier  règne, 
II.  On  bannit  donc  ignominieufement  de  la  Cour  madame  de 

1  S  S  9'  Valentinois ,  après  l'avoir  contrainte  de  rendre  des  pierreries  ôc 
des  bijoux  d'un  grand  prix ,  que  le  feu  Roi  lui  avoit  donnez.  On 
vit  alors  plus  que  jamais,  combien  on  doit  peu  compter  fur  la 
fidélité  ôc  fur  lareconnoiffance  des  Courtifans.  De  tant  d'hom- 
mes qu'elle  avoit  élevez  aux  honneurs ,  dont  véritablement 
la  plupart  étoient  indignes  ,  il  n'y  en  eut  pas  un  feul ,  qui  fe 
prêtant  à  la  haine  publique  n'abandonnât  fa  bienfaitrice.  Celle- 
ci,  pour  fléchir  Catherine  de  Medicis,  fut  obligée  de  lui  don- 
ner fa  belle  maifon  de  Chenonceaux  fur  le  Cher,  dont  la fitua- 
tion,  les  édifices ,  ôc  les  fuperbes  jardins  qui  regnoient  le  long 
des  deux  rives ,  faifoientde  ce  lieu  une  retraite  délicieufe.  Af- 
tremoine  Bohier  ôc  Catherine  Briçonnet  avoient  bâti  cette 
maifon  de  plaifance ,  que  le  Baron  de  Saint  Ciergue  leur  fils 
avoit  donné  par  une  folle  vanité  à  la  Duchefie ,  à  qui  on  Iota 
alors  ,  en  l'obligeant  de  prendre  en  échange  Chaumont  fur  la 
Loire.  On  chafla  aufîl  de  la  Cour  plufieurs  Gentilshommes  , 
ôc  plufieurs  braves  officiers ,  que  l'on  croyoit  attachez  au  Con- 
nétable i  ainfi  que  fes  parens ,  fes  alliez  ,  ôc  tous  ceux  qui  au- 
roient  pu  s'oppofer  à  la  puifiance  des  Guifes.  Il  ne  demeura 
à  la  Cour  que  ceux  qui  fuivirent  le  torrent  de  la  faveur.  On 
ôta  les  fceaux  à  Jean  Bertrandi ,  qui  avoit  été  cependant  nom- 
mé Cardinal  à  la  recommandation  du  duc  de  Guife.  Il  étoit 
venu  de  Touloufe  à  Paris ,  où  après  avoir  paffé  fucceiïivement 
par  tous  les  honneurs  de  la  magiftrature ,  il  avoit  obtenu  la  pre- 
mière dignité  de  la  robbe  par  la  faveur  de  madame  de  Valen- 
tinois. Les  fceaux  furent  rendus  à  François  Olivier  ,  perfon- 
nage  illuftre  par  fon  intégrité ,  par  la  politeffe ,  ôc  l'agrément 
de  fon  efprit ,  par  fa  fagefle  ôc  fon  expérience  dans  les  affaires. 
Le  cardinal  de  Lorraine  crut ,  que  nommant  pour  premier 
Magiftrat  un  homme  fi  zélé  pour  la  juftice  ,  il  feroit  efpérer 
un  gouvernement  modéré ,  ôc  qu'il  ébloùiroit  par  là  le  peuple 
crédule,  à  qui  la  réputation  des  grands  hommes  fait  goûter 
prefque  toujours  les  reglemens  les  moins  juftes.  Mais  Olivier 
Fut  trompé  le  premier.  Il  avoit  quitté  une  vie  tranquille,  pour 
venir  à  la  Cour ,  dans  l'efpérance  qu'il  conferveroit  fa  liberté! 
Ôc  quoiqu'on  ne  puiffe  pas  lui  reprocher  d'avoir  été  l'auteur 


tfEJ.  A.   DETHOU,Liv.  XXIII.       375" 

d'aucun  édit  burfal  ôc  fervile,  il  paffa  le  refle  de  fes  jours  ■? 

dans  un  honteux  efclavage ,  jouet  de  l'ambition  des  grands  ,  François 
6c  expofé  à  mille  dangers ,  fous  un  gouvernement  arbitraire.         n' 

Charle  cardinal  de  Lorraine  étoit  d'un  caractère  impétueux  1  c  ç  o. 
ôc  violent  :  le  duc  de  Guife  au  contraire  étoit  d'un  efprit  doux  ôc 
modéré.  Mais  comme  l'ambition  franchit  bien-tôt  les  bornes 
de  la  retenue  ôc  de  l'équité ,  il  étoit  entraîné  par  les  confeiïs 
violens  du  Cardinal  ,  ou  s'y  livroit  de  lui-même  ,  exécutant  avec 
une  prudence  ôc  une  adreffe  admirables  des  delTeins  ,  qui 
étoient  toujours  imaginez  par  fon  frère.  Jean  d'Avançon  con- 
fident des  Guifes  fe  maintint  à  la  Cour ,  parce  qu'on  le  crai- 
gnoit ,  ôc  qu'il  étoit  utile  aux  princes  Lorrains  ;  mais  on  lui 
ôta  la  furintendance  des  finances.  On  rappella  le  cardinal  de 
Tournon ,  à  la  follicitation  de  la  Reine ,  qui  voulut  fe  fervir 
de  lui ,  comme  d'un  homme  qui  ne  tenoit  à  aucun  parti.  Ce 
Prélat  d'une  rare  prudence  ôc  confommé  dans  les  affaires  , 
avoit  eu,  avec  l'Amiral  d'Annebaut,  la  principale  autorité,  fur  la 
fin  du  règne  de  François  I.  Enfuite  il  avoit  été  éloigné  du 
miniftere  après  la  mort  de  ce  Prince ,  ôc  dépouillé  de  la  dignité 
de  Chancelier  de  l'Ordre  de  faint  Michel  par  le  cardinal  de 
Lorraine.  Les  Guifes  s'oppoferent  d'abord  à  fon  retour;  mais 
comme  ils  fçavoient  qu'il  étoit  ennemi  du  Connétable  ,  ôc 
qu'ils  ne  doutoient  point  qu'il  ne  leur  fçût  gré  de  fon  rappel , 
ils  y  confentirent  à  la  fin. 

Jacque  d'Albon  de  Saint  André  chevalier  de  l'Ordre  du  Roi 
étoit  en  de  grandes  inquiétudes.  C'étoit  un  Seigneur  très  bra- 
ve >  ôc  d'un  efprit  élevé  •■>  mais  voluptueux  ,  prodigue  ôc  perdu 
de  débauches,  qui  avoit  tout  mis  en  ufage  pour  fatisfaire  fes 
paiïions  Ôc  fon  luxe.  Il  avoit  été  favori  de  Henri  II.  Ôc  avoit 
içû  maintenir  fa  faveur  malgré  les  Guifes  Ôc  le  Connétable  ,  ne 
s' étant  attaché  ni  aux  uns  ni  aux  autres.  Craignant  alors ,  que 
s'il  étoit  chaffé  de  la  Cour ,  il  ne  fe  vît  accablé  par  les  juftes 
plaintes  de  ceux  qu'il  avoit  dépouillez  de  leurs  biens  ,  ôc  par 
un  grand  nombre  de  créanciers ,  qui  lui  avoient  confié  leur  ar- 
gent dans  le  tems  de  fa  fortune  ,  il  offrit  fa  fille  unique  au 
duc  de  Guife ,  pour  époufer  celui  de  fes  fils  que  ce  Prince 
jugeroit  à  propos  :  il  propofa  d'abandonner  à  fon  gendre  la 
propriété  des  biens  immenfes ,  qu'il  avoit  acquis  par  des  con- 
culTions  ôc  des  crimes ,  ôc  de  ne  s'en  referver  que  l'ufufruk 


\  376  HISTOIRE 

""--  '■"■""■■—■  pour  fa  femme  ,  ôc  pour  lui  s  ce  qui  fut  accepté  par  un  accord 
1  Rancois  frauduleux  ôc  inique.  C'eft  ainfi  que  les  Princes  Lorrains  fe 
Jl'  virent  maîtres  abfolus  de  toutes  chofes.  La  Nobleffe  ,  dont  le 
1  5"  S  9»  Pouvo^r  eftfort  grand  dans  le  tems  des  troubles  domeftiques, 
ennuyée  des  guerres  pafïées  ,  vivoit  chez  elle  dans  le  repos  ôc 
la  tranquillité  ,  fans  fe  foucier  des  affaires  de  l'Etat.  Le  peuple 
fe  contentoit  de  demander  la  diminution  des  fubfides ,  qu'on 
avoit  impofez  à  l'occafion  des  guerres  du  règne  précèdent. 
Du  relie  il  lui  importoit  peu  qui  domineroit  à  la  Cour.  Il  ne 
manquok  plus  à  lapuiiTance  du  duc  de  Guife,  que  de  mettre 
dans  fes  intérêts  le  Clergé  ,  ce  premier  corps  du  Royaume  , 
fi  considérable  par  fa  prééminence  ,  ôc  par  fes  grands  biens.  I| 
avoit  trouvé  moyen  de  fe  l'attacher  étroitement ,  en  fe  mon- 
trant zélé  défendeur  de  la  Religion  ancienne  ,  ôc  en  faifant 
paroître  une  haine  implacable  contre  les  fe&aires.  On  fçait 
que  le  Parlement  de  Paris  eft  compofé  de  plufieurs  juges  ecclé- 
fialtiques.  Ces  Sénateurs  étoient  les  plus  éco.ûtez  dans  les  af- 
femblées ,  qu'on  tenoit  alors  fecretement  par  ordre  du  Roi  > 
la  plupart  des  Confeillers  laïques  fuivoient  leurs  avis  ,  dans 
la  vue  d'obtenir  des  récompenfes  de  la  Cour  ;  ôc  les  autres 
fe  taifoient  par  crainte,  fe  fouvenant  encore  de  cette  Mercu- 
riale ,  qui  avoit  ôté  toute  liberté  dans  les  fuffrages ,  ôc  fermé 
pour  ainli  dire  la  bouche  aux  Magiftrats. 

Les  Guifes  voulurent  de  plus  faire  voir  que  leur  puilTance  , 
qu'ils  tâchoient  de  fortifier  par  difTerens  moyens  ,  n'étoit  pas 
ufurpée  ,  mais  qu'ils  la  tenoient  uniquement  du  Roi  ,  qui  les 
avoit  jugé  dignes  de  leur  communiquer  fon  autorité ,  du  con- 
sentement de  la  Reine  fa  mère.  Car  le  Parlement  de  Paris 
ayant  envoyé  des  députez  au  Roi,  félon  la  coutume,  pour  le 
féliciter  fur  fon  avènement  à  la  Couronne  ,  ôc  pour  recevoir 
fes  ordres,  il  leur  dit  qu'il  avoit  choifî  ,  de  l'agrément  de 
la  Reine  fa  mère  ,  le  duc  dé  Guife  ôc  le  cardinal  de  Lorraine 
fes  oncles ,  pour  gouverner  fon  Etat  ■>  que  le  premier  auroit  foin 
des  affaires  de  la  guerre  ,  ôc  l'autre  de  celles  des  finances  : 
Qu'à  l'avenir  il  falloit  s'adreffer  à  eux  5  ôc  que  telle  étoit  fa 
volonté.  Le  Connétable ,  qui  vit  bien  qu'il  lui  falloit  aban- 
donner la  Cour ,  ne  laiffa  pas  de  difïimuler  fes  chagrins.  Ce- 
pendant il  preffoit  par  les  plus  vives  inltances  le  roi  de  Na- 
varre de  fe  rendre  auprès  du  Roi ,  voulant  oppofer  les  Princes 

du 


DEJ.  A.  DETHOU;   Liv.  XXIII.       577 

du  fang  à  Finjufte  domination  des  Guifes ,  ôc  conferver  par  là  ■ 

fa  dignité.  Pendant ,  que  ce  Prince  ,  mécontent   d'ailleurs  de  François 
Montmorcnci ,  délibère  avec  une  lenteur  hors  de  faifon  ,  le         jj) 
prince  de  Condé  fon  frère ,  ôc  le  prince  de  la  Roche-fur-Yon     ï  j  r  ^. 
ion  coufin  ,  fe  rendent  à  Vendôme  avec  un  grand  nombre 
de  Gentilshommes  des  plus  qualifiez.  On  repréfente  au   roi 
de  Navarre  l'ambition  ôc  les  defTeins  dangereux  des   Guifes , 
ôc  on  lui  cite  cet  exemple  de  leur  vanité  5  que  lorfque  le  Roi  fe 
montra  pour  la  première  fois  en  public  en  habits  de  deuil  fuivi 
de  toute  la  Cour,  le  duc  de  Guife  ofa  bien  porter  la  queue 
du  manteau  royal  ,  ce  qui  n'appartenoit   qu'aux  Princes  du 
fang 3  qu'il  fe  mêla  avec  eux,  ôc  fit  les  mêmes  fondions  qu'eux. 
François  d'Andelot  de  Coligni  étoit  auffi  venu  à  Vendôme  , 
où  le  prince  de  Condé  le  reconcilia  avec  le  prince  de  la  Roche- 
fur-Yon  ,  afin  que  tous  étant  unis ,  ils  puffent  réfifter  plus  aifé- 
ment  à  leurs  ennemis  communs. 

Le  prince  de  Condé  avoit  époufé  Eleonore  de  Roye  fille 
de  Magdelaine  de  Mailli  ,  qui  étoit  fœur  utérine  des  Colignis, 
Ôc  petite-fille  de  Louife  de  Montmorenci,  fceur  du  Connéta- 
ble. Cette  dernière  avoit  été  mariée  en  premières  noces  à  Fré- 
déric de  Mailli  d'une  maifon  très  illuftre  fur  les  frontières  de 
Flandre ,  ôc  en  fécondes  à  Gafpard  de  Châtillon  Coligni  ma- 
réchal de  France  ,  qui  mourut  dans  la  ville  d'Acqs  à  l'âge  de 
trente-fept  ans  ,  lorfqu'il  marchoit  avec  l'armée  du  Roi  à  Fon- 
tarabie.  Ainfi  les  Montmorencis  ôc  les  Colignis  ,  Seigneurs 
très  confidérables  par  leurs  vafTeaux  ,  leurs   richeffes  ôc  leur 
grande  réputation  à  la  guerre  ,  àvoient  l'honneur  d'appartenir 
de  fort  près  au  prince  de  Condé.  Au  refte ,  ce  qui  avoit  brouillé 
le  prince  de  la  Roche-fur-Yon  avec  d'Andelot ,  étoit  que  ce 
dernier  avoit  époufé,  par  le  grand  crédit  du  Connétable^  l'hé- 
ritière de  la  maifon  de  Laval ,  que  le  Prince  avoit  auffi  de- 
mandée en  mariage  ,  Ôc  qu'il  avoit  en  cette  occafion  ,  à  ce 
qu'on  difoit.,  laifle  échapper  quelques  paroles  pleines  de  mé- 
pris ôc  injurieufes  à  fon  rival.  Un  jour  ,  comme  d'Andelot 
venant  de   Saint  Germain  à  Paris  ,  eut  pafle  la   Seine  pour 
abréger  le  chemin  ,  il  vit  le  prince  de  la  Roche-fur-Yon  de 
l'autre  côté  de  la  rive ,  qui  fe  préparoit  à  paffer  dans  le  même 
bac.  S'imaginant  qu'on  le  pourfuivoit ,  ôc  voulant  éviter  de 
fe  battre  en  duel  contre   un  prince  du  Sang  ,  qu'il  devoit 
Tom.  Ut  B  b  b 


iy;p- 


378  HISTOIRE 

.  refpedter  ,  il  coupa  avec  fon  épée  la  corde  du  bac  ,  pourretar- 
Francois  ^er  *°n  Pa^age-  Le  Prince  regarda  cette  action  comme  une 
if  nouvelle  injure ,  dont  d'Andelot  s'excufoit  fur  la  nécefïité  ou 
il  s'étoit  trouvé  d'en  ufer  ainfi.  Ils  fe  réconcilièrent  alors  à 
Vendôme  ,  comme  je  l'ai  dit  y  à  la  prière  du  roi  de  Navarre 
ôc  du  prince  de  Condé  ,  ôc  au  grand  déplaiiir  des  princes  Lor- 
rains ,  qui  n'avoient  rien  oublié  pour  fomenter  cette  ini- 
mitié. 

On  délibéra  à  Vendôme  des  moyens  qu'on  pourroit  pren- 
dre, pour  s'oppofer  à  l'autorité  des  Guifes.  On  fit  à  ce  fujet 
plufieurs  proportions  également  fages  ôc  courageufes,  que  le 
roi  de  Navarre  fçut  éluder  avec  fa  nonchalance  naturelle  ;  al- 
léguant ,  qu'il  ne  devoit  point  aller  à  la  Cour  que  les  funérailles 
du  feu  Roi  ne  fufTent  achevées  •>  qu'on  verroit  quelles  feroient 
les  difpofitions  des  Guifes  à  l'égard  du  Connétable  ,  ôc  qu'on 
prendrait  alors  des  mefures  utiles.  Après  qu'on  eut  rendu  à 
Henri  les  derniers  devoirs ,  ôc  que  fon  corps  eut  été  dépofé  à 
S.  Denis ,  ancienne  fepulture  de  nos  Rois  ,  les  Guifes ,  comme 
ennuyez  du  tumulte  de  la  ville ,  menèrent  le  Roi  à  Saint  Ger- 
main 3  où  ils  efpéroient  le  mieux  obfeder.  La  Reine  mère  s'y 
rendit  aufïi-tôt  ,  contre  la  coutume  des  veuves  des  Princes  ôc 
des  Souverains,  qui  demeurent  renfermées  dans  leur  apparte- 
ment les  premiers  quarante  jours  de  leur  veuvage.  Montmo- 
renci ,  qui  avoit  été  jufqu'alors  occupé  du  foin  des  obféques 
du  feu  Roi  ,  y  vint  aurfi ,  ôc  fut  reçu  du  Roi  avec  une  froi- 
deur qu'on  lui  avoit  infpirée.  Le  lendemain  ayant  eu  audien- 
ce de  ce  Prince  l'après-dinée,  il  lui  recommanda  les  Coli- 
gnis  fes  neveux  ;  fuppliant  fa  Majefté  de  vouloir  bien  fe  fer- 
vir  d'eux  ,  ôc  les  maintenir  dans  leurs  emplois.  Le  Roi  parut 
y  confentir  ,  ôc  entendre  avec  plaifir  le  Connétable  lui  parler 
de  Gafpard  de  Coligni ,  à  qui  il  donna  même  des  éloges ,  af- 
furant  qu'il  le  regarderoit  toujours  avec  diftinttion.  Alors  ayant 
interrompu  Montmorenci,  qui  alloit  parler  de  lui-même  ,  il 
lui  confirma  les  mêmes  choies  qu'il  avoit  dites  aux  députez 
du  Parlement  de  Paris,  ajoutant ,  qu'ayant  égard  à  fon  grand 
âge ,  il  avoit  confié  le  foin  de  fes  armées  au  duc  de  Guife  , 
ôc  celui  des  finances  au  cardinal  de  Lorraine ,  Princes  dignes 
du  miniftere  par  leur  mérite  ,  ôc  par  les  grands  fervices  qu'ils 
avoient  rendus  à  l'Etat  5  qu  au  refte  il  lui  donneroit  une  place 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XXIIL      &$ 

honorable  dans  fon  confeil ,  lorfque  fa  fanté  lui  permettroit  m    » 

d'y  aflïfter.  François 

Le  Connétable  ayant  dit  quelque  choie  au  Roi  fur  fon  âge,  jj' 
&  fa  fanté ,  ajouta ,  qu'il  deshonoreroit  fa  charge  ,  s'il  obéïf-  j  ç  ç  o, 
foit  à  ceux  à  qui  il  avoit  commandé  jufques-là  >  qu'ainfi  il  s'abf- 
tiendroit  de  venir  au  Confeil  ;  mais  qu'il  feroit  toujours  prêt 
à  exécuter ,  avec  autant  de  zélé  que  de  promptitude  ,  les  com- 
mandemens  du  Roi,  ôc  que,  quoiqu'en  diffent  fes  ennemis, 
il  avoit  confervé  les  forces  de  l'efprit  ôc  du  corps ,  qui  le 
mettoient  en  état  encore  de  manier  les  armes ,  ôc  de  remplir 
les  emplois  qui  lui  feroient  confiez.  Quelques-uns  ont  écrit , 
que  ce  Seigneur  ayant  fupplié  la  Reine  mère  de  lui  être  fa- 
vorable ,  elle  lui  avoit  reproché  qu'il  avoit  dit  un  jour  au  feu 
Roi  en  badinant ,  que  de  tous  fes  enfans  aucun  ne  lui  relTem- 
bloit ,  que  Diane  fa  fille  naturelle,  qu'il  avoit  eue  d'une  dame 
de  Piémont  ,  ôc  qu'il  avoit  donnée  en  mariage  au  fils  aîné  du 
Connétable  :  qu'elle  ajouta,  que,  par  cedifcours  téméraire,  il 
avoit  ofé  attaquer  fa  vertu ,  ôc  faire  injure  aux  Princes  Ôc  aux 
Princeffes  fes  enfans;  que  fi  ellefe  vouloit  venger  de  cet  af- 
front ,  elle  lui  feroit  couper  la  tête  ;  mais  que  le  fouvenir  du 
feu  Roi  fon  époux  lui  étoit  fi  cher ,  qu'elle  lui  facrifioit  vo- 
lontiers fes  reifentimens  :  Qu'au  refte  c'étoit  à  lui  à  fe  fou- 
mettre  aux  volontez  du  Roi  :  Que  pour  elle ,  elle  feroit  en- 
forte  ,  que  fon  éloignement  de  la  Cour  ne  portât  point  de 
préjudice  à  fes  intérêts.  Ils  difent  encore ,  que  le  Connétable 
fit  réponfe  ,  que  fes  ennemis  avoient  imaginé  la  calomnie  > 
que  la  Reine  lui  reprochoit  ;  que  puifqu'ils  le  lui  avoient  re- 
prefenté  comme  coupable ,  il  la  fupplioit  d'écouter  fa  juilifica- 
tion  :  Qu'au  lieu  de  prêter  Poreille  à  fes  envieux ,  qui  en  vou- 
loient  à  fa  vie  ôc  à  fes  établiffemens ,  elle  devoit  fe  fouvenir 
des  longs  ôc  importans  fervices  qu'il  avoit  rendus  au  Roi  ôc 
à  l'Etat  :  Qu'enfin  fes  ennemis  ne  viendroient  pas  fi  facilement 
à  bout  de  leurs  deffeins  qu'ils  fe  le  promettoient.  Si  cette  con- 
verfation  eft  véritable ,  il  y  a  lieu  de  croire  ,  que  Catherine 
de  Medicis  imagina  le  reproche  dont  je  viens  de  parler ,  poui? 
trouver  un  prétexte  apparent  de  rompre  avec  le  Connétable , 
Ôc  qu'elle  n'ignoroit  pas  que  ce  Seigneur ,  le  plus  fage  ôc  le 
plus  difcret  qui  fut  à  la  Cour ,  n'étoit  pas  capable  de  tenir  un 
difcours  fi  téméraire. 

Bbbi; 


jtft  HISTOIRE 

-"[l  II  fe  retira  dans  fa  maifon  de  Chantilli.  On  trouva  aufïï  urî 

François  prétexte  honorable  pour  éloigner  pour  un  tems  les  princes  de 

II.         Condé  ôc  de  la  Roche-fur-Yon  ,  en  les  envoyant  auprès  du 

i  t  5"  p.     roi  d'Efpagne  ;  le  premier  pour  jurer  au  nom  du  jeune  Roi  la 

Les  Princes  paix  conclue*  par  Henri  5  ôc  le  fécond  pour  porter  à  Philippe 

gn°entindeélîa  Je/  Çollier  de  l'Ordre  de  Saint  Michel.  Le  prince  de  Con- 
Cour  tous  les  dé  n'eut  pour  fon  voyage  que  mille  écus  d'or  ,  que  le  cardi- 
Sang"  na^  ^e  L°rtaine  furintendant  des  finances  lui  accorda  dédai- 

gneufement  j  fe  faifant  un  faux  honneur  de  vouloir  rétablie 
les  finances  3  ôc  ménager  l'argent  du  Roi  3  tandis  qu'il  faifoit 
injure  par  cette  épargne  honteufe  à  un  prince  généreux  3  mais 
indigent,,  en  une  occafion  où  ils'agiffoit  de  foûtenir  avec  éclat 
la  dignité  du  Roi  ôc  celle  du  Miniftre  qui  devoit  le  reprefen- 
ter.  Les  Guifes  ayant  éloigné  les  Bourbons  ôc  le  Connétable 
avant  l'arrivée  du  roi  de  Navarre ,  n'avoient  plus  qu'une  chofe 
à  faire  pour  fe  rendre  tout-puiflants  ;  qui  étoit  de  donner  des 
dégoûts  à  ce  Prince ,  pour  l'obliger  à  quitter  aufïi  la  Cour.  C'eft 
une  coutume  d'aller  au-devant  des  princes  du  Sang ,  lorfqu'ils 
fe  rendent  auprès  du  Roi ,  ôc  de  leur  marquer  un  logement 
fuivant  leur  dignité.  Non-feulement  le  duc  de  Guife  n'alla  pas 
au-devant  du  roi  de  Navarre  >  ni  aucun  prince  Lorrain  ;  mais  il 
affetla  même  de  faire  chaffer  le  Roi  d'un  autre  côté  que  celui 
par  où  ce  Prince  devoir  arriver ,  afin  qu'il  ne  le  rencontrât  pas, 
Et  bien-loin  que  le  Duc  offrît  au  roi  de  Navarre  le  logement 
le  plus  confidérable  qu'il  avoit  pris  pour  lui ,  ôc  qui  étoit  dû 
au  premier  prince  du  Sang  ,  il  déclara  publiquement  qu'il 
perdroit  plutôt  la  vie  ,  que  de  fouffrir  qu'on  lui  ôtât  un  ap- 
partement que  le  Roi  avoit  accordé  à  fes  fervices. 

Le  roi  de  Navarre  piqué  de  ce  refus  fut  plufieurs  fois  fur  le  point 
de  partir,  forcé  de  foûtenir  fon  rang  par  une  retraite  honteufe; 
Mais  S.  André  3  courtifan  délié  3  lui  fit  agréer  qu'il  lui  cédât  fon 
logement  3  ôc  adoucit  peu  à  peu  fa  colère  >  tandis  que  tous  ne 
voyoient  qu'avec  indignation ,  que  la  patience  du  roi  de  Na» 
varre  enfloit  i'orgueil  de  fes  ennemis.  Plufieurs  Gentilshom-* 
mes  des  plus  qualifiez  >  ôc  fur-tout  Gui  Chabot  de  Jarnac 


i.  M.  deThou  appelle  l'Ordre  de 
S.Michel  Ordo  Conchyliatus ,  parce  que 
le  collier  de  cet  Ordre  inftitué  par 
.Louis  XI,  eft  compofe  de  coquilles 


Iaïïees  l'une  avec  l'autre.  Cet  Ordre 
a  été  l'Ordre  unique  de  nos  Rois  ,  juf- 
qu'à  Henri  III.  qui  y  joignit  l'Ordre 
du  faint  Efprit ,  qu'il  créa. 


DE-  J.  A.  DE  THO  U,  L'rr.  XXIII.       381 

Seigneur  d'un  grand  courage ,  preffoient  par  les  plus  vives  —Lu^„m«—> 
inftances  le  premier  prince  du  Sang  de  s'oppofer  aux  entre-  François 
prifes  de  fes  ennemis  :  ôc  de  prendre  le  gouvernement  de  jj 
l'Etat ,  lui  offrant  de  l'aider  de  leurs  biens  ôc  de  leurs  per-  r^n 
fonnes.  Mais  les  confidens  de  ce  Roi  toujours  irréfolu  ,  lui 
confeilloient  le  contraire.  C'étoient  Nicolas  d'Angui  évêque 
de  Mende  ,  fils  naturel  du  cardinal  du  Prat  ,  François  d'Efcars, 
ôc  Emeri  Bouchard  maître  des  Requêtes  3  fon  Chancelier  j 
qui  adouciffoient  fes  chagrins,  ôc  l'empêchoient  de  rien  en- 
treprendre j  foit  pour  complaire  aux  Lorrains,  foit  qu'ils  crai- 
gniffent  pour  eux  -  mêmes.  Enfin  cédant  aux  prières  de  la 
Nobleffe  >  qui  ne  ceffoit  de  lui  réprefenter ,  que  les  bons  Fran-* 
cois ,  jaloux  de  la  gloire  de  la  Nation  ôc  de  leur  ancienne  li- 
berté ,  avoient  les  yeux  fur  lui ,  ôc  en  attendoient  de  grandes 
chofes ,  il  fe  rendit  à  Paris  pour  fonder  les  efprits ,  ôc  péné- 
trer par  le  moyen  de  quelques  émiffaires  ,  quelle  étoit  la  dif- 
pofition  du  Parlement  s  ôc  des  premiers  de  la  ville  à  fon  égard» 
Des  amis  infidèles  lui  avoient  donné  ce  confeil,  pour  rallen- 
tir  par  là  fa  jufte  colère ,  ôc  gagner  du  tems  :  ce  qui  leur  réùfïk 
comme  ils  l'avoient  prévu.  Car  ce  prince ,  voyant  que  fon  irré- 
folution  ôc  fa  lenteur  avoient  paffé  jufqu'à  ceux  qui  lui  étoient 
le  plus  affectionnez,  ôc  que  tous  étoient  refroidis  à  fon  égards 
perdit  courage  ,  ôc  n'entreprit  rien  de  grand  dans  la  fuite» 
Ces  avantages  des  Guifes  fur  le  premier  prince  du  Sang ,  fi- 
rent croire  à  ces  favoris  fuperbes,  qu'ils  avoient  triomphé  des 
Bourbons ,  qui  feuls  pouvoient  réflfter  à  leur  puiffance» 

Les  François  qui  aiment  leurs  Princes,  étoient  indignez  de  ce 
renverfement  dans  l'Etat, ôc  tout  retentiffoit  de  plaintes  à  la  Cour*, 
Les  Lorrains,  pour  faire  cefferles  murmures,  intimidoient  les 
uns ,  ôc  flattoient  par  des  promeffes  brillantes  ceux  qui  pou- 
voient leur  être  utiles.  Ils  firent  plus  :  pour  établir  leur  pouvoir 
par  toutes  fortes  de  moyens ,  ils  confeillerent  à  la  Reine  mère ,, 
princeffe  ambitieufe  qu'ils  gouvernoient  alors  félon  leurs 
vues  ,  de  s'unir  au  roi  d'Efpagne  :  confeil  funefte  ôc  honteux  , 
ôc  qui  donna  lieu  aux  fourdes  intrigues  des  Efpagnols  contre 
là  France.  Catherine  de  Medicis  le  prêtant  avec  joye  à  leurs      ^a  .^einâ 

/-v»  •  ■  lucre  imDiorâ 

deffeins  ,   écrivit   à  Philippe  3  implorant  baffement  ,  ôc  par  l'appui  du  roi 
une  timidité  digne  de  fon  fexe ,  le  fecours  d'un  Roi  étranger  d'tJpagne, 
contre  ceux  de  fes  fujets  3  qu'elle  nommoit  perturbateurs  du 

B  b  b  iij 


&2  HISTOIRE 

ggSSBgtiÉig  repos  public.  Ce  Prince  vit  avec  joye  qu'on  le  choififîbit  pouf 
François  arD"re  &  pour  protecteur  d'un  Etat  ,  dont  les  troubles ,  ôc  non 
jj  la  concorde  3  convenoient  à  fes  vues ,  ôc  il  n'eut  garde  de  laiffer 
i  r  <r  g  échapper  une  Ci  belle  occafion  d'exciter  une  guerre  civile.  II 
fit  réponfe ,  que  le  Roi  pouvoit  compter  fur  fon  fecours.  Ses 
lettres  fuperbes ,  ôc  injurieufesà  une  Nation  tranquille  ôc  ja- 
loufe  de  fon  ancienne  liberté ,  portoient  qu'il  avoit  autant  à 
cœur  les  intérêts  du  Roi  fon beau-frere  3  que  les  fiens  propres, 
ôc  qu'il  étoit  difpofé  à  prendre  fous  fa  protection  fon  Royau- 
me j  que  fi  quelques  François  étoient  affés  téméraires  pour  re-* 
fufer  d'obéïr  à  leur  Prince  ôc  à  fes  premiers  Miniftres  ,  il  les 
accableroit  de  fes  forces  ôc  de  fa  puiffance  ;  qu'il  fe  montre- 
rons toujours  le  jufte  vengeur  des  injures  faites  à  la  majefté 
Royale  ,  ôc  fçauroit  punir  févérement  les  auteurs  des  troubles. 
On  affecta  délire  ces  lettres  enpréfence  du  roi  de  Navarre, 
afin  que  ce  Prince  craignant  pour  fes  propres  Etats ,  ne  pen- 
fat  plus  à  difputer  à  fes  rivaux  l'adminiftration  du  Royaume; 
En  effet  ,  appréhendant  que  les  Efpagnols  n'attaquaflent  le 
Bearn  ,  il  fe  rendit  aux  inftances  de  Jeanne  d'Albret  fa  fem- 
me ,  qui  lui  perfuada  que  fa  préfence  étoit  néceffaire  dans  ce 
payis.  Il  accepta  même  avec  joye  la  propofition  que  lui  rirent 
les  princes  Lorrains  3  de  conduire  la  jeune  reine  d'Efpagne  au 
Roi  fon  mari.  Il  penfa  que  c'étoit  là  un  prétexte  honnête  de 
quitter  la  Cour  ;  que  fon  abfence  feroit  oublier  fon  aviliffe- 
ment  ;  qu'il  fe  concilieroit  par  cette  commifïion  honorable 
l'amitié  de  Philippe  ,  qu'il  croyoit  irrité  contre  lui  ôc  déter- 
miné par  les  Guifes  fes  ennemis  à  lui  faire  la  guerre. 

Cependant  le  Roi  fit  des  Edits  fort  fages  pour  la  fureté  pu- 
blique ,  à  la  perfuafion  d'Olivier  Garde  des  (beaux ,  très-zélé 
pour  le  bien  de  l'Etat.  Comme  les  poignards  ôc  les  bayonet- 
tes  avoient  été  autrefois  prohibez  ,  on  défendit  alors  ï'ufage 
des  armes  à  feu  ôc  des  piftolets,  qui  portent  de  loin  des  coups 
inévitables.  Les  longs  manteaux  ôc  les  larges  bottines ,  où  l'on 
auroit  pu  cacher  ces  fortes  d'armes ,  furent  auffi  prohibez  fur 
de  grandes  peines.  Plufieurs  difoient  que  le  cardinal  de  Lor- 
raine naturellement  timide,  qui  craignoit,  parce  qu'il  étoit  haï; 
ôc  qu'il  avoit  offenfé  bien  des  perfonnes  3  avoit  fait  donner 
cet  Edit.  Peu  après  le  Roi  réunit  à  fon  domaine  plufieurs 
portions,  qui  en  avoient  été  frauduleufement  aliénées ,  quoi 


i;;?' 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIII.     383 

qu'elles  euffent  été  données  à  des  particuliers ,  à  titre  de  pen-  r 

lion,  ou  de  recompenfe.  On  excepta  de  cette  loi  les  domai-  François 
nés  accordez  en  ufufruit ,  ou  pour  dot  aux  filles  de  France,  Ôc  jj. 
ceux  qu'avoit  eus  Eleonore  tante  paternelle  du  Roi  d'Efpagne, 
à  Foccafion  de  fon  mariage,  &  dont  joùhToit  alors  l'Infante 
de  Portugal.  Cet  édit  fi  fage  ôc  fi  jufte  auroit  été  plus  approu- 
vé, s'il  n'avoit  pas  privé  des  Princes  du  fang  ,  ôc  des  Seigneurs 
quiavoient  rendu  défi  grands  fervices  aux  derniers  Rois,  d'une 
recompenfe  qui  leur  étoit  due.  Cependant  peu  après, plusieurs 
gentilshommes  furent  difpenfez  de  la  rigueur  de  la  loi ,  parce 
qu'ils  étoient  protégez  par  les  Guifes;  ce  qui  excita  encore  la 
haine  publique  contre  ces  Princes ,  qui  abufant ,  félon  leurs  ca- 
prices ,  de  la  libéralité  du  Roi ,  faifoient  du  bien  à  ceux  qui 
le  meritoient  le  moins. 

Cependant  ils  fe  hâtèrent  de  faire  facrer  le  Roi,  pour  ren- 
dre encore  plus  refpe£table  ôc  plus  augufte  la  perfonne  d'un 
Souverain  fournis  à  leur  volontez.  Dans  ce  deffein  ayant  paiïé 
par  Villiers-Cotterets  avec  le  Roi ,  ôc  la  Reine  mère ,  ils  vin- 
rent à  Nantueil ,  château  que  le  duc  de  Guife  venoit  d'ôter 
fur  de  mauvais  prétextes  aux  Seigneurs  de  Lenoncourt ,  qui 
avoient  été  attachez  de  tout  tems  à  lamaifon  de  Lorraine,  à 
qui  ils  avoient  rendu  de  grands  fervices.  Ce  fut  à  Nantueil 
que  le  duc  de  Guife ,  qui  gardoit  encore  les  apparences  avec 
Coligni ,  avertit  en  fecret  ce  Seigneur ,  que  le  Prince  de  Con- 
dé  follicitoit  la  Cour  de  lui  accorder  le  gouvernement  de  Pi- 
cardie qu'avoient  eu  le  duc  de  Vendôme  fon  père,  Ôc  le  Roi 
de  Navarre  fon  frères  fous  prétexte  que  Coligni,  qui  étoit  en 
même  tems  gouverneur  de  Picardie  ôc  de  l'ifle  de  France , 
ne  pouvoit  garder  ces  deux  emplois.  Ce  Seigneur  fe  fentit 
piqué  d'abord,  que  le  Prince  voulut  lui  enlever  malgré  lui,  ôc 
fans  lui  en  rien  dire  ,  un  de  fes  gouvernemens.  Mais  ayant 
bien-tôt  reconnu  que  c'étoit  une  calomnie  inventée  par  le 
cardinal  de  Lorraine ,  qui  le  vouloit  brouiller  avec  le  Prince , 
il  penfa  à  s'unir  plus  étroitement  avec  lui.  Comme  il  voyoit 
que  la  Cour  parohToit  décider  qu'on  ne  pouvoit  garder  deux 
gouvernemens  de  Province  ,  il  vit  bien  qu'on  vouloit  l'obliger 
à  fe  démettre  de  l'un  des  deux.  Il  réfolut  donc  de  prévenir  fes 
ennemis ,  ôc  donna  fa  démifïïon  volontaire  du  gouvernement 
de  Picardie  s  avant  qu'on  le  lui  ôtât  ;  difant  qu'il  ne  pouvoit 


3S4  HISTOIRE 

.  fuffire  à  tant  d'emplois.  Il  fe  flatoit  que  ce  gouvernement  fe- 

r,.  roit  donné  au  Prince,  qui  de  concert  avec  lui  follicitoit  le 

jt         Roi  de  le  lui  accorder.  Mais  ils  furent  trompez  l'un  ôc  l'autre 

dans  leurs  efperances. 
*  *  Les  Guifes  croyant  que  c'étoit  n'avoir  rien  fait  par  rapport 

à  leurs  intérêts ,  que  d'avoir  obligé  Coligni  de  fe  défaire  d'un 
gouvernement  qui  feroit  donné  au  Prince  deCondé,  s'oppo- 
ferent  aux  prétentions  du  dernier ,  ôc  déterminèrent  le  choix 
du  Roi  ôc  de  la  Reine  mère ,  en  faveur  de  BrifTac  grand  ca- 
pitaine, ôc  qui  avoit  rendu  d'importans  fervices  à  l'Etat.  Par 
cet  injurieux  refus,  ils  firent  fentir  au  Prince  de  Condé quelle 
étoit  leur   puiiTance ,  ôc  s'attachèrent  BrilTac  ,  qui  fut  depuis 
une  de  leurs  créatures  les  plus  zélées.   De  Nantueil  le  Roi  vint 
à  Rheims ,  où  Charle  duc  de  Lorraine  Ôc  la  DuchelTe  foeur 
du  Roi  fe  rendirent  pour  faluer  ce  Prince.  La  cérémonie  du  fa- 
cre    ôc  du  couronnement  fe  fit  avec  une  grande  pompe ,  fui- 
yant  la  coutume  ,  en  préfence  des  Princes ,  ôc  des  principaux 
Seigneurs  du  Royaume.  Outre  les  princes  Lorrains ,  le  Roi 
de  Navarre  >  qui  n'étoit  pas  encore  parti  pour  conduire  la  Reine 
d'Efpagne ,  le  Connétable  de  Montmorenci,  Odet  cardinal  de 
Chatillon  ,  ôc  Gafpard  de  Coligni  fon  frère,  affilièrent  à  la  céré- 
monie.  Ce  fut  le  cardinal  de  Lorraine  archevêque  de  Rheims, 
qui  facra  le  Roi  le  20  de  Septembre.  Durant  le  fejour  de  la 
Cour  à  Rheims ,  la  Reine  mère  ,  qui  aimoit  les  intrigues  ôc 
les  troubles ,  fit  propofer  au  Connétable  par  les  Colignis  fes  ne- 
veux ,  de  fe  démettre  de  la  charge  de  Grand  Maître  de  la  Mai- 
fon  du  Roi  en  faveur  du  duc  de  Guife,  qui  en  faifoit  déjà  les 
fondions  ,  ajoutant  qu'en  renonçant  à  une  dignité  qui  lui  étoit 
inutile }  étant  éloigné  de  la  Cour ,  il  feroit  une  chofe  qui  lui  fe- 
roit agréable ,  ôc  au  Roi  fon  fils, 
le  Connê-       Les  Colignis  ayant  fait  connoître  au  Connétable  leur  oncle 
table  fe  dé-  les  intentions  de  la  Reine,  il  refufa  d'abord  fa  démiffion;  di- 
charge  de*      ^ant  (\UQ  Henri  II.  ayant  donné  la  furvivance  de  cette  charge 
jfîraod  maître,  au  duc  de  Montmorenci  fon  fils  aîné,  il  ne  pouvoit  confentir 
à  ruiner  la  fortune  de  fa  famille ,  qu'il  étoit  obligé  de  fou  tenir. 
La  Reine  menaçant  le  Connétable  de  fon  indignation,  s'il  n'o- 
béiffoit ,  ôc  d'un  autre  côté  lui  faifant  efperer ,  qu'on  donne- 
roit  à  fon  fils  en  compenfation  le  bâton  de  maréchal  de  Fran- 
ce, qui  convenoit  mieux  à  fon  âge;  il  dit,  qu'il  y  penferoit, 

ÔC 


DE  J.   A.   DE   T  H  O  U  ,  Liv.  XXIIÏ.      385- 

&  que  lorfqu'il  feroit  à  Chantilli  il  feroit  réponfe.   Après  qu'il 
y  fut  arrivé  ,  il  confulta  fes  amis,  ôc  ayant  juge  que  la  Cour  Fr^cois 
étoit  déterminée  à  l'obliger  de  fe  démettre  >  ôc  que  cette  dé-         jj  ' 
million  feroit  préjudiciable  à  fa  réputation  t  s'il  paroiffoit  avoir        l'?  « 
été  forcée  il  conseilla  au  Duc  fon  fils  de  renoncer  à  la  charge 
de  Grand  Maître ,  après  qu'on  l'auroit  fait  Maréchal  de  Fran- 
ce ,  ôc  de  fe  démettre  purement  ôc  Amplement  entre  les  mains 
du  Roi  ,  ôc  non  en  faveur  du  duc  de  Guife  5  de  peur  qu'on 
ne  crût  que  leurennemi  leur  avoit  fait  la  loi,  ôc  les  avoit  obli- 
gez à  cette  démarche.  Le  duc  de  Montmorenci  fe  rendit  donc 
à  la  Cour,  qui  étoit  à  Blois  ,  ôc  ayant  remis  au  Roi  la  char- 
ge de  Grand  Maître ,  il  fut  créé  Maréchal  de  France  furnu- 
meraire.  l 

Alors  les  Guifes,  pour  s'attacher  plufieurs  perfonnes  de  la 
Cour  Ôc  de  l'armée  ,  firent  faire  une  promotion  de  dix-huit 
Chevaliers  de  l'Ordre.  Depuis  celle  que  Louis  XL  avoit  faite 
en  1465),  on  n'en  avoit  point  vu  de  fi  nombreufe.  Ce  qui  fît 
que  le  cordon  de  cet  Ordre ,  qui  avoit  été  jufqu'alors  la  recom- 
penfe  de  la  vertu  ôc  des  grands  fervices  à  la  guerre  ,  s'avilit 
peu  à  peu.  Audi  Charle  Tiercelin  de  la  Roche-du-Maine  ,  gen- 
tilhomme d'une  vertu  digne  des  premiers  terns,  difoit  fouvent 
avec  indignation ,  que  le  coliier  de  l'Ordre  de  Saint  Michel 
n'étoit  plus  l'ornement  des  vaillans  hommes  ,  mais  un  collier  à 
toutes  bêtes  ,  depuis  qu'il  avoit  été  donné  indiftin&ement  à  des 
gens  fans  mérite.  Après  les  cérémonies  du  Sacre ,  ôc  de  la  ré- 
ception des  Chevaliers,  le  Roi  vint  à  Bar,  où  par  le  confeil 
de  la  Reine  mère ,  ôc  des  Guifes ,  il  fe  démit  de  la  fouverai- 
neté  de  ce  Duché  z  en  faveur  du  duc  de  Lorraine  fon  beau- 
frere  '■>  aviliffant  par  cette  compîaifance  la  majefté  de  fon  thrône, 
ôc  relTerrant  les  bornes  de  fon  Etat.  De  Bar  on  vint  àChâlons- 
fur-Marne,  ôc  de  là  à  Fontainebleau,  où  le  Roi  demeura  quel- 
que tems. 

Cependant  on  inftruifoit  le  procès  des  Confeillers  qui  avoient    on  perfécu- 
été  mis  à  la  Baftilie  fous  le  feu  Roi ,  ôc  on  faifoit  dans  Paris  te  ,es  Caivi- 
de  grandes  perquifitions  contre  plufieurs  perfonnes,  par  l'ordre 
du  cardinal  de  Lorraine,  ôc  par  les  foins  du  Préfident  de  Saint 

1  Le  nombre  des  Mare'chaux  étoit 
fixé  :  pour  obliger  François  de  Mont- 
morenci à  fe  démettre  de  la  première 


charge  de  la  maifondu  Roi ,  on  le  fait 

Tome  IIL 


Maréchal  furnumeraire. 

2  Le  duc  de  Lorraine  en  fait  hom- 
mage au  Roi. 

Ccc 


38tf  HISTOIRE 

André,  6c  de  Finquifiteur  de  Mouchi ,  qui  croyolenc  qu*il  faî- 
loit  un  exemple  dans  Paris ,  pour  intimider  les  Proteftans  répan- 
dus dans  les  Provinces.  Ils  avoient  pour  émiffaires  deux  or- 
fèvres ,  nommez  de  Ruflanges  Ôc  David  ,  ôc  un  certain  Renard 
tailleur  d'habits,  qui  ayant  été  auparavant  de  la  nouvelle  Reli- 
gion ,  pouvoient  découvrir  bien  des  chofes.  Deux  jeunes  gens 
fe  joignirent  à  eux  ,  gagnez  par  des  promefles,  ou  intimidez  par 
des  menaces.  Ils  avoient  été  apprentifs  chez  certains  arti(ans3 
dont  ils  avoient  été  maltraitez  pour  leur  mauvaife  conduite,  ou 
qu'ils  avoient  quittez  faute  de  payement.  Ils  dépoferent  chacun 
chez  le  Curé  de  leur  Paroiffe,  qu'il  fe  faifoit  des  affemblées  défen- 
dues dans  Paris  j  ôc  ils  agraverent  cette  accufation  par  des  men- 
fonges.  Car,ils  dirent,  que  non-feulement  on  s'aiTembloit  la  nuit, 
mais  encore  qu'après  avoir  éteint  les  lumières ,  on  s'abandonnoit 
à  la  débauche.  Pour  donner  plus  de  foi  à  ces  faits ,  ils  affuroient 
qu'ils  s'étoient  trouvez  eux-mêmes  chez  un  Avocat  logé  à  la 
place  Maubert,  où  il  y  avoit  un  très-grand  concours  deper- 
îbnnes  des  deux  fexes  ;  que  l'on  y  avoit  fervi  un  cochon  de 
îait,  dont  tout  le  monde  avoit  goûté ,  comme  fi  c'eût  été  l'A- 
gneau pafcah  ôc  qu'enfuit  e  les  chandelles  ayant  été  éteintes  ; 
chacun  avoit  fatisfait  fes  defirs  :  ils  affirmoient  impudemment 
qu'un  d'entre  eux  avoit  eu  alors  un  commerce  criminel  avec  la 
fille  de  l'Avocat ,  ôc  avoit  même  contenté  fapaiïion  jufqu  a  trois 
fois.  On  ajouta  foi  à  ce  que  difoient  ces  deux  miferables,  lors 
même  qu'ils  fe  couvroient  d'infamie;  l'impofture  trouva  facile  - 
ment  créance  dans  Fefprit  du  peuple ,  ôc  augmenta  la  haine  con- 
tre les  Proteftans.  Cestémoins,ou  plutôt  ces  délateurs,  ayant  été 
entendus  ôc  interrogez  par  finquifiteur  de  Mouchi,  furent  pré- 
fentez  par  le  préfident  de  Saint  André  au  cardinal  de  Lor- 
raine. Celui-ci  les  fit  venir  devant  la  Reine  mère ,  ôc  ayant 
repréfenté  l'horreur  de  ces  affemblées  no£turnes,il  la  prévint  par 
le  récit  de  cette  horrible  calomnie,  ôc  ladifpofaà  ne  plus  écou- 
ter la  vérité.  Il  eft  certain  que  depuis  ce  tems-là  elle  fut  tou- 
jours oppofée  aux  Proteftans. 

Enfin  l'Avocat ,  fa  femme ,  ôc  fa  fille  ayant  été  arrêtez ,  Ôc 
les  témoins  récolez  ôc  confrontez  aux  accufez  par  ordre  du 
Garde  des  Sceaux,  qui  foupçonnoit  de  fauffeté  ces  délateurs, 
ils  commencèrent  à  varier,  ôc  à  dire  des  chofes  détruites  par  les 
dépofitions  des  autres  témoins  5  .enjforte  qu'ils  furent  convaincus 


DE   J.   A.  DE   THOU  ,  L  i  v.  XXIII.        387 

d'impofture»  Cependant  ce  crime  demeura  impuni*  ôc  la  ven- 
gence  des  innocens  fauffement  accufez  fut  négligée  ,  parce  Franco r 
qu'ils  étoient  haïs  comme  fectaires.  Avant  que  la  calomnie ,  tj 
dont  je  viens  de  parler  ,  fût  découverte,  on  avoit  informé  con-  À 
tre  ceux  qui  à  l'occafion  des  opinions  nouvelles  s'alïembloient 
en  fecret  ;  ôc  l'on  traînoit  dans  les  prifons  un  grand  nombre 
de  perfonnes  de  tout  fexe.  Plufieurs  ayant  pris  la  fuite ,  leurs 
biens  furent  faifis  ôc  vendus  à  l'encan.  Tout  Paris  retentif- 
foit  de  la  voix  des  Huiffiers ,  qui  proclamoient  des  meubles , 
ou  appelloient  à  ban  les  fugitifs  ;  on  ne  voyoit  par  tout  que 
des  écriteaux  fur  des  maifons  vacantes,  où  étoient  reftez  en- 
core dans  quelques-unes  de  jeunes  enfans  ,  que  la  foibleffe  de 
leur  âge  n'avoit  pas  permis  aux  pères  Ôc  aux  mères  d'emme- 
ner avec  eux ,  &  qui  rempliflbient  les  rués  ôc  les  places  de 
leurs  cris ,  ôc  de  leurs  gémifTemens  :  fpectacle  qui  tiroit  des 
larmes  des  yeux  des  ennemis  mêmes  les  plus  déclarez  des  Pro- 
teftans. 

Il  n'y  avoit  plus  à  Paris  que  le  fauxbourg  Saint  Germain , 
qu'on  appelloit  communément  la  petite  Genève,  où  l'on  n'eut 
point  fait  de  recherches.  Un  certain  le  Vicomte  y  avoit  une 
maifon  à  loyer  dans  la  rue  des  Marefts ,  où  il  recevoit  des 
hôtes  d'Allemagne  ôc  de  Genève.  Une  troupe  d'archers  eut  or- 
dre d'ailieger  cette  maifon  ,  en  préfence  de  Thomas  Brage- 
longne  juge  criminel.  Il  y  avoit  alors  dans  cette  auberge 
environ  feize  perfonnes  qui  étoient  à  table,  lefqu elles  effrayées 
par  le  bruit  que  faifoient  les  archers ,  prirent  la  fuite.  Il  n'y  eut 
que  les  deux  frères  Soubfelles  gentilhommes  d'Anjou ,  ôc  do- 
meftiques  du  Roi  de  Navarre ,  qui  ayant  mis  l'épée  à  la  main 
blefferent  plufieurs  archers,  ôc  obligèrent  les  autres  à  prendre 
la  fuite.  Bragelongne  lui-même ,  qui  étoit  à  la  tête  de  ces  lâ- 
ches licteurs  ,  auroit  couru  rifque  de  la  vie  ,  Ci  le  Vicomte, 
qui  craignoit  les  fuites  de  cette  affaire,  ne  l'eût  dérobé  au  pé- 
ril. Le  Vicomte  ne  laifTapas  d'être  arrêté  ce  jour  là  même  avec 
fa  femme  ôc  fes  enfans  ;  Ôc  comme  c'étoitun  Vendredi ,  jour  où 
l'ufage  de  la  viande  eft  défendu ,  on  porta  devant  eux  un 
chapon  lardé,  afin  d'animer  davantage  le  peuple.  Le  Vicomte 
fut  mis  dans  un  cachot  avec  fa  famille ,  ôc  y  périt  miferable- 
ment.  Cependant  les  Soubfelles  s'étant  retirez ,  les  archers 
entrèrent  dans  la  maifon ,  qu'ils  trouvèrent  vuide,ôc  firent  un 
grand  butin.  G  c  c  ij 


■38S  H  I  S  T  O  I  R  È 

r^^±±^^,  A  l'exemple  delà  capitale,  on  fit  d'exactes  recherches  dans 
François  les  autres  villes  du  Royaume,  fur-tout  à  Poitiers,  à  Toulou- 
II.  fe ,  à  Aix ,  &  dans  le  diocefe  de  Narbonne ,  par  les  foins  qu'eut 
1  S  S  9'  George  cardinal  d'Armagnac  de  faire  arrêter  toutes  les  per- 
fonnes  fufpetles.  Ces  pourfuites  donnèrent  lieu  aux  Proteftans, 
devenus  hardis  par  leur  nombre,  de  répandre  des  libelles,  ôc 
de  parler  librement  contre  la  Reine  mère ,  contre  les  Guifes, 
ôc  contre  le  Roi  même,  qui  dans  un  âge  affez  avancé  pour  gou- 
verner ,  s'étbit  mis  ,  difoient-ils  ,  fous  leur  tutelle.  Ils  vou- 
loient  faire  croire  par  leurs  artificieux  difcours ,  que  de  leurs  in- 
térêts dépendoit  la  liberté  publique.  En  ce  même  tems  un  des 
deux  Soubfelles ,  dont  j'ai  parlé,  qui  étoit  domeftique  du  Roi 
de  Navarre ,  vint  à  la  Cour ,  ôc  obtint  par  le  crédit  de  fon 
maître  des  lettres  de  rémifîion  ,  imputant  le  meurtre  des  ar- 
chers plutôt  à  leur  témérité  qu'à  fa  faute.  Peu  content  de  cette 
grâce ,  il  demandoit  hautement  que  les  archers  qui  avoient  em- 
porté fes  meubles  ôc  fes  habits  de  la  maifon  de  le  Vicomte  fuffent 
condamnez  à  les  lui  rendre ,  ôc  traitez  comme  des  voleurs  pu- 
blics. Cette  hardieffe  déplut  au  cardinal  de  Lorraine,  ôc  foie 
qu'il  craignît  pour  lui-même ,  foit  qu'il  crût  devoir  protéger 
ceux  qui  avoient  agi  par  fes  ordres ,  il  fit  arrêter  Soubfelles 
dans  la  falleoù  mangeoit  le  Roi,  par  des  gardes  qui  le conduifi- 
rent  au  château  de  Vincennes. 

Ce  Cardinal  y  avoit  fait  enfermer  depuis  peu  le  comte  d'A~ 
ran,  à  qui  il  imputoit  d'avoir  favorifé  l'évafion  de  fon  frère 
*Ham}Iton.  aîné  *,  qui  après  s'être  échappé  de  la  mêmeprifon  ,  s'étoit  ren- 
du en  Ecoffe,  ôc  avoit, à  ce  qu'on  croyoit,  exciré  des  trou- 
bles en  ce  Royaume ,  contre  Marie  Stuard  Reine  de  France  ôc 
d'Ecoffe.  On  gardoit  aufïi  dans  ce  Château  un  certain  Coif- 
fard,  Bailli  de  Saint  Aignan ,  à  qui  on  avoit  trouvé  des  écrits 
injurieux  à  la  Pleine  mère,  ôc  aux  princes  Lorrains.  Il  étoit 
d'autant  plus  reiïerré  dans  fa  prifon,  qu'il  étoit  accufé,  aufïi- 
bien  que  les  Soubfelles,  de  donner  des  confeils  pernicieux  au 
Roi  de  Navarre.  Au  relie ,  on  déclamoit  par  tout  contre  la 
puiffance  de  la  Reine  mère ,  ôc  des  Guifes  :  on  difoit  qu'ils 
avoient  ufurpé  par  violence  ,  ôc  contre  les  loix  de  l'Etat,  une 
Heine  mère  autorité  qui  ne  leur  appartenoit  pas.  Il  parut  un  écrit  à  la  fin  du 
Louais"110"  mo*s  d'Octobre  de  cette  année,  où  l'onexpofoit  que  l'Empire 
des  Francs  établis  dans  les  Gaules  étoit  fondé  fur  des  loix  s  que 


Mémoire 
contre  la  puif- 
iànce  de   la 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Li  P.  XXIII.        3S9 

ces  peuples  ne  pouvant  conferver  fans  un  chef  ce  qu'ils  avoient  m**  »^«w 
conquis  par  leur  grand  courage  ,  avoient  fagement  choifi  un  pRAN(-OIS 
Roi ,  ôc  après  lui  les  Princes  de  la  même  maifon  ,  pour  hs  gou-  jj 
verner  ;  non  avec  un  pouvoir  arbitraire  ,  mais  félon  les  loix  s  <-  r  o, 
aufquelles  ils  étoient  fournis  eux-mêmes,  ôc  qui  fervoient  de 
frein  à  leur  puiflance  :  Qu'on  avoit  toujours  eu  foin  que  la  fuc- 
cefîlon  fût  dévolue  au  Prince  mâle  le  plus  proche  de  la  cou- 
ronne, à  Fexclufion  des  filles,  ôc  des  defcendans  des  filles  : 
Que  nos  pères,  nez  libres  Ôc  belliqueux,  avoient  établi  cette 
fage  coutume,  non-feulement  pour  empêcher  que  des  Princes 
étrangers,qui  auroient  époufé  les  filles  de  nos  Rois,ne  parvinrent 
à  la  couronne;  mais  encore  Jin  que  des  PrincefTes  nefe  mê-^ 
iaffent  par  des  affaires  publiques  :  Que  fi  l'âge  du  Roi  le  ren- 
dort incapable  de  gouverner ,  que  c'étoit  aux  Princes  du  fang 
les  plus  proches  du  thrône  à  fe  charger  de  l'adminiftration  des 
affaires  ,  fuivant  les  loix  du  Royaume  ,  jufqu'à  ce  que  le  Roi 
fut  plus  avancé  en  âge  :  Que  cependant  il  avoit  été  fagement 
établi ,  que  dans  ces  facheufes  conjonctures  on  affembîeroit  les 
Etats,  pour  empêcher  la  difïipation  des  finances,  pour  obvier 
à  des  impôts  trop  onéreux  à  un  peuple  né  libre,  &  pour  tem- 
pérer une  exceffive  puiffance  par  les  avis  des  premiers  de  l'E- 
tat :  Qu'on  s'étoit  fouvent  fervi  de  ce  moyen  dans  les  malheurs 
publics ,  pour  impofer  de  juftes  fubfides ,  après  avoir  entendu 
les  plaintes  des  députez  des  Villes ,  ôc  des  Provinces  :  Qu'il  ar- 
rivait de  là,  que  chacun  fe  regardant  comme  une  portion  ds 
la  République,  obéiffoit  volontiers  à  fes  gouverneurs ,  ôcàfes 
Magiftrats ,  ôc  honoroit  fur-tout  la  perfonnefacrée  de  fon  Roi, 
en  un  Royaume  où  les  peuples  aiment  ôc  honorent  leur  fouve- 
rain ,  plus  qu'aucune  autre  nation  dont  il  foit  fait  mention  dans 
l'hiftoire  :  Que  cette  foumiffion  étoit  l'effet  d'un  gouvernement 
équitable  ôc  modéré  5  Ôc  que  les  François  ne  pouvoient  fuppor- 
ter  une  domination  arbitraire  ôcdefpotique,  contraire  aux  loix* 
ôc  introduite  par  des  vues  d'ambition ,  ôc  par  une  force  étran- 
gère. Onajoùtoit  dans  cet  écrit,  que  ce  qui  s'étoit  paffé  fous 
les  règnes  de  nos  Rois  étoit  une  preuve  de  ce  qu'on  avançoit; 
Que  peu  s'en  étoit  fallu  que  ce  Royaume  fi  floriffant  n'eut  été 
détruit  par  les  guerres  civiles,  fous  les  règnes  de  Louis  le  Dé- 
bonnaire ,  ôc  de  Charle  le  Simple ,  ôc  enfuite  fous  ceux  de  Phi- 
lippe I.  ôc  de-  Saint  Louis,  ôc  de  Charle  VI.  defcendus de 

Ccc  iij, 


596  H  I  STO  I  R  E 

«■ ■  Hugue  Capet,  lorfque  des  Maires  du  Palais,  ôc  enfuite  d'au- 

François  tres  Pu^ans  miniftres  ,  abufant  de  leur  autorité,  avoient  gou- 
jj         yerné  au  gré  de  leurs  pallions  6c  de  leurs  caprices. 
-  -   *  »  Car  eft-il  rien  de  plus  raifonnable,  difoit-on  en  cet  écrite 

s»  que  de  foumettre  à  la  puiffance  d'autrui  ceux  qui  ne  peu- 
»  vent  fe  conduire,  à  caufe  de  la  foibleiTe  de  leur  âge  ;  6c  que 
a»  des  Rois  qui  ne  peuvent  tenir  encore  le  timon  des  affaires , 
*>  foient  éclairez  &  gouvernez  eux-mêmes  par  le  confeil  de 
»  plufieurs  ?  »  On  ajoûtoit  qu'Ancus  Marcius  avoit  nommé 
Tarquin  tuteur  de  fon  fils  :  Que  Marc-Aurele  ,  furnommé  le 
Fhilofophe  ,  avoit  donné  à  fon  fils  Commode  fes  amis  ôc  les 
principaux  de  fa  Cour ,  pour  le  conduire  dans  le  gouverne- 
ment de  l'Empire  après  fa  mort  :  Que  le  grand  Theodofe 
avoit  laillé  la  tutelle  d'Arcadtus  6c  d'Honorius  à  Rufin  6c  à 
Stilicon  ;  qu'enfuite  Arcadius  ,  à  l'exemple  de  l'Empereur 
fon  père,  avoit  prié  par  fon  teftament  Ifiderge  roi  de  Perfe  de 
prendre  la  tutelle  de  Theodofe  le  jeune.  »  Après  cela  ,  qui  ne 
»  voit ,  difoit-on,  que  rien  n'eft  plus  contraire  à  la  raifon,  que 
»  de  foûtenir,  que  le  Roi,  en  attendant  un  âge  plus  avancé, 
»  a  confié  le  foin  de  fon  Etat  à  la  Reine  fa  mère  6c  aux  prin- 
3>  ces  Lorrains  oncles  de  la  jeune  Reine  5  comme  fi  un  pu- 
sj  pille  fe  pouvoit  choifir  un  tuteur  >  6c  comme  fi  ce  qui  eft 
m  défendu  aux  particuliers  par  les  Loix,  devoit  être  permis  en 
»  la  perfonne  d'un  Roi  ,  dont  la  bonne  ou  la  mauvaife  admi- 
«  niftration  intérefîe  tous  les  peuples ,  6c  décide  ou  de  la  feli- 
w  cité  publique  ou  du  malheur  général  de  la  Nation.  » 

On  difoit  encore  dans  ce  mémoire,  qu'on  en  avoit  toujours 
ufé  ainfi  en  France  >  6c  que  fi  quelques  perfonnes ,  dans  la  fitu ac- 
tion préfente ,  étoient  en  droit  de  gouverner ,  c'étoient  les 
princes  du  Sang ,  6c  non  des  étrangers ,  qu'on  ne  pouvoit  mettre 
à  la  tête  des  affaires  fans  une  honteufe  prévarication  :  Que  nos 
annales  foumiffoient  plufieurs.exemples  de  ce  qui  s'étoit  prati- 
qué dans  des  cas  femblables  :  Que  Charle  le  Bel  étant  mort 
en  Tannée  1327.  laiffant  la  reine  Jeanne  d'Evreux  enceinte  , 
il  s'éleva  de  grandes  conteftations  au  fujet  de  Tadminirtration 
de  l'Etat ,  dans  l'incertitude  où  l'on  étoit ,  li  la  Reine  accou- 
cheront d'un  fils  ou  d'une  fille  :  Que  d'un  côté  Edouard  III. 
roi  d'Angleterre ,  fils  d'Elifabeth  foeur  du  feu  Roi  ,  reclamoit 
la  régence  5  6c  que  d'un  autre  Philippe  de  Valois  fon  coufin* 


DE  J.  A.  DE  THGU,  Liv.  XXIII.      ftp-i 

&  préfomptif  héritier  de  la  couronne  ,  prétendait  que  le  gou- 
vernement du  Royaume  lui  appartenons  &  qu'enfin  cette  im-  François 
portante  queftion  avoit  été  décidée  par  l'avis  des  Etats  gé-  IL 
néraux  affemblez  à  ce  fujet  ,  qui  à  l'exclufion  d'Edouard  3  i  y  y  p. 
Prince  étranger ,  déférèrent  la  régence  à  Philippe  de  Valois: 
Que  Charle  V.  qui  mérita  à  jufte  titre  le  furnom  de  Sage  , 
avoit  ordonné  ,  que  Charle  fon  fils  encore  en  bas  âge  feroit 
élevé  auprès  de  Louis  de  Bourbon,  frère  de  la  Reine  ôc  Prince 
du  fang  Royal ,  quoiqu'éloigné  de  la  Couronne ,  ôc  que  l'ad- 
miniftration  du  Royaume  feroit  déférée  à  Louis  duc  d'Anjou 
fon  frère,  jufqu'à  ce  que  le  jeune  Roi  eût  atteint  l'âge  dequatorze 
.ans  ,  ôc  qu'il  eût  été  facré  :  Et  que  comme  ce  Roi  inftruit  par 
fon  expérience  ;  ôc  guidé  par  fa  profonde  fagefîe ,  avoit  prévu 
qu'il  s'éleveroit  bien  des  troubles,  fi  l'Etat  étoit  gouverné  au 
nom  &  fous  les  aufpices  d'un  prince  du  Sang  ,  il  avoit  ordon- 
né par  fon  édit ,  que  véritablement  la  puilTance  Royale  feroit 
pour  un  certain  tems  entre  les  mains  d'un  prince  du  Sang , 
non  héritier  de  la  Couronne  ;  mais  qu'il  ne  la  pourroit  exercer 
qu'au  nom  du  fils  du  feu  Roi  ,  qui  feroit  véritablement  Roi 
immédiatement  après  la  mort  de  fon  père  ,  ôcau  nom  duquel 
feul  tous  les  a£tes  feraient  donnez  ,  ôc  non  fous  celui  du  Prin- 
ce dépofitaire  de  fon  autorité,  qui  ne  pourroit  pas  même  pren- 
dre le  titre  de  Régent.  On  ajoûtoit  que  cependant  ce  tefta- 
ment  n'avoit  pas  eu  fon  entière  exécution  ;  parce  que  les  Etats 
généraux ,  en  aboliiïant  le  nom  de  Régent  ,  ôc  en  déférant 
l'autorité  6c  le  gouvernement  des  affaires  au  duc  d'Anjou /com- 
me au  premier  prince  du  Sang  ,  ne  le  lui  avoient  donné ,  qu'à 
condition  de  fe  conduire  par  un  confeil  compofé  des  premiè- 
res perfonnes  de  l'Etat  :  Qu'au  refte  Charle  VI.  avoit  régné  fous 
l'autorité  de  ce  confeil ,  jufqu'à  l'âge  de  vingt-deux  ans?  ôcque 
nos  annales  remarquent ,  que  ce  fut  la  bonne  mine  de  ce  prin- 
ce ,  ôc  l'amour  que  fes  peuples  avoient  pour  lui ,  qui  firent 
fouhaiter  qu'il  régnât  par  lui-même ,  avant  que  d'avoir  atteint 
fa  vingt-cinquième  année. 

»  Quand  des  PrinceiTes  ont  gouverné  l'Etat ,  difoit  encore 
m  l'auteur  du  mémoire  3  on  a  toujours  vu  régner  les  dillentions 
*■>  ôc  le  trouble.  Il  y  a  environ  quatre-vingts  ans  que  Louis  XL 
«  îailla  en  mourant  fes  Etats  à  Charle  VIIL  fon  fils,  encore 


392  HISTOIRE 

"" ■  =»  enfant.  Anne  T ,  fœur  aînée  du  jeune  Roi ,  prétendoit  à  la  re- 

François  *  gence  >  4ue  lui  difputoit  Louis  duc  d'Orléans  .premier  prince 
jj*  *>  du  Sang.  Ce  grand  différend  fut  jugé  par  les  Etats  du 
i  e  <? g.  M  Royaume  affemblez  à  Tours,  qui  prononcèrent,  qu'Anne 
«  ne  fe  mêleroit  point  du  gouvernement  :  Que  la  régence  ne 
oî  feroit  pas  non  plus  déférée  au  duc  d'Orléans  ,  parce  qu'il 
«  n'avoit  pas  encore  vingt-trois  ans  accomplis;  mais  que  l'Etat 
m  feroit  régi  par  un  confeil  fouverain  compofé  des  princes  du 
"  Sang  ôc  des  Grands  du  Royaume.  Après  cela  doit-on  s'éton- 
=>  ner ,  fi  la  puiflance  de  la  Reine  mère  ôc  des  Guifes ,  fur-tout 
»  du  cardinal  de  Lorraine,  paroît  fi  odieufe  ?  Les  anciennes 
a>  Loix  du  Royaume  défendent  aux  Prêtres,  ôc  à  ceux  qui  font 
«  fournis  au  Pape,  d'avoir  le  principal  gouvernement  de  l'Etat. 
«  Le  roi  Jean  ôta  les  fceaux  à  Jean  de  Dormans  évêque  de 
«  Beauvais  ,  ôc  Chancelier  de  France  ,  lorfqu'il  fut  nommé 
«  Cardinal  ;  fur  ce  qu'il  crut  qu'on  ne  pouvoit  fervir  deux  maî- 
»  très.  On  fçait  encore  ,  continuoit  fauteur,  que  les  cardi- 
as nauxBaluë  ôc  de  Volfey  tombèrent  dans  la  difgrace  des  Rois 
=5  leurs  maîtres  pour  cette  même  raifon  ,  ôc  parce  qu'ils  avoient 
«  caufé  de  grands  maux.  Le  Sénat  de  Venife ,  dont  on  vante 
»  avec  raifon  la  profonde  fageiïe ,  ne  donne  aux  Eccléfiafti- 
«  ques  aucune  part  dans  le  gouvernement  de  la  République. 
a>  Nos  pères  fe fouviennent  encore  des  maux,  qu'a  occafion- 
35  nez  fous  Charle  VI.  Jean  de  la  Grange  ,  dit  le  Cardinal 
->  d'Amiens ,  qu'on  fouffrit  en  France  plus  long-tems  qu'on 
»  ne  le  devoit  ,  ôc  qui  ayant  été  enfin  chatte ,  emporta  avec  lui 
•>  d'immenfes  tréfors ,  ôc  qui,  quoiqu'abfent,nuifit  à  ce  royau-. 
»  me,  parce  même  pouvoir  qu  il  s'y  étoit  acquis. 

»  Véritablement ,  ajoûtoit  l'auteur  de  cet  écrit ,  deux  illuf- 
05  très  Cardinaux  ont  aimé  la  France  ,  ôc  ont  contribué  à  fa 
»  gloire  ôc  à  fa  grandeur ,  George  d'Amboife  ôc  Antoine  du 
9»  Prat.  Mais  Louis  XII.  ôc  François  I.  Princes  fi  fages ,  ne 
os  fe  font  fervis  de  leurs  confeils  qu'avec  de  grandes  précau- 
3>  tions  i  enforte  que  lorfqu'il  s'agiffoit  de  quelque  affaire  où 
35  la  cour  de  Rome  eût  intérêt  ,  ils  n'étoient  jamais  admis  au 
»  confeil.  Ainfi  ils  ne  firent  point  de  préjudice  à  l'Etat ,  par 
~  une  autorité  qu'alors  bien  des  perfonnes  auraient  fouhaité 

î  La  duchefle  de  Beaujeu, 

que 


DE  J.  A,  DE  THOU,  Liv.  XXIII.        m 

*»  que  des  Rois  fi  fenfés  ne  leur  euffent  pas  confiée.  Onfçait   ■  »  ■ mm» 

°>  d'ailleurs  combien  la  puifiance  des  princes  Lorrains  doit  être  PrANçois 
»  fufpe&e.  Ils  ne  difentplus  en  fecret ,  mais  ils  le  publient  par-         \\ 

05  tout  qu'ils  defcendent  de  la  race  des  rois  Carlovingiens ,  qui     1  c  r  o. 
35  furent,  difent-ils ,  privez  de  la  couronne  par  Hugue  Gapet , 

«  dont  les  defcendans  régnent  fi  heureusement  depuis  plufieurs 
»  fiécles.  Non  contens  de  débiter  de  pareilles  fables  démen- 
»  ties  par  l'hiftoire  ,  ils  ont  ofé  dire  depuis  peu,  qu'on  leur  a  en- 
»  levé  injuftement  le  duché  d'Anjou  6c  le  comté  de  Provence  : 
»  ils  en  prennent  les  armes  &  le  nom,  Ôc  par  là  ces  Princes, 
»  tout  étrangers  qu'ils  font  ,  fe  gliiTent ,  pour  ainfi  dire ,  peu 
»>  à  peu  dans  la  maifon  Royale.  Or  il  eft  défendu  par  les  loix 
«  de  nommer  pour  tuteur  à  un  pupille  celui  qui  a  des  droits 
?'  litigieux  à  démêler  avec  lui.  Ce  qui  a  lieu  pour  les  particu- 
«  liers,  ne  doit-il  pas  être  obfervé  à  l'égard  des  adminiftra- 
«  teurs  d'un  Etat  5  les  conféquences  étant  encore  plus  dange- 
35  reufes ,  ôc  intereffant  un  plus  grand  nombre  de  perfonnes  ? 
»  Souvent  ces  faux  prétextes  ont  fait  paffer  le  fceptre  d'une 
w  famille  dans  une  autre.  On  fçait  quelle  fut  la  perfidie  de 
»  Tarquin  l'ancien  envers  les  enfans  d'Ancus  Marcius.  Onn'i- 
»'  gnore  pas  l'ingratitude  de1  Cleandre,nicellede  Rufin  ôc  de 
*>  Stilicon,  dont  j'ai  déjà  parlé  ,  qui  formèrent  des  deffeins  fi 
«  pernicieux  à  l'Empire. 

On  citoit  encore  dans  ce  mémoire  l'exemple  célèbre  de 
Hieron*  roi  de  Sicile,  rapporté  parTite-Live.  «  On  lui  avoit 
s»  donné,  difoit-on,  parce  qu'il  n'avoit  que  quinze  ans ,  qua- 
»  torze  Conieillers ,  pour  adminiftrer  fon  Etat  conjointement 
*»  avec  Athenodore  fon  oncle  >  ôc  telle  étoit  la  difpofition 
»  du  teftament  du  roi  Hieron  fon  père.  Athenodore  qui  pré- 
»'  tendoit, comme  les  princes  Lorrains  ,  avoir  un  droit  à  la 
*>  Couronne  ,  ôc  qui  méditoit  de  coupables  defieins ,  confeilla 
3'  au  jeune  Hieron  fon  neveu  ôc  fon  pupille  d'éloigner  de  la 
o>  Cour  les  autres  adminiftrateurs  qu'on  lui  avoit  donnez  ,  s'il 
s»  vouloit   être  Roi  ,  ôc  régner  par  lui-même.    Hieron   élevé 

6  dans  les  pîaifirs ,  ôc  au  milieu  d'une  troupe  de  flateurs ,  écouta 
•»  les  avis  d'un  oncle  perfide ,  ôc  fe  livra  entièrement  à  lui. 


1  L'auteur  du  mémoire  vouloit 
parler  d'un  certain  Cle'andre  d'Argos, 
qui  fe  mit  à  la  tête  des  enclaves  ,  ôc 

Tome  III.  D  d  d 


excita  une  fe'dition  contre  les  maîtres 
vers  la  LXI.  Olimpiade. 


3P4  HISTOIRE 

»  Après  avoir  banni  du  palais  les  fages  tuteurs  que  le  feu  Roî 

François  »  lui  avoit  choifis  ,  il  étoit  prêt  à  périr  par  les  mains  d'Athé- 

II.        ™  nodore  >  qui  avoit  confpiré  contre  lui  ,  Il  la  Nobleffe  du 

1  S  S  9'     M  royaume  n'eût  découvert  les  embûches  de  ce  traître  ,  ôc  ne 

»  l'eût  prévenu. 

■  Tout  le  monde  voit  affez  ,  continuoit-on ,  où  tend  cette 
»  grande  foumiiïion  des  Guifes  pour  le  Pape  ôc  le  S.  Siège. 
»  Ils  veulent ,  à  l'exemple  de  Charle  Martel  Ôc  de  Pépin  ,  dont 
o>  ils  fe  prétendent  fauffement  defcendus  ,  ôter  la  Couronne 
»  aux  Princes  de  la  maifon  régnante  ,  laquelle  ,  difent-ils  ,  a 
«  ôté  le  Sceptre  à  leurs  ancêtres.  Ce  fut  par  des  vues  auffi  am- 
^  bitieufes  ,  que  le  cardinal  de  Lorraine  confeilla  au  feu  Roi 
s'  de  rompre  la  trêve.  Il  efpéroit  que  le  Duc  fon  frère  feroit 
s»  envoyé  avec  une  pu  iflante  armée,  pour  faire  la  conquête  du 
«  royaume  deNapîes:  que  le  Pape  pourroit  alors  mourir;  que, 
»  lui  Cardinal,  pourroit  être  mis  en  fa  place,  &  foûtenir  les 
«prétentions  ôc  les  armes  du  duc  de  Guife.  »  On  ajoûtoit  , 
que  l'infraction  de  la  trêve  avoit  été  fuivie  de  cette  expédi- 
tion malheureufe  d'Italie  ,  où  toutes  nos  forces  avoient  été 
épuifées ,  ôc  où  avoit  péri  toute  la  fleur  de  la  nobleffe  de  Fran- 
ce :  Que  ces  pertes  avoient  occafionné  nôtre  défaite  à  la  ba- 
taille de  S.  Quentin  ;  ôc  que  nous  avions  été  vaincus  à  Gra- 
velines  par  la  faute  du  duc  de  Guife,  qui  demeura  dans  une 
inaction  affectée ,  après  la  prife  de  Thionville  :  Qu'enfin  le  feu 
Pvoi  fe  voyant  épuifé  de  forces  ôc  d'argent  ,  avoit  été  forcé 
de  faire  une  paix  honteufe  ôc  nuilible  ,  qui  avoit  été  fuivie  de 
■conjonctures  ôc  d'événemens  plus  triftes  que  les  horreurs  de 
la  guerre.  On  concluoit ,  qu'il  étoit  très  dangereux  de  confier , 
contre  les  loix  3  la  principale  autorité  à  des  Princes  fi  mal  in- 
tentionnezpour  l'Etat,  ôc  que  fi  on  ne  les  prévenoit  de  bonne 
heure ,  ils  étoient  fur  le  point  d'exécuter  des  defleins  qu'ils 
avoient  depuis  fi  long-tems  méditez. 

Les  princes  Lorrains  avertis  des  écrits  répandus  contr'eux 
dans  le  public ,  au  lieu  de  répondre  ,  mirent  auprès  du  Roi 
une  garde  Italienne,  outre  la  garde  ordinaire ,  dont  ils  fe  dé- 
fioient  :  ils  en  ufoient  ainfi  ,  plutôt  pour  leur  propre  fureté  , 
que  pour  celle  de  la  perfonne  du  Roi.  Au  refte  ,  comme  l'au- 
torité de  la  Reine  mère  étoit  attaquée  dans  le  long  écrit  dont 
<iuCfiUet.  '  je  viens  déparier.»  Jean  duTillet  greffier  du  Parlement,  très 


DE  J.  A  DE  THOU,  L'iv.  XXIII.      39Ï 

verfé  dans  la  connoiflance  de  nos  loix  ôc  de  nos  coutumes  *  ■    ■ 

mais  qui  n'étoit  pas  maître  décrire  avec  une  entière  liberté  *  François 
y  répondit  par  un  livre ,  qui  a  pour  titre ,  De  la  Majorité  du  Roi.  \\ 
Il  compile  dans  cet  ouvrage  nos  loix  municipales,  ôc  il  fait  l  r  e- a. 
voir  ,  que  les  Rois  de  France  forcent  de  tutelle  en  fortant  de 
l'enfance,  ôc  avant  l'âge  de  quinze  ans:  Qu'il  leur  a  toujours 
été  permis ,  comme  aujourd'hui  ,  de  fe  choifir  un  confeil  » 
<ôc  de  mettre  à  la  tête  des  affaires  ceux  qu'ils  jugent  à  propos. 
Enfuite  il  prouve  par  des  exemples ,  que  la  régence  n'a  pas 
toujours  été  donnée  au  premier  prince  du  Sang  royal.  Il 
cite  à  cefujet  Henri  I.  qui,  à  l'exclufion  de  Robert  fon  frère, 
confia  la  tutelle  de  fon  fils  Philippe  au  comte  de  Flandre  fon 
beau-frere.  Il  ajoute  ,que  Louis  le  jeune  inftituapar  fon  tefta- 
ment ,  pour  régent  ôc  pour  tuteur  de  Philippe  Augufte  fon  fils, 
l'Archevêque  de  Rheims ,  fans  avoir  égard  aux  Princes  fes  frè- 
res :  Qu'enfin  Louis  VIII.  donna  la  conduite  de  l'Etat  ôc  de 
la  perfonne  de  Louis  IX.  fon  fils  à  la  reine  Blanche  fa  mère, 
ôc  la  déclara  Régente ,  en  excluant  fon  frère  Philippe  ;  ôc  que 
ces  deux  derniers  Rois  ont  donné  plus  dune  fois  la  régence 
ôc  le  gouvernement  de  leur  Etat  à  des  Abbez  de  S.  Denis , 
lorfqu'ils  partoient  pour  la  terre  Sainte.  Du  Tillet  fait  en- 
fuite  mention  de  l'édit  de  Charle  le  Sage  ,  aufujet  de  la  ma- 
jorité de  nos  Rois  ,  ôc  dit  ,  qu'il  feroit  étrange ,  qu'un  Roi 
qui  peut ,  fuivant  les  Loix  ,  fe  choifir  un  confeil ,  fût  obligé 
d'en  prendre  un ,  fuivant  les  vues  des  Princes  étrangers  voi- 
fins  de  la  France.  Du  Tillet  défigne  en  cet  endroit  les  Cal- 
viniftes  ,  qui  avoient  agi  auprès  des  princes  Allemands  de 
la  Confeflion  d'Aufbourg  ,  afin  qu'entrant  dans  nos  diflen- 
ilons  ,  ils  procuraient  un  Confeil  légitime  félon  eux.  Enfuite 
il  déclame  contre  les  Proteftans ,  ôc  fur-tout  contre  l'auteur 
anonime  de  l'écrit  dont  j'ai  parlé  ,  qu'il  appelle  un  autre 
Achitophel.  Il  dit,  qu'ils  font  feuls  les  auteurs  de  tous  nos 
troubles  s  que  la  trompette  à  la  main  ils  animent  les  peuples , 
ôc  allument  le  feu  de  la  fédition  j  que  l'on  peut  enfin  ôc  que 
l'on  doit  prendre  les  armes  contr'eux. 

Il  parut  peu  après  un  Ecrit  ,  qui  répliquoit  à  tous  les  ar-     Réplique  â 
ticles  de  celui  de  du  Tillet.  On  y  foûtenoit  que  les  loix  mu-  décrit  de  du 
nicipales  ne  regardoient  que  les  particuliers  ,  ôc  non  les  Rois    l  et° 
$c  la  fucceflion  au  thrône ,  fuivant  le   témoignage  même  de 

Dddij 


39*      '  HISTOIRE 

■  m  Fauteur  qui  s'en  fervoit  mal  à  propos  :  Qu'il  n'étoit  pas  plus 

François  neureux  dans  l'exemple  de  Henri  I.  qu'il  avoit  cité ,  &  qu'il 
jj^  n'étoit  ni  étonnant ,  ni  contre  les  loix  ,  que  ce  Prince  eût  ôté 
j  -  -  ^  la  tutelle  de  Robert  fon  fils  à  un  frère ,  qui  étoit  criminel  de 
leze-majefté  ,  comme  ayant  voulu  lui  ravir  la  Couronne  : 
Qu'il  paroît  même  par  les  annales ,  que  les  peuples  de  Gaf- 
cogne  avoient  follicité  le  Roi ,  de  ne  pas  déférer  la  régence 
à  un  Prince  d'une  fidélité  aufïi  fufpecle  alors  ,  que  l'étoit  aujour- 
d'hui celle  des  princes  Lorrains  à  tous  les  bons  François  : 
Qu'il  y  a  une  grande  différence  entre  une  tutelle  déférée  par 
le  teftament  d'un  père,  &  celle  que  la  Loi  donne  aux  enfans 
quand  le  père  meurt  ab  mtejîat  :  Qu'on  citoit  mal  à  propos 
l'exemple  de  Louis  le  Jeune  ,  père  de  Philippe  Augufte  ,  qui 
avoit  feize  ans  quand  le  Roi  fon  père  mourut,  &:  qui  n'auroit 
pas  dû  avoir  même,  félon  le  fyftême  de  l'auteur  de  l'écrit,  l'ar- 
chevêque de  Rheims  pour  tuteur  :  Que  fi  les  frères  du  Roi 
furent  alors  éloignez  de  l'adminiftration  des  affaires ,  c'eft  par- 
ce qu'ils  menoient  une  vie  retirée ,  ôc  qu'ils  étoient  incapa- 
bles même  de  régir  leurs  biens  :  Que  d'ailleurs  ni  cet  exem- 
ple ni  celui  de  Louis  VIII.  ne  prouvoient  rien  ;  ces  Princes 
ayant  établi  avant  leur  mort  les  adminiftrateurs  de  leur  Royau- 
me ,  &  les  Etats  généraux  ayant  décidé  qu'ils  le  pouvoient  > 
mais  que  le  feu  Roi  n'avoit  point  lailTé  de  tuteurs  aux  Princes 
fes  enfans ,  ôc  que  ce  choix  étoit  dévolu  de  droit  aux  Etats , 
qui  avoient  feuls  le  pouvoir  de  lui  choifir  un  Confeil  légitime  : 
Que  ce  qu'on  alléguoit  des  rois  Louis  VIII.  ôc  Louis  IX. 
qui  en  partant  pour  la  Paleftine  avoient  déféré  la  régence , 
non  aux  princes  de  leur  Sang  ,  mais  à  des  Abbez  ,  ne  venoit 
point  au  fujet  ;  puifqu'il  efl  fans  difficulté ,  qu'ils  pouvoient 
de  leur  vivant  faire  un  choix  ,  qu'il  leur  étoit  même  permis 
de  faire  par  un  teftament  :  Qu'à  l'égard  de  l'édit  de  Charle 
V.  fur  la  majorité  de  nos  Rois  ,  il  n'avoit  pas  même  été  exé- 
cuté en  la  perfonne  de  Charle  VI.  fon  fils ,  qui  n'avoit  gou- 
verné la  France  par  lui-même ,  qu'après  vingt-deux  ans  ac- 
complis ;  l'autorité  fouveraine  ayant  réiidé  jufqu'à  ce  tems-là 
dans  un  Confeil  légitime,  compofé  des  princes  du  Sang,  ôc  des 
premiers  du  Royaume  ,  fuivanr  l'ordonnance  des  Etats  géné- 
raux affemblez  à  Tours  :  Qu'au  refte  on  ne  pouvoit  trop  blâmes 
l'auteur  du  livre  de  la  Majorité  du  Roi ,  qui  au  lieu  de  défendre 


DE  J.  A.  DE   THOU  ,  Liv.  XXIII.     397 

les  droits  de  la  Couronne  par  la  connoifTance  profonde  qu'il  <■ 

avoit  du  Droit  François  3  abufoit  honteufement  defon  fçavoir,  François 
pour   établir  une  puilTance  injufte,  qui  ruineroit  la  France  :        n' 
Que  cet  auteur  n'avoit    point  répondu  à  l'objection  la  plus     i  ç  r  o, 
elTentielle  ,  qui  étoit  3  que  les  princes  Lorrains  ,  Ôc  comme 
étrangers,  ôc  comme  fufpects ,  dévoient  être  éloignez  du  ma- 
niment  des  affaires  publiques  :  Qu'il  avoit  évité  habilement  cet 
écueil  ,  pour  répandre  le  fiel  de  fa  plume  vénale  fur  lesPro- 
teftans ,  comme  fur   des  perturbateurs  du  repos  public  :  Qu'il 
étoit  lui-même  cet  Achitophel  dont  il  avoit  parlé  dans  fon  der- 
nier livre  3  ôc  qu'on  ne  pouvoit  fe  méprendre  à  la  reffemblan- 
ce  de  leur  caractère  :  Que  comme  le  mauvais  confeiller  d'Ab- 
falon  excitoit  les  peuples  fidèles  à  violer  les  loix  de  l'équité , 
ôc  à  répandre  le  fang  de  leurs  concitoyens ,  qu'ainfi  il  fonnoit 
le  tocfin,  pour  exciter  des  féditions  ,  ôc  remplir  la  France  de 
meurtres  Ôc  de  carnage. 

Au  refte,  la  conjoncture  des  tems  fît  defapprouver  l'ouvra- 
ge de  du  Tillet ,  par  la  haine  que  l'on  portoit  alors  aux  prin- 
ces delà  maifon  de  Guife,en  faveur  defquelsil  fembloit  avoir 
été  publié.  Mais  la  face  des  chofes  ayant  changé  fous  la  mi- 
norité de  Charle  IX.  le  chancelier  de  l'Hôpital  ,  qui  voyoit 
la  France  divifée  par  des  factions  ,  ôc  qu'elle  penchoit  vers  fa 
ruine ,  par  l'ambition  de  ceux  qui  avoient  la  principale  autorité , 
fit  valoir  ce  livre  ,  ôc  le  fit  inférer  dans  le  recueil  des  Ordon- 
nances Royaux.  Alors  les  princes  Lorrains  paroiffoient  fur- 
tout  occupez  du  foin  de  remplir  par  toutes  fortes  de  moyens  * 
préjudiciables  même  à  plufieurs  >  le  tréfor  Royal  ,  que  les 
guerres  paffées  avoient  épuifé.  Leurs  ennemis  ne  manquèrent 
pas  de  dire  que  ces  arrangemens  3  qui  paroiffoient  falutaires  à 
l'Etat,  étoient  pris  uniquement ,  pour  fournira  ces  Princes  de 
quoi  fatisfaire  leur  ambition  ôc  leur  cupidité. 

Il  vint  en  ce  tems-là  de  plufieurs  provinces  du  Royaume  un  Edit  inhi^ 
grand  nombre  de  perfonnes,  pour  demander  au  nouveau  Roi, 
qui  étoit  alors  à  Fontainebleau  ,  le  payement  de  ce  qu'elles 
prétendoient  leur  être  dû  3  ôc  folliciter  des  récompenfes  de  leurs 
fervices ,  des  penfîons  ôc  des  bénéfices.  Il  étoit  impoffible  de 
fatisfaire  tant  de  gens  ;  ôc  l'on  imagina  un  moyen  plus  court 
de  répondre  à  leurs  demandes.  Les  Guifes  donnèrent  au  Roi 
le  confeil  extrême  ôc  inhumain  }  de  faire  élever  un  gibet  aux 

Dddiij 


main. 


5pS  HISTOIRE 

m ■ -  environs  de  Fontainebleau ,  &:  de  donner  un  édit,  qui  fut  pu- 

Francois  bn<^  ^ecîue^  enjoignoit  à  toutes  perfonnes  de  quelque  condi- 
U*  tion  qu'elles  fulTent,  qui  s'étoient  rendues  à  la  Cour  pourfol- 
j  r  r  gm  liciter  despayemens  de  dettes ,  récompenfes  ou  bénéfices ,  d'en 
fortir  dans  vingt-quatre  heures ,  fous  peine  d'être  pendues.  Cet 
édit  imaginé  par  le  cardinal  de  Lorraine,  homme  violent, le 
rendit  fort  odieux ,  auffi  bien  que  le  duc  de  Guife  fon  frère. 
Ceux  qu'on  avoit  amufez  jufques-là  ,par  de  vains  détours  & 
de  belles  paroles,  ne  purent  fouffrir  un  traitement  fi  indigne; 
fur-tout  les  gens  de  guerre ,  qui  voyoient  avec  indignation 
que  leurs  grands  &  longs  fervices  demeuroient  fans  récom- 
penfe. 
Maladie  du  j^Q  j^Qj  qU^  ^toit  tourmenté  depuis  longtems  de  la  fièvre 
quarte ,  en  fut  alors  délivré.  Il  étoit  devenu  affez  grand ,  ôc 
il  paroiffoit  à  fon  âge  &  à  fa  taille ,  qu'il  étoit  en  état  de  gou- 
verner par  lui-même  5  ce  qui  flattoit  les  Guifes  ,  &  décrédi- 
toit  les  plaintes  de  leurs  ennemis.  Mais  la  mauvaife  fanté  du 
Prince  ne  laiffoit  pas  d'inquiéter  les  premiers.  Son  teint  or- 
dinairement pâle  &  livide  vint  à  fe  couvrir  de  puftules  &  de 
rougeurs.  Il  fe  rendit  à  Blois  par  l'avis  des  Médecins ,  pour 
y  refpirer  un  air  plus  pur  en  ce  lieu ,  où  il  avoit  pafTé  fon  en- 
fance. La  maladie  du  Roi  donna  lieu  à  une  fable  malicieu- 
fement  controuvée.  On  difoit  qu'il  avoit  la  lèpre ,  et  que  des 
hommes  chargez  d'ordres  fecrets  parcouroient  les  provinces 
-voifines  de  la  Loire ,  ôc  arrachoient  les  enfans  au-deffous  de 
iix  ans  d'entre  les  bras  de  leurs  mères,  pour  enfuite  les  égor- 
ger. On  ajoûtoit  que  le  Roi  avaloit  ce  fang  encore  chaud , 
&  s'y  baignoit ,  pour  corriger  la  nature  vicieufe  du  lien,  dont 
la  maffe  étoit  corrompue  5  &  que  les  Médecins  avoient  con- 
feillé  ce  remède.  On  ne  fçait  il  ce  furent  les  ennemis  des 
Guifes ,  ou  les  Guifes  mêmes  ,  qui  autoriferent  cette  fable  gé- 
néralement répandue  ,  ôc  fi  ces  Princes ,  qui  dès  lors  avoient 
les  plus  ambitieux  defleins ,  ne  vouloient  point  parla  rendre 
la  maifon  Royale  odieufe  ,  &  en  même  tems  irriter  l'efprit 
du  Roi  contre  les  Calviniftes,  comme  auteurs  d'une  fi  horri- 
ble calomnie.  Ce  qui  eftde  certain,  eft  que  les  Proteftans  im- 
putèrent dans  leurs  écrits  ce  menfonge  malicieux  au  cardinal  de 
Lorraine  ,  qui  l'avoit  autorifé  ,  difoient-ils  ,  non  pour  rendre 
odieux  un  Roi  fous  lequel  ils  étoient  tout-puiffans  3  mais  pour 


DE  J.   A.  DE   THOU,  Liv.  XXIII.         '399 
éprouver  la  patience  des  peuples ,  irritez  contre  la  domination  » 

des  Guifes.  On  prit  quelques-uns  de  ceux  qu'on  difoit  s'être  François 
chargez  de  ces  ordres  cruels ,  qui  furent  condamnez  au  dernier        j  \ 
fupplice  :  un  d'eux  foutint  avec  opiniâtreté  jufqu'à  la  mort ,     1  ç  ç  ç, 
que  le  cardinal  de  Lorraine  lui  avoit  donné  cette   horrible 
commifïion.  Quoiqu'il  en  foit,  il  efl  certain  que  le  Roi  dès 
fon  enfance  avoit  une  fanté  extrêmement  foible  j  ce  qu'on  attri- 
buoit  à  la  conftituticn  de  Catherine  deMedicis ,  qui  n'avoit  été 
fujette  que  très-tard  aux  incommoditez  ordinaires  des  femmes. 
On  difoit  auiTi  que  le  Roi  ne  fe  mouchant  ôc  ne  crachant  jamais, 
les  humeurs  avoient  pris  par  l'oreille  un  cours ,  qui  étant  con- 
tre l'ordre  de  la  nature,  avoit  enfin  caufé  cette  corruption, 
qui  fut  fuivie  de  fa  mort. 

Cependant  on  inftruifoit  le  procès  d'Anne  du  Bourg ,  &  des  procès  de 
autres  Confcillers  détenus  à  la  Baftile.  Les  Guifes  preflbient  <*«  Bourg. 
le  jugement  de  cette  affaire ,  croyant  s'attirer  par-là  l'affection 
des  peuples ,  &  leur  faire  oublier  une  domination ,  qui  étoit 
devenue  odieufe.  Avant  que  du  Bourg  eut  appelle  de  la  Sen- 
tence de  l'Evêque  de  Paris  à  l'Archevêque  de  Sens  ,  il  en  avoit 
appelle  comme  d'abus  au  Parlement  de  Paris;  fuivant  un  ufa- 
ge  fage  ,  utile  &  politique ,  reçu  depuis  plufîeurs  années  parmi 
nous ,  &  que  nos  pères  ont  heureufement  établi ,  pour  main- 
tenir en  même-tems  la  Religion  &  la  Majefté  royale  contre 
les  entreprises  de  la  juridiction  Eccléfiaftlque ,  lorfqu'elle  pafle 
les  juftes  bornes  de  la  puiflance  qui  lui  eft  donnée.  L'appel 
comme  d'abus  ayant  été  plaidé  à  l'audience  du  Parlement,  en 
préfence  des  cardinaux  de  Lorraine  &  de  l'Archevêque  de 
Sens ,  que  du  Bourg  avoit  recufez  comme  fufpects  5  il  fut  pro- 
noncé qu'il  n'y  avoit  point  abus.  L'affaire  ayant  été  ainfi  dé- 
voiuèà  l'Archevêque  de  Sens,  il  confirma  le  jugement  de  l'Of- 
ficial  de  Paris.  Du  Bourg  ayant  porté  au  parlement  un  fécond 
appel  comme  d'abus  de  la  Sentence  de  l'Archevêque,  on  dé- 
clara cet  appel  frivole  ,  &  interjette  par  attentat  au  premier 
Arrêt.  Enfin  le  jugement  de  l'Archevêque  de  Sens  ayant  été 
confirmé  par  l'Archevêque  de  Lyon ,  qui  étoit  alors  le  cardi- 
nal de  Tournon ,  du  Bourg  condamné  par  trois  fentences  con- 
formes ,  fut  renvoyé  à  l'Evêque  de  Paris. 

Comme  en  exécution  des  Sentences  on  dégradoit  du  Bourg; 
fuivant  l'ufage  ordinaire ,  du  caractère  de  Prêtre  ,  dont  il  étoit 
Tome  III.  D  d  d  iiij  * 


4co  HISTOIRE 

revêtu ,  il  déclara  qu'il  acceptoit  avec  joye  une  peine  qui  effa« 


François  çoitenlui  le  ligne  de  la  bête,  dont  il  eft  parlé  dans  l'Apo- 
j  j#        calypfe ,  &  qui  lui  ôtoit  toute  conformité  avec  V  Antechrift.  Plu- 
i  ç1  <  g.    fieurs  crurent  qu'il  avoit  voulu  prolonger  le  jugement  de  fon 
procès  par  fes  differens  appels ,  qui  donnèrent  lieu  à  des  procé- 
dures de  plufieurs  mois.  Il  avoit  expofé  d'une  manière  allez  équi- 
voque fes  fentimens  fur  îa  Religion  dans  fes  premiers  interroga* 
toires:  fes  amis  lui  confeilloient  d'adoucir  fes  juges  par  des  répon- 
fes  modérées,  &  d'éviter  par  là  un  Arrêt  rigoureux.  Au  contraire 
les  partifans  des  nouvelles  opinions  l'encourageoient  fortement 
par  un  Miniftre  de  leur  Religion ,  à  perfifter  dans  fes  fentimens. 
Le  Miniftre  lui  répetoit  fans  ceiTe ,  qu'il  ne  devoit  pas  par  un 
difcours  équivoque ,  abandonner  la  caufe  de  Dieu ,  qui  ne  l'a- 
bandonneroit  pas  >  que  Dieu  étoit  plus  puiflant  que  les  hom- 
mes >  qu'il  devoit  perféverer ,  &  ne  pas  préférer  une  vie  cour- 
te &  paflagere  à  un  bonheur  éternel  ■>  que  fes  juges,  quoique 
malintentionnez  pour  lui,  feroient  déconcertez ,  s'ils  le  voyoient 
inébranlable  dans  fa  foi  j  que  fi  le  Seigneur  en  ordonnoit  au- 
trement ,  il  feroit  comblé  d'une  gloire  éternelle ,  &  triomphe- 
roit  avec  les  Saints ,  en  préfence  de  Dieu  &  des  Anges ,  après 
avoir  laiffé  aux  hommes  cette  grande  leçon ,  qu'il  faut  préférer 
la  vertu  à  toutes  chofes  :  qu'il  devoit  donc  rejetter  les  lâches 
confeils  de  fes  amis  qui  vouloient  lui  perfuader  de  ménager 
fa  vie,  au  préjudice  de  fa  réputation  &  de  fon  falut  éternel  a 
&  fe  préparer  avec  un  grand  courage ,  &  une  confcience  pure  s 
à  foutenir  le  combat.  Ces  difcours  ayant  fait  plus  d'impreffion 
fur  l'efprit  de  du  Bourg ,  que  ies  confeils  de  fes  amis ,  il  écri- 
vit au  Parlement  ;  que  s'il  avoit  jufques-là  interjette  differens 
appels ,  que  ce  n'avoit  point  été  pour  prolonger  fa  vie  ,  qu'il 
avoit  eu  recours  à  ces  formes  de  l'ordre  judiciaire  ?  mais  pour 
ne  rien  omettre  de  ce  qui  pouvoit  foutenir  la  juftice  de  fa  cau- 
fe ,  &  afin  que  fon  affaire  étant  plufieurs  fois  difcutée  fut  mieux 
éclaircie.  Il  joignit  à  cette  lettre  un  mémoire  contenant  fa  con- 
feffion  de  foi,  où  il  rétractoit  la  première  qu'il  avoit  faite, 
comme  conçue  en  termes  ambigus ,  &  où  il  en  propofoit  une 
nouvelle ,  en  tout  conforme  à  celle  de  Genève ,  &  des  Suifles 
Proteftans,  il  y  déclamoit  auiïi  contre  le  Pape  ,  &  difoit  qu'il 
vouloit  vivre  &  mourir  dans  cette  croyance. 

En  ce  tems-là  le  Roi  reçut  une  lettre  de  Frédéric  Electeur 

Palatin 


DE  J.   A.  DE   THOU,   Liv.    XXIII.       401 

Palatin,  qui  le  prioit  de  faire  grâce  à  du  Bourg,  ôc  de  vouloir  ~- 

bien  le  lui  envoyer.  Ce  fut  peu  après  que  le  Préiident  Minard  François 

revenant  du  Palais  à  fa  maifon ,  qui  en  étoit  fort  éloignée ,  fut  II. 

blefle  à  mort  vers  la  fin  du  jour ,  d'un  coup  de  piftolet  qu'on  1  S  S  ?• 

lui  tira.  On  fçut  depuis  que  le  Maître  Ôc  Saint  André  auroient  _     .. 

^,1  >  Ç-i      z1  •  iv         r>  1   •    1»  Supplice 

eu  le  même  iort ,  s  ils  etoient  venus  ce  jour  la  au  râlais  1  après  d'Anne  du 
dinée.  Du  Bourg  avoit  plufieurs  fois  recufé  Minard ,  comme  un  Bowg. 
homme  qui  avoit  donné  des  confeils  violens  au  feu  Roi ,  ôc 
dont  les  mœurs  n'étoient  pas  d'ailleurs  irréprochables  j  &  il  avoit 
ajouté,  que  s'il  ne  s'abftenoit  de  lui-même  d'être  fon  juge,  il 
y  feroit  contraint  par  quelque  moyen.  Quoique  ce  discours 
fût  plutôt  un  effet  de  la  prévoyance  de  du  Bourg,  que  de  fa 
complicité,  cependant  il  donna  lieu  de  croire  qu'il  fçavoit  quel- 
que chofe  des  deffeins  qu'on  avoit  contre  le  Préiident.  Cet 
attentat  hâta  la  perte  de  du  Bourg  :1e  cardinal  de  Lorraine  di- 
foit  que ,  par  refpecl  pour  la  mémoire  du  feu  Roi ,  on  devoit  le 
punir;  il  craignoit  d'ailleurs,  que  le  Roi  fe  rendant  aux  inftan- 
ces  de  l'Electeur,  ne  lui  rendît  le  prifonnier  ,  dont  l'impunité 
augmenterait  la  hardieflede  ceux  quiavoient  ofé  aflafliner  Mi- 
nard. Ainfi  trois  jours  après,  les  Commiflaires  le  condamnèrent  à 
la  mort.  Lorfque,  fuivant  l'ufage  ,  on  lui  lut  fon  jugement,  il 
n'en  parut  point  confterné  ;  ôcdit,  qu'il  pardonnoità  fes  juges, 
qui  avoient  jugé  félon  leur  confcience  3  mais  non  félon  la  fcien- 
ce  qui  vient  d'enhaut ,  ôc  félon  la  fageffe  de  Dieu.  Enfuite , 
ayant  comme  adreffé  fon  difcours  à  fes  juges ,  il  dit  plufieurs 
chofes  fur  le  jugement  éternel  de  Dieu ,  ôc  s'animant  un  peu, 
il  finit  ainfî  :  Eteignez  vos  feux  ,  <&  renonçant  à  vos  vices ,  conver- 
îiffez-vous  à  Dieu  >  afin  que  vos  péchez  foient  effacez }  &  vousfoient 
remis.  Que  Nnjujîe  abandonne  fa  voie ,  &  que  détejlant  fes  deffeins 
pervers,  il  retourne  au  Seigneur ,  &  il  aura  pitié  de  lui.  Pour  vous, 
o  Sénateurs  t  vivez  heureux.  Penfez  fans  ce/Je  à  Dieu ,  &  en  Dieu» 
Je  vais  avec  joie  à  la  mort.  Ayant  dit  ces  paroles ,  qui  furent 
recueillies  par  le  Greffier,  ôc  que  j'ai  ici  copiées  ,  il  fut  con- 
duit dans  un  tombereau  à  la  Grève  (  lieu  deftiné  pour  le  fup- 
plice)  entouré  d'un  grand  nombre  de  foldats  à  pié  ôc  à  che- 
val, comme  fi  on  eût  appréhendé  une  émotion  populaire.  Là 
il  dit  peu  de  chofes  au  peuple ,  comme  il  l'avoit  promis ,  ôc 
ajouta  qu'il  avoit  été  condamné  ,  non  comme  un  voleur,  mais 
pour  l'Evangile  de  Dieu  3  enfuite  il  ôta  lui-même  fes  habits. 
Tom.  IIL  Eee 


402  HISTOIRE 

"" ;  Lorfqu'il  montoit  à  l'échelle,  on  l'entendit  prononcer  ces  mots' 
François  plufieurs  fois  :  Mon  Dieu  ne  rrf  abandonnez  pas  >  de  peur  que  je 
II.         ne  vous  abandonne.  Enfuite  il  fut  étranglé,  ôc  jette  dans  le  feu. 
1  S  S  9'     Telle  fut  la  fin  d'Anne  du  Bourg  à  l'âge  de  trente-huit  ans.  II 
étoit  né  à  Riom  en  Auvergne  dune  famille  riche,  dont  étoit 
forti  Antoine  du  Bourg  Chancelier  de  France  fous  François  I. 
Après  avoir  profeiTé  le  droit  à  Orléans  avec  un  grand  fuccès, 
il  fe  diftingua  encore  davantage  par  fon  intégrité  dans  le  Par- 
lement de  Paris,  où  il  avoit  été  reçu  Confeiller.  Plufieurs,  ôc 
ceux  mêmes  qui  condamnoientfes  fentimens,  firent  des  vœux 
pour  fa  liberté  durant  fa  prifon ,  ôc  folliciterent  en  fa  faveur, 
ôc  tous  donnèrent  des  larmes  finceres  à  fa  mort.  Mais  ceux 
qui   avoient  abandonné  le  culte  de  l'Eglife  Romaine  ,  fu- 
rent confirmez  dans  leur  Religion  par  fa  confiance  ,  ou  telle- 
mentanimez  par  fon  fupplice,  qu'on  croit  que  de  fes  cendres 
il  fortit ,  fi  je  puis  parler  ainfi  ,  une  moiflbn  funefle  de  confpi- 
rations  ôc  de  révoltes,  qui  défolerent  ce  Royaume  jufques-là 
fi  floriffant. 
jugement        Enfuite  les  CommifTaires  jugèrent  les   autres   Confeiîlers. 
très  Confeil-  H  eft  à  propos  de  dire  que  la  Grand'Chambre  du  Parlement- 
lers.  de  Paris  penfoit  autrement  que  la  Tournelle  ,  fur  les  peines 

dont  on  devoit  punir  les  Sedaires.  Celle-ci  penchoit  vers  la 
douceur,  ôc  croyoit  qu'on  ne  devoit  les  punir  que  par  l'exil, 
ôc  par  d'autres  peines  afflictives  de  cette  efpece  ;  au  lieu  que 
ceux  de  la  Grand'Chambre  étoient  d'avis  que  l'on  condam- 
nât les  Proteftans  au  dernier  fupplice.  C'elt  ce  qui  avoit  occa- 
fionné  la  Mercuriale  ,  dont  j'ai  parlé,  où  le  Confeiller  Eufta- 
che  de  la  Porte  avoit  donné  en  opinant  de  grandes  louanges 
aux  premiers,  ôc  avoit  blâmé  avec  aigreur  la  févérité  outrée 
des  autres.  La  Porte  fut  condamné,  par  le  jugement  des  Com- 
mifTaires déléguez  ,  à  déclarer  en  plein  Parlement,  qu'il  approu- 
voit  fans  réferve,  ôc  refpecloit  les  Arrêts  delà  Grand'Cham- 
bre. Paul  deFoix  qui  avoit  été  d'avis ,  qu'on  fît  une  diftinttion 
dans  les  peines,  dont  onpuniroit  les  Sectaires ,  ôc  qu'on  châ- 
tiât plus  févérement  ceux  qui  nioient  la  réalité  des  Sacremens 
de  la  Religion  ,  que  ceux  qui  formaient  des  doutes  fur  la  for- 
me des  Sacremens  ,  fut  condamné  à  déclarer  ,  les  Chambres 
affemblées  ,  que  dans  le  Sacrement  de  l'autel  la  forme  eft  in- 
féparable  de  la  matière ,  ôc  que  cette  forme  eft  celle  dont  fe 


DE  J.   A.  DE  THOU,  Liv.  XXIII.      4°3 

fert  l'Eglife  Romaine  :  de  plus  il  fut  interdit  pour  un  an.  Le 
procès  du  Confeiller  du  Faur  fut  d'une  plus  grande  difcufïïon,  François 
parce  qu'il  fe  défendit  avec  courage  ,  ôc  qu'il  anima  par  là  fes  H- 
ennemis,  Jl  a  voit  préfenté  une  requête  au  Parlement,  ou  ildi-  l  5  5  9- 
foit,  qu'il  lui  avoit  été  miraculeufement  révélé  (il  fe  fervoit 
de  ces  termes  de  peur  d'être  obligé  de  nommer  les  perfon- 
nes  )  que  Saint  André,  qui  préfidoit  à  la  commiffion ,  non  feu- 
îement  blâmoit  avec  aigreur  l'avis  des  autres  juges  ;  mais  même 
qu'il  les  intimidoit  par  des  menaces ,  ôc  génoir  la  liberté  des 
furfrages  j  qu'ainfi  il  demandoit  qu'il  lui  fût  permis  de  le  re- 
cufer  comme  fufpecl.  Mais  comme  il  ne  citoit  aucuns  témoins 
pour  autorifer  fa  recufation ,  il  fut  jugé  coupable ,  pour  avoir 
ofé  témérairement  avancer,  qu'il  n'y  avoit  point  de  remède  plus 
fur  pour  extirper  les  héréfies ,  que  l'affemblée  d'un  Concile 
œcuménique,  ôc  qu'en  attendant  on  devoitfufpendre  lesfup- 
plices  dont  on  puniiToit  les  Sectaires.  On  le  condamna  à  de- 
mander pardon  à  Dieu  ,  au  Roi ,  &  à  la  Juftice  ,  à  une  inter- 
diction de  cinq  ans,  ôc  à  payer  une  amende  de  cinq  cens  li- 
vres au  profit  des  pauvres.  Cette  amende  fut  ajoutée,  afin 
que  le  jugement,  qui  ne  le  privoit  que  pour  un  tems  des  fonc- 
tions de  fa  charge ,  parût  emporter  une  note  d'infamie.  On 
ordonna  de  plus  que  la  Sentence  feroitlûë  en  plein  Parlement 
ôc  y  feroit  exécutée.  Cependant  du  Faur ,  qui  étoit  ferme  ôc 
intrépide ,  protefta  contre  un  jugement  qu'il  difoit  vicieux ,  ôc 
extorqué  par  Saint  André  ,  qui  avoit  intimidé  les  autres  juges. 
Le  président  deThou,  indigné  contre  les  intrigues  ôc  contre 
îes  violences  des  ennemis  de  du  Faur  ,  étoit  d'avis ,  qu'on  ne 
devoitpas  rejetter  fa  proteftation ,  énoncée  dans  une  requête 
qu'il  avoit  préfentée  au  Parlement ,  puifque  perfonne  n'igno- 
roit  les  emportemens  de  Saint- André.  Comme  on  opinoit  là- 
deffus,il  s'éleva  de  grandes  difputes  :  les  Confeillers  étant  fort 
oppofez,  ôc  opinant  avec  grande  animofité,  le  Roi  évoqua 
cette  affaire ,  fur  le  prétexte  qu'il  étoit  de  très-mauvais  exem- 
ple ,  que  des  juges ,  qui  doivent  conferver  entre  eux  la  paix , 
la  modération  ôc  la  concorde  ,  combattiffent  leurs  avis  mutuels 
avec  tant  d'aigreur.  Cet  arrêt  du  Confeil  paroiffoit  rendu  en 
faveur  de  Saint  André,  lequel  fut  obligé  néanmoins,  quoiqu'ap- 
pefanti  par  les  années ,  de  comparoître  à  la  Cour  fur  les  vives 
inftances  de  du  Faur ,  qui  ne  cefla  d'importuner  à  ce  fujet  te 

Eee  ij 


4o4  HISTOIRE  < 

.  cardinal  de  Lorraine.  L'affaire  ayant  été  difcutée  au  Confeil 

François  ^u  ^°*'  aPr^s  ^e  v*ves  conte^ations  fut  renvoyée  au  Parle- 

jj  ment,  qui  l'examina  une  féconde  fois ,  ôc  ordonna  que  leju- 

x  -  1  Q      gement  des  CommifTaires  députez  feroit  rayé  Ôc  biffé  des  re- 

giftres  ,  ôc  que  du  Faur  feroit  rétabli  dans  les  fondions  de  fa 

Jugement  des      l 
Commiflaires   cnaige. 

rayé  &  biffé.  Le  courage  ôc  la  fermeté  de  ce  Confeiller,  qui  lui  réulîît 
heu reufe ment ,  ouvrit  un  chemin  à  Paul  de  Foix  ,  pour  faire 
annuller  dans  la  fuite  le  jugement  rendu  contre  lui,  ôc  pouu 
rentrer  dans  les  prérogatives  de  fa  dignité.  Le  préfident  de 
Thou  le  fervit  utilement ,  ôc  fit  réformer  par  lés  chambres  af- 
femblées ,  ôc  après  une  mûre  délibération  3  un  jugement  où  l'am- 
bition d'un  petit  nombre  avoit  eu  part.  Paul  de  Foix  fut  ho- 
noré dans  la  fuite  de  plufieurs  ambaffades  ,  où  fa  capacité ,  fon 
adreffe  ôc  fa  prudence  lui  acquirent  beaucoup  de  gloire.  Il  fut 
même  envoyé  à  Rome  ,  à  la  follicitation  du  cardinal  de  Pelle- 
vé.  Il  eft  vrai  qu'il  y  fut  traité  indignement  par  Grégoire  XIII. 
qui  crut  devoir  plutôt  avoir  égard  à  une  fentence  rendue  pas 
quelques  juges  dévouez,  ôc  contraire  au  privilège  des  Of- 
ficiers du  Parlement,  qu'à  l'Arrêt  pofterieur  donné  les  Cham- 
bres affemblées. 

Les  CommifTaires  n'avoient  plus  qu'Antoine  Fumée  à  ju* 
ger.  Celui-ci  ayant  trouvé  le  moyen  de  reprocher  une  partie 
de  fes  juges,  ôc  d'en  avoir  d'autres,  en  untems  où  les  animo- 
fitez  étoient  rallenties ,  fut  plus  heureux  que  ne  Tavoient  été 
fes  confrères  accufez.  On  croit  que  la  Reine  mère  follicita  fes 
juges  en  fa  faveur ,  à  la  recommandation  du  feigneur  de  Par- 
tenai  de  Soubife  favori  de  cette  PrincefTe ,  ôc  ami  particulier 
de  Fumée.  Ce  Confeiller  ayant  été  élargi  ôc  rétabli  dans  fa 
charge  ,  fe  préfenta  au  Parlement  ôc  lui  rendit  de  très-humbles 
grâces  ,  de  ce  que  les  Magiftrats  équitables  de  ce  corps  lui 
avoient  enfin  rendu  juftice ,  en  un  tems  où  d'infâmes  délateurs 
n'avoient  plus  ofé  paroître,  Ôc  où  les  nuages  étant  difîîpez  , 
le  calme  ôc  la  tranquillité  avoient  régné  dans  les  efprits.  De 
Thou  eut  auffi  beaucoup  de  part  dans  le  jugement  favora^ 
ble  qu'obtint  Fumée.  Ce  Préfident,  foûtenu  de  fa  feule  innocen- 
ce ,  ne  craignit  point  dans  ces  tems  orageux  de  s'expofer  à  la 
haine  ou  à  l'envie  de  plufieurs  >  pour  fauver  tant  d'illuftres 
Magiftrats. 


DE   J.  A.  DE   THOU  ,  Lrv.  XXIÏÏ.        40? 

Cependant  des  hommes  ennemis  de  la  paix  ne  ceflbient  de  . 
preffer  les  princes  Lorrains  de  venger  le  meurtre  de  Alinard.  François 
Le  Procureur  général  Bourdin  envoya  à  la  Cour  un   certain 
des  Croifettes  fon  émiffaire  ,  pour  lui  déclarer  au  nom  du  Parle-     l  $  5  9* 
ment,  qu'on  avoit  des  preuves,  que  Robert  Stuard  Ecoffois  de- 
voit  un  certain  jour  avec  fes  complices  mettre  le  feu  en  plu- 
fleurs  quartiers  de  Paris ,  ôc  brifer  les  portes  des  prifons  >  où, 
les  Seclaires   étoient   renfermez  ,  tandis  que  le  peuple  feroit 
occupé  à  éteindre  les  incendies.  Cette  dénonciation  donna 
lieu  à  une  déclaration  du  Roi  datée  de   Chambor  ,  qui  or- 
donnoit  au  Parlement  de  châtier  féverement  les  perfonnes  fuf- 
pe£tes  ,  ôc  de  travailler  fans  retardement  à  leur  procès.  On  tira 
donc  de  toutes  les  chambres  du  Parlement  des  juges  ,  pour  corn- 
pofer  quatre  tribunaux  extraordinaires ,  qui  travaillaient  à  ces 
affaires.  Bientôt  les  prifons  demeurèrent  vuides  ;  les  uns  ayant 
été  condamnez  à  mort  ;  les  autres  à  faire  amende  honorable^ 
à  être  bannis ,  ou  à  fubir  d'autres  peines.  On  avoit  arrêté  aufli 
Robert  Stuard ,  qui  reclama  en  vain  la  protection  de  la  '  jeune 
Reine ,  dont  ilfe  difoit  parent  :  cette  Princeffe  qui  vouloit  obli- 
ger les  Guifes  fes  oncles,  nia  qu'il  eût  cet  honneur.  Comme  on 
ne  trouva  point  de  preuves  allez  fortes  contre  lui,  il  fut  appliqué 
à  la  queftion  ,  qu'il  foûtint  fans  rien  avouer,  ôc  fut  enfuite  laifle 
dans  la  prifon,parce  qu'on  le  craignoit.  En  cetems  là  on  tua  allez 
près  de  Chambor  un  homme  appelle  Julien  Firmin,  qui  étoit 
aux  Guifes  ,  ôc  qui  étoit  chargé  de  pîufieurs  de  leurs  lettres 
pour  différentes  perfonnes  5  ce  qui  irrita  extrêmement  ces 
Princes. 

La  Reine  mère,  ôc  les  Guifes  ne  voyoient  qu'avec  peine    Origine  des- 
que  pîufieurs  demandoient  une  affemblée  des  Etats,  qui  au-  £ret^sam^s°~ 
roit  donné  des  bornes  à  leur  puiffance.  Ils  accufoient  de  re-  &  des  petites 
bellion  ceux  qui  ofoient  propofer  cette  convocation  5  ôc  voyant  ^mages  de. 
que  les  Proteftans ,  dont  le  nombre  devenoit  plus  grand  de  font  au  coiï3 
jour  en  jour,  fe  joignoient  aux  premiers,  pour  appuyer  leur  de-  des'-ues  <te 
mande  ,  ils  jugèrent  à  propos  d'écarter  ces  derniers  }  en  les-        * 
intimidant  par  la  rigueur  des  fupplices.  On  eut  recours  à  une 
infinité  d'artifices  pour  les  perdre,  ôc  on  leur  tendit  des  pièges 
de  toute  manière,  pour  avoir  lieu  de  punir  ceux  qui  le  meri- 
toient  le  moins.  Car  ce  fut  alors  qu'on  plaça  dans  les  villes3: 

1.  Marie  Stuard. 

ee  m 


40$  HISTOIRE 

Ôc  fur-tout  à  Paris ,  au  coin  des  rues ,  de  petites  Notre-Dames, 
François  &  des  images  de  Saints,  ornées 6c  couronnées  de  fleurs  ,  de- 
II.        vant  qui  on  allumoit  des  cierges  ôc  des  chandelles.  Des  valets, 
1  5  S  9*     des  porte-faix ,  des  porteurs  d'eau ,  ôc  d'autres  gens  de  la  lie 
du  peuple  s'affeinbloient  devant  ces  ftatuës ,  Ôc  y  chantoient  des 
;cantiques  d'une  manière jufqu'alors  innouie,  au  mépris  delà 
difcipline  de  l'Eglife ,  ôc  des  fonctions  facrées  de  nos  Prêtres. 
Près  de  ces  images  étoient  pofez  de  petits  troncs  ,  où  les  paf- 
fans  étoient  forcez  par  des  gens  chargez  de  cet  emploi,  de  met- 
tre de  l'argent  pour  l'entretien  des  lumières.  Si  on  refufoit  de 
payer  ;  fi  on  paffoit  devant  les  ftatuës  fans  les  faluer ,  quoique 
ce  fût  fans  defîein  ;  Ci  enfin  on  ne  s'arrêtoit  pas  avec  refpecl, 
lorfque  le  bas  peuple  entonnoit  ces  chants  ridicules  ,  on  étoit 
aufïi-tôt  maltraité,  comme  hérétique  ou  fufpecl  ;  ôc  on  fe  croyoit 
heureux  de  n'avoir  eu  que  des  coups ,  de  n'avoir  été  que  traî- 
né dans  la  boue  ,  ôc  d'être  conduit  en  prifon ,  fans  avoir  per- 
du la  vie.  Ces  indignes traitemens,  bien  loin  d'abattre  les  enne- 
mis de  la  Cour  ôc  les  Proteftans,  les  irritèrent  au  dernier  point, 
les  obligèrent  à  s'unir  encore  davantage ,  ôc  à  former  une  con- 
juration la  plus"  hardie  ôc  la  plus  mémorable  qui  foit  dans  nos 
annales.  Nous  en  parlerons  dans  le  livre  fuivant ,  après  avoir 
rapporté  dans  celui-ci  les  affaires  étrangères. 
Affaires  d'I-       Après  qu'on  eut  rendu,  en  conféquence  de  la  paix ,  Mariem- 
bourg  ville  du  payis  de  Luxembourg,  Ivoi,  Mont-midi,  ôc 
quelques  châteaux  voifms  ;  Briffac  ayant  fait  fortir  fon  canon 
de  Valence ,  déclara  qu'il  étoit  prêt  d'évacuer  les  autres  places 
d'Italie  comprifes  dans  le  traité.  Cependant  les  Siennois,  aveu- 
glez par  le  defir  de  conferver  leur  liberté  j  crurent  que  leurs 
affaires  avoient  changé  de  face  par  la  mort  de  Henri  II;  quoi- 
que Jean  Evrard  de  Saint  Sulpice  fut  arrivé  à  Montalcino , 
ôc  que  Guevara  prefsât,  afin  qu'on  remît  les  villes  de  Tof- 
cane  entre  les  mains  du  Roi  d'Efpagne,  comme  l'on  en  étoit 
convenu.  Le  Duc  de  Florence ,  qui  craignit  qu'un  plus  long  re- 
tardement ne  nuisît  à  fes  affaires ,  donna  ordre  à  Vitelli  d'atta- 
quer les  Siennois  au  nom  du  Roi  d'Efpagne,  s'ils  refufoient 
de  lui  obéir ,  après  que  la  garnifon  Françoife  feroit  fortie  de 
Montalcino  ;  ôc  il  dépêcha  en  même  tems  Léon  Santi  à  Ben- 
tivoglio,  pour  traiter  avec  lui.  Ce  dernier  n'obtint  pour  recom- 
penfe  de  tant  de  travaux  ,  que  la  feule  ville  de  Magliano 


Salie. 


Kùatrœr 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIII.      4°7 

avec  fes  revenus  ;  à  condition  qu'il  rendroit  Ottieri  à  Pandolfe  < 
Sinolfo  ancien  feigneur  de  la  ville  ;  ce  qui  fut  accepté  par  Ben-  François 
tivoglio,  pourvu  qu'on  l'indemnifàt  des  frais  qu'il  avoit  faits         jj 
pour  fortifier  cette  place.  Il  fe  rencontroit  encore  une  autre      1  c  c  o, 
difficulté  j  c'eft  qu'on  devoit  aux  garnifons  Françoifes  plufieurs 
mois  de  leur  folde ,  &'  que  le  Roi  n'ayant  pas  de  fonds  en  Ita- 
lie pour  les  payer ,  il  y  avoit  lieu  de  craindre  qu'elles  ne  Ment 
des  actes  d'hcftilité.  On  fçavoit  auffi  que  des  foldats  Gafcons, 
qui  étoient  en  garnifon  à  Grofletto ,  avoient  été  fur  le  point  de 
maltraiter  le  Gouverneur  delà  ville,  à  l'occafion  de  leur  paye, 
ôc  qu'il  avoit  été  obligé  de  s'enfuir  dans  la  citadelle.  Les  Fran- 
çois en  avoient  ufé  de  même  à  Radicofani.  Cependant  on  retira 
les  garnifons,  &  l'artillerie  de  Montalcino  ,  de  Chiufi,  de  Mon- 
tichiello ,  ôtdu  Val-d'Orcia. 

Les  bannis  de  Sienne  ,  foit  pour  combattre  jufqu'à  îa  fin  ^Sbumafc- 
pour  leur  liberté  ,  foit  à  la  perfuafion  du  comte  Nicolas  de  Peti-  ne  eft 'donnée 
gliano  ,  à  qui  la  puiffance  de  Côme  faifoit  ombrage  ,  ani-  ?"  duc  de 
moient  fous  main  les  foldats  François  de  GrolTetto  ,  ôc  de 
Radicofani ,  &  leur  promettoient  de  leur  payer  les  appoin- 
temens  qui  leur  étoient  dûs ,  s'ils  perfiftoient  dans  leurs  defîeins. 
Côme  envoya  donc  Vitelli  avec  fept  enfeignes  de  gens  de 
pié ,  pour  joindre  cent  cinquante  maîtres ,  qui  étoient  déjà 
arrivez  à  Buonconvento.  Ayant  pris  la  Tour  du  Saîe ,  qui  com- 
mande les  côtes  de  la  mer ,  il  mit  le  fiége  devant  la  ville, 
Alors  les  Siennois,qui  occupoient  encore  les  citadelles  de  Mon- 
talcino ,  ôc  de  Chiuli ,  fe  voyant  trop  foibles  pour  réfifter  aux 
forces  réunies  du  Roi  d'Efpagne  ôc  du  Duc  de  Florence  dépu- 
tèrent à  ce  dernier  deux  de  leurs  citoyens ,  Palmieri  ôc  Ballati  > 
qui  furent  joints  par  Sergardi  ôcTolomei,  pour  traiter  avec 
ce  Prince  à  de  certaines  conditions ,  que  Bentivoglio,  qui  avoit 
fait  fon  accommodement ,  leur  avoit  fait  efperer.  Sur  ces  en- 
trefaites ,  le  lieutenant  de  Moretto,  qui  commandoit  dans  Mon- 
tepefcali ,  ayant  été ,  comme  l'on  croit ,  corrompu  par  argent, 
livra  fa  place  àlnghilefco  Calefati ,  que  Vitelli  lui  avoit  envoyé, 
&  fe  retira  à  Buriano  ,  château  qui  dépend  de  Piombino3 
où  étoit  Moretto.  Enfuite  ceux  de  Radicofani  abandonnèrent 
la  ville ,  après  avoir  tué  le  chef  de  leurs  bandes  qui  les  com- 
mandoit ;  après  quoi  les  habitans  de  Groffetto  ayant  fait  aufïi 
leur  accord  s  eurent  pour  gouverneur  Checco  Sperelli  de- 


4o8  HISTOIRE 

-  Peroufe  avec  vingt-cinq  foldats.  Il  falîoit,  fuivantun  arti- 

Jtrançois  cle  du  traité  de  paix,  que  les  Siennois  rendiiïent  les  places  à 
II.  Guevara  ,  qui  étoit  venu  en  Italie  pour  en  prendre  poffeilion 
ï  S  S  9»  au  nom  de  Philippe,  ôc  que  Guevara  les  remît  enfuite  au  Grand 
Duc.  On  convint  d'un  jour,  où  Guevara  miniitre  duRoid'Ef- 
pagne ,  Angelo  Nicolini  préïident  de  Sienne  ,  Frédéric  de 
Montauto  gouverneur  de  la  place,  ôc  François  de  Montau- 
to agent  de  Côme  ,  partiroient  de  Buonconvento.  Spinel- 
îi  ôc  Tolomei  vinrent  au  devant  d'eux ,  avec  une  troupe 
de  jeunes  Siennois ,  qui  tenant  à  la  main  des  rameaux  d'oli- 
vier, prononçoient  de  tems  en  tems  le  mot  de  Paix,  &  le  nom 
de  Medicis.  On  arriva  enfin  à  Montalcino,  où  Alexandre  Van- 
nocci  chef  du  peuple  conduiiit  en  pompe  les  miniftres  des  Prin- 
ces à  l'Hôtel  de  ville.  Après  qu'on  eut  lu  à  haute  voix  les  or- 
dres du  Roi  d'Efpagne  ,  les  Siennois  prêtèrent  ferment  de  fi- 
délité ,  tant  pour  Montalcino ,  que  pour  les  autres  places ,  entre 
les  mains  de  Guevara,  qui  étoit  alîis  entre  le  chef  du  peuple ,  ôc  le 
premier  Magiftrat  de  la  République.  Enfuite  on  lui  apporta , 
fuivantPufage ,  les  clefs  de  la  ville  ôc  de  la  citadelle.  Puis  Gue- 
vara ayant  marché  dans  la  ville ,  comme  reprefentant  le  Sou- 
verain, ôc  ayant  exhorté  les  citoyens  à  exécuter  les  articles 
conclus  entre  les  deux  Rois,  remit  à  Nicolini  ôc  à  Montauto 
tous  les  droits  du  Roi  fon  maître ,  ôc  en  tranfmit  la  fouverai- 
neté  ôc  le  domaine  au  duc  de  Florence;  après  quoi  Mon- 
tauto entra  dans  la  ville  avec  une  garnifon  de  deux  cens  hom- 
mes. Cela  fe  pafla  le  quatrième  jour  d'Août  >  mois  qui  avoit 
toujours  été  heureux  à  Côme.  En  même  tems  Afcagne  Bertini 
envoya  Bombaglino  d'Arezzo,  Simeon  RofTermini,  ôc  Francia 
Goracci ,  pour  prendre  pofTelIion  de  Chiufi,  de  Grofletto,  ôc  de 
Radicofani.  C'eft  ainfi  que  Côme  fe  vit  le  maître  de  toutes 
les  places  de  la  République  de  Sienne,  à  l'exception  de  Por- 
tercole,  de  Telamone,  d'Orbitello,  ôc  de  Monte-Argentaro, 
que  Philippe  s'étoit  refervez. 

Côme  ne  voyoit  qu'avec  chagrin ,  que  la  ville  de  Soana 
demeurât  entre  les  mains  de  Petigliano.  Celui-ci  avoit  repris 
cet  ancien  patrimoine  de  fes  pères ,  à  la  faveur  de  la  défection 
des  habitans  ,  qui ,  dans  les  troubles  de  cette  guerre,  s'étoient 
révoltez  contre  les  Siennois  >  ôc  s'étoient  donnez  à  leur  premier 
Seigneur.  Côme  engagea  donc  Guevara  3  à  preflerPe  igliano 

dexécuter 


DE  J.  A.  DE   THOU,Lïv.  XXIII.       ^o9 

d'exécuter  le  traité  de  paix ,  en  lui  reftituant  cette  ville  là.  Mais  — 
le  Comte  alléguant  fes  anciens  droits  refufa  de  la  rendre.  Cô-  François 
me  le  laifla  tranquille  pour  un  tems ,  efperant  que  le  crédit  qu'il         H- 
avoit  auprès  du  Roi,  Ôc  que  la  conjoncture  des  tems  lui  pro-     i  S  5  9* 
cureroient  cette  reftitution,  qu'il  fouhaitoit  avec  ardeur.  Mo- 
retto  lui  rendit  en  même-tems  Buriano  ,  ôc  Corne  de  fon  côté 
ayant  rendu  Piombino  à  fon  légitime  Souverain ,  fe  tint  en  repos 
pour  un  tems.  C'eft  ainfi  que  la  paix ,  fut  enfin  rétablie  en  Ita- 
lie ;  après  que  les  François  eurent  retiré  leurs  troupes  du  Mont- 
ferrât ,  de  Fille  de  Corfe  ,  ôc  du  Piémont  ,  à  l'exception  des  cinq 
villes  ,  dont  nous  avons  parlé. 

On  apprit  en  même-tems  que  l'Empereur  Ferdinand  venoit 
de  ligner  une  trêve  avec  Soliman.  Ce  Sultan  alors  occupé  uni- 
quement des   affaires  de  l'Afie  >  où  les  Princes  fes  fils  fe  dif- 
putoient  parles  armes  lafucceiîionde  leur  père  encore  vivant, 
venoit  de  laiffer  l'Europe  tranquille,  ôcde  faire  marcher  toutes 
fes  forces  vers  l'Orient.  D'un  autre  côté  ,  Philippe  fe  voyant  en 
paix  avec  la  France,  commença  à  penfer  à  une  expédition  contre 
Tripoli,  qui  fut  remife  à  l'année  fuivante,  ôc  dont  nous  par- 
lerons dans  la  fuite.  Ce  Prince  étant  fur  le  point  de  retourner; 
en  Efpagne ,  fe  rendit  à  Gand ,  où  ayant  tenu   le  Chapitré 
des  Chevaliers  delà  Toifon  d'or,   qui  étoient  à  fa  Cour,  il 
âfîbcia  à  cet  Ordre  les  ducs  de  Mantouë  ôc  d'Urbin ,  Ôc  rendit 
le  Collier  au  duc  de  Parme,  qui  l'avoit  renvoyé  dans  le  tems 
de  la  précédente  guerre,  en  recevant  du  Roi  de  France  celui 
de  l'Ordre  de  Saint  Michel.  Enfuite  il  defcendit  en  Zelande, 
après  avoir  donné  le  gouvernement  des  Payis-bas  à  la  Prin- 
ceffe  Marguerite  fa  fœur  femme  d'O&ave  Farnefe  :  il  lui  laifla 
trois  mille  cinq  cens  Efpagnoîs,  pour  être  diftribuez  dans  les  pla- 
ces frontières  de  la  France.  Ce  fut  par  l'avis  de  Granvelle  évê- 
que  d'Arras,  qu'il  avoit  donné  à  la  princeffe  Marguerite,  pour 
être  fon  premier  Miniftre ,  qu'il  voulut  mettre  des  troupes  dans 
ce  payis-là.  Le  grand  nombre  de  Luthériens  ,  que  le  voifina- 
ge  de  l'Allemagne  y  avoit  répandus,  ou  fait  naître,  luidonnoit 
des  allarmes  ;ôc  le  foin  delà  fureté  des  frontières  n'étoit  qu'un 
vain  prétexte.  Il  affeclamême  d'offrir  le  commandement  de  ces 
troupes  à  Guillaume  de  Naffau  prince  d'Orange ,  à  qui  le  feu 
Roi  s'étoit  ouvert  un  peu  légèrement,  comme  nous  l'avons 
dit,  fur  le  projet  qu'on  avoit  fait  d'exterminer  les  Sectaires.  Il 
Tome  1IL  Fff 


4io  HISTOIRE 

5  l'offrit  en  même  tems  à  l'Amiral  d'Egmont  ;  perfuadé  que  les 


François  peuples  verroient  avec  moins  de  peine  des  troupes  Efpagnol- 
II.  les  en  tems  de  paix,  lorfqu'elles  auroient  à  leur  tête  deux  Sei- 
1  S  S  9-  gneurs  les  plus  illuftres  desPayis-bas,  par  leur  naiffance,  leur 
dignité,  ôc  leurs  fervices.  Mais  Guillaume  &  l'Amiral  refu- 
ferent  généreufement  ces  emplois;  difant ,  que  les  Flamans 
s'étant  procuré  la  paix  par  leur  courage ,  ôc  par  leurs  fervices  à  la 
guerre  y  ne  pourroient  fournir  le  joug  qu'on  vouloit  leur  im- 
pofer.  Philippe  >  qui  ne  vouloit  pas  que  ces  Seigneurs ,  à  qui 
il  avoit  d'ailleurs  de  fi  grandes  obligations  ,  coiffent  qu'il  par- 
toit  mécontent  d'eux ,  dilîimula  alors  le  chagrin  que  lui  don- 
noit  ce  refus.  Mais  il  fit  éclater  fon  reffentiment ,  ôc  vengea 
cette  injure  dans  la  fuite,  quoique  fort  à  contre-tems,  comme 
nous  le  dirons. 

Il  eft  certain  que  Philippe,  ayant  abandonné  le  deffeinde 
îaiffer  dans  les  villes  des  Payis-bas  des  garnifons  Efpagnoîes, 
mit  à  la  voile  au  mois  de  Septembre  rempli  de  £qs  projets 
pour  la  guerre  d'Afrique.  Etant  arrivé  à  la  hauteur  du  port  de 
Laredo ,  fa  flotte  fut  battue  d'une  fi  horrible  tempête ,  qu'il 
vit  périr  prefque  tous  fes  vaiffeaux ,  ôc  qu'il  eut  bien  de  la  pei- 
ne à  fe  fauver  lui-même.  Il  perdit  une  quantité  prqdigieufe 
de  meubles  précieux  qu'il  portoit  en  Efpagne ,  où  il  avoit  ré- 
folu  de  fixer  fa  demeure  ;  ne  voulant  pas  imiter  l'Empereur 
fon  père,  dont  la  vie  agitée  avoit  été  comme  un  continuel 
voyage.  On  dit  en  cette  occafion,  qu'il  avoit  dépouillé  toute  la 
terre  d'immenfes  tréfors,  auffi-bien  que  Charle  fon  père,  pour 
enrichir  la  mer.  Au  refte  Philippe  avouoit  qu'il  n'avoit  échap- 
pé à  ce  péril ,  que  par  une  protection  finguliere  de  Dieu ,  qui 
fembloit  l'avoir  confervé  pour  contribuer  à  fa  gloire,  en  ex- 
tirpant l'héréiie  de  Luther. 
Supplices  des       En  effet,  dès  qu'il  fut  arrivé  en  Efpagne  ,  il  commença  par 
Pro:eihns  en  faire  punir  les  Proteftans.  On  garda  même  dans  les  prifons ,  fui- 
Efpagne.        vant  çQ„  ordres ,  tous  ceux  qui  étoient  condamnez  pour  crime 
d'héréfie  ,  Ôc  qu'on  faifoit  mourir  auparavant ,  après  leur  Sen- 
tence ;  ôc  on  les  conduifit  à  Valladolid ,  ôc  à  Seville  >  afin  d'y 
être  exécutez  à  fon  arrivée ,  ôc  que  ce  fût  un  grand  fpeclacle 
pour  le  peuple.  Le  premier  a&e  de  cette  funefte  tragédie  fe 
donna  à  Valladolid  le  24  de  Septembre.   A  la  tête  des  crimi- 
nels parut  Jean  Ponce  de  Léon,  fils  du  comte  du  Baylen,  qu'on 


DE  J.  A  DE  THOU,  tiv.  XXIÏL      '411 

avoit  amené  du  château  de  Triana ,  Ôc  qui  fut  brûlé  comme 

Luthérien  opiniâtre ,  ainfi  queportoit  l'infcription  qu'on  avoit  François 
attachée  fur  fa  tête.  Jean  Confalve  ,  qui  étoit  un  prédicateur,         IL 
ôc  le  compagnon  de  Ponce ,  eut  la  même  deftinée,  auffi-bien     1  $  5*  p. 
qulfabelle  Venia,  Marie  Viroès,  Cornelie,  ôc  Bohorches. 
Spectacle,  qui  excita  en  même  tems  la  haine  ôc  la  pitié  5  fur- 
tout  lorfqu'onvit  la  jeune  Bohorches,  qui  n'avoit  pas  encore 
vingt-un  ans ,  fouffrir  la  mort  avec  une  admirable  confiance. 
Comme  Venia  avoit  prêté  fa  maifon  aux  Proteftans ,  pour  y 
faire  leurs  afîemblées  Ôc  leurs  prières,  la  fentence  qui  la  con- 
damna, portoit  auili  que  fa  maifon  feroit  rafce.  Enfuite   on 
conduifit  au  fupplice  Ferdinand  de  San- Juan  3  Julien   Her- 
nandés  furnommé  le  Petit ,  parce  qu'il  l'étoit  en  effet  î  Jean 
de  Léon,  qui  avoit  d'abord  exercé  dans  le  Mexique  le  mé- 
tier de  tailleur  d'habits ,  ôc  avoit  enfuite  été  agrégé  en  Efpa- 
gne  au  collège  de  Saint  Ifidore ,  où  les  affociez  s'appliquoient 
en  fecret  à  l'étude  de   la   do£trine  épurée  ,  pour  me   fervir 
de  leurs  termes  j  Françoife  Chaves  Religieufe  du  Monaftere 
de  Sainte  Elifabeth ,  qui  avoit  été  difcipîe  de  Jean  Gilles  pré- 
dicateur de  Valladolid ,  ôc  qui  mourut  auiïi  avec  bien  de  la 
confiance  ;  Chriftophle  Lozada  Médecin  ;  Chriftophle  d'Arel- 
lanio  Religieux  du  couvent  de  Saint  Ifidore  ;  ôc  enfin  Arias 
Garcias  ,  qui  le  premier  avoit  femé  les  nouvelles  opinions  dans 
ce  même  Monaftere ,  ôc  qui  par  fes  prédications ,  ôc  fes  confé- 
rences ,  y  avoit  allumé  comme  un  flambeau ,  qui  embraza  en- 
fuite  la  maifon ,  ôc  plufieurs  autres  maifons  de  la  ville. 

C'étoit  un  homme  d'une  érudition  profonde  >  mais  dont  îa 
doctrine  ôc  la  conduite  varioient  fouvent.  Lorfqu'il  avoit 
enfeigné  des  dogmes  à  fes  difciples ,  dont  il  voyoit  que  l'In- 
quifition  faifoit  un  crime  à  ceux  qui  les  foutenoient ,  il  étoit 
le  premier  à  combattre  fes  propres  leçons  ,  ôc  il  le  faifoit  avec 
tant  d'adreffe  ôc  de  fubtilité  ,  qu'il  ne  paroiffoit  jamais  fe  dé- 
dire. Comme  par  ces  artifices  il  expofoit  au  péril  ceux  qu'il 
engageoit  dans  l'erreur,  ôc  qu'il  fe  démentoit fouvent  lui-mê- 
me î  Jean  Gille  ,  Conftantin  Ponce  >  ôc  Varques  lui  reprefen- 
terent  un  jour  fon  peu  de  iincerité  ôc  fes  détours  fur  des  ma- 
tières, fur  lefquelles  il  penfoit  comme  eux.  Arias  leur  répon- 
dit ,  qu'il  prévoyoit  que  bien-tôt  il  feroit  contraint  de  voir 
des  taureaux ,  qu'on  donneroit  en  fpeclacle  au  peuple  ;  voulant 

Fffij 


uwuuwjUJiaB 


4ï2  HISTOIRE 

parler  des  écharTauts  de  l'Inquifition:  Conilantinlui  répliqua,  que 
François  ce^a  arrivo^  ^  ne  le  verroit  pas  dans  une  place  élevée  ,  mais 
II.  <lu  ^  fe1"0^  lui-même  dans  l'arène  3  ce  qui  arriva  en  effet.  Car 
1  ?  ï  9.  Peu  aPr^s  Arias  fut  arrêté  ôc  conduit  devant  le  tribunal  des  In- 
quifiteurs.  Au  refle ,  foit  que  fon  grand  âge  lui  fit  méprifer  la 
vie,  foit  que  par  un  changement  fubit  il  fût  devenu  tout  d'un 
coup  hardi  &  courageux  ,  de  timide  ôc  de  circonfpecl  qu'il 
étoit,  il  ofa  aigrir  les  aileffeurs  du  tribunal  de  rinquilition  par 
des  paroles  piquantes  ,  ôc  leur  dire ,  qu'ils  étoient  plus  propres 
à  être  Muletiers ,  qu'à  difcuter  des  matières  de  Religion ,  qu'ils 
ignoroient  entièrement  ;  ajoutant  qu'il  fe  répentoit  d'avoir  com- 
battu la  vérité  volontairement  en  leur  préfence  contre  fes  plus 
zélez  défenfeurs  ,  ôc  que  tant  qu'il  vivroit ,  il  en  auroit  la  plus 
vive  douleur.  Il  fut  mené  au  fupplice  comme  les  autres  t  ôc 
brûlé  vif:  ainfi  fe  vérifia  la  prédiction  de  Conilantin. 

Il  ne  refloit  plus  que  Gille  ,  ôc  Conilantin  ,  qui  dévoient 
pour  ainii  dire  embellir  la  fcéne ,  ôc  fermer  la  marche.  Mais 
une  mort  prématurée  les  avoit  dérobez  au  fupplice  l'un  ôc  l'au- 
tre. Gille  avoit  été  nommé  autrefois  à  l'évêché  de   Tortone 
par  l'Empereur  Charle  V.  à  caufe  de  fa  pieté  ôc  de  fon  éru- 
dition. Il  fut   cité  devant  l'Inquifition  ,  où  ayant   defavoùé 
publiquement  fes  erreurs  ,  foit  pour  fauver  fa  vie ,  foit  pour 
complaire  à  Dominique  Soto  ,  on  fe  contenta  de  lui  inter- 
dire la  Chaire  pour  un  tems  5  Ôc  il  étoit  mort  peu   de  tems 
avant  l'exécution  dont  nous  parlons.  Les  juges  de  l'Inquifition 
fe  repentant  de  l'avoir  traité  trop  doucement,  firent  le  procès 
à  fon  cadavre  Ôc  condamnèrent  un  homme  mort  au  dernier 
fupplice.  On  fit  voir  au  peuple  une  effigie  de  paille  ,  qui  fortoit 
d'une  machine  ,  ôc  qu'on  difoit  être  la  figure  de  Gille.  Conf- 
ie confef-  tantin ,  qui  avoit  été  long-tems  le  confeffeur  de  Charle-Quint, 
feurdeChar-  qui  l'avoit  fuivi  dans  fa  folitude  ,  après  qu'il  eut  abdiqué  l'Em- 
dans  les  pri-  pire  ôc  toutes  fes  Couronnes  ,  ôc  qui  l'avoit  enfin  affilié  à  la 
fons  de  l'in-  mort  fut  cité  peu  après  au  même   tribunal  de  l'Inquifition  , 
qmfiuon.        £.  mourut    enfuite  dans    une  affreufe  prifon.  Les  juges  ne 
voulant  pas  que  Conilantin  manquât  à  ce  grand  fpeclacle ,  fi- 
rent porter  fon  effigie ,  qui  le  repréfentoit  habillé  en  prédica- 
teur. Ainfi  cette  tragédie  ,  qui  d'abord  avoit  fait  verfer  des 
larmes  à  la  plupart  des  fpeclateurs  ,  finit  par  des  repréfentations 
comiques  ,  qui  excitèrent  également  la  rifée  ôc  l'indignation. 


DE  J.  A.  DETHOU,Lîv.  XXIIl     415 
Au  mois  d'O&obre  de  cette  même  année  ,  on  traita  pareil-  ■ 

lement  à  Sevilie  ceux  qui   étoient  accufez  du  même  crime.  pRANc0is 
Vingt-huit  perfonnes  de  la  principale  noblefle  du  payis  y  fu-        jj  ' 
rent  liez  à  des  poteaux,  &  brûlez  en  la  préfence  de  Philippe.     \  $  $  ç. 
Quelques-uns  prétendent  que  cet  Auto  dafe  *  fe  fit  dans  le  mois  *  Aûc  de  Foi, 
de  Mai.  Si  cela  eft  ainfi ,  Philippe  n'y  fut  pas  préfent ,  mais 
feulement  le  prince  Dom  Carlos  fon  fils ,  &  la  princefïe  Jean- 
ne fa  fœur  ,  veuve  de  l'Infant  de  Portugal.  Car  Philippe  étoit 
encore  alors  en  Flandre ,  où  il  créa  le  2$  de  Juillet  fuivant  des 
Chevaliers  de  la  Toifon  d'Or  5  après  quoi  il  partit  pour  l'Ef- 
pagne,  ayant  laide  le  gouvernement  des  payis-bas  à  la  prin- 
ceffe Marguerite  ducheffe  de  Parme,  comme  j'ai  dit. 

Quelques  mois  auparavant  le  Pape  Paul  IV.  devint  hydro-  '  Mort  de 
pique  ,  dans  un  âge  fort  avancé.  On  croit  que  le  chagrin  PauI  ïv- 
qu'il  eut  de  la  mort  de  Henri  IL  lui  caufa  cette  maladie.  Il 
verfa  publiquement  des  larmes  3  lorfqu'il  apprit  ce  funefte  évé- 
nement s  &  dit  bien  des  fois  qu'il  plaignoit  le  fort  de  la  Fran- 
ce. Son  mal  augmentant  conlidérablement ,  comme  on  defef- 
peroit  pour  fa  vie,  il  fit  venir  le  14.  d'Août  l  les  Cardinaux 
dans  fa  chambre ,  ôc  leur  parla  avec  beaucoup  d'éloquence , 
&  avec  une  grande  préfence  d'efprit.  Après  leur  avoir  dit , 
qrfil  entroit  dans  la  voye  de  toute  chair ,  ôt  qu'il  avoit  plus  long- 
tems  vécu  ,  qu'il  ne  l'auroit  dû  efpérer  ;  il  les  pria  de  lui  par- 
donner ,  il  fon  grand  âge  ôc  fes  infirmitez  ne  lui  avoient  pas 
permis  d'afiembler  le  Confiftoire ,  aufii  fouvent  que  fon  devoir 
l'exigeoit.  Enfuite  il  les  conjura  de  concourir ,  pour  lui  choi- 
fir  unanimement  un  bon  fucceiïeur.  Enfin  il  leur  récommanda 
le  très-faint  tribunal  de  l'Inquifition ,  (  ce  font  les  termes  dont 
il  fe  fervit  )  ajoutant  qu'il  l'avoit  établi  comme  le  feul  moyen 
de  maintenir  l'autorité  du  faint  Siège.  Puis  ayant  congédié  les 
Cardinaux  >  comme  le  Cardinal  de  la  Cueva  ,  qui  étoit  de- 
meuré dans  fa  chambre  ,  lui  difoit  que  le  monde  chrétien 
feroit  bien  à  plaindre  ,  s'il  étoit.  privé  d'un  11  digne  pafteur;  il 
îui  répondit  en  Efpagnol  ,  qu'il  avoit  réglé  fa  vie  de  manière, 
à  être  toujours  prêt  de  paroître  devant  Dieu ,  lorfqu'il  l'appel- 
ieroit  à  lui  ;  qu'au  refte  il  avoit  la  confolation  en  mourant  de 
laiffer  un  prince ,  que  Dieu  avoit  fufcité  pour  la  défenfe  de  la 

1 II  y  a  dans  le  texte ,  XI.  Kal.  VIIb  tes  >  c'efl  unefaute  ;  il  faut  lire  XIX.  qui  eit  le  1 4 
d'Août  &  non  le  22. 

Fffiij 


4i4  HISTOIRE 

foi  catholique  (il  vouloit parler  de  Philippe  )  6c  dont  les  bon- 
François  nes  mtenti°ns  lui  étoient  parfaitement  connues  ;  ôc  qu'il  ne 
jj  faifoit  nul  doute  ,  que  la  Religion  ne  fe  rétablît  dans  fon  pre- 

i  ç  ?  9.  m*er  ^clat>  ayant  un  tel  appui.  Enfin  ce  Pontife  mourut  le  18 
d'Août  à  la  vingt-unième  heure,  comme  l'on  compte  en  Italie. 
Il  étoit  âgé  de  quatre-vingts  trois  ans  un  mois  ôc  vingt-deux 
jours,  ôc  avoit  tenu  le  faint  Siège  quatre  ans  deux  mois  ôc  vingt 
quatre  jours.  Au  moment  de  fa  mort  on  ouvrit  toutes  les  pri- 
ions de  Rome  ,  fuivant  une  ancienne  coutume.  AuiTi  -  tôt 
le  peuple  furieux  courut  en  foule  à  la  prifon  de  l'Inquifition  , 
Fureur  du  où  il  mit  le  feu  ,  après  en  avoir  fait  fortir  les  prifonniers.  On 

main  Montré  eut  ^en  ^e  ^a  Peme  a  l'empêcher  de  brûler  le  couvent  des  Do- 
l'Inquifition  minicains  de  la  Minerve  ,  en  haine  de  l'Inquifition ,  dont  Paul 
&  contre  h    jy^  avojt  déclaré  ces  Religieux  juges  ôc  adminiftrateurs.  En 

mémoire    de  1  •       j to      rr         '  r>       '      1  c^ 

Paul  iv.  meme-tems  cette  multitude  effrénée  court  au  Capitole ,  oC 
voyant  une  ftatuë  de  marbre  faite  par  un  excellent  ouvrier  , 
que  le  Sénat  ôc  le  peuple  Romain  avoient  élevée  à  Paul  IV. 
elle  lui  abattit  la  main  droite  ôc  la  tête ,  qu'on  roula  durant  trois 
jours  avec  mépris  dans  les  rues  de  Rome,  jufqu'à  ce  que  la  fu- 
reur étant  rallentie ,  ôc  ayant  fait  place  à  la  compaiîion  de  quel- 
ques uns  ,  elle  fut  jettée  dans  le  Tibre,  afin  de  dérober  ce  fpe- 
cîacle  aux  mutins. 

Enfuite  il  fut  ordonné  par  un  édit  du  peuple  Romain ,  fans 
que  l'on  fçache  qui  en  fut  le  principal  auteur ,  que  les  armes 
des  CarafTes  feroient  abattues  dans  Rome ,  à  peine  de  defo- 
béïiTance.  On  ne  vit  jamais  tant  de  foumiflion  dans  une  fi  gran- 
de licence  h  les  moindres  vertiges  de  la  grandeur  des  CarafTes 
difparurent  en  un  jour.  Cependant  quelques  Cardinaux  portè- 
rent fans  pompe  le  corps  du  feu  Pape  clans  l'Eglife  de  faint 
Pierre ,  où  il  fut  gardé  quelque- tems  par  des  foldats  ,  parce 
qu'on  craignoit  l'infolence  du  peuple.  Enfin  il  fut  mis  pour 
un  tems  dans  un  tombeau  de  brique  ,  d'où  Pie  V.  qui  avoit 
de  grandes  obligations  à  Paul  IV.  le  fit  tranfporter  fept  ans 
après  dans  l'Eglife  de  la  Minerve,  où  il  lui  avoit  fait  drefler 
par  Pyrrho  Ligori  fculpteur  de  Naples  un  Maufolée  de  mar- 
bre, dans  la  Chapelle  de  fes  ancêtres.  Laurent  Priuli  Doge  de 
Venife  étoit  mort  un  jour  avant  Paul  IV.  ôc  eut  pour  fuccef- 
feur  Jérôme  Priuli  fon  frère:  événement  fingulier  dans  une  ré- 
publique jaloufe  ôc  politique  ,  où  les  honneurs  ne  font  pas 


DE  J.  A.  DE    T  HOU,  L  iv.  XXIII.     41; 

héréditaires  ,  ôc  ne  fe  donnent  qu'à  la  vertu  ôc  au  mérite.  L'ef- 

time  générale  qu'on  avoit  pour  Jérôme,  le  fit  élever  à  cette  François 

dignité ,  ôc  on  ne  crut  pas  qu'on  pût  jamais  rien  craindre  de        jj#* 

cet  exemple.  l  S  S  9- 

Hercule  d'Efte  duc  de  Ferrare  mourut   auffi  le  quatre  de 
Septembre  ,   étant  encore   plein  de  vigueur  ,  ôc  n'ayant  que    Mortd'Her- 
cinquante-un  ans  accomplis.  Il  étoit  fils  de  cet  Alfonfe  ,  qui  S,uIe  duc  de 
fut  fi  long-tems  en  butte  à  la  haine  ôc  à  l'ambition  des  Pon- 
tifes ,  ôc  qui  ayant  vît  fa  fortune  fi  long-tems  chanceler ,  fut 
affez  heureux  pour  recouvrer  ce  qu'il  avoit  perdu  ,  ôc   pour 
laifïer  même  à  fon  fils  une  fucceflion  plus  ample  qu'il  ne  l'a- 
voit  reçue.  Hercule  contracta  une  alliance  fort  illuftre,  en  épou- 
faut  Renée  de  France  fille  de  Louis  XII.  ôc  fœur  de  la  reine 
Claude  femme  de  François  I.  dont  il  eut  plufieurs  enfans.  Il 
fut  allez  heureux  ,  pour  voir  régner  long-tems  la  paix  dans  fes 
Etats.  Mais  pouffé   par  une  ambition  à  laquelle  il  fe  livra  un 
peu  tard ,  ou  s'abandonnant  aux  confeils  de  fon  gendre  '  ,  il  s'en- 
gagea, n'étant  plus  jeune,  dans  une  guerre  injufte  ,  que  le  Ca- 
raffes  nous  firent  entreprendre  en  Italie ,  ôc  il  voulut  être  le  Chef 
de  nos  troupes.  Mais  il  fut  plus  heureux  que  ne  l'avoit  été  le 
duc  fon  père ,  en  ce  qu'ayant  attaqué  un  Roi  aufli  puiffant  que 
Philippe  ,  dont  il  n' avoit  reçu  aucun  déplaifir  ,  il  fe  reconcilia 
avec  lui  à  des  conditions  honorables  ,  ôc  vit  finir  une  guerre  , 
qui  fut  fi  honteufe  ôc  fi  préjudiciable  à  la  France,  fans  rien  per- 
dre ni  du  côté  de  la  gloire ,  ni  par  rapport  à  fes  intérêts.  Doit-on 
imputer  cela  à  fon  bonheur  ou  à  fa  dextérité  ? 

Cette  année  eft  encore  remarquable  par  la  mort  d'Othon  M°r}  do~ 
Henri  de  Bavière  comte  Palatin  du  Rhin,  filsdeRobert,  ôc  pa°iaUn.e  eur 
petit-fils  de  Philippe  de  Bavière.  Il  étoit  devenu  Electeur  par 
la  mort  de  Frédéric  fon  oncle  :  étant  venu  à  mourir  lui- 
même  peu  de  tems  après  fans  enfans  le  1 2  de  Février  ,  fa  di- 
gnité fut  dévolue  à  Frédéric  III.  qui  étoit  fon  coufin  dans  un 
degré  fort  éloigné  ,  ôc  qui  defcendoit  comme  lui  de  l'Empe- 
reur Robert  de  Bavière  mort  en  14 10.  Car  on  comptoit  dix 
générations  depuis  l'élecfeur  Louis  le  Barbu  fils  de  l'Empereur 
Robert  de  Bavière ,  ôc  Etienne  frère  de  Louis  duc  de  Deux- 
Ponts  ,  dont  Frédéric  III.  defcendoit.  Othon  Henri  laiffa  par 
fon  teftament  le  duché  de  Neubourg  fur  le  Danube  à  Volfang 
1  François  de  Lorraine  duc  de  Guife, 


4itf  HISTOIRE 

;  de  Bavière  de  Deux  -  Ponts  ,  fou  autre   coufin  dans  îe  mê- 
François  me  degré  que  Frédéric.   Il  ne  faut  pas  oublier  des  Princes 
II.        moins  confidérables  -,  que  la  mort  enleva  cette  même  année. 
!  S  S  9*     François  Othon  duc  de  Lunebourg  finit  fes  jours  le  29  d'Avril 
trois  mois  après  fon  mariage  avec  Margueritte  fille  de  Joachim 
de  Brandebourg.  Il  fuivit  Guillaume  prince  de  Henneberg,  mort 
le  24  de  Janvier,  âgé  de  plus  de  quatre-vingts  ans.  On  remarque 
que  dans  l'efpace  d'une  feule  année  (  en  la  compofant  de  quel- 
ques mois  de  la  dernière  ,  ôc  d'une  partie  de  celle-ci  )  il  mourut 
Charle  V.    un  Empereur  *  deux  Rois  de  Dannemarc ,  un  roi  de  France ,  un 
doge  de  Venife ,  un  Pape ,  un  électeur  Palatin,  un  duc  de  Ferrare, 
ôc  trois  Reines  ,  Eleonore  reine  de  France ,  Marie  reine  de 
Hongrie  3  ôc  Bonne  Sforce  reine  de  Pologne.  George  Reckrod, 
grand  capitaine  dont  nous  avons  parlé  plus  d'une  fois  ,  finit  aufïï 
fa  vie  le  28  de  Novembre.  Après  avoir  efluyé  de  grands  pé- 
rils à  la  guerre  ,  ôc  avoir  évité  la  mort  dans  les  combats  ,  ou 
il  s'étoit  toujours  fignalé  ,  il  la  trouva  enfin  dans  fon  château 
d'Herleshaufen  près  d'Eyfenach. 
Mort  de         II  ne  faut  pas  oublier  les  fçavans ,  que  la  mort  enleva  cette 
quelques  fça-  même  année i  comme  François  Duarein  né  d'une  famille  noble 
à  faint  Brieu   en  Bretagne,  qui  mourut  à  peine  âgé  de  cin- 
quante ans.  Il  étoit  le  plus  grand  Jurifconfulte  de  fon  tems  ; 
après  André  Alciat,  fous  lequel  il  avoit  étudié  le  Droit  à  Bour- 
ges. Il  avoit  fcû  joindre  à  cette  feience  une  littérature  agréa- 
ble ôc  polie  ,  Ôc  une  exacte  connoiflance  de  l'antiquité  ,  qu'il 
avoit  apprife  d'Alciat.  Enfuite  Duarein  profelfa  le  Droit  à  Bour- 
ges avec  une  grande  réputation ,  ayant  pour  collègue  Eginard 
Baron,  de  Saint  Brieu  comme  lui ,  qui  s'acquit  auffi  beaucoup 
d'eftime.  Celui-ci  néanmoins  eft  demeuré  dans  l'obfcurité  ;  ôc 
fes  ouvrages  font  à  peine  connus.  Duarein  eut  fur  la  fin  de  fes 
jours  pluiieurs  démêlez  littéraires  avec  Jacque  Cujas ,  qui  étoit 
alors  fort  jeune.  Les  écoliers  de  ces  deux  grands  hommes  en- 
trèrent dans  ces  différends  ,  ôc  prirent  parti  pour  leurs  maîtres. 
Cela  auroit  eu  de  fâcheufes  fuites ,  fi  Cujas  ne  fe  fût  retiré  à 
Valence  en  Dauphiné.   Celui-ci  avoua  dans  la  fuite  qu'il  ne 
pouvoit  trop  honorer  la  mémoire  de  Duarein  s  que  fans  l'ému- 
lation qu'il  lui  avoit  donnée  ,  il  auroit  renoncé  à  l'étude  du 
Droit,  comme  fes  parens  le  lui  confeilloient ,  ôc  auroit  cédé 
aux  dégoûts  que  donne  cette  feience  dans  un  âge  inconfiant 

ÔC 


DEJ.  A.    DE  THOU,  Liv.  XXIIÏ.    4*7 

8c  léger  ;  mais  qu'animé  par  un  adverfaire  redoutable  ,  il  s'y  — - 

étoit  fortement  attaché,  ci  avoit  paiTé  fa  vie  à  la  cultiver,  à  la  François 
creufer  ,  ôc  à  l'éclaircir.  Les  fçavans  font  grand  cas  des  ou-  II. 
vrages  de  Duarein,  que  Cujas  lui-même  eftimoit  beaucoup  >  1  s  S  9' 
difant  fouvent,  que  des  quatre  Profeffeurs  qui  portoient  le 
nom  de  François ,  &  qui  enfeignoient  le  Droit  dans  le  même 
tems  ,  il  ne  goûtoit  que  Duarein ,  ôc  trouvoit  que  les  trois  au- 
tres nefaifoient,  pour  ainfi  dire,  qu'éfleurer  cette  feience.  Au 
refte  les  ouvrages  de  Duarein  ont  éprouvé  un  malheur,  que  Cu- 
jas craignoit  pour  les  fiens.  C'eft  qu'en  les  réimprimant  après 
fa  mort,  on  y  a  joint  fans  choix  des  cahiers,  dictez  par  lui  à fes 
écoliers  ,  qu'ils  reoueilloient  fouvent  affez  mal ,  ôc  que  Duarein 
n'avoit  pas  delTein  qu'on  mît  jamais  au  jour.  J'ai  fouvent  en- 
tendu Cujas  ,  fous  qui  j'étudiois,  déplorer  l'injure  qu'on  avoit 
faite  parla  à  la  mémoire  de  ce  fçavant  homme,  ôc  nous  conju- 
rer, mes  compagnons  Ôc  moi ,  de  le  preferver  d'une  pareille  dif- 
grace. 

Je  ferai  aufïi  mention  d'Aimard  de  Ranconet  né  à  Perigueux,  LePrefîJent 
dont  les  confeils  Ôc  les  lumières  furent  d'un  grand  fecours  à  <k  Ranconet 
Duarein, pour  fe  perfectionner  dans  le  Droit.  Une  littérature 
univerfelle ,  une  connoiffance  exacte  de  l'antiquité  facrée  ôc 
profane  ,  ôc  de  toutes  les  fciences ,  fans  en  excepter  aucune  s 
faifoient  avec  juftice  admirer  Ranconet.  Il  pofTedoit  au  plus  haut 
degré  toutes  ces  feiences,  dont  une  feule  eût  rendu  le  nom  d'un 
autre  iliuftre  à  la  pofterité.  Il  fut  le  premier  qui  puifa  dans  les 
fources  du  Droit  Romain.  Son  goût  par  rapport  aux  belles  let- 
tres fe  forma  par  la  lecture  des  Auteurs  Grecs  ôcLatins.  Il  fçavoit 
à  fonds  la  Philofophie  ôc  les  Mathématiques  :rien  n'échappoità 
îa  vivacité  de  fon  efprit  ôc  à  la  juftefTe  de  fon  jugement.  Il  fut  d'a- 
bord Confeiller  au  Parlement  de  Bordeaux ,  ôc  eut  enfuite  une 
charge  de  fécond  Préfident -aux Enquêtes  du  Parlement  de  Paris, 
qu'il  exerça  avec  une  grande  réputation  5  jufqu'à  ce  que  nos 
démêlez  ïur  la  Foi  ayant  excité  des  troubles  ,  il  fut  enveloppé 
dans  les  malheurs  où  tant  de  grands  hommes  fe  trouvèrent 
engagez  ;  quoique  le  crime  énorme  ,  qu'on  lui  imputa  fauffe- 
ment ,  n'eût  aucun  rapport  à  la  Religion.  Ayant  été  conduit 
à  la  Baftille  (  comme  il  l'avoir  prévu  depuis  long-tems,  par 
la  connoiffance  qu'il  avoit  de  l'Aftrologie  judiciaire ,  qu'il 
^voit  étudiée  avec  Jérôme  Cardan)  il  y  finit  fes  jours  à  l'âge 
Tome  1IL  Ggg 


4i8  HISTOIRE 

de  plus  defoixante  ans,  par  un  genre  de  mort  extraordinaire. 
François  Au  refte  le  Préfident  Ranconet  n'a  prefque  fait  aucun  ou- 
II.  vrage  ;  mais  il  a  fourni  aux  autres  des  matériaux  pour  écrire  ; 
1  S  S  9'  ayant  laiffé  un  grand  nombre  de  livres  imprimez  ou  manuf- 
crits  j  enrichis  des  fçavantes  notes  qu'il  avoit  faites  fur  chaque 
ouvrage.  Plusieurs  Docles  de  ce  fiécle-ci  ont  profité  heureufe- 
ment  de  ces  remarques  ,  ôc  nous  ont  donné  des  écrits  puifez 
dans  ces  notes ,  lefqueîles  leur  ont  fait  beaucoup  d'honneur, 
ôc  ont  été  très-utiles  au  public.  Quelque-fois  ils  le  citent  par 
reconnoiffance  ;  mais  fouvent  ils  n'en  difent  rien.  A  voir  Ran- 
conet, qui  étoit  difîippé  par  plufieurs  affaires  ,  on  n'auroit  pas 
crû  qu'il  fe  fût  donné  tout  entier  aux  Lettres.  Voici  comme  il 
arrangeoit  fes  études.  Après  un  léger  fouper  3  il  fe  couchoit 
pour  peu  de  tems,  ôc  fe  levoit  après  le  premier  fommeil,  à  l'heure 
où  nos  moines  (  dont  il  loùoit  fort  les  mœurs  &  la  règle ,  fur- 
tout  par  rapport  à  la  fanté  )  chantent  matines.  Comme  eux,  il 
s'enveloppoit  la  tête  d'une  efpéce  de  capuchon  j  habillement 
qu'il  trouvoit  fort  commode ,  pour  garantir  du  froid  les  épau- 
les ôc  la  tête.  Alors  ilpafîbit  quatre  heures  à  étudier,  ôc  à  mé- 
diter fur  fes  lectures.  11  difoit ,  qu'il  étoit  étonnant  combien  il 
faifoit  de  progrès  dans  l'étude  ,  en  un  tems  où  l'efprit  eft  épuré 
par  un  premier  repos  ,  où  les  idées  font  nettes  à  la  faveur  du 
filence  de  la  nuit,  ôc  où  de  profondes  réflexions  ne  font  point 
interrompues  ;  ce  qui  ne  peut  être  durant  la  journée.  Ilajoû- 
toit  que  cela  contribuoit  aufîl  à  la  fanté  ;  parce  que  lorfqu'on 
eft  levé  ,  il  eft  facile  d'évacuer  la  pituite  qui  fort  du  cerveau 
après  le  premier  fommeil,  laquelle  fe  condenfe,  Ci  vous  con- 
tinuez de  dormir  ,  s'attache  à  l'eftomach,Ôc  engendre  dans  la 
fuite  des  humeurs  nuifibles  ,  qui  attaquent  fur-tout  la  fanté 
des  gens  de  cabinet.  Puis  il  fe  remettoit  au  lit ,  ôc  après  un 
fommeil  paifible  de  quelques  heures ,  il  achevoit  heureufement 
ce  qu'il  avoit  médité  pendant  la  nuit.  Enfuite  il  rempliffoitles 
differens  devoirs  de  fa  charge  ôc  de  la  vie  civile.  Il  écrivoit 
parfaitement  en  Grec  ôc  en  Latin;  comme  on  le  voit  par  les 
excellentes  notes  qu'il  a  faites  fur  une  infinité  de  livres  en  tout 
genre  ,  lefquels  ont  été  difperfez  après  fa  mort ,  ôc  font  au- 
jourd'hui entre  les  mains  des  fçavans.  On  eft  charmé  ,  en  les 
îifant  ,  de  la  beauté  de  fon  écriture  ,  ôc  des  recherches  rares 
ôc  curieufes  qu'on  y  trouve. 


DEJ.A.DE  THOU,Liv.  XXIII.     41$ 
Joachim  Perion  qui  a  rendu  de  grands  fervices  à  la  Ré- 


*SS9- 


publique  des  lettres ,  quitta  auffi  vers  cetems-là  cette  vie  pour  pRANc0is 
pafTer  à  une  meilleure.  Il  naquit  à  Cormeri  en  Tourairte  ,  ôc  tj  s 
fe  confacra  à  Dieu  après  l'enfance  ,  dans  un  riche  monaftere  de 
ce  lieu,  où  il  finit  fes  jours.  Ayant  entrepris  de  traduire  Ari- 
ftote  en  Latin,  que  Jean  Argyrophile  l  avoit  traduit  avant  lui 
avec  plus  de  fidélité  que  d'éloquence ,  il  donna  dans  le  défaut 
oppofé ,  en  s'attachant  plutôt  aux  agrémens  du  ftile  ,  ôc  aux 
tours  de  Ciceron ,  qu'au  véritable  fens  de  l'auteur.  Audi  eut- 
il  à  efîuyer  la  critique  amere  du  docte  Nicolas  de  Gruchi  ,  ôc 
enfuite  celle  de  Guillaume  Guerente  ;  il  eut  encore  plusieurs 
difputes  littéraires  à  ce  fujet  avec  Louis  Strebée.  Mais  ce  fut 
fur-tout  contre  Pierre  Ramus  qu'il  eut  de  plus  grands  combats 
à  foûtenir  par  rapport  à  fon  Ariftote.  C'eft  ce  Ramus  qui  dans 
ce  même-tems  entra  en  lice  fur  la  même  matière  contre  An- 
toine Govea ,  cet  illuftre  Portugais  ,  qui  devoit  à  la  France  ôc 
non  à  fa  patrie  fon  agréable  littérature  ,  fon  rare  fçavoir  dans 
la  Philofophie  ôc  dans  le  Droit ,  ôc  les  ouvrages  excellens  qu'il 
a  donnez  en  tout  genre.  Car  Govea  prit  dès  fon  enfance  le 
goût  des  lettres  à  Paris  ,  où  il  étudia  ;  ôc  il  demeura  en  France 
toute  fa  vie.  Les  differtations  qu'il  fit  alors  contre  Ramus  font 
très-belles ,  ôc  ont  été  imprimées.  Perion  a  traduit  encore  en 
Latin  avec  beaucoup  d'élégance  differens  morceaux  des  Pères 
Grecs  ,  ôc  a  mis  au  jour  plufieurs  autres  ouvrages  ,  qui  font 
entre  les  mains  de  tout  le  monde,  ôc  qu'on  eftime  allez. 

Robert  Eftienne  de  Paris ,  Imprimeur  du  Roi ,  mourut  àufli 
cette  année.  Aide  Manuce  Romain  ,  ôc  Jean  Froben  avoient 
exercé  cet  art  avant  lui  avec  un  grand  fuccès  ;  le  premier  à 
Venife ,  ôc  le  fécond  à  Baie.  Il  les  furpaiîa  l'un  ôc  l'autre  pat 
fon  exactitude  ,  par  la  correction  ôc  par  la  beauté  de  fes  im- 
prefïions ,  ôc  par  un  jugement  fur  Ôc  exquis  '■>  enforte  que  l'on 
peut  dire  qu'il  a  rendu  de  plus  grands  fervices  à  fa  patrie  ôc 
au  monde  Chrétien.,  que  ces  grands  Capitaines ,  qui  par  leurs 
exploits  ont  reculé  nos  frontières  ;  ôc  que  l'indumie  d'un  feul 
homme  a  fait  plus  d'honneur  au  nom  François,  ôc  a  plus  con- 
tribué à  le  rendre  immortel ,  que  ce  que  nos  pères  ont  fait  de 

1  Agyrophile  naquit  à  Conftantino-  lie  ,  où  Côme  de  Medicis  le  choifit  , 
pie  dans  le  quinzie'me  fiécle.  Après  la  pour  erre  précepteur  de  Pierre  de  Me- 
prife  de  cette  ville  il  fe  retira  en  Ita-    I    dicis  fon  fils ,  ôc  de  Laurent  fon  neveu. 


4io  HISTOIRE 

ir-asçsfig  plus  beau  à  là  guerre  ou  dans  la  paix.  Mais  après  la  mort  de 
François  François  I.  ce  Prince  débonnaire  ,  le  père  ôcle  protecteur  des 
II.  lettres  >  la  faculté  de  Théologie  de  Paris  oubliant  ce  qu'elle 
i  y  5  p.  devoit  à  un  citoyen  t  qui  avoit  fi-bien  fervi  fa  patrie  par  l'édi- 
tion d'une  infinité  d'ouvrages  Hébreux  3  Grecs  ôc  Latins ,  le 
perfecuta  long-rems,  &  ne  voulut  point  écouter  les  juftes  con- 
ditions de  conciliation  qu'il  lui  offroit».  Enfin  pouffé  à  bout  il 
fe  vit  contraint  d'abandonner  la  France  ,  ôc  de  fe  retirer  à  Ge- 
nève. Il  y  remplit  les  devoirs  publics  &  ceux  de  la  vie  civile 
avec  une  grande  fageffe  ;  ôc  malgré  fes  malheurs,  ôc  le  déran- 
gement qu'apporte  un  exil  même  volontaire ,  il  ne  cefTa  point  de 
travailler  &  defervir  jufqu'àfa  mort  la  République  des  Lettres. 
Il  finit  fes  jours  le  feptiéme  de  Septembre  à  l'âge  de  cinquan- 
te-fept  ans  ;  s'étant  fait  une  grande  réputation  dans  toute  l'Eu- 
rope ,  &  laiflant  une  riche  fucceffion  en  meubles  à  ceux  de 
fes  enfans  ,  qui  demeureroient  à  Genève.  Car  il  avoit  employé 
cette  claufe  dans  fonteftament  j  non  pas ,  difoit-il ,  qu'il  eut  de 
la  haine  pour  fa  patrie ,  mais  afin  de  marquer  combien  il  étoit 
fenfible  à  fon  ingratitude.  Ainfi  Robert  Etienne  fon  fils,  qui 
exerça  à  Paris  la  même  profeflion  avec  fuccès  ,  ôc  autant  que 
l'état  de  fa  fortune  le  lui  pouvoit  permettre ,  n'eut  aucune  part 
à  la  fucceffion  de  fon  père.  Mais  Henri  Etienne ,  qui  demeura 
à  Genève  ,  recueillit  de  grandes  richeffes  qu'il  augmenta  con- 
fidérablement.  Ce  digne  fils  de  Robert  y  eut  long-tems  une 
célèbre  imprimerie,  &  compofa  lui-même  des  ouvrages  très- 
utiles.  Comme  fon  père  avoit  donné  un  ample  Dictionnaire 
de  la  langue  Latine  ,  il  en  donna  un  très-étendu  de  la  langue 
Grecque ,  livre  que  je  Crois  préférable  aux  tréfors  des  plus  grands 
Princes. 

La  mort  enleva  aufîl  le  fix  de  Mars  Luc  Gauric  ,  né  à  Gi- 
foni  dans  la  Marche  d' Ancone  ,  qui  finit  fes  jours  âgé  de  qua- 
tre-vingts deux  ans.  C'étoit  un  grand  Mathématicien,  que  Paul 
III.  avoit  honoré  de  fon  amitié ,  ôc  qui  s'étoit  fur-tout  attaché 
à  cette  fcience  »  qui  juge  de  la  vie  ôc  de  la  fortune  des  hom- 
mes 3  par  la  pofition  des  aftres.  Jean-Baptifte  Folengio  Reli- 
gieux de  l'Ordre  de  Saint  Benoît  mourut  peu  après  àMantouë, 
lieu  de  fa  naiffance ,  âgé  de  près  de  foixante  ans.  Sa  pieté  ôc  fa 
charité  le  rendoient  très-recommandable  ,  auffi-bien  que  la 
douceur  de  fes  moeurs  3  ôc  la  modération  de  fes  écrits ,  qu'on 


, 


en  Italie. 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  ï  v.  XXIII       421 

lira  toujours  avec  plaifir.  Lorfque  marchant  fur  les  traces  d'I-  * 

fidore  Clario  évêque  deFuligno  mort  quatre  ans  auparavant,  François 
il  cherchoit  les  moyens  convenables  d'éteindre  le  fchifme ,         jj  ' 
ôc  de  réformer  la  difcipline ,  une  mort  paifible  le  fit  pafïer  à     \  <  <  ga 
une  autre  vie   le    cinq   d'Oclobre  dans  le  monaftere   où  il 
avoit  fait  profefïion.  Je  ne  dois  pas  oublier  Jacque  Milichen 
né  à  Fribourg  en  Brifgaw  d'une  honnête  famille.  Il  étoit  grand 
Philofophe  &  bon  Médecin,  ôc  fe  faifoit  aimer  par  fa  probité 
ôc  par  la  candeur  de  fes  mœurs  peinte  fur  fon  vifage.  Après 
avoir  profeffé  avec  une  grande  réputation  à  Vittemberg  pen- 
dant plufieurs  années  ,  il  fut  enlevé  par  une  apoplexie  le  dix 
de  Novembre  dans  la  cinquante-huitième  année  de  fon  âge. 

Après  qu'on  eut  fait  les  funérailles  du  feu  Pape,  à  la  manière  Expéditions 
accoutumée  ,  ôc  que  les  Cardinaux  fe  furent  renfermez  dans  le 
Conclave ,  pour  procéder  à  i'éleclion'd'un  nouveau  Pontife; 
le  duc  de  Florence,  qui  avoit  une  armée  fur  pié,  réfolut  de 
s'emparer  de  Pondo  château  des  Ubertins ,  lltué  fur  les  confins 
de  la  Tofcane ,  ôc  de  la  Romagne  ,  que  les  CarafFes  avoient 
enlevé  à  leur  légitime  Seigneur,  pour  le  donner  aux  Malatefti 
comtes  de  Sogliano.  Vitelli  général  de  Corne  étant  parti  de 
Caftro-caro  ,  ôc  ayant  fommé  la  garnifon  de  Pondo  de  fe  ren- 
dre, elle  fit  refus  ,  Ôc  n'ouvrit  les  portes  que  quand  l'on  eut 
fait  venir  du  canon.  Vitelli  y  laiffa  pour  Gouverneur  Uber- 
tin  fuivant  les  ordres  du  grand  Duc.  Dans  le  même-tems  Fran- 
çois de  Bagno  demanda  du  fecours  à  Corne ,  qu'il  avoit  utile- 
ment fervi  dans  fës  armées  ,  pour  rentrer  dans  fes  biens  de  la 
Romagne ,  que  le  feu  Pape  avoit  confifquez  fur  lui  comme 
fur  un  rebelle,  ôc  qu'il  avoit  donnez  à  Antoine  Caraffe.  Aufti- 
tôt  le  général  Vitelli  prit  Ghiaggivolo ,  château  voifin  de  Ga- 
latea  ,  où  commandoit  Jérôme  del-Belio.  Celui-ci  créature  des 
CarafTes  fut  contraint  par  les  habitans  de  rendre  la  place ,  ôc 
mené  enfuite  à  Florence  comme  rebelle  à  fon  Prince.  De  là 
on  marcha  à  Gatteo ,  quife  rendit.  On  ne  jugea  pas  alors  à  pro- 
pos d'attaquer  Monte-bello  ,  parce  que  cette  place  étoit  allez 
forte  ,  ôc  qu'elle  auroit  pu  réfifter  long-tems.  On  conduifït 
enfuite  l'armée  à  fainte  Sophie.  Les  comtes  de  Piandimeleto 
ayant  intenté  un  procès  à  Rome  ,  pour  fe  faire  ajuger  la  fei- 
gneurie  de  cette  place  •■>  Jean  François  de  Gonzague ,  qui  en 
étoit  gouverneur  pour  le  duc  de  Florence  ,  en  avoit  été  chafle 

G  g  g  "j 


422  HISTOIRE 

par  les  CarafTes,  ôc  conduit  à  Rome  dans  une  prîfon  comme 

ï7d  ATvT/-r,i^  criminel  de  d'Etat ,  à  la  perfuafion  du  cardinal  Vitelli ,  pour 

jj         qui  les  neveux  du  râpe  avoient  de  grands  égards.,  ôc  îlnen 

i  r  -  Q      étoit  forti  qu'au  tems  de  la  fédition  qui  s'éleva  après  la  mort 

du  Pontife.  Sainte  Sophie  futprife  par  Philippe  Pandolfini,  à  la 

tête  de  trois  enfeignes  de  gens  de  pié ,  ôc  rendue  au  comte  de 

Bagno.  On  prit  aufll  Monte-ritondo. 

Cependant  Chappino  Vitelli  ayant  aflemblé  les  troupes ,  qui 
étoient  en  garnifon  à  Empoli,  Borgo ,  Santo-Stephano,  Ôc  à 
Mugello,  marcha  avec  huit  bataillons  vers  Montone,  que  fes 
couiins  retenoient  injuftement.  Ce  château  que  Léon  X.  avoit 
donné  à  Vitellozzo,  ôc  à  Nicolas  Vitelli,  pour  eux  ôc  pour 
leurs  fucceffeurs,  étoit  échu  à  Camille  frère  du  cardinal.  Ca- 
mille avoit  laiffé  en  mourant  un  fils  naturel ,  dont  le  cardinal 
Vitelli  avoit  pris  la  tutelle,  ôc  à  qui  il  avoit  fait  donner  par 
Paul  IV.  la  propriété  de  Montone ,  à  l'exclufion  de  Paul  ,  ôc  de 
Chiappino  Vitelli  fils  de  Nicolas.  Ceux-ci  irritez  contre  le  Car- 
dinal leur  coufin  mirent  tout  en  ufage ,  pour  reprendre  cette 
ville  durant  la  vacance  du  faint  Siège.  Ils  firent  venir  du  ca- 
non de  Borgo  ôc  d'Arezzo  ;  ôc  ayant  fait  une  brèche  confi- 
dérable  à  la  muraille  ,  les  foldatsde  la  garnifon ,  qui  étoient  aux 
ordre   d'Angiola  de  Rofîi  mère   de  Camille,  ôc  ayeuîe  du 
mineur,  prirent  la  fuite  par  des  chemins  peu  pratiquez, où  Chiap- 
pino les  fuivit,  en  tua  un  grand  nombre,  Ôc  fitplufieurs  prifon- 
niers.  Antoine  Marie  de  Peroufe  périt  en  cette  occafion  ;  après 
quoi  la  ville  fe  rendit  aux  deux  Vitelli,  qui  y  prirent  quatre  dra- 
peaux. Enfuite  il  fe  fit  un  traité  par  les  foins  de  Pallanterio, 
qui  étoit  venu  trouver  ces  Seigneurs  au  nom  du  Sacré  Collè- 
ge, avant  qu'il  afïiégeaflent  Montone,  ôc  qui  ne  put  obtenir 
qu'ils  fe  défiftaffent  de  leur  entreprife.  Après  la  réduction  de 
Montone,  il  obtint  des  Vitelli,  qu'ils  ne  feroient  plus  d'hofti- 
litez,  ôc  qu'on  mettroit  en-fequeftre  les  places  du  comte  de 
Bagno  qu'on  avoit  prifes ,  jufqu'à  ce  qu'il  y  eût  un  Pape  élu, 
qui  connoîtroit  de  cette  affaire.  Côme  embrafla  avec  joye  une 
occafion  qui  fe  préfentoit  d'elle-même ,  de  mettre  les  armes  bas. 
Il  n'avoit  fait  la  guerre  que  pour  paroître  ne  pas  abandonner 
fes  amis ,  que  fa  gloire  l'engageoit  à  protéger.  Les  Vitelli  con- 
fentirent  auffi ,  que  leur  différend  fut  décidé  par  celui  qui  feroit 
çlevé  fur  le  faint  Siège. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIII  423 
On  découvrit  alors  à  Florence  une  confpiration  qu'on  tra-  — 
moit  depuis  long-tems.  Pandolfe  Puccifilsde  Robert  en  e'toit  François 
le  chef.  Il  étoit  d'une  famille  illuftre  ,  qui  avoit  donné  trois  II. 
Cardinaux  à  l'Eglife.  De  grandes  richefTes  ,  un  génie  élevé,  ï  5  5  9» 
joint  aux  agrémens  de  fa  perfonne,  l'avoient  rendu  agréable  au 
duc  de  Florence ,  ôc  à  la  Ducheffe  fon  époufe  ,  qui  l'avoient 
comblé  de  bienfaits  :  mais  le  fouvenir  d'une  injure  qu'il  avoit 
autrefois  reçue,  lui  faifoit  oublier  tant  de  grâces.  Il  avoit  été 
emprifonné  quelques  années  auparavant  fur  un  foupçon  affez 
léger  5  ôc  depuis  il  n'avoit confideré  l'amitié,  dont  Corne  l'ho- 
noroit ,  que  comme  un  moyen  plus  facile  de  l'affaiTiner  î  il 
avoit  fait  entrer  dans  fes  defïeins  Aftolphe  Cavalcanti,  ôc  Lau- 
rent Medicij  aufquels  s'étoient  joints  Richard  del  Milanefe  , 
Bernard  Corbinelli,  ôc  Puccio  Pucci  un  des  magiftrats  de  Flo- 
rence. Pandolfe  avoit  été  long-tems  en  France  avec  le  cardi- 
nal Farnefe  ,  Ôc  étant  enfuite  venu  à  Rome ,  il  avoit  décou- 
vert fon  deffein  aux  bannis  de  Tofcane  qui  y  étoient.  Quoi- 
que tous  confentiiTent  au  crime,  ils  n'étoient  nullement  d'ac- 
cord fur  le  tems ,  ôc  far  la  manière  de  l'exécuter.  Ainfi  on  ten- 
ta fouvent  cette  entreprife  ,  que  l'on  n'ofa  achever.  Enfin  les 
conjurez  voyant  que  les  Siennois  étoient  fournis,  ôc  que  la 
puiiîance  de  Corne  crciffoit  de  jour  en  jour  ,  réfolurent  de 
ne  plus  différer.  Quelques-uns  étoient  d'avis,  que  Pandolfe 
tuât  Côme  en  ces  mdmens  de  familiarité  ,  où  il  fe  trouvoit 
feul  avec  lui  dans  les  appartemens  du  Palais.  Mais  les  autres 
jugeoient ,  que  rien  n'étoit  plus  incertain ,  que  la  réufïîte  de 
leur  deffein ,  en  un  lieu  où  Côme  ôc  Pandolfe  feroient  avec 
des  armes  égales  5  les  conjurez  ne  devant  pas  efperer  d'y  pou- 
voir entrer  dans  le  même  tems.  On  convint  donc  que  le  plus 
fur  feroit  de  tuer  le  Duc  de  Florence  d'un  coup  de  piftolet ,  lorf- 
qu'il  iroit  à  cheval  dans  la  ville. 

Cependant  les  complices ,  gens  d'une  vie  déréglée ,  fe  li- 
vrant avec  fécurité  à  toutes  fortes  de  débauches  ,  félon  leur  cou- 
tume, fournirent  eux-mêmes  un  prétexte  pour  les  arrêter.  Cô- 
me qui  commençoit  à  foupçonner ,  qu'on  en  vouloit  à  fa  vie, 
fans  connoître  cependant  ceux  qu'il  avoit  à  craindre  ,  fit  em- 
prifonner  Cavalcanti^  ôc  Medici,  comme  des  hommes  de  moeurs 
corrompues.  Mais  on  ne  put  rien  découvrir  alors  par  l'inter- 
rogatoire des  deux  prifonniers.  Le  premier  fut  élargi,  après 


424  HISTOIRE 

avoir  été  averti  de  changer  de  vie  ;  ôc  Medici  fut  envoyé  dans 
François  ^a  cîtadelle  dePife.  Cet  événement  n'empêcha  pas  les  autres 
jj  *  complices  de  demeurer  à  Florence  ;  foit  qu'ils  comptaient  fur 
j  -  -  0  un  fecret  inviolable  de  la  part  des  compagnons  de  leur  crimes 
foit  que  le  defir  d'afTaiïiner  leur  Souverain  leur  donnât  une  con- 
fiance aveugle.  Enfin  les  amis  que  Corne  avoit  à  Rome ,  lui 
mandèrent  tout  le  détail  de  la  confpiration  t  ôc  jusqu'aux  noms 
des  conjurez.  Cavalcanti,  ôc  Medici  furent  jettez  une  fécon- 
de fois  dans  les  prifons  de  Florence  ;  Milanefe ,  ôc  Corbinelli 
avoientpris  la  fuite.  Pandolfe,  qui  fut  arrêté  en  mêmetems,  dé- 
couvrit par  un  écrit  toutes  les  circonftances  de  la  conjuration, 
fur  l'afTurance  que  lui  donna  le  confeilier  Corboli,  qui  Tinter- 
rogeoit  ,  que  Côine  pourroit  lui  pardonner  ,  s'il  confeflbit  la 
vérité.  La  déclaration  de  Pandolfe  portoit,  qu'il  avoit  décou- 
vert fon  deffein  à  Julien  Girolami  ,  ôc  à  Laurent  de  Libri  ; 
que  le  premier  l'en  avoit  voulu  détourner,  aufïi  bien  que  Fran- 
çois Nafi  fils  de  Lutozzo  >  mais  qu'à  l'égard  de  Libri ,  il  n  a- 
voit  rien  fçû  de  la  conjuration  ;  lui  Pandolfe  l'ayant  prié 
feulement  en  termes  généraux  de  lui  rendre  fervice  dans  l'oc- 
cafion.  Enfin  Medici,  ôc  Cavalcanti  ayant  été  convaincus  par  la 
dépofition  de  Pandolfe,  ôc  ayant  fait  enfuite  l'aveu  de  leur  crime 
dans  les  tourmens,  les  juges  condamnèrent  Pandolfe  à  être 
pendu  dans  la  place  publique  ,  Cavalcanti  ;  ôc  Medici  à  avoir 
la  tête  tranchée,  Ôc  Milanefe,  ôc  Corbinelli  déclarez  contu- 
maces ,  au  fupplice  des  criminels  d'Etat.  Nafi  ,  qui  s'étoit 
enfui  à  Venife ,  fut  abfous  peu  de  tems  après.  Girolami  fut 
condamné  à  une  prifon  perpétuelle  dans  le  château  de  Vo- 
laterra ,  parce  que  fçachant  la  conjuration ,  il  ne  l'avoit  pas  ré- 
vélée. Libri  fut  déchargé?  comme  n'ayant  rien  fçû,  aufîlbien 
que  François  de  Medici ,  ôc  Léonard  Nobili ,  qu'on  avoit  ar- 
rêtez comme  fufpects.  Côme  jugeant  qu'il  avoit  aflez  pourvu 
à  la  fureté  de  fa  perfonne  par  ces  exemples  de  juftice ,  voulut 
par  un  acte  de  bonté  ôc  de  modération ,  détourner  la  haine, 
que  pouvoit  lui  attirer  la  mort  de  ces  Gentilshommes  de  la  pre- 
mière condition  de  Florence.  Il  remit  aux  enfans  de  Pandol- 
fe la  confifcation  de  fes  biens,  qui  étoient  fort  conlidéra- 
bles.  Il  y  avoit  une  loi  en  Tofcane ,  qui  déclaroit  acquis 
au  fifc  les  biens  de  ceux  qui  feroient  condamnez  comme  re-» 
belles  au  Prince  5  ôc  qui  portoit ,  que  s'ils  étaient  fils   de 

famille 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIII.      42; 

famille,  le  tréfor  public fe  mettroit  en  poiTeflîon,  même  du  vi- 
vant de  leurs  pères  ôc  de  leurs  mères }  de  la  part  qui  auroit  ^ 

•r     v  c        a        1        r         /r        o<         j  FRANÇOIS 

appartenu  un  jour  a  ces  enrans  dans  leur  lucceilion.  Corne  don-        -rj  s 

na  à  Jean-Baptifte  Cavalcantila  confifcation  de  la  portion  hé- 
réditaire, qu'auroit  pu  prétendre  Aftolfe  Cavalcanti  fon  frère,        *  ' 
qui  venoit  d'être  condamné. 

Le  tems  étant  venu  où  l'on  devoit  mener  Madame  Ifabelle     ifabelle  <ie 
au  Roi  d'Efpagne  fon  époux ,  le  Roi  ôc  la.  Reine  mère  lacon-  FraSj|te  cn 
duifirent  au  commencement  de  Décembre  jufqu'à  Chaftelrault  Efpagne.    Sa 
ôc  à  Poitiers,  où  il  y  eut  bien  des  larmes  répandues ,  lorfqu'on  fe  lccePuon- 
fépara.  Le  Roi  revint  à  Blois  :  Ifabelle  accompagnée  du  car- 
dinal de  Bourbon  >  du  Prince  de  la  Roche-fur-Yon ,  ôc  de  plu- 
fieurs  Seigneurs  nommez  pour  le  voyage,  arriva  à  Bordeaux, 
où  le  Roi  de  Navarre,  qui  devoit  remettre  la  PrincefTe  entre 
les  mains  des  Efpagnols,  la  reçût  avec  beaucoup  de  magnifi* 
cence.  On  étoit  convenu  qu'au  premier  de  Janvier  Ifabelle  fe- 
rait remife  aux  Seigneurs  députez  par  Philippe,  en  un  lieu  nom- 
mé le  Pignon  ,  fitué  dans  les  Pirenées ,  fur  les  confins  de  la  Fran- 
ce ôc  de  l'Efpagne.  Mais  la  rigueur  de  l'hy ver ,  qui  eft  très- 
rigoureux  en  ce  payis-là,  ôc  l'abondance  des  néges ,  firent  qu'I- 
fabelle  ôc  le  Roi  de  Navarre  s'arrêtèrent   au  monaflere  de 
Roncevaux,  pour  y  attendre  les  plénipotentiaires  d'Efpagne. 
La  lente  gravité  des  Efpagnols  fit  qu'on  paffa  cinq  jours  en  ce 
lieu  à  régler  le  cérémonial.  Enfin  les  députez  de  Philippe  fe 
rendirent  avec  une  grande  pompe  d'Efpinal  à  Roncevaux ,  qui 
n'en  eft  éloigné  que  de  deux  lieues.  Les  Chefs  de  l'ambaiTa- 
de  étoient  le  duc  de  l'Infantado  ,  ôc  le  cardinal  de  Burgos  fon 
frère,  de  1,'illuftre  maifon  de  Mendoça,  qui  avoient  à  leur  fuite  le 
marquis  de  Cenete ,  le  comte  deTendilla,  le  marquis  de  Mon- 
tes-Claros  ;  les  comtes  de  Saldagne ,  de  Ribaldavia ,  ôc  de  Ri- 
badeo  >  Diego  Hurtado  fils  du  marquis  de  Cenete  ,  Diego 
ôc  Jean  Hurtado,  revenus  depuis  peu  ,1e  premier  de  l'ambaf- 
fade  de  Rome ,  ôc  le  fécond  de  celle  de  Venife  ;  Jean  Hur- 
tado feigneur  de  Frefno,  ôc  François  fils  du  marquis  de  Ce^ 
nete,  tous  de  la  maifon  de  Mendoça,  ou  des  premières  mai- 
fons  d?Efpagne.  Ces  Seigneurs  étoient  fuivis  de.  plus  de  deux 
mille  cinq  cens  cavaliers  richement  équippez.  La  maifon  du 
Roi  de  Navarre  étoit  tendue  de  drap  noir ,  à  caufe  du  dueil  du 
feu  Roi.  Le  cardinal  de  Bourbon  reçut  à  la  porte  les  députez, 
Tome  111.  Hhh 


42*  HISTOIRE 

fuivis  d'environ  trois   cens  Gentilshommes ,  ôc  les  condui- 
~  '  fit  à  l'appartement  où  étoient  la  Princefle  6c  le  Roi  de  Na- 

4  Jp  varre.  Après  quelques  momens  on  lût  aux  lumières ,  parce  que 
le  lieu  étoit  obfcur,  l'ordre  de  Philippe  à  fes  Ambaiïadeurs,pour 

1  S  S  9'  recevoir  des  mains  du  Roi  de  Navarre  la  Princefle  Ifabelle; 
enfuite  on  fe  leva.  D'abord  le  cardinal  de  Bourbon  étoit  entre  le 
duc  de  l'Infantado ,  ôc  le  cardinal  de  Burgos  :  mais  parce  que 
celui-ci  étoit  plus  ancien  cardinal  que  Bourbon  ,  ce  dernier  re- 
fufa  l'honneur  qu'on  lui  avoit  déféré.  Ainfi  le  duc  de  l'Infan- 
tado eut  la  place  la  plus  honorable  ,  enfuite  le  cardinal  de  Bur- 
gos eut  la  féconde  ;  ôcl'on  monta  en  cet  ordre  à  l'appartement 
de  la  Princefle ,  qui  étoit  orné  de  riches  tapifleiïes ,  ôc  d'une 
magnifique  eftrade  ,  fermée  d'une  balQftrade  dorée. 

Ifabelle  y  étoit  afllfe ,  ayant  à  fa  droite  le  Roi  de  Navarre, 
ôc  du  même  côté,  mais  un  peu  au-deflbus  :  le  Prince  de  la 
Roche-fur-Yon  ,  Mademoifelle  de  Montpenfier  fille  du  Prin- 
ce de  ce  nom ,  Ôc  Mefdemoifelles  de  Rieux ,  ôc  de  Clermont 
étoient  à  la  gauche.  Auprès  du  fiége  de  la  Princefle  étoit  de- 
bout Lopez  de  Gufman  Major-dome,  qui  lui  nommoit  les 
Seigneurs  qui  fe  préfentoient  pour  lafaluer.  Après  que  les  Gen- 
tilshommes Efpagnols  eurent  baifé  à  genoux  la  main  de  leur 
Reine,  fuivant  l'ufage,  les  Ambafladeurs  qui  fuivoient  arrivè- 
rent. Le  Roi  de  Navarre  ,  ôc  le  Prince  de  la  Roche-fur-Yon 
s'étant  levez ,  le  duc  de  l'Infantado  voulut  fe  mettre  à  genoux 
pour  baifer  la  main  de  la  Reine,  qui  fe  levant  le  fit  aufli-tôt 
relever ,  Ôc  le  reçût  lui ,  ôc  le  Cardinal  fon  frère,  avec  de  gran- 
des marques  de  diftinclion ,  ôc  de  bonté.  Alors  le  Cardinal  fît  à 
Ifabelle  une  harangue  éloquente  ôc  refpe£tueufe,  à  laquelle 
elle  répondit  d'un  air  riant,  ôc  avec  des  termes  pleins  tout  en- 
femble  de  douceur  ôc  de  majefté.  Enfuite  les  députez  s'appro- 
chèrent du  Roi  de  Navarre,  ôc  après  les  complimens  ordi- 
naires, lui  préfenterent  l'ordre  du  Roi  d'Efpagne,  le  priant  de 
leur  donner  leur  Reine.  Ce  Prince  dit  alors ,  qu'il  étoit  inutile 
de  lire  les  ordres  de  Philippe ,  qui  ne  lui  étoient  pas  incon- 
nus h  ôc  ajouta ,  que  le  plus  grand  Roi  du  monde  lui  avoit 
•confié  l'illuftre  Princefle  qui  étoit  préfente  >  pour  la  remettre 
au  plus  puiflant  Roi  de  l'univers,  ou  à  fes  Plénipotentiaires? 
qu'il  s'acquittoit  avec  joie  des  ordres  qui  lui  avoient  été  don- 
nez ,  ne  pouvant  dépofer  un  gage  fi  précieux  en  de  meilleures 


DEJ.  A.  DETHOU,  Liv.  XXIII.      4^7 

mains  ■>  qu'il  les  prioit  de  ménager  la  fanté  de  la  Princefïe ,  quoi- 
qu'il fût  perfuadc  de  leur  zélé ,  6c  de  leur  attachement  pour  ^ 
fon  augufte  perfonne  ;  qu'au  refte,  il  ne  leur  difoit  rien  de  les         «•* 
grandes  qualitez,  dont  ils  nepouvoient  douter  après  l'avoir  vue, 
ôc  dont  ils  feroient  encore  plus  convaincus  dans  la  fuite  ;  en-      l  $  >  *- 
forte  qu'il  s'afluroit  qu'on  feroit  obligé  de  reconnoître,  que  l'Es- 
pagne n'avoit  jamais  eu  de  Reine  ni  plus  vertueufe  ,  ni  plus 
accomplie. 

Enfuite  le  Roi  de  Navarre  jugea  à  propos  de  dire  quelque 
chofe  par  rapport  à  fes  intérêts.  11  pria  les  Députez  de  fe  fou- 
venir  ,  que  par  le  dernier  traité  de  paix ,  6c  fuivant  les  ordres 
du  Roi,  dont  il  étoit porteur,  on  devoit  remettre  la  Princef- 
fe  aux  Efpagnols ,  en  un  lieu  qui  fut  fur  les  confins  de  la  Fran- 
ce, 6c  de  l'Efpagne;  qu'ils  voyoient  bien  qu'on  avoit  dérogé 
à  cet  article  ,  puifqu'on  étoit  à  Roncevaux  fitué  au  milieu  du 
Royaume  de  Navarre  ,  qui  lui  apartenoit ,  6c  fort  éloigné  des 
frontières  des  deux  Etats  ;  qu'ainfiil  proteftoit  contre  ce  qu'on 
faifoit  aujourd'hui ,  afin  que  cela  ne  portât  aucun  préjudice  à 
fes  droits.  Les  Efpagnols  ayant  répondu  en  peu  de  mots, qui 
ne  fignifioient  rien  ,  on  fe  fépara  avec  de  grandes  marques  de 
bienveillance  de  part  6c  d'autre.  La  Reine  monta  dans  une 
litière  ,  ayant  à  fes  cotez  le  duc  de  l'Infantado ,  6c  le  cardinal  de 
Burgos  6c  arriva  le  même  jour  à  Efpinal.  Elle  paffa  parles  villes 
de  Madrid ,  de  Valladolid ,  6c  de  Tolède ,  où  on  la  reçût  avec 
pompe ,  ôc  avec  de  grandes  marques  de  réjoùiffance ,  6c  elle 
arriva  enfin  à  Guadalajara ,  qu'on  croit  être  l'ancienne  Numan- 
ce  i  là  le  mariage  fut  confommé  le  dernier  de  Janvier  de  l'année 
i  j  6o.  Nous  ne  parlerons  point  de  toutes  ces  vaines  cérémo- 
nies ,  que  de  frivoles  auteurs  ont  rapportées  fort  au  long  ;  ayant 
des  chofes  plus  confidérables ,  ôc  plus  interreffantes  à  écrire. 
Quelque  tems  après  ,  Philippe  qui  ne  vouloit  pas  que  l'on  crut 
que  fa  tendreffe  pour  une  jeune  Reine  lui  fit  oublier  la  juftice 
qu'il  devoit  à  Don  Carlos  ,  qu'il  avoit  eu  de  Marie  de  Por- 
tugal fa  première  femme ,  aflembla  les  Etats  de  Caftille ,  ôc  des 
autres  Provinces  de  l'Efpagne,  ôcles  engagea  à  prêter  ferment 
de  fidélité  à  fon  fils  ,  comme  à  Théritier  légitime  de  fes  Royau- 
mes. Saint  Gelais  de  Lanfac ,  qui  avoit  été  auparavant  Ambaf- 
fadeur  du  Roi  à  Rome ,  où  il  s'étoit  conduit  avec  beaucoup 
de  prudence ,  accompagnoit  Ifabelle  par  ordre  du  Roi  fon 

Hhh  \j 


42S  HISTOIRE 

maître,  pour  lui  fervir  de  confeil ,  jufqu'à  ce  qu'elle  fe  fût 
-ZT  accoutumée  aux  mœurs ,  ôc  aux  manières  des  Espagnols. 

^T>  Il  eft  à  propos  de  dire,  que  peu  après  l'arrivée  de  Philippe 

en  Efpagne,  le  Roi  de  Navarre  luiavoit  envoyé  ,  par  laper- 
1  )  5 9-     miffion  du  Roi,  Pierre,  bâtard  de  la  maifon  Navarre,  pour 
lui  demander  la  reftitution  de  fon  Royaume.  D'abord  on  ré- 
pondit à  ce  député ,  qu'on  ne  pouvoit  lui  accorder  ce  qu'il  de- 
tnandoit ,  parce  que  Philippe  avoit  des  droits  inconteirables  fus 
la  Navarre,  qu'il  regardoit  d'ailleurs  comme  une  barrière  con- 
tre les  entreprifes  de  la  France.  Enfin  Pierre  de  Navarre  ob- 
tint qu'on  donneroit  un  équivalent ,  dont  Antoine  joùiroit  à 
titre  de  fouveraineté,  pourvu  que  ce  ne  fût  ni  en  Efpagne , 
ni  dans  les  Indes.  Il  demanda  le  Royaume  de  Sardaigne  pour 
compenfation  •■>  proportion  qui  parut  ne  pas  déplaire  à  Philippe, 
qui  dit  cependant  que  cette  affaire  méritoit  une  mûre  délibé- 
ration ;  que  ne  faifant  qu'arriver  en  Efpagne ,  il  ne  pouvoit  être 
encore  au  fait  des  intérêts  de  la  nation  \  ôc  qu'il  en  parîeroit 
aux  Cours  du  Royaume,  c'eft-à- dire  aux  Etats  généraux , qu'on 
alloit  au  premier  jour  affembler  à  Tolède.  Cela  fe  pafTa  au  mois 
d'Oûobre.  Deux  mois  après ,  lorfqu'Antoine  eut  conduit  Ifa- 
telle  fur  la   frontière  ,  Alfonfe  de  la  Cueva   duc    d'Albu- 
querque ,   qui  lui    faifoit  de  grandes  démonftrations  d'amitié, 
fe  joua  de  ce  Prince  d'une  manière  indigne.  Il  trouva  moyen 
de  lui  faire  infinuer  par  un  certain  Lefcure,  qui  quoique  né 
en  Bearn  ,  fervoit  le  due  en  qualité  de   domeftique  ',  que 
s'il  venoit  faluer  Philippe  ,   il  pourroit  obtenir  quelque  fa- 
îisfa£tion  fur  fon  Royaume  de  Navarre.  Antoine  trop  crédu- 
le ,  ôc  féduit  par  de  flateufes  efpérances ,  agréa  ce  confeil ,  ôc 
envoya  aufïi-tôt  en  Efpagne  Jean-Claude  Levi  fieur  d'Odaux: 
gentilhomme   d'une  illuftre  naiffance,  fans  avoir  coniulté  fur 
cette  démarche  délicate  la  Cour  de  France,  ni  en  avoir  averti 
Sebaftien  de   l'Aubefpine  évêque  de  Limoges,  notre  Am- 
baffadeur  en  Efpagne.  Odaux  arriva  avec  des  lettres  d'Antoi- 
ne pour  Philippe ,  par  lefquelles  il  le  priok  de  lui  permettre, 
ôc  à  la  Reine  fon  époufe  ,  de  fe  rendre  auprès  de  lui ,  pour 
terminer  à  l'amiable  leurs  differens  fur   la  couronne  de  Na- 
varre. Le  Roi  d'Efpagne  ,  quiétoit  alors  à  Tolède,  ayant  ap- 
pris parles  lettres  du  Roi  de  Navarre  ,  la  commifîion  qu'on 
avoir  donnée  à  Odaux  ,  demanda  avec  -empreflement  à  cp 


DE   J.   A.  DE   THOU  ,  L  t  v.  XXIII.        42P 

Gentilhomme  des  nouvelles  de  la  fanté  d'Ifabelîe ,  qui  n'étoit  _. 

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pas  encore  arrivée  à  Guadalajara ,  ôc  dit,  qu'il  avoit  degran-  francois 
des  obligations  à  Antoine,  d'avoir  bien  voulu  l'accompagner         tt 
jufque  fur  la  frontière  ;  ajoutant ,  qu'il  feroit  réponfe  aux  or- 
dres dont  étoit  chargé  Odaux,  lorfqu'il  auroit  confulté  fon 
Confeil. 

Cela  fe  paffa  en  préfence  de  l'Evêque  de  Limoges  ,  que 
Philippe  fit  entrer  dans  fon  cabinet  ,  après  avoir  congédié 
Odaux.  Il  demanda  à  ce  Miniftre,  fi  la  démarche  que  faifoit 
Antoine  étoit  de  l'aveu  du  Roi  de  France  ,  ôc  fi  on  lui  avoit 
écrit  à  ce  fujet.  L'Evêque  ayant  dit  qu'il  n'avoit  point  d'ordre 
là-deffus ,  le  Roi  partit  deux  jours  après  pour  la  chaffe ,  ayant 
donné  ordre  à  Cortevilla  Secrétaire  d'Etat ,  de  remettre  des 
lettres  de  fa  part  à  Odaux  pour  le  Roi  de  Navarre  ,  ôc  de 
dire  à  ce  Gentilhomme ,  que  quand  ce  Prince  voudroit  trai- 
ter des  affaires  de  cette  nature,  il  étoit  inutile  que  la  Reine 
fon  époufe ,  ôc  lui  s'expoffaffent  aux  fatigues  d'un  long  voya- 
ge? puifqu'on  ne  pouvoit  lui  dire  autre  chofe,  que  ce  que  le 
feu  Empereur  fon  père  avoit  répondu  autrefois  à  fes  prédecef- 
feurs  .,  ôc  que  ce  qu'il  avoit  dit  lui-même  à  fes  envoyez  à 
Cercamp.  Odaux,  chagrin  du  mauvais  fuccès  de  fon  voya- 
ge, alla  trouver  Albuquerque ,  à  qui  il  fit  de  grandes  plaintes. 
Le  Duc  lui  répondit,  que  s'il  avoit  dit  à  la  Cour  d'Efpagne 
qu'Antoine  demandoit  à  s'y  rendre,  pour  mériter  par  quelque 
important  fervice  les  bonnes  grâces  du  Roi,  il  auroit  été  mieux 
reçu.  On  doute  encore,  fi  les  Efpagnols  firent  un  plus  grand 
outrage  au  Roi  de  Navarre  ,  lorfque  par  une  réponfe  fi  féche 
ils  lui  ôterent  toute  efperance  de  recouvrer  fes  Etats,  ou  lorf- 
que par  de  baffes  intrigues,  ils  engagèrent  ce  Prince  généreux,, 
ôc  iffu  de  la  plus  augufte  Maifon  de  la  Chrétienté ,  à  faire  une 
démarche  humiliante,  ôc  honteufe. 

Le  Saint  Siège  étoit  vacant  depuis  plufieurs  mois  par  les 
fourdes  menées  des  Efpagnols.  Après  avoir  expulfé ,  pour  ainfi 
dire  les  François  de  toute  l'Italie ,  ils  vouloient  faire  élire  un 
Pape,  quileur  fût  entièrement  dévoué,  ou  qui  étant  de  baffe  v 
xiaiffance ,  ôc  fans  aucun  appui ,  n'osât  rien  entreprendre  contre 
eux,ni  contre  les  Princes  d'Italie,  lorfqu'il  feroit  parvenu  au  fou- 
verain  Pontificat.  Vargas  Ambaffadeur  de  Philippe  fe  donnoit 
de  grands  mouvemens,  pour  faire  exclure  les  Cardinaux  qui 

Hhh  iij 


4jo  HISTOIRE 

lui  étoient  fufpecb.  Trois  mois  s'étoient  déjà  écoulez,  Ôc  il  y 
~~  ~  avoit  apparence  que  de  long-tems  on  n'auroit  un  Pontife ,  mal- 

trançois  gréles  plaintes  des  autres  Princes  Chrétiens  ,  qui  repréfentoient 
-"•  en  vain  au  facré  Collège  ,  que  ces  politiques  incertitudes  en- 
1  >  S  9*  tretenoienr  de  plus  en  plus  les  troubles  qui  agitoient  l'Eglife. 
L'évêque  de  Limoge  Ambaffadeur  du  Roi  s'en  plaignit  for- 
tement au  duc  d'Albe ,  qui  répondit ,  un  peu  ému  ,  que  Var- 
gas  follement  ambitieux  abufoit  en  cette  occafion  du  nom  du 
Roi  fon  maître,  qui  ne  vouloit autre  chofe,  fïnon  qu'on  élût 
un  Pape  au  plutôt  par  de  libres  fufFrages  ;  qu'il  importoit  peu 
à  ce  Prince  que  le  Pontife  fût  Efpagnol,  Allemand,  Italien, 
ou  François ,  pourvu  que  guidé  par  la  pieté  ôc  par  la  pru- 
dence, 6c  exempt  de  toute  pafïion ,  il  n'eut  en  vûë  que  la  gloi- 
re de  Dieu  ôc  la  tranquillité  de  l'Eglife  >  que  Philippe  en  par- 
tant des  Payis-baspourl'Efpagne  s'étoit  trompé  dans  fon  choix, 
en  donnant  à  Vargas  une  Ambaffade  il  honorable  ;  que  c'é- 
toit  par  fes  artifices  également  téméraires  Ôc  perfides,  que  Jean 
Figueroa,  que  Philippe  avoit  envoyé  à  Rome ,  n'avoit  pu  être 
admis  à  l'audience  du  Pape ,  afin  de  parvenir  par  là  à  le  rempla- 
cer ;  que  c'étoit  pour  cela  que  lui  (  duc  d'Albe  )  qui  comman- 
doit  alors  en  Italie  ,  l'avoit  fait  emprifonner  i  que  le  Roi  avoit 
réfolu  de  le  rappeller,  ôc  de  le  punir;  que  ce  Prince  avoit  fait 
écrire  au  fils  du  marquis  de  Montemajor,  de  faire  enforte  que 
Vargas  ne  fe  mêlât  plus  de  cette  affaire,  de  révoquer  même 
£qs  pouvoirs  fuivant  fes  ordres ,  ôc  de  déclarer  aux  Cardinaux 
enfermez  au  Conclave  ,  que  Philippe  ne  prétendoit  point 
gêner  la  liberté  des  fuffrages.  Le  duc  d'Albe  ajouta ,  que  cette 
longue  vacance  étoit  auffi  l'effet  des  intrigues  du  cardinal  Ca- 
raffe ,  qui  travetfoit  l'élection  par  des  vues  particulières. 
Le  cardinal  Enfin  après  un  interrègne  de  quatre  mois  ôc  fept  jours ,  le 
Elu  Pape°  cardinal  Jean  Angelo  Mediquino  x  fut  élevé  au  Pontificat  le 
prend  le  non*  26  de  Décembre  la  nuit  du  lendemain  du  jour  de  Noël,  (par 
e  Pie  iv.  ja  fa£jon  des  carciinaux  Charle  ôc  Alfonfe  Caraffe ,  du  cardi- 
nal Farnefe,  du  cardinal  Sforce,  ôcdu  cardinal  de  Guife,  les 
plus  iiluftres  Prélats  du  Conclave  compofé  de  quarante-qua- 
tre Cardinaux  )  Ôc  fut  couronné  le  jour  des  Rois.  On  remar- 
que ,  comme  une  chofe  finguliere ,  qu'il  naquit  le  jour  de  Pâ- 
ques ,  qu'il  fut  fait  Pape  à  Noël,  Ôc  qu'il  fut  revêtu  desornemens 

'    J  ou  Medici. 


DE  J.  A.  DE   TH  OU,  Liv.  XXIII.        431 

pontificaux  le  jour  de  l'Epiphanie.  Son  père  nommé  Bernar-  ■«■■■■■>■■■■■  .m.» 
din,  qui  étoit  de  baffe  naiffance,  ôc  commis  pour  la  percep-  François 
tion  des  impôts ,  avoir  époufé  Cécile  Serbelloni  ,  dont  il  eut        \\[ 
quatorze  enfans.  Jean  Jacque  étoit  l'aine  de  tous ,  qui  fut  ce     1  ç  ç  o. 
fameux  marquis  de  Marignan,  dont  nous  avons  parlé  ci-deffus, 
ôc  qui  étoit  fi  cher  au  cardinal  Mediquino  fon  frère  >  que  lors- 
que celui-ci  fut  éiu  Pape,  ôc  qu'on  le  conduisit  avec  de  gran- 
des acclamations  du  Conclave  à . l'Eglife  de  Saint  Pierre,  il 
demanda  bien  des  fois  avec  empreffement  à  fes  amis  qui  l'ac- 
compagnoient  :  Où  eftmon  frère  le  marquis  de  Marignan.  Pie 
IV.  étoit  le  fécond  (carc'eftle  nom  que  prit  le  cardinal  Medi- 
quino. )  Un  troifiéme  nommé  Jean-Baptifte  mourut  avant  V^ge 
de  quinze  ans.  Augufte  qui  le  fuivoit  fut  marquis  de  Marignan, 
après  la  mort  de  Jean-Jacque,  ôcfut  peu  aimé  de  Pie  IV.  fon 
frère.  Gabriel  le  dernier  de  tous  fut  tué  l'an  1535"  d'un  coup 
de  canon  auprès  de  Mandello  au  fiége  de  Lecco,  dans  le  rems 
que  le  marquis  de  Marignan  faifoit  la  guerre  à  François  Sfor- 
ce  duc  de  Milan. 

-L'aînée  des  fceurs  de  Pie  IV.  appellée  Claire  ,  fut  mariée  à 
Volf  d'Altemps,  gentilhomme  Allemand  du  diocéfe  de  Conf- 
iance, ôc  eut  de  ce  mariage  MarcSittich  qui  fut  Cardinal,  ôc 
les  comtes  Annibal  ôc  Gabriel.  Marguerite  féconde  fceur  du 
Pape  époufa  Gilbert  Borromée  comte  d'Arona,  dont  elle  eut 
le  cardinal  Charle ,  fi  connu  par  la  fainteté  de  fa  vie ,  ôc  le  com- 
te Frédéric.  Enfin  la  cadette  nommée  Camille  prit  alliance 
avec  Cefar  de  Gonfague  fils  de  Ferdinand. 

Au  refte  Pie  IV.  gouverna ,  au  commencement  de  fon  Pon- 
tificat, avec  une  douceur  3  qui  répondoit  au  nom  qu'il  avoit  pris. 
Il  pardonna  aux  Romains  tout  ce  qu'ils  avoient  fait  con- 
tre rinquifition ,  ôc  contre  la  mémoire  de  fon  prédeceffeur ,  en 
brifant  faftatuë  ôcfes  armoiries ,  à  condition  qu'ils  répareroient, 
autant  qu'il  feroit  poffible  }  les  dommages  qu'ils  avoient  cau- 
fez.  Mais  peu  après ,  ce  Pontife ,  qui  avoit  la  réputation  d'être 
doux,  humain  ,  patient, bienfaifant,  plein  de  reconnoiffance, 
Ôc  défintereffé ,  parut  tout  d'un  coup  avoir  pris  un  autre  carac- 
tère. Il  caffa  prefque  tous  les  actes  de  fon  prédeceffeur  s  chan- 
gea la  forme  du  gouvernement  ;  ordonna  le  revifion  de  l'affai- 
re des  Moines ,  ôc  des  Religieux  mendians ,  qui  avoient  été 
déliez  de  leurs  vœux  par  les  Papes ,  ôc  que  le  dernier  Pontife 


4}2  HISTOIRE 

,■:■"     avoit  forcez  de  rentrer  dans  leurs  couvent  :  il  fît  examiner  de 
~T  ~  nouveau  les  procès  de  ceux  que  le  feu  Pape  avoit  fait  empri- 

François  fonnerj  comme  fufpecls  d'héréfie  ;  ôc  ayant  ordonné  aux  Inqui- 
fiteurs  de  fe  conduire  par  de  certaines  règles ,  il  rendit  jufti- 
1  S  5  9*  ce  à  des  perfonnes  arrêtées  fur  des  préjugez  allez  légers.  Le 
cardinal  Jean  Moron  >  ôc  San-Felice  évêque  de  la  Cava ,  qui 
avoient  eu  de  grandes  liaifons  avec  l'illuftre  cardinal  Poole ,  fu- 
rent de  ce  nombre,  ôc  eurent  la  liberté.  On  goûta  fort  aufîî 
ce  qu'il  fit  peu  après  fon  exaltation  ,  lorfqu'il  approuva  l'ab- 
dication  ,  que  Charle-Quint  avoit  faite  de  l'Empire  en  faveur 
de  Ferdinand  fon  frère ,  que  Paul  IV.  avoit  blâmée  comme 
illégitime,  Ôc  lorfqu'il  reçut  avec  bonté  ôc  avec  de  grands  hon-> 
neurs  les  Ambaffadeurs  du  nouvel  Empereur. 


Fin  du  vingt-tYOtfiéme  Livre, 


HISTOIRE 


43? 


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**************   .*..*     *     *     *     * 


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JACQUE     AUGUSTE 

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LIVRE  VINGT^QVATRIEME. 


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L  eft  teins  maintenant  de  dire  quel- 
que chofe  de  fuivi  des  affaires  des 
Turcs  ,  dont  jufqu'ici  nous  n'avons 
parlé  qu'en  paflant.  Depuis  que  j'ai 
rapporté  la  mort  de  Muftapha  l ,  que 
Soliman  II.  fon  père  ,féduit  par  les  ar- 
tifices de  Roxelane  &  du  Vifir  Ru- 
ftan  ,  avoit  fait  périr ,  je  n'ai  fait  men- 
tion du  Sultan  ,  qu'à  loccafion  de  la 
flotte  ,  qu'il  envoyoit  tous  les  ans  fur 
les  cotes  d'Italie,  fuivant  le  traité  qui  l'y  engageoit.  Les  en- 
fans  de  Soliman  ayant  été  long-tems  divifez  par  de  fecrettes 
jaloufies  ,  ôc  par  de  grandes  inimitiez ,  qui  donnèrent  lieu  en- 
fin à  une  guerre  ouverte  entr'eux,  l'Empereur  des  Turcs,  oc- 
cupé à  pacifier  ces  troubles  domeftiques  ,  laiffoit  les  Princes 
Chrétiens  en  repos.  Après  la  fin  tragique  de  Muftapha,  ôc  la 


François 

II. 

1  S  $9- 

Affaires 
des  Turcs. 


i  Voyez  le  Livre  douzième  tome  i. 

Tom.  III. 


lii 


4?4  HISTOIRE 

.  mort  de  Zeangir ,  ôc  de  Mahomet  qui  avoit  fini  Tes  jours  long» 
François  tems  auParavant>  après  avoir  été  marié,  il  ne  reftoit  plusàSo- 
jj         lîman  II.  que  deux  fils  de  Roxelane;  Selim  qui  étoit  l'aîné  3 
j  -  .  g      ôc  que  fon  père  deftinoit  à  l'Empire  5Ôc  Bajazet,  pour  qui  la 
Caraâere    Sultane  fa  mère  avoit  une  tendreffe  finguliere ,  ôc  qu'elle  fouhai- 
de   Bajazet.    tojt  avec  paflion  d'élever  fur  le  thrône.  Véritablement  Bajazet 
avoit  des  qualitez  qui  le  faifoient  aimer  de  tout  le  monde.  Il 
avoit  un  air  doux  >  des  manières  infinuantes  ,  un  grand  pen- 
chant pour  l'étude  Ôc  pour  le  repos  ,  ôc  reflembloit  beaucoup 
de  vifage  au  Sultan.  On  ne  pouvoir  pas  dire  la  même  chofe 
de  Selim,  qui  étoit  laid  &  gros,  avoit  le  vifage  fort  rouge  3 
ôc  les  joues  bouffies  ;  enforte  que  les  foldats  difoient  commu- 
nément qu'il  paroiiToit  engraifle  avec  de  la  bouillie.  De  plus 
il  paflfoit  fa  vie  à  boire  ôc  à  dormir,  étoit  haï  de  tout  le  mon- 
de par  fes  manières  féroces  ôc  impolies  ,  ôc  ignoroit  l'art  de  fe 
faire  des  créatures  parles  careffes  &  les  bienfaits.  Il  difoitàce 
fujet  ,  qu'il  craignoit  de  fe  rendre  fufpect  au  Sultan  fon  père  , 
en  s'attirant  l'arle&ion  des  peuples.  Bajazet  au  contraire  avoit 
gagné  le  cœur  des  Turcs,  par  fon  aimable  caractère  ôc  par  les 
fervices  qu'il  cherchoità  rendre  en  toute  occafion  aux  Bâchas 
ôc  aux  officiers  du  Serrail ,  qui  ne  voyoient  qu'avec  douleur  un 
Prince  fi  accompli  deftiné  à  une  mort  certaine  3  lorfqueSelim 
monteroit  fur  le  thrône. 

Bajazet ,  comme  nous  l'avons  dit ,  étoit  protégé  de  Roxe- 
lane,  qui  l'aimoit  uniquement,  ôc  de  Ruftan  confident  delà 
Sultane  ,  qu'on  avoit  éloigné  du  gouvernement  des  affaires  , 
pour  faire  ceffer  les  murmures  des  Turcs ,  qui  lui  imputoienc 
la  mort  de  Muftapha  ,  mais  qui  étoit  fur  le  point  de  ren- 
trer dans  la  charge  de  Grand  Vifir ,  qu'on  lui  avoit  ôtée.  Ce 
Prince  cherchant  les  moyens  de  fe  dérober  aune  mort  inévi- 
table, réfolut  de  périr  plutôt  les  armes  à  la  main  ,  en  difputant 
l'Empire  ,  que  d'abandonner  un  jour  honteufement  fa  vie  à  un 
bourreau,  miniftre  des  ordres  de  Selim.  D'heureufes  conjonctu- 
res femblerent  favorifer  fes  defleins.  Tes  Turcs  ne  pouvoient 
fe  confoler  de  la  mort  de  Muftapha.  Plufieurs  ne  lui  furvivoient 
qu'à  regret;  d'autres  ne  refpiroient  que  la  vengence  3  quelques- 
uns  qui  avoient  été  attachez  à  ce  Prince  infortuné,  craignoient 
que  ces  liaifons  ne  leur  devinffenr  fatales,  ôc  cherchoient  à  fe 
garantir  du  péril  par  quelque  révolution.  Il  ne  manquoit  à 


DE  J.   A.   DE  THOU,  Liv.  XXIV.    4îf 

tous  qu'un  Général  qui  fe  mît  à  leur  tête.  Si  on  ne   pouvoit 
rendre  la  vie  à  Muftapha  ,  on  le  pouvoit  fuppofer  vivant.  On  ,-, 
fe  fouvenoit  encore  d'un  autre  Muftapha  appelle  dans  les  An-       "jj 
nales  des  Turcs ,  Du/mes ,  c'eft-à-dire  ,  fuppoté,  qui  en  l'année 
1423  avoit  paru  après  la  mort  de  Mahomet,  ôc  s'étoit  dit  le        '  ' 
fils  de  Bajazet  Gilderun  ,  quoique  ce  fils  eut  été  tué  long-tems 
auparavant  dans  un   combat ,  que  Tamerlan  avoit  livré  aux 
Turcs.  On  penfoit  avec  plaifir,  que  cetimpofteur  avoit  excité 
de  grands  troubles ,  à  l'avènement  d'Amurath  II.  à  l'Empire  , 
ôc  qu'il  lui  avoit  long-tems  difputé  la  Couronne. 

Les  émiflaires  de  Bajazet  trouvèrent  un  homme  de  baffe  naïf-     Faux  Muf- 
fance ,  fourbe  ôc  effronté  3  qui  avoit  les  traits  ôc  la  taille  du  tap 
prince  Muftapha. Cet  avanturier prenant  le  nom  de  Muftapha, 
parut  fur  la  fcene  dans  une  province  qui  eft  au-deffus  de  Con- 
ftantinople  y  ôc  voifme  des  bouches  du  Danube.   Accompa- 
gné de  peu  de  perfonnes ,  il  répondoit  comme  en  tremblant  à 
ceux  qui  lui  demandoient  fon  nom,  qu'il  étoit  Muftapha,  ôc 
que  fuyant  la  colère  du  Sultan  fon  père,  il  s'étoit  fauve  adroi- 
tement. Il  ajoûtoit  ,  pour  rendre  cette  fable  plus  croyable  , 
que  lorfque  fon  père  l'avoit  envoyé  quérir ,  qu'il  n'avoit  ofé  fe 
préfenter  devant  lui ,  mais  qu'il  avoit  engagé  par  de  grandes 
promeffes  un  de  fes  confidens  ,  qui  lui  reffembloit  parfaitement, 
d'aller  au  lieu  de  lui ,  pour  éprouver  par  là  les  difpofitions  du 
Sultan  à  fon  égard  :  Que  cet  ami  malheureux  avoit  été  étran- 
glé ,  fans  avoir  été  entendu  ,  ni  préfenté  à  Soliman  :  Qu'enfuite 
fon  corps  ayant  été  jette  devant  la  tente  du  Sultan  ,  plufieuts 
avoient  cru ,  que  c'étoit  celui  du  véritable  Muftapha  >  parce 
que  ce  malheureux  ayant  long-tems  difputé  fa  vie  contre  fes 
bourreaux ,  avoit  le  vifage  tout  défiguré  :  Que  pour  lui ,  il  avoit 
pris  auîTi-tôt  la  fuite  ,  ôc  que  s'étant  embarqué  fur  le  canal  de 
la  mer  noire,  il  s'étoit  rendu  dans  leur  payis.  D'abord  il  ra- 
contoit  cette  fable  avec  de  grandes  précautions  ôc  en  faifoit 
comme  un  fecret  5  puis  voyant  qu'on  l'écoûtoit  avec  avidité 
ôc  qu'on  ajoûtoit  foi  à  fes  impoftures ,  il  les  publia  par-tout  avec 
de  nouvelles  circonftances  >  imputant  fes  malheurs  à  Roxelane 
fa  belle-mere  ,  ôc  à  Ruftan  gendre  de  cette  femme ,  qui  gou- 
vernoient ,  difoit-il  à  leur  gré  le  Sultan  décrépit ,  après  l'avoir 
enchanté  par  des  philtres  :  Puis  prenant  un  air  plus  hardi  , 
ôc  connoiffant  que  les  hommes  fuivent  plus  volontiers  les 

lu  lj 


43<*  HISTOIRE 

;  Princes  qui  ont  des  refïburces  ,  que  ceux  qu'ils  voyent  mal- 

François  heureux,  ôc  que  contens  de  donner  des  larmes  ftériles  à  fin- 
IL  fortune  des  derniers ,  ils  font  peu  difpofez  à  les  fecourir ,  il 
1  S  5  9-  ajoûtoit  qu'en  l'état  où  il  étoit ,  il  avoit  encore  de  grandes  ef- 
pérances  ;  que  la  juftice  de  fes  droits  animoit  fon  courage , 
qu'il  ne  manqueroit  pas  d'amis  ,  qui  le  tireroient  de  l'obfcu- 
rité  où  fes  difgraces  l'avoient  réduit ,  ôc  le  vengeroient  de  fes 
ennemis  ;  que  les  JanilTaires ,  qui  faifoient  la  principale  force  de 
l'Empire ,  lui  étoient  dévouez ,  auffi-bien  que  les  principaux 
officiers  du  Sultan  fon  père  ;  ôc  qu'enfin  ce  grand  nombre  de 
perfonnes  ,  qui  le  pleuroient  comme  mort  >  ne  manqueroient 
pas  d'accourir  à  fa  défenfe ,  quand  elles  le  fçauroient  plein 
de  vie. 

L'impofteur  fçut  débiter  ces  menfonges  avec  tant  d'adrefTe  ; 
que  plusieurs  ajoutèrent  aifément  foi  à  un  roman ,  qui  fuppo- 
foit  vivant  un  Prince  qui  leur  avoit  été  fi  cher  :  d'autres  qui 
avoient  connu  Muftapha  durant  fa  vie  ,  ôc  qui  l'avoient  va 
mort  ,  après  qu'on  l'eut  étranglé,  prirent  plailir  à  être  trom- 
pez, en  un  tems  où  le  gouvernement  leur  étoit  devenu  odieux. 
La  plupart  enfin  gagnez  par  les  careffes ,  par  les  offres ,  ôc  par 
les  préfens  du  faux  Muftapha  ,  à  qui  Bajazet  avoit  fait  fournir 
de  grofTes  fommes ,  favoriferent  fon  parti ,  ôc  s'enrollerent  fous 
fes  ordres.  Ainfi  en  peu  de  tems  il  foûleva  de  grandes  provin- 
ces ,  leva  des  troupes  de  tous  cotez ,  ôc  en  compofa  une  ar- 
mée.   Au  premier  bruit  de  ces  mouvemens.»  Soliman  écrivit 
aux  Bâchas  de  cespayis,  d'éteindre  au  plutôt  cet  embrafement, 
avant  qu'il  pût  s'étendre  plus  loin  ;  de  joindre  leurs  forces  , 
Ôc  d'accabler  au  plutôt  l'impofteur  5  imputant  à  leur  foibleffe 
ôc  à  leur  négligence  les  progrès  qu'avoit  fait  le  menfonge.  En 
même-tems  il  envoyé  Pertau  ,  un  de  fes  généraux  en  qui  il 
avoit  le  plus  de  confiance,  avec  une  affez  petite  armée,  mais  dont 
les  officiers  étoient  choifis  ôc  très  affectionnez  au  Sultan  5  par- 
ce qu'il  craignoit  que   les  Janiflfaires  ,  milice  également  for- 
midable à  fon  Souverain  ôc  aux  ennemis ,  ôc  toujours  prête  à 
fomenter  des  troubles ,  ne  fe  laiffaffent  gagner  par  argent,  Ôc 
féduire  par  les  promeffes.  Auffi-tôt  les  gouverneurs  des  pro- 
vinces marchent  aux  féditieux  ,  déconcertent  leurs  projets  ôc 
épouvantent  ces  nouvelles  troupes  ,  dont  une  partie  prend  la 
fuite.  Pertau  furvenant  alors  ,  tous  s'avancent  vers  le  lieu ,  où 


DE  J.   A.  DE  THOU,   Liv.    XXIV.       437 

le  faux  Muftapha  étoit  avec  le  peu  de  gens   qui  lui   étoient 
reftez  fidèles.   Ces  troupes  affemblées  à  la  hâte  ,   Ôc  qui  ne  François 
cioyoient  pas  avoir  fi-tôt  à  combattre  ,  oublièrent  bien-tôt  ce        J ]/ 
qu'elles  avoient  promis  à  leur  chef,  ôc  l'abandonnèrent.  Le     i  r  7  p. 
faux  Muftapha ,  qui  ne  pcuvoit  fe  réfoudre  à  fuir  ,  ôc  les  arti-     Le  faux 
fans  de  cette  fraude,  furent  pris  6c  envoyez  à  Conftantinople.  Muftapha  eft 
Ayant  été  appliquez  à  laqueftion,  ils  firent  connoître  parleurs     " 
dépofitions ,  que  Bajazet  étoit  l'auteur  de  cette  intrigue. 

Le  deflein  de  ce  jeune  prince  étoit  de  fe  joindre  aux  re- 
belles,  lorfqu'il  les  auroit  vu  afTez  forts  ,  ôc  de  marcher  droit 
à  Conftantinople  avec  cette  armée  ,  ôc  avec  plufieurs  de  fes 
partifans  les  plus  dévouez  ,  ou ,  fuivant  la  difpofition  des  efprits , 
d'attaquer  Seîim  fon  frère.  Le  Sultan  fit  jetter  les  coupables 
dans  la  mer ,  la  nuit  étant  fort  avancée  '>  croyant  qu'il  lui  im- 
portoit  de  cacher  aux  Princes  voifins  de  fes  Etats ,  un  crime 
domeftique ,  ôc  les  malheurs  de  fa  maifon.  Ce  pete  ,  irrité  au 
dernier  point  contre  Bajazet  ,1'auroit  aulîi  facrifié  à  fa  colère  , 
fi  Roxelane  n'eût  trouvé  moyen  de  l'appaifer.  La  Sultane  avec 
fa  fagacité  ordinaire  pénétra  les  chagrins  de  Soliman  ,  ôc  fai- 
fant  tomber  adroitement  le  difcours  fur  Bajazet,  le  pria  de  par- 
donner une  première  faute  à  fa  jeuneffe  ,  ôcà  fon  peu  d'expé- 
rience, ôc  de  fuivre  en  cela  l'exemple  de  fes  ancêtres ,  qui  n'a- 
voient  puni  dans  leurs  enfans ,  que  la  perféverance  dans  le  cri- 
me. Enfin  fes  prières,  fes  larmes,  ôc  fes  careîTes  fléchirent  le 
vieux  Sultan ,  qui  ne  pouvoit  rien  refufer  à  cette  femme.  Il  dit 
qu'il  pardonnoit  à  fon  fils ,  ôc  qu'il  n'avoit  qu'à  fe  préfenter  à 
lui  >  pour  recevoir  fes  ordres.  Aufîi-tôt  Roxelane  lui  écrivit 
fecrettement }  qu'il  ne  manquât  pas  de  venir  trouver  Soliman  5 
qu'il  ne  devoit  rien  craindre  s  ôc  qu'elle  avoit  obtenu  fa 
grâce. 

Quoique  Bajazet  eût  devant  les  yeux  la  mort  récente  du  Soliman 
prince  Muftapha  j  cependant  comptant  fur  le  crédit ,  ôc  fur  3aja°""e 
la  tendreffe  de  Roxelane  ,  il  fe  rendit  à  un  lieu  près  de  Conf- 
tantinople ,  où  fon  père  l'attendoit.  Lorfqu'il  fut  defcendu  de 
cheval ,  les  officiers  du  Sultan  lui  ôterent  fon  épée  ôc  fon  poi- 
gnard. Quoique  ce  foit  l'ufage  de  defarmer  ceux  qui  vont  à 
l'audience  du  Grand  Seigneur  ,  ce  fils  criminel  fut  faifi  de  la 
plus  grande  frayeur  en  ce  moment.  Mais  ayant  paffé  enfuite 
devant  une  jaloufie  ,  où  étoit  fa  mère  qui  le  rafTura,  il  reorit 

1  T  •  l 

1  11    11; 


438  HISTOIRE 

.  courage ,  ôc  vint  fe  jetter  aux  pieds  de  Soliman.  Ce  prince 
François  ^aYant  &**  affeoir,  lui  reprocha  l'énormité  de  fon  crime.  Il  lui 
Il  *  dit  qu'en  prenant  les  armes  contre  fon  frère  ,  il  les  avoit  prifes 
fç+.Q  contre  lui  ;  qu'il  avoit  expofé  à  un  grand  danger  la  Religion 
des  Mufulmans  ,  en  excitant  des  diflentions  domeftiques ,  qui 
tendoient  à  détruire  la  famille  des  Ottomans  ,  le  plus  ferme 
appui  de  la  foi  de  Mahomet  :  Que  malgré  cela  il  avoit  réfolu 
néanmoins  de  lui  pardonner.  Enfuite  lui  ayant  dit  plufieurs 
chofes  fur  la  providence  éternelle  de  Dieu  ,  il  l'avertit  de  re- 
mettre le  foin  de  fa  deftinée  entre  les  mains  du  Seigneur ,  qui 
ôte  ôc  donne  les  Sceptres  comme  il  lui  plaît  ;  ajoutant  que  lî 
le  deftin  avoit  réglé ,  qu'il  régnât  après  fon  père  ,  ce  décret 
feroit  immuable  ,  ôc  que  qui  que  ce  foit  ne  le  pourroit  chan- 
ger :  Que  fi  au  contraire  Dieu  en  avoit  ordonné  autrement  * 
il  falloit  être  infenfé  ,  pour  s'oppofer  aux  ordres  d'en  haut  : 
Qu'il  eefsât  donc  d'exciter  des  troubles ,  ôc  d'attaquer  un  frère 
qui  demeuroit  tranquille  :  Qu'il  refpedât  les  années  de  fon  père» 
ôc  de  fon  Souverain ,  ôc  qu'il  n'ouvrît  pas  fon  tombeau  avant 
le  tems  ,  en  l'accablant  de  chagrins  domeftiques.  Bajazet  ré- 
pondit peu  de  chofes,  cherchant  plutôt  à  fléchir  le  Sultan  , 
qu'à  fe  juftirier,  ôc  il  l'affura  d'une  obéïflance  inviolable  à  l'a- 
venir. Alors  Soliman  prenant  unvifage  plus  doux  ,  comman- 
da qu'on  apportât  à  boire  ,  ôc  préfenta  la  liqueur  à  fon  fils. 
Celui-ci  crut  que  c'étoit  fait  de  fa  vie*  ôc  n'ofa  cependant  re- 
fufer  le  breuvage  :  mais  le  Sultan  ayant  bu  après  lui ,  il  feraf- 
fura  entièrement. 

C'eft  ainfi  que  Bajazet  fortit  de  cette  entrevue  plus  heu- 
Le  vifir  reufement  qu'il  n'avoit  ofé  l'efpérer  ,  ôc  qu'étant  rentré  en 
ctun"ll  C  grâce  ,  il  retourna  dans  fon  gouvernement.  Le  grand  Vifir 
Acomat  fut  étranglé  peu  après.  Il  avoit  fuccedé  à  Ruftan  3 
qu'on  avoit  privé  de  cette  première  charge  de  l'Empire ,  après 
la  mort  du  véritable  Muftapha ,  pour  fatisfaire  la  haine  des  peu- 
ples contre  lui.  On  fit  un  crime  à  Acomat  de  fon  attache- 
ment pour  le  feu  prince  Muftapha,  Ôc  du  peu  de  foin  qu'il 
avoit  eu  de  prévenir  les  deiTeins  de  Bajazet  ,  ôc  de  l'impôt- 
teur  fon  complice.  Plufieurs  croyent  qu'on  ne  lui  ôtalavie, 
qu'afin  que  Ruftan  eut  fa  place.  Ils  difent  que  Soliman  avoit 
promis  à  Acomat  de  lui  laifTer  le  fceau  de  l'Empire  toute  fa 
vie  ;  ôc  que  prefîe  par  Roxelane  de  le  rendre  à  Ruftan,  il  le 


DE  J.  A.  DE  THOU,Liv.  XXIV.       43P 

Et  mourir  ,  pour  complaire  à  la  Sultane,  fans  violer  fon  ferment.  •-*  '  _ig 
Ils  ajoutent,  que  Soliman  avoit  dit  que  c'étoit  ufer  d'huma-  François 
nité  envets  Acomat  de  le  faire  mourir  ,  parce  qu'il  mourroit  H.* 
mille  fois  de  douleur  >  s'il  voyoit  un  autre  en  poiTeflion  de  fa  i  C  c  p. 
charge.  Sa  mort  ayant  donc  été  réfoluè ,  on  la  lui  annonça  de 
la  part  de  Soliman ,  un  jour  qu'il  vencit  au  Divan  fans  rien 
appréhender.  Comme  il  avoit  un  grand  courage ,  il  reçut  cet 
ordre,  fans  paroître  ni  furprisni  ému.  Il  ordonna  feulement 
au  bourreau  de  fe  retirer,  ne  voulant  pas,  dit-il,  que  des  mains 
impures  le  touchaflent.  Alors  ayant  jette  les  yeux  fur  ceux  qui 
étoient  préfens  ,  il  pria  avec  un  vifage  tranquille  un  de  fes 
amis ,  de  lui  rendre  un  important  ôc  dernier  fervice,  en  lui  ôtant 
la  vie.  Celui-ci  s'en  étant  long-tems  défendu  ,  enfin  lui  obéît, 
6c  l'étrangla  avec  la  corde  d'un  arc  qu'il  banda  ,  ôc  relâcha 
plus  d'une  fois  par  les  ordres  du  grand  Vifir  ,  qui  vouloit  de 
cette  manière  ,  difoit-il ,  lèntir  venir  la  mort.  Telle  fut  la  fin 
d' Acomat  3  homme  décrié  par  fes  concufïions  ôc  par  fes  crimes, 
mais  qu'une  valeur  intrépide ,  &  une  longue  expérience  à  la 
guerre  avoient  élevé  à  la  première  dignité  de  l'Etat.  On  ap- 
prit cette  mort  avec  des  fentimens  difFerens.  Bajazet  en  fut 
eonfterné  ;  mais  il  diiîimula  habilement  fes  chagrins  :  fur  de  la 
tendreffe  de  la  Sultane  fa  mère  ,  il  calma  fes  craintes  ,  ôc  tant 
qu'elle  vécut ,  ne  fongea  point  à  former  de  nouveaux  deffeins. 
Mais  Roxelane  étant  morte  deux  ans  après,  il  excita  de  nou- 
veaux troubles ,  dont  il  fut  enfin  la  vitlime. 

Ce  Prince  oubliant  alors  ce  qu'il  devoit  à  un  père  fon  Sou-     Nouvelle 
verain,  ôcàun  frère  deftiné  à  l'Empire  >  tendit  plus  d'une  fois  révolte  de 
des  embûches  à  Selim  ,  pour  le  faire  périr.  Il  l'attaqua  même  BaJa2,et* 
à  force  ouverte  ,  étant  entré  avec  des  troupes  dans  le  payis, 
dont  il  étoit  gouverneur.  Car  Selim  commandoit  dans  la  pro- 
vince de  Magneflfe  ,  &  Bajazet  dans  celle  de  Chiatea  ,  qui  eft 
limitrophe.  La  haine  de  celui-ci  alloit  jufqu'à  maltraiter  les 
officiers  de  fon  frère  ,  qui  tomboient  entre  fes  mains  ,  à  atta- 
quer fa  réputation ,  ne  pouvant  lui  ôter  la  vie  ,   ôc  même  à 
entretenir  par  fes  émiffaires  des  factions  dans  la  ville  où  Selim 
réfidoit.  Selim  avoit  foin  d'avertir  Soliman  de  la  conduite  de 
Bajazet  ;  fuppliant  fon  père  de  fonger  à  fa  propre  fureté ,  ôt 
de  faire  reflexion ,  que  ces  hoftilitez  étoient  le  prélude  de  ce 
qu'on  méditoit  contre  lui  5  que  Bajazet  regardoit  également  la. 


440  HISTOIRE 

«  vie  de  ion  père  ôc  la  Tienne  comme  un  obftacle  à  fes  deiïeins 


François  ambitieux   ôc   impies.  Enfin  il  ajoùtoit,  qu'il  étoit  bien  plus 
jj  *        allarmé  du  péril  qui  menaçoit  fon  père  ,  que  de  la  haine  im- 
j  -  ^  g      placable  d'un  frère }  qu'il  ne  redoutoir  nullement. 

Soliman  écrivit  à  Bajazet,  pour  le  faire  fouvenir  de  fon  de- 
voir ,  l'avertiffant  qu'il  fe  lafferoit  enfin  de  lui  pardonner  j  qu'il 
cefsât  de  perfecuter  fon  frère,  6c  de  donner  des  chagrins  à  un 
père ,  qui  n'avoit  que  peu  de  tems  à  vivre  ;  après  quoi  Dieu 
décideroit  du  fort  de  l'un  ôc  de  l'autre.  Quoique  ces  avishf- 
fent  peu  d'impreiïion  fur  Bajazet,  il  répondit  avec  les  termes 
les  plus  fournis  ôc  les  plus  refpeclueux.  Mais  fa  conduite  dé- 
mentoit  fes  paroles.  Le  vieux  Sultan  voyant  qu'il  avoit  tou- 
jours d'ambitieux  delTeins  ,  crut  que  ces  frères  étant  éloignez 
feroient  peut-être  plus  unis  ;  puifque  la  proximité  deleurspro- 
vinces ,  qui  eût  dû  entretenir  l'amitié  entr'eux  ,  occafionnoit 
leurs  difcordes.  Il  donna  donc  ordre  à  Selim  d'aller  à  Cogni , 
ôc  à  Bajazet  d'aller  à  Amafie ,  gouvernement  qu'avoit  eu  l'in- 
fortuné Muftapha  ,  ôc  qui  fembloit  annoncer  à  Bajazet  une 
pareille  deftinée.  Soliman  n'avoit  aucun  mécontentement  de 
Selim  ;  mais  craignant  que  fon  frère  ne  fe  portât  aux  derniè- 
res extrêmitez  ,  s'il  fe  voyoit  feul  déplacé ,  il  jugea  à  propos 
de  les  traiter  également  l'un  ôc  l'autre.  Selim ,  qui  n'igno- 
roit  pas  que  ce  changement  fe  faifoit  en  fa  faveur ,  obéit  aufli- 
tot.  Bajazet  au  contraire  ,  qui  regardoit  le  gouvernement  de 
Chiatea  comme  favorable  à  fes  vues  ,  parce  qu'il  étoit  peu 
éloigné  de  la  capitale  de  l'Empire ,  ne  pouvoit  le  réfoudre  à 
partir.  Il  mandoit  au  Sultan  fon  père  ,  qu'il  acceptoit  avec 
peine  le  gouvernement  d'Amafie  ;  ville  quiluirappelleroit  fans 
ceflfe  le  fouvenir  du  prince  Muftapha  :  qu'il  le  fupplioit  du  moins 
de  lui  permettre  de  palier  l'hiver  à  Chiatea  3  ou  de  demeurer 
à  Magneife  ,  que  Selim  abandonnoit.  Durant  ces  incertitu- 
des }  Selim  ayant  fait  un  grand  détour  pour  fe  rendre  à  Burfa , 
ville  de  Bithinie  fituée  en  Afie  vis-à-vis  de  Conftantinoplej  pafla 
près  des  lieux  où  Bajazet  faifoit  fon  féjour.  Celui-ci  en  vou- 
lut faire  un  crime  à  fon  frère  auprès  du  Sultan  ;  l'acculant  d'en 
vouloir  à  fa  vie  ôc  à  celle  de  l'Empereur.  Mais  ces  plaintes  fu- 
rent vaines  ;  parce  que  Selim  n'avoit  rien  fait  ,  que  par  les 
ordres  de  fon  père.  Il  fît  encore  de  nouvelles  inftances  3  pour 
n'être  point  obligé  de  fe  rendre  dans  un  lieu  fi  funefte  à  fon 

frère 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXIV.      ^i 

frère  ,  ou  pour  obtenir  Magnefie  ,  ou  quelqu'autre  gouverne- 
ment. Soliman  étant  demeuré  ferme  dans  fa  réfolution ,  Baja&et  François 
fous  differens  prétextes  refufa  d'obéir  ,  Ôc  en  même-tems  le-         ni 
va  des  troupes ,  arma  des  foldats ,  amaffa  de  l'argent  ,  6c  fit     15^9. 
de  grands  préparatifs  de  guerre  avec  une  extrême  diligence  , 
pour  fe  défendre  ,  ou  pour  accabler  Selim. 

Soliman,  qui  fçavoit  que  l'Europe  &  l'Afie  étoient  égale- 
ment attentives  à  la  difcorde  des  deux  Princes  ,  crut  qu'il  de- 
voit  fe  conduire  en  cette  occafîon  avec  douceur ,  ôc  pacifier 
les  troubles  ,  fans  répandre  de  fang.  Aufïi-tôt  Mehemet  ôc 
Pertau  ,  deux  des  premiers  officiers  de  la  Porte  furent  dépê- 
chez ,  le  premier  à  Selim ,  ôc  le  fécond  à  Bajazet ,  avec  ordre 
de  faire  partir  les  Princes  pour  leurs  nouveaux  gouvernemens. 
On  avoit  commandé  à  ces  Miniftres  de  ne  les  point  quitter, 
qu  ils  ne  fufTent  arrivez  dans  les  provinces  qui  leur  étoient 
deftinées.  Pertau  étoit  chargé  de  plus  ,  d'obferver  avec  foin  les 
deffeins  ôc  la  conduite  de  Bajazet.  Selim  reçut  Mehemet  avec 
de  grandes  marques  de  joye,  ôc  obéît  auffi-tôt.  Il  ne  conve- 
noit  pas  aux  vues  de  Bajazet ,  d'avoir  auprès  de  lui  le  plifs  fi- 
dèle miniftre  de  fon  père  ,  qui  eût  éclairé  fes  démarches.  Il 
trouva  donc  moyen  de  le  renvoyer ,  en  feignant  de  partir  pour 
Amafîe ,  ôc  dit  à  Pertau  qu'il  vouloit  qu'il  fût  fon  protecteur 
auprès  du  Sultan  fon  père,  ôc  qu'il  le  chargeoit  de  l'affûrei: 
qu'il  feroit  toujours  très  -  fournis  à  fes  ordres  ,  fi  fes  intentions 
n'étoient  point  combattues  par  Selim,  dont  il  nepouvoitfouf- 
frir  les  injuftices  à  fon  égard  >  ôc  les  embûches  qu'il  lui  ten- 
doit  tous  les  jours. 

Soliman ,  qui  ne  douta  plus  alors  des  deffeins  de  Bajazet  , 
donna  ordre  au  Bâcha  de  la  Grèce ,  quoiqu'il  eût  la  goûte  ,  de 
fe  rendre  auprès  de  Selim  avec  toute  fa  cavalerie ,  ôc  de  join- 
dre fes  forces  aux  fiennes.  En  même-tems  il  commanda  à  Mehe- 
met, qui  étoit  de  retour  à  la  Porte,  de  paffer  en  Afie  avec  les 
Janiflaires  qui  lui  étoient  les  plus  affectionnez  ;  ôc  il  paroiffoit 
que  le  Sultan  avoit  réfolu  de  fuivre  peu  de  jours  après  ce  Gé- 
néral. Mais  les  Janiflaires  ofoient  blâmer  hautement  cette  ex- 
pédition, ôc  fe  rangeoient  à  regret  fous  leurs  drapeaux.  Ils 
regardoient  avec  horreur  une  guerre  entre  deux  frères  5  princes 
du  fang  Ottoman.  Ils  difoient  qu'elle  n'étcit  ni  jufte  ni  néceffaire, 
Tome  III.  K  k  k 


François 
II. 


442  HISTOIRE 

ôc  qu'on  devoit  la  fufpendre.  Contre  qui ,  ajoûtoient-ils ,  tour- 
nerons-nous nos  armes  ?  Contre  Bajazet  }  qui  eft  aufîi  -  bien 
que  Selim  1  héritier  de  l'Empire  ,  &  que  la  néceffité  engage 
à  une  jufte  défenfe  ?  Soliman ,  prince  religieux  ,  ayant  appris 
ces  murmures.,  jugea  à  propos  de  confulter  le  premier  Minis- 
tre de  la  Loi  de  Mahomet,  que  les  Turcs  nomment  Mufti  , 
ôc  de  lui  demander ,  comment  il  devoit  traiter  celui  qui  de 
ion  vivant  faifoit  des  levées  d'hommes  ôc  d'argent ,  s'emparoit 
des  villes  de  l'Empire,  ôc  en  troubloit  le  repos  5  ôc  quel  châ- 
timent méritaient  ceux  qui  avoient  pris  les  armes  en  faveur  de 
ce  rebelle  \  ou  ceux  qui  refufoient  de  les  prendre  contre  lui , 
ôc  qui  ofoient  publier  j  qu'il  étoit  innocent.  Le  Mufti  fit  ré- 
ponfe  3  que  cet  homme  étoit  digne  du  dernier  fupplice ,  auiïi- 
bien  que  ceux  qui  le  favorifoient  ,  ôc  qu'on  devoit  regardée 
comme  ennemis  de  la  Loi  de  Mahomet  ,  ôc  gens  déteflables, 
ceux  qui  ne  vouloient  pas  leur  faire  la  guerre.  Le  Sultan  qui 
avoir  craint  de  bleffer  fa  confeience  en  marchant  contre  fon 
fils  i  fut  rafiuré  par  la  décifion  du  Mufti ,  ôc  après  l'avoir  fait  pu- 
blie? dans  l'Empire,  il  l'envoya  à  Bajazet  même  parle  chef  des 
lcoglans.  En  ce  même  tems-là  Bajazet  prit  un  des  officiers 
du  Sultan  fon  père ,  ôc  le  renvoya  à  la  Porte  ,  après  lavoir  char- 
gé de  dire  à  Soliman ,  qu'il  confervoit  pour  lui  les  fentimens 
les  plus  refpetlueux ,  qu'il  n'avoit  point  pris  les  armes  contre 
un  père ,  ôc  qu'il  étoit  prêt  à  lui  obéir  en  toutes  chofes  •■>  mais 
qu'il  s'agiiloit  aujourd'hui  de  difputer  ôc  fa  vie  ôc  l'Empire 
à  fon  frère  ;  qu'il  falloit  néceffairement  qu'il  pérît  par  les  ar- 
mes de  Selim,  ou  que  Selim  pérît  par  les  fiennes;  qu'il  avoit 
réfolu  de  vuider  enfin  ce  grand  différend  5  ôc  qu'il  le  fupplioit 
de  ne  fe  point  mêler  de  cette  guerre  ,  ôc  de  laifier  Dieu  feul 
décider  du  fuccès. 

Ce  jeune  Prince  naturellement  fier ,  ôc  qui  avoit  conçu  de 
grandes  efpérances ,  par  les  fecours  qui  lui  venoient  de  toutes 
parts,  ofa  bien  menacer  fon  père,  s'il  pafîbit  la  mer  pour  ve- 
nir au  fecours  de  Selim.  Il  lui  fit  dire  qu'il  avoit  une  retraite  aflu- 
rée  5  mais  qu'il  ne  quitteroit  l'A  fie  qu'après  l'avoir  défolée  par 
le  fer  ôc  par  le  feu  ,  comme  avoit  fait  autrefois  Tamerlan. 
Soliman  comprit  par  ces  paroles  ,  que  fon  fils  avoit  deffein  de 
fe  retirer  chez  les  Perfes ,  nation  de  tout  tems  ennemie  des 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.       443 

Turcs.  Avant  que  les  armes  euiTent  décidé  le  différend  des 
deux  frères,  ôc  lorfqu'il étoit  incertain  de  quel  côté  fe  décla-  François 
reroit  la  victoire  ,  il  craignoit  que  Bajazet  ,  après  avoir  pris  ]X 
Cogni,  ne  defcendît  dans  la  Syrie,  ôc  ne  pénétrât  enfuite  en  I  <-  <-  p, 
Egypte }  royaume  peu  fortifié  ,  où  fa  domination  étoit  mal 
affermie  ,  ôc  où  les  peuples  ,  fe  fouvenant  encore  de  l'empire 
des  Mammelus  x,  étoient  tous  difpofez  à  la  révolte.  Il  penfoit 
qu'il  feroit  très-difficile  de  le  chafler  d'un  payis  ,  toujours  in- 
fecté par  les  Arabes  prêts  à  prendre  parti  dans  toutes  les  guer- 
res, pour  aller  piller,  ôc  que  de  l'Egypte  le  trajet  étoit  facile 
dans  les  Etats  des  princes  Chrétiens.  Lorfqu'il  étoit  agité  de 
ces  inquiétudes  ,  il  apprit  que  Bajazet  s'étoit  emparé  de  la 
ville  d' Axuar ,  qui  faifoit  partie  du  gouvernement  de  Selim  > 
qu'il  l'avoit  pillée  ,  ôc  qu'il  en  avoit  tiré  de  groiTes  fommes 
d'argent.  Soliman  crut  qu'il  devoit  marcher  avec  fes  troupes 
de  ce  côté-là  ,  Ôc  manda  en  même-tems  à  Selim  de  fe  rendre 
maître  de  la  ville  de  Cogni  ,  de  prévenir  par  là  les  defleins 
de  fon  frère  ,  ôc  de  placer  fon  camp  aux  environs  de  cette 
place,  où  il  attendroit  les  fecours  qu'il  lui  envoyeroit. 

Bajazet  voyant  qu'il  ne  pouvoit  plus  reculer  ,  faifoit  tous 
les  jours  de  nouvelles  levées  ,  pour  augmenter  fes  troupes.  Il 
comptent  principalement  furies  îbldats  qu'il  avoit  levés  en  Phry- 
gie,  qu'on  appelle  Curdes*,  qu'il  regardoit  comme  fa  principale  *ouChiuries. 
force.  Etant  arrivé  au  camp ,  il  lit  faire  l'exercice  à  fon  ar- 
mée ,  ôc  donna  même  un  combat  feint ,  qui  reiTembla  fi  bien 
à  un  véritable  ,  que  plufieurs  de  fes  foldats  y  furent  tuez  ou 
bleflez  ;  fes  cavaliers  s'étant  chargez  les  uns  les  autres  avec 
plus  d'ardeur  que  de  précaution.  Il  étoit  campé  dans  une  vafte. 
plaine  près  de  la  ville  d'Ancyre ,  que  les  Turcs  nomment  Anguri, 
qui  lui  fourniffoit  en  abondance  toutes  les  provifions  néceffai- 
res  >  ôc  il  avoit  enfermé  les  femmes  ôc  les  enfans  dans  la  citadelle. 
Il  avoit  dans  fes  troupes  un  grand  nombre  de  braves  officiers., 
que  la  faveur  de  la  Sultane  fa  mère  ,  ou  de  la  Princeiïe  fa 
fœur  ,  femme  deRuftan  ,  avoit  élevez  aux. premières  charges. 
Outre  cela  tous  ceux  qui  avoient  été  attachez  à  l'infortuné 
Muftapha  fon  frère  ,  Ôc  au  grand  Vifir  Acomat ,  fuivoient  fa 
fortune.    Il  avoit    encore    auprès   de   lui   plufieurs   hommes 

i  Selim  I.  Empereur  des  Turcs  dé-     I      Mammelus ,  Soudans  d'Egypte  ,  que 
truifîc  vers  l'an  15115.    l'empire   des    )     Saladin  avoit  fonde'. 

K  kkij 


444  HISTOIRE 

diftingnez  parleurs  grandes  qualitez  }  ôc  par  leur  valeur, qu'il 
François  2iVOlt  ^u  gagner  par  fa  bonne  mine ,  par  les  grâces  répandues 
j| J  fur  toute  fa  perfonne  ,  par  fa  libéralité,  par  fa  réputation ,  ôc 
-  -,  q  par  fa  politeffe.  Tous  étoient  touchez  des  malheurs  de  Ba- 
jazet ,  &  ne  voyoient  qu'avec  indignation  ,  que  Soliman  pré- 
férât à  un  fils  fi  accompli ,  ôc  fa  plus  vive  image  ,  un  autre  3 
qui  par  la  pefanteurde  fon  corps  ôc  de  fon  efprit,lui  reffem- 
bloit  II  peu.  Bajazet ,  difoient-ils ,  a-t-il  fait  un  crime  de  pren- 
dre les  armes  ,  lorfque  la  nécefîité  l'y  a  contraint  ?  Selim 
ayeul  des  jeunes  Princes  n'en  ufa-t-il  pas  ainfi,  lorfqu'il  nepou- 
voit  faire  autrement  ,  ôc  ne  fut-il  pas  contraint  de  hâter  les 
jours  du  Sultan  fon  père  ?  C'eft  de  lui  néanmoins  que  Soli- 
man tient  aujourd'hui  fa  Couronne  ,  ôc  qu'il  en  jouit  à  titre 
légitime.  Ils  ajoûtoient  que  Bajazet  étoit  plus  vertueux  que 
Selim  fon  ayeul  j  qu'il  refpecloit  fon  père  ,  qu'il  faifoit  des 
vœux  pour  la  durée  de  fes  jours,  ôc  qu'il  n'attaqueroit  point 
le  Prince  fon  frère  3  fi  on  lui  vouloit  permettre  de  réiider  en 
des  lieux ,  où  il  pût  trouver  quelque  repos  ôc  un  fur  azile. 

Bajazet  voyant  fes  troupes  animées  par  ces  difcours ,  qu'on 
avoit  répandus  avec  foin ,  marcha  droit  contre  Selim  ,  dont 
l'armée  foûtenuë  de  la  puiffance  du  Sultan  ,  ôc  commandée 
par  les  plus  grands  capitaines ,  avoit  un  train  nombreux  d'ar- 
tillerie j  ôc  toutes  fortes  de  provifions  de  guerre  ôc  de  bouche. 
Il  fit  une  courte  harangue  à  fes  foldats ,  pour  les  encourager  à 
combattre  vaillamment  :  il  leur  réprefenta  qu'ils  ne  dévoient 
point  craindre  ce  grand  nombre  d'ennemis  ;  puifque  les  trou- 
pes du  Sultan  fon  père  3  qui  étoient  dans  l'armée  de  Selim  , 
favorifoient  fecretement  fon  parti ,  ôc  que  quand  même  elles 
combattroient  ,  elles  ne  pourroient  vaincre  fous  un  chef  lâche, 
méprifé ,  ôc  cruel.  Le  fignal  étant  donné ,  on  attaqua,  ôc  on  fe 
défendit  de  part  ôc  d'autre  avec  un  grand  courage.  Bajazet  à 
la  tête  des  fiens  fit  des  prodiges  de  valeur  ,  ôc  s'acquitta  de 
tous  les  devoirs  de  foldat  ôc  de  capitaine.  Enfin  voyant  fes 
rangs  rompus  ,  ôc  éclaircis  parle  grand  feu  du  canon  fupérieur 
au  lien  >  ôc  qu'il  ne  pouvoit  réfifter  au  grand  nombre  ,  après 
avoir  long-tems  difputé  la  victoire  ,  ôc  taillé  en  pièces  plufîeurs 
bataillons  ennemis  ,  il  fit  former  la  retraite  ,  ôc  fe  retira  en  bon 
ordre  ,  laiffant  la  victoire  à  fon  frère  ;  mais  couvert  de  gloire 
ôc  ayant  forcé  fes  ennemis  même  à  l'admirer ,  ôc  à  avouer  qu'il 


DE  J.  A.  DE  THOU3  L  i  v.  XXIV,      44? 

eût  mérité  de  vaincre.  Selim  fe  voyant  maître  du  champ  de 
bataille  demeura  tranquille  ,  ôc  ne  fe  mit  pas  en  devoir  de  fui-  François 
vre les  ennemis.  Les  Turcs,  gens  fuperftitieux ,  racontent  qu'il        jj  ' 
fortit  d'une  mofquée  au  tems  du  combat  un  grand  vent  ,  qui     i<  <q, 
éleva  un  gros  nuage  de  poufïiere  contre  les  foldatsde  Bajazet; 
enforte  qu'en  ayant  été  comme  aveuglez  ,  ils  prirent  la  fuite 
ôc  furent  prefque  tous  taillez  en  pièces. 

Soliman  ayant  appris  le  fuccès  du  combat }  fortit  de  Con- 
ftantinople  le  5"  de  Juin  3  ôc  ayant  paffé  la  mer  s'arrêta  en  un 
lieu  peu  éloigné  du  rivage ,  voulant  faire  voir  à  fes  peuples  la 
joye  que  lui  donnoit  la  victoire  de  Selim.  Il  le  regardoit  com- 
me l'héritier  de  l'Empire.  Il  l'aimoit  uniquement ,  l'ayant  tou- 
jours trouvé  fidèle  ôc  fournis.  Au  contraire ,  il  haïffoit  Bajazet 
comme  un  fils  rebelle  y  qui  de  fon  vivant  vouloit  ufurper  la 
Couronne.  La  gloire  même  qu'il  s'étoit  acquife  dans  le  der- 
nier combat,  ôc  les  louanges  qu'on  lui  donnoit  de  toutes  parts, 
le  lui  rendoient  encore  plus  odieux.  Craignant  qu'à  l'exemple 
de  Selim  fon  ayeul,  il  ne  fe  rendît  plus  redoutable  après  fa 
défaite  ,  qu'il  ne  l'étoit  avant  le  combat ,  il  réfolut  de  faire  les 
plus  grands  efforts  pour  le  perdre.  Bajazet  voyant  fes  affai- 
res defefperees,  s'étoit  retiré  avec  ceux  de  fon  parti  à  Amafie  , 
lieu  que  le  Sultan  lui  avoit  affigné  ,  comme  nous  l'avons  dit, 
pour  déconcerter  fes  amis  ôc  fes  projets ,  ôc  où  il  avoit  refufé 
de  fe  rendre,  en  déférant  plutôt  aux  confeils  d'une  jeuneffe 
imprudente,  qu'aux  ordres  de  fon  père.  Il  parut  qu'il  étoit  dans 
le  deffein  d'y  vivre  tranquille  ,  fi  le  Sultan  le  lui  permettoit. 
Il  fit  même  ce  qui  dépendoit  de  lui ,  pour  appaifer  ce  père 
irrité  ,  en  lui  écrivant  les  lettres  les  plus  fournîtes  ;  ôc  il  tacha 
de  découvrir  par  des  amis  qu'il  avoit  encore  à  la  Porte  ,  fes 
fentimens  à  fon  égard.  Le  Sultan  paroiffoit  d'abord  affez  dif- 
pofé  à  lui  rendre  fes  bonnes  grâces.  Ses  lettres  ôc  fes  meffa- 
gers  étoient  admis  ,  ôc  il  recevoit  des  réponfes  affez  favorables. 
Déjà  même  le  bruit  s'étoit  répandu  dans  l'armée  ,  que  Soli- 
man étoit  prêt  à  pardonner  à  fon  fils  en  faveur  de  fa  jeuneffe. 
Mais  cette  bonté  apparente  étoit  un  artifice  du  Sultan  Ôc  de 
fes  Miniftres ,  pour  tromper  Bajazet ,  l'attirer  à  Conftantinople ., 
ôc  l'avoir  en  leur  puiffance. 

Soliman  craignoit  que  Thamas ,  ou  Tecmas ,  Roi  de  Perfe  > 
fe  fouvenant  qu'il  avoit  autrefois  donné  un  aille  au  prince  Elcas 

K  k  k  iij 


X 


44^  HISTOIRE 

fon  frère  ,  6c  allumé  en  cette  occafion  une  funefte  guerre  , 
^T  ~^  ne  lui  rendît  la  pareille,  ôc  que  fi  Bajazetpénétroit  une  fois  dans 
tt^  les  iLtats,  il  ne  conientit  jamais  a  le  rendre.  11  prevoyoït  avec 
douleur,  qu'il  feroit  obligé  de  prendre  les  armes  à  ce  fujet,  ôc 
*  >  "*  de  rendre  peut-être  aux  Perfes  les  villes  qu'il  leur  a  voit  enle- 
vées. Ainfi  il  cherchoit  les  moyens  de  perdre  ce  fils  ,  avant 
qu'il  pût  lui  échapper ,  ôc  il  envoyoit  fans  ceffe  des  ordres  à 
fes  Bâchas  ,  pour  faire  garder  les  paffages  de  la  Turquie  dans 
la  Perfe.  Malgré  ces  précautions  néanmoins  il  ne  put  empê- 
cher fon  évalion.  Bajazet  n'ignoroit  pas  que,  dans  le tems  mê- 
me que  le  Sultan  fembloit  moins  aigri  à  fon  égards  il  faifoic 
arrêter  ceux  qu'il  foupçonnoit  de  lui  être  affectionnez  ,  qu'il 
les  condamnait  à  fournir  les  plus  cruels  tourmens,  pour  les 
obliger  à  accufer  un  fils  odieux  ;  que  la  torture  étoit  fuivie 
du  dernier  fupplice  ,  Ôc  que  plufieurs  avoient  péri  de  cette 
manière.  Il  jugea  donc  qu'il  n'avoit  pas  de  tems  à  perdre ,  ôc 
qu'il  devoit  exécuter  au  plutôt  le  deffein  qu'il  avoit  formé 
avant  le  combat  de  Cogni.  Il  fe  mit  donc  en  chemin  pour 
la  Perfe,  avec  quelques  foldats  armez  à  la  légère ,  amenant  avec 
lui  fes  enfans ,  excepté  un  feul  qui  venoit  de  naître  ,  qu'il  aima 
mieux  abandonner  avec  fa  mère  à  la  clémence  du  Sultan  fon 
ayeul ,  que  de  l'expofer  aux  fatigues  d'un  voyage  pénible  ôc 
dangereux.  Cet  enfant  fut  envoyé  à  Burfa  par  les  ordres  de 
Soliman ,  qui  voulut  qu'on  en  prît  foin ,  jufqu'à  ce  que  la  def- 
tinée  de  Bajazet  eût  décidé  de  fon  fort. 

Le  Sultan  ayant  appris  que  fon  fils  étoit  forti  d'Amafîe ,  ôc 
ne  doutant  point  qu'il  ne  fût  arrêté  dans  fa  fuite ,  fuivant  les 
ordres  qu'il  avoit  donnez  ,  avoit  commandé  à  fes  troupes  de 
revenir  de  Conftantinople  ,  ôc  de  fe  mettre  en  marche  le  len- 
demain du  jour  de  Pâques.  Car  les  Turcs  célèbrent  aufli  cette 
foiemnité  ,  félon  le  précepte  de  Mahomet ,  auteur  d  une  fe£te 
impie ,  qui  eft  devenue  redoutable  aux  Chrétiens.  Ce  faux  Pro- 
phète ,  confondant  les  cérémonies  facrées  avec  les  prophanes  ,' 
a  imaginé  une  indigne  religion ,  monftrueufe  ôc  inoùie ,  où  l'on 
reconnaît  un  mélange  bizarre  du  Judaifme  ôc  du  Chriftianifme 
qui  a  fuccedé  au  culte  des  Juifs. 

Lorfque  Soliman  fçut  que  Bajazet  étoit  échappé,  il  entra 
dans  une  furieufe  colère ,  ôc  menaça  de  faire  périr  les  Bâchas 
des  frontières  ,  s'ils  ne  le  lui  livroient  mort  ou  vivant.  Ceux-ci 


DEJ.A.DE  THOU,Liv.  XXÎV.      447 

firent  de  concert  la  plus  grande  diligence  pour  l'atteindre.  Mais     ■  » 

il  courait  avec  tant  de  lecret  ôc  de  viteffe ,  qu'il  arrivoit  toù-  Francois 
jours  dans  les  lieux  qui  étoient  fur  fon  paffage,  avant  qu'on  jj' 
fçût  qu'il  dut  y  arriver.  Il  fçut  aulli  tromper  adroitement  le  Ba-  1559. 
cha  de  Sebafte.  Il  y  avoit  deux  détroits  ,  par  l'un  defquels  il 
falloit  néceffairement  que  Bajazet  pafsât.  Le  Bâcha  occupoit 
celui  qui  abregoit  le  chemin ,  enforte  que  le  Prince  auroit  été 
obligé  de  prendre  un  long  détour  pour  gagner  l'autre.  Il  lit 
avertir  le  Bâcha  par  des  hommes-  de  fa  fuite ,  qui  fe  difoient 
déferteurs,  que  Bajazet  avoit  pafTé  par  cet  autre  endroit  que 
l'on  ne  gardoit  pas.  Le  Bâcha  trop  crédule  quitte  aufïï-tôt  l'on 
pofte  avec  fes  troupes,  court  après  le  Prince  qu'il  croit  l'avoir 
devancé ,  tandis  que  celui-ci  paiTe  par  le  détroit  qui  n'étoit  plus 
gardé.  Il  trompa  aufîi  le  Bâcha  d'Erferon  x.  Car  l'ayant  envoyé 
faluer  de  fa  part ,  ôc  lui  ayant  fait  dire  -,  qu'il  alloit  arriver  pour 
fe  repofer  quelques  jours  dans  fa  ville,  Ôc  faire  ferrer  fes  che- 
vaux, il  marcha  nuit  ôc  jour  fans  relâche,  6c  fortit  enfin  des 
Etats  de  fon  père,  lorfque  le  Bâcha,  qui  n'étoit  point  d'ailleurs 
fur  fes  gardes,  l'attendoit  dans  fon  palais  ,  après  avoir  fait  à  fes 
envoyez  une  réponfe  favorable.  Mais  Soliman  crut  que  ce  Gou- 
verneur avoit  bien  voulu  favorifer  la  fuite  de  fon  fils,  ôc  le  dé- 
pouilla de  fa  dignité,  Selim  le  fit  mourir  quelque  tems  après, 
6c  fit  fouffrir  à  lès  fils  des  traitemens  indignes  ,  Ôc  pires  que 
la  mort.  Le  Sultan  vouloit  dans  les  premiers  tranfports  de  fa 
colère  marcher  contre  lesPerfes,  avec  les  Janiffaires  ôc  les  Spa- 
his. Mais  fes  Miniftres  lui  représentèrent ,  que  s'il  abandon- 
noit  fa  ville  capitale ,  Bajazet  pourrait  revenir  par  la  mer  de 
Zabache 2 ,  ôc  par  la  mer  Noire ,  ôc  y  exciter.de  grands  troubles, 
en  promettant  la  liberté  aux  efclaves ,  ôc  en  attirant  les  gens 
de  guerre  à  fon  parti  par  I'efpérance  d'une  plus  forte  paye. 
Car  il  avoit  fait  écrire  fur  les  maifons  ou  il  s'étoit  arrêté  dans 
fa  fuite ,  qu'il  donnerait  double  folde  aux  gens  de  guerre  qui 
voudraient  fuivre  fon  parti. 

Enfin  ce  Prince  ayant  pafTé  avec  les  fiens  le  fleuve  Achlat     Bajazet  fe 
qui  fépare  la  Turquie  de  la  Perfe,  ôc  ne  fe  croyant  pas  en-  peruf|'e  en 
core  en  fureté ,  pofà  des  gardes  fur  le  rivage,  pour  difputerle 
paiTage  aux  Bâchas  qui  le  pourfuivoient.  Ceux-ci  n'eurent  pas 
de  peine  à  mettre  en  fuite  une  petite  troupe,  ôc  entrèrent  dans 

1  ou  Artzerum.  1    z  ou  mer  d'Afoph. 


.^•^■nyjJIIMJBP 


44S  HISTOIRE 

la  Perfe.  Àuiïi-tôt  les  Gouverneurs  du  payis  vinrent  à  leur 
François  rencontre,  ôc  leur  repréfenterent  que  c'étoit  violer  la  paix,  que 
II.         d'entrer  en  armes  dans  leurs  Provinces.  Ils  firent  réponfe  qu'ils 
1  S  S  9*     ne  venoient  point  comme  ennemis,  Ôc  que  bien  éloignez  de 
vouloir  faire  aucun  a£te  d'hoftilité,  ils  pourfuivoient  un  fils  re- 
belle à  fon  père  ôc  à  fon  Empereur.  Les  Perfans  leur  ayant 
dit  qu'ils  ne  recevoient  point  ces  excufes  ;  mais  qu'ils  les  afiu- 
roient,  que  le  Sophi  feroit  en  cette  occalion  ce  qu'il  croiroit 
convenir  à  fa  dignité  ,  ôc  à  fon  devoir  ,  les  Turcs  fe  retirèrent 
dans  leurs  Provinces. 

Thamas  demanda  d'abord  à  Bajazet  les  raifons  de  fon  éva- 
fion ,  ôc  le  nombre  des  perfonnes  qui  l'accompagnoient  dans 
fa  fuite.  Ce  Prince  ayant  répondu  ,  qu'il  fuyoit  un  frère  qui 
lui  tendoit  de  continuelles  embûches ,  ôc  un  père  injustement 
irrité  contre  lui ,  ôc  qu'il  venoit  demander  azile  contre  fes  enne- 
mis ;  on  lui  dit ,  qu'il  avoit  eu  tort  de  choilir  une  retraite  chez 
un  Prince  ,  qu'il  fçavoit  allié  de  l'Empereur  fon  père ,  ôc  qui 
félon  les  traitez  devoit  favorifer  les  amis  du  Sultan ,  ôc  faire 
la  guerre  à  fes  ennemis.  On  ajouta  enfuite ,  que  puifque  fa 
deftinée  l'avoit  conduit  en  ces  lieux,  qu'on  vouloir  bien  l'y  re- 
cevoir ,  le  traiter  favorablement,  ôc  ne  pas  violer  les  droits  de 
l'hofpitalité  à  fon  égard.  Telle  fut  l'entrevûë  de  Thamas,  ôc 
de  Bajazet,  qui  jugea  par  les  grands  égards  qu'on  eut  d'abord 
pour  lui,  qu'il  pouvoit  ferepofer  fur  la  foi  qu'on  lui  avoit  don- 
née. On  lui  fit  même  concevoir  de  flateufes  efpérances,  en 
lui  promettant  que  le  Sophi  travailleroit  à  le  reconcilier  avec 
le  Sultan  fon  père  :  on  lui  laiffa  aufïï  entrevoir ,  que  ce  Prin- 
ce étoit  difpofé  à  lui  donner  une  de  fes  filles  en  mariage  pour 
Orcan  l'aîné  de  fes  enfans  ,  ôc  on  TafTura  qu'il  employeroir 
fes  bons  offices,  ôc  les  plus  fortes  inftances  auprès  de  Soliman, 
pour  lui  procurer  le  gouvernement  du  Diarbekir ,  de  Bagdad, 
ou  d'Erferon,  provinces  frontières  de  la  Perfe.  On  ajouta  qu'il 
pourroit  y  jouir  d'une  vie  tranquille,  fans  craindre  en  ces  lieux 
éloignez  de  la  capitale  de  PEmpire  ,  ni  la  colère  du  Sultan, 
ni  les  embûches  de  Selim  3  ôc  qu'après  tout  fi  on  vouloit  en- 
core l'y  perfécuter ,  il  feroit  à  portée  de  fe  réfugier  en  Perfe 
auprès  d'un  Roi  beau-pere  de  fon  fils  ,  qui  le  protegeroit.  Ces 
propofitions ,  qui  étoient  devenues  publiques ,  donnoient  une 
grande  confiance  à  Bajazet  3  jufques-là  ,  que  Thamas  ayant 

envoyé 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.         44<> 

envoyé  peu  après  un  Ambaffadeur  à  la  Porte,  pour  ménager,   ■„ ,.  m 

difoit-on,  la  réconciliation  de  Soliman  avec  fon  fils,  il  char-  pRANCOis 
gea  ce  miniftre  de  dire  au  Sultan ,  qu'après  avoir  eu  le  mal-         jj  5 
heur  de  perdre  un  père ,  il  en  avoit  retrouvé  un  autre  en  Per-        -  -  Q 
fe.  Cependant  Thamas  changea  de  difpolîtions  à  l'égard  de 
Bajazet,  ôcfongea  à  s'afiurer  de  fa  perfonneî  foit  qu'il  eût  tou- 
jours eu  deiïein  de  le  perdre ,  foit  qu'il  eût  conçu  des  foupçons 
fur  fa  conduite  ,  ôc  qu'il  craignît  qu'il  ne  lui  tendît  des  em- 
bûches dans  fa  Cour. 

Thamas  dégénérant  de  la  vertu  du  Roi  fon  père ,  Prince 
magnanime  ôc  belliqueux ,  vieillhToit  honteufement  dans  fon 
ferrail  avec  fes  femmes ,  livré  à  de  vains  amufemens ,  ôc  peu 
occupé  du  gouvernement  de  fcs  Etats.   Ce  Roi  voluptueux 
ôc  timide  vint  à  craindre  que  Bajazet ,  Prince  d'un  grand  cou- 
rage ôc  aimant  la  guerre ,  n'affoiblît  fa  puiffance ,  fur-tout  s'il 
regnoit  après  Soliman  fon  père ,  ôc  qu'il  n'eût  nourri  un  fer- 
pent  dans  fon  fein.  D'ailleurs  les  officiers  ôc  les  foldats  Turcs 
de  la  fuite  de  Bajazet  étoient  devenus  fufpe£ts  au  Sophi.  Ces 
hommes  téméraires  avoient  ofé  dire ,  qu'il  étoit  permis  de  tuer 
un  prince  hérétique  (  c'eft  ainfi  qu'ils  appelloient  le  Roi  de  Per- 
fe  )  ôc  de  s'emparer  de  fes  Etats.  Il  auroit  été  dangereux  d'at- 
taquer à  force  ouverte  tant  d'hommes  braves ,  ôc  déterminez, 
que  Bajazet  avoit  amenez  avec  lui ,  aufquels  le  défefpoir  eût 
fait  tout  entreprendre.  On  crut  qu'il  feroit  plus  fur  de  s'en  dé- 
faire par  une  fupercherie.  On  leur  dit ,  qu'ils  étoient  mal  lo- 
gez dans  la  ville ,  à  caufe  de  leur  grand  nombre  j  que  d'ailleurs 
les  denrées  y  étoient  fort  chères;  qu'on  leur  fourniroit  dans  les 
campagnes  voifines  des  maifons  plus  commodes ,  ôc  des  vivres 
en  abondance,  ôc  qu'on  leur  confeilloit  d'y  aller.  Ces  avis 
étoient  des  ordres  aufquels  il  eut  été  peu  fur  de  réfifter,  quoi- 
que les  Turcs  commençaifent  à  fe  défier  de  la  foi  de  leur  hôte. 
Bajazet  fut  donc  obligé  de  confentir  à  la  volonté  d'un  Roi  dont 
il  dépendoit ,  Ôc  qui  lui  auroit  fait  un  crime  de  fa  défiance. 
Ainfi  fes  compagnons  furent  difperfez  en  divers  lieux  éloignez 
îes  uns   des  autres,  où  peu  de   jours  après  ils  furent  égor- 
gez, ayant  été  accablez  par  le  nombre.   On  viola  aufli  les     Bajazet  eft 
droits  de  Phofpitalité  à  l'égard  de  Bajazet ,  en  l'arrêtant  dans  *rvêtè  Par  OTr 
un  feftin ,  où  on  l'avoit  invité.  Ses  enfàns  eurent  le  même  fort;    re  u   op  *' 
Tom.  III.  LU 


4yo  HISTOIRE 

ôc  furent  emprifonnez.   Plufieurs  Turcs  furent  aiïez  heureux 

t-  pour  s'échapper. 

trancOïs  t  rr  7 

H J  Kn  ce  même  tems  1  hamas  dépêcha  un  Envoyé  a  Conltan- 

tinople ,  qui  ht  prefent  à  Soliman  d'un  animal  de  la  grandeur 
*  *         d'un  petit  chien ,  appelle  fourmi  des  Indes  ,  qui  eft  féroce  ôc 
carnaiïier.  Ce  Prince  dit  au  Miniftre  du  Roi  de  Perfe ,  qu'il 
demandoit  qu'on  lui  livrât  Bajazet ,  comme  le  Sophi  y  étoit 
obligé  par  le  traité  d'alliance  5  ôc  il  le  congédia,  après  lui  avoir 
fait  rendre  les  honneurs  dûs  à  fon  caractère.  Comme  le  So- 
phi alléguoit  diverfes  raifons,  pour  ne  pas  rendre  le  Prince 
fugitif,  Soliman  fe  difpofa  à  lui  faire  la  guerre.  Il  fait  marcher 
des  troupes  fur  la  frontière  ;  donne  ordre  à  Mehemet  Bâcha 
de  la  Grèce  de  s'y  rendre,  avec  un  grand  nombre  de  Janiflfai- 
res,  ôcfollicite  les  peuples  de  Leunel,  &  les  cinq  Princes  de 
Géorgie ,  qui  fe  prétendent  de  la  race  du  grand  Tamerlan , 
de  joindre  leurs  forces  aux  fiennes.  Il  avoit  même  réfolu  d'al- 
ler à  Alep  en  Syrie,  qu'on  croit  être  l'ancienne  ville  de  Be- 
roé  :  mais  la  mauvaife  difpofition  des  troupes  commandées  pour 
cette  expédition  déconcertoit  fes  defleins.  Les  foldats  paroif- 
fant  détefter  cette  funefte  guerre,  avoient  quitté  leurs  enfeignes 
pour  revenir  à  Conrtantinople.  Quoiqu'ils  euflent  retourné  à 
rarméeje  Sultan  jugeoitpar  là  de  ce  qu'il  devoit  attendre  d'eux, 
fi  quelque  événement  balançoit  le  fuccès  de  fon  entreprife. 
Voyant  d'un  autre  côté  qu'il  nepouvoit  obtenir  de  Thamas, 
qu'il  lui  remît  entre  les  mains  fon  fils  vivant  (  parce  que  ce 
Roi  craignoit  le  reflentiment  de  Bajazet  ,  s'il  échappoit  aux 
gardes  qui  le  conduiroient  )  il  prit  le  parti  de  le  faire  mourir 
en  Perfe  par  la  permiflîon  du  Sophi.   Les  lettres  de  ce  Prin- 
ce lui  faifoient  croire ,  qu'il  ne  feroit  pas  difficile  d'y  réufîir. 
Le  Sophi  s'étoit  plaint  de  ce  qu'on  traitoit  par  lettres,  ôc  par 
des  envoyez  une  affaire  de  cette  nature.  Il  avoit  ajouté  qu'il 
devoit  lui  dépêcher  à  cefujet  quelques-uns  des  principaux  Offi- 
ciers de  la  Porte  ;  qu'au  refte  il  devoit  fentir  combien  il  lui 
étoit  obligé ,  d'avoir  retenu  un  prifonnier  de  cette  importance* 
que  fon  arrivée  lui  avoit  caufé  plufieurs  pertes ,  ôc  qu'il  avoit 
fait  de  grandes  dépenfes  en  cette  occafion,  dont  il  devoit  être 
dédommagé. 

Ainfile  Sultan  jugea  à  propos  de  gagner  Thamas.,  en  lui 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.       4P 

offrant  de  greffes  fommes  d'argent ,  au  lieu  d'entreprendre  à  ^.^^^^ 
fon  âge  une  guerre  peu  néceffaire,  &  dont  levenement  étoit  7T  ■  t 
douteux.  Il  envoya  donc  en  Perfe  Haffan-Aga ,  chef  des  pa-  '  ^ 
ges  du  Serrail,  qui  félon  quelques  auteurs,  faifoit  l'effaiàla 
table  du  Grand  Seigneur.  Il  avoit  été  élevé  dès  fon  enfance  >  '  '° 
avec  Bajazet.  Il  le  connoiffoit  parfaitement ,  6c  il  avoit  ordre 
d'examiner  à  la  Cour  de  Perfe  ,  II  Thamas  par  une  double  per- 
fidie ne  luifuppoferoit  point  un  autre  homme,  au  lieu  du  Prin- 
ce fugitif.  Haffan  eut  pour  collègue  le  Bâcha  de  Mazuan  ,  hom- 
me d'un  âge  avancé ,  &  en  qui  Soliman  fe  fioit  beaucoup.  Ils 
partirent  au  milieu  de  l'hiver  avec  des  pouvoirs  fort  étendus, 
ôc  après  avoir  franchi  des  chemins  très-difficiles ,  &  perdu  la 
plupart  de  leurs  domeftiques  en  cette  faifon  rigoureufe ,  ils  ar- 
rivèrent enfin  à  Cafbin ,  où  étoit  le  Roi  de  Perfe.  Ils  deman- 
dèrent avant  toutes  chofes  à  voir  Bajazet.  Ce  Prince ,  qui  lan- 
guiffoit  depuis  long-tems  dans  une  affreufe  prifon  ,  étoit  fi  chan- 
gé, qu'Haffan  ne  le  reconnut  qu'après  qu'il  eut  été  razé.  Haf- 
fan traita  avec  Thamas ,  qui  confentit  qu'on  fit  mourir  Baja- 
zet en  Perfe ,  après  qu'on  Pauroit  dédommagé  des  frais ,  qu'avoit 
occafionnés  fa  retraite  ,  ôc  qu'on  lui  auroit  fait  de  plus  un  pré- 
fent  proportionné  au  bon  office  qu'il  rendoit  à  Soliman.  Auffi-tôt 
Haffan  retourne  à  Conftantinople  ,  ôc  porte  le  traité  au  Grand- 
Seigneur  ,  qui  envoyé  fur  les  frontières  de  Perfe  tout  l'argent 
dont  on  étoit  convenu.  Haffan  part  peu  après  avec  ordre  d'étran- 
gler lui-même  Bajazet,  de  peur  que  quelque  autre  ne  s'ac-  t  Bajazet  d! 
quittât  pas  de  ce  cruel  miniftere  avec  la  même  fidélité.  Le 
malheureux  Bajazet  priafon  bourreau  de  lui  permettre  au  moins 
avant  que  de  mourir,  de  voir  fes  enfans,  ôc  de  les  embraffer 
pour  la  dernière  fois.  On  lui  refufa  cette  grâce,  ôc  il  fut  étran- 
glé avec  une  corde  de  boyau.  Quatre  de  fes  fils ,  qui  l'avoient 
fuivi  dans  fa  fuite ,  eurent  le  même  fort.  On  porta  leurs  corps 
à  Sebafte ,  où  ils  furent  inhumés  avec  les  cérémonies  pratiquées 
par  les  Turcs.  Il  ne  reftoit  plus  des  enfans  de  Bajazet,  que  cet 
enfant ,  que  le  Sultan  avoit  commandé  qu'on  élevât  à  Bur- 
fa,  lorfqu'il  étoit  encore  douteux  quelle  feroit  la  deftinée  de 
fon  père.  Un  eunuque  eut  ordre  de  lui  ôter  la  vie.  Cet  hom- 
me, peu  accoutumé  à  de  pareils  emplois ,  avoit  mené  avec  lui 
pour  cette  cruelle  exécution  un  des  portiers  du  Serrait ,  qu'il 
connoiffoit  endurci  au  crime  >  le  portier  inhumain  voyant  cet 

lu  ij 


étranglé. 


45'*  HISTOIRE 

enfant ,  qui  lui  fourioit  doucement  à  la  vûë  du  fatal  cordeau , 
Z,      "  ôc  qui  tendoit  les  bras  pour  le  careifer,  fe  fentit  tellement  frappé 

\j>        de  crainte,  de  pitié,  &  d'horreur,  qu'il  s'évanouit.  L'eunuque 
qui  attendoit  a  la  porte,  ôc  qui  ne  voyoit  point fortir  fon  corn- 
>  >  >'     pagnon,  entra  dans  la  chambre,  ôc  le  voyant  couché  par  ter- 
re, étrangla  le  jeune  Prince  de  fes  mains,  ôc  rit  enfin  ce  qu'il 
avoit  eu  d'abord  horreur  de  faire. 

Les  Turcs  donnent  beaucoup  à  la  prédeftination ,  6c  regar- 
dent Dieu  comme  auteur  de  tous  les  évenemens  heureux ,  tels 
que  foient  les  projets,  ôc  les  actions  qui  les  ayent  fait  naître. 
Ainfi  cen'étoit  pas  par  un  motif  de  tendrefle  ou  de  pitié ,  que  So- 
liman avoit  jufques-là  confervé  la  viedefon  petit-fils.  Il  vouloir 
attendre  ce  que  le  fort  ordonneroit  de  Bajazet,  afin  de  ne  pas 
paroître  s'être  oppofé  à  la  volonté  de  Dieu ,  fi  les  affaires  de 
ce  fils  avoient  eu  quelque  fuccès.  Mais  croyant  qu'il  venoit 
de  périr,  en  conféquence  d'un  premier  jugement  de  Dieu, il 
ne  jugea  pas  devoir  pardonner  à  un  enfant ,  qui  d'ailleurs  lui 
parut  coupable,  parce  qu'il  pouvoit  un  jour  fuivre  l'exemple 
d'un  père,  ou  venger  fa  mort.  Voilà  où  aboutirent  les  projets 
mal  concertez  de  l'infortuné  Bajazet.  Il  hâta  fa  mort,  par  ces 
mêmes  efforts  qu'il  fit  pour  l'éviter  ;  ôc  l'on  peut  dire  queRo- 
xelane  fut  la  première  caufe  de  fa  perte ,  en  faifant  périr  Muf- 
tapha  fon  beau-fils,  pour  affurerla  couronne  à  fes  enfans.  Car 
il  arriva  par  un  jufte  effet  de  lavengence  célefte,  que  la  mort 
d'un  aîné  odieux  Ôc  redoutable  à  fes  deux  frères ,  fit  naître  en- 
tre ces  Princes ,  devenus  rivaux  de  l'Empire ,  une  haine  impla- 
cable? ôc  qu'un  père  enhardi  par  la  Sultane  fa1  femme,  à  ré- 
pandre fon  propre  fang ,  fe  détermina  fans  horreur  à  ôter  la 
vie  à  celui-là  même,  qui  avoit  été  le  plus  cher  à  fa  mère.  Si 
Roxelane  fut  heureufe  de  mourir  dans  Tefpérance  que  fes  fils 
regneroient ,  Ôc  avant  la  fin  tragique  de  Bajazet  qu'elle  ai- 
moit  fi  tendrement ,  combien  fut  déplorable  le  fort  de  Soli- 
man, qui  ne  vécut  fi  long-tems  ,  que  pour  fe  voir  dans  lané- 
cefïité  de  fouiller  fes  mains ,  par  le  meurtre  de  deux  fils ,  Prin- 
ces douez  de  grandes  qualitez ,  ôc  par  celui  de  plusieurs  de  fes 
petits-fils  ,  pour  complaire  à  une  femme  ambitieufe,  ou  pour 
conferver  l'unité  de  fon  Empire?  ôc  qui  ne  crut  pouvoir  aiTurer 

i  Soliman  avoit  époufe' Roxelane  >  contre  la  coutume  des  Sultans.  Voyez  le 
Livre  XII.  Tora.  II, 


DE  J.  A.  D E  THOU.Liv.  XXFV.  4^ 
îa  tranquillité  de  fes  Etats  au  dedans ,  &  dehors ,  que  par  ces 
affreux  parricides.  François 

La  nouvelle  Religion  avoit  fait  tant  de  progrès  en  EcofTe,  jj  3 
que  les  Proteftans  avoient  une  armée  toute  prête  à  combattre.  1  ç  f  o 
Mais  les  deux  partis  ayant  conclu  une  trêve  le  25:  de  Juillet,, 
quidevoit  durer  jufqu'aU  mois  de  Janvier  fuivant,  ceRoyau-  ^nesdE~ 
me  fut  quelque  tems  tranquille.  La  Régente  apporta  de  grands 
foins,  pour  l'obfervation  du  traité,  ne  voulant  pas  qu'on  lui 
reprochât ,  comme  on  avoit  fait  jufqu'alors ,  qu'il  n'y  avoit 
nulle  fureté  dans  fa  parole.  On  eut  foin  cependant  de  répan- 
dre 3  que  Jacque  comte  de  Murrai ,  fils  naturel  de  Jacque  Roi 
d'Ecoffe,  fomentoit les  troubles  occafionnez  parla  Religion, 
pour  s'emparer  delà  Couronne,  à  l'exclufion  des  Princes  légi- 
times. François  II.  Roi  de  France  ,  ôc  Marie  Stuard  Reine 
d'Ecoife  fon  époufe  lui  écrivirent  des  lettres  très  fortes  à  ce 
fujet,  que  la  Régente  eut  foin  de  lui  faire  rendre.  On  repro- 
choit  au  Comte  fon  ingratitude  ,  après  tant  de  bienfaits  reçus, 
&  on  lui  faifoit  de  grandes  menaces,  s'il  n'abandonnoit  le 
parti  des  rebelles,  pour  rentrer  dans  fon  devoir.  Jacque  ré- 
pondit que  les  crimes  qu'on  lui  imputoit ,  étoient  fuppofez  , 
que  véritablement  fa  confcience  l'obligeoit  à  défendre  une  Re- 
ligion qu'il  avoit  embraffée,  mais  qu'au  refte  ceux  de  fon  parti, 
qu'on  vouloit  faire  paffer  pour  rebelles,  feroient  toujours  aufîi 
bien  que  lui  très-fidelles  à  leur  Reine.  Un  corps  de  mille  Fran- 
çois ayant  alors  débarqué  à  Lyth ,  la  Régente  raffurée  par  ce 
nouveau  fecours  ,  ne  douta  plus  qu'elle  ne  fit  bien-tôt  rentrer 
les  rebelles  dans  .leur  devoir. 

En  ce  tems-là  le  comte  d'Aran,fils  d'Hamilton  ci-devant  Gou- 
verneur d'Ecoffe  ,  fe  rendit  à  Sterlin ,  où  les  Pairs  du  Royaume 
étoient  affemblez.  Ce  jeune  Seigneur  venoit  de  s'échapper  des 
prifons  de  France ,  où  le  cardinal  de  Lorraine  l'avoit  fait  enfer- 
mer j  parce  que  s'étant  trouvé  un  jour  avec  le  duc  de  Guife* 
il  avoit  parlé  trop  librement  des  affaires  d'Ecoffe,  ôc  de  celles 
de  la  Religion.  On  l'avoit  arrêté  dans  fa  maifon  de  Chaftel- 
leraud  en  Poitou,  &  on  avoit  deffein  de  le  faire  mourir,  pour 
intimider  ceux  d'une  naiffance  au-deffous  de  la  tienne  :  au 
moins  il  eut  lieu  de  le  croire ,  par  les  paroles  du  cardinal  de 
Lorraine ,  qu'on  lui  avoit  rapportées  dans  la  prifon.  Ce  Pré- 
lat avoit  dit ,  dans  un  difeours  au  Parlement  de  Paris  contre  les 

Llliij 


4r4  HISTOIRE 

«- ■ .....—  Proteftans ,  qu'on  verroit  au  premier  jour  traîner  au  fuppîice 

François  un  homme  d'une  grande  naiffance  ,  ôc  égal  en  dignité  aux  pre- 
II  *  miers  du  Royaume ,  qui  feroit  puni  de  fa  témérité ,  6c  qui 
j  ^  ^  ferviroit  d'exemple.  Le  Comte  ayant  brile  fa  prifon  par  le 
fecours  de  fes  amis,  avoir  paffé  enEcoffe,  lorfqu'on  Fatten- 
doit  le  moins ,  s'étoit  joint  au  parti  des  Proteftans ,  ôc  faifoit  fes 
efforts  pour  détacher  le  Duc  fon  père  du  fervice  de  la  Régen- 
te. Les  Seigneurs  aiTemblez  à  Sterlin  ,  voyant  que  les  Fran- 
çois fortifioient  la  ville  de  Lyth  ,  ôc  qu'ils  faiibient  entrer 
des  troupes  ôc  toutes  fortes  de  munitions  dans  ce  port ,  (  qu'ils 
regardoient  comme  une  retraite  aiïurée  ,  11  leurs  affaires  tour- 
noient mal ,  ôc  comme  un  lieu  propre  à  faire  entrer  du  fecours 
fi  la  Fortune  les  favorifoit  ;  )  ils  réfolurent  d'une  voix  unanime 
qu'on  en  feroit  le  fiége.  Mais  l'entreprife  étoit  très-difficile. 
Toute  l'artillerie  du  Royaume  étoit  au  pouvoir  de  la  Régen- 
te, ôc  du  Gouverneur  du  château  d'Edimbourg  ,  qui  ne  s'étoit 
pas  encore  déclaré  pour  les  Proteftans.  D'ailleurs  leurs  forces 
n'étoient pas  affez  confiderables ,  pour  former  le  fiége  dune 
ville  entourée  d'un  côté  ôc  par  une  grande  rivière,  ôc  par  la  mer. 
Sur  ces  entrefaites  la  Broffe  Chevalier  de  l'ordre  de  Saint 
Michel ,  ôc  une  des  créatures  les  plus  dévouées  de  la  maifon 
de  Guife ,  defcendit  en  Ecoffe  avec  deux  mille  hommes  de 
pie.  Il  avoit  avec  lui  Nicolas  de  Pellevé  évêque  d'Amiens ; 
ôc  quelques  Docteurs  de  Sorbonne,  qui  venoientpour  difpu- 
ter  fur  les  matières  de  la  religion  ,  s'ils  y  voyoient  les  Proteftans 
difpofez.  Ces  Théologiens  ayant  prié  les  Pairs  affemblez 
à  Edimbourg  ,  de  leur  marquer  un  jour  pour  expliquer  les  or- 
dres dont  ils  étoient  chargez,  on  leur  fitréponfe  qu'on  ne  pou- 
voit  admettre  des  hommes ,  qui  apportoient  la  guerre ,  ôc  non 
la  paix?  que  s'ils  vouloient  difputer  de  la  foi,  après  avoir  ren- 
voyé les  troupes  Françoifes,  on  les  écouteroit  volontiers ,  afin 
de  faire  voir  à  tout  le  monde ,  qu'on  fçavoit  réfifter  à  la  force, 
ôc  qu'on  pouvoit  fe  rendre  à  des  propoiitions  raifonnables  > 
qu'au  refte  on  ne  pouvoit  afïez  s'étonner  comment  la  Régente, 
fans  qu'on  lui  eut  donné  lieu  de  fe  plaindre  ,  avoit  violé  fi-tôt  la 
foi  du  dernier  traité ,  en  chaffant  les  anciens  habitans  de  la 
ville  de  Lyth,  pour  y  introduire  une  colonie  d'étrangers,  ôc 
y  bâtir  une  citadelle  au  préjudice  de  la  liberté  publique.  Ces 
Pairs  écrivirent  à  peu  près  les  mêmes  chofes  à  la  Régente  un 


MWrzi 


DE  J.  A.    DE  THOU,  Liv.  XXIV.    *jj 

mois  après,  lui  demandant  de  plus  ,  qu'elle  eût  àrazer  lesnou-  ri  L 
velles  fortifications  de  Lyth ,  ôc  à  en  expulfer  les  étrangers ,  ZT~ 
ôc  les  autres  foldats  qui  y  étoient  à  fa  folde.  Cette  Princeffe  Tî - 
leur  envoya  un  héraut  (  comme  fi  elle  eût  eu  à  traiter  avec 
des  ennemis  )  qui  leur  dit  de  fa  part  a  qu'elle  ne  pouvoit  allez  1  >  *  ** 
s'étonner,  que  quelqu'un  osât  en  Ecoffe  s'attribuer  la  fouve- 
raine  puiffance ,  qui  appartenoit  feule  au  Roi  de  France  fon 
gendre  s  ôc  à  la  Reine  fa  fille,  qui  la  lui  avoient  communiquée; 
que  le  duc  de  Chaftelleraut  ï  devoit  fe  fouvenir  de  ce  qu'il  lui 
avoit  promis  de  vive  voix,  ôc  de  ce  qu'il  avoit  écrit  en  con- 
formité au  Roi  de  France  ,  lorfqu'il  avoit  déclaré ,  qu'il  fer  oit 
toujours  fournis  aux  ordres  de  fon  Souverain ,  ôc  qu'il  empê- 
cheroit  fon  fils  d'entrer  dans  les  fa&ions ,  qui  troubloient  le 
Royaume  i  que  cependant  fa  conduite  ne  répondoit  pas  à  fes 
promeffes;  qu'au  relie  elle  étoitbien  éloignée  de  vouloir  renver- 
ser lesloix,  ôc  opprimer  la  liberté  ,  ôc  encore  moins  de  vouloir 
ufurper  la  fouveraine  puiffance.  Car  pourquoi ,  ajoûtoit  le  hé- 
raut ,  rechercheroit-elle  une  puiffance  >  dont  la  Reine  fa  fille 
eft  en  poffefTion  à  droit  héréditaire  ?  Il  dit  encore  que  la  Ré- 
gente avoit  tant  de  zélé  pour  la  tranquillité  publique ,  qu'elle 
confentiroit  volontiers  à  tout  ce  qui  ne  blefieroit  pas  le  culte 
de  Dieu  ,  Ôc  le  refpecl  dû  aux  Rois  :  Qu'elle  avoit  pris  les 
armes  contre  ceux  qui  s'étoient  méchamment  unis,  pour  mé~ 
prifer  l'autorité  légitime  ?  qui  renverfbient  l'ordre  public ,  fans 
l'avoir  confultée ,  elle  qui  tenoit  la  place  du  Souverain  ma- 
giftrat  5  qui  s'emparoient  des  places  du  Royaume  j  ôc  faifoient 
alliance  avec  les  anciens  ennemis  de  l'Etat ,  qu'ils  avoient  mê- 
me fait  venir  en  Ecoffe  :  Que  cependant,  malgré  tant  d'injures 
reçues ,  elle  étoit  toujours  difpofée  à  faire  la  paix ,  pourvu  qu'on 
fît  des  propofitions  raifonnables  :  Qu'au  furplus  les  François,  qui 
avoient  abordé  en  Ecoffe  par  ordre  de  leur  Roi ,  ne  dévoient 
point  faire  obftacle  à  la  conciliation  des  efprits  ;  qu'il  y  avoit 
îong-tems  qu'il  feroient  fortis  duRoyaume,fi  les  faclions  avoient 
ceffé  i  qu'ainfi  ,  fuivant  le  pouvoir  qui  lui  avoit  été  confié,  elle 
demandoit,  ôc  ordonnoitmême,au  duc  de  Chaftelleraut,  aux 
autres  Pairs ,  ôc  à  tous  les  fu jets  du  Royaume ,  de  quelque 
condition  qu'ils  fuffent,  de  mettre  bas  les  armes  ;  finon  qu'elle 
les  déclaroit  rebelles  ôc  criminels  de  Îezé-Majefté. 
ï  Hamilton  feigneur  Ecofïbis,  duc  de  Chaftelleraut  en  Poitou» 


4?tf  HISTOIRE 

««wMimaM  Les  Seigneurs  qui  compofoient  les  Etats  d'Edimbourg,  en- 
Francois  voyerent  le  lendemain  23  jour  d'Octobre  une  réponfe  très-har- 
jj  '  die  adreffée  à  la  Régente.  Ils  lui  déclaroient ,  qu'en  qualité  de 
1  T  r  9.  Confeillers  nez  du  Royaume,ils  lui  interdifoient  au  nom  du  Roi 
ôc  de  leur  Reine  l'admininration  des  affaires  publiques,  qu'elle 
avoit ,  difoient-ils ,  ufurpée ,  6c  dont  elle  fe  montroit  peu  digne 
par  une  conduite  injurieufe  à  la  Religion ,  ôc  à  la  liberté  pu- 
blique :  Que  néanmoins  la  regardant  comme  la  mère  de  leur 
Reine,  qu'ils  dévoient  refpecler,  ils  la  prioient  de  fortir  de  Lyth 
dans  vingt-quatre  heures ,  ôc  d'emmener  avec  elle  tous  les 
foldats  étrangers  qui  y  étoient  ,  qu'ils  vouloient  épargner  à 
caufe  de  l'ancienne  amitié  qui  avoit  toujours  été  entre  la  Fran- 
ce ôc  l'EcofTe  h\  Ôc  qu'ils  la  conjuraient  d'expuifer  pareillement 
tous  les  autres  qui  fe  difoient  envoyez  de  la  Reine ,  foit  pour 
difputer,  foit  pour  agir.  Ils  oferent  enfuite  faire  un  décret  en 
conformité ,  par  lequel  ils  déclaroient  nulle  la  Régence  défé- 
rée à  la  Reine  veuve  du  feu  Roi;  par  le  Roi  de  France  ,  ôc 
par  la  Reine  fa  fille  ,  ôc  défendoient  à  cette  PrincefTe  d'exer- 
cer l'autorité  Souveraine  jufqu'à  l'affemblée  du  Parlement 
qui  feroit  bien-tôt  indiquée.  Tous  ayant  foufcrit  à  cet  acte , 
ils  envoyèrent  un  héraut  à  Lyth,  pour  ordonner  aux  EcofTois 
qui  étoient  dans  cette  ville  là  3  d'en  fortir  dans  vingt-quatre 
heures,  ôc  de  fe  féparer  des  ennemis  de  la  liberté  publique. 
Il  y  avoit  alors  peu  d'ordre  ôc  de  difcipline  dans  le  camp  des 
Conféderez;  ce  qui  provenoit  de  lafoibleffe  de  leur  chef,  qui 
ayant  été  intimidé  par  plufieurs  de  fes  proches ,  avoit  commu- 
niqué fes  incertitudes  ôc  fes  craintes  aux  foldats.  D'ailleurs 
on  manquoit  d'argent,  ôc  les  troupes  qui  n'étoient  pas  payées, 
fe  mutinoient  fouvent.  On  avoit  réfolu  que  chacun  fourniroit 
ce  qu'il  avoit  d'argenterie  ,  pour  en  fabriquer  de  la  monnoye, 
dont  on  payeroit  l'armée.  Mais  malheureuiement  les  coins  pour 
faire  les  empreintes  avoient  été  enlevez ,  fans  que  l'on  con- 
nût l'auteur  du  larcin.  Les  efpérances  que  l'on  avoit  du  côté 
de  l'Angleterre  étoient  foibles  ôc  incertaines. v  On  envoya  fe- 
cretement  Jean  Cocborne  Ormifton  à  Warvic,  pour  emprun- 
ter de  l'argent  de  quelques  Anglois  qui  y  demeuraient.  La  Ré- 
gente qui  en  eut  avis ,  donna  ordre  au  comte  de  Bothuel ,  dont 
les  Conféderez  ne  fe  déiioient  pas  ,  détacher  de  furprendre  Or- 
mifton lorfqu'il  reviendrait.  Le  Comte  l'attaque ,  le  bleffe,ôc 

le 


DE  J.  A.   DETHOU,Liv.  XXIV,         4*7 

ïe  fait  pfifonnier.  Le  comte  d'Aran  ôc  Jacque  Smart  étoient  for- 
tis  inutilement  d'Edimbourg- ,  pour  délivrer  Ormifton.  Ce  me-  i?  "^-J 
me  jour  le  Gouverneur  de  Dundee  voulut  témérairement  s  ap- 
procher de  Lyth  avec  quelques  foldats ,  ôc  des  volontaires.  . 
Il  plaça  même  du  canon  fur  une  colline  voifine  de  la  ville  ,ne 
doutant  pas  que  les  troupes  des  Conféderez  ne  vinffent  bien-tôt 
le  féconder.  Alors  les  François  ayant  reconnu  que  ce  Gouver- 
neur n'avoit  point  de  cavalerie ,  font  fortir  la  leur ,  qui  met 
en  fuite  les  ennemis.  Un  bruit  s'étant  répandu  parmi  les  fuyards, 
que  les  François  qui  les  pourfuivoient.,  étoient  allez  par  un  che- 
min plus  court  pour  leur  fermer  le  paffage ,  ôc  les  empêcher 
de  rentrer  à  Dundee ,  ils  furent  faifis  d'une  fi  grande  frayeur, 
qu'ils  fe  difperferent  de  tous  cotez.  Les  Conféderez  étant  fortis 
le  y  de  Novembre  d'Edimbourg,  pour  inquiéter  les  François, 
qui  vouloient  enlever  un  convoi  que  l'on  y  conduifoit,  ôc  s'é- 
tant trop  avancez ,  eurent  bien  de  la  peine  à  rentrer  dans  la 
ville ,  ôc  furent  punis  de  leur  témérité.  Car  s'étant  engagez  en 
un  chemin  étroit ,  borné  d'un  côté  par  un  marais ,  ôc  de  l'autre 
par  les  murs  d'un  grand  parc ,  ils  fe  trouvèrent  expofez  à  la 
moufqueterie  des  François,  ôc  furent r en verfez  par  la  cavale- 
rie ennemie  >  ôc  même  par  leurs  compagnons.  Plufieurs  fu- 
rent tuez  en  cette  occafion ,  ôc  il  y  en  eut  eu  encore  un  plus 
grand  nombre,  fi  les  comtes  d'Aran  ôc  de  Murrai  ayant  mis 
pied  à  terre  n'euiTent  partagé  le  danger  avec  eux ,  ôc  ne  les 
euffent  fecourus  à  propos. 

La  terreur  fut  fi  grande  à  Edimbourg,  qu'on  réfolut  d'a- 
bandonner la  ville  :  les  Seigneurs  y  ayant  confenti ,  la  gar- 
nifon  fe  mit  en  chemin  peu  avant  le  milieu  de  la  nuit, 
ôc  fe  rendit  en  défordre  à  Sterling.  Les  Conféderez  ne  fe  croyant 
pas  affez  forts  pour  réfifter  aux  troupes  Françoifes,  députèrent 
Guillaume  Metellan  àElizabeth  Reine  d'Angleterre  ,  pour  lui 
demander  du  fecours  ;  alléguant  que  les  Anglois  étoient  in- 
terefTez  à  éloigner  le  péril  qui  les  menaçoit,  étant  tous  habitans 
de  la  même  ifle  s  ôc  que  fi  les  François  parvenoient  à  fe  for- 
tifier en  EcoiTe ,  ils  feroient  à  portée  d'inquiéter  l'Angleterre: 
Enfin  après  de  longues  délibérations ,  ils  obtinrent  des  fecours 
d'hommes  ôc  d'argent.  Cependant  les  Conféderez  fe  retirèrent 
une  partie  à  Glafcow ,  ôc  l'autre  à  Fife.  Les  François  avertis 
qu'Elizabeth  faifoit  marcher  des  troupes  en  Ecofle ,  réfolurent 
Tom.  III.  M  m  m 


4J3  HISTOIRE 

,    ,  de  fe  fignaîer  par  quelque  a£tion  d'éclat  avant  leur  arrivée,  ÔC 
François  ^'attaquer  *a  V1^e  de  Fife.  Ayant  pafie  par  Lithcow,ôc  par 
L  jj  »        les  terres  des  Hamiltons ,  ils  ravagèrent  tout  ce  payis.  Enfuite 
'         ils  s'avancent  près  de  Sterling,  ôcs'y  étant  peu  arrêtez,  ilspaf- 
*  '  °*    fent  un  pont  qui  en  eft  proche,  ôc  defcendant  le  long  du  fleu- 
ve ,  ils  pillent  les  bourgs  ôc  les  villages  fituez  fur  la  rive,  ôc 
viennent  enfin  à  Kinghorn.  Les  EcoiTois  s'étoient  emparez 
d'une  bourgade ,  nommée  Dyfert,  fituéefur  la  rive  oppofée,  où 
les  deux  partis  efcarmoucherent  près  de  trois  femaines.  Les 
François  avoient  ordre  fur-tout  de  piller  les  maifons  des  Alliez, 
pour  les  faire  rentrer  dans  le  devoir  par  un  châtiment  févére. 
Celle  de  Guillaume  Kircadey  ayant  été  ravagée,  comme  les 
autres,  ce  Gentilhomme  réfolutde  s'en  venger.  Il  avoit  remar- 
qué que  laBaftie  capitaine  Savoyard battoit  la  campagne  avec 
fa  troupe ,  dans  l'efperance  de  quelque  butin.  Il  fe  mit  en  em- 
bufcade  près  de  là ,   ôc  ne  fortit  point  qu'il  ne  vît  la  Baftie 
éloigné  de  mille  pas  de  fa  garnifon.  Alors  il  fe  pofta  avec  de 
la  cavalerie  entre  .la  Baftie  ,  ôc  la  ville  d'où    celui-ci  étoit 
forti ,  ôc  les  obligea  de  fe  retirer  avec  fes  François  dans  une 
vallée ,  où  ils  fe  retranchèrent  dans  des  hayes ,  ôc  avec  des  ar- 
bres qui  avoient  été  abattus  en  cet  endroit.  On  les  y  força  ; 
ôc  comme  ils  refuferent  de  fe  rendre  y  on  en  tua  environ  cin- 
quante.» ôc  les  aures  furent  conduits  à  Dundee.  LaBaftie  avoit 
trouvé  moyen  durant  le  combat  de  s'échapper  avec  quelques- 
uns  de  fes  cavaliers  ;  ôc  c'eft  à  tort  que  Buchanan  a  écrit ,  que 
ce  Capitaine  fut  tué  en  cette  occafion ,  puifqu'il  eft  encore 
aujourd'hui  plein  de  vie,  lorfque  j'écris  cette  hiftoire. 
i  6  6  o.         Cependant  les  Conféderez  envoyèrent  des  députez  à  War- 
Traité  entre  wic>  pour  drelfer  les  articles  d'un  traité  d'union  avec  les  Anglois. 
ïes  Confé<te-  J}  fut  arrêté  le  27  de  Février  de  l'année  fuivante ,  à  ces  con- 
&  la  Reine    ditions  :  Que  les  deux  nations  s'envoyeroient  mutuellement 
f4ifabeth.       du  fecours  contre  les  étrangers  ,  qui  étoient   defcendus  dans 
leur  Ifle  :  Que  les  Anglois  porteroient  les  armes  en  EcolTe  , 
ôc  réciproquement  les  Ecoflbis  en  Angleterre  :  Qu'en  confi- 
dération  de  l'indigence  des  Ecoflbis,  Elifabeth,  payeroit feule 
les  troupes ,  ôc  que  fes  fujets  auroient  auiîi  feuls  le  butin  qu'on 
feroit  fur  les  ennemis  :  Enfin  que  les  villes  ôc  les  citadelles  , 
qui  feroient  prifes,  feroient  reftituées  à  leurs  anciens  maîtres, 
ôc  que  les  Ecoflbis  donneroient  des  otages  pour  fureté  de  ce 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L'iv.  XXIV.     \^ 

traité ,  lefquels  demeureroient  en  Angleterre ,  tant  que  le  ma-  ««n— ■■*■■» 
riage  de  leur  reine  Marie  fubfifteroit  avec  François  IL  ôcmê-  François 
me  après.   Ce  fut  en  ce  tems-là  qu'Elifabeth  fit  publier  le  24         JI. 
de  Mars  un  Manifefte  à  Londres  ,  qui  fut  aufll  répandu  par     1  ^  <j  0. 
toute  la  France ,  pour  expofer  les  raifons  ,  qui  la  portoient  à 
prendre  la  défenfe  des  EcolTois  ,  ôc  à  rompre  l'alliance  qu'elle 
avoit  faite  depuis  peu  avec  la  France. 

Elle  reprefentoit  que  Marie  Stuard  reine  d'Ecofle  ,  lui  avoit  ,,^?.afnKe?e 
fait  de  cruelles  injures ,  ôc  avoit  même  ofé  ufurper  des  titres 
qui  n'étoient  dûs  qu'à  elle  5  qu'elle  ne  pouvoit  croire  que  Fran- 
çois IL  ôc  la  reine  Marie,  dans  l'âge  où  ils  étoient ,  eufîent  part 
à'cetteentreprife ,  ni  qu'elle  fe  fit  du  confentement  de  ceux  qui 
étoient  du  Sang  royal  ôc  des  Etats  du  Royaume  :  Que  ce  ne 
pouvoit  être  que  l'ouvrage  de  l'ambition  des  princes  de  Guife  ., 
qui  trouvoient  leur  compte  à  troubler  les  plus  grands  Etats  ,  Ôc 
à  y  fufciter  des  guerres  dans  la  vue  d'agrandrir  leur  maifon  ôc 
de  foûtenir  un  pouvoir  illégitime  ,  que  le  bon  ordre  ôc  la  tran- 
quillité feroient  bien-tôt  évanouir.  «  Pourquoi ,  ajoûtoit-on  , 
o>  ont-ils  fait  prendre  à  François  IL  le  titre  de  roi  d'Angleterre 
*■>  ôc  les  armes  de  ce  Royaume,  s'iîsn'avoientpas  de  pernicieux 
»  delTeins  ?  Pourquoi  fous  le  voile  fpécieux  de  la  Religion 
»  allument-ils  la  guerre  en  EcofTe  ?  Ne  voit-on  pas  qu'ils  veu- 
»  lent  par  là  arToiblir  la  France,  ôc  elTayer  s'ils  ne  pourroient 
«  point  parvenir  à  s'emparer  de  la  grande  Bretagne  ?  »  La  reine 
difoit  encore  dans  cet  écrit  :  Qu'elle  avoit  fait  faire  plufieurs 
inftances ,  afin  que  le  roi  de  France  renonçât  à  ces  titres  vains , 
qui  pouvoient  reveiller  des  haines  depuis  long-tems  alToupies? 
ôc  qu'elle  les  avoit  aufïi  conjurez,  de  terminera  l'amiable  les 
troubles  furvenus  en  EcofTe  à  l'occafion  de  la  Religion ,  où 
elle  ne  pouvoit  s'empêcher  de  prendre  part ,  eu  égard  à  la 
proximité  du  payis  ôç  à  la  conformité  des  intérêts  :  Qu'elle  leur 
avoit  auffi  reprefemé  que  le  moyen  le  plus  convenable  ,  pour 
pacifier  l'Ecoffe ,  était  d'en  faire  fortir  les  troupes  Françoifes  1 
auquel  cas  elle  promettait  de  retirer  les  liennes  ;  ôc  que  pour 
Jeur  prouver  combien  elle  avoit  à  cœur  de  voir  régner  la  paix, 
non-feulement  dans  fes  Etats ,  mais  encore  dans  un  Royaume 
limitrophe  du  fien ,  elle  s'étoit  chargée  de  faire  enforte  par  fa 
médiation,  que  l'EcolTe  fut  tranquille  ôc  foumife  à  fa  Souve- 
raine. Elifabeth  ajoutait ,  qu'elle  ne  pouvoit  voir  fans  douleur 

M  m  m  ij 


4<*o  HISTOIRE 

que  Tes  bonnes  intentions  euffent  été  jufques-là  fans  aucun  fruit: 
Que  cependant  malgré  ces  fujets  de  plainte,  elle  étoit  bien  aife 
François  Je  déclarer  à  tout  l'univers  ,  qu'elle  vouloit  religieufement  en- 
tretenir la  foi  des  derniers  traitez  faits  avec  la  France  :  Qu'elle 
1  S  °  °*  ordonnoit  à  tous  fes  fujets  de  continuer  leur  commerce  avec 
les  François  ,  de  les  regarder  comme  amis  &  alliez ,  de  n'en 
parler  qu'avec  de  grands  égards,  ôc  de  ne  rien  faire  qui  pût 
leur  attirer  le  reproche  d'avoir  violé  la  paix  :  Mais  qu'elle  étoit 
en  droit  de  demander  de  fon  côté  que  les  princes  Lorrains 
n'employaffent  plus  les  forces  de  leur  Roi  ôc  de  fon  Etat ,  pour 
opprimer  les  Ecoffois  fes  voifins,  ôcpour  leur  porter  des  coups, 
dont  elle  nepouvoitpas  ne  point  reffentir  les  atteintes-  Elle  tinif- 
foit  en  difant ,  que  li  l'on  continuoit  ces  hoftilirez ,  elle  feroit  ce 
qui  étoit  de  fon  devoir  ,  ôc  n'abandonneroit  pas  en  cette  oc- 
casion fes  voifins  ôc  fes  alliez ,  dont  les  intérêts  étoient  les  fiensj 
ôc  qu'elle  efperoit  que  Dieu  ,  qui  protège  les  deffeins  pleins 
de  juftice  ,  favoriferoit  fes  armes ,  ôc  la  foûtiendroit ,  elle  ôc  fes 
fujets,  contre  fes  ennemis. 

Les  Guifes  voyant  que  le  Manifefte  d'Elifabeth  faifoit  im- 
preffion  fur  les  efprits,  ôc  lesrendoit  odieux,  donnèrent  ordre 
à  Michel  de  Seurre  ,  chevalier  de  Malte  ,  Ambaffadeur  de 
France  en  Angleterre,  de  folliciter  fortement  la  Reine  derap- 
peller  les  troupes  qu'elle  avoit  envoyées  en  Ecoffe ,  qui  ren- 
doient,  difoit  l'Ambaffadeur  ,  ces  peuples  naturellement  fiers 
ôc  féroces ,  encore  plus  infolens ,  ôc  les  foulevoient  contre 
leurs  Souverains  légitimes.  Ils  rirent  aum*  intervenir  l'évêque 
d'Aquila  ,  ambaffadeur  du  Roi  d'Efpagne  ,  ôc  Glayon  grand- 
Maître  de  l'Artillerie.  On  fit  paffer  en  même-tems  en  Angle^ 
terre  Jean  de  Montluc  évêque  de  Valence ,  affés  verfé  dans  les 
affaires  d'Ecoffe.  Comme  on  croyoit  communément  que  ce 
Prélat  favorifoit  les  nouvelles  opinions ,  les  princes  Lorrains 
jugèrent  qu'il  feroit  moins  fufpe£t  à  Elifabeth ,  Ôc  aux  Protef- 
Dedaration  tans  Ecoffois.  La  Reine  déclara  à  tous  ces  Miniftres  ,  qu'elle 
deurdeFraa-  ne  rappelleroit  point  fes  troupes  ,  que  la  France  n'eût  aupara- 
ce  à  Elifa-  vant  fait  embarquer  les  Hennés.  De  Seurre  lui  reprefenta  tous 
les  fervices  que  la  France  avoit  rendus  à  l'Angleterre ,  ôc  dé- 
clara, que  le  Roi  fon  maître  étoit  difpofé  à  entretenir  invio- 
lablement  la  paix,  que  le  roi  Henri  fon  père  avoit  lignée  : 
Que  fi  la  guerre  fe  rallumoit  de  nouveau ,  les  Anglois  feroient 


beth. 


« 


DE   J.  A.  DE   THOU  ,Liv.  XXIV.        461 

feuls  les  auteurs  de  l'infraction  des  traitez  :  Que  véritablement 
ie  Roi  avoit  envoyé  des  troupes  en  Ecofle  ,  pour  faire  rentrer  F 
des  peuples  rebelles  dans  leur  devoir  >  mais  qu  avant  que  d  en 
venir  à  ces  remèdes  extrêmes ,  il  avoit  prié  Elifabeth  d'em-  ' 

ployer  fes  bons  offices  auprès  de  fes  fujets  révoltez  3  ôc  qu'il  * 
la  p doit  encore  de  vouloir  être  médiatrice:  Qu'il  ne  faifoitla 
guerre  ,  que  pour  parvenir  à  donner  la  paix  aux  Ecofïbis  ,  ôc  à 
les  obliger  d'obéir  à  leurs  Princes  :  Que  fi  ce  grand  ouvrage 
pouvoit  être  le  fruit  de  la  médiation  puifTante  de  la  Reine ,  le 
Roi  fon  maître  en  auroit  une  éternelle  reconnoiflance,  ôc  fe- 
roit  aufîî-tôt  revenir  fes  troupes  :  Que  l'évêque  de  Valence  lui 
avoit  déjà  déclaré  les  mêmes  chofes  au  nom  de  François  ;  ce 
qui  néanmoins  ne  l'avoit  pas  empêchée  d'envoyer  du  fecours 
aux  EcofTois ,  ôc  d'agir  publiquement  ôc  en  plus  d'une  occafion, 
comme  ennemie  de  la  France  :  Qu'enfin  le  Roi  lui  declaroit 
pour  la  dernière  fois  ,  qu'il  avoit  en  horreur  une  guerre  qui  ten- 
doit  à  répandre  le  fang  de  fes  fujets ,  à  qui  il  ne  demandoit 
qu'une  foumiffion  à  fes  ordres,  à  prefent  ôc  pour  l'avenir  ;  ôc 
qu'il  donnoit  fa  parole  Royale ,  que  dès  qu'ils  feroient  rentrez 
en  leur  devoir,  il  ferpit  publier  une  amnifïie  générale,  ôc  rap- 
pellerait fes  troupes,  à  l'exception  de  celles  qui  feroient  jugées 
néceflaires  pour  foûtenir  fa  dignité  en  EcofTe ,  Ôc  celle  de  la 
Reine  fon  époufe  :  mais  que  fi  malgré  des  intentions  fi  équi- 
tables ,  Elifabeth  continuoit  de  foûtenir  les  EcofTois  rebelles  * 
ôc  d'attaquer  fes  ridelles  fujets  ,  il  proteftoit  qu'il  ne  prenoit 
les  armes ,  que  parce  qu'il  s'y  trouvoit  forcé.  De  Seurre  avoit 
écrit  cette  déclaration  ,  qu'il  prefenta  à  Elifabeth  ,  ôc  qu'il  ren- 
dit enfuite  publique  le  vingt  d'Avril. 

Durant  ces  négociations ,  les  François  ravagèrent  les  villes 
de  Dyfertôc  de  Wemis,  ôc  s'approchèrent  de  Cuper.  Enfuite 
s'étant  avancez  vers  le  rivage  de  la  mer  ,  ils  apperçurent  de 
dellus  le  cap  de  Kingrag  une  flotte,  qui s'approchoit  "des côtes 
de  l'Ecofle.  Ils  eurent  d'abord  une  grande  joye ,  croyant  que 
c'étoit  des  vaifleaux  François  ;  mais  ils  furent  bien-tôt  détrom- 
pez ,  ayant  appris  que  c'étoit  la  flotte  d'Angleterre.  Le  bruit 
fe  répandit  en  même-tems  ,  que  plufieurs  bataillons  Anglois 
marchoient  vers  les  frontières  d'Ecoffe.  A  ces  nouvelles  ils 
changèrent  de  deffein  ,  ôc  fe  retirèrent  en  defordre  à  Kingoi  n 
ôc  à  Dunfermeling.  Au  refle,  plufieurs  EcofTois ,  qui  étoiert 

M  m  m  iij 


4*2  HISTOIRE 

demeurez  fidèles  à  leur  Reine ,  commencèrent  alors  à  fe  dé- 
François  Partir  Peu  *  peu  de  leur  devoir.  Le  dégoût  de  leur  fortune 
jj  prefente ,  la  haine  de  la  domination  des  princes  Lorrains  ,  l'a- 
Iç^0t  mour  de  la  liberté  ôc  de  la  paix,  qu'ils  jugeoient  préférables 
à  la  fervitude  ôc  à  la  guerre ,  ôc  le  penchant  de  quelques-uns 
d'entr'eux  pour  les  nouvelles  opinions  ,  leur  infpiroient  ces  fen- 
timens.  D'ailleurs  ils  fe  voyoient  expofez  à  la  licence  du  fol- 
dat  François ,  peu  difcipliné  ,  qui  pilloit  également  amis  ôc 
ennemis.  Il  s'étoit  aufli  répandu  un  bruit ,  qui ,  quoique  fans 
fondement ,  paffoit  pour  véritable.  On  difoit  ,  qu'après  la  fin 
de  la  guerre  ,  on  avoit  réfolu  de  profcrire  toute  la  NoblefTe 
Ecoffoife  ,  Ôc  de  donner  leurs  terres  à  des  Gendarmes  François. 
La  Broffe  ,  difoit-on,  s'étoit  expliqué  de  façon  à  le  faire  croire, 
ôc  les  lettres  qu'il  écrivoit  au  Roi  ôc  aux  princes  Lorrains  , 
qu'on  avoit  interceptées ,  ne  laiffoient  aucun  lieu  d'en  douter. 
Il  eft  incroyable ,  combien  ce  faux  bruit  anima  les  peuples  d'E- 
cofle  contre  les  François,  que  d'autres  raifons  leur  avoient  déjà 
rendu  odieux.  Les  habitans  de  Fife ,  qui  avoient  fur-tout  fouffert 
de  ces  étrangers  ,  ôc  qui  commençoient  d'ailleurs  à  craindre  la 
puiffance  des  Proteftans  conféderez  ,  fe  joignirent  aux  Alliez. 
Hoftilitez  Vers  le  commencement  du  Printems  Sebaftien  de  Luxem- 
enne  les  Al-  bourg  <Je  Martigues,  jeune  Seigneur  d'un  grand  courage,  arriva 
&lcsFrançois.  de  r  rance  avec  deux  jNavires,  qui  portoient  environ  mille  ran- 
tafïins  ,  ôc  quelques  cavaliers.  Les  Ecoffois  ayant  remarqué, 
que  ces  vaifleaux  étoient  mal  gardez  ,  s'en  emparèrent  une 
nuit.  René  marquis  d'Elbœuf ,  frère  du  duc  de  Guife  ôc  de 
la  Régente  ,  fuivoit  Martigues  avec  huit  vaifTeaux  ,  ôc  appor- 
toit  en  Ecofle  de  l'argent ,  ôc  les  autres  chofes  néceffaires  à  la 
guerre.  Mais  fa  petite  flotte  ayant  été  battue  d'une  violente 
tempête ,  il  relâcha  dans  les  ports  de  France.  D'un  autre  côté 
les  Anglois  ayant  envoyé  une  féconde  flotte  ,  fe  trouvoient 
maîtres  de  la  mer,  tenoientrifle  deKeyth  comme  affiégée,ÔC 
fermoient  le  paflage  aux  convois  qui  venoient  à  Lyth.  Ceux 
de  Fife  envoyèrent  en  ce  tems-là  des  députez  de  Perth ,  qui 
y  eurent  une  conférence  avec  Huntley ,  ôc  qui  ayant  enfuite 
parcouru  les  provinces  du  Nord ,  les  attirèrent  prefque  toutes 
au  parti  des  Alliez  ;  leur  ayant  fait  promettre  qu'ils  envoye- 
roient  des  troupes  à  l'armée  des  Proteftans  vers  la  fin  du  mois 
de  Mars.  Tous  s'étant  aflemblez  à  Lythcow ,  ils  marchèrent 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXIV.       $63 

Vers  Haddington,  ôc  joignirent  le  premier  d'Avril  l'armée  des  n  1  ■  1  1  ■, 
Anglois,  compofée  de  lîx  mille  fantaflins ,  &  de  deux  mille  che-  pRANc0IS 
y  aux.  On  campa  près  de  Prefton.  jj4 

Cependant  la  Régente  fe  retira  ,  avec  un  petit  nombre  de  x  <*  $0i 
domeftiques,  dans  la  citadelle  d'Edimbourg,  pour  ne  pas  être 
témoin  des  événemens ,  ôc  pour  faire  voir  qu'elle  déteftoit  cette 
funefte  guerre.  Cette  PrincefTe  étoit  ennemie  des  confeils  vio- 
lens,  ôc  avoit  toujours  été  d'avis,  qu'il  falloit  retenir  les  Ecof- 
fois  dans  l'obéiiTance ,  plutôt  par  un  gouvernement  doux  ôc 
modéré,  que  par  les  menaces  ôc  la  févérité.  Elle  avoit  même 
écrit  aux  Princes  Lorrains  fes  frères,  que  le  feul  moyen  de 
conferver  l'ancienne  Religion ,  étoit  de  laifler  aux  peuples 
une  entière  liberté  de  confcience.  Elle  déferoit  beaucoup 
aux  confeils  de  l  Henri  Clutin  d'Oifel ,  homme  d'un  efpric 
vif  ôc  pénétrant,  qui  joignoit  une  exa&e  probité  à  une  lon- 
gue expérience  ,  ôc  qui  régloit  plutôt  fes  avis  fur  l'équité, 
que  fur  la  paiïion  des  Guifes.  Dès  le  commencement  des  trou- 
bles ,  il  vouloit  qu'on  prît  les  voyes  de  la  douceur ,  pour  ter- 
miner les  différends  h  ôc  il  déteftoit  les  nouveaux  confeils  qu'on 
avoit  donnés  à  la  Régente,  comme  extrêmes  ôc  peu  convena- 
bles à  la  fituation  des  affaires.  Jean  Areskin  ,  Officier  d'une 
intégrité  ôc  d'une  exactitude  reconnues ,  étoit  alors  gouverneur 
du  château  d'Edimbourg.  Le  Confeil  public  lui  avoit  donné 
le  gouvernement  de  cette  importante  fortereffe ,  à  condition 
qu'il  ne  la  rendroit  à  qui  que  ce  fût ,  que  par  les  ordres  de 
ce  même  Confeil.  Quoiqu  il  apportât  les  plus  grandes  précau- 
tions, afin  qu'on  ne  lui  enlevât  pas  fa  place  de  force,  ou  par 
rufe  ,  il  ne  crut  pas  en  devoir  refufer  l'entrée  à  la  Régente. 
En  quoi  il  ufa  d'une  grande  prudence ,  fatisfaifant  en  même 
tems  à  ce  qu'il  devoit  à  la  Régente,  Ôc  demeurant  toujours  le 
maître  de  la  citadelle. 

Quoique  les  Conféderez  euffent  déclaré  la  Régente  déchue 
de  l'adminiftration  des  affaires ,  cependant  connoifïant  fes  difpo- 
fitions  ,  ôc  ne  fçachant  quel  feroit  le  fuccès  de  la  guerre  ,  ils 
ïui  écrivirent  le  4  d'Avril  de  la  ville  de  Dalkeith  une  lettte 
conçue  en  termes  refpectueux  ôc  mefurez.  Ils  la  prioient  de 
faire  fortir  d'Ecoffe  les  François,  ennemis  de  la  liberté  publique, 

1  Clutin  étoit  alors  Ambaffadeur  de  France  en  Ecoffe,    Il  le  fut  depuis  à 
Rome, 


4*4  HISTOIRE 

6  de  délivrer  d'une  jufte  crainte  des  peuples  réduits  au  défef- 
Francois  ?ou'  ^s  Prote^°ient  enfuite,  que  les  maux  qu'ils  fouffroient, 

(t  *  quoiqu'extrêmes,  ne  les  détourneroient  jamais  de  l'obéiffance 
ï  c  60  CP^S  dévoient  à  leur  Reine,  ôc  au  Roi  de  France  fon  époux; 
ôc  qu'ils  lui  rendroient  toujours,  lorfquil  ne  s'agiroit  pas  de 
leur  liberté  ,  de  leurs  vies  ,  ôc  de  celles  de  leurs  enfans.  Deux 
jours  après  les  François  fortirent  de  Lyth ,  pour  s'emparer  d'une 
colline  voifine  ,  où  ils  croyoient  que  les  ennemis  avoient  def- 
fein  de  placer  leur  camp.  Ceux-ci  ayant  difputé  le  terrein^le  com- 
bat fut  long  ôc  opiniâtre,  Ôc  les  François  fe  voyant  les  plus 
foibles ,  fe  retirèrent  dans  la  ville.  Cependant  l'évêque  de  Va- 
lence ,  négociateur  habile ,  fe  rendit  au  camp  des  Anglois  le  21 
d'Avril,  ôc  de  là  à  Edimbourg  pour  conférer  avec  la  Régente, 
ôc  paffa  enfuite  dans  le  camp  des  Alliez.  Mais  il  ne  trouva  pas 
encore  les  efprits  difpofez  à  la  paix.  On  continuoit  toujours 
le  fiége  de  Lyth,  011  il  ne  fe  fit  rien  de  mémorable  jufqu'au 

7  de  Mai ,  finon  que  les  Anglois  rirent  avancer  leur  artillerie. 
Ils  avoient  remarqué  qu'ils  ne  tiroient  que  des  coups  perdus, 
parce  que  leur  canon  étoit  drellé  trop  loin  de  la  ville  :  ils  chan- 
gèrent donc  leur  camp,  ôc  le  placèrent  au-delà  de  la  rivière 
de  Lyth.  De  cet  endroit  leurs  batteries  faifoient  plus  d'effer, 
ôc  ils  étoient  plus  à  portée  de  combattre  contre  l'ennemi ,  qui 
faifoit  fouvent  des  forties.  Alors  le  feu  ayant  pris  en  un  quar- 
tier de  la  ville ,  Ôc  les  François  qui  la  défendoient ,  accourant 
pour  éteindre  l'incendie ,  les  affiégeans  battirent  fans  relâche 
ce  côté,  ôc  en  même  tems  voulurent  aller  à  l'aiTaut  ;  ce  qui 
ne  leur  ayant  pas  réufïi ,  ils  mirent  le  feu  à  tous  les  moulins 
d'alentour  le  4  de  Mai.  Le  7  du  même  mois  ils  plantèrent  des 
échelles ,  ôc  retournèrent  une  féconde  fois  à  l'alTaut  ;  mais  mal- 
gré leurs  efforts ,  ils  furent  encore  repoulfez  ,  ôc  perdirent  en 
cette  occafion  environ  deux  cens  hommes. 

Ces  avantages  encouragèrent  les  afliégez ,  ôc  firent  perdre 
aux  Alliez  l'efpérance  de  prendre  fi-tôt  la  ville.  Cependant 
le  duc  de  Norfolk  exhortoit  les  Anglois  à  continuer  le  fiége, 
leur  promettant  de  leur  envoyer  de  grands  fecours  de  fes  ter- 
res ,  fituées  le  long  des  frontières  d'Ecoffe  entre  TVede  ôc  Ter- 
went.  Effectivement  il  envoya  peu  de  jours  après  deux  mille 
hommes  de  pié,  qui  renforcèrent  le  camp  des  Alliez.  Les  cho- 
fes  étoient  en  cet  état ,  lorfque  Guillaume  Cécile ,  premier 

Miniftre 


DE  J.  A.  DE  T  HOU,  L  iv.  XXIV.     4^ 

Aïiniftre  d'Elizabeth ,  ôc  Nicolas  Votton  fe  rendirent  en  Ecof- 
fe,  pour  faire  des  propofitions  de  paix.  L'arrivée  de  ces  Plé-  François 
nipotentiaires  rallentit  les  efforts  des  affiégez ,  ôc  en  même  JJ.' 
tems  ceux  des  Alliez.  Les  François  commençpient  à  manquer  j  ?  6  o.. 
de  vivres  5  la  mer  n'étant  pas  libre ,  ils  n'en  pouvoient  efpé- 
rer  „  ôc  fe  voyoient  réduits  aux  dernières  extrêmitez.  Les  An- 
glois,  affoiblis  parles  fatigues  d'un  liège  fi  long,  ôc  fi  incom- 
mode, étoient  auiïi  dans  une  grande  difette  de  toutes  cho- 
fes  ,  ôc  fouhaitoient  de  voir  finir  la  guerre.  Enfin  les  Ecoffois, 
qui  étoient  dans  le  camp  ,  faifoient  la  guerre  à  leurs  dépens, 
ôc  comme  ils  n'étoient  point  payez ,  ils  quittoient  fouvent  l'ar- 
mée pour  retourner  chez  eux.  Ils penfoient d'ailleurs,  que  quel- 
que fût  lefuccès  de  cette  guerre,  elle  leur  fetoit toujours  oné- 
reufe.  Ainfi  tous  fe  trouvèrent  difpofez  à  écouter  des  propo- 
fitions de  paix.  Les  Miniftres  de  la  Reine  d'Angleterre  en- 
trèrent en  conférence  à  ce  fujet  avec  les  Seigneurs  de  la  Ro- 
chefoucaut  Randan ,  ôc  avec  l'évêque  de  Valence  ;  le  Roi ,  ôc 
la  Reine  Marie  fon  époufe  n'ayant  pas  crû.  devoir  traiter  di- 
rectement avec  leurs  fujets. 

La  négociation  étoit  fort  avancée ,  ôc  on  avoit  même  in- 
diqué au  mois  de  Juillet  fuivant  l'affemblée  du  Parlement,  pour 
confirmer  par  le  confentement  de  la  nation  ce  qu'on  avoit 
agréé  de  part  ôc  d'autre,  lorfque  le  1  o  de  Juin  la  Régente  mou-  ^ort  de  la 
rut  accablée  de  triiteffe  ôc  d'ennuis.  Peu  s'en  fallut  que  cette  Régenre  d'£* 
mort  ne  rompît  un  traité,  qui  étoit  furie  point  d'être  conclu  :  c 
les  Alliez  craignirent  que  ceux  qui  gouverneroient  à  l'avenir , 
nefeportaffentàdes  confeils  violens.  En  effet  cette  Princeffe 
avoit  le  génie  élevé,  ôc  un  grand  penchant  pour  la  juftice.  Elle 
avoit fçu,  par  fon  courage  ôcpar  fa  prudence,  contenir  long- 
tems  dans  le  devoir  des  peuples  féroces  ,  ôc  jufqu'aux  ha- 
bitans  des  petites  ifles  qui  dépendent  de  l'Ecoffe.  Ceux  qui 
jugeoient  fans  palïion,  lui  rendoient  cette  juftice,  que  s'il  eût 
dépendu  d'elle  de  gouverner  félon  fes  vues  ,  elle  n'auroit  ja- 
mais eu  la  guerre  contre  les  Ecoffois  j  mais  qu'étant  obligée 
de  fe  conduire  par  la  volonté  d'autrui ,  ôc  fuivant  les  vues 
des  Princes  Lorrains  fes  frères  ,  ôc  n'ayant  qu'une  autorité  em- 
pruntée de  la  Cour  de  France  ,  dont  elle  recevoit  les  or- 
dres ,  il  ariïvoit  delà  que  fouvent  elle  ne  pouvoit  tenir  fa  pa- 
role ,  ôc  que  fa  conduite  paroiffoit  fe  démentir.  Son  corps  fut 
Tome  III.  N  n  a 


+66  HISTOIRE 

porté  en  France,  par  les  foins  du  cardinal  de  Lorraine  fon  fret* 

,-,  re ,  ôc  dépofé  dans  le  monaftere  des  Religieufes  de  Saint  Pier- 

I^rançois  re  cje  Rheims,  où  la  Princeffe  Renée  fa  fceur  étoit  Abbeffe» 

'  *'        On  lui  éleva  un  fuperbe  tombeau  au  milieu  du  choeur  de  PE- 

lS6°-    glife. 

Quoiqu'on  eût  appréhendé  que  cette  mort  n'apportât  quel- 
que retardement  à  la  paix,  cependant  elle  fut  conclue  par  les 
foins  de  nos  Plénipotentiaires ,  ôc  par  l'adrefle  de  ceux  d'An- 
gleterre ,  qui  cherchoient  un  prétexte  honnête  de  finir  la  guer- 
re. On  la  publia  à  la  fatisfa&ion  de  tous  les  partis  le  8  de 
Juillet.  Les  conditions  du  traité  étoient  :  Que  les  François  s'em- 
barqueroienr  dans  vingt  jours  avec  armes  ôc  bagage  ;  que  les 
vaiffeaux  François  ne  fuffifant  pas  pour  tranfponer  tant  de 
troupes ,  l'Angleterre  en  fourniroit  :  Qu'on  démanteleroit  la 
ville  de  Lyth ,  ôc  qu'on  ruineroit  les  fortifications  de  Dumbars 
après  quoi  Elizabeth  feroit  revenir  fes  troupes  :  Que  Marie 
reine  d'Ecoffe  donneroit ,  du  consentement  du  Roi  fon  maris 
une  amniftie  de  tout  ce  qui  s'étoitpaffé  depuis  le  1 1  de  Mars 
de  l'année  précédente,  jufqu'au  premier  de  Juillet  de  celle- 
ci  ,  ôc  que  l'acle  autentique  de  ce  pardon  général  feroit  en- 
regiftré  >  ôc  confirmé  par  un  a&e  du  Parlement  qui  devoit 
fe  tenir  le  mois  d'Août  prochain  :  Que  cette  convocation 
des  Ordres  du  Royaume  feroit  faite  fous  l'autorité  du  Roi  ôc 
de  la  Reine  Marie ,  qui  pourroient  laiffer  à  Dumbar  ôc  dans 
i'ifle  de  Keyth  une  garnifon  Françoife  de  foixante  hommes 
feulement,  pour  faire  voir  qu'ils  avoient  encore  quelque  auto- 
rité dans  le  Royaume. 

Suivant  ces  conventions,  le  Parlement  s'afiembla  à  Edim- 
bourg ,.  ôc  dépêcha  à  la  Cour  de  France  Jacque  Sande- 
iand  Chevalier  de  Malthe  ,  qui  fut  très-mal  reçu  des  Prin- 
ces de  la  maifon  de  Guife.  Ils  lui  firent  de  fanglans  reproches, 
de  ce  qu'étant  Religieux  militaire ,  il  avoir  ofé  fe  charger  de 
porter  au  Roi  les  réfolutions  de  gens  infe£tez  d'héréfie.  Cela 
arriva  lorfque  la  maladie  du  Roi  commençoit  à  faire  crain- 
dre pour  fa  vie.  Ainfi  il  fut  renvoyé  fans  réponfe.  Etant  ve- 
nu à  Paris  pour  retourner  à  Edimbourg,  il  y  apprit  le  13  de 
Décembre  la  mort  de  François  IL 
Affaires  de  II  faut  parler  maintenant  de  ce  qui  fe  palTa  en  France  du- 
Francc.         rant  le  cours  de  cette  année.  On  publia  le  premier  de  Janvier 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.      4*7 

Tun  ëdit  ,  dont  la  fagefle  fembloit  annoncer  une  année  heureu-  •■■'•-• 

fe.  Le  Roi  voulant  qu'il  n'y  eût  dans  les  Compagnies  fouve-  ^cZ^ZZZL 

j      -d  o      J  i        c-  '  iv  -r  J        rRANÇOIS 

raines  du  Royaume  ,  oc  dans  ies  oieges  intérieurs ,  que  des         tj 
Juges  d'une  intégrité  reconnue,  ôcqui  joigniffent  à  la  probité  l 

la  fcience  des  loix  ,  ordonnoit  qu'à  l'avenir,  lorfqu'il  fe  trou- 
veroit  dans  les  tribunaux  une  place  vacante  par  mort,  les 
Juges  lui  préfenteroient  trois  fujets  vertueux  ôc  éclairez  ,  dont 
il  en  choifiroit  un.  Une  ordonnance  fi  fainte  ôc  fi  falutaire, 
qui  étoit  l'ouvrage  du  chancelier  Olivier ,  fut  depuis  plufieurs 
fois  renouvellée.  Mais  elle  ne  fut  point  exécutée,  par  l'ambi- 
tion ôc  la  cupidité  des  Courtifans,  quitiroient  de  grofles  fom- 
mes  de  la  vente  des  offices  >  ôc  qui  fous  prétexte  de  remplir 
les  coffres  du  Roi ,  firent  que  par  des  édits  burfaux  on  aug- 
menta à  l'infini  le  nombre  des  juges.  Ainfi  cet  Ordre  illuftre., 
qu'il  importoit  tant  de  conferver  dans  tout  fon  éclat  ,  ôc 
dans  fa  dignité ,  pour  contenir  par  là  dans  le  devoir  les  au- 
tres Ordres  de  l'Etat ,  commença  à  s'avilir  peu  à  peu  :  des  hom- 
mes indignes  ôc  fans  mérite  ,  parvinren  t  aux  honneurs  de  la 
Magiftrature  ,  par  leurs  feules  richeffes  ,  ôc  par  la  faveur  des 
Grands, dans  la  feule  vue  d'un  intérêt  bas  ôc  fordide.  Cependant 
les  plaintes  qu'on  faifoit  du  gouvernement  augmentoient  tous 
les  jours,  ôc  Tonne  voyoit  qu'avec  indignation  entre  les  mains 
des  Guifes  une  autorité ,  qui ,  fuivant  les  loix  anciennes  de  la 
France ,  appartenoit  aux  Princes  du  fang  Royal ,  ôc  aux  Etats 
du  Royaume.  Ces  murmures  furent  fuivis  d'une  confpiration 
qu'on  forma  fecretement  contre  les  Princes  Lorrains,  ôc  où  plu- 
fieurs s'engagèrent  j  les  uns,  parce  que  le  gouvernement  pré- 
fent  leur  étoit ,  difoient-ils  ,  odieux  >  d'autres  par  leur  attache- 
ment à  la  Religion  nouvelle ,  dont  les  Se£tateurs  étoient  pu- 
nis tous  les  jours  par  les  plus  cruels  fupplices  >  ôc  plufieurs  à 
qui  l'indigence,  des  dettes,  Ôc  des  crimes  énormes,  dont  ils 
craignoient  la  punition  ,  faifoient  fouhaiter  la  guerre  civile.  Le 
nombre  de  ces  derniers  étoit  fort  grand ,  en  un  tems  où  cet 
Etat  fi  floriflant ,  ôc  établi  fur  de  fi  faintes  loix,  commençoit 
à  pancher  vers  fa  ruine. 

Le  prétexte  de  la  conjuration  fut ,  que  les  Guifes  avoient  j^minS'c." 
ufurpé  l'autorité  Souveraine  fans  le  confentement  des  Etats  j 
que  ces  Princes abufant  de  lafoibleffe  d'un  jeune  Roi,  s'étoient 
rendus  maîtres  des  armées ,  pour  fe  rendre  redoutables  i  qu'ils 

Nnn  ij 


tft  HISTOIRE 

i  .  difîipoient les  finances  ;  qu'ils  opprimoient  la  liberté  publiques 
François  4u'^s  perfécutoient  des  hommes  innocens  ,  zélez  pour  la  réfor- 
jj  *  me  de  l'Eglife,  ôc  qu'ils  n'avoient  en  vue  que  la  ruine  de  l'E- 
i  ?  6  o.  tat#  ^n  vou^ut  même  juftifier  ces  projets  factieux  par  certaines 
apparences  d'équité ,  ôc  par  des  formes  judiciaires.  Il  fe  fit  à  ce 
fujet  des  délibérations  ôc  des  confultations  fecretes.  On  prit  l'avis 
des  plus  grands  Jurifconfultes  de  France  ôc  d'Allemagne ,  ôc  des, 
Théologiens  les  plus  célèbres  parmi  les  Proteftans.  On  leur 
demanda,  s'il étoit  permis,  fans  bleffer  fa  confcience,  ôc  fans 
tomber  dans  le  crime  de  félonie  ôc  de  leze-Majefté ,  de  prendre 
les  armes,  pours'alfurer  des  perfonnes  du  duc  de  Guife,  ôc  du 
cardinal  de  Lorraine,  Ôc  pour  les  obliger  à  rendre  compte 
de  leur  adminiftration.  Les  Docteurs  confultez,  répondant  fa- 
vorablement aux  caspropofez,  étoient  d'avis,  qu'on  devoitop- 
pofer  la  force  à  la  domination  peu  légitime  des  Guifes?  pour- 
vu qu'on  agît  fous  l'autoriré  des  Princes  du  Sang,  qui  font  nea 
fouverains  magiftrats  du  Royaume  en  pareil  cas ,  ôc  que  Ton 
combattît  au  moins  fous  les  ordres  d'un  Prince  de  la  race  roya* 
le  ,  ôc  du  confentement  des  Ordres  de  l'Etat,  ou  de  la  plus  gran- 
de ôc  de  la  plus  faine  partie  de  ces  Ordres.  Ils  difoient  aufTï 
qu'il  n'étoit  pas  nécefîaire  de  communiquer  ces  deffeins  au 
Roi,  que  l'âge,  ôc  fon  peu  d'expérience  rendoient  incapable 
des  affaires ,  ôc  qui ,  étant  comme  détenu  captif  par  les  Guifes  i 
n'étoit  pas  en  état  de  prendre  un  parti  falutaire  à  fes  peuples.  Les 
auteurs  de  cette  entreprife,  quels  qu'ils  fuîTent,  étant  animez 
par  ces  raifons ,  fongérent  à  fe  choifir  un  chef,  ôc  on  n'eut  pas 
de  peineà  le  trouver.  Le  Roi  de  Navarre,  foit  par  fa  tranquil- 
lité naturel  le,  foit  qu'il  fut  intimidé  par  fes  amis,  qui  le  détour- 
noient d'entrer  dans  les  factions  ,  étoit  alfez  occupé  à  fe  fou- 
tenir  à  la  Cour.  On  jetta  donc  les  yeux  fur  le  Prince  deCon- 
dé  fon  frère,  difpofé  par  fon  grand  courage,  par  fon  indigen- 
ce ôc  par  la  haine,  qu'il  portoit  aux  Guifes,  à  attaquer  fes  en- 
nemis ,  plutôt  qu'à  recevoir  des  injures.  Cependant  le  nom 
de  cet  illuftre  chef  fut  d'abord  tenu  caché  ;  ôc  on  fui  vit  en  cela 
la  coutume  de  ceux  qui  font  en  fecret  des  levées  de  troupes 
en  Allemagne ,  fans  nommer  le  Prince  fous  qui  elles  doivent 
fervir.  On  mit  à  la  tête  des  conjurez  Barri  de  la  Renaudie, 
dit  la  Foreft  ,  qui  n'en  étoit  cependant  que  le  fécond  chef. 
C'étoit  un  Gentilhomme  d'une  ancienne  famille  du  Perigord; 


DE  J.A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV,      4^ 

brave  ôc  déterminé  ,  qui  avoit  eu  un  long  &  fâcheux  procès,  ■ ■   .« 

au  fujet  d'un  bénéfice  defon  oncle  dans  l'Angoumois,  con-  pRANçois 
tre  Jean  du  Tillet  Greffier  en  chef  du  Parlement  de  Paris.         jj^ 
Il  l'avoir  enfin  perdu  ,  ôc  comme  on  l'accufa  d'avoir  produit     jj^ 
quelques  titres  faux  dans  le  cours  du  procès,  ainfi  qu'il  arrive 
affez  fouvent  dans  ces  fortes  d'affaires  >  il  avoit  été  condamné 
à  une  groffe  amende ,  ôc  banni  pour  un  tems.  Ilfe  retira  à 
Genève  ôc  àLauzanne,  où  par  fes  manières  libres  ôc  prévenan- 
tes, il  fe  fit  beaucoup  aimer  de  ceux  qui  s'y  étoient  retirez  à  l'oc- 
cafion  des  troubles  de  la  Religion. 

Cet  homme  d'un  efprit  vifôc  infirmant  ^  ôc  prêt  à  tout  en- 
treprendre ,  avoit  fondé  leurs  efprits;  parcourant  enfuite  fous 
un  nom  emprunté  les  provinces  de  la  France,  il  avoit  reconnu 
dans  quelles  difpofitions  étoient  les  autres  Proteftans.  D'ail- 
leurs il  brûloit  du  deiir  de  fe  venger ,  ôc  d'effacer  par  quelque 
atlion  d'éclat  l'infamie  du  jugement  qu'il  avoit  fubi  ,  plutôt 
pour  le  crime  d'autrui  que  pour  le  fien.  Il  offrit  donc  volon- 
tiers fes  fervices  à  ceux  qui  cherchoient  un  fécond  chef,  ôc 
fe  chargea  de  parcourir  le  Royaume,  ôc  de  gagner  ceux  qu'il 
eonnoiffoit  déjà ,  ôcdont  on  lui  avoit  donné  les  noms.  Il  leur  fit 
promettre  à  tous,  qu'ils  fe  trouveroient  à  Nantes  le  premier 
de  Février.  Il  fe  fervit,  pour  le  féconder,  d'un  nommé  la  Ga= 
raye ,  gentilhomme  Breton ,  qui  avoit  fait  autrefois  des  recrues 
pour  lui.  Le  Parlement  de  Bretagne  tenoit  alors  fes  féances 
à  Nantes,  où  l'on  étoit  fur  le  point  de  juger  un  grand  procès, 
ôc  où  d'ailleurs  on  devoit  célébrer  des  noces  entre  des  pei> 
fonnes  de  grande  condition.  La  Renaudie  crut  que  ces  cir- 
confiances  rendroient  moins  fufpecte  l'arrivée  de  tant  de 
gens  ,  la  plupart  inconnus.  Les  Conjurez  étant  arrivez  ,  il 
les  alla  voir  dans  leurs  auberges  ,  ôc  leur  fit  demander  par  la 
Garaye,  dans  quelles  difpofitions  ils  étoient  ;  s'ils  perfiftoient 
dans  leur  deffein,  ôc  s'ils  étoient  bien  réfolus  dans  une  fi  jufte 
caufeà  tenter  les  évenemens,  quels  qu'ils  fuffent.  Enfuite  il  les 
affembla  tousenun  certain  lieu,  ôc  comme  il  parloir  avec  autant 
de  hardieffe  qu'il  fçavoit  agir,  on  dit  qu'après  les  compliment 
ordinaires  il  leur  fit  ce  difcours  : 

«  Cette  férénité  ôc  cette  joye,  que  je  crois  remarquer  fui     Difcours  J« 
^  vos  vifages ,  mes  chers  compagnons ,  eft  une  preuve  de  la  k  Renaudie 
.»  tranquillité  de  vos  efprits.ôc  m'aifure  non  feulement,que  vous  aiîx  -c°fi3»-~- 

Nnn  ii £ 


Franco 
IL 
i  ;  6-o. 


473  HISTOIRE 

—  *>  exécuterez  avec  ardeur  nos  projets  s  mais  encore  ï  que  votre 
»  fidélité  ôc  votre  confiance  feront  inébranlables  ,  ôc  que  le 
=?  fuccez  fuivra  une  .entreprife  commencée  par  rant  de  gens 
»  de  bien.  Vous  êtes  arrivez  en  ce  lieu  de  différentes  Provin- 
«  ces  ,  à  la  fleur  de  votre  âge  ,  avec  des  qualitez  rares  :  Vous 
s»  joignez  à  la  prudence ,  l'expérience  des  affaires .  ôc  ce  qui 
»  eft  plus  à  eftimer  encore  >  vous  fçavez  garder  fidèlement  le 
»  fecret.  Ne  femble-t'il  pas  que  Dieu  vous  ait  choifis  lui-mê- 
*>  me  ?  Après  cela ,  je  ne  m'étonne  point  que  vous  ne  foyez  ni 
»  rebutez  par  les  difficultez  ôc  la  grandeur  du  péril ,  ni  inti- 
«  midez  par  la  crainte  des  fupplices  ,  qui  n'effrayent  que  les 
«  coupables  ,  ôc  que  vous  foyez  difpofez  à  facrifier  votre  vie 
»  à  la  liberté  publique  ,  ôc  au  repos  de  votre  patrie.  Quoi 
s»  qu'il  foit  affez  inutile  d'exhorter  des  hommes  courageux  , 
qui  ont  éprouvé  la  bonne  ôc  la  mauvaife  fortune  ,  j'ai  cru 
que  je  devois  vous  parler  de  ce  que  nous  avons  à  faire, 
afin  que  nous  choififlions  de  concert  le  lieu  ,1e  tems,  ôc  les 
moïens  d'exécuter  notre  deffein  ;  ôc  en  même  tems  vous  prou- 
ver la  juftice  ôc  la  nécefîité  de  prendre  les  armes ,  afin  qu'il 
ne  refte  pas  le  moindre  fcrupule  là-deiïus  à  des  cœurs  géné- 
reux. Perfonne  n'ignore,  à  ce  que  je  crois,  que  contre  les 
loix  &  la  dignité  de  cet  Etat,  les  Guifes,  princes  étrangers, 
fe  font  emparez  de  l'autorité  Souveraine ,  au  préjudice  des 
Princes  du  fang  royal.  Vous  avez  vu  fans  doute  tous  les  écrits 
répandus  en  France  à  ce  fujet.  On  ne  peut  douter  aufii  où  ten- 
dent les  deffeins  ambitieux  des  Lorrains ,  que  les  bons  Fran- 
çois ôc  les  gens  de  bien  regardent  avec  tant  de  raifon  comme 
fufpects l.  Il  fufrit  de  fe  fouvenir  par  quels  artifices  cette  Mai- 
fon  s'efl  établie  en  France ,  quels  en  ont  été  les  commence- 
mens  ôc  les  progrès  ,  Ôc  comment  elle  a  trouvé  moyen  de 
faire  des  alliances  ,  qui  l'ont  élevée  au  comble  de  puiffance 
où  nous  la  voyons  aujourd'hui.  Afin  de  vous  faire  fentir  ce 
que  je  penfe  à  ce  fujet,  je  reprendrai  les  chofes  d'un  peu  loin, 
ôc  j'efpere  que  vous  trouverez  que  je  ne  me  fuis  pas  écarté  de 
»  mon  fujet. 

«  Jean ,  continua,  la  Renaudie  , étoit  duc  de  Lorraine ,  pro- 
--*  vince  que  cette  maifon  poffede  à  titre  de  Souveraineté ,  par 

^  i  II  faut  lire  avec  précaution  ce  que    I    Maifon  de  Lorraine ,  8c  fe  fouvenir  que 
•dit  ici  la  Renaudie  des  princes  de  la   J   c'eft  un  Conjuré  qui  parle. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.        471 

•>  une  concefTîon  de  l'Empire ,  6c  qui  avoit  été  enlevée  à  ce  — «. 

*»  Royaume.  Il  eut  de  fon  mariage  avec  Sophie  de  Wirtem-  François 
»'  berg,  deux  fils ,  Charle  ôc  Frédéric.  Charle  époufa  Margue-  jj# 
»  rite  fille  de  Robert  de  Bavière  comte  Palatin  ,  dont  il  eut  t  j  ^0r 
«  plufieurs  enfans  j  entre  autres  Ifabelle ,  qui  ayant  furvêcu  à 
»'  fes  frères ,  &  ayant  été  préférée  à  fes  fœurs  ,  prit  alliance 
»  avec  René  fils  de  Louis  duc  d'Anjou ,  ôc  arrière  petit-fils 
»>  du  Roi  Jean ,  à  qui  elle  apporta  en  dot  le  duché  de  Lor- 
»  raine.  Ce  Prince,  qui  fut  long-tems  détenu  prifonnier à Di- 
»>  jon  par  Philippe  duc  de  Bourgogne,  eut  de  ce  mariage  une 
»'  fille  nommée  Ioland.»  qui  fut  mariée  à  Frédéric  de  Vaudé- 
a>  mont  fils  d'Antoine  ,  lequel  étoit  arriere-petit-fils  de  Jean  duc 
«»  de  Lorraine,  dont  nous  avons  parlé.  René  devint,  par  la  more 
9  de  Louis  duc  d'Anjou  fon  frère  aîné,  roi  de  Naples,  ôc  comte 
»  de  Provence.  Enfin  ayant  été  chafTé  de  Naples  par  les  Princes 
!»  de  la  maifon  d'Arragon ,  ôc  ayant  perdu  fa  femme  Ifabelle, 
»  il  abandonna  la  Lorraine  au  prince  Jean  fon  fils,  à  qui  elle 
»  appartenoit  par  fa  mère.  Jean  eut  un  fils  nommé  Nicolas,  qui 
aj  lui  fucceda,  ôc  qui  mourut  fans  être  marié.  Songrand-pere 
<»  René  lui  ayant  furvêcu  ,  paffa  le  relie  de  fes  jours  en  Proven- 
«  ce  ôc  en  Anjou.  Par  la  mort  de  Jean ,  ôc  du  duc  Nicolas  fon 
m  fils ,  René  fils  de  Frédéric  de  Vaudémont  ôc  d'Ioland,  hérita 
»  des  duchez  de  Lorraine  ôc  de  Bar  en  1473.  Mais  René  d'An- 
s>  jou ,  ayeul  maternel  de  ce  Prince,  l'empêcha  de  fe  mettre 
»*en  poffeflion  de  fes  nouveaux  Etats  j  aimant  mieux  que  Char- 
»  le  comte  du  Maine  fon  neveu,  Ôc  fils  de  Charle  d'Anjou  fon 
o>  frère ,  eût  la  Lorraine ,  que  la  ducheffe  Ioland  fa  fille,  ôc  fes  en- 
»  fans.  Il  fe  fouvenoit  qu'il  avoit  été  obligé  malgré  lui ,  ôc  pour 
s>  fortir  deprifon ,  de  marier  fa  fille  aveerrederic  fon  ennemi* 
»>  ôc  depuis  ce  tems-là  cette  Princeffe  lui  avoit  été  moins  chère. 
«  Aurefte  René  de  Lorraine,  qui  avoit  de  fi  grandes obli- 
«  gâtions  à  Philippe  duc  de  Bourgogne  (  lequel  avoit  procuré 
a>  à  Frédéric  fon  père  le  mariage  d'Ioland  ,  devenue  depuis 
*>  héritière  des  duchez  de  Lorraine  Ôc  de  Bar  }  fignala  fon  in- 
»  gratitude  envers  Charle  duc  de  Bourgogne  ,  fils  de  fon  bien- 
s>  faiteur.  Car  l'ayant  défait  auprès  de  Nanti-,  il  le  fit  tuer  de 
»ï  fang  froid.  Enfuite  ce  Prince  fit  une  malheureufe  expédition 
»  en  Italie  ,  dans  la  vue  de  fe  mettre  en  poffeflion  du  royau- 
»  me  de  Naples ,  ôc  redemanda,  mais  inutilement ,  à  Louis  XL. 


472  HISTOIR  E 

»  le  Comté  de  Provence  3  que  ce  Roi  poffedoit  à  titre  legitï- 
»  me  ,  ôc  en  vertu  du  teftament  du  dernier  Comte.  Cepen- 
«  dant  il  fe  qualifia  toujours  Comte  de  Provence  ,.&  tranfmit 
»  ce  vain  titre  à  fa  pofterité.  Ce  fut  ce  même  René ,  qui  épou- 
o>  fa  Marguerite  fille  de  Guillaume  de  Harcourt  comte  de  Tan- 
»  carville ,  laquelle  étoit  héritière  de  grands  biens  3  qu'elle  dqn- 
«  na  en  dot  à  fon  mari ,  ôc  que  les  Guifes  poffedent  encore  au- 
»  jourd'hui  dans  le  payis  de  Caux.  Mais  peu  après  ayant  alle- 
»  gué  la  laideur  ôc  la  fterilité  de  Marguerite  3  il  la  répudia ,  ôc 
?>  ne  laiffa  pas  de  retenir  fes  biens.  Enfuite  il  époufa  (  cette 
*>  Princefle  vivant  encore  )  Philippe  fœur  de  Charle  d'Eg- 
or mont  duc  de  Gueldres  >  dont  il  eut  plufieurs  enfans.  Trois 
»  lui  furvêcurent  ?  Antoine  qui  fut  duc  de  Lorraine  ;  Claude 
«  ôc  Jean  qui  s'établirent  en  France.  Ce  Claude  ne  fut  pas 
v  plus  reconnoiflant  que  fon  pere3  ôc  ajoutant  l'impiété  à  l'in- 
»  gratitude  ,  comme  li  l'une  conduifoit  à  l'autre  0  il  ofa  bien 
s?  difputer  le  duché  de  Lorraine  à  Antoine  fon  frère  ,  le  pré- 
«.tendant  fils  adultérin,  comme  né  de  Philippe  de  Gueldres , 
ps  lorfque  Marguerite  vivoit  encore  5  Ôc  deshonorant  ainfi  la 
»  mémoire  de  fon  père ,  ôc  celle  de  la  ducheflfe  Philippe  leur 
»  mère  commune. 

03  Etant  déchu  de  fes  prétentions ,  il  vint  en  France  >  où  il 
»  prit  le  titre  de  duc  d'Anjou  3  qu'il  n'ofa  pourtant  porter  pu- 
?  bliquement  ;  ôc  ayant  époufé  Antoinette  de  Bourbon  tante 
»  du  roi  de  Navarre,  ôc  du  prince  de  Condé ,  il  obtint  le  go.u- 
»  vernement  de  Champagne  ôc  de  Brie ,  par  la  recommanda- 
as  tion  de  Jean  cardinal  de  Lorraine  fon  frère  3  qui  étoit  fort 
»  bien  dans  l'eiprit  du  miFrançois  premier.  Claude  cacha  allez 
»  long-tems  fon  ambition  3  fous  un  Roi  qui  fçavoit  également 
»  fe  faire  craindre  ôc  aimer.  Il  ne  put  s'empêcher  néanmoins 
«  de  faire  voir  un  cara&ére  inquiet  ôc  factieux  3  lorfque  fans  la 
oî  permilïion  du  Roi ,  il  mena  des  troupes  de  fon  gouverne- 
os  ment  de  Champagne  au  duc  de  Lorraine  fon  frère  3  fous  pré- 
os  texte  qu'il  étoit  attaqué  par  les  Anabâtijtes.  Le  Roi  qui  ju- 
«  gea  que  Claude  de  Guife  avoit  voulu  faire  un  effai  de  fa 
v  puiiTance,  fut  (i  orTenfé  de  cette  entreprife  s  qu'il  ne  lui  eût 
»  jamais  pardonné ,  fans  les  bons  offices  du  cardinal  Jean  de 
o>  Lorraine ,  ôc  du  connétable  de  Montmorenci.  Encore  ce 
53  Prince  ne  lui  fît-il  grâce ,  qu'à  condition  qu'il  ne  viendroit 

pas 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.         47? 

»  pas  à  la  Cour,  ôc  ne  fe  préfenteroit  jamais  devant  lui.  Tant   .■  ~  .  -s    ■. 

«  que  vécut  François  I,  il  çonferva  le  fouvenir  de  cette  ac-  ^  1 

1  o    i'r     *  ij  TAi-rriJ      FRANÇOIS 

«  non,  ôclorlquen  mourant  il  donna  au  Dauphin  Ion  fils  de 

«  fages  préceptes  fur  la  manière  de  bien  gouverner  fon  Etat,  J 

»'  il  ne  manqua  pas  de  l'avertir  d'être  en  garde  contre  l'ambi- 

»  tion  des  Guifes  ,  6c  de  les  éloigner  de  Padminiftration  des 

»  affaires. 

»  Pourquoi,  ajouta  la  Renaudie,  ai-jc  rapporté  ces  chofes, 

»  fi  non,  pour  vous  faire  comprendre  que  nous  avons  affaire  à 

»  des  hommes ,  dont  l'ambition  6c  le  défir  d'envahir  le  bien 

»  d'autrui  ,  font  comme  héréditaires  ,  6c  qui  n'ont  pour  but 

«  que  de  faire  périr  le  Roi  6c  la  race  royale,  d'opprimer  lali- 

»  berté  publique ,  6c  de  renverfer  totalement  la  conftitution 

«  de  l'Etat  ?  Oui,  ces  étrangers  employent  les  aceufations  fauf- 

«  fes  6c  calomnieufes,les  proferiptions,  les  meurtres  ôc  les  fup- 

»  plices ,  pour  fatisfaire  uniquement  la  paffion  qu'ils  ont  de  do- 

»>  miner,  ôc  pour  deshonorer  le  nom  François.  Jettez  main- 

»  tenant  les  yeux  fur  les  enfans  de  Claude  comte  de  Guife , 

*>  dépofitaires  aujourd'hui  de  l'autorité  Souveraine.  Dès  que  le 

»  feu  Roi ,  oubliant  les  avis  fi  fenfez  du  grand  roi  François  fon 

»  père ,  les  eut  appeliez  au  miniftere  >  que  n'oferent-ils  point 

»  entreprendre  ?  Ils  commencèrent  par  perfécuter  le  Connêta- 

»  ble,  à  qui  leur  père  étoit  fi  redevable.  Dans  la  vue  de  le  dé- 

»  poùiller  de  fa  charge  de  grand-Maître ,  ils  propoferent  au 

•'»  Roi  d'ordonner  par  un  Edit,que  celui  qui  auroit  deux  em- 

s>  plois,  feroit  tenu  d'en  opter  un ,  6c  de  fe  démettre  de  l'autre. 

*■>  Henri  rejetta  cette  propofition.  Mais  le  cardinal  de  Lorrai- 

=>  ne  ne  fe  rebutant  point  ,  enleva  au  cardinal  de  Tournon  la 

&  charge  de  Chancelier  de  l'ordre  de  S.  Michel  ;  Ôc  ayant  me- 

»  nagé  l'alliance  d'un  des  Princes  fes  frères ,  avec  la  ducheffe 

»  de  Valentinois  maîtreffe  du  Roi ,  qu'elle  avoit  enchanté  par 

»  fes  maléfices  ,  il  parvint  à  une  grande  autorité  ,  Ôc  fut  Tau- 

»  teur  de  tous  les  troubles  qu'on  a  vus  à  la  Cour  ôc  dans  le 

»  royaume.  Ce  fut  lui  qui  fit  ôter  la  dignité  de  premier  préfi- 

»  dent  à  Lizet  ,  perfo image  de  mœurs  innocentes  ,  qui  avoit 

»  exercé  durant  vingt  ans   cette  charge,  Ôc  qui  pour  preuve 

95  de  fon  intégrité  la  quitta,  étant  aufli  pauvre  que  lorfqu'il  y 

»  étoit  entré.  Ce  Magiftrat  avoit  toujours  été  oppofé  à  ceux 

«  qui  profeffent  une  plus  pure  Doctrine  >  mais  on  lui  fit  un  crime 

Tome  1IL  Ooo 


474  H  I   S  T  O  ï  R  E 

de  n'avoir  pas  déféré  aux  Lorrains  certains  honneurs ,  qu'il 
François  sj  pretendoit  n'être  dûs  qu'aux  Princes  du  fang. 

II.  "  ^'eft  encore  ce  Cardinal  qui  fit  reléguer  dans  fa  maifonle 

ï  r  6  o.  M  c^ancener  Olivier  ,  par  le  crédit  de  la  ducheffe  de  Valen- 
»  tinois  j  fcachant  bien  que  ce  grand  Magiftrat  maintiendroit 
»  toujours  les  loix  anciennes  de  l'Etat.  Il  eft  vrai-  que  voulant 
»  détourner  la  haine  que  l'éxil  d'un  homme  de  bien  lui  atti^- 
=»  roit ,  il  l'a  rappelle  depuis  peu  de  fa  retraite,  où  il  vivoitheu- 
»  reux  ôc  tranquille ,  pour  le  faire  venir  dans  une  Cour  agitée. 
*»  Ce  n'eft  pas  qu'il  croie  qu'il  puiffe  favorifer  fes  deffeins  ;  il 
»  a  penfé  feulement  que  fa  préfence  donneroit  quelque  poids 
»  à  une  autorité  illégitime.  On  fçait  encore,  qu'après  l'avéne- 
»  ment  du  feu  Roi  à  la  couronne  ,  le  cardinal  de  Lorraine 
*»  fe  rendit  à  Rome  ,  où  il  fe  fit  appeller  le  cardinal  d'Anjou, 
»  comme  s'il  eût  été  de  la  maifon  Royale.  Mais  Montmorenci 
»  ayant  cru  entrevoir  où  tendoient  les  deffeins  ambitieux  des 
«  Lorrains  ,  confeilla  au  Roi  d'avertir  ces  Princes ,  qu'ils  fe 
»  contentalfent  de  porter  les  armes  de  la  branche  d'Anjou , 
»  fans  en  ufurper  le  nom.  Henri  le  fit  en  effet,  ôc  les  obligea 
=»  de  rendre  une  promefTe  par  écrit  ,  qu'ils  lui  avoient  extor- 
»  quée  par  de  baffes  flatteries  ,  lorfqu  il  étoit  Dauphin  ,  qui 
»  portoir,  que  lorfqu'il  feroit  Roi  ,  il  leur  reftitueroit  le  duché 
=»  d'Anjou.  Y  a-t'il  rien,  Meffieurs  ,  de  plus  téméraire ,  que  de 
=>  pareilles  entreprifes  ?  Mais ,  on  vante  les  grands  fervices  qu'ils 
»  ont  rendus  au  Roi  ôc  à  l'Etat.  Examinons-les ,  je  le  veux  ; 
»  fans  paffion  ôc  fans  aucune  partialité.  Le  duc  de  Guife,  dit- 
»  on.,  a  défendu  la  ville  de  Metz ,  que  le  Connétable  avoit 
»  prife  ,  contre  l'armée  de  Charle  V,  compofée  de  toutes  les 
»  forces  de  l'Empire.  Ceux  qui  lui  rendent  juftice  louent  en 
y>  cela  fon  bonheur,  plutôt  que  fon  courage.  On  lui  avoit  con- 
»  fié  la  défenfe  d'une  place  très-bien  fortifiée  ,  où  étoit  renfer^ 
=>»  mée  l'élite  de  la  nobleffe  Françoife  ,  ôc  les  plus  braves  foî- 
»  dats  de  l'armée,  qu'attaquoit  un  Empereur jufques-là  fameux 
^  par  fes  victoires ,  mais  alors  foible  de  corps  ôc  d'efprit,  de 
»  l'aveu  de  tout  le  monde,  à  qui  le  defefpoir  ôc  le  mauvais 
»  état  de  fes  affaires  avoient  fait  entreprendre  ce  fiége,  plutôt 
»  que  la  raifon  ôc  la  prudence.  Il  vouloit  effayer  par-là  de  fe 
*>  concilier  l'affedtion  des  Allemands,  qu'il  avoit  perdue,  ôc 
g  effacer,  s'il  eût  été  poffible,  par  une  atlion  d'éclat,  la  honte 


DE   J.   A.   DE  THOU  Liv.  XXIV.      47? 

»  dont  il  s'étoit  couvert  ,  lorfqu'il  s'étoit  enfui  endefordredela 

»  ville  d'Infpruk.  On  peut  dire  aufîi ,  qu'il  eut  plutôt  à  combat-  t?„  .  K1„~  to 

«  tre  durant  le  uege,  contre  la  rigueur  de  la  iaiion,  les  vents  oc 

v  les  pluyes ,  6c  contre  les  douleurs  de  la  goûte,  que  contre        .  / 

»  le  duc  de  Guife,  ôc  les  François  ,  qui  étoient  fort  à  leur  aife 

»  dans  la  ville ,  ôc  qui  furs  de  1 l'événement  fe  moquoient  des 

o>  vains  efforts  des  ennemis.  Ce  que  je  vous  dis,  Meilleurs,  le 

«  Connétable  qui  n'étoit  pas  loin  de  Metz  ,  pour  le  fecourir 

»  au  befoin ,  l'a  dit  plus  d'une  fois  :  ce  qui  ayant  été  rapporté 

»  au  Duc  fort  avide  de  gloire ,  ôc  déjà  rival  de  Montmorenci , 

«  le  piqua  vivement  contre  lui. 

»  Au  refte ,  le  Duc  a  perdu  dans  la  bataille  de  Renti  la  gloi- 
»  re  qu'il  avoit  acquife  au  fiége  de  Metz.  Il  avoit  quitté  le 
»  combat  lorfque  Chatillon  lui  repréfenta  fon  devoir,  ôc  le  fit 
«  revenir  dans  la  mêlée.  Depuis  ce  tems-là  il  a  confervé  con- 
»?  tre  Chatillon  un  vif  reflentiment ,  ôc  lui  a  fait  fentir  les  effets 
«  d'une  haine  implacable.  Je  ne  voudrois  pas  cependant  ac- 
«  cufer  de  lâcheté  un  Prince,  qui  s'eft  fignalé  en  d'autres  guer- 
»  res.  Il  me  fuffit  de  vous  mettre  devant  les  yeux  fes  perni- 
»  cieux  deffeins,  ôc  ceux  du  Cardinal  fon  frère.  Je  veux  que 
«  ce  Duc  ait  fait  de  grandes  actions  dans  les  combats.  Sont- 
»  elles  d'un  fi  grand  prix ,  pour  pouvoir  être  compenfées  par 
»  tant  de  maux ,  que  fon  ambition  a  caufez  à  l'Etat ,  lefquels 
«  par  un  enchaînement  nécelTaire  vont  en  attirer  encore  de 
»  plus  grands ,  dont  nous  fommes  menacez  ?  Nous  étions  en 
«■  droit  d'efperer  une  paix  honorable  fous  le  feu  Roi,  après  une 
»  trêve  de  cinq  ans ,  en  un  tems  où  nos  affaires  profpéroient 
w  en  Italie  ôc  dans  les  Payis-bas ,  ôc  où  celles  de  nos  ennemis 
«  étoient  en  très-mauvais  état ,  fi  nous  eufîlons  eu  cette  paix. 
»  Les  Guifes  ne  pouvoient  plus  fe  flatter  de  s'accréditer  par  les 
»  guerres  étrangères ,  ôc  au  milieu  des  troubles  domeftiques. 
«  Ils  firent  les  plus  grands  efforts  auprès  du  feu  Roi ,  pour  lui 
o>  faire  rompre  la  trêve,  fous  le  prétexte  fpecieux de  défendre 
»  le  Pape*,  vieillard  alors  décrépit ,  ôc  gouverné  par  fes  neveux.  *  Pauliy, 
»  Cette  infraction  arrivée  fi  à  contre-tems,  fut  très-préjudicia- 
v  ble  à  la  France ,  qui  fe  vit  obligée  d'envoyer  en  Italie  fes 
«  plus  grandes  forces ,  Ôc  de  demeurer  expofée  aux  infuîtes  de 
«  fes  ennemis.  Nous  fçavons  tous  les  maux  que  cette  guerre 
v  a  oceafionnez  ,  ôc  on  ne  peut  s'en  fouvenir  fans  verfer  des 

O  o  o  i  j 


47*  HISTOIRE 

ggjggrigisB  »  larmes  \  tandis  que  les  Lorrains,  qui  y  ont  trouvé  leur  compte, 
François  m  sen  applaucuffent  en  fecret.  La  bataille  de  S. Quentin ,  qui 
tj  '  »  nous  fut  II  fatale  ,  où  nous  perdîmes  tant  de  braves  chefs  ,  ôc 
^  «  °^  ^e  Connétable  fut  fait  prifonnier ,  délivra  d'un  concurrent 
»  redoutable  le  duc  de  Guife,  qui  n'avoit  pas  été  heureux  en 
»  Italie.  Aufïi-tôt  il  accourt  en  France ,  comme  pour  jouir  des 
»  honneurs  du  triomphe  ,  ôc  ayant  fait  ôter  le  commandement 
=»  de  l'armée  au  duc  de  Nevers ,  il  entreprend  le  liège  de  Calais* 
»  que  Sénarpont  avoit  déjà  fait  réfoudre ,  ôc  que  Montmorenci 
a'  eût  afîiegé,  s'il  n'avoit  pas  été  prifonnier.  Strozzi  avoit  avant 
*»  l'attaque  reconnu  la  lituation  ôc  les  ouvrages  de  cette  ville-là, 
«  La  prife  de  Calais  couvrit  de  gloire  le  duc  de  Guife  ,  à  qui 
■  d'Eftrées  ôc  d'Andelot  rendirent  les  plus  grands  fervices.  Le 
a  dernier,  au  lieu  de  récompenfe,  fut  payé  de  la  plus  noire  ingra- 
»  titude  ;  ayant  été  dénoncé  comme  hérétique  au  Roi,  qui  le  fit 
»  mettre  en  prifon  ,  ôc  qui  donna  fa  charge  de  Colonel  général 

*  de  l'infanterie  à  Montluc ,  homme  tout  dévoué  aux  Lorrains* 

^  Le  Duc  ne  fut  pas  moins  heureux  devant  Thionville  ,  que 
»  la  Vieilleville  afliégeoit  depuis  longtems  :  il  le  prit ,  en  atta- 
»  quant  une  tour  mal  fortifiée  ,  par  le  confeil  de  Strozzi.  On 
»  étoit  convenu,  qu'après  la  réduction  de  cette  place  ,1e  duc 
»  de  Guife  joindrait  fes  troupes  à  celles  de  Thermes ,  qui  dans 
«  cette  confiance  s'étoit  avancé  jufqu'aux  Payis-bas.  Mais  le 
»  Duc ,  jaloux  de  la  gloire  de  ce  grand  Capitaine ,  perdit  plus 
»  de  vingt  jours,  fous  prétexte,  difoit-il ,  de  rétablir  fes  foldats 
o>  fatigués  ,  ôc  laiffa  de  Thermes  en  butte  aux  ennemis  fuperieurs 
»  en  nombre.  Dès-lors  il  penfoit  à  détruire  les  Généraux  qu'a- 
»>  voit  la  France,  afin  d'attirer  à  lui  feul  toute  la  puiifance  des- 
»  armes.  Ce  fut  en  ce  tems-là  qu'il  voulut  ôter  au  Connétable., 
a»  qui  étoit  prifonnier ,  la  charge  de  grand-Maître  de  la  Mai- 
»  fon  du  Roi.  Mais  fes  efforts  furent  inutiles  auprès  du  feu  Roi., 

*  prince  équitable  ;  la  faveur  de  Montmorenci ,  quoi  que  cap- 

*  tif,  Payant  emporté  fur  fes  brigues.  Vous  parlerai-je  des  con- 
»  férences  fécretes  des  Guifes  avec  les  Efpagnols ,  ôc  des  me- 
»  fures  qu'ils  prenoient  durant  les  négociations  de  la  paix  avec 
»  le  cardinal  de  Granvelle,  pour  entretenir  en  France  îestrou- 
y>  blés  domefhques ,  à  l'occafion  de  la  Religion  f  Ils  méditoient 

dès-lors  cette  cruelle  délibération ,  connue  fous  le  nom  de 
Mercuriale }  qu'on  tint  au  parlement  de  Paris ,  peu  après  la 


6> 
03 


ta 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U ,  L  i  v.  XXIV.      477 

«  paix  conclue.  Ce  furent  eux  qui  prefTerent  le  feu  Roi  de  fe 
rendre  au  Palais  en  perfonne  ,  ôc  lorfqu'on  l'y  attendoit  le  François 
moins ,  pour  exciter  encore  par  fa  préfence  la  rage  des  per-  J  I. 
fécuteurs,  ôc  pour  empêcher  des  Sénateurs  fages  ôc  mode-  Y  ?  6  o, 
rés  ,  d'opiner  avec  liberté.  Enfin  ces  Magiftrats,  en  donnant 
»  leurs  voix  fur  la  manière  de  punir  les  Proteftans,  furent  traî- 
»  nez  en  prifon  ,  pour  être  jugez  eux-mêmes ,  comme  fauteurs 
»  des  feclaires  :  l'autorité  de  cette  compagnie  augufte  ayant  été 
»  anéantie ,  des  hommes  malheureux  font  demeurez  en  proye 
»  à  la  fureur  de  la  plus  vile  populace.  Au  refte  ,  fi  les  Guifes 
*»  ont  commencé  à  exécuter  leurs  deffeins  pernicieux  fous  le 
»  feu  Roi,  Ôc  dans  le  tems  de  la  faveur  du  Connétable,  que 
»  ne  feront-ils  pas  aujourd'hui ,  qu'il  s'eft  éloigné  de  la  Cour , 
*>  qu'ils  ont  abaiffé  les  Princes  du  fang ,  ôc  qu'ils  ont  entre  les 
»  mains  la  fouveraine  puiflance  ,  fous  un  Roi  à  peine  forti  de 
»  l'enfance  ,  ôc  fous  une  Reine  leur  nièce. 

^  Penfons  donc  ferieufement  à  ce  qu'ils  ont  fait,  à  ce  qu'ils 
»  feront,  ôc  où  aboutiront  enfin  leurs  deffeins,  fi  on  ne  les  pré- 
»  vient  de  bonne  heure.  Devenus  les  maîtres  par  la  mort  du 
»  feu  Roi ,  ils  ont  éloigné  Montmorenci,  ôc  expulfé  les  Prin- 
»  ces  du  fang  royal.  Encore  cette  entreprife  a  quelque  pre- 
=>  texte  ,  fur  ce  que  leur  puiflance  ne  fe  pouvoit  foûtenir ,  qu'en 
»  ruinant  celle  de  leurs  concurrens  >  mais  l'ambition  étant  na- 
2>  tureltementinfolente,  ôc  franchifTant  les  bornes  de  la  modef- 
*  tie ,  de  la  raifon  ôc  de  la  pieté ,  ils  viennent  de  confommer 
=»  l'ouvrage  commencé  depuis  longtems  ,  en  dépouillant  le 
»  Connétable  de  fa  charge  de  grand-Maître.  C'eft  par  là  qu'ils 
»  ont  d'abord  fait  fentir  leur  injurie  pouvoir  ,  qu'ils  ont  repan- 
=»  du  par  tout  la  terreur,  ôc  qu'ayant  introduit  une  nouvelle  for- 
aï  me  de  Gouvernement,  ils  ont  chafle  les  anciens  Minimes 3 
=3  ôc  en  ont  fubftitué  de  nouveaux.  Mais  ce  qui  fuit  eft  une 
«  preuve  de  la  plus  grande  inhumanité.  Des  hommes  illuftres 
»  à  la  guerre  3  ôc  durant  la  paix  ,  qui  avoient  prêté  de  greffes 
»  fommes  au  feu  Roi ,  ou  dépenlé  leur  bien  à  fon  fervice 
»  viennent  demander  une  dette  légitime  ,  ou  une  jufte  récom- 
«  penfe.  On  leur  préfente  pour  payement,  ou  pour  falaireun 
»  infâme  gibet.  Souffrirons-nous  de  pareils  excès  ?  Que  feroit- 
»  ce,  fi  l'Etat  étoit  entièrement renverfé f  Qu'arrivera-t'il  lorf- 
»  que  le  Clergé  fera  parvenu  à  une  plus  grande  autorité ,  que 

O  o  o  iij 


4?8  HISTOIRE 

.  *>  la  Noblelïe  fera  détruite ,  que  toute  liberté  fera  otce  aux  Ma- 

PR  '  3>  giftrats ,  ôc  que  le  peuple  fera  réduit  à  une  extrême  indigen- 

%  $  *>  ce  f  Ne  croyons  pas  ,  Meilleurs  ,  que  ceux  qui  craignent 
'        »  tous  les  François,  ôc  qui  les  ont  tous  offenfez,  pardonnent 

*  ?  à  aucun.  Attendrons-nous  qu'une  calamité  publique  juftifie 

*  les  j uftes  foupçons  de  François  I.  ce  Prince  fi  fage  ôc  fi  pré- 
»  voyant,  ôc  que  ces  maîtres  cruels }  fortifiez  par  notre  timide 
»  foibleffe ,  ne  purifient  plus  être  attaquez  ?  Pourquoi  différer 
»  plus  longtems  ?  Délivrons  notre  Roi  du  danger  où  il  eft ,  dé- 

*  livrons  la  patrie,  ôc  rompons  nos  chaînes.  Il  eft  vrai  que  ces 
35  médians  hommes ,  ces  ennemis  de  la  France  3  fe  couvrent  du 
?>  nom  facré  du  Roi ,  toujours  refpe£table  aux  gens  de  bien  ; 
»  ôc  font  palîer  pour  rebelles  ceux  qui  attaquent  leur  injurie 
*>  pouvoir,  ôc  qui  demandent  l'alTemblée  des  Etats.  Une  timi- 
iê  dite  fcrupuleufe  en  retient  pluiieurs ,  qui  ne  fçavent  pas  dif- 
»>  tinguer  la  véritable  obéïffance  d'un  faux  devoir.  Il  eft  néce£. 
?»  faire  de  les  inftruire  là-delTus. 

»  Dieu  nous  commande  d'obéïr  aux  Rois ,  îors  même  qu'ils 
*■>  nous  ordonnent  des  chofes  injuftes  5  ôc  il  n'eft  pas  douteux 
»  que  ceux  qui  refiftent  aux  puiffances  que  Dieu  a  établies  3 
■I  refiftent  à  fa  volonté.  Ainli  voyant  que  l'on  calomnie  au- 
»  jourd'hui  les  plus  gens  de  bien  mêmes  ,  nous  devons  nous 
3>  conduire  avec  une  grande  circonfpeclion  ,  afin  qu'on  ne 
:»  croye  pas  que  nous  ayons  violé  le  refpect  dû  au  Magiftrat 
»  fouverain.  Nous  avons  cet  avantage  ,  que  toujours  pleins 
3j  de  foûmiflion  pour  le  Prince ,  nous  n'en  voulons  qu'à  des 
3>  traitres  ,  ennemis  du  Roi ,  ôc  de  la  patrie  5  d'autant  plus  dan- 
»  gereux }  qu'ils  font  dans  le  fein  de  l'Etat ,  ôc  que  fous  le  nom 
n  d'un  Roi  enfant ,  ôc  revêtus  de  fa  puiffance  ,  ils  attaquent  le 
Royaume,  ôc  le  Roi  même.  Le  nom  du  Roi  doit-il  garan- 
tit des  hommes  factieux  ,  qui  font  fes  plus  cruels  ennemis , 
a,  qui  veulent  ravir  aux  François  la  liberté,  les  biens  ôclavie, 
v  ôc  dont  les  deffeins  n'ont  pour  but ,  que  la  ruine  de  l'Etat  l 
y>  Pourquoi  croyez-vous  qu'ils  ont  fait  courir  ces  bruits  hon- 
:»  teux  touchant  la  maladie  du  Roi ,  dont  cependant  ils  ofent 
nous  dire  les  auteurs  ,  fmon  pour  éprouver  notre  patience  ,' 
ôc  pour  faire  voir,  qu'ils  ont  deffein  de  retenir  l'autorité  fou- 
veraine  après  la  mort  du  Roi ,  en  faifant  périr  la  race  Roya- 
le, ôc  les  plus  puiffans  Seigneurs  du  royaume  ?  Peut-on  penfer 


35 

33 


35 


*» 


DE  J.   À.  DE  THÔU;  Liv.    XXIV.      47P 

*  que  la  vie  du  Roi  &  des  Princes   foit  en  fureté  fous  des  ■ 

*>  Miniftres  qui  ont  ces  defleins  f  Lorfqu'ils  difent ,  que  le  Roi  François 

*  ne  peut  vivre  long-tems  (  ce  qu'à  Dieu  ne  plaife  )  ils  font        j  j. 

=»  affez  voir  qu'ils  fe   font  flattez  d'injuftes  efpérances  ,  qu'ils     i<6q*- 

»  avanceront  peut-être  ,  s'il  n'atrive  quelque  événement.  Pour 

>>  nous ,  nous  fouhaitons  fincerement  à  notre  Roi  ,  que  fa  vie, 

=»  dont  ils  annoncent  la  courte  durée,  foit  longue  ôc  heureu- 

a>  fe  ;  ôc  nous  ne  celions  de  faire  des  vœux  au  ciel  pour  fa  con* 

9»  fervation ,  attendant  avec  impatience  ces  momens  fortunez., 

=»  où  gouvernant  fon  Etat  par  lui-même ,  il  puiffe  écouter  nos 

«  juftes  plaintes. 

*  Cependant,  puifque  fa  vie ,  dont  dépend  le  falut  de  l'Etat? 
*>  eft  en  danger,  ôc  que  les  momens  font  précieux?  nous  ne 
=»  pouvons  fans  manquer  à  ce  que  nous  devons  au  Prince ,  à 
3>  la  France  ,  à  notre  fidélité ,  ôc  à  notre  Religion  ,  ne  pas  ex^ 
«  pofer  nos  vies  ôc  nos  biens ,  pour  détourner  les  maux  qui 
»  menacent  le  Souverain ,  ôc  pour  éloigner  de  la  Cour  les» 
»  Guifes  qui  lui  tendent  des  embûches  ,  ôc  à  toute  la  maifort- 
=*  Royale.  Or  afin  que  vous  ne  croyiez  pas,  que  vousagifTea 

*  en  cela  contre  votre  confcience ,  je  veux  bien  protefter  le 
*»  premier,  ôc  prendre  Dieu  à  témoin  ,  que  je  ne  penferai,  ne 
w  dirai ,  ni  ne  ferai  jamais  rien  contre  le  Roi,  contre  la  Reine 
»  fa  mère,  contre  les  Princes  fes  frères,  ni  contre  ceux  de 
»  fon  fang  5  qu'au  contraire  je  défendrai  leur  Majefté  ôc  leur 
s*  dignité,  ôc  en  même  tems  l'autorité  des  loix ,  ôc  la  liberté 
»>  de  la  patrie ,  contre  la  tyrannie  de  quelques  étrangers. 

Alors  la  Renaudie  ayant  prié  les  Conjurez  de  dire ,  s'ils  corn- 
prenoient  fes  raifons,  ôc  s'ils  les  approuvaient ,  tous  fe  levè- 
rent ,  en  déclarant  qu'ils  étoient  de  fon  avis.  De  tant  d'home 
mes  aiTemblez  il  ne  s'en  trouva  aucun  qu'une  entreprife  fi  dé^ 
iicate  rebutât,  ou  qui  demandât  du  tems  pour  délibérer.  En- 
fuite  on  drefTa  une  formule  de  proteftation ,  par  laquelle  ils 
croyoient  mettre  leur  confcience  à  couvert  :  on  lut  l&s  actes 
&  les  informations  contre  les  Guifes ,  ainfi  que  les  décifions 
des  Docteurs  en  Droit  ôc  en  Théologie,  Ôc  l'on  prit  des  me- 
fures  pour  l'exécution.  On  convint  qu'avant  toutes  chofes  ua 
grand  nombre  de  perfonnes  fans  armes  ,  ôc  non  fufpectes  ,  fe* 
rendroient  à  la  Cour  ,  ôc  y  préfenteroient  une  requête  au  Roi^ 
pour  le  fupplier  de  ne  plus  gêner  les  confciences  ,   Ôc  dg- 


• 


4S0  HISTOIRE 

permettre  îe  libre  exercice  de  la  Religion;  que  prefque  au  mê- 

François  me  tems  ^es  cavauers  choifis  fe  rendroient  à  Blois,  où  étoit 
jj5  ie  Roi;  que  leurs  complices  les  recevroient  dans  la  ville,  6c 
i!  c  60  Clue  tous  Préfenteroient  une  nouvelle  requête  au  Roi  contre 
les  Guifes  >  ôc  que  fi  ces  Princes  ne  vouloient  pas  s'éloigner 
de  la  Cour,  ôc  rendre  compte  de  leur  adminiftration,  on  les 
attaqueroit  les  armes  à  la  main  ;  ôc  qu'enfin  le  Prince  de  Con- 
dé,  qui  avoit  voulu  qu'on  tut  fon  nom  jufques-là  ,  femettroit 
à  la  tête  des  Conjurez.  On  fixa  au  1;  de  Mars  le  jour  de 
l'exécution. 

Avant  que  de  fe  féparer ,  ils  tirèrent  au  fort  les  Provin- 
ces ,  dont  chacun  conduiroit  les  fecours.  La  Gafcogne 
échut  au  Seigneur  de  la  Motte  Caftelnau  de  Chaloffes;  le 
Bearn  à  Mazere  ,  Capitaine  très  -  diftingué.  Limoges  &  le 
Perigord  à  Dumenil;  le  Poitou,  le  payis  d'Aunis ,  ôc  l'An- 
goumois  à  Maille  de  Brezé  ;  ôc  l'Anjou  &  le  Maine ,  à  la  Chef- 
nelaye  '■>  Sainte  Marie  eut  en  partage  la  Normandie  3  Co- 
queville,  la  Picardie  3  Ferrieres-Maligni  le  cadet ,  la  Champa- 
ne  ;  ôc  Châteauvieux ,  la  Provence.  On  avoit  auffi  choifi  plu- 
iieurs  Gentilshommes  répandus  dans  tout  le  Royaume,  pour 
prendre  garde  que  les  peuples  ne  fe  foule  valent  au  bruit  d'une 
conjuration  ,  Ôc  pour  empêcher  qu'on  envoyât  du  fecours  aux 
Princes  Lorrains.  Enfuite  chacun  s'en  retourna  chez  foi ,  gar- 
dant un  aufïi  grand  fecret  que  lorfqu'ils  étoient  venus.  La  Re- 
naudie  prit  le  chemin  de  Paris,  pour  aller  trouver  Chandieu  '  (un 
des  Minirires  Calviniftes  de  cette  grande  ville ,  qui  prit  de- 
puis le  nom  de  Sadaël  )  à  qui  il  fit  part  de  ce  qui  s'étoit  pafie 
à  Nantes.  Au  refte  ce  qui  eft  de  furprenant  dans  cette  con- 
juration ,  ôc  ce  qui  tient  en  quelque  façon  du  prodige ,  c'eft 
qu'en  un  tems  où  le  Royaume  n'étoit  agité  d'aucuns  troubles, 
où  le  Roi  étoit  révéré  ôc  tout  puifTant ,  où  les  Gouverneurs 
ôc  les  Magiftrats  exercoient  une  pleine  autorité,  ôc  où  le  peuple 
ôc  la  Nobleffe  n  étoient  point  encore  accoutumez  aux  ré- 
voltes ,  tant  d'hommes  ayent  pu  s'aflembler  des  différentes 
Provinces  de  la  France,  ôc  garder  un  fecret  inviolable  fur  leurs 
deffeins  ,  ôc  que  les    Guifes  ayent  appris  le  complot  formé 

1  Chandieu  étoit  très-diflingué  en-     j     de  géne'ral  de  toutes  les  Eglifes  Réfor- 
tre  les  Minières  Proteftans  ;    on  le     I     mées  de  France, 
verra  dans  la  fuite  préfider  à  un  Syno-     J 

contre 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XXIV.    4S1 

contre  eux,par  les  lettres  d'Allemagne,  d'Efpagne  ôc  d'Italie,plù- 
tôtque  par  leurs  mouches  j  c'eft  ainfi  qu'ils  appelloient  lesémif-  François 
faires ,  qu'ils  avoient  difperfez  dans  les  Provinces  :  tant  la  hai-        Jj. 
ne  qu'on  leur  portoit  étoit  grande.  Il  ne  fe  trouva  qu'un  feul     1  y  60. 
homme  en  France,  qui,  quoique  Proteftant,  eut  horreur  d'une 
entreprife  qui  lui  parut  inouïe,  ôc  d'un  dangereux  exemple, 
ôc  qui  révéla  la  confpiration ,  plutôt  par  des  motifs  de  confcien- 
ce ,  que  dans  la  vue  d'un  vil  intérêt. 

C'étoit  un  Avocat  de  Paris  allez  habile  dans  fa  profefïion, 
nommé  Avenelles ,  qui  logeoitau  Fauxbourg  Saint  Germain, 
chez  qui  la  Renaudie  s'étoit  retiré ,  pour  être  mieux  caché. 
Avenelles  voyant  qu'un  grand  nombre  de  perfonnes  venoient 
trouver  fon  hôte ,  commença  à  foupçonner  quelque  cliofe , 
&  ayant  eu  enfuite  un  entretien  fecret  avec  lui ,  il  apprit  tout  le 
détail  de  la  confpiration ,  qu'il  feignit  d'approuver.  Ayant  long- 
tems  médité  ce  qu'il  avoit  à  faire,  enfin  étonné  de  la  gran- 
deur du  péril ,  ôc  ne  croyant  pas  pouvoir  fe  taire  fans  fe  ren- 
dre criminel  aux  yeux  de  Dieu ,  il  alla  trouver  Lalamant  Vou- 
zay  Maître  des  Requêtes,un  desconfidens  du  cardinal  de  Lor- 
raine, ôc  lui  découvrit  la  conjuration  en  préfence  de  Milet 
fecretaire  du  duc  de  Guife.  On  eut  bien  de  la  peine  à  croire 
d'abord  ce  qu'il  difoit.  Mais  comme  il  venoit  tous  les  jours 
aux  Guifes  des  courriers  des  payis  étrangers,  par  lefquels  on  leur 
mandoit  qu'on  leur  drefîbit  des  embûches ,  ôc  que  s'ils  ne 
fongeoient  de  bonne  heureà  s'en  garentir,  leur  perte  étoit  cer- 
taine j  Lalamant  ne  crut  pas  devoir  négliger  cet  avis,  6c  con- 
feilla  à  Milet  de  fe  rendre  en  relais  à  Blois  avec  Avenelles. 
Lorsqu'ils  y  arrivèrent ,  le  duc  de  Guife  en  étoit  parti  avec  le 
Roi,  pour  fe  rendre  à  Amboife,  petite  ville  fort  ferrée  que  peu 
de  troupes  peuvent  défendre,  ôc  qui  a  d'ailleurs  un  château 
allez  grand ,  ôc  bien  fortifié.  On  croit  que  ce  changement  de 
féjour  déconcerta  les  conjurez.  Avenelles  entretint  le  cardi- 
nal de  Lorraine  durant  le  voyage  j  ôc  entre  les  complices  il  lui 
nomma  un  gentilhomme,  dont  le  frère  étoit  à  la  Cour.  Celui- 
ci  par  ordre  du  Cardinal  fit  venir  fon  frère  ,  qui  féduit  par 
les  promettes,  ou  intimidé  par  les  menaces  confirma  les  cir- 
conftances  d'un  complot  ,  que  fans  cela  on  n'eût  pu  croire. 
Cette  connoiffance  fut  utile  aux  Guifes,  pour  féparer  les  Con- 
jurez ,  ôc  s'en  rendre  les  maîtres. 

Tome  III.  P  p  p 


4$2  HISTOIRE 

__  Cependant  on  retint  Avenelles ,  qui  fut  envoyé  à  Amboï- 

Fr  n  ois  k'  ^  Sarc^  *  v^>  a^n  clue  ^  ^es  indices  étoient  faux,  on 
tt  ■        apprît  de  lui  les  raifons  d'une  fi  noire  calomnie  5  que  fi  au  con- 
l        traire  ils  etoient  véritables ,  on  fe  fervît  de  fon  témoignage 
pour  convaincre  les  coupables.  Tout  étoit  rempli  à  la  Cour 
de  crainte  ôc  de  frayeur  ,  dans  l'attente  de  ce  que  deviendroit 
cette  affaire.  Le  maréchal  François  de  Montmorenei  eut  ordre 
d'envoyer  à  Ainboife,  avec  une  fûre  efcorte,  Robert  Stuart,  An- 
felme  de  Soubfelles.,  ôc  le  gouverneur  de  Saint  Aignan,  déjà  pri- 
fonniers  à  Vincennes,  ôc  qu'on  croyoit  complices.  Ils  furent 
conduits  feuls,  ôc  déguifez,  afin  qu'ils  ne  piuTent  fe  parler,  ni  être 
reconnus.   Les  Guifes,  qui  foupçonnoient  l'amiral  de  Coligni 
ôc  d'Andelot  fon  frère  d'être  de  la  conjuration  >  ôc  qui  crai- 
gnoient  leurs  richeffes ,  leur  puiflance ,  ôc  plus  encore  leur  grand 
courage ,  engagèrent  la  Reine  mère  à  leur  écrire  des  lettres 
remplies  d'affeâion  ôc  de  confiance,  pour  les  inviter  à  venir 
à  la  Cour  l'aider  de  leurs  confeils  dans  une  affaire  de  grande 
importance.  Ces  Seigneurs  fe  rendirent  aufli-tot  à  Amboife 
avec  le  ■  Cardinal  leur  frère  >  ôc  furent  introduits  dans  le  ca- 
binet de  Catherine  de  Medicis  en   préfence  du  Chancelier 
Olivier.  L'Amiral  ayant  demandé  permifïion  de  parler  ,  décla- 
ma vivement  contre  la  mauvaife  adminiftration  de  l'Etat,  ôc 
ajouta  que  tous  les  peuples  étoient  irritez  5  mais  qu'il  neferoit 
pas  impoilible  de  les  rappeller  à  leur  devoir,  fi  onfufpendoit 
par  toute  la  France  les  fupplices  contre  les  Proteftans,  ôc  il 
©n  accordoit  la  liberté  deconfcience ,  jufqu'à  ce  qu'un  Con- 
cile légitime  eût  décidé  les  différens  fur  les  matières  de  Reli- 
gion. Olivier ,  qui  étoit  fort  zélé  pour  la  réforme  de  î'Eglife, 
ôc  qui  avoit  en  horreur  la  rigueur  des  jugemens  par  rapport 
à  la  foi.>  écouta  avec  attention  Coligni  :  il  goûta  tes  raifons ,' 
les  communiqua  aux  Guifes ,  ôc  leur  dit ,  que  le  meilleur  moyen 
de  calmer  les  efprits  étoit  de  donner  par  un  édit  une  entière 
amniftie  du  paffé,  de  promettre  inceiTament  la  tenue  d'un  Con- 
cile, ôc  d'accorder  jufques-là  le  libre  exercice  delà  Religion» 
Protestante. 

Les  Guifes  approuvèrent  le  confeil  du  Chancelier,  dans  la 

1  Odet  cardinal  de  ChatilIon,à  qui    l    ria  depuis  à  Elisabeth  de  Haureville^ 
le  Pape  ôta  depuis  le  chapeau  ,  parce        qu'il  avoit  long-tems  entretenue, 
qu'il  s'étoit  fait  Calvinifte  :  il  fe  ma-   ( 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XXIV.     48? 

vue  d'appaifer  les  faclions,  qui  alloient  éclore.  Ainli  on  publia  ■ 

un  édit  favorable  aux  Proteftans ,  mais  qui  exceptoit  de  Tarn-  pRANC0IS 
niftie  générale  les  Prédicans ,  ôc  ceux  qui  fous  prétexte  de  la  j  j 3 
Religion ,  avoient  formé  des  complots  contre  le  Roi,  la  Rei-  «  1  Q 
ne  fa  mère ,  les  Princes  fes  frères ,  ôc  les  autres  Princes  ôc  Mi- 
nières ,  ceux  qui  auroient  tiré  des  coupables  d'entre  les  mains 
des  archers ,  ce  ceux  qui  auroient  arrêté  les  lettres  ,  les  ordres, 
ôc  les  courriers  du  Roi.  L'édit  fut  auili-tôt  porté  au  Parlement , 
enregiftré ,  ôc  publié  le  1 2  de  Mars ,  fur  le  requifitoire  du  Pro- 
cureur général  Bourdm ,  à  qui  les  Guifes  avoient  écrit  à  ce  fu- 
jet.  On  employa  fur  les  regiftres  un  arrêt  fecret,  qui  put  fer- 
vir  dérègle,  lorfquil  s'agiroit  de  l'exécution,  ou  de  l'interpré- 
tation de  fédit.  Cependant  le  duc  de  Guife  fe  donnoit  de 
grands  mou vemens;  envoyant  des  officiers  dans  toutes  les  Pro- 
vinces pour  lever  des  troupes  >  ôc  pour  exhorter  les  Gentils- 
hommes à  prendre  les  armes  pour  leur  Roi.  On  écrivit  de  plus 
aux  Gouverneurs  des  villes  Ôc  des  provinces ,  pour  leur  or- 
donner d'arrêter  tous  les  gens  armés ,  cavaliers ,  ou  fantaffins, 
qu'on  verroit  prendre  le  chemin  d'Amboife.  Marliili  de  Si- 
pierre  fut  envoyé  à  Orléans,  où  il  rencontra  le  Prince  de  Con- 
dé  qui  alloit  à  la  Cour ,  ôc  qui ,  ayant  appris  que  la  confpira- 
tion  étoit  découverte  ,  ne  laifla  pas  de  continuer  fon  chemin. 
La  Renaudie  lui-même,  homme  ferme  ôc  intrépide,perfifta  dans 
fon  deffein, quoiqu'il  n'ignorât  pas  qu'on  avoit  révélé  le  complot, 
ôc  il  trouva  la  même  confiance  ôc  la  même  fidélité  dans  les  Con- 
jurez. Etant  arrivé  le  4  de  Mars  à  Carreliere  en  Vendômois, 
lieu  qui  n'eft  pas  éloigné  d'Amboife ,  ôc  fes  complices  s'y  ren- 
dant de  tous  cotez,  il  fixa  au  17  du  même  mois  l'afTemblée 
générale  des  Conjurez ,  parce  que  la  Cour  ayant  quitté  Blois, 
il  fallut  changer  le  jour  de  l'exécution.  Il  avoit  placé  peu  loin 
d'Amboife  environ  cinq  cens  cavaliers  tous  Gentilshommes, 
ôc  une  troupe  de  fantaflins  choifis.  On  étoit  convenu  queMa- 
ligni  le  cadet  ameneroit  à  Amboife  foixante  officiers  au  Prin- 
ce de  Condé,  ôc  qu'on  les  logeroit  ou  dans  des  caves ,  ou  dans 
des  greniers,  à  caufe  du  peu  de  maifons  qui  font  en  cette  ville 
là.  Un  autre  chef,  dont  on  n'a  pas  fçû  le  nom ,  s'étoit  chargé 
d'amener  encore  trente  officiers,  ôc  de  les  placer  dans  la  ci- 
tadelle. Pour  la  Renaudie,  il  devoir  fe  rendre  la  veille  du  jour 
de  l'exécution  fur  le  foir  àNoifai,  lieu  voifin  d'Amboife,  avec 

Pppij 


4*4  HISTOIRE 

..-    .  .  *,->,  le  refte  des  troupes  :  Caftelnau  ,  ôc  Mazere  avoient  promis  d'y 

Z  "  arriver  quelques  momens  après. 

-.$  l        On  étoir  convenu  d'envoyer  le  lendemain  les  foldats  à  Am- 
boife  par  petites  troupes ,  pour  ôter  toute  défiance.  La  Renau- 
*  die  devoit  s'y  rendre  fur  le  midi ,  s'emparer  des  portes  de  la 

citadelle  avec  une  partie  de  fes  gens ,  ôc  s'affûter  des  Guifes 
avec  l'autre.  Après  cela  on  auroit  fait  un  fignal  d'une  tour  dut 
château,  pour  faire  avancer  le  refte  des  troupes  qui  étoient  ca- 
chées dans  la  forêt  voifine,  &  qui  feroient  entrées  dans  la  ci- 
tadelle par  la  porte  d'un  jardin.  De  Lignieres  étoit  un  des  chefs 
des  conjurez 5  on  lui  avoir  fait  part  du  projet  de  l'exécution,. 
ôc  des  mefures  qu'on  avoit  prifes  >  ôc  cet  homme  avoit  promis  de 
garder  un  fecret  inviolable.  Mais ,  foit  qu'il  fe  repentît  de  fes 
engagemens,  foit  qu'on  l'eût  gagné  par  argent,  il  vint  à  Am- 
boife  vers  le  même  tems ,  ôc  découvrit  à  la  Reine  mère  tout 
le  plan  de  la  confpiration  ,  les  noms  des  chefs,  les  lieux  par  où 
on  devoit  entrer  dans  la  ville,  ôc  ceux  où  l'on  étoit  convenu 
de  fe  loger.  Il  étoit  venu  auprès  des  Guifes  un  grand  nom- 
bre de  gens  armez ,  qui  croyant  qu'on  en  vouloit  au  Roi,  étoient 
accourus  à  la  hâte ,  pouffez  par  l'amour  que  les  François  ont 
toujours  eu  pour  leur  Souverain.  Ces  Princes  leur  ordonnè- 
rent de  fe  rendre  dans  les  lieux  qui  leur  étoient  défignez ,  ôc 
de  prendre  tous  ceux  qu'ils  verroient  venir  en.  troupes  dans  la 
forêt ,  ou  s'y  couler  durant  la  nuit.  Ils  allèrent  d'abord  à  la 
Fredonniere ,  lieu  où  les  Conjurez  dévoient  d'abord  s'affem- 
bler ,  lorfqu'cn  ne  croyoit  pas  que  la  Cour  quitteroit  Blois. 
Mais  François  ôc  Madeleine  Confiance  en  étoient  déjà  partis 
avec  leurs  amis  >  fur  ce  qu'ils  avoient  appris,  que  la  confpira- 
tion étoit  découverte.  On  prit  d'Avigni  avec  environ  vingt 
de  fes  amis ,  lorfqu'ils  s'enfuyoient ,  fur  l'avis  qu'on  venoit  de 
leur  donner ,  que  la  Cour  étoit  informée  de  tout.  On  arrêta 
aufTi  la  plupart  des  autres  qui  furent  conduits  à.  Amboife.  Au 
refte  les  Princes  Lorrains  pour  une  plus  grande  fureté  chan- 
gèrent la  garde  du  Roi,  ôc  rirent  murer  la  porte  de  ce  jardin 
voifin  de  la  citadelle.  Ils  fongerent  de  plus  à  contenir  les  vil- 
les voifines  dans  le  devoir,  en  envoyant  à  Tours  Louis  de  Bueil 
comte  de  Sancerre,  à  Orléans  François  de  Vieilleville  Scepeaux, 
à  Blois  Paul  de  Thermes  maréchal  de  France  ,  le  Prince  de 
Montpenfier  à.  Angers,  le  comte  delà  Rochefoucaut  Barbe^ 
lieux  à  Bourges ,  Ôc  Couci  Burie  à  Poitiers». 


D  E  J.  A.  D  E    T  HO  U  ,  L  i  v.  XXIV.     48; 

Ce  fut  un  trait  de  politique  des  Guifes  d'envoyer  des  Sei- 
gneurs qui  leur  étoient  fufpects,  dans  des  villes,  dont  la  fide-  François 
lité  leur  paroifîbit  aifurée -,  ôc  de  les  éloigner ,  fous  un  prétexte  H- 
fpécieux ,  d'auprès  de  la  perfonne  du  Roi.  Sancerre  ayant  ap-  i  $  6  o*> 
pris  qu'ils  y  avoit  des  gens  armez  dans  un  fauxbourg  de  Tours 
du  côté  du  Plefïïs ,  s'y  rend  avec  fes  gens ,  ôc  ayant  rencon- 
tré Caftelnau  ôc  Mazere ,  qui  avoient  des  manteaux  fur  leurs- 
cuiraifes ,  il  leur  demande  où  ils  alloient.  Ceux-ci  lui  ayant 
répondu  qu'ils  alloient  trouver  le  Roi ,  il  leur  dit ,  qu'ils  n'a- 
voient  ni  l'équipage ,  ni  la  contenance  de  gens  qui  voy  ageoienr 
Amplement  s  ôc  leur  ayant  montré  les  ordres  du  Roi,  qui  lui 
commandoit  d'arrêter  ceux  qu'il  rencontreroit  armez,  ilfemit 
en  devoir  de  les  faire  prifonniers.  Mais  comme  ils  étoient  le3 
plus  forts ,  non  feulement  ils  échaperent ,  mais  ils  contraigni- 
rent même  Sancerre  de  fe  retirer  dans  la  ville ,  fans  qu'il  y 
eût  de  fang  répandu  de  part  ni  d'autre.  Alors  ce  Seigneur 
criant  au  fecours  dans  les  rues  contre  des  criminels  de  le- 
ze-Majefté  ,  ôc  voyant  que  perfonne  ne  fortoit  des  maifons, 
il  jugea  qu'il  avoit  plus  à  craindre  les  habitans  même  que  Caf- 
telnau. Il  écrivit  au  duc  de  Guife,pour  lui  faire  part  de  cette 
avanture,  ôc  pour  lui  demander  du  fecours.  Ce  Prince  rit  par- 
tir auffi-tôt  Saint  Andté,  qui  arriva  trop  tard  :  Caftelnau  avoit 
renvoyé  {qs  gens  au-delà  de  Saumur ,.  ôc  avoit  paiTé  la  Loire 
pour  fe  rendre  à  Noifai  avec  Mazere ,  comme  on  étoit  con- 
venu. Au  refte  ce  n'étoit  pas  fans  raifon  qu'on  foupçonnoit 
ceux  de  Tours-,  puifque  la  plupart  avoient  embralfé  la  Reli- 
gion des  Proteftans.  Il  eft  à  remarquer  que  le  nom  ridicule  Ôc 
odieux  de  '  Huguenot,  qu'on  donna  depuis  en  France  à  ceux 
qu'on appelloit  auparavant  Luthériens ,  pritfon  origine  en  cette 
ville  là.  On  fçait  que  les  habitans  de  chaque  ville  appellent  de 
noms  t  qui  leur  font  particuliers  ,  les  Lutins ,  les  loups-garoux, 
les  bêtes  noires,  ôc  d'autres  monftres  chimériques  ôc  vains-, 
dont  les  contes  de  vieilles  font  remplis,  pour  faire  peur  aux  en- 
fans,  ôc  aux  femmelettes.  Or  le  Roi  Hugon  pafloit  chez  le 
peuple  de  Tours  pour  un  de  ces  monftres,  ôc  on  difoit  qu'il 
galoppoit  toutes  les  nuits  autour  des  murs  de  la  ville ,  battant 
ceux  qu'il  rencontroit ,  ou  les  enlevant.  C'eft  de  ce  Roi  Hugon 

1  Les  Huguenots  prétendent  que  ce         qu'ils  de'fendoient  la  pofterité  de  Hu- 
Bom  leur  ett  honorable,  ôc  inarque     J    gue  Capet  contre  les  Guifes; 

Ppp  iij 


|é$  HISTOIRE 

L     ,,„,  qu'on  appeîla  Huguenots  les  Proteftans,  qui  n'ofant  s'afTem- 

~  bler  de  jour,  fe  rendoient  toutes  les  nuits  aux  environs  de 

K\j         Tours  ,  pour  entendre  des  fermons,  ou  pour  faire  leurs  prières 


en  commun. 


*  0#  Le  Roi  ayant  fçû  que  Caftelnau  ôc  fes  amis  étoient  arrivez 
à  Noifai,  y  envoya  Jacque  de  Savoye  duc  de  Nemours ,  qui 
avoit  avec  les  Guifes  les  plus  étroites  liaifons ,  afin  de  furpren- 
dre  ces  conjurez,  ou  de  rompre  au  moins  leurs  deffeins.  Le 
Duc  étant  parti  avec  quelques  gensd'armes  choifis  à  la  hâte,  fur- 
prit  ôc  enveloppa  Mazere ,  Ôc  Raunay  ,  qui  fe  promenoient 
devant  le  château.  Caftelnau  ayant  fait  avertir  la  Renaudie  du 
malheur  de  leurs  amis ,  s'enferma  dans  le  château ,  que  Ne- 
mours fit  entourer  par  des  corps-de-garde  placez  à  diftance. 
Après  avoir  conduit  lui-même  (es  deux  prisonniers  à  Amboi- 
fe ,  il  revint  l'après  dinée  devant  le  château  de  Noifai ,  avec  en- 
viron cinq  cens  hommes ,  prefque  tous  officiers  dans  la  mai- 
fon  du  Roi.  Caftelnau  fe  voyant  preffé  ,  ôc  penfant  que  la  Re- 
naudie ,  à  qui  il  avoit  dépêché  un  couder ,  ne  pourroit  lui  en- 
voyer de  fecours  affez  à  tems ,  fouhaita  de  conférer  avec  le 
Duc ,  ôc  de  traiter  à  l'amiable.  Nemours  lui  demanda,  ôc  à  ceux 
qui  l'accompagnoient ,  pourquoi  ils  étoient  venus  ;  leur  repré- 
fentant  qu'on  ne  devoit  pas  faire  connoître  au  Souverain  les 
vœux  de  fon  peuple  par  des  factions,  ôc  des  troubles  ;  que  lorf- 
qu'on  avoit  des  demandes  à  faire ,  on  pouvoit  lui  préfenter 
d'humbles  fupplications ,  ôc  non  pas  prendre  les  armes  contre 
lui  >  moyens  inouis  aux  François ,  nation  de  tout  tems  fi  fou- 
mife,  ôc  fi  fidèle  à  fes  Rois.  Il  ajouta ,  qu'ils  euffent  à  mettre  bas 
les  armes ,  Ôc  à  retourner  chez  eux ,  pour  ne  fe  pas  rendre  plus 
coupables  par  leur  opiniâtreté ,  Ôc  ne  pas  deshonorer  le  nom 
François  par  un  crime  odieux  ,  que  détefteroit  la  pofterité.  En- 
fuite  il  leur  promit  que  s'ils  déferoient  à  fes  avis,  ils  pourroient 
parler  au  Roi  avec  toute  affurance.  Tous  répondirent  alors  au 
Duc ,  qu'ils  avoient  chargé  Caftelnau  de  porter  au  Roi  leurs 
juftes  demandes.  Alors  Caftelnau  prenant  la  parole  dit,  que 
toute  fa  vie  il  feroit  fidelle  à  fon  Prince  ;  que  fes  compagnons, 
ôc  lui  étoient  éloignez  de  vouloir  exciter  une  guerre  civile  ; 
qu'il  y  avoit  beaucoup  de  chofes ,  qu'il  vouloit  dire  au  Roi 
même  ,  fi  les  Princes  Lorrains  le  trouvoient  bon  ;  ôc  qu'il  ne 
doutok  point  que  ce  Monarque  n'écoutât  les  juftes  prières  de 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.        487 

ceux  de  (es  fujets,  qui  avoient  rendu  les  plus  grands  fervices 
à  l'Etat,  s'il  n'étoit  point  prévenu  par  lapafîion  d'autrui.  Enfuite  FrANcoïs 
il  parla  de  l'orgueil  ôc  de  la  fierté  des  Guifes  ,  qui  faifoient  ,  '      ]  j 
difoit-il,  déjà  les  Souverains  ,  ôc  qui  vouloient  ufurper  la  cou-     1  <:  Co 
ronne.  Il  ajouta ,  que  fes  compagnons  ôc  lui  s'étoient  affem- 
blez ,  dans  la  feule   vue  de  fe  plaindre  au  Roi  de  ces  Mi- 
mitres  odieux  j  qu'ils  avoient  pris  les  armes,  non  contre  lui, 
mais  contr'eux  ,  ôc  qu'ils  croyoient  avoir  été  en  droit  de  le 
faire  ;  qu'il  étoittems  enfin  d'abattre  leur  puiflance,lorfqu'elle 
commençoit  à  s'élever  trop  haut,ôc  qu'on  ne  pouvoit  efpérer  de 
foulagement  aux  maux  de  l'Etat ,  qu'en  établifiant  un  gou- 
vernement légitime  fuivant  les  loix  anciennes  du  Royaume, 
Alors  cette  foule  de  conjurez  préfens  à  l'entrevue  entoure 
le  Duc ,  Ôc  le  fupplie  inftamment  de  perfuader  au  Roi ,  qu'il 
vùeille  bien  écouter  les  plaintes  de  tant  d'hommes  également 
malheureux  ôc  innocens ,  ôc  rétablir  dans  leur  ancienne  vi- 
gueur les  loix  anéanties  par  la  malice  des  Guifes ,  fes  maîtres 
cruels.  Après  plufieurs  difcours  de  cette  nature,  Nemours  leur 
donna  fa  foi ,  que  s'ils  vouloient  venir  avec  lui  trouver  le  Roi  P 
il  ne  leur  arriveroit  rien  de  fâcheux }  ôc  qu'ils  ne  feraient  point 
retenus  prifonniers  5  ce  qui  ayant  été  accepté ,  ils  fuivirent  le 
Duc  à  Amboife ,  où  reclamant  envain  la  parole  qu'il  leur  avoit 
donnée,  ils  furent  jettez  dans  des  prifons,  ôc  chargez  de  chaînes. 
Cependant  la  Renaudie,  qui  avoit  appris  en  chemin  par  le  Cou- 
rier de  Caftelnau  le  malheur  arrivé  à  Raunay  ôc  àMazere ,  fai- 
foit  grande  diligence  ,  pour  fe  rendre  à  Noizai,  afin  de  délivrer 
les  conjurez ,  qu'il  croyoit  y  trouver  encore  >  ôc  de-là  s'empa- 
rer d'Amboife ,  qu'il  penfoit  être  fans  défenfe  ôc  fans  trou* 
pes.  Le  1 6  de  Mars ,  les  gens  de  pie  de  l'armée  des  conjurez B 
qui  marchoient  par  petites  bandes  à  travers  la  forêt,  ne  croyant 
pas  que  leur  deffein  eut  été  découvert,  furent  ou  taillés  en  pie*- 
ces ,  ou  pris  fans  peine,  par  les  cavaliers  poftés  en  differens  en- 
droits du  bois.  On  lia  les  prifonniers ,  qui  furent  attachez  à  la 
queue  des  chevaux  ,  ôc  conduits  à  Amboife  comme  en  triom- 
phe 5  fpeclacle  agréable  à  quelques-uns ,  mais  qui  toucha  de 
compafîîon  le  plus  grand  nombre.  Plufieurs  de  ces  miferables 
furent  en  arrivant  pendus  aux  crénaux  des  murs  du  château , 
bottez  Ôc  éperonnez  ,  ayant  à  peine  été  interrogez ,  ôc  fans 


£§8  HISTOIRE 

,  autre  forme  de  procès.  Les  Guifes  demandaient  que  les  chefs 

7^  ~  fufTent  aufll  conduits  au  fupplice  ,  foûtenant  qu'il  falloir  les 

R^TT^   I§  ex^cuter  au  plutôt  pour  l'exemple.  Mais  le  fage  Olivier,  qui 
'         vouloit  attendre  la  tin  de  cet  événement ,  s'y  oppofoit. 
'       '        Le  duc  de  Guife  profita  de  cette  occafion ,  pour  obtenir  du 
Roi  un  Edit,  qui  lui  déféroit  le  premier  commandement  de 
toutes  les  armées  ,  ôc  la  lieutenance  générale  de  l'Etat  ;  exal- 
tant fes  vertus  éminentes  ,  ôc  fes  grands  fervices.  Le  Roi  dU 
foit  dans  le  commencement  de  l'Edit3  qu'il  avoit  préféré  d'a- 
bord la  douceur  ôc  l'indulgence  à  la  févérité  ;  mais  que  voyant 
que  fes  bontez  ne  lui  avoient  pas  mieux  réufîl ,  qu'au  Roi  fon 
père ,  ôc  que  la  plupart  des  rebelles  n'en  devenoient  que  plus 
audacieux ,  il  croyoit  devoir  faire  fentir  aux  factieux  toute  la 
force  de  fon  autorité  légitime ,  punir  à  la  rigueur  des   cri- 
minels de  leze-majefté }  qui  n  avoient  pas  voulu  profiter  des 
derniers  effets  de  fa  clémence,  ôc  imiter  en  cela  le  feu  Roi 
Henri ,  qui  avoit  châtié  ceux  de  Bordeaux.  Cet  Edit  fut  figné 
par  Robertet  fteur  du  Frefne  fécretaire  d'Etat ,  avec  cette  for- 
mule ordinaire ,  par  l'avis  du  Confeil  :  enfuite  il  fut  porté  à  Oli- 
vier pour  être  fcellé.  Le  Chancelier ,  à  qui  on  n'en  avoit  point 
parlé  auparavant  3  qui  déteffcok  en  fecret  la  violence  des  Gui- 
fes ,  ôc  qui  ne  pouvoit  voir  fans  douleur  l'accroiffement  de 
leur  puuTance ,  refufa  d'abord  de  le  faire.  Mais  fe  voyant  folli- 
cité  vivement  par  le  duc  de  Guife ,  peu  accoutumé  à  un  refus,' 
il  y  confentit ,  à  condition  ,  que  pour  faire  trouver  cet  Edit 
moins  odieux ,  on  en  publieroit  un  autre  le  même  jour ,  qui 
étoit  le   1 8  de  Mars  ,  lequel  accorderoit  un  pardon  général 
à  ceux  qui  s'étoient  affemblez  avec  armes  à  î'occafion  de  la 
Religion  3  ôc  qui  avoient  péché  en  cela  plutôt  par  (Implicite 
que  par  malice  5  pourvu  qu'ils  miffent  bas  les  armes ,  ôc  qu'ils 
retournaient ,  pour  ne  donner  lieu  à  aucuns  foupçons,  chez 
eux  dans  vingt- quatre  heures  s  deux  à  deux  ,  ou  trois  à  trois 
rout  au  plus.  Il  leur  étoit  permis  néanmoins  3  après  qu'ils  au- 
roient  mis  bas  les  armes ,  de  parler  au  Roi }  ôc  de  lui  préfentet 
leurs  requêtes. 

Le  jour  fuivant,  laRenaudie,  qui  alloit  à  Amboifeà  gran- 
des journées  ,  rencontra  >  dans  la  forêt  de  Château-Renaud  , 
Pardaillan,  que  le  Roi  avoit  envoyé  avec  des  cavaliers  choifis, 

pour 


François 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.        ^9 

pour  prendre  les  conjurez.  Celui-ci  ayant  couru  à  bride  aba- 
tuë  fur  la  Renaudie ,  &  fon  piftolet  ayant  manqué ,  fut  bleffé 
d'un  coup  d'épée  par  ce  chef  des  rebelles,  qui  combattant  rKAI^S 
vaillamment  contre  fon  ennemi,  fut  percé  d'une  baie  ,  que  lui  " 

tira  le  valet  de  Pardaillan  ,  6c  tomba  mort  fur  la  place.  Son  T  * 
corps  fut  porté  à  Amboife,  ôc  attaché  à  une  potence  furie  pont, 
avec  cette  infcription  :  Chef  des  Rebelles,  Enfuite  il  fut  coupé 
par  morceaux: ,  ôc  expofé  fur  des  pieux  aux  environs  de  la  ville. 
On  prit  aufïi  deux  de  fes  domeitiques ,  dont  l'un  nommé  la  Bi- 
gne  étoit  fon  fécretaire  ,  ôc  paffoit  pour  fçavoir  toutes  les  intri- 
gués  de  fon  maître.  On  l'appliqua  à  la  queftion,pour  l'obliger 
à  déchiffrer  des  lettres  ôc  des  mémoires  en  caractères  inconnus. 
La  force  des  tourmens  lui  fit  dire  tout  le  plan  de  la  confpira- 
tion ,  ôc  avouer  les  mefures  prifes  contre  les  Lorrains.  On  trou- 
va dans  ces  écritures  la  proteftation  faite  à  Nantes ,  ôc  la  re- 
quête, que  ceux  que  l'on  nommoit  communément  alors  Lu- 
thériens ,  dévoient  préfenter  au  Roi  dans  l'aifemblée  des  Etats 
généraux.  Ils  s'y  plaignoient  de  la  rigueur  des  jugemens  ren- 
dus contr'eux  ,  dont  ils  demandoient  Padouciffement  ,  après 
avoir  parlé,  comme  ils  dévoient,  de  leur  fidélité  inviolable 
envers  le  Roi,  On  interrogea  la  Bigne  ,  pour  connoître  les 
chefs  de  la  conjuration  ,  outre  ceux  qu'on  avoit  pris  ,  Ôc  on 
le  preffa  fur  tout  de  dire ,  fi  le  roi  de  Navarre  ôc  le  prince  de 
Condé  n'y  étoient  point  entrez.  La  Bigne  dit  toujours  qu'il 
n'en  fçavoit  rien  ;  qu'il  avoit  appris  feulement ,  que  >  fi  la  cons- 
piration eût  réùfïi ,  le  prince  de  Condé  fe  feroit  mis  à  la  tê- 
te des  Conjurez.  Les  Guifes  jugèrent  de-là  ,  que  puifque  le 
prince  de  Condé  étoit  mêlé  dans  cette  affaire  ,  il  falloit  nécef- 
fairement  que  Coligni  ôc  d'Andelot,  qui  lui  étoient  fi  étroite- 
ment unis  par  les  liens  du  fang  ôc  de  1  amitié  ,  y  euffent  part 
aufli ,  quoique  la  Reine  mère  ne  fût  pas  en  cela  de  leur  avis. 
Ils  craignoient  que  cette  entreprife  ne  fût  fuivie  d'une  au- 
tre plus  dangereufe  j  ôc  ils  difoient  qu'il  falloit  effrayer ,  par 
le  fupplice  des  chefs  qu'on  avoit  pris  ,  d'autres  juftement 
fufpecls. 

Tandis  que  le  Chancelier  s'oppofoit  à  la  violence  de  leurs 

CGnfeils,  les  Conjurez,  que  la  mort,  le  fupplice,  ôc  la  prifon 

de  leurs  compagnons  n'avoit  point  découragez,  donnèrent or« 

die  au  capitaine  la  Motte  ,  de  marcher  avec  quelques  gens  de 

T&m.  IJI,  Qqq 


wo  HISTOIRE 

main  vers  Amboife ,  où  plufieurs  bourgeois ,  qui  favorifoient  fe- 
Francois  cretement  J£ur  Parti  » ne  manqueraient  pas,  à  ce  qu'ils  penfoient, 
jjj        de  fe  joindre  à  eux.  En  même  tems  Champs  6c  Coqueville 
j  f^0      furent  commandés  pour  aller  au  fauxbourg  ,  qui  eft  du  côté  de 
Vendôme  ,  ôc  fe  rendre  les  maîtres  du  pont,  tandis  queChan- 
dieu,  frère  d'Antoine  miniftre  de  l'églife  Proteftante  de  Paris, 
dont  nous  avons  parlé  ,  viendrait  de  Blois  avec  des  foldats  d'é- 
lite ,  ôc  entreroit  à  Amboife  par  une  petite  porte  mal  fortifiée  , 
qui  tient  au  couvent  des  Minimes  du  côté  de  la  rivière,  ôc  qu'on 
pourroit  jetter  par  terre  d'un  coup  de  pié  5  c'étoient  les  pro- 
pres termes  portés  dans  l'inftruction  qu'on  leur  avoit  donnée, 
Chandieu  étant  arrivé  trop  tard  ,  ôc  lorfque  le  jour  étoit  déjà 
grand,  on  cria  aux  armes  par  toute  la  ville,  à  la  vue  de  ces 
foldats  ,  qui  avoient  tous  des  écharpes  blanches.  Des  corps  de 
garde  ayant  été  mis  à  toutes  les  portes,  cette  dernière  tentati- 
ve des  conjurez  fut  fans  effet.  Durant  qu'on  fermoit  les  por- 
tes, Ôc  que  tout  étoit  en  confufion  dans  la  ville ,  ils  eurent  af- 
fez  de  tems  pour  fe  retirer  :  on  en  prit  feulement  quelques- 
uns  ,  qui  fuivoient  à  pié  ,  qu'on  noya  à  Imitant  dans  la  Loire, 
Ces  nouvelles  hoftilitez  ayant  irrité  les  princes  de  Guife;  ôcle 
Chancelier  ne  pouvant  plus  alléguer  de  raifons  pour  juftiner 
cette  infulte ,  l'amniftie  accordée  par  le  dernier  Edit  fut  révo- 
quée par  un  autre ,  qui  déclara  les  conjurez  indignes  de  toute 
grâce ,  comme  relaps.  Aufii-tôt  on  fit  partir  des  troupes ,  pour 
fuivre  ceux  qui  s'en  retournoient  tranquillement  chez  eux ,  ôc 
pour  les  ramener  à  Amboife.   On  prit  entre  autres  Villemon- 
gey  cadet  de  Briquemaut.  Comme  on  murmuroit  tout  haut 
dans  la  ville ,  de  ce  que  tant  d'hommes  étoient  tous  les  jours 
trainez  dans  les  priions,  ou  conduits  au  fupplice  ,  le  Maître 
des  eaux  ôc  forêts  du  territoire  d'Amboife  eut  ordre  de  par- 
courir la  forêt  avec  main  forte }  ôc  de  tuer  fans  autre  forme 
de  procès  tous  ceux  qu'il  y  rencontreroit  en  armes.  Sous  ce 
prétexte  on  arrêta  plufieurs  marchands ,  qui  furent  tuez  ôc  dé- 
pouillez. 

On  mit  aufli  en  arrêt  le  prince  de  Condé,  qui  étoit  dans 
îe  château  ,  ôc  on  lui  défendit  de  fortir  de  la  Cour  fans  la  per- 
miffion  du  Roi.  II  eut  affez  de  prudence  pour  diflimuler  fage- 
ment  cette  injure.  Le  Roi  créa  alors  une  nouvelle  compagnie 
d'arquebufiers ,  pour  la  garde  de  fa  perfonne,  ôc  en  donna  le 


DEJ.  A.  DETHOU,Liv.  XXIV.      4pi 

Commandement  à  ■  Antoine  du  Pleffis  Richelieu ,  dit  commu- 
nément le  Moine  ,  parce  qu'il  l'avoit  effectivement  été  ,  ôc 
qui  ayant  renoncé  à  fes  vœux,  avoit  mené  depuis  une  vie  li- 
cencieufe  ôc  diffoluë.  Les  uns  difoient ,  que  les  Guifes  avoient 
inftitué  cette  milice  pour  la  fureté  de  la  perfonne  du  Prince  ; 
mais  les  autres  penfoient ,  qu'il,  n'avoient  fongé  en  effet  qu'à 
leur  propre  confervation.  Alors  on  commença  à  interroger  les 
coupables  ,  dont  plufieurs  furent  jugez  &  exécutez  à  la  hâte. 
On  en  pendit  dans  la  nuit  plulieurs  aux  crenaux  des  murs  du 
Château  ;  d'autres  furent  noyez  ,  de  crainte  qu'un  fpectacle 
plein  dhorreur  ,  n'excitât  le  peuple  à  la  pitié  •■>  quelques-uns 
furent  trainez  au  fupplice  durant  le  jour,  fans  aucune  infcrip- 
tion  qui  déiignât  leur  crime ,  fans  qu'on  fçût  leur  nom  ,  ôc  fans 
que  le  bourreau  ,  contre  l'ufage  ordinaire,  dît  un  feul  mot.  La 
Loire  étoit  couverte  de  cadavres  h  le  fang  ruiffeloit  dans  les 
rues  ;  ôc  les  places  publiques  étoient  remplies  de  corps  atta- 
chez à  des  potences.  Les  chefs  furent  jugez  les  derniers.  On 
vouloit,  à  force  de  tourmens ,  leur  faire  révéler  leurs  complices. 
D'abord  on  fit  venir  Raunay,  qui  ayant  entendu  la  leclurede 
îa  dépofition  de  la  Bigne,  contenant  tout  le  plan  de  la  conf- 
piration  ,  avoua  tout,  fur  l'affurance  que  lui  donnèrent  lescom- 
miffaires ,  fuivant  leur  coutume  ,  qu'on  lui  fauveroit  la  vie ,  s'il 
difoit  la  vérité.  Mais  lui  ayant  été  demandé,  Ci  les  conjurez  n'en 
vouloient  point  à  la  vie  du  Roi,  il  le  nia  constamment,  ôc  , 
malgré  la  rigueur  de  la  torture ,  il  perfifta  toujours  à  foûtenir; 
que  fes  complices  avoient  feulement  réfolu  de  fe  défaire  du  duc 
de  Guife  ,  ôc  du  cardinal  de  Lorraine.  Enfuite  il  fut  confron- 
té à  Mazere  ,  qui  convint  de  tout  ce  qu'avoit  avoué  Rau- 
nay. On  redoubla  les  tourmens ,  pour  fçavoir  de  ce  dernier, 
fi  le  roi  de  Navarre  ôc  le  prince  de  Condé,  n'avoient  point  de 
part  à  la  conjuration.  Il  dit  toujours  que  le  roi  de  Navarre  n'y 


François 

IL 

i  5  6  o. 


i  Cet  Antoine  e'toit  coufîn  germain 
du  grand-pere  du  cardinal  de  Riche- 
lieu. Quelques-uns  ont  pre'tendu  vai- 
nement ,  que  ce  Cardinal  avoit  fait  cou- 
per la  tête  en  164Z  à  Franco  is-Augufle 
de  Thou  confeiller  d'Etat ,  accule  de 
n'avoir  pas  re'vélé  la  confpiration  de 
Henri  d'Effiat  marquis  de  Cinqmars,  en 
haine  de  ce  que  notre  illuftre  hiftorien  , 
père  de  François  Augufte,  avoit  flétri 


en  cet  endroit  la  me'moire  d'un  de  fes 
ancêtres.  Voyez  ce  qui  eft  dit  encore 
dans  le  Livre  fuivant.  Au  relie  ,  il  ne 
relie  aujourd'hui  de  l'illuftre  famille  de 
Thou,  que  M.  l'Abbé  de  Thou,  fils  d'un 
frère  de  François  Augufte,  8c  petit- fils 
de  l'Hiftorien.  Son  amour  pour  fa  pa- 
trie ,  fa  probité'  8c  fa  pie'te',  font  voir  le 
fang  dont  il  fort. 

Q  q  q  ij 


492  HISTOIRE 

_-.  étoit  pas  entré ,  mais  qu'il  avoit  oui  dire  à  la  Renaudie,  que 
François  ^  l'afêûre  avoit  un  heureux  fuccès,  le  prince  de Condé  fe  de- 
jj'  clareroit  le  Chef  des  conjurez. 
i  ,  Ç  0t  Caftelnau  fut  amené  le  dernier  en  préfence  de  Raunay  ôc 
de  Mazere ,  dont  il  reprocha  les  dépolirions  par  des  moïens 
juridiques.  Il  dit  qu'on  ne  devoit  faire  aucun  fond  fur  le  té- 
moignage de  Mazere  ,  homme  peu  fenfé  ,  ôc  rapporta  plu- 
sieurs exemples  de  fes  folies  ôc  de  fes  extravagances  ,  pour  at- 
ténuer ce  qu'il  avoit  dit.  A  l'égard  de  Raunay  3  il  foûtint  qu'on 
ne  devoit  pas  ajouter  foi  à  ce  qu'alleguoit  à  fon  égard  un  hom- 
me de  tout  tems  fon  ennemi ,  ôc  avec  qui  il  avoit  été  obligé 
de  fe  battre.  Puis  étant  venu  à  parler  des  matières  de  la  Reli- 
gion, ôc  ayant  cité  plufieurs  paflages  de  l'Ecriture,  le  Chan- 
celier parut  étonné  qu'un  Officier ,  élevé  dès  fon  enfance  dans 
le  métier  des  armes  ,  fut  devenu  Théologien  tout- à-coup.  Il 
lui  demanda  en  plaifantant,  dans  quelle  Univerfitéon  lui  avoit 
expliqué  les  Lettres  faintes.  Caftelnau  répondit ,  que  lorfqu'ii 
étoit  dans  les  derniers  temps  prifonnier  en  Flandres,  il  avoit 
fçu  adoucir  les  ennuis  d'une  longue  captivité ,  par  la  lecture  de 
l'ancien  ôc  du  nouveau  Teftament.  Il  ajouta  qu'au  fortir  de 
fa  prifon,  il  avoit  eu  l'honneur  de  l'aller  voir  lui-même  à  fon 
château  de  Leuville  ,  ôc  que  lui  ayant  dit  alors ,  que  l'étude 
des  Livres  faims  avoit  fait  fon  occupation  durant  fa  détention , 
il  lui  avoit  donné  bien  des  louanges  là-deffus  ;  ôc  qu'il  s'éton- 
noit  à  fon  tour,  qu'un  Magiftrat  d'une  probité  ôc  d'une  fageffe 
reconnues }  femblât  blâmer  aujourd'hui  au  milieu  de  la  Cour  ; 
Ôc  pour  complaire  aux  Guifes  ,  ce  qu'il  avoit  approuvé  aupa- 
ravant dans  fa  maifon  de  campagne ,  éloigné  de  toutes  vues 
d'ambition  ôc  d'intérêt.  Il  ajouta  qu'il  étoit  plus  furpris  encore, 
qu'un  homme  de  fon  âge,  qui  devoit  bientôt  rendre  au  fouve- 
rain  Juge  un  compte  exact  de  fes  actions ,  cherchât  encore  à 
plaire  aux  hommes  plutôt  qu'à  Dieu.  Alors  le  cardinal  de  Lor- 
raine ,  voyant  qu'on  parloit  de  Religion,  prit  la  parole,  ôc  dif- 
puta  longtems  avec  le  prifonnier.  Olivier  qui  favorifoit  en  fe- 
cret  ceux  qui  demandoient  une  réforme  dans  l'Eglife ,  dans  le 
même  tems  qu'il  condamnoit  la  licence,  ôc  les  factions  des  fu- 
jets  révoltez  contre  le  Roi  ôc  contre  les  Magiftrats ,  gardoit  un 
profond  filence. 

Caftelnau  avoit  beaucoup  d'amis  ôc  de  protection  à  la  Cour, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.        493 

Léonor  d'Orléans  duc  de  Longueville,  Coligni ,  d'Andelot,  j_ 
ôc  le  duc  d'Aumale  même ,  frère  des  Guifes,  follicitoient  in-  François 
dament  le  Roi  en  fa  faveur  ,  alléguant  qu'il  s'étoit  engagé  en         jj# 
cette  affaire  ,  plutôt  par  un  zèle  indifcret   de  Religion ,  que     l  *  5  D. 
par  des  motifs  criminels  5  que  du  reftec'étoit  un  brave  officier, 
diftingué  par  fa  fagefîe ,  6c  par  fa  fidélité  dans  le  fervice  ;  d'ail- 
leurs d'une  famille  illuftre ,  qui  avoit  donné  de  grands  hommes 
à  l'Etat.  Pour  lui  rendre  le  Roi  favorable  ,  ils  rapportoient  un 
fait  qu'on  n'avoit  pas  encore  oublié  à  la  Cour.  Ils  difoient  , 
que  quelques  années  auparavant  Charle   duc  d'Orléans  ,  ac- 
compagne de  quelques  jeunes  Seigneurs  de  la  Cour  ,  parmi 
lefquels  étoient  les  deux  Caftelnau  ,  étoit  venu  déguifé  en  une 
maifon  d'Amboife ,  où  les  plus  bas  artifans  de  la  ville  étoient 
en  réjoiiifîance  un  jour  de  fête  :  Que  le  Prince  ôc  fa  fuite  ayant 
fait  quelques  plaifanteries ,  il  s'étoit  élevé  une  grande  querelle 
entre  les  courtifans  ôc  ces  gens  échauffez  de  vin  ,  qui  chaffe- 
rent,  comme  étant  les  plus  forts  ,  le  Prince  ôcles  Seigneurs,  ôc 
les  poutfuivirent  enfuite  dans  des  rues  étroites  ,  ôc  auraient  tué 
le  fils  du  Roi ,  quoiqu'on  le  leur  eut  nommé,  fi  les  deux  frères 
Caftelnau  ne  s'étoient  mis  entre  le  Prince  ôc  ces  furieux  ;  ÔC 
qu'en  cette  occafion  un  de  ces  braves  frères  avoit  été  tué ,  Ôc 
que  celui ,  à  qui  on  faifoit  maintenant  le  procès ,  avoit  reçu 
une  grande   blefTure  ,  pour  fauver  la  vie  au  duc  d'Orléans. 
Quoique  la  reine  Mère  fe  fouvînt  très-bien  de  cet  important 
fervice,  ôc  qu'elle  femblât  pancher  du   côté  de  la  grâce  ,  le 
Roi  fut  inexorable  ;  les  Guifes  difant  hautement  qu'il  falloit 
foire  un  grand  exemple  >  Ôc  que  la  fureté  de  la  perfonne  du 
Roi  demandoit  que  l'on  punît  ce  crime. 

Lorfque  l'on  prononça  à  Caftelnau  fa  fentence,  qui  le  dé- 
claroit  criminel  de  leze-majefté ,  il  ne  put  entendre  patiem- 
ment ces  termes,  ôc  s'écria.  »  Je  fuis  innocent  de  ce  crime. 
»  Je  n'ai  point  à  me  reprocher  d'avoir  attenté  à  la  perfonne 
*>  du  Roi  ,  de  la  Reine  fa  mère ,  de  la  jeune  Reine  ,  des  fils 
»  de  France  ,  ni  des  princes  du  Sang ,  compris  dans  la  Loi.  Si 
»  c'eft  un  crime  de  leze-majefté  d'avoir  pris  les  armes  contre 
»  des  étrangers  infracleurs  de  nos  Loix ,  ôc  ufurpateurs  de  l'au- 
wtorité  fouveraine,  qu'on  les  déclare  donc  Rois.  C'eft  à  ceux 
»  qui  me  furvivront ,  à  prendre  garde  qu'ils  ne  raviffent  la 
»  Couronne  aux  princes  du  fang  Royal.  Ma  mort  va  me  délivrer 

Q  q  q  iij 


4P4-  HISTOIRE 

i     i  .  =>>  de  cette  crainte  ;  Ôc  je  ne  dois  plus  tourner  mes  penfées ,  que 
François  m  vers  une  meilleure  vie.  »  Après  cela  il  préfenta  fa  tête  au  bour- 
jj  reau.  Après  fa  mort,  on  trouva  dans  fes  bottines  un  papier,  qui 

î  <:  6  o  conten°it  ^e  P^an  de  ta  confpiration  contre  les  Guifes ,  ôc  tout 
enfemble  une  proteftation ,  où  les  affociés  déclaroient,  que  le 
nom  du  Roi  leur  feroit  toujours  faint  ôc  refpe£table.  Plufieurs 
fouffrirent  le  même  jour  le  dernier  fupplice,  ôc  dirent  que  puif- 
que  les  hommes  étoient  fourds ,  ils  appelloient  à  Dieu  de  leur 
jugement,  ôc  imploroient  la  vengence  céléfte.  Villemongey, 
dont  j'ai  déjà  parlé  ,  étant  prêt  d'être  exécuté ,  dit ,  qu'il  pré^ 
voyoit  que  l'ambition  des  Guifes  alloit  enfanter  des  guerres  , 
des  meurtres,  la  ruine  ôc  la  défolation  de  la  France.  Puis  trem- 
pant fes  mains  dans  le  fang  de  fes  compagnons  ,  qui  venoient 
de  mourir  ,  ôc  les  élevant  vers  le  ciel:  Voilà,  dit-il  ,  6  Dieu 
très-bon  &  tout-puiffant ,  le  fang  innocent  de  ceux  qui  font  à  vous  > 
dont  vous  ne  laijferez  pas  la  mort  impunie.  Ce  furent  là  Cgs  der- 
nières paroles.  Au  relie  les  Guifes  avoient  eu  foin,  que  les 
frères  du  Roi  fuiTent  prefens  à  ces  fpectacles  ;  afin ,  difoienc 
ceux  qui  déteftoient  ces  cruels  ôc  infâmes  amufemens  ,  d'ac- 
coutumer de  bonne  heure  ces  jeunes  Princes  à  répandre  le  fang 
de  leurs  fujets.  Tous  les  feigneurs  ôc  dames  de  la  Cour  étoient 
aufli  aux  fenêtres,  pour  voir  les  exécutions.  La  feule  Anne  d'Efte 
ducheflede  Guifè  ,  dame  d'un  efprit  doux  ôc  humain  ,  n'y  parut 
pas.  Elle  avoit  été  élevée  à  Ferrare  par  Renée  de  France  fa 
mère  dans  cette  même  doctrine  ,  qu'on  perfécutoit  alors ,  ôc 
avoit  eu  pour  confidente  Olimpia  Fulvia  Morata,  fille  célèbre 
en  Italie  par  fon  grand  fçavoir  ,  ôc  imbuë  des  nouvelles  opi- 
nions. On  affure  qu'en  cette  occaiion  la  duchefle  de  Guife 
verfabien  des  larmes  ,  ôc  dit  à  la  reine  mère,  que  fi  elle  vouloit 
conferver  le  Roi  ôc  l'Etat  t  elle  devoit  empêcher  le  fupplice 
des  innocens. 

On  foupçonnoit  le  jeune  Maligni  d'être  de  la  conjuration  ; 
ôc  la  conrelïion  des  condamnez  ne  laiffoit  aucun  lieu  d'en 
douter.  On  difoit  même,  qu'après  le  complot  découvert,  il  avoit 
réfolu  de  tuer  le  duc  de  Guife  de  fa  propre  main ,  lorfque  du- 
rant la  nuit  il  fe  retireroit  de  la  chambre  du  Roi  dans  la  fienne  > 
mais  que  le  prince  de  Condé ,  à  qui  il  avoit  fait  part  de  fon 
deffein ,  l'en  avoit  détourné.  Il  fe  déroba  au  péril  qui  le  me- 
naçait, ayant  monté  fur  un  cheval  vite  ôc  vigoureux  »  que  lui 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXIV.      w 
prêta  de  Vaux,  premier  écuyer  du  prince  de  Condé.  Lorfqu'on  « 

fçut  qu'il  étoit  échappé,  &  que  de  Vaux  lui  en  avoit  facilité  François 
les  moyens  ,  celui-ci  fut  arrêté  par  ordre  du  Roi,  &  on  en  fit        ]j 
un  crime  au  Prince  fon  maître,  que  les  Guifes  n'ofant  accu-     i  ç  <$o, 
fer  publiquement,  ne  cefloient  de  décrier  dans  l'efprit  de  Ca- 
therine de  Medicis.  Le  cardinal  de  Lorraine  fur-tout  repré- 
fentoit  à  cette  princeffe  les  dépofitions  des  coupables  condam- 
nez ,  les  juftes  foupçons  qui  en  réfultoient  contre  lui,  &  la  fa- 
veur dont  ilhonoroit  fecretementen  toute  occafion  les  Luthé- 
riens. Il  preffoit  qu'on  remédiât   de  bonne  heure  aux  maux , 
qui  menaçaient  l'Etat;  ajoutant  que  la  France  étoit  agitée  de 
grands  troubles  ,  que  plufieurs  fe  difoient  déjà  du  parti   du 
prince  de  Condé  ,  ôc  que  la  chofe  étoit  venue  à  un  point  ,que 
le  Royaume  alloit  être  divifé  par  plufieurs  factions  :  Qu'il  y 
avoit  des  armes  cachées  dans  fa  maifon  ,  ôc  que  plufieurs  hom- 
mes armez  ,  fescréatures  dévouées ,  affiégeoient  tous  les  jours  la 
Cour  :  Qu'il  étoit  tems  enfin  d'arrêter   cette  licence  par  un 
exemple  éclatant  ,  pour  contenir  par  la  terreur  les  peuples  dans 
le  devoir.  Catherine  n'ayant  pas  cru  devoir  négliger  un  avis 
qui  interefïbit  fa  propre  fureté  ,  donna   ordre   à  Nicolas  de 
Brichanteau  de  Beauvais  de  faire  une  exacte  recherche  dans 
l'Hôtel  du  Prince  ,  où  il  ne  trouva  aucunes  armes.  Enfin  cette 
Princeffe  l'appella  dans  fon  cabinet ,  par  le  confeil  du  cardinal 
de  Lorraine,  ôc  lui  découvrit  les  bruits  qui  couroient ,  ôc  les 
juftes  foupçons  qu'on  avoit  de  lui ,  l'avertiffant  doucement  de 
ne  fe  pas  deshonorer  par  des  liaifons  criminelles  avec  des  fé- 
ditieux.  Le  Cardinal ,  qui  étoit  prefent ,  prit  un  vifage  ferein  s 
ôc  affecta  des  manières  remplies  de  confiance  pour  le  Prince  ;  ôc 
parlant  après  la  Reine,  il  le  conjura  de  vouloir  bien  déférer  aux 
îages  avis  qu'on  venoit  de  lui  donner  ,  ôc  le  pria  de  confen- 
tir  qu'on  fît  venir  les  coupables  qui  étoient  encore   dans  les 
prifons, que  la  Reine  interrogeroit  elle-même  ,  durant  qu'il  fe- 
roit  caché  derrière  une  tapifferie.  Condé  refufa  cette  propo- 
rtion ;  difant ,  qu'il  ne  fçavoit  ce  que  c'étoit,  que  de  fe  cacher, 
ôc  qu'on  ne  pouvoit ,  fans  lui  faire  injure ,  interroger  des  cri- 
minels fur  fon  fujet. 

Cependant ,  ayant  peu  après  confulté  fes  amis  ,  pour  fçavoir 
s'il  entreprendroit  fa  défenfe  ,  ou  s'il  mepriferoit  des  bruits  po- 
pulaires ,  que  le  tems  difliperoit  bien-tôt ,  il  avoit  pris  le  parti 


4P6  HISTOIRE 

,,  ..-■■■■■->  de  garder  le  filence.  Mais  piqué  vivement  de  ce  que  le  Roi 
François  ^  avo^  ^proche  lui-même  fa  complicité  avec  les  coupables, 
u1  6c  fçachant  que  les  AmbafTadeurs  des  Princes  étrangers  avoient 
£  mandé  à  leurs  maîtres  ce  qu'on  penfoit  de  lui  à  la  Cour  de 
France  ,  il  demanda  au  Roi  une  audience  publique  ,  pour  éloi- 
gner l'infamie  dont  on  vouloit  le  couvrir.  Il  parla  au  Roi  en 
préfence  de  la  reine  Mère  ,  des  princes  de  Guife ,  ôc  des  Am- 
bafTadeurs des  princes  étrangers  ,  &  eiTaya  de  fe  juftifier  avec 
une  confiance  digne  de  fa  haute  qualité  ,  ôc  avec  cette  élo- 
quence qui  lui  étoit  naturelle.  Il  ajouta ,  que  s'il  fe  trouvoit 
quelqu'un  qui  ofât  foûtenir  qu'il  eût  tenté  de  corrompre  la  fi- 
délité des  villes  ,  ôc  de  féduire  les  François  contre  la  perfonne 
facrée  du  Roi  ,  ou  qu'il  fût  l'auteur  de  la  confpi ration ,  il  étoit 
prêt  à  prouver  fon  innocence  par  un  combat  fingulier  5  vou- 
lant bien  en  cette  occafion  renoncer  aux  prérogatives  de  fon 
rang.  Le  duc  de  Guife  dit  alors  en  l'interrompant,  qu'il  étoit 
honteux ,  qu'on  ofât  imputer  un  crime  fi  noir  à  un  fi  grand 
Prince ,  ôc  que  fi  on  en  venoit  à  un  combat ,  il  étoit  difpofé 
à  lui  fervir  de  fécond.  On  doute  avec  raifon  ce  que  l'on  doit 
admirer  en  ceci,  ou  l'extrême  confiance  du  Prince  lorfqu'il 
fit  ce  défi ,  ou  la  profonde  difîimulation  du  Duc  s  lorfqu'il  parla 
en  faveur  de  fon  ennemi.  Perfonne  ne  s'étant  préfenté  pour  ac- 
cepter le  cartel ,  Condé  fupplia  le  Roi  de  ne  plus  prêter  l'o- 
reille à  l'avenir  à  des  difcours  faux  ôc  calomnieux  ,  mais  de 
vouloir  bien  le  regarder  comme  un  fujet  fidèle  ,  ôc  comme 
un  prince  de  fon  Sang ,  qui  lui  feroit  toujours  inviolablement 
attaché. 

Le  Cardinal  ofoit  rendre  fufpecte  la  conduite  du  roi  de  Na- 
varre. Il  difoit  que  Mazere,  un  des  chefs  de  la  révolte  ,  étoit 
un  de  fes  domeftiques ,  ôc  avoit  époufé  par  fa  protection  une 
riche  héritière  de  Bearn.  Mais  le  fervice  important  qu'An- 
toine venoit  de  rendre  ,  en  taillant  en  pièces  par  ordre  de  la 
Cour  deux  mille  foldats ,  qui  avoient  pris  les  armes  dans  le  payis 
d'Agen  à  la  perfuafion.de  la  Renaudie ,  fervoit  deréponfeaux 
calomnies  du  Cardinal.  Jean  deFerrieres,  dit  l'aîné  Maligni, 
fut  foupçonné,  parce  qu'il  étoit  un  des  favoris  du  roi  de  Na^> 
varre  ;  ôc  il  quitta  la  Cour  pour  éviter  la  prifon.  Peu  après 
Avenelles ,  foit  qu'il  fe  repentît  de  ce  qu'il  avoit  fait,  foit  qu'il 
craignît  pour  lui-même  ,  s'exila  volontairement ,  pour  ne  plus 

paroître 


D  E  J.  A.   DE  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXIV.       497 

paroître  devant  ceux  qu'il  avoit  fi  cruellement  offenfez.  Il  fe 
retira  en  Lorraine ,  où  le  Duc  lui  donna  une  première  charge 
de  juridicature  dans  une  ville  ,  à  la  recommandation  des  prin-  RAÎ^0IS 
ces  de  Guife.  Au  refte  c'étoit  un  homme  de  bien  ,  eftimé  par 
fon  fcavoir  ,  qui  toute  fa  vie  fuivit  la  Religion  des  Proteftans.  l  °* 
Il  leur  rendit  toujours  de  bons  offices ,  6c  aida  de  fes  biens  ceux 
de  cette  religion  ,  qui  quittant  la  France  ,  pafîbient  par  la 
Lorraine  j  à  l'occafion  despourfuites  qu'on  faifoit  contr'eux  ; 
enforte  qu'il  y  a  tout  lieu  de  croire,  qu'il  révéla  la  conjura- 
tion, moins  par  les  vues  d'un  intérêt  fordide  ,  que  par  un  pur 
motif  de  confcience,  ôc  parce  qu'il  crut  que  tous  complots  ; 
ôc  toutes  confpirations  font  illicites ,  fous  une  puifîance  légi- 
time. 

En  ce  tems-là  le  Chancelier  Olivier  fut  frappé  dune  mala-  r,Moitj  <îu 
die  mortelle ,  caufée  plutôt  par  fes  ennuis ,  ôc  par  l'état  dé-  olivier. 
plorable  où  il  voyoit  fa  patrie  ,  que  par  fon  âge  avancé.  On 
dit  que  le  cardinal  de  Lorraine  l'étant  allé  voir  dans  fon  lit  , 
quelques  heures  avant  fa  mort ,  ôc  en  ces  derniers  inftans,où 
l'on  ne  doit  plus  au  monde  que  la  vérité ,  Olivier  fe  tourna  de 
l'autre  côté  pour  ne  le  pas  voir ,  biffant  échapper  de  tems  en  tems 
quelques  reproches,  qui  faifoient  comprendre  qu'on  lui  avoit 
fait  violence.  C'eft  ainfi  qu'au  milieu  des  foupirs  Ôc  des  gemif- 
femens,  il  remit  fon  ame  à  Dieu,  après  avoir  rendu  durant  fa 
vie  de  grands  fervices  à  la  France.  Ce  perfonnage  étoit  très- 
digne  de  la  place  éminente  qu'il  occupoit ,  s'il  y  eut  été  élevé 
dans  des  tems  moins  fâcheux, ôc  fi  les  premiers  miniftres,  qui 
de  fon  tems  gouvernoient l'Etat,  euflent  écouté  plus  favorable- 
ment fes  fages  confeils.  La  Cour  délibéra  quelque  tems,  pour 
lui  choifir  un  fucceffeur.  Jean  de  Morvilliers  évêque  d'Orléans 
refufa  cet  honneur.  Ce  Prélat ,  qui  devoit  fon  élévation  aux 
princes  Lorrains ,  étoit  d'un  caractère  fage  ôc  modéré.  On  dit 
qu'il  s'excufa  de  l'accepter  ,  moins  par  modeftie ,  que  dans  la 
vue  des  maux  qu'il  prévoyoit  ,  ôc  parce  qu'en  ces  tems  diffi- 
ciles il  ne  croyoit  pas  pouvoir  foûtenir  un  fi  pefant  fardeau. 
Ce  qui  eft  certain ,  c'eft  qu'il  fe  contenta  d'avoir  été  nommé , 
ôc  qu'il  fe  fit  honneur  de  fon  refus ,  lorfqu'il  ne  pouvoit  igno- 
rer que  cette  fuprême  Magiftrature  étoit  deftinée  à  un  autre. 
C'étoit  Michel  de  l'Hôpital  d'une  naifiance  médiocre ,  mais 
Tome  III.  Rrr 


4P3  HISTOIRE 

1  '  ^  d'un  génie  fort  élevé  >  ôc  d'un  mérite  reconnu  K  II  avoit  paiïe 

François  fucceilivement  par  tous  les  honneurs  de  la  Robe }  ôc  avoit  fait 
IL        voir  dans  tous  ces  emplois  une  rare  prudence,  un  grand  fça* 
i  $  60.    voir  ôc  une  exacte  probité.    Il  fut  confeiller  au  Parlement  , 
L'Hôpital    préfident  delà  Chambre  des  Comptes,  maître  des  Requêtes ,. 
celier.         "  &  confeiller   d'Etat,  en  un  teins  où  le  nombre  n'avoit   pas 
encore  avili  cette  dignité.  Il  avoit  accompagné  jufqu'à  Nice 
Marguerite  de  France ,  en  qualité  de  fon  Chancelier  ,  lors- 
qu'elle eut  époufé  le  duc  de  Savoye  s  Jacqueline  de  Lonvy 
duchefTe  de   Montpenfïer ,  favorite  de  la  reine  Mère*  le  fit 
nommer  Chancelier  de  France. 

Cette  princefle  d'un  efprit  élevé  ne  voyoit  qu'avec  peine , 
que  la  puiffance  des  Lorrains  croiffoit  de  jour  en  jour;  ôt  com- 
muniquant fes  chagrins  à  Catherine  de  Medicis,  qui  commen- 
çoit  à  redouter  la  violence  de  ces  Princes  ,  elle  perfuada  à 
cette  Reine  ambitieufe  ,  que  fi  elle  vouloir  gouverner  ,  elle 
devoit  choifir  un  homme  ferme  &  courageux,  qui  s'oppofât 
à  leurs  defTeins.  Heureufement  Michel  de  l'Hôpital  étoitfort 
bien  dans  Fefprit  du  cardinal  de  Lorraine  ,  à  qui  il  avoit  tou- 
jours jufques-là  fait  fa  cour,  ôc  le  Roi  n'ignoroit  pas  fon  mé- 
rite ,  6c  les  beaux  vers  qu'il  avoit  compofez ,  pour  former  Fef- 
prit ôc  le  cœur  des  Enfans  de  France.  La  reine  Mère  ayant 
demandé  pour  lui  cette  dignité  au  Roi ,  ôc  l'ayant  obtenue  j 
les  princes  de  Guife  y  confentirent.  Catherine  fit  dire  fecrete- 
ment  au  nouveau  Chancelier ,  qu'il  ne  devoit  qu'à  elle  fa  di- 
gnité ,  ôc  non  aux  Guifes ,  ôc  qu'elle  comptoit  qu'il  feroit  plus 
attaché  au  Roi  fon  fils ,  &  à  elle ,  qu'à  des  Princes ,  dont  tout 
le  monde  commençoit  à  détefter  l'ambition.  Elle  n'eut  pas  lieu 
de  fe  repentir  de  fon  choix.  Car  on  n'avoit  point  vu  depuis 
plufieurs  fiécles  un  homme  plus  digne  de  cette  première  ma- 
giftrature ,  ôc  qui  eut  fait  voir  plus  de  fermeté  ôcde  courage, 
pour  s'oppofer  à  l'ambition  ôc  à  la  cupidité  des  courtifans.  Mais 
les  foins  qu'il  prit ,  pour  rétablir  le  Royaume  dans  fon  ancien 
éclat,  pour  infpirer  à  un  jeune  Roi  de  fages  maximes  ,  ôc 
pour  foûtenir  les  mœurs  contre  la  corruption  de  la  Cour  s 
furent  traverfez  par  la  brigue  de  gens  plus  puiflans  que  lui  : 


1  II  étoit  fils  d'un  Médecin  de  la 
duchefTe  de  Lorraine  ;  n'e'tant  pas  de 
i'illuftre  &  ancienne  raaifon  de  l'XJô- 


pital-Choifi ,  qui  a  produit  plufieurs 
grands  hommes ,  ôc  un  Maréchal  de 
France, 


DE  J.  A  DE  THOU,  Lrv.   XXIV.      4Pp 

Cnforte  que  les  fages  purent  conje&urer  de  là ,  que  l'Etat  étoit 
menacé  d'une  révolution  fatale.  Lorfque  l'Hôpital  eut  appris  FRANC0IS 
fon  élévation  ,  il  crut  qu'avant  que  d'y  confentir  ,  il  devoit  jj/ 
prendre  des  mefures  avec  le  cardinal  Bertrandi ,  qui  étoit  en  i  ç*  tf  o. 
Italie.  Ce  dernier  avoit  été  nommé  Garde  des  Sceaux  ,  lors- 
qu'on avoit  relégué  Olivier  dans  fa  maifon  ,  &  fes  Lettres  de 
provision ,  qui  avoient  été  enregiftrées  au  Parlement,  de  l'exprès 
commandement  du  feu  Roi  ,  portoient,  que  fi  Olivier  mou- 
roit  avant  lui ,  il  lui  fuccederoit  dans  la  dignité  de  Chancelier. 
Ainlî  l'Hôpital  ne  voulut  faire  aucune  fonction  de  fa  char-; 
ge  ,  qu'après  que  Bertrandi  eut  renoncé  à  fon  droit. 


Fin  du  vingt- quatrième  Livre, 


Rrrij 


5oo  HISTOIRE 


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HISTOIRE 

DE 

JACQUE     AUGUSTE 

DE     T  H  O  U. 

LIVRE  VINGTC1NQVIEME* 

i"  jèîèîtfftf^^WRîèîSSè  P  R  E's  Ie  châtiment  des  Conjurez ,  le 

François  ^  n—<?rt<^-n  ^  Connétable  qui  réfidoit  à  Chantilli, 

IL         *    „      b^ :^~  h   *  &  qui  étoit  fur  le  point  d'aller  en  Poi- 

*  J  o  o.     ^  ro  Ç  "  rô  ?*  tou  *  en  -Bretagne  ,  pour  voir  Jeanne 

Suite  des     ^2  S  §     A     g  S  2^  de  Montmorenci  fa  nlle,femme  du  fei- 

aires  de      £g  g  §   ^/"\  S  g*  ]f$  gneur  Louis  de  la  Trimoùille ,  ôc  pour 


Sc^c^s^câ       2^  vifiter  fa  terre  de  Château-briant ,  Ôc 


s     0=2(2:23=0  £g  fes  autres  domaines  ,  reçut  des  lettres 

vwiwwiwiw^'vv  du  Roi,  qui  lui  commandoit  de  fe  ren- 
^$fc8W**$^  dre  au  Parlemem  de  paris  t  &  de  fai- 

re  part  en  fon  nom  à  cette  compagnie  de  ce  qui  s'étoit  pafle 
à  Amboife.  Ce  fut  le  28  de  Mars  qu'il  vint  au  Palais  ,*&  qu'ayant 
expofé  les  ordres  du  Roi ,  il  loua  le  duc  de  Guife  ,  &.  le  car- 
dinal de  Lorraine,  fur  les  foins  qu'ils  s'étoient  donnez  en  cette 
occafion.  Mais  ces  Princes  furent  peu  fatisfaits  de  la  manière 
dont  il  s'étoit  acquitté  de  fa  commiffion.  Carilavoit  dit,  que 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.         yot 

fi  un  particulier  ne  pouvoit  fouffrir  qu'on  fît  dans  famaifon  vio-  ■  * 

lence  à  un  de  fes  amis  ,  à  plus  forte  raifon  le  Roi  avoit  dû  être  FRANcOIS 
irrité ,  que  des  féditieux  fè  fuffent  affemblez,  pour  attaquer  jj  5 
dans  le  château  d'Amboife  ,  où  il  étoit  ,  des  perfonnes  j  ç  60, 
qu'il  honoroit  de  fa  confiance.  Or  ce  n'étoit  pas  là  le  fyftême 
des  Guifes.  Us  vouloient  qu'on  publiât,  &  qu'on  crût,  que  la 
conjuration  avoit  été  formée  contre  le  Roi ,  la  Reine  fa  mè- 
re ,  ôc  les  Princes  fes  frères ,  par  des  hérétiques ,  qui  ayant  violé 
la  foi  qu'ils  dévoient  à  Dieu  ,  avoient  ofé  attenter  à  la  per- 
fonne  du  Prince  ,  pour  renverfer  l'Etat ,  répandre  par  tout  la 
confufion  ôc  ledéfordre  ,  ôc  établir  en  France  une  République 
femblable  à  celle  des  Suiffes.  Les  Préfidens  ôc  les  Confeillers 
donnèrent,  à  l'envi  les  uns  des  autres ,  de  grandes  louanges  aux 
Princes  Lorrains ,  ôc  les  efprits  s'étant  tournez  à  la  flatterie,  dans 
leur  réponfe  au  Roi ,  ils  joignirent  à  cette  lettre  une  autre  pour 
ïe  duc  de  Guife ,  contre  Fufage  ,  ôc  la  dignité  de  cet  augufte 
corps  •■>  donnant  à  ce  Prince ,  par  une  lâche  ôc  honteufe  adu- 
lation le  titre  de  Confervateur  de  la  patrie. 

On  envoya  une  copie  des  lettres  du  Roi  aux  Gouverneurs  Ecrit  de? 
des  Provinces ,  le  dernier  jour  du  mois  de  Mars ,  ôc  on  leur  Preteftanas 
ordonna  de  prendre  garde  que  cette  nouvelle  n'excitât  des  trou- 
bles. Ces  lettres  remplies  de  chofes  peu  favorables  aux  Pro- 
teftans,  qu'on  nommoit  les  auteurs  de  la  dernière  confpiration, 
ne  demeurèrent  pas  fans  réponfe.  On  publia  un  écrit  >  qui  re- 
jettoit  les  malheurs  paiTez  fur  les  Guifes ,  qu'on  foutenoit  de- 
voir rendre  compte  de  leur  adminiftration  dans  l'affemblée  des 
Etats  généraux.  Des  perfonnes  inconnues  le  portèrent  à  Paris 
Ôc  à  Rouen ,  ôc  trouvèrent  moyen  d'en  faire  donner  des  co- 
pies aux  Parlemens  de  ces  deux  villes.  Celui  de  Paris  en  ayant 
fait  peu  de  cas,  l'envoya  au  cardinal  de  Lorraine  par  un  Huif- 
fier.  Mais  le  Parlement  de  Rouen  jugea  à  propos  de  députer 
quelques  Confeillers ,  pour  le  porter  au  Roi.  Les  Guifes  craig- 
nant qu'une  telle  députation  ne  donnât  de  la  réputation  ôc  du 
cours  au  libelle  >  ôc  ne  les  rendît  plus  odieux  ,  empêchèrent 
ces  Magiftrats  de  voir  le  Roi ,  ôc  les  renvoyèrent. 

Le  Roi  écrivit  une  longue  lettre  dattée  du  p  d'Avril  au  Roi     lettre  ê* 
de  Navarre ,  gouverneur  de  Guienne.  Sa  Majefté  difoit  >  que  RoiauRoifo 
par  un  effet  de  la  bonté  divine,  il  avoit  découvert  une  confpi-     avanre* 
lotion  formée  contre  fa  perfcnne  >  ôc  en  avoit  été  heureufement 

Rrr  iij 


joa  HISTOIRE 

garanti.   Il  en  rapportait  toutes  les  circonftances ,  que  pîu- 
vnix1/.ATO  fieurs ,  difoit-il,  publioient  autrement  qu'elles  n'étoient,  par 

FRANÇOIS  n     r>       •  i     •  J  1-  ri        -a  5i     ,       •      *, 

tj'  une  affectation  pleine  de  malice.  Jl  ajoutent  ,  quil  etoit  de- 
r  6  o  meuré  conftant ,  que  des  hommes  prévenus  de  crimes  capi- 
*  taux ,  dont  les  uns  avoient  été  condamnez  par  contumace ,  ôc 

dont  les  autres  çraignoient  la  fé  vérité  des  loix  ,  avoient  atten-» 
té  à  fa  vie ,  ôc  à  celle  des  Reines ,  ôc  des  Princes  fes  frères, 
dans  la  vue  de  renverfer  l'Etat ,  ôc  d'établir  une  nouvelle  for- 
me de  gouvernement  ;  que  ces  médians  ,  bien  perfuadez  que 
les  François  toujours  fidèles  à  leurs  Rois  s'oppoferoient  à  leurs 
deffeins,  avoient  aflbcié  à  leurs  projets  criminels  les  miniftres 
de  la  Religion  nouvelle ,  gens  amis  des  troubles ,  ôc  artifans  de 
fraudes,  qui,  fous  le  prétexte  fpécieux  de  la  pieté,  avoient  en- 
gagé  des  infenfez  à  prendre  les  armes ,  pour  le  forcer  à  approu- 
ver une  Religion  tant  de  fois  condamnée,  ou  pour  opprimer 
îeur  Souverain  dans  fon  Palais  >  avec  la  maifon  Royale.  Au  refte 
ce  Manifefte,  compofé  pour  animer  les  peuples,  ne  faifoit  point 
mention  des  Princes  de  Guife,  afin  qu'on  imputât  au  Roi,ôcnon 
à  eux  ,  la  rigueur  des  fupplices.  On  y  parloit  du  Prince  de  Con- 
,dé  en  termes  honorables ,  mais  équivoques  5  enforte  qu'en  l'ex* 
eufant  on  fembloit  l'accufer.  Car  on  difoit  que  tous  les  com- 
plices l'avoient  chargé  dans  leurs  dépositions ,  dont  le  Roi  néan- 
moins avoit  reconnu  la  fauffeté  j  ôc  que  ce  Monarque  avoit 
vu  avec  joye  l'innocence  d'un  Prince  de  fon  fang,  qui  lui  étoit 
fi  cher,  prouvée  par  des  témoignages  autentiques.  Enfuite  le 
Roi  prioit  ces  deux  Princes  de  s'unir  pour  la  défenfe  de  l'E- 
tat. Enfin  adrefTantle  difeours  au  Roi  de  Navarre,  Prince  cré- 
dule ,  il  i'exhortoit  à  pourfuivre  avec  fon  zélé  ordinaire  le  refte 
des  Conjurez ,  dont  il  lui  en  déiignoit  deux  ,  comme  très-dan- 
gereux a  Boifnormandjôc  un  nommé  David  ci-devant  moine, 
qui  paflbit  tantôt  dans  un  parti,  ôc  tantôt  dans  un  autre. 

Le  Roi  de  Navarre  exécuta  ponctuellement  les  ordresde 
la  Cour ,  ôc  après  avoir  défait  quelques  troupes  répandues  fans 
difeipline  dans  le  payis  d'Agen,  il  traita  avec  beaucoup  de  fé- 
vérité  toutes  les  personnes  ïufpeetes ,  ôc  les  obligea  de  fortir 
de  Guienne.  Le  Roi  écrivit  aulîi  aux  Princes  étrangers ,  fur  la 
conjuration  d'Amboife.  Comme  on  difoit  publiquement,  que 
les  Princes  alliez  d'Allemagne  avoient  favorifé  les  Conjurez, 
Bernard  Bochetel,  depuis  Evêque  de  Rennes,  fut  envoyé  à 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV,       yoj 

F  électeur  Palatin ,  au  Landgrave  de  Hefle  ,  ôc  au  duc  de  Wir- 
temberg.  Ce  Miniftre ,  fous  prétexte  de  renouveller  l'alliance  FRANCOIS 
de  la  France  avec  eux,  les  fit  fouvenir  de  tout  ce  qu'ils  de-        tt  5 
soient  à  la  mémoire  du  feu  Roi ,  ôc  leur  expofa  le  détail  de     t  c  6  o 
la  confpiration  d'Amboife.  L'inftru&ion  de  l'envoyé  portoif, 
qu'il  dit  à  ces  Princes  :  que  plufieurs  des  conjurez  ayant  été  Rcilnetqen- C 
interrogez  au  milieu  des  tourmens ,  fi  des  Princes  d'Allemagne  vo>'é  vers  Ies 
ne  les  avoient  pas  encouragez  à  entreprendre  ce  qu'ils  avoient  E""<ïf.T«ll 

c  •  *i  »  ri'  n  it>-  îemagne.i.ciij, 

tait  ,  ils  avoient  avoue  des  circonitances ,  que  le  Roi  vou-  réponfe. 
k>it  bien  ne  pas  croire  véritables  ;  perfuadé  qu'il  étoit  ,  que 
les  Princes  de  l'Empire  étoient  bien  éloignez  de  vouloir  favo- 
rifer  des  révolutions  dans  les  Etats  voifins  :  Qu'au  refte  ils  dé- 
voient cultiver  avec  foin  l'amitié  du  Roi  qui  leur  avoit  été  fi 
utile ,  ôc  préférer ,  pour  leur  propre  intérêt  ,  aux  diffentions  ôc 
aux  troubles,  la  tranquillité  de  la  France.  Les  Princes  Alle- 
mands répondant  à  Bochetel  s'étendirent  fort  au  long  fur  les 
anciennes  liaifons  de  la  France  ôc  de  l'Empire ,  ôc  parlèrent 
en  termes  magnifiques  des  avantages  que  cette  union  avoit 
procurez  à  l'Allemagne  ;  du  refte  ils  dirent  peu  de  chofes  par 
rapport  à  eux,  ôc  parlèrent  là-deifus  avec  une  grande  retenue, 
Ils  ajoutèrent ,  qu'ils  n'avoient  jamais  eu  part  aux  deffeins  des 
factieux  5  que  la  per-fonne  des  Rois  leur  avoit  toujours  paru  fa- 
crée,  ôc  l'autorité  des  JVÎagiftrats  refpe&able  :  mais  que  le 
Roi  devoit  être  extrêmement  en  garde  contre  les  confeils  de 
quelques-uns ,  qui  guidez  par  la  paflîon  ôc  la  haine ,  perfécu- 
toient  des  innocens  :  qu'ainii  ils  fupplioient  le  Roi  de  furfeoir 
les  fupplices,  où  l'on  condamnoit  des  hommes  de  mœurs  irré- 
prochables ;  fe  croyant  en  droit  de  lui  demander  cette  grâce,- 
en  faveur  de  ceux  de  fes  fujets ,  qui  avoient  fur  la  Religion  les 
mêmes  fentimens  qu'eux  :  Qu'au  refte  ils  nevoyoient  point  de 
meilleur  moyen  pour  calmer  les  troubles  de  la  France  ,  que 
de  pratiquer  ceux  qu'on  avoit  fi  utilement  employés  en  Alle- 
magne en  de  pareilles  circonftances  ;  c'étoit  de  permettre  le 
libre  exercice  de  la  Religion  dans  fon  Royaume» 

Sur  ces  entrefaites  ,  l'amiral  de  Coligni  ôc  d'Andelot  fon  frè- 
re quittèrent  la  Cour,  redoutant  la  puiffance  des  Princes  de 
Guife,  contre  lefquels  l'Amiral  avoit  parlé  peut-être  avec  trop 
de  franchife ,  dans  les  entretiens  particuliers  qu'il  avoit  eus  avec 
Catherine  de  Médicis.  Comme  il  demandoit  à  cette  Princefle 


ïo*  HISTOIRE 

■  .  ■  la  permiïfion  defe  retirer  de  la  Cour,  elle  lui  commanda  d'al- 

Francois  ^er  en  ^orman^e^>  Pour  calmer  les  troubles  de  cette  Provin- 
jj*  ce,  ôc  le  chargea  d'examiner  les  motifs  de  la  fédition ,  ôc  de 
£  lui  en  envoyer  un  récit  fidèle.  L'Amiral  écrivit  à  la  Reine  mè- 
re, que  l'ambition  des  Lorrains  étoit  la  feule  caufe  des  trou- 
bles >  ôc  que  fi  elle  vouloit  conferver  l'Etat  ôc  la  perfonne  du 
Roi  y  elle  devoit  faire  obferver  religieufement  les  édits  don- 
nez en  faveur  des  Proteftans ,  ôc  faire  ceffer  les  fupplices.  Peu 
de  tems  aptes  les  prifonniers-  qu'on  gardoit  à  Blois  ,  qui  y 
avoient  étéplufieurs  fois  interrogez,  ôc  dont  même  quelques- 
uns  avoient  été  appliquez  à  la  queftion ,  s'échappèrent  avec  des 
cordes,  qu'on  leur  avoit  données  en  cachette,  ou  briferentles 
portes.  Ceux  qui  étoient  à  Tours  firent  la  même  chofe  ,  en- 
tr 'autres  Robert  Smart, ôc  Anfelmede  Soubfelles,  qu'on  avoit 
amenez  du  château  de  Vincennes.  Mais  le  gouverneur  de  Saint 
Aignan,  étant  tombé  de  fort  haut  en  voulant  s'échapper,  fe  blefia 
dangereufement ,  ôc  fut  repris.  Stuart  ôc  Soubfelles  écrivirent 
après  leur  évafion  au  cardinal  de  Lorraine  une  lettre,  dont  il 
fut  piqué  jufqu'au  vif.  Ils  lui  difoient  malignement ,  que  la 
fuite  des  prifonniers  de  Blois  leur  avoit  donné  une  grande  dou- 
leur ,  par  rapport  au  chagrin  qu'ils  fçavoient  qu'elle  caufoit  à 
fon  Eminence  h  qu'ils  avoient  pris  le  parti  de  fuir  aufïi ,  pour 
atteindre  les  fuyards  5  ôc  que  dès  qu'ils  les  auroient  pris ,  com- 
me ils  l'efpéroient ,  ils  ne  manqueroient  pas  de  l'aller  trouver 
bien  accompagnez. 

Le  [cardinal  de  Lorraine ,  naturellement  timide ,  ôc  craignant 
une  féconde  confpiration ,  propofa  un  nouvel  édit,  où  le  Roi 
difoit  d'abord  :  Qu'il  ne  vouloit  pas  enfanglanter  les  prémices 
de  fon  règne  par  le  fupplice  de  fes  fujets  ;  mais  qu'il  aimoit 
mieux,  à  l'exemple  du  Père  celefte  ,  leur  pardonner,  épargner 
leur  fang ,  ôc  les  faire  rentrer ,  s'il  étoit  pofïible ,  dans  îe  che- 
min de  la  vérité  ;  efperant  plus  à  l'avenir  de  l'indulgence  ôc 
de  la  douceur ,  que  de  la  févérité  des  loix  :  Qu'ainfi  il  donnoit 
une  amnifhe  générale  des  crimes ,  que  fes  fujets  avoient  com- 
mis à  i'occafion  de  la  Religion ,  pourvu  qu'ils  rentraflent  dans 
le  fein  de  l'Eglife  Romaine.  On  fit  enfuite  au  mois  de  Mai 
l'Edit  de  Romorantin  ,  qui  prit  fon  nom  du  lieu  où  il  fut  don- 
né. Le  Roi  difoit  dans  cet  édit  :  Qu'il  avoit  deux  chofes  fur- 
tout  en  grande  recommandation ,  la  pieté  envers  Dieu  ,  ôc  la 

tranquillité 


DE  J.  A.  DE  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXV.       ?or 

tranquillité  publique;  il  ordonnent  qu'à  l'cxclufion  des  Cours 
du  Royaume,  la  connoiffaiice  du  crime  d'heréfie  appartien-  François 
droit  à  l'Evêque.  Nous  avons  dit  ci-defîlis  ,  avec  quel  coura-  j  j" 
ge  le  Parlement  de  Paris  avoit  foutenu  fa  compétence  fur  \  <  6  o, 
cette  matière  cinq  ans  auparavant.  Cependant  les  Ecrivains 
de  ce  tems  là,  bien  loin  de  blâmer  le  chancelier  de  l'Hofpi- 
tal  d'avoir  confenti  à  cet  édit  >  donnent  de  grands  éloges  à  fa 
prudence.  Ce  Magiftrat,  difent-ils,  ne  pouvant  tenir  le  droit 
chemin  dans  le  maniment  des  affaires  ,  parce  que  la  violen- 
ce des  Guifes  l'en  écartoit  toujours  ,  du  moins  par  un  détour 
heureux,  il  a  fait  enforte,  en  fage  pilote,  que  le  navire  qu'il 
conduifoit  ,  ne  fut  pas  brifé  contre  des  écueils  ,  6c  voguât 
fans  faire  naufrage  :  il  a  évité  par  là  d'impofer  à  la  France  le 
joug  odieux  de  l'inquifition  Efpagnoîle ,  dont  on  avoit  parlé 
tant  de  fois  fous  le  règne  du  feu  Roi ,  ôc  dont  les  Guifes  de- 
mandoient  l'établiffement  avec  tant  d'ardeur ,  dans  la  vûë  qu'elle 
donneroitune  force  nouvelle  à  leur  autorité  démefurée.  Quant 
à  la  féconde  partie  de  l'édit,il  défendoit  toutes  affemblées  ôc 
toutes  féditions  au  fujet  de  la  Religion  nouvelle ,  ôc  ordonnoit 
2ux  juges  des  lieux  (  que ,  quoi  qu'inférieurs,  on  déclaroit  Souve- 
rains à  cet  égard)  de  s'informer  exactement  des  coupables,  de 
confifquer  leurs  biens,  ôc  de  recompenfer  les  délateurs;  ôc  afin 
qu'il  ne  parût  pas  qu'on  voulût  autorifer  les  fauffes  dénoncia- 
tions, les  calomniateurs  étoient  déclarez  fujets  à  1a  peine  du 
Talion.  On  recommandoit  fur-tout  aux  Curez ,  d'avoir  un  foin 
tout  particulier  du  troupeau  qui  leur  étoit  confié ,  de  raffurer 
les  efprits  chancelans,  ôc  de  fortifier  leurs  paroifTiens  dans  l'an- 
cien culte ,  par  leur  préfence  ,  par  leur  exemple  ,  par  des  mœurs 
irréprochables ,  ôc  par  leurs  prédications. 

Depuis  ce  tems  là  le  cardinal  de  Lorraine  3  foit  par  politi- 
que, foit  par  crainte,  fembla  changer  de  conduite  envers  les 
Proteftans.  Il  reçût  même  chez  lui  leurs  Miniftres ,  conver- 
fant  familièrement  avec  eux ,  ôc  les  écoutant  difputer  fur  des 
points  de  Religion  conteftez.  Pour  faire  croire  aufli  qu'il 
vouloit  travailler  férieufement  à  pacifier  les  troubles,  ôc  écou- 
ter les  plaintes  de  tant  de  gens  qui  demandoient  l'ailemblée 
des  Etats ,  il  confeilla  à  la  Reine  mère  d'aflembler  à  Fontai- 
nebleau les  Princes ,  les  principaux  Seigneurs  ôc  Gentilshom- 
mes du  Royaume  j  les  Chevaliers  de  l'Ordre,  ôc  les  premiers 
Tome  II L  Sff 


$06  HISTOIRE 

.  Magiftrats ,  afin  de  convenir  des  mefures  qu'il  falloit  prendre 
François  Pour  ^e  bien  de  l'Etat.  Peu  de  rems  après ,  on  vit  de  nouvelles 
jj  '       îemences  de  difcorde  entre  le  Connétable  ôc les  Guifes  :  ceux- 
i  ç  60,    cl  av°ient  bien-tôt  oublié  ce  que  Montmorenci  venoit  de  faire, 
pour  eux  au •Parlement ,  lorfque  par  ordre  du  Roi  il  avoit  fait 
Procès  en-  part  à  cette  compagnie  du  châtiment  des  conjurez.  Il  y  avoit 
sneu" de""    un  Procès  entre  Philippe  de  Boulainvilliers  ,  ôc  Odard  de 
fioulainvil-     Rambures  frères  utérins ,  au  fujet  du  comté  de  Dammartin  , 
lUm^u/0      (îue  ^ un  ^  l'autre  pi'étendoit  lui  avoir  été  donné  par  leur  mère 
commune.  Le  Connétable  ayant  acquis  le  droit  de  Boulain- 
villiers 3  le  duc  de  Guife ,  qui  cherchoit  moins  un  procès  qu'une 
occafion  de  chagriner  Montmorenci ,  acheta  fort  cher  quel- 
que tems  après  les  prétentions  de  Rambures.  Il  follicita  mê- 
me Bouiainvilliers  de  fe  relever  de  la  ceffion  qu'il  avoit  faite* 
êc  de  faire  une  donation  du  Comté  au  cardinal  de  Lorraine  fon 
frère.  Mais  cela  ne  lui  réuffitpas.  Les  deux  parties  prirent  des 
lettres-royaux ,  qui  déclaroient  le  duc  de  Guife  ,  Ôc  le  Con- 
nétable fubrogez  aux  droits ,  ôc  aux  actions  de  Rambures  ôc 
de  Boulainvilliers.  Le  Parlement ,  qui  vit ,  qu'àl'occafion  de 
ce  différend ,  les  créatures  du  Connétable  ôc  du  Duc  fe  ren- 
doient  en  foule  à  Paris  ,   ôc  qu'il  y  avoit  lieu  de   craindre 
qu'on  n'en  vînt  à  prendre  les  armes  ,  ordonna  très-fagement, 
que  fans  avoir  égard  au»  lettres  de  fubrogation,  le  procès  s'inf- 
truiroit  ôc  le  jugeroit,  feulement  au  nom  de  Boulainvilliers  ôc 
de  Rambures. 

Au  refte  on  ne  peut  exprimer  combien  tous  les  Seigneurs 
refTentirent  l'injure  qu'on  faifoit  à  Montmorenci.  Ils  ne  pou- 
voient  voir  qu'avec  indignation ,  que  les  Guifes  l'infultaffent 
même  après  fadifgrace  3  ôc  chacun  croyoit  qu'il  devoit  crain- 

vidam^de da  ^re  Pour  ^  un  Pare'^  traitement.  On  dit  que  le  vidame  de 
charges  con-  Chartres  fut  le  plus  irrité ,  Ôc  qu'ayant  eu  à  ce  fujet  une  conféren- 
tre  les  Guifcs.  ce  a  Paris  avec  Gabriel  de  Montmorenci  Monbron  un  des  fils 
du  Connétable 3 il  dit  qu'il  ne  falloit  plus  fouffrir  latémérité  des 
Guifes  :  qu'il  y  avoir  trop  long-tems  qu'ils  abufoient  de  la  bonté 
de  nos  Rois ,  ôc  mettoient  aux  dernières  épreuves  la  patience  de 
la  NoblefTe  5  que  fous  François  I.  Claude  leur  père  avoit  me- 
né de  fon  chef  des  troupes  Françoifes  en  Alface  5  qu'il  avoit 
ofé  dépouiller  Philippe  Chabot  du  gouvernement  de  la  Bour- 
gogne 5  ôc  que  le  duc  de  Guife  d'aujourd'hui,  marchant  fur 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.       ?o7 

les  traces  de  fon  père,  avoit  ôté  à  Antoine  de  Clermont  ^--^^»^« 
Tallard  l  le  gouvernement  du  Dauphiné.  «  Ces  jours  paiTez ,  pRANrQIS 
«  ajouta  le  Vidame  ,  lorfqu'il  s'agiffoit  de  punir  ceux  qu'on  j}^ 
*  nomme  Luthériens  ,  ne  dit-il  pas  dans  le  Confeil ,  comme  x  ç  <j  0 
-  par  mépris  ,  qu'il  commencèrent  par  Antoine  d'Aller  de 
Grammont ,  feigneur  de  Gafcogne ,  fon  beau-frere ,  parce 
qu'étant  dans  une  province  éloignée  du  centre  du  Royau- 
me ,  on  le  pouvoit  faire  avec  plus  de  fureté  ?  On  fçait  ce- 
pendant ,  que  Grammont  iflu  de  la  maifon  d'After ,  la  plus 
illuftre  de  Bigorre  ,  a  époufé  la  nièce  du  cardinal  de  Gram- 
mont, à  condition  de  prendre  le  nom  ôc  les  armes  de  cette 
illuftre  maifon  ;  qu'il  eft  le  plus  puiffant  feigneur  de  Gafco- 
gne ,  ôc  qu'il  n'a  ni  moins  de  vaffaux ,  ni  moins  de  créatu- 
res que  les  Lorrains.  *  Le  Vidame  ajouta,  qu'ils  avoient at- 
taqué au  fujet  de  la  Religion  les  Ferrieres-  Maligni  ,  fils  de 
Louife'  de  Vendôme  j  qu'ainfi  les  Guifes  voulant  renverfer 
l'Etat  ,  ôc  faire  périr  la  noblefie  de  France  3  il  avoit  réfolu  de 
joindre  fes  forces  à  celles  des  Princes  du  fang ,  ôc  des  Gen- 
tilhommes ,  pour  s'oppofer  à  la  puifTance  de  ces  hommes  fu- 
perbes  ;  ôc  qu'après  tout  il  n'étoit  pas  fi  difficile  de  les  rédui- 
re au  rang  qu'ils  dévoient  avoir.  Enfin  pour  fe  venger  du  mé- 
pris que  le  duc  de  Guife  avoit  marqué  pour  les  Gafcons ,  il 
dit ,  qu'en  réduifant  les  princes  Lorrains ,  Princes  du  fécond 
ordre , 2  à  leur  jufte  prix ,  on  les  devoit  regarder  feulement  com- 
me des  comètes  dans  le  monde  des  princes  Chrétiens.  Ces  pa- 
roles ayant  été  rapportées  aux  Guifes ,  hâtèrent ,  à  ce  qu'on 
croit,  la  perte  du  Vidame. 

Cependant  le  Roi  étant  fur  le  point  de  partir  d'Amboife, 
refolut  par  le  confeil  des  Guifes ,  avant  que  de  quitter  la  Tou- 
raine,  de  faire  fon  entrée  folemnelle  à  Tours.  Plufieurs  cru- 
rent qu'il  en  vouloit  ufer  ainfi,  moins  pour  faire  honneur  à  cet- 
te ville,  que  par  un  trait  de  politique,  ôc  pour  contenir  dans 
le  devoir ,  par  fa  préfence  ,  des  habitans ,  dont  la  fidélité  avoit 
paru  fufpecte  dans  la  dernière  conjuration ,  ou  pour  punir  les 
coupables ,  s'il  s'y  en  trouvoit.  Richelieu  fut  envoyé  devant 

i  Monfîeur  de  Thou  employé  dans  |   ttompé  en  cet  endroit. 

le  texte  Laurent  de  Maugiron  ,  au  lieu  ï       z  Minorum  gentium  Principes ,  dit  le 

d'Antoine  de  Clermont- iallard.  Mais  I   texte, 

on  a  des  preuves  que  Mr.  de  Thou  s1  eft  I 

Sffij 


i  ;  6o. 


yo8  HISTOIRE 

■  »  avec  fa  compagnie  d'Arquebufiers  à  cheval ,  gens  femblablës 

François  en  tout  *  leur  capitaine.  Cet  Officier  efperoit  que  quelque  tu- 
1 1  multe  ,  à  fon  arrivée ,  lui  donneroit  lieu  de  piller  les  maifons  , 
ôc  de  faire  un  riche  butin.  Mais  il  s'en  flatta  envahi  ;  car  quoi 
qu'il  fit  plufieurs  infultes  aux  habitans  ,  ôc  que  fa  troupe  les 
traitât  avec  une  brutalité  qu'ils  fçavoient  agtéable  à  leur  Chef, 
il  les  trouva,  contre  fon  efpérance,  difpofez  à  tout  endurer  j 
parce  que  connoiffant  les  defleins  de  Richelieu ,  ils  avoient 
Mafcarade  refolu  d'attendre  patiemment  l'arrivée  du  Roi.  Au  reftele  jour 
plaçante  à  qUe  ]e  ]^0\  fo  fon  entrée  à  Tours  ,  il  arriva  une  chofe ,  que 
Roi  à  Tours.  les  habitans  difoient  être  l'effet  du  hazard,  quoique  je  pen- 
fe  le  contraire  :  elle  piqua  jufqu'au  vif  les  princes  de  Guife. 
Un  Boulanger  équipa  de  cette  manière  fon  fils  ,  qui  vouloit 
voir  le  Roi.  Il  couvrit  de  la  mante  de  fa  femme  un  âne,  dont 
il  fe  fervoit  pour  aller  au  moulin.  Il  mit  deffus  fon  fils  ,  qui 
avoit  un  bandeau  fur  les  yeux ,  ôc  un  cafque  de  bois  fur  la  tê- 
te. On  voyoit  fur  ce  cafque  un  petit  oifeau  aiïez  femblable 
à  un  perroquet ,  qui  avoit  la  tête  rouge ,  ôc  qui  béquetoit  fou- 
vent  l'aigrette  du  cafque  de  Penfant.  Deux  jeunes  gens,  qui 
reprefentoient  des  Ethiopiens  ,  par  des  habits  étrangers  Ôc  un 
vifage  barbouillé  de  noir ,  conduifoient  l'âne ,  tenant  chacun 
une  des  renés  de  la  bride.  Tous  difoient  que  cette  repréfen- 
tation  étoit  une  vive  image  de  l'état  du  Royaume ,  gouverné 
par  un  Roi  encore  enfant ,  qui  avoit  pour  Miniftres  des  étran- 
gers ,  qui  l'avoient  rendu  aveugle.  Les  Echevins  dirent  pour 
exeufe ,  que  cette  mafcarade  avoit  été  imaginée  par  un  hom- 
me groffier ,  qui  n'y  entendoit  pas  fineffe.  Le  même  jour  le 
Roi  paffa  la  Loire,  6c  alla  à  Marmoûtier. 

Richelieu ,  qui  en  quittant  cette  ville ,  fe  voyoit  échapper  à 
regret  une  riche  proye,  fe  fervit  de  cet  artifice  ,  pour  attirer 
les  habitans  dans  le  piège,  ôc  pour  les  rendre  coupables  de  fa 
faute.  Il  s'avifa  de  parcourir  la  ville  fort  avant  dans  la  nuit, 
en  chantant  très  haut  des  Pfeaumes  en  françois ,  efperant  que 
plufieurs  fortiroient  de  leurs  maifons  pour  pfalmodier  avec  lui. 
Cette  rufe  ne  lui  réùiïiffant  pas ,  il  paffa  avec  fes  cavaliers  le 
refte  de  la  nuit  dans  les  rues ,  à  chanter  des  chanfons  follement 
badines ,  ôc  à  reciter  des  vers  injurieux  à  la  Reine-mere ,  ôc 
aux  Guifes ,  en  battant  les  paffans ,  ôc  en  brifant  les  fenêtres 
avec  des  pierres.  Le  lendemain  il  alla  trouver  le  Roi  ôc  la 


Friponnerie 
«le  Richelieu. 


D  Ë  J.  A.  D  E  T  H  O  U,  L'i  v.  XXV.         yo<? 

Reine-mere  ,  imputant  fes  propres  extravagances  aux  bour- 
geois, qu'il  nommoit  les  relies  de  la  conjuration  d'Amboife  ,  Françoi: 
dans  le  deffein  d'irriter  le  Roi  contr'eux ,  ôc  d'engager  ce  Prin-  1 1. 
ce  à  lui  abandonner  le  pillage  des  maifons  ,  avant  qu'on  eût  1560, 
démêlé  la  vérité.  En  effet  cette  ville  ,  dont  la  fidélité  étoit 
déjà  fufpe£te ,  alloit  être  abandonnée  à  la  fureur  du  foldat ,  fi 
îe  Maire  ôc  les  Echevins  n'euffent  obtenu  de  la  Cour ,  qu'elle 
fît  faire  une  information  exacte  de  la  vérité.  Enfin  cette  noire 
&  impudente  calomnie  tomba  fur  l'auteur,  ôc  l'innocence  des 
citoyens  de  Tours  fut  pleinement  connue.  Le  cardinal  de  Lor- 
raine leur  reprocha  feulement ,  qu'ils  avoient  fait  prêcher  pu- 
bliquement ce  même  David,  dont  nous  avons  déjà  parlé,  qui 
avoit  abandonné  le  bon  parti ,  pour  femer  par  tout  une  per- 
nicieufe  doctrine.  Cet  homme  avoit  été  le  prédicateur  ordi- 
naire de  la  reine  de  Navarre  ,  dont  il  avoit  quitté  la  petite 
Cour,  pour  s'attacher  au  cardinal  de  Lorraine,  qui  l'attira  par 
i'efpérance  de  faire  fa  fortune  chez  un  Sur-intendant  des  Fi* 
nances.  Le  Cardinal  qui  avoit  voulu  fçavoir  par  lui  les  intri- 
gues fecrettes  de  la  maifon  du  roi  de  Navarre ,  s'en  moqua 
enfin  ;  enforte  que  ce  Miniftre  Proteftant ,  dont  la  Religion 
étoit  douteufe ,  ôc  la  fidélité  fufpe£te  aux  deux  partis ,  fe  vit  éga^ 
lement  haï  des  Catholiques  ôc  des  Religionnaires ,  ôc  mourut 
dans  une  extrême  mifere. 

Au  refte,  la  Reine-mere  >  qui  avoit  conçu  de  Faverflon  con- 
tre les  rufes  artificieufes  des  Guifes  ,  ôc  de  la  haine  contre  la 
violence  de  leurs  defTeins ,  voulut  s'attirer  l'affection  des  Pro* 
teftans ,  ou  pénétrer  leurs  fecrets ,  par  le  moïen  de  Chàtelus 
fon  maître  des  requêtes.  Elle  fit  dire  par  lui  à  Antoine  Chai> 
dey ,  jeune  Gentilhomme  fort  fçavant  en  Théologie  ,  qu'elle 
croyoit  enfeigner  fecrettement  les  nouvelles  opinions  dans  Pa- 
ris, qu'il  eût  à  la  venir  trouver,  efperant  que  ce  Do£teur,  dont 
îa  fageffe ,  la  feience  ôc  la  bonne  foi  croient  connues,  pourrok 
lui  dire  le  véritable  motif  des  troubles  ,  ôc  lui  indiquer  les 
moïens  les  plus  convenables  pour  les  appaifer.  Ghâtelus  ayant 
fait  part  de  fa  commiffion  à  un  des  Gentilshommes  de  la  Reine- 
mere  nommé  Taffin,  qui  penchoit  vers  les  nouvelles  opinions', 
alla  à  Tours  ,  pour  y  apprendre  où  pouvoir  être  Chandey. 
Mais  celui-ci  n'étant  plus  en  France,  on  pria  Charîe  Albiae 
du  Plefïïs,  miniftre  à  Tours  ,  de  venir  à»  la  Cour  ,  au  lieu  de. 

S  f f  ii[ 


y  io  HISTOIRE       " 

,    Chandey.  Àlbiac  fe  fiant  peu  aux  promeuves  qu'on  lui  faifoit 

jT-  ~  delà  part  de  Catherine,  refufa  de  l'aller  trouver,  ôc  fe  con- 

'w        tenta  de  fatisfaire  cette  Princeiïe,  fur  ce  qu'elle  demandoit, 

par  un  écrit  qui  contenoit  en  fubftance  :  Que  dans  la  fédition 

'  '  d'Amboife ..  on  n'avoit  pris  les  armes  ni  contre  le  Roi  ,  ni 

Mémoire  des  contre  la  Reine-mere  ,  ni  contre  les  Princes  du  fane:  royal  > 

Proreitans  .  ,  r  .     ,  ,  /         1 

prefemé  à  la    mais  contre  des  perionnes  qui  s  etoient  empâtées  du  gouver- 
Rcinc.  nement  contre  les  loix  du  Royaume  :  Que  ces  hommes  am- 

bitieux, non  contens  des  prifons  ôcdes  fupplices,  génoientles 
efprits  Ôc  les  confciences  par  une  domination  tyrannique  ;  qu'ils 
a  voient  par  leurs  brigues  anéanti  les  Edits  rendus  en  faveur 
des  Proteftans  ,  ôc  fait  périr  ceux  qui  s'étoient  armez  pour  la 
liberté  de  la  patrie  :  Qu'ils  avoient  faitenforte  que  les  Cours  du 
Royaume ,  en  enregistrant  les  Déclarations  favorables  aux  Re- 
légionnaires  >  employaffent  en  même  tems  des  Arrêts  fecrets  fur 
les  regiftres ,  contraires  à  l'efprit  de  ces  Edits  :  Qu'ils  étoient 
caufe  que  le  duc  de  Nemours  ,  qui  avoit  promis  aux  Confé- 
rerez pris  au  château  de  Noifay ,  que  leur  vie  feroit  en  fure- 
té ,  avoit  manqué  à  fa  foi  :  Qu'ils  avoient  fait  renouveller  le 
décret  du  Conciliabule  de  Confiance,  qui  portoit,  qu'on  ne 
devoit  point  garder  la  foi  aux  Sectaires  :  Qu'ils^voient  fermé 
toutes  les  entrées  à  des  malheureux  ,  qui  vouloient  porter  au 
Roi  des  juftes  plaintes  de  leur  cruauté  ôc  de  leur  avarice  : 
Qu'ayant  verfé ,  il  y  avoit  trente-cinq  ans  >  le  fang  innocent  de 
plulieurs  miferables  payifans,  ils  s'étoient  accoutumez  depuis  ce 
tems-là  au  meurtre  ôc  au  carnage  ,  étant  altérez  du  fang  des 
François  :  Que  c'étoit  parleurs  intrigues,  qu'on  n'avoit  point 
tenu  un  Concile  tant  de  fois  promis ,  ôc  qu'on  avoit  décidé  qu'il 
appartenoit  aux  Prélats  feuls  d'être  Juges  en  ces  affemblées, 
•(  quoi  qu'on  fçût  que  les  Evêques  étoient  les  auteurs  de  tous 
les  maux  qui  agitoient  l'Eglife)  tandis  que  le  Roi ,  qui  devoit 
préfider  à  ces  conférences  ,  ôc  y  faire  juger  les  matières  en 
queftion  par  la  feule  autorité  de  la  parole  divine  ,  n'y  auroit 
qu'un  pouvoir  limité.  Albiac  ajoùtoit  dans  fon  mémoire , 
qu'il  ne  voyoit  que  deux  moïens  pour  remédier  à  tant  de 
.maux  :  le  premier  ,  d'affembler  les  Etats  généraux  pour  éta- 
blir une  forme  de  gouvernement  conforme  aux  loix  de  l'E- 
tat •■>  parce  qu'il  feroit  bien  plus  aifé  de  prendre  des  mefures 
convenables  au  bien  de  la  Religion 3  lorfque  toutes  ks  femences 


DE   J.  A.  DE   THOU  „  Liv.  XXV.        pt 

des  guerres  civiles  feroient  étouffées  :  Qu'en  attendant,  il  fal- 

loit  empêcher  les  châtimens  injuftes  ,   ôc  ne  plus  gêner  les  François 

confciences ,  qui  ne  dévoient  pas  être  afïujeties  à  des  traditions        ]j 

inventées  par  les  hommes,  ôc  non  émanées  des  Saintes  Ecri-     j  ^  $0t 

tures  :  Que  de  plus  il  devoit  être  permis  à  chacun  de  profefler 

publiquement  fa  Religion,  jufqu'à  ce  qu'un  Concile  légitime 

eût  décidé  les  points  conteftez  ,  ôc  donné  la  paix  à  l'Eglife  ; 

ôc  qu'il  n'y  avoit  nul  lieu  de  douter ,  que  fi  dans  ce  Synode 

les  Proteftans  étoient  écoutez  ,  ils  ne  l'emportaflent  fur  leurs 

adverfaires  par  la  force  de  leurs  raifons. 

On  donna  ce  court  mémoire ,  foufcrit  du  nom  imaginaire 
de  Théophile ,  au  nommé  Camus  fils  d'un  Pelletier  de  la  Rei- 
ne-mere  ,  ôc  on  le  chargea  de  le  porter  à  Châtelus.  Camus 
n'ayant  pas  trouvé  à  la  Cour  ce  maître  des  requêtes ,  qu'on 
avoit  envoyé  à  Marguerite  ducheffe  de  Savoye,  refolut,par 
le  confeil  de  Paz  de  Feuquieres  ,  ôc  de  la  dame  Claude  de 
Beaune  confidente  de  Catherine,  de  préfenter  lui-même  l'écrit 
à  cette  Princeffe.  L'ayant  rencontrée  dans  une  petite  galerie 
obfcure  de  l'abbaye  de  Beaulieu  ,  près  de  Loches  3  il  lui  mit 
entre  les  mains  le  mémoire  de  Théophile  ,  où  étoit  jointe  une 
profefïion  de  foi ,  que  les  Proteftans  avoient  dreflée  depuis  peu 
à  Paris,  ôc  il  fe  retira  aufîi-tôt.  La  Reine-mere étoit  fuivie  de 
la  jeune  Reine ,  qui ,  par  ordre  des  princes  de  Guife  fes  on- 
cles ,  obfervoit  fa  conduite.  Catherine  ne  pouvant  faire  autre- 
ment, donna  le  paquet  à  la  jeune  Reine  >  afin  qu'elle  le  com- 
muniquât aux  Guifes.  Aufïi-tôt  on  fait  venir  Camus,  ôc  on  lui 
demande  de  quel  payis  eft  ce  Théophile  auteur  du  mémoire. 
En  même  tems  le  Roi  arrivant  avec  les  Guifes ,  le  cardinal 
de  Lorraine  l'interroge  fur  la  conjuration  d'Amboife  ,  ôc  s'il 
ne  fçait  pas  qu'un  Prince  du  fang  en  étoit  le  chef.  N'ayant 
rien  dit,  on  le  renvoya  au  chancelier  de  l'Hôpital ,  qui  l'in- 
terrogea une  féconde  fois,  en  préfence  de  Charle  deMatillac 
archevêque  de  Vienne.»  ôc  de  Jean  de  Morvilliers  évêque  d'Or- 
léans. Camus  dit  qu'un  nommé  Théophile  Bordenave  Gaf- 
con  lui  avoit  donné  depuis  peu  cet  écrit  à  Tours  ,  pour  le 
porter  à  la  Reine.  On  intimida  Camus  5  on  lui  fit  des  pro- 
meffes  5  on  lui  lut  même  une  Sentence  fuppofée,  qui  le  con- 
damnoit  à  mort.,  fans  qu'il  avouât  autre  choie.  Enfin  il  fut  mis 
dans  un  cachot  à  Loches  3  ôc  transféré  de-ià  à  Romarantiix, 


w 


1 


ps  HISTOIRE 

-  lorlquc  la  Cour  y  alla.  Dans  un  troifiéme  interrogatoire ,  où 
François  ^  demanda  quels  étoient  les  traits,  la  taille  ôc  le  payis  de  ce 
jj'  prérendu  Théophile ,  à  quoi  il  repondit  avec  aflez  d'affurance. 
r  ^  Mais  il  dit ,  contre  toute  vraifemblance ,  qu'après  que  Borde- 
nave  lui  eut  donné  le  mémoire  ,  il  étoit  allé  à  Genève  :  il  s'i- 
magina qu'on  le  conduiroit  en  cette  ville-là, pour  l'indiquer, 
ôc  qu'il  pourroit  s'échapper  fur  la  route.  Les  fœurs  de  Camus, 
qui  demeuroient  à  Tours  ,  n'ayant  pu  s'empêcher  de  dire  que 
le  nom  de  Théophile  étoit  fuppofé  ,  leur  frère  fut  obligé  de 
dire  qu'un  nommé  Servin ,  qu'il  fçavoit  être  fort  éloigné ,  lui 
avoit  donné  l'écrit ,  afin  que  nommant  un  auteur  certain  ,  il 
en  garantît  plusieurs.  Enfin  ayant  été  interrogé  fur  le  nommé 
Garaye  ,  complice  de  la  confpiration  d'Amboife ,  avec  qui  il 
avoit  logé  quelque  tems ,  il  demeura  en  prifon  jufqu'à  la  mort  de 
François  IL  ôc  jufqu'au  tems  que  Charle  IX.  donna  à  fon  avè- 
nement à  la  Couronne  une  amniftie  générale  ,  ôc  rit  mettre  en 
liberté  ceux  qui  étoient  détenus  pour  fait  de  Religion.  J'ai 
connu  particulièrement  ce  jeune  homme  t  qui  a  fait  depuis 
plufieurs  grands  voyages. 

Vers  ce  même  tems ,  il  courut  dans  Paris  un  libelle  fans  nom 
mSk*'  d'auteur ,  où  l'on  repréfentoit ,  avec  beaucoup  de  fiel  ôc  d'amer- 
tume, les  cruautez  des  princes  de  Guife.  Ce  livre  étoit  intitu- 
lé ,  le  Tigre,  On  arrêta  un  pauvre  Libraire  ,  nommé  Martin 
l'Hommet  ,  qu'on  avoit  trouvé  faifi  d'un  exemplaire  de  cet 
ouvrage,  ôc  on  l'appliqua  à  la  queftîon,  pour  lui  faire  avouer 
qui  en  étoit  l'auteur ,  ôc  qui  étoit  celui  qui  le  lui  avoit  donné. 
N'ayant  voulu  rien  dire,  il  fut  condamné  à  être  pendu.  Lorf- 
qu'on  le  menoit  au  fupplice ,  un  Facteur  de  la  ville  de  Rouen  ; 
qui  pafToit  par-là ,  ôc  qui  étoit  encore  botté ,  voyant  le  peu- 
ple extrêmement  animé  contre  le  patient ,  ôc  prêt  à  fe  jetter  fur 
lui ,  dit  aux  afîiftans ,  qu'ils  dévoient  retenir  leur  colère  ,  ne 
pas  fouiller  leurs  mains  dans  le  fang  d'un  miferable  ,  ôc  que 
dans  un  inftant  le  boureau  les  alloit  fatisfaire.  Aufli-tôt  la  mul- 
titude tourne  fa  fureur  contre  ce  malheureux  pafTant ,  ôc  le  veut 
mettre  en  pièces.  Les  Archers  s'en  faififlent,  ôc  le  conduifent 
en  prifon.  Peu  de  jours  après, il  fut  pendu  à  la  place  Mau- 
bert,  où  l'Hommet  l'avoit  été,  comme  s'il  eût  été  fon  compli- 
ce. Ce  jugement  excita  l'indignation  publique  contre  le  Con- 
cilier du  Lion  i  qui ,  pour  faire  fa  cour  aux  Lorrains ,  avoit 

condamné 


Criantes. 


DE  J.  À.  DE  THOU;   Liv.    XXV.      fri) 

Condamne  à  mort,,  par  une  févérité  inique ,  un  innocent,  que  . 

la  fureur  du  peuple  avoit  épargné.  ^~     ' 

Cependant  le  prince  de  Condé  s'étoit  échappé  de  la  Cour,      lv  tJ' 
ôc  avoir  écrit  en  chemin  au  roi  de  Navarre  fon  frère.  Il  lui  ' 

faifoit  part  des  mauvaifes  difpoiltions  des  Guifes  à  Ion  égard. 
ïl  ajoûtoit ,  que  le  E.oi  avoit  tenu  un  Confeil  fecret ,  on  le 
cardinal  de  Lorraine  avoit  été  d'avis  de  le  faire  arrêter  :  Que 
véritablement  le  duc  de  Guife  avoit  été  d'un  fentiment  con- 
traire ,  par  pure  politique  ,  6c  pour  mieux  reconnoître  quel 
feroit  l'avis  des  autres  :  Qu'ainfi  il  avoit  réfolu ,  pour  mettre  fa 
perfonne  en  fureté ,  de  fe  retirer  en  Bearn  auprès  de  lui.  Les 
Guifes ,  qui  avoient  trouvé  moïen  de  corrompre  la  fidélité  de 
ceux  des  domeftiques  du  Prince  ,  qu'il  croyoit  les  plus  affidez  , 
furent  auiTi-tôt  avertis  de  ce  qu'il  avoit  mandé  au  roi  de  Na- 
varre. Ils  lui  écrivirent  une  lettre  remplie  de  témoignages  d'af- 
fe&ion  ôc  de  bienveillance  ,  où  l'affûtant  de  leur  amitié  dans 
toutes  les  occafions ,  où  il  ne  s'agiroit  ni  du  falut  du  Roi  ni 
de  celui  de  l'Etat  ,  ils  tachoient  de  le  dilTuader  de  continuer 
fon  voyage.  Condé  envoya  copie  de  cette  lettre  au  Roi  fon 
frère  ,  qui  lui  répondit,  qu'il  approuvoit  fon  deffein  ,  ôc  qu'il 
avoit  une  grande  envie  de  le  voir  ;  mais  qu'il  croyoit  cepen- 
dant, qu'avant  de  partir ,  il  de  voit  retourner  à  la  Cour,  étant 
de  fon  honneur  de  confirmer  de  plus  en  plus  par  fa  préfen- 
ce  l'opinion  qu'on  avoit ,  qu'il  étoit  innocent.  Condé  ne  fut 
point  la  duppe  des  avances  que  lui  faifoient  les  Guifes ,  ôc  ne 
Jugea  pas  à  propos  de  déférer  aux  confeils  du  roi  de  Navarre. 
Croyant  qu'il  n'avoit  pas  un  moment  à  perdre  ,  il  partit  pour 
la  Guyenne ,  ayant  envoyé  des  relais  fur  la  route.  Il  rencontra 
à  Mont-le-heri  Damville  fils  du  Connétable ,  avec  qui  s'étant 
-entretenu  quelques  momens ,  il  pourfuivit  fon  chemin.  Dam- 
ville vint  enfuite  à  Châteaudun  ,  où  il  trouva  le  Roi,  qui  étoit 
parti  d'Amboife,  pour  fe  rendre  à  Paris.  Il  venoit  pour  fup- 
plier  ce  Prince  d'interpofer  fon  autorité  Royale  ,  afin  que  les 
Guifes  ,  qui  n'avoient  que  trop  déclaré  leur  haine  contre  le 
Connétable  fon  père ,  ôc  toute  fa  maifon,  ne  fuffentplus  écou- 
tés dans  les  affaires  qui  les  concerneroient. 

Le  départ  inopiné  du  prince  de  Condé  pour  la  Guyenne  ; 
fon  entretien  fecret  avec  Damville ,  ôc  les  demandes  extraor- 
dinaires de  celui-ci  donnèrent  l'allarme  à  la  Reine-mere ,  ôc 
Tome  111.  T 1 1 


514  HISTOIRE 

.  aux  Guifes,  Ôc  leur  firent  craindre  de  nouveaux  troubles.  Une 
François  conférence  qu'avoit  eue  depuis  peu  Catherine  avec  Perrenot 
jj  '  de  Chantonnai ,  frère  du  cardinal  de  Granvelle ,  ôc  ambaffadeur 
i  ç  50  de  Philippe  auprès  du  Roi,  augmenta  leurs  foupçons.  Car  la 
Reine  ayant  parlé  à  ce  Miniftre  de  la  conjuration  d' A mboife.,, 
il  lui  dit ,  qu'il  ne  voyoit  point  de  meilleur  moyen  pour  faire 
régner  la  paix  dans  l'Etat ,  que  d'éloigner  pour  un  tems  les 
princes  de  Guife  de  la  Cour ,  ôc  de  remettre  la  principale  au- 
torité entre  les  mains  des  Princes  du  fang,  ôc  du  Connétable. 
Chantonnai  >  qui  ne  cherchoit  qu'à  troubler  l'Etat ,  difoit  cela 
à  defTein ,  pour  commettre  avec  les  Guifes  une  Princefle  lé- 
gère &  ambitieufe ,  ôc  augmenter  les  factions,  dont  la  France 
n'étoit  déjà  que  trop  agitée.  Les  princes  de  Guife  interpré- 
toient  autrement  le  difcours  de  Chantonnai,  &  croyoient  que 
ce  Miniftre  avoit  parlé  en  faveur  de  Montmorenci  par  ordre 
du  Roi  fon  maître  ,  qui  le  favorifoit ,  à  ce  qu'ils  croyoient ,; 
ayant  dans  fa  Cour  plufieurs  Seigneurs  de  cette  maifon.  Ca- 
therine ,  qui  craignoit  de  nouveaux  troubles  ,  dont  elle  ne 
pouvoit  ignorer  la  fource  ,  fit  venir  à  la  Cour  un  neveu  de 
Jean  du  Tillet,  nommé  Louis  Renier  de  la  Planche,  qui  étoit 
un  des  confidens  du  duc  de  Montmorenci  fiis  du  Connétable. 
Il  trouva  la  Reine-mere  avec  le  Roi  fon  fils,  à  S.  Léger  dans 
îa  forêt  de  Monfort.  Comme  cette  Princefle  connoiffoit  la 
Planche  pour  un  homme  verfé  dans  les  affaires  ,  ôc  habile 
dans  les  négociations  ,  elle  le  prefla  de  lui  dire  avec  liberté 
îa  caufe  véritable  des  factions  qui  agitoient  la  France ,  ôc  les 
moyens  de  remédier  à  tant  de  maux. 

La  Planche  ,  qui  foupçonna  que  c'étoit  là  un  artifice  des 

ïntretien  de  Guifes ,  qui  fous  prétexte  de  fçavoir  fon  avis  ,  vouloient  lui 

la  Planche  a-   arracner  fon  fecret ,  fe  défendit  de  dire  fon  fentiment  fur  des 

vec  la  Reine  . ,     *         ,  n-  >   *         , 

Catherine.  matières  a  délicates ,  qui  avoient  rapport  aux  intérêts  de  per- 
fonnes  puiflantes.  La  Reine-mere  lui  répondit,  que  c'étoit  le 
devoir  d'un  homme  de  bien,  qui  aimoit  le  Roi  ôc  l'Etat ,  de 
dire  ce  qu'il  croyoit  convenir  au  bien  public ,  fur  tout  lorfque 
fa  diflimulation  ôc  fon  iilence  ne  le  garantiflbient  pas  du  pé- 
ril. Enfin  la  Planche  gagné  par  les  promefies  de  la  Reine-me- 
re, ou  intimidé  par  fes  menaces ,  lui  dit,  (le  cardinal  de  Lor- 
raine étant  caché  derrière  une  tapiflerie)  que  parmi  ceux  qu'on 
appelloit  communément  Huguenots  ,  ôc  qu'on  aceufoit  de 


DEJ.  A.  DETHOU.Liv.  XXV.      ji  j 

fomenter  les  troubles ,  il  y  en  avoit  de  deux  fortes  ;  que  les  uns 
n'avoient  pour  but  que  la  Religion,  ôc  que  les  autres,  qui  fe  pR^cois 
couvroient  du  même  prétexte,  étoient  fur  tout  touchez  des         \\ 
malheurs  de  la  France  ;  que  la  Renaudie  ,  homme  d'un  grand     i  ç  6  o. 
courage,  avoit  trouvé  le  iecret  de  réunir  les  uns  ôc  les  autres, 
Ôc  leur  avoit  confeillé  de  s'armer  ,  fous  prétexte  de  prefenter 
au  Roi  une  requête  :  Qu'au  refte,  la  Renaudie  ne  s'étoit  porté 
à  ces  extrêmitez ,  que  pour  venger  une  injure  particulière,  ôc  la 
mort  du  lieur  de  Heu  de  Buy ,  un  des  premiers  Magiftrats  de 
Metz  ,  fon  beau-frere ,  ayant  après  fon  banniflement  époufé  à 
Lauzanne  une  demoifelie  de  Rognac  ,  fceur  de  la  femme  de 
Heu  :  Que  comme  celui-ci,  revenant  d'Allemagne, apportoit 
au  roi  de  Navarre  des  lettres  des  Princes  Proteftans ,  il  avoit 
été  pris  ,  interrogé  par  Michel  Vialard ,  lieutenant  criminel  de 
Paris ,  ôc  appliqué  à  la  queition  ,  pour  l'obliger  à  charger  le 
roi  de  Navarre  ;  qu'il  n'avoit  rien  avoué,  ôc  étoit  mort  au  mi- 
lieu des  tourmens  dans  le  château  de  Vincennes  :  Qu'au  refte , 
la  Renaudie  n'avoit  pas  eu  de  peine  à  s'attirer  la  confiance 
des  Huguenots  de  l'une  ôc  de  l'autre  efpece  ;  de  ceux  qui  ne 
pouvoient  plus  fouffrir  la  perfecution  Ôc  les  fupplices  ,  ôc  de 
ceux  qui  voyoient  à  regret  l'adminiitration  des  affaires  confiée 
à  des  étrangers ,  au  mépris  des  Princes  du  fang  Royal  :  Qu'on 
pourroit  appaifer  les  premiers ,  en  convoquant  une  aflemblée 
de  Théologiens,  pour  décider  les  matières  conteftées ,  fans  dil- 
pute  ôc  fans  aigreur ,  par  la  feule  parole  de  Dieu  ;  parce  qu'on 
fufpendroit  en  même  tems  la  rigueur  des  fupplices ,  en  obfer- 
vant  les  Edits  du  Roi  à  ce  fujet. 

Il  ajouta  qu'il  n'etoit  pas  fi  aifé  de  contenter  les  autres  ,  qui 
ne  demeureroient  jamais  en  repos ,  jufqu'à  ce  que  les  Etats 
généraux ,  ou  quelqu'autre  PuhTance  ,  eût  exclu  les  princes  de 
Guife  du  gouvernement ,  pour  le  remettre  aux  Princes  du  fang  : 
Que  ces  derniers  paroifToient  à  la  vérité ,  par  la  douceur  de  leur 
caraclere ,  déférer  aux  volontez  du  Roi  ;  quoi  qu'en  effet  ils  fouf- 
friflent  impatiemment,  que  d'autres  joùîffent  des  prérogatives  de 
leur  dignité  :  Qu'il  étoit  confiant ,  qu'on  n'avoit  jamais  donné  en 
France  le  nom  de  Prince,  qu'à  ceux  qui  étoient  iffus  de  nos  Rois 
de  mâle  en  mâle  ;  qu'on  ne  mettoit  de  ce  nombre  aujourd'hui, 
que  les  defcendans  de  S.  Louis  ;  ôc  que  les  feigneurs  de  Cour- 
tenai  ôc  de  Dreux  n'étoient  pas  même  regardez  comme  Princes, 

T 1 1  ij 


p4  HISTOIRE 

_.  ^  ::i.--  ■  quoi  qu'ils  euffent  pour  tige  Louis  le  Gros  :  Qu'auffi  Pierre  Li- 
^  fet  premier  préfident  du  parlement  de  Paris,  avoit  dit  tout  haut-, 

"jy J  l'audience  féante  ,  à  l'Avocat  des  Guifes  y  qui  les  qualifioit  de 
'  Princes  ,  qu'en  France  on  ne  donnoit  dans  les  acles  publics  le 
'  '  nom  de  Prince ,  qu'à  ceux  qui  étoient  ifTus  de  nos  Rois  :  Qu'on 
fçavoit  auffi  que  le  duc  de  Guife  fe  qualifiant  Prince  un  cer- 
tain jour ,  devant  François  de  Bourbon  comte  de  S.  Paul  ,  ce 
dernier  dit ,  en  plaifantant,  à  ceux  qui  étoient  préfens,  que  le 
Duc  partait  Allemand  en  François  :  Qu'au  refte  ,  pîuiieurs 
exemples  domeftiques  nous  apprenoient ,  que  jamais  les  Fran- 
çois n'avoient  pu  fouffrir  la  domination  des  étrangers  ;  6c  que 
quand  ces  derniers  avoient  voulu  ufurper  l'autorité  principale 
au  mépris  des  loix ,  ils  avoient  toujours  été  punis  de  leur  té- 
mérité :  Que  Charle  d'Efpagne  de  la  Cerda ,  arrière  petit-fils 
d'Alfonfe  X.  roi  de  Caftille ,  qui  avoit  époufé  la  fille  de  Charle 
de  Blois ,  déclaré  duc  de  Bretagne  par  arrêt  du  Parlement  > 
ayant  été  fait  Connétable  par  le  Roi  Jean l,  avoit  été  tué  à 
l'Aigle  vers  Alençon,  par  une  confpiration  de  la  Nobleffe  in- 
dignée contre  ce  favori ,  qui  gouvernoit  l'Etat  :  Que  ce  fut 
pour  cette  même  raifon  qu'Etienne  de  Bavière  ,  frère  de  la 
Reine  Ifabelle  femme  de  Charle  VI.  fut  arrêté  dans  fon  châ- 
teau de  Villeneuve-S. -George,  &  chaffé  du  Royaume  :  Qu'en- 
fin pour  apporter  des  exemples  encore  plus  concluans,  René 
de  Lorraine,  grand-pere  des  princes  de  Guife  ,  qui  fe  quali- 
fioit roi  de  Sicile,  avoit  été  expulfé  de  la  Cour,  par  Malet  de 
Graville  amiral  de  France  fous  Charle  VIII  :  Qu'ainfi  il  étoic 
de  la  prudence  de  la  Reine  ,  de  ne  pas  laiffer  avilir  les  titres 
ôc  les  honneurs  dûs  aux  feuls  Princes  de  la  tige  royale  ,  en  les 
communiquant  indifféremment  à  d'autres  :  Qu'elle  avoit  plu- 
fieurs  en-fans ,  fils  de  France  ,  ôc  qu'elle  devoit  craindre  de  nui- 
re à  leur  grandeur ,  en  élevant  les  Lorrains  :  Qu'il  falloit  de 
bonne  heure  s'oppofer  aux  deffeins  de  ces  hommes  ambitieux, 
ôc  les  contenir  dans  de  juftes  bornes  ,  pour  ne  pas  pouffer  à 
bout  la  Nobleffe  ôc  les  Princes  du  fang. 

La  Planche  dit  quelque  chofe  encore  des  ancêtres  des 


i  Monfieur  de  Thou ,  au  lieu  du  Roi 
Jean ,  a  mis  dans  le  texte  Philippe  de 
Valois  ;  ce  qu'on  a  cru  devoir  corriger 
comme  contraire  à  l'hiftoire.  D'ailleurs 
ja  mort  de  Charle  d'Efpagne  3  fut  moins 


l'effet  de  la  confpiration  de  la  Nobleffe 
Françoife  ,  que  de  la  vengence  de 
Charle  le  Mauvais ,  toi  de  Navarre  > 
fon  ennemi. 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.  f*7 
Lorrains.  Il  parla  de  Godefroi  comte  de  Boulogne  ôc  roi  de 
Jerufalem,  ôc  de  Baudouin  fon  frère  ,  qui  avoit  régné  après  pRANçois 
lui.  Il  ajouta  que  Godefroi  avoit  deux  autres  frères 5  que  Ca-  jj' 
therine  de  Medicis,  à  qui  il  avoit  l'honneur  de  parler . ,  étok  j^a 
iiTuë  de  l'aîné,  ôc  les  Lorrains  du  fécond.  La  Reine-mere  l'in- 
terrompit en  cet  endroit  de  fon  difcours  ;  lui  difant ,  qu'on  ne 
devoit  pas  trouver  mauvais  ,  que  les  princes  de  Guife  ,_qui 
avoient  rendu  de  fi  grands  fervices  à  l'Etat  ,  eufTent  le  mani- 
ment  des  affaires  5  ôc  qu'il  ne  falloit  pas  aufïi  s'étonner ,  fi  elle 
donnoit  fa  confiance  à  des  perfonnes ,  que  le  feu  Roi  fon  Sei^ 
gneur  &  fon  époux  avoit  tant  aimez  :  Que  des  factieux  ofoient 
îe  prévaloir  du  nom  du  Roi ,  eux  qui  venoient  d'attaquer  à 
Amboife  ,  non-feulement  les  princes  de  Guife  ,.  mais  îe  Roi 
même  ,  Ôc  la  Reine  fa  mère.  La  Planche  ayant  répliqué  ,  que 
les  Guifes  tâchoient  de.  faire  croire  ,  que  les  Conjurez  en  vou- 
loient  à  la  perfonne  du  Roi  ,  fçachant  bien  que  les  Princes  du 
fang  ne  pouvoient ,  fuivant  les  loix  de  l'Etat ,  être  impliquez 
dans  une  accufation  3  lorfqu'il  ne  s'agiffoit  pas  du  crime  de  leze- 
majefté ,  la  Reine-mere  fe  leva,  congédia  la  Planche,  ôc  remit 
la  conférence  à  l'après-dîné. 

Il  fut  gardé  à  vue  ,  ôc  appelle  une  féconde  fois  dans  le  ca^ 
binet  de  cette  Princeffe,  en  préfence  de  la  ducheife  de  Mont- 
penfier  fa  confidente  j  le  Cardinal  s'étant  encore  caché  demeu- 
re la  tapiflerie.  La  Reine-mere  prit  la  parole,  Ôc  dit,  que  les 
princes  Lorrains  avoient  rendu  de  fi  grands  fervices  à- l'Etat;, 
qu'il  feroit  très  raifonnable,  qu'après  ie  premier  Prince  du  fang 
royal ,  on  donnât  la  préfeance  au  premier  Prince  de  la  mair 
fon  de  Lorraine  ,  ôc  enfuite  au  fécond  s  après  le  fécond  Prince 
du  fang ,  ôc  ainfi  de  fuite  5  Ôc  que  des  prétentions  fi  juftes  ne 
dévoient  pas  révolter  fi  fort  leurs  ennemis  :  mais  qu'une  autre 
raifon,  que  la  Planche  diroit  bien ,  s'il  le  vouloir,  animoit  les 
efprits  :  Qu'il,  étok  parfaitement  au  fait  de  toutes  ces  chofes, 
comme  ayant  été  confident  de  la  Renaudie ,  ôc  ayant  voulu 
fuiv-re  depuis  peu  Michel  de  Seure  en  Angleterre  :  Qu'ainfi  il 
devoit  ne  rien  cacher  à  la  mère  de  fon  Roi  ,  ôc  aider  à  faire 
arrêter  Maligni  ôc  Soubfelles  ,  qui  s'étoient  échappez  :  Que  s'il 
obéïlToit,  il  pouvoit  compter  fur  une  grande  récompenfe;  mais 
que  fi  au  contraire  il  gardoit ,  fur  ce  qu'on  vouloir  fçavoir  un 
filence  malicieux  ,  il  feroit  rigoureufement  puni.   La  Planche 

Tttiij 


P8  HISTOIRE 

répliqua,  qu'il  rendoit  à  Dieu  des  grâces  infinies,  de  n'avoir 
François  ^  répondre  qu'à  la  Reine  :  Que  c'étoit  dans  cette  confiance  > 
jl  '  qu'éloigné  de  toute  crainte  ôc  de  toute  vue  d'intérêt  ,  il  lui 
^  avoit  dit  la  vérité  fur  des  matières  qui  concernoient  le  bien  de 
l'Etat  h  ôc  qu'après  qu'elle  l'en  avoit  preffé ,  il  lui  avoit  donné 
les  confeils  qu'il  avoit  cru  convenir  :  Que  s'il  falloit  craindre 
les  troubles  qu'excite  la  Religion ,  tout  homme  de  bien  devoit 
aufii  avoir  en  horreur  les  guerres  domeftiques  fufcitées  à  l'oc- 
cafion  du  gouvernements  Ôc  qu'il  ne  voyoit,  quant  à  prefent, 
aucun  remède  plus  erficace  à  ces  maux ,  que  de  réduire  les 
princes  Lorrains  dans  l'état  où  leur  nailTance  les  avoit  placez  3 
ôc  de  rendre  aux  Princes  du  fang  leur  autorité  :  Qu'au  refte , 
il  ipnoroit  abfolument  les  choies  qu'elle  defiroit  fcavoir  de 
lui  3  ôc  que  bien  loin  qu'il  eût  jamais  eu  des  liaifons  avec  la 
Renaudie  ,  il  prioit  fa  Majefté  de  fe  fouvenir  ,  qu'après  le  ju- 
gement du  procès  fâcheux ,  que  ce  Chef  des  rebelles  avoit  eu 
avec  Jean  du  Tillet  fon  oncle ,  il  avoit  quitté  la  France ,  em- 
porté par  fon  reffentiment ,  ôc  par  les  confeils  d'une  jeunefTe 
impetueufe  :  Qu'au  furplus  ,  il  la  fupplioit  de  ne  le  pas  preffer 
d'avantage  ,  n'étant  pas  né  d'une  condition  à  faire  le  métier 
d'efpion  ,  ou  d'émiffaire.  Catherine  lui  fit  encore  de  grandes 
menaces ,  qui  ne  lui  faifant  rien  avouer  ,  il  fut  envoyé  en  pri- 
fon ,  dont  il  fortit  quatre  jours  après  par  l'ordre  de  la  Reine. 
Comme  le  Roi  féjournoit  au  château  de  Rambouillet , 
Charle  de  Coffé  comte  de  Eriffac  arriva  à  la  Cour.  Il  venoit 
de  Piémont,  où  il  s'étoit  fignalé  dans  le  commandement  des 
armées  5  ôc  avoit  été  remplacé  par  Imbert  de  la  Platiere  Bour- 
dillon  ,  après  qu'on  eut  rendu  au  duc  de  Savoye  ,  fuivant  le 
dernier  traité ,  tout  le  payis  qu'on  avoit  conquis.  Les  Guifes 
venoient  de  procurer  à  Briflac  le  gouvernement  de  Picardie, 
qu'on  avoit  refufé  au  prince  de  Condé,  pour  s'attacher  parce 
bienfait  un  Seigneur  ,  qui  d'ailleurs  en  étoit  digne  par  fes  fer- 
vices,  ôc  pour  attirer  ce  grand  homme  dans  leur  parti,  en  un 
tems  où  il  fe  formoit  de  dangereufes  factions  dans  le  fein  de 
l'Etat. 

En  ce  même  tems  de  l'Hôpital  vint  à  Paris  le  cinq  de  Juil- 
let, accompagné  de  Charle  de  Mariilac  archevêque  de  Vien- 
ne ,  de  Jean  d'Avanfon  ,  ôc  de  la  plufpart  des  Maîtres  des 
requêtes ,  pour  prendre  féance  au  parlement  de  Paris  en  qualité 


waeittggftAitaj 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.         yj* 

de  Chancelier.  Etant  arrivé  au  Palais  s  il  dit  en  préfence  des 
Officiers  de  cette  Cour,  aflemblez  en  grand  nombre  :  Qu'il  JTRanc0is 
voyoit  avec  joie  tant  de  Magiftrats ,  qui  avoient  été  Tes  con-         jj 
frères ,  qui  lui  rappelloient  le  fouvenir  de  ces  jours  longs  ôc     i  ç-  6"o. 
heureux ,  qu'il  avoit  paflez  dans  leur  augufte  compagnie  ;  ôc 
quil  etoit  dilpoie  a  contribuer  de  tout  ce  qui  etoit  en  icn  pou-  ch:;ncei,er  de 
voir.,  pour  augmenter  la  grandeur  ôc  l'autorité  de  leur  illuftre  l'Hôpital  au 
corps.  Cet  éxorde  fut  interrompu  par  de  grands  applaudiffe-  Parkmtnfr 
mens.  Enfuite  il  ajouta  ,  qu'il  étoit  chargé  de  la  part  du  Roi , 
de  les  entretenir  fur  trois  articles  effentiels  :   des  affaires  qui 
concernoient  le  Roi,  ôc  le  bien  général  du  Royaume  ;  de  l'état 
de  la  ville  de  Paris  capitale  de  la  France  ;  ôc  de  ce  qui  avoit 
rapport  à  la  dignité  du  Parlement  même  :  Que  pour  ce  qui 
étoit  du  premier  article  ,  le  Roi  avoit  befoin  d'être  foûtenu 
dans  les  fondions  pénibles  de  la  Royauté ,  ôc  d'être  foulage, 
fur  tout  en  ces  tems  difficiles,  par  les  confeils  de  fon  Parle- 
ment :  Que  tout  le  monde  fçavoit  que  François  I.  ôc  Henri  IL 
avoient  contracté  des  dettes  immenfes ,  que  toutes  les  finan- 
ces du  Roi  n'aquitteroient  pas  en  dix  années  :  Que  véritable- 
ment ces  Princes  avoient  laiffé  au  Roi  une  fucceffion  riche  ôc 
éclatante  ,  mais  en  même  tems  fi  onereule ,  ôc  fi  troublée  par 
les  difeordes  domeftiques,  qu'à  tout  balancer  ,  il  ne  devoit  at- 
tendre que  des  foins ,  des  ennuis,  ôc  peu  d'avantages:  Que  les 
frais  de  la  guerre ,  les  nécefiitez  indifpenfables  de  l'Etat ,  ôc 
les  dons ,  avoient  monté  à  des  fommes  fi  énormes ,  qu'on  de- 
voit quarante  millions  ôc  plus  ,  qu'il  feroit  bien  trifîe  de  voit 
paiTer  entre  les  mains  des  étrangers  :  Qu'il  falloir  ajouter  à  cela 
îes  penfions  des  Seigneurs  ôc  des  Gentilhommes  ,  les  gages 
des  Officiers  de  jufhce,  ôc  la  folde  d&s  gens  de  guerre,  dont 
il  étoit  du  plufieurs  années. 

Qu'il  arrivoit  de-là ,  que  la  plupart  des  gens  ,  ou  mal-in- 
tentionnez ,  ou  peu  au  fait  des  affaires  de  l'Etat ,  préferoient 
leurs  prétentions  particulières  aux  nécefiitez  publiques ,  ôc  ne 
ceffoient  de  crier  ,  que  les  finances  étoient  la  proie  de  per- 
fonnes  puiffantes  ,  ôc  qu'il  falloit  retrancher  la  dépenfe  ;  mais 
qu'on  n'étoit  pas  en  état  d'écouter  leurs  plaintes ,  ou  de  leur 
accorder  leurs  demandes,  puifque,  pour  foulager  la  miferediï 
peuple,  on  avoit  jugé  à  propos  d'abolir  la  plupart  des  impôts 3 
ôc  de  diminuer  les  autres  >  ôc  qu  on  vencit  de  fuppnmer  1& 


520  H  I  S  T  O   I  R  E 

taxe  que  payoient  les  villes  ,  pour  l'entretien  de  cinquante 

—  mille  hommes  de  pié  :  Qu'au  refte ,  l'objet  des  inquiétudes  du 

.François  j^Qj ^  11,ctoit  pas  tant  le  payement  des  dettes  de  l'État,  que  les 

mefures  qu'il  falloir  prendre,  pour  calmer  les  efpritsde  fes  fu- 

1500.     j.ets  ^  ^  j£s  ramener  au  devoir  ;  la  corruption  s  étant  gliiTée 

dans  tous  les  ordres  de  l'Etat  :  Qu'il  falloit  d'abord  convenir 
que  les  vices  des  gens  d'Eglife  avoient  donné  lieu  à  de  grands 
fcandales  5  ce  qui  avoir  occafionné  les  Religions  nouvelles , 
que  quelques-uns  avoient  embraflees  par  des  motifs  de  cons- 
cience ,  ôc  plufieurs  par  libertinage  :  Que  la  NoblefTe  n'étant 
point  payée  par  le  Roi,  fe  croyoit  en  droit  de  vexer  le  mi- 
ierable  peuple  j  que  le  premier  tribunal  du  Royaume  difTimu- 
loit  les  fautes  des  Juges  inférieurs  ,  Ôc  n'étoit  pas  lui-même 
exemt  de  tout  reproche  :  Que  la  plupart  des  Magiftrats ,  pour 
parvenir  aux  honneurs  ,  fongeoient  plus  à  complaire  à  tout 
autre  ,  qu'au  Souverain  ,  ôc  qu'il  voyoit  avec  douleur,  que  des 
vues  d'un  intérêt  fordide  étoient  mêlées  à  celles  de  l'ambi- 
tion :  Qu'enfin  le  peuple  répandu  dans  les  villes  ôc  dans  les 
campagnes ,  avoit  des  moeurs  corrompues  ,  vivant  fans  prin- 
cipes ôc  fans  inftruftions  ,  parce  que  ceux  à  qui  ils  étoient 
fournis  j  étoient  plus  occupez  de  la  perception  des  dixmes 
ôc  des  offrandes  ,  que  du  îalut  des  âmes  :  Qu'ainfi  on  ne  de- 
voit  pas  s'étonner ,  fi  des  factions  agitoient  l'Etat ,  en  un  tems 
où  l'épargne  étoit  épuifée ,  les  forces  du  Royaume  affaiblies, 
la  plupart  des  peuples  bleiTez  de  la  vie  licentieufe  des  Prêtres , 
ou  animez  par  l'indigence  ôc  par  l'efpoir  de  l'impunité  de  leurs 
crimes  j  en  un  tems  où  l'intégrité  des  Juges  étoit  devenue  fuf- 
pecie ,  ôc  où  la  licence  du  foldat  n'étoit  point  réprimée  :  Que 
tous  ces  maux  étoient  connus  '■>  mais  que  l'importance  étoit 
d'y  trouver  un  remède:  Qu'il  y  avoit  lieu  d'efperer  néanmoins, 
qu'une  fage  œconomie ,  ôc  une  longue  paix  pourroient  réta- 
blir les  finances.  Mais  qu'il  prévoyoit  de  grandes  difficultez  , 
pour  concilier  les  efprits  fur  les  matières  de  la  Religion  ;  qu'à 
cela  il  ne  voyoit  point  d'autre  remède,  que  d'implorer  l'affiitan- 
ce  divine ,  Ôc  de  convoquer  un  Concile. 

Que  jufqu'ioi  on  n'avoit  rien  fait,  en  employant  la  violen- 
ce ôc  la  force  des  armes  h  ôc  que  fi  les  Rois  avoient  pris  ce  par- 
ti, ils  s'étoient  comportez  en  cela  comme  les  médecins,  qui 
connoiflant  une  maladie ,  fouvent  n'en  fçavoient  pas  la  caufe; 

mais 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Lrv.  XXV.       fàt 

niais  qu'aujourd'hui  l'expérience  avoit  appris  que  la  violence 
étoit  un  remède  hors  de  faifon  ,  &  contraire  au  mal.  »  Quelles  ]7rAnCOis 
loix,  ajouta  le  Chancelier,  n'a- 1  on  pas  publiées  à  ce  fujet  ?  jj/ 
Que  de  punitions,  ôc  de  fupplices,  dont  les  Magiftrats  ont  j^0i 
été  eux-mêmes  les  victimes  !  A  quoi  a  fervi  de  s'armer  en  Al- 
lemagne ,  en  Angleterre,  &  en  Ecoffe  ?  L'ancienne  Reli- 
gion a  été  ébranlée  par  les  combats  ,  &  la  nouvelle  s'eft  ac- 
crue. Les  maladies  de  l'efprit  ne  doivent  pas  être  gouvernées 
comme  celles  du  corps.  L'ufage  nous  apprend  ,  que  la  force 
des  raifons  ,  &  la  douce  perfuafion  de  la  parole,  font  les  feuls 
moyens  qui  gagnent  les  cœurs,  &  guérilîent  les  efprits.  Ainli 
le  Roi  ordonne  par  un  édit,  qu'en  attendant  qu'on  tienne  un 
Concile ,  les  Prélats  ayent  à  édifier  leur  troupeau  par  leur  pré- 
fence ,  ôc  par  une  vie  exemplaire ,  &  à  les  nourrir  par  la  parole 
de  Dieu ,  ôc  lafemence  d'une  pure  doctrine.  »  Le  Chancelier 
dit  encore ,  que  fi  le  Parlement  croyoit  qu'on  dut  interpréter 
quelques  articles  de  cet  édit,  y  ajouter,  ou  retrancher ,  il  de- 
voit  finir  au  plutôt  la  délibération  qui  étoit  commencée  ;  que 
fa  Majefté  étoit  difpofée  à  écouter  favorablement  les  repre- 
fentations  de  fes  officiers  >  ôc  à  changer  dans  fon  édit  ce 
qui  lui  paroîtroit  devoir  être  réformé.  Que  cependant  le  Roi 
avoit  cru  qu'il  falloit  prévenir  les  troubles ,  ôc  arrêter  les  fac- 
tions ,  qui  intereffoient  tout  enfemble  le  repos  public,  ôc  l'au- 
torité Royale  :  Que  pour  cela  il  avoit  donné  ordre  à  fes  Gou- 
verneurs ,  ôc  Lieutenans  généraux  dans  les  Provinces  ,  de 
punir  févérement  les  coupables  ,  ôc  de  charger  les  Prévôts 
d'empêcher  toutes  affemblées  illicites  -,  qu'au  relie  on  ne  de- 
voir pas  trouver  étrange ,  qu'on  eut  ôté  à  ces  fortes  de  cri- 
minels la  liberté  d'appeller  aux  tribunaux  fupérieurs  ',  qu'il 
falloit  dans  les  féditions  de  prompts  exemples  s  ôc  qu'on  fça- 
voit  que  ces  fortes  de  crimes  demeuroient  d'ordinaire  impu- 
punis ,  à  la  faveur  des  longues  procédures  d'un  appel. 

Qu'au  furpius ,  il  avoit  peu  de  chofes  à  leur  dire  fur  le  re- 
tranchement des  offices  de  judicature,  que  le  Roi  déclaroit 
éteints  à  la  mort  des  titulaires  ;  que  la  juftice ,  ôc  1  utilité  de 
cet  édit  frappoient  allez  >  que  jufqu'ici  l'illuftre  Compagnie  > 
devant  qui  il  parioit,  avoit  été  avilie  par  la  multiplication  des 
officiers,  Ôc  que  moins  elle  feroit  nombreufe,  plus  elleferoit 
honorée  ;  que  par  là  leur  dignité  feroit  augmentée  >  ôc  le  thréfor 
Tome  III,  Vuu 


fi*  HISTOIRE 

htma  du  Roi  foulage  j  6c  que  s'il  pouvoit  fournir  à  peine  aujour- 

Francois  d'hui  au  payement  de  gages  modiques ,  lorfque  le  nombre 
JX,        des  juges  feroit  diminué ,  on  pouroit  aifément  y  fatisfaire,  quel- 
I  y  6  o.     c]ue  confiderables  que  fuffent  les  appointemens  :  Que  l'inten- 
tion du  Roi  étoit,  que  le  Parlement  eût  une  attention  parti- 
culière fur  la  ville  de  Paris  •■>  parce  qu'il  étoit  perfuadé  que  de 
la  bonne  police    &  de  la  tranquillité  de   cette  grande  ville 
dependoit  le  repos  ôc  le  bon  ordre  du  Royaume ,  dont  elle 
étoit  la  capitale  5  que  fa  Majefté  n'ignoroit  pas,  que  fa  Cour 
de  Parlement  avoit  fait  déjà  de  fages  reglemens  à  ce  fujet  ;  mais 
qu'après  tout  on  commençoitbien  deschofes  en  France  >  qu'on 
n'achevoit  jamais  ;  qu'il  falloit  s'informer  exactement  de  ceux 
qui  venoient  tous  les  jours  dans  cette  ville,,  quelle  étoit  leur 
condition ,  le  fujet  de  leur  voyage ,  ôc  le  lieu  de  leur  demeu- 
re ,  afin  d'empêcher,  s'il  étoit   pofîible ,  les  affemblées   pro- 
hibées :  Qu'on   avoit  porté  des  plaintes    au  Roi  de  différen- 
tes Cours  de  fon  Royaume ,  dont  les  officiers  étoient  oppo- 
fez  hs  uns  aux  autres ,  ôc  fur-tout  des  Parlemens  de  Touloufe 
ôc  de  Bordeaux  ;  que  fa  Majefté  néanmoins  vouloit  bien  les 
croire  mal  fondées  ;  qu'au  refte  il  voyoit  avec  plaifir  que  rien 
n'eût  terni  encore  la  pureté  ôc  l'éclat  du  Parlement  de  Paris, 
de  cette  Cour  qui  étoit  expofée  au  plus  grand  jour ,  ôc  éclai- 
rée de  plus  près  des  rayons  de  la  Majefté  Royale:  Que  néan- 
moins il  ne  pouvoit  s'empêcher  de  leur  dire  ,  que  le  Roi  avoit 
appris  avec  peine ,  qu'ils  étoient  divifez  entre  eux ,  par  les  fac- 
tions des  Princes  ôc  de  quelques  Seigneurs ,  les  uns  attachez 
à  un  parti  3  ôc  les  autres  en  favorifant  un  contraire  ;  enforte 
que  ces  Grands  fevantoient  tout  haut,  s'il  ofoit  rapporter  une 
comparaifon  odieufe ,  que  certains  magiftrats  leur  étoient  au- 
tant dévouez  que  des  Courtifannes }  dont  à  prix  d'argent  ils 
achetoient  les  faveurs  :  Que  plufieurs  s'etoient  fait  agens  des 
affaires  de  quelques  perfonnes,  dont  ils  dévoient  être  les  juges 
naturels ,  Ôc  proftituoient  ainfi  honteufement  leurs  fervices  à 
ceux  dont  la  vie  ôc  les  biens  étoient  entre  leurs  mains. 

Il  ajouta  ,  que  fouvent  il  s'élevoit  entre  eux  de  grands  dif- 
férends '■>  que  cependant  l'union  ôc  la  paix  étoit  le  cara£lere  des 
Chrétiens  ,  ôc  que  les  fouverains  tribunaux  3  crées  pour  calmer 
les  animofitez,  ou  juger  les  procès,  dévoient  parleur  concor- 
de   édifier   les  peuples  ,   ôc  leur   fervir   d'exemple  5  parce 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV,       fa* 

qu'étant  comme  fur  un  grand  théâtre,  leurs  vertus,  ou  leurs  vi-  «—^». —■■■■» 
ces  étoient  expofez  aux  yeux  de  tous  5  que  d'ailleurs  le  Roi  François 
étoit  averti  qu'ils  travailloient  dans  la  vue  d'un  gain  fordide,  JJ. 
ôc  augmentoient  tous  les  jours  leurs  honoraires ,  ôc  que  fou-  1560. 
vent  ils  étoient  partagez  dans  leurs  avis  :  Qu'au  refte  il  ne  di- 
foit  pas  cela  pour  faire  des  reproches  au  Parlement ,  ni  pour 
s'attribuer  le  droit  de  leur  impofer  des  loix ,  étant  difpofé  lui- 
même  à  fe  foumettre  à  leur  cenfure  ;  mais  qu'il  avoit  cru  être 
obligé  de  leur  déclarer  ce  que  penfoient  la  plupart  des  hom- 
mes d'un  corps  fi  conildérable  ,  ôc  de  leur  apprendre  les 
plaintes  qu'on  faifoit  au  Roi  tous  les  jours  à  ce  fujet.  Le 
Chancelier  ajouta,  que  quoiqu'il  ne  crût  pas  qu'on  dût  dans 
les  jugemens  fe  conformer  toujours  à  ceux  qui  avoient  été  ren- 
dus ci-devant  fur  les  mêmes  matières ,  il  ne  pouvoit  néanmoins 
approuver  ces  Magiftrats,  qui  rejettant  l'autorité  refpectable  des 
anciens  arrêts ,  croyoient  ne  devoir  juger  ,  que  fuivant  leurs 
propres  lumières.  Enfuite  il  exhorta  la  Compagnie  à  abréger 
les  procès,  ôc  à  épargner  aux  plaideurs  l'embarras  des  longues 
procédures ,  ôc  les  frais  ruineux  ,  en  jugeant  fur  le  champ , 
après  avoir  entendu  les  procureurs,  certains  procès  fommai- 
res  ,  qui  n'exigent  pas  une  plus  ample  difcuffion.  Il  loua  à 
ce  fujet  le  préfident  Chriftophle  de  Harlai ,  qui  étant  Confeil- 
ler  décidoit  ainfi  de  fon  tems  les  affaires  légères.  Enfin  il  con- 
clut en  offrant  au  Parlement  en  général  ôc  à  chaque  officier 
en  particulier  fes  bons  offices.  Alors  on  parla  en  fa  préfence, 
avec  beaucoup  de  vivacité  de  part  ôc  d'autre  ,  du  différend  cé- 
lèbre qui  étoit  entre  le  préfident  de  Saint  André,  ôc  le  préfi- 
dent de  Thou,  à  l'occafion  du  procès  du  confeiller  du  Faur, 
dont  le  Roi,  comme  je  l'ai  dit  ci-deffus  ,  avoit  renvoyé  la  con- 
ttoiffance  au  Parlement,  quoiqu'il  l'eût  auparavant  évoquée  à 
fon  Confeil.  Le  Chancelier  prit  occafion  delà  de  recomman- 
der encore  l'union  entre  les  membres  d'un  même  corps ,  leur 
difant  qu'ils  dévoient  prendre  garde  d'avilir  la  dignité  d'une 
Compagnie  autrefois  fi  floriffante  }  par  des  diffe.nfions  fcanda- 
leufes.  Enfuite  on  publia  les  édits  que  le  Chancelier  avoit  ap- 
portez, ôc  le  Parlement,  en  y  ajoutant,  en  tant  que  befoin, 
ôc  fe  conformant  à  la  févére  difcipline  de  fes  anciens  arrêts, 
ordonna  à  tousEvêques,  ôcà  tous  Curez  de  s'acquitter  exac- 
tement  de  leur  devoir ,  de  réfider  actuellement  dans    leurs 

V  u  u  i  ) 


aann 


ja*  HISTOIRE 

i  Diocefes  ,  ou  dans  leurs  parohTes ,  ôc  de  quitter  la  Cour  6c  Pa~ 
François  ris^ur  peine  de  la  faifie  de  leurs  revenus ,  ôc  même  de  leurs 
jj  meubles. 
i  s"  60  Cependant  le  prince  de  Condé  étoit  arrivé  à  Bordeaux,  & 
delà  étoit  allé  trouver  Je  Roi  de  Navarre  à  Nerac,  ôc  lui  avoit 
raconté  tout  ce  qu'avoient  fait  les  Guifes  ,  pour  le  perdre ,  lui  Ôc 
fa  maifon  >  l'exhortant  à  ne  fe  pas  abandonner  lui  ôc  les  fiens 
en  ces'  facheufes  conjonctures.  Plufieurs  Gentilshommes  d'une 
haute  qualité,  bleffez  de  lapuiffance  des  princes  de  Guife,  s  y 
étoient  aufli  rendus,  ôc  ils  fe  flattoient,  que  l'union  des  deux 
Bourbons  rétabliroit  la  liberté  opprimée  fous  des  étrangers.  Mais 
le  Roi  de  Navarre,  par  une  éternelle  fécurité,  temponfoit  tou- 
jours ,  Ôc  faifoit  échouer  par  fa  lenteur  les  meilleurs  defleins.  Le 
prince  de  Condé  fit  partir  la  Sague gentilhomme  Gafcon  ,  pour 
fe  rendre  auprès  d'Eleonor  de  Roye  fon  époufe ,  ôc  du  Con- 
nétable oncle  de  la  PrincefTe,  pour  leur  annoncer  fon  arrivée 
en  Guienne.  Il  avoit  ordre  aufli  de  s'informer  en  quelle  fitua- 
tion  étoient  leurs  affaires,  ôc  de  demandera  la  Princeffe  de  l'ar- 
gent pour  la  dépenfe  de  fa  maifon.  Car  elle  venoit  d'enga- 
ger au  Connétable  de  Montmorenci  fa  terre  de  Germigni  près 
de  Roye,  pour  une  fomme  de  trente  mille  livres.  Sur  ces  entre- 
faites les  deux  Princes  reçurent  des  lettres  du  Roi ,  qui  leur 
ordonnoit  de  fe  trouver  à  l'affemblée  indiquée  à  Fontainebleau. 
Les  Guifes ,  qui  étoient  avertis  des  projets  qu'ils  méditoient 
en  Guienne,  par  le  moyen  du  nommé  Scarfe  doineftique  du 
Roi  de  Navarre ,  dont  ils  avoient  (  à  ce  qu'on  croyoit  )  corrom- 
pu la  fidélité,  avoient  donné  au  Roi  ce  confeil.  Mais  les  Prin- 
ces jugeant  qu'il  étoit  plus  fur  d'apprendre  de  loin  les  réfo- 
lutions  de  ces  petits  Etats ,  que  d'en  être  témoins ,  s'excuferent 
de  s'y  trouver ,  fur  le  peu  de  tems  qu'ils  avoient  pour  s'y  ren- 
dre, ôc  fur  la  longueur  du  voyage.  Ils  envoyèrent  feulement 
îa  Sague  à  la  Cour  ,pour  leur  mander  ce  qui  fe  pafleroit  à  cette 
conférence. 

Il  y  avoit  long-tems  que  Montmorenci  confeilloit  au  Roi 
de  Navarre  de  venir  à  la  Cour,  d'encourager  par  là  la  Nobleffe, 
qui  lui  étoit  dévouée,  ôc  de  détruire  par  fa  préfenceles  pro- 
jets des  Lorrains.  Mais  ce  Prince,  comme  nous  l'avons  dit, 
ennemi  des  affaires  aimoit  mieux  vivre  tranquille  en  un  féjour 
éloigné ,  ôc  déconcertoit  par  fa  lenteur  naturelle  les  deffeins 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXV.       |*f 

de  fes  amis.  Le  Connétable ,  qui  avoit  eu  ordre  aufïl  de  fe  rendre  ■  _ii 

à  Fontainebleau  ne  manqua  pas  de  s'y  trouver  avec  le  comte  de  François 
Villars  ton  beau-frère,  ôc  les  trois  Coligni,  ayant  à  leur  fuite  huit        IL 
cens  ,  tant  Gentilshommes  que  cavaliers.  Montmorenci fut  bien     \  $  60* 
aife  de  faire  voir  à  fes  rivaux,  quelle  étoit  encore  fa  puiiTance,  mê- 
me dans  fa  difgrace.  Mais  ilfe  trouva  peu  de  Seigneurs  à  la  Cour, 
qui  ofaffent  aller  au-devant  de  lui.  Gouffier  de  Boifi  ,  le  Rhein- 
grave ,  Sanfac }  ôc  quelque  Chevaliers  de  l'Ordre ,  furent  les 
ieuls  qui  crurent  devoir  cet  honneur  à  leur  ancien  ami.  Ce- 
pendant les  Gouverneurs  des  provinces  eurent  ordre  de  lever 
des  troupes ,  pour  être  prêtes  à  marcher  au  premier  comman- 
dement. 

Le  21  d'Août  Jour  marqué  pour  l'afTemblée  3  le  Roi  fe  ren- 
dit l'après-diné  dans  l'appartement  de  la  Reine  mère,  où  étoit 
cette  PrincefTe,  la  Reine  régnante,  ôc  les  frères  du  Roi.  Au- 
delTous  étoient  aflis  les  cardinaux  de  Bourbon^de  Lorraine  ôc  de 
Guife.  Enfuite  les  ducs  de  Guife  ôc  d'Aumale,  le  Connétable,  le 
Chancelier,  Coligni ,  les  maréchaux  de  Saint  André  ôc  de  Brik 
fac,  André  Guillard  du  Mortier,  Jean  de Morvilliers  évêque 
d'Orléans ,  JeandeMarillac  archevêque  de  Vienne  ,  ôc  Mont- 
lue  évêque  deValence.  Les  Chevaliers  de  l'Ordre  étoient  fur  des 
bancs  au-deffous.  Le  Roi  expofa  en  peu  de  mots  le  fujet  de 
î'aflemblée  >  ôc  exhorta  ceux  qui  étoient  préfens^à  dire  libre- 
ment ,  fans  partialité  ,  ôc  fans  haine  >  ce  qu'ils  croyoient  conve- 
nir au  bien  public }  ajoutant  quefon  Chancelier ,  ôefes  oncles  le 
duc  de  Guife  ôc  le  cardinal  de  Lorraine  diroient  le  refte.  La 
Reinemere  dità  peu  prèsles  mêmes  chofes;  priant l'afTemblée- 
de  foutenir  le  thrône  de  fon  fils  par  leurs  fages  confeils ,  ôc 
de  prendre  de  juftesmefures,  pour  foulager  le  peuple,  ôepour 
ramener  la  NobleiTe  à  fon  devoir.  Enfuite  le  Chancelier  pre- 
nant la  parole ,  fe  fervit  en  termes  prolixes  de  la  comparaifon 
d'un  Médecin ,  qui  avoit  à  gouverner  un  homme  accablé  d'une 
maladie,  dont  la  caufe  lui  étoit  inconnue,  ôc  dit  plufieurs cho- 
tes ,  fur  la  défolation  ôc  la  foiblelTe  du  Royaume  ,  fur  la  No- 
bleffe  ,  fur  les  Magiftrats  ,  ôc  fur  la  corruption  qui  s'étoitglif- 
fée  dans  tous  les  Ordres  de  l'Etat.  Il  ajouta,  que  de  plus  les 
efprits  étoient  indifpofez  contre  le  Roi  ôc  fes  principaux  Mi- 
mitres ,  fans  que  la  caufe  de  cette  aliénation  générale  fût  con- 
nue, Ôc  qu'on  pût  par  conféquenty  apporter  de  remède:  que 

V  u  u  iij 


$26  HISTOIRE 

..w'-ii.;  la  plupart  peu  fatisfaits  du  préfent ,  ôc  allarmez  de  l'avenir , 

François  clue^ues_uns  Par  des  motifs  de  Religion  3  ôc  un  plus  grand 

jt         nombre  par  des  vues  d'ambition  avoient  fufcité  des  troubles» 

i  f  60     9u'au1^  S  falloit  tâcher  de  connoître  l'origine  du  mal,  pour  y 

apporter  les  remèdes  convenables  5  ôc  qu'enfin  le  Roi  n'avoir 

rien  plus  à  cœur  que  d'apprendre  de  ceux  qui  étoient  pré- 

fens,  comment  il  pourroit  foulager  fon  peuple,  conferver  à 

chaque  Ordre  fes  prérogatives ,  ôc  maintenir  fon  autorité. 

Le  duc  de  Guife  prit  la  parole  après  le  Chancelier ,  ôc  ren- 
dit  compte  des  affaires  de  la  guerre ,  qui  lui  avoient  été  con- 
fiées. Le  cardinal  de  Lorraine  fie  auffi.  un  détail  exacl:  de  l'état 
des  finances,  dont  il  avoitla  fur- intendance ,  ôc  dit,  que  les 
charges  ôc  les  dépenfes  excedoient  de  deux  millions  cinq  cens 
mille  livres  les  revenus  annuels  de  l'Etat.  On  ne  fit  rien  da- 
vantage ce  jour  là.  Le  furlendemain  on  s'afTembla  dans  le  mê- 
me ordre,  ôc  le  Roi  ayant  ordonné  aux  confeillers  d'Etat  de 
dire  leur  avis  fuivant  leur  rang  ,  l'évêque  de  Valence  ,  qui  étoit 
le  dernier  des  Confeillers ,  fe  préparoit  à  parler ,  lorfque  l'ami- 
ral de  Coligni  s'approcha  du  Roi,  ayant  mis  deux  fois  le  ge- 
nouil  en  terre ,  ôc  lui  préfenta  deux  requêtes  qui  lui  avoient, 
dit-il ,  été  mifes  entre  les  mains  par  un  grand  nombre  de  per- 
fonnes  de  toute  condition  ,  lorfqu'il  étoit  en  Normandie  occu- 
pé des  affaires  de  l'Ecoffe.  Il  ajouta  que  ces  gens  l'avoient 
îupplié  par  les  plus  vives  inftances,  de  les  protéger  auprès  du 
Roi,  ôc  que  fon  zélé  pour  fon  Souverain,  joint  à  une  vie  juf- 
qu'ici  irréprochable ,  lui  avoit  fait  croire  qu'il  ne  devoit  pas 
leur  refuier  fes  fervices.  Le  Secrétaire  d'Etat  l'Aubefpine 
lut  à  haute  voix  ces  écrits.  Ils  contenoient  en  fubftance  :  Que 
les  Supplians  avoient  crû.  devoir ,  au  nom  de  tant  de  perfon- 
nes  répandues  dans  les  Provinces  du  Royaume,  qui  fe  difent 
Chrétiens  fidèles  ,  porter  leurs  prières  ôc  leurs  vœux  au  pié 
du  thrône,  à  l'occafion  de  cette  affemblée  célèbre  ,  conjurant  fa 
Majefté  de  jetter  enfin  fur  eux  un  regard  favorable,  n'ayant  été 
jufqu'ici  perfécutez  ôc  condamnez  à  de  rigoureux  fupplices, 
que  pour  avoir  réglé  leur  vie  fur  les  maximes  de  la  vérité ,  ôc 
de  la  plus  faine  doftrine  :  Qu'ils  ne  fouhaitoient  rien  davantage 
que  de  voir  juger  leurs  fentimens  fur  les  divines  écritures,  ôc 
de  faire  voir  à  tout  le  monde  >  combien  leur  Religion  étoit 
différente  des    fe&es   dépravées  qui  flattent  les  pallions  5  ÔC 


DE  l  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.       s*7 
autorifent  les  vices  :  Qu'ils  fupplioient  qu'on  fufpendît  la  rigueur  1 1  ■■ 

des  peines  t  jufqu  a  ce  que  leur  caufe  fut  parfaitement  connue?  pRANÇois 
qu'on  leur  permît  le  libre  exercice  de  leur  cuite ,  ôc  qu'on  leur        jj 
accordât  des  Temples  où  ils  puflfent  prier  en  commun ,  afin     ,  ç  $  0. 
qu'on  ne  pût  leur  imputer  à  crime  leurs  aflemblées  particuliè- 
res :  Qu'enfin  ils  prenoient  Dieu  à  témoin ,  oc  le  Roi  même, 
qu'ils  n'avoient  jamais  rien  entrepris  contre  lui ,  ôc  qu'ils  ne 
faifoient,  ni  ne  feroient  jamais  rien  contre  l'obéifiànce  qu'ils 
lui  dévoient;  qu'ils  avoient toujours  adreffé  des  prières  au  Ciel 
pour  fa  confervation  ,  ôc  pour  la  tranquillité  de  l'Etat  >  ôc  qu'ils 
les  continueroient  toujours.  Le  Roi  ayant  loué  le  zélé  de  Co- 
ligni ,  ôc  fes  longs  6c  utiles  fervices ,  ordonna  que  l'on  conti- 
nuât d'opiner. 

Alors  Téveque  de  Valence  ,  Prélat  éloquent ,  ôc  très-eftimé 
par  fa  longue  expérience  dans  les  affaires,  Ôc  par  fa  fcience 
dans  les  Lettres  facrées ,  prit  la  parole ,  ôc  dit  -,  qu'une  étrange 
confufion  regnoit  dans  tous  les  Ordres  de  l'Etat,  que  delà  étoient 
nez  de  grands  troubles,  qu'on  ne  pourroit  calmer  qu'après  avoir 
donné  la  paix  aux  confciences:Que  véritablement  la  fageffe, 
ôc  le  zèle  de  la  Reine  mère ,  ôc  des  Princes  de  Guife  avoient 
arrêté  le  mal  dans  fes  commencemens ,  en  châtiant  les  fédi- 
tieux  par  une  févérité  exemplaire  ôc  utile  ;  mais  qu'après  tout 
on  n'avoit  point  été  encore  jufqu'à  la  racine  du  mal,  qu'il 
étoit  d'autant  plus  difficile  d'arracher  qu'elle  étoit  enfoncée, 
pour  ainfi  dire ,  très-avant  dans  Pefprit  des  hommes  :  Que  la  Re- 
ligion étoit  aujourd'hui  le  prétexte  des  troubles,  ôc  qu'on  fça- 
voit  que  rien  ne  fait  de  plus  fortes  impreffions  fur  les  efprits, 
ôc  fur  les  cœurs  }  que  l'amour  d'un  culte  ,  fut-il  faux  ôc  dépra- 
vé? que  le  mal  s'étoit  étendu  fort  loin ,  ôcavoit  fait  de  grands 
progrès  par  la  négligence  de  ceux  qui  auroient  dû  l'arrêter  : 
Que  les  fouverains  Pontifes  n'avoient  fongé  qu'à  perpétuer  les 
guerres  pour  entretenir  les  divifions;  que  d'un  autre  côté  les  Prin- 
ces animez  du  zélé  de  la  Religion  avoient  voulu  par  les  peines 
ôc  les  fupplices arrêter  le  mal,  ôc  n'avoient  pas  réulïi ;  qu'en- 
fin les  juges  avoient  tenu  à  cet  égard  une  étrange  conduite  y 
les  uns  ayant  pouffé  la  févérité  jufqu'à  la  cruauté,  ôc  les  au- 
tres ayant  accablé  des  innocens  injustement  aceufez.,  après  avoir 
été  corrompus  par  les  largeffes  de  leurs  ennemis  :  Qu'on  ne  pou- 
voit  pas  dire  que  les  Evêques  fulfent  exemts  de  tout  reproches 


p§  HISTOIRE 

—  -  eux,  qui  négligeant  le  foin  de  leurs  troupeaux,  n'avoient  pour 

François  but  depuis  plufieurs  années ,  que  d'augmenter  leurs  revenus ,  ÔC 
IL         vi voient  dans  l'abondance  ôc  la  mollefle:  Qu'on  en  avoit  vu  une 
i  5  6  q,     fois  à  Paris  jufqu'à  quarante,  croupiflans  au  milieu  de  l'oifiveté  ôc 
des  délices ,  ôc  que  ce  n'étoit  qu'en  frémiflant  qu'il  rapportoit 
une  chofe  II  honteufe  :  Que  les  prélatures  étoient  données  fou- 
vent  à  des  enfans,  ou  à  des  hommes  indignes  ,  ôc  qu'il  arrivoit 
delà,  que  les  yeux  des  Eglifes,  c'eft-à-dire  les  Evêques,  étoient 
fermez  à  la  lumière,  ôc  que  les  colomnes  de  lamaifon  du  Sei- 
gneur étoient  renverfées  :  Que  les  Curez  ordonnez  par  de  tels 
Evêques  fuivoient   en  tout   leur   exemple  ,  Prêtres   avares  3 
ignorans ,  ôc  nullement  occupez  de  leurs  devoirs  :  Eft-il  éton- 
nant après  cela  ,  ajouta  l'évêque  de  Valence,  que  le  peu- 
ple, ôc  la  meilleure  partie  delà  Nobleife,à  qui  on  a  négligé 
d'apprendre  fa  Religion  dans  l'enfance,  fe  livrent  aifément  aux 
erreurs,  ôc  entrent  dans  les  factions?  Il  ajouta,  qu'on  ne  de- 
voit  demander  qu'à  Dieu  feul  un  remède  à  tant  de  maux  ;  qu'il 
falloit  affembler  de  toutes  les  Provinces  des  gens  de  bien , 
qui  examinaient  les  vices  des  Eccléfiaftiques ,  ôc  qui  priflent 
des  mefures  pour  les  réformer  :  Que  le  Roi  fur-tout ,  qui  de- 
voit  l'exemple  à  fes  peuples,  étoit  obligé  d'apporter  tous  fes 
foins  y  afin  que  le  faint  nom  de  Dieu  ne  fût  pas  deshonoré  ; 
que  l'Ecriture  fainte  fut  expliquée  au  peuple  dans  fon  fens  na- 
turel ,  ôc  fans  art ,  ôc  qu'il  y  eût  tous  les  jours  des  fermons 
dans  fon  Palais  ,  autant  qu'il  feroit  poffible.  Alors  adreflant  la 
parole  aux  deux  Reines ,  il  les  fupplia  de  faire  ceffer  les  chan- 
fons  profanes  ôc  impudiques ,  qu'on  ofoit  chanter  tous  les  jours 
dans  les  maifons  Royales ,  ôc  de  fubftituer  à  ces  infamies  des 
pfeaumes  François ,  ôc  de  pieux  cantiques  >  exhortant  leurs  Ma- 
jeftez  à  les  chanter  elles-mêmes  en  tout  lieu ,  ôc  en  tout  tems; 
que  cela  feroit  très-agréable  à  Dieu,  à  qui  nulle  affembléene 
peut  plaire ,  que  celle  où  il  eft  honoré  par  un  tribut  de  louanges. 
L'évêque  de  Valence  dit  encore  ,  que  ceux  là  n'avoient  pas 
l'efprit  de  la  véritable  pieté  qui  défendoient  aux  femmes  le 
chant  des  Pfeaumes  en  langue  vulgaire  ;  que  fi  les  traductions 
Françoifes  avoient  quelques  erreurs y  il  les  falloit  condamner, 
ôc  non  pas  tout  l'ouvrage  ;  que  les  ennemis  de  l'Eglife  pre- 
noient  occafion  delà  de  calomnier  les  Catholiques ,  en  difant 
qu'ils  ng  faifoient  pas  la  guerre  aux  hommes  >  mais  à  Dieu, 

lorfcju'ijs 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XXV.       $29 

lorfqu'ils  défendoient  en  public ,  ôc  en  particulier  une  pfalmo-  .»«»__    ^ 
die  inftituée  pour  glorifier  le  Seigneur,  ôc  pour  confoler  les  François 
âmes  pieufes.  L'Evêque  ajouta  ,  que  la  tenue  d'un  Concile  gé-         jj* 
néral  étoit  un  autre  remède  ,  dont  nos  pères  s'étoient  toujours     1  e  6  o. 
fervis  dans  les  différends  de  l'Eglife  :  Qu'il  ne  pouvoir  com- 
prendre comment  le  Pape  n'étoit  pas  fans  cefle  agité  des  plus 
vifs  remords,  lui  qui  laiifoit  tous  les  jours  périr  tant  d'ames, 
dont  Dieu  fans  doute  lui  demanderoit  compte  un  jour  :  Que 
fi  l'on  ne  pouvoit  obtenir  un  Concile  général ,  alors  le  Roi 
feroit  obligé  d'alfembler ,  à  l'exemple  de  Charlemagne  ôc  de- 
Louis  le  Débonnaire,  un  Synode  national,  où  fe  trouveroient 
les  Théologiens  de  la  Religion  nouvelle ,  pour  difcuter  les 
points  controverfez  avec  les  Docteurs  Catholiques  :  Que  Théo- 
dofe  avoit  affemblé  un  Concile  à  Conftantinople  contre  les 
Ariens  ôc  les  Macédoniens ,  quoique  leurs  erreurs  euffent  été 
déjà  condamnées  dans  le  Concile  de  Nicée,  ôc  en  d'autres 
Synodes  légitimes  :  Qu'au  relie  on  avoit  beaucoup  manqué  de 
part  ôc  d'autre  ;  que  les  Sectaires  étoient  inexcufables  d'avoir 
pris  les  armes,  Ôc  troublé  la  tranquillité  publique;  oubliant  le 
précepte  de  l'Apôtre ,  qui  veut  qu'on  prie  pour  les  Rois,  ôc 
qu'on  leur  obéiffe  ,  quelque rigoureufe  que  foit  leur  domination; 
ôc  ne  fe  fouvenantpas  que  pendant  les  dix  fameufes  perfécu- 
tions  de  l'Eglife,  où  périrent  des  millions  de  Chrétiens, il  ne 
s'en  trouva  jamais  un  feul ,  qui  crut  pouvoir  défendre  parles 
armes  une  jufte  caufe ,  ôc  que  tous  n'oppoferent  aux  fureurs  des 
tirans  Ôc  des  boureaux ,  qu'une  longue  patience ,  ôc  une  conf- 
tance  invincible ,  qui  les  fit  enfin  triompher  •.  Que  les  affem- 
blées  avoient  toujours  été  défendues ,  ôc  que  le  Roi  par  fes 
édits  y  avoit  fagement  pourvu  ;  mais  que  d'un  autre  côté  on 
avoit  fait  une  grande  faute ,  en  traitant  avec  inhumanité  des 
hommes  innocens  ,  que  le<  feule  zélé  de  la  pieté  animoit ,  ôc  qui 
facrifioient  leurs  biens   ôc  leurs  vies  à  une  Religion  qu'ils 
croyoient  bonne  :  Que  les  fupplices  avoient  irrité  les  fpe£la- 
teurs  mêmes ,  ôc  leur  avoient  fait  naître  l'envie  de  connoî- 
tre  une  doctrine,  qu'ils  voyoient  profelfer  au  milieu  des  flam- 
mes à  des  gens  de  mœurs  très-pures  ;  enforte  qu'ils  l'avoient 
fouvent  eux-mêmes  embrafTée  :  Que  les  premiers  Pères  de  l'E- 
glife avoient  toujours  défapprouvé  qu'on  ufât  de  violence  en- 
vers les  Hérétiques  5  que  les  trois  cens  dix-huit  Evêques  du 
Tome  III.  Xxx 


y5o  HISTOIRE 

premier   Concile  de  Nicée ,  les  fix  cens  trente  de  celui  de 

François  Calcédoine  ,  ôc  les  cent  cinquante  de  celui  de  Conftantino- 
jj         pie  n'avoient  pas  cru  >  qu'on  pût  employer  d'autres  armes  que 
i  f  6  a  parole  de  Dieu ,  contre  les  Ariens ,  les  Macédoniens,  &  les 

Neftoriens;  qu'enfin  Conftantin,  Valentinien,  Théodofe,  ôc 
Marcien ,  Princes  fi  religieux,  s'étoient  contentez  d'exiler  les  hé- 
rétiques. L'évêque  de  Valence  conclut ,  en  difant  qu'il  étoit 
d'avis  que  l'on  fursît  les  fupplices,  ôc  que  s'il  étoit  néceffaire 
d'employer  l'autorité  du  magiftrat ,  les  juges  avant  de  punir, 
examinaient  avec  foin  le  lieu,  le  tems,  les  perfonnes,  Ôc  les 
difpofitions  des  accufez ,  Ôc  le  motif  des  aflemblées  où  ils  s'é- 
toient trouvez. 

Marillac  archevêque  de  Vienne  parla  enfuite,  ôc  fit  un  dis- 
cours plus  long  encore,  ôc  plus  véhément.  Il  dit,  que  le  Royau- 
me de  France,  comme  tout  autre  Etat ,  étoit  appuyé  fur  deux 
principaux  fondemens ,  fur  un  culte  raifonnable  Ôc  pieux  ,  Ôc 
fur  l'amour  des  fujets  envers  leur  Prince;  qu'il falloit  mainte- 
nir l'un  ôc  l'autre  par  des  moyens  convenables ,  fi  l'on  vou- 
loit  que  l'Etat  fubfiftât  ;  mais  qu'une  licence  générale ,  ôc  les 
mœurs  corrompues  de  tous  les  Ordres  ,avoient  amené  lescho- 
fes  à  un  point ,  qu'on  étoit  menacé  des  derniers  malheurs  :  Que 
pour  ce  qui  regardoit  la  Religion  ,  il  convenoit  qu'un  Con- 
cile univerfel  pourroit  remédier  à  nos  maux  s  mais  qu'on  ne 
pouvoit  guère  efperer  un  concile  fi  long-tems  fouhaité ,  à  eau- 
fe  des  dirricultez  qui  naiffent  en  ces  occafions  :  Que  perfonne 
n'ignoroit  les  foins  infinis  que  Charle  V.  s'étoit  donnez  à  ce 
fujet ,  ôc  avec  quels  artifices  les  Papes  avoient  éludé  les  pieux 
defTeins  de  ce  grand  Prince  :  Que  nos  maux  étoient  prefTans , 
que  le  Médecin  étoit  éloigné,  ôc  fon  arrivée  incertaine  ;  qu'il 
falloit  donc  avoir  recours  à  un  Concile  national,  que  le  Roi 
avoit  déjà  promis  à  fes  peuples  par  fes  édits ,  ôc  dont  on  ne  pou- 
voit plus  différer  la  tenue,  à  caufe  de  l'extrémité  où  l'Eglife 
étoit  réduite  par  la  négligence  de  fes  pafteurs  :  Qu'au  refte  cette 
pratique  étoit  autorifée  par  la  difeipline  de  l'Eglife,  ôc  parl'u- 
fage  du  Royaume  5  que  les  faints  Canons  nous  marquent ,  que 
c'étoit  la  coutume  d'affembler  tous  les  cinq  ans  des  Conciles; 
que  depuis  Clovis  jufqu'au  règne  de  Charlemagne^  ôc  depuis 
cet  Empereur  jufqu'à  Charle  VII.  on  avoit  toujours  tenu  des 
Conciles  en  France ,  foit  nationaux  3  foit  provinciaux  i  qu  ainfï 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.  5*31 

en  l'état  où  nous  étions  réduits,  on  ne  devoit  plus  différer,  &  ■» 

qu'il  ne  falloit  avoir  aucun  égard  aux  vains  obftacles  que  le  FRANCors 
Pape  apportoit  :  Que  cependant  il  falloit  obliger  tous  les  Eve-        jj 
ques,  fans  aucune  exception,  à  réfiderdans  leurs  Diocéfes,  ôc     j^0< 
à  veiller  fur  leurs  troupeaux  :  Qu'il  ne  falloit  rîlus  fouffrir  que 
les  Italiens  qui  pofledoient  le  tiers  des  bénéfices  du  Royau- 
me ,  ôc  qui,  comme  des  fangfuës ,  dévoroient  notre  fang  le  plus 
pur ,  joùîffent ,  quoiqu'abfens  ,  de  leurs  revenus  ;  hommes  im- 
pies envers  Dieu,  ôc  ingrats  envers  le  Roi  leur  bienfaiteur  :  Que 
c'étoit  par  leur  faute  que  les  peuples  ,  fe  voyant  fans  Pafteurs, 
donnoient  dans  de  nouvelles  ôc  de  fauffes  opinions ,  ôc  que 
des  féditions  s'élevoient  dans  le  fein  de  l'Etat ,  comme  on  ea 
avoit  eu  depuis  peu  un  trifte  exemple. 

Qu'il  falloit  réformer  l'Eglife  ,  ôc  commencer  par  défendre 
à  fes  miniftres  de  rien  faire  à  prix  d'argent ,  afin  que  l'avarice, 
cette  bête  de  Babilone,  qui  avoit  caufé  tant  de  maux  dans  la  mai- 
fon  de  Dieu ,  pérît  enfin  ;  ôc  que  les  Prêtres  déteftant  tout  négo- 
ce iordide  donnaient  gratuitement  ce  qui  leur  avoit  été  donné 
de  même  :  Que  toute  fimonie  ,  ôc  que  tout  foupçon  de  limo- 
nie  terniffoit  la  pureté  de  l'Eglife  ;  que  dans  cette  vue  le  Con- 
cile d'Ancyre  avoit  défendu  auxEccléfiaftiques  de  recueillir  des 
aumônes,  dansletems  de  l'adminiftration  des  facremens,  afin 
que  les  fidèles  ne  paruffent  pas  donner ,  pour  être  admis  aux 
faints  myfteres  :  Que  faint  Louis  avoit  enjoint  aux  Evêques  de 
réfider,  ôc  leur  avoit  défendu  de  faire  tenir  aucun  argent  à 
Rome  :  Que  dans  ces  derniers  tems  Paul  III.  forcé  en  quelque 

{ ote  parles  Princes  Proteftans,  avoit  affemblé,en  attendant  qu'il 
confentît  à  la  convocation  d'un  Concile  ,  Gafpard  Contarini, 
l'évêque  de  Théate  (  qui  fut  depuis  fouverain  Pontife  fous  le 
nom  de  Paul  IV  )  Jacques  Sadolet ,  ôc  Poole ,  tous  perfonna- 
ges  fçavans  ôc  pieux,  qui  décidèrent  d'une  commune  voix,  qu'on 
nepouvoit ,  ôc  qu'on  ne  devoit  rien  faire  à  prix  d'argent,  dans 
l'ufage  des  clefs ,  c'eft-à-dire,  dans  les  fondions  Eccléfiaftiques; 
mais  que  le  Pape  Paul  IIL'n'avoitpas  paru  depuis  penfer  ainii,  ôc 
encore  moins  Paul  IV.  toujours  occupé  de  guerres  ,  ôc  de  céré- 
monies pompeufes  ;  quoiqu'il  eût  condamné  l'avarice  des  Prê- 
tres, étant  Cardinal  :  Quefiaujourd'hui'on  ne  rétabliffoit  pas  une 
pratique  depuis  (ilong-tems  négligée ,  il  arriveroit  ce  que  faint 

Bernard  aprédit ,  que  Jefus-Chrift  defeendant  du  ciel  chaffera 

Xxx  ij 


W  HISTOIRE 

i  avec  fon  fouet  les  Prêtres  de  fa  maifon ,  comme  il  en  chafTa 

François  autrefois  ceux  qui  y  faifoient  un  honteux  trafic  :  Que  de  plus 
jl>  les  Minières  de  l'autel  dévoient  s'armer  de  leurs  armes  3  c'eft- 
i  s*  6  o.  à-dire  prier  en  public ,  gémir  ,  jeûner  ;  ôc  prendre  en  leurs  mains 
l'épée  de  Dieu*  c'eft-à-dire,  fe  fervirde  la  parole  toute-puif- 
fante  de  celui ,  qui  n'étoit  prefque  plus  connu  dans  l'Eglife  que 
par  le  nom ,  ôc  dont  elle  ne  faifoit  plus  d'ufage  :  Que  ni  les 
thiares  ,  ni  les  croffes ,  ni  les  mithres ,  ni  les  autres  omemens 
facerdotaux  ,  (ignés  extérieurs  de  l'homme  intérieur,  qui  doit 
marcher  fans  cefTe  dans  les  voies  de  la  vie,  de  la  vérité,  ôc 
de  la  pure  doûrine,  ne  pourraient  empêcher  le  peuple  d'avoir 
un  grand  mépris  pour  les  Prêtres ,  fi  contens  de  ces  dehors 
refpectables  ôc  pompeux,  ils  négligeoient  leur  devoir  :  Que 
cette  fentence  terrible,  qui  dit,  que  lacoignée  a  déjà  étémife 
à  la  racine  de  l'arbre ,  devoit  être  parvenue  jufqu'à  eux ,  Ôc  leur 
avoir  ouvert  les  yeux. 

Marillac  ajouta ,  qu'il  étoit  d'avis  qu'on  ne  devoit  pas  né- 
gliger les  fecours  humains  ;  qu'il  falloit  punir  les  féditieux,  ôc 
apprendre  aux  peuples ,  que  des  fujets  ne  peuvent  pour  quel- 
que raifon  que  ce  foit,  prendre  les  armes  fans  l'ordre  du  Prin- 
ce ,  à  qui  feul  l'épée  eft  confiée  pour  la  défenfe  des  loix  :  Qu'au 
refte,  pour  en  venir  à  l'attachement  que  les  peuples  doivent  avoir 
pour  leur  Souverain  ,  il  ne  voyoit  point  de  meilleur  moyen 
pour  faire  revenir  les  efprits  aliénez  ,  que  d'alTembler  les  Etats 
généraux  fuivant  l'ancien  ufage  du  Royaume  ç  que  c'étoit  le 
feul  tribunal  où  fe  pouvoient  porter  les  plaintes  de  toutes  les 
provinces  de  la  France,  ôc  qui  pût  remédier  aux  maux  univer- 
îels  3  les  juges  ôc  les  magiftrats  n'étant  établis  que  pour  juger 
les  procès,  ôc  terminer  les  différends  des  particuliers  :  Que  dans 
ces  affemblées  générales  les  fujets  entroient  en  quelque  forte 
en  conférence  avec  le  Souverain,  ôc  ofoientlui  expofer  leurs 
maux  avec  une  refpe&ueufe  liberté  ;  que  d'un  autre  côté  le 
Prince  faifoit  entendre  à  tous  les  Ordres  du  Royaume  fesfoli- 
des  raifons,fouvent  plus  équitables  que  leurs  plaintes  :  Qu'il  arri- 
voit  delà,  que  tous  fupportoient  avec  patience  >  non  un  joug 
impofé  par  le  Roi ,  mais  un  fardeau  caufé  par  les  befoins  de 
l'Etat,  ôc  que  fans  murmurer  ils  obéiffoient  avec  joie.  L'Arche- 
vêque plein  de  droiture  ôc  defincerité,  ôc  qui  n'ayant  jamais 
fcû  flatter ,  étoit  peu  goûté  à  la  Cour,  dit  à  ce  fujet  plufieurs 


DE  J.  A.  DE  THQU,  Liv.  XXV.         5-33 

chofes  allez  fortes  ,  qui  déplurent  fans  doute  aux  Guifes.      -——..*— 
Enfin  Coligni  opina  à  fon  rang.  Il  parla  des  requêtes  qu'il  FrANç0is 
avoit  prcfentées  au  Roi,ôc  ajouta,  qu'ayant  demandé  à  ceux        jj 
qui  les  lui  avoient  données,  qu'ils  euffent  à  les  ligner,  ils  lui     j  <*  ^0t 
avoient  répondu,  que  plus  de  cinquante  mille  hommes  y  fouf- 
criroientjs'il  étoitnéceffaire.  Il  dit  encore,  qu'il  importoit ex- 
trêmement que  le  Prince  fût  aimé  de  fes  fujets,  &  qu'il  ne 
connoiffoit  rien  de  plus  funefte  pour  un  Roi ,  que  de  craindre 
fes  peuples ,  ôc  d'en  être  craint  :  Qu'on  avoit  pris  un  mauvais 
parti ,  en  faifant  élever  un  jeune  Roi  dans  une  continuelle  dé- 
fiance des  liens,  ôc  en  lui  donnant  des  troupes  pour  le  gar- 
der :  Que  cette  pompe  terrible  éteignoitpeu  à  peu  l'amour  dans 
le  cœur  des  hommes ,  Ôc  y  faifoit  place  à  la  haine  ;  que  le  Roi 
devoit  plutôt  apprendre  des  Princes  de  fon  fang,  qu'un  em- 
pire foutenu  par  la  terreur  n'eft  jamais  durable,  ôc  que  l'obéïf- 
îance  fe  relâche  infenfiblement,  quand  on  cherche  tout  autre  ap- 
pui que  celui  des- anciennes  loix.  Enfin  il  conclut ,  qu'il  falloit 
trouver  quelques  moyens  convenables  pour  bannir  les  erreurs 
de  la  maifon  de  Dieu ,  ôter  les  gardes  qu'on  avoit  donnez  au 
Roi,  ôc  afTemblerau  plutôt  les  Etats, 

Le  duc  de  Guife  ,  qui  depuis  long-tems  redoutoit  le  ca- 
ractère de  Coligni ,  s'attacha  à  réfuter  fon  avis.  Il  dit  que  te  Roi 
élevé  fous  les  yeux  de  la  Reine  mère ,  Princefle  aufîl  fage  qu'ha- 
bile, donnoit  les  plus  grandes  efperances  d'un  règne  heureux* 
que  foutiendroient  de  vertueufes  maximes ,  Ôc  non  la  crainte 
ni  la  haine  ;  mais  que  les  factions  des  rnéchans  avoient  amené 
les  chofes  à  ce  point,  qu'il  avoit  été  néceflaire  de  donner  des 
gardes  au  Roi ,  pour  mettre  fon  augufte  perfonne  en  fureté  con- 
tre les entreprifes  des  rebelles;  qu'on  ne  pouvoir  douter,  quoi- 
qu'en  diflent  des  hommes  pleins  de  maîice.quela  dernière  conf- 
piration  n'eût  été  formée  contre  la  majefté  du  Prince  >  ôc  non 
contre  fes  miniftres  :  Que  pour  ce  qui  étoit  de  la  Religion ,  il 
s'en  rapportoit  aux  perlonnes  plus  habiles  que  lui  fur  ces  ma- 
tières ;  mais  qu'après  tout  aucun  Concile  ne  pourroit  lui  faire 
abandonner  la  Religion  de  fes  pères  >  fur-tout  par  rapport  au 
plusfaint  de  nosmyfteres;  ôc  que  pour  ce  qui  étoit  de  la  con- 
vocation des  Etats,  il  fe  conformerok  en  tout  à  la  volonté 
du  Roi. 

Le  cardinal  de  Lorraine  parla  le  dernier,  ôc  ayant  déclamé 

Xxx  iij 


m  HISTOIRE 

.  avec  force  contre  les  requêtes  préfentées  par  l'Amiral ,  il  dit 

François  (\uq  cet  ^cr*t  *  conÇu  en  apparence  en  termes  refpectueux 
jj  ôc  mefurez ,  étoit  en  effet  infolent  &  féditieux ,  &  faifoit  voir 
i  ?  60.  clue  cesgens  ^  feroient  obé'ïïfans  ôc  fournis,  fi  le  Roi  vouloit 
autorifer  leurs  mauvais  fentimens.  Que  veut  dire  autre  chofe, 
ajoûta-t-il  ,  cet  avis  audacieux  qu'on  donne  au  Roi ,  qu'ils  font 
prêts  à  foufcrire  leur  requête  ,  au  nombre  de  cinquante  mille 
hommes  ?  Leur  donner  des  temples  ,  ne  feroit-ce  pas  approu- 
ver leur  doctrine  déjà  condamnée?  Le  Cardinal  dit  encore,qu'on 
voyoit  quels  étoient  leurs  deffeins  par  leurs  libelles  répandus 
partout,  dont  il  avoit  plufieurs  exemplaires  qu'il  gardoit  avec 
loin ,  tenant  à  honneur  de  fe  voir  déchirer  par  les  fatires  de 
ces  médians  :  Que  rien  n'étoit  plus  dangereux  qu'une  fauffe 
Religion,  qui  fe  couvre  du  nom  de  l'Evangile  ôc  de  la  foi; 
pour  exciter  des  troubles,  Ôc  qu'il  étoit  d'avis  qu'on  punît  fé- 
vérement  ces  fortes  de  perfonnes  :  Que  du  refte  il  convenoit 
de  traiter  avec  douceur  ceux  qui  s'aflembloient  fans  armes  > 
Ôc  pour  fatisfaire  feulement  à  des  devoirs  de  pieté,  ôc  qu'il  fal- 
loit  les  faire  rentrer  dans  le  fein  de  l'Eglife ,  moins  par  violen- 
ce que  par  des  avis  falutaires  :  Que  pour  lui  il  facrifieroit  vo- 
lontiers fa  vie  à  un  emploi  auffi  faint  ;  que  les  Evêques  ôc  les 
Curez  dévoient  faire  tous  leurs  efforts  pour  guérir,  par  leurs 
foins  ôc  par  leur  préfençe  ,  les  maux  que  leur  négligence  avoit 
caufez  ;  qu'il  falloit  obliger  les  Gouverneurs  des  provinces  à 
faire  leur  devoir  :  Que  du  refte  ne  s'agiffant  que  de  corriger 
les  mœurs ,  Ôc  de  faire  régner  une  exa&e  difcipline ,  l'affem- 
blée  d'un  Concile  foituniverfeh  foit  national,  lui  paroiffoit  peu 
néceflaire  j  que  cependant  il  falloit  enjoindre  aux  Evêques  Ôc 
aux  Curez  ,  d'avertir  le  Roi  dans  deux  mois  des  erreurs  qu'il 
faudrok  réformer,  afin  que  ce  Prince  jugeât,  s'il  étoit  utile  de 
convoquer  un  Concile;  que  du  refte  il  confentoit  à  la  tenue 
des  Etats  généraux. 

Les  Chevaliers  de  l'Ordre  furent  tous  de  l'avis  du  Cardi- 
nal. Le  Roi  ôc  la  Reine-mere  remercièrent  l'affemblée  ,  ôc 
l'affurerent  qu'ils  fuivroient  fes  confeils.  On  donna  un  Edit  en 
conféquence  en  datte  du  26  Août,  qui  indiquoit  pour  le  10 
de  Décembre  la  tenue  des  Etats  du  Royaume  à  Meaux.  Il 
pQrtoit  de  plus ,  que  fi  l'on  ne  pouvoit  obtenir  fi-tôt  un  Con- 
cile œcuménique,  on  en  convoqueroit  un  de  la  Nation 3  que 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.       m 

le  Pape  avoit  promis  un  Concile  général  5  mais  que  les  Eve-    1       1, 1    * 
ques  ne  Jaifleroient  pas  de  fe  trouver  le  10  de  Janvier  en  un  pRANCOis 
lieu  que  le  Roi  leur  marqueroit,  pour  délibérer  de  la  manière        jj* 
de  tenir  un  Svnode  national ,  fi  les  délais  du  S.  Siège  ôtoient    ,  ..  *  ~ 
toute  eiperance  d  en  voir  un  gênerai  5  que  chacun  eut  a  le  re- 
tirer chez  foi  jufqu'à  nouvel  ordre  t  afin  de  fe  préparer  pour 
cette  affemblée,  lorfqu'il  s'agiroit  de  la  tenir  :  qu'on  fufpendoit 
quant-à-prefent  la  punition  des  Sectaires  ;  mais  que  le  Roi  fe 
refervoit ,  ôc  à  fes  Juges ,  le  droit  de  châtier  févérement  ceux 
qui  avoient  armé  les  peuples ,  ôc  allumé  des  féditions.  C'eft 
ainfi  que  la  Religion  Proteftante  jufque-là  fi  odieufe  ,  com- 
mença à  être  tolérée  ôc  comme  approuvée ,  du  confentement 
tacite  de  fes  ennemis  mêmes. 

Alors  on  diftribua  la  cavalerie  par  tout  le  Royaume  ,  Ôc  en 
différents  Gouvernemens  ;  enforte  que  ceux  qui  étoient  fufpetls 
furent  détachez  de  leurs  corps ,  ôc  fervirent  avec  d'autres  trou- 
pes bien  intentionnées  ,  ôc  plus  fortes  en  nombre.  Le  duc  de 
Montpenfier  fut  envoyé  en  Touraine  ,  dont  il  étoit  Gouver- 
neur, ôc  il  eut  le  commandement  des  enfeignes  de  Vafle  ôc 
de  Gonor,  ôc  de  la  gendarmerie  Ecoflbife.  Le  prince  de  la 
Roche-fur-Yon, gouverneur  d'Orléans,  eut  ordre  de  s'y  ren- 
dre, Ôc  on  lui  donna  les  gendarmes  d'Orléans,  de  la  Trimouille, 
ôc  du  Vidamede  Chartres.  Le  duc  de  Nevers  ,  gouverneur  de 
Champagne  Ôc  de  Brie ,  partit  pour  Troyes  avec  fa  compa- 
gnie d'ordonnance,  ôc  celles  du  prince  de  Condé,  de  Fran- 
çois d'Efte ,  de  la  Roche-du-Maine ,  Ôc  de  Beauvais.  Le  maré- 
chal de  Montmorenci  eut  ordre  de  demeurer  dans  fon  gouver- 
nement del'Iile  de  France,  avec  fa  compagnie  de  cavalerie,  ôc 
celle  du  Connétable  fon  père,  parce  que  les  Guifes  s  qui  avoient 
le  fouverain  commandement, demeurant  à  Paris,  il  n'y  avoit  rien 
à  craindre.  S.  André  fut  envoyé  à  Moulins  en  Bourbonnois , 
ayant  à  fes  ordres  les  compagnies  de  Damville ,  deBourdillon, 
de  la  Fayette  ,  du  comte  de  Villars ,  Ôc  de  Montluc.  On  mit 
fous  Brifîac,  gouverneur  de  Picardie  ,les  enfeignes  de  Senar- 
pont,  d'Humieres,  de  Chaunes  ôc  de  Hangeft  Genlis.  De  Ther- 
mes fut  laiffé  à  Loches  en  Touraine,  pour  obferver,  à  ce  qu'on 
difoit ,  la  conduite  du  duc  de  Montpenfier.  Il  eut  outre  fa 
compagnie, celles  du  prince  de  Navarre,  de  Sanfac,  du  comte 
jde  la  Rochefoucaut,  de  Randan  fon  frère,  de  Chabot  comte 


H*  HISTOIRE 

*!_______■  de  Chat ny  ,  de  Dailion  du  Lude ,  ôc  de  d'Efcars-la-Vauguyon. 

François  Villebon  alla  commander  en  baffe-Normandie ,  avec  les  corn- 
II *        pagnies  du  marquis  d'Elbeuf ,  d' Annebaut,  ôc  de  la  Meilleraye. 
j  ç  ^        Enfin  Vieille-ville  '  demeura  à  Rouen, avec  les  enfeignes  de 
l'amiral  de  Coligni,  Ôc  d'Etrées. 

On  avoir  arrêré  peu  auparavanr ,  par  Tordre  des  Guifes  ,  la 
Sague ,  dont  nous  avons  parlé  ci-defîus  >  6c  on  lui  avoir  pris 
plufieurs  lettres ,  dont  il  étoit  chargé  pour  le  roi  de  Navarre. 
Ce  qui  occafionnala  refolution  que  prit  la  Cour,  de  hâter  la 
perte  du  prince  de  Condé.  La  Sague  étant  venu  à  Fontaine- 
bleau ,  y  avoit  trouvé  un  officier,  nommé  Banne  ou  Bonval  a 
avec  qui  il  avoir  fervi ,  Ôc  qui  étant  à  Cafal  dans  le  Montfer- 
rat ,  avoit  eu  l'emploi  de  premier  Capitaine.  La  Sague  dit  à 
Bonval,  que  la  Roche,  enfeigne  d'une  compagnie  des  gardes 
en  Piémont ,  lui  avoit  donné  avis,  que, lui  Bonval,  avçit  été 
maltraité  des  Guifes,qu'il  fe  donneroit  volontiers  au  roi  de  Na- 
varre ,  ôc  qu'il  n'auroit  pas  de  peine  à  l'emmener  avec  lui  en 
Guyenne.  Bonval  paroilTant  convenir  de  ce  que  lui  difoit  la 
Sague  ,  celui-ci  lui  fît  de  grandes  confidences ,  ôc  lui  raconta 
tout  ce  qu'il  avoit  oui  dire  aux  Princes  fes  maîtres ,  ôc  même 
plus  qu'il  n'en  fçavoit  ;  ajoutant  qu'ils  reflentoient  vivement 
les  injures  reçues  des  Guifes ,  ôc  qu'ils  fe  preparoient  à  la  ven- 
gence  ;  qu'ils  avoient  (i  bien  pris  leurs  mefures ,  que  toute  la 
puiffance  des  Guifes ,  ni  celle  du  Roi ,  ne  les  pourroient  garan- 
tir du  péril  donr  ils  étoient  menacez.  Bonval  ayant  raporté  tout 
cela  au  comte  de  BrifTac ,  qui  avoit  été  fon  général,  ce  Seigneur 
le  préfenta  au  duc  de  Guife,  qui  lui  ordonna  d'entretenir  tou- 
jours les  mêmes  liaifons  avec  la  Sague ,  ôc  de  le  faire  connoî- 
tre  à  du  Croc  échanfon  de  la  Reine.  A  peine  la  Sague  fut  il 
parti  de  Fontainebleau  ,  que  du  Croc  courut  après  lui.  L'ayant 
atteint  à  Etampes ,  il  l'arrêta  ,  ôc  le  livra  aux  Guifes  avec  un 
grand  nombre  de  lettres ,  dont  il  étoit  porteur.  Il  y  en  avoit 
plufieurs  des  Montmorencis  adreflées  aux  Princes.  Les  Gui- 
fes, qui  cherchoient  depuis  longtems  Foccalionde  perdre  ces 
Seigneurs  dans  l'efprit  du  Roi ,  euiTent  bien  voulu  y  trouver 
ce  qu'ils  fouhaitoient.  Mais  ces  lettres  étoient  de  limples  corn- 
plimens ,  Ôc  les  plus  mal  intentionnez  neuffent  pu  les  çmpoir 
fonner. 

j  II  fut  depuis  maréchal  de  France. 

Les 


DE   J.  A.  DE   THOU,Liv.  XXV.       frt 

Les  lettres  du  vidame  de  Chartres  an  prince  de  Condé , 

ieiK  donnèrent  plus  d'allarme.  Car  elles  étoient  écrites  enter-  t7d»x^^tc 
,      .  r  r  r  ,     D  •  i  •  a..       -i  FRANÇOIS 

mes  équivoques  s  eniort-e  que  11  le  rrince  les  avoit  reçues ,  il 

eût  pu  en  comprendre  le  fens  ;  mais  elles  en  préfentoient  un  J 

autre  à  ceux  qui  les  avoient  interceptées.  Le  Vidame  ofTroit  fes 
fervices  au  Prince,  s'il  entreprenoit  quelque  chofe  pour  l'in- 
térêt du  Roi.  Dès  que  le  duc  de  Guife  eut  lu  ces  lettres ,  il 
commanda  à  Raffin-Poton  fénéchal  d'Agenois  ,  6c  capitaine 
de  la  garde  du  Roi ,  de  fe  rendre  à  Paris  avec  le  Prévôt  de 
l'Hôtel ,  de  faire  part  de  fes  ordres  au  préildent  Chriftophle  Le  vidame 
de  Thou  .  ôc  d'arrêter  le  Vidame.  Ce  qui  ayant  été  exécuté  t  dc.  Chartres 
il  fut  conduit  à  la  Bafiille  le  27  d  Août.  La  bague  oc  Bonval  Baftille. 
avoient  été  interrogez  féparément  ,  Ôc  comme  ils  ne  conve- 
noient  pas  des  mêmes  chofes ,  on  jugea  à  propos  de  les  con- 
fronter l'un  à  l'autre.  La  Sague  perliftant  à  nier  ce  que  Bon- 
val  lui  foûtenoit  avoir  appris  de  lui  ,  il  fut  appliqué  à  la  ques- 
tion. Cet  homme  ,  à  la  vue  des  tourmens  qu'on  lui  préparoit , 
avoua  tout  ,  difant  ce  qu'il  fçavoit  ,  ôc  ce  qu'il  conjetturoit 
feulement.  Il  confelTa  que  le  roi  de  Navarre  ôc  le  prince  de 
Condé  fe  préparoient  à  venir  à  la  Cour  avec  de  nombreufes 
troupes ,  ôc  qu'ils  avoient  defTein  de  prendre  fur  la  route  Poi- 
tiers ,  Tours  ôc  Orléans,  villes  qui  leur  étoient  affectionnées  » 
que  le  connétable  de  Montmorenci ,  qui  étoit  à  la  tête  de  l'en- 
treprife ,  devoit  fe  rendre  maître  de  Paris  par  le  moyen  du  Duc 
fon  fils,  qui  en  étoit  Gouverneur  j  que  Senarpont  ôc  Boucha- 
vannes  dévoient  s'alTurer  de  la  Picardie  ,  Jean  de  la  Brofle- 
d'Etampes ,  de  la  Bretagne,  ôc  Claude  de  Savoye  comte  de 
Tende ,  beau-frere  du  connétable ,  de  la  Provence.  La  Sague 
dit  encore ,  que  Montmorenci  devoit  foulever  ,  par  fes  créatu- 
res ôc  fes  amis  ,  les  autres  provinces  du  Royaume  ;  ôc  que  le 
defTein  de  tous  étoit  d'expulfer  les  princes  de  Guife ,  ôc  de  main- 
tenir la  liberté  publique  ;  qu'enfin  tous  les  Gentilshommes  s'é- 
toient  unis  pour  obliger  les  princes  Lorrains  à  quitter  le  mi- 
niftere.  La  Sague  parloit  auill  de  certains  ordres  ambigus  don- 
nez par  les  Princes ,  qui  fembloient  annoncer  une  révolution 
dans  l'Etat.  Orléans  devoit  être ,  à  ce  qu'il  difoit ,  comme  la 
place  d'armes  des  Fatlieux. 

Au  refte  Bonval  faifant  réflexion  qu'il  s'étoit  engagé  dans 
une  affaire  délicate ,  ôc  qu'il  auroit  peine  à  échaper  en  France 
Tom.  III.  Yyy 


T3S  HISTOIRE 

,  à  la  vengence  des  Princes  ;  fongea  à  s'aflurer  une  retraite  hors 
p,  du  Royaume.  Il  fe  joua  en  même  tems  par  une  perfidie  infi- 

TT  '        êne  °-u  ^uc  ^e  Guife  >  &  d'un  nommé  Garigni ,  avec  qui  il 
*         avoit  long-tems  porté  les  armes.  Celui-ci  étoit  gouverneur  de 

'  {  Verfol ,  château  de  la  principauté  de  Saluffes ,  fitué  entre  Car- 

magnole ôc  le  Mont-Cenis ,  où  il  n'avoit  qu'une  foible  garni- 
fon.  Il  étoit  depuis  long-tems  ami  particulier  de  Bonval,  Ôc  il 
lui  avoit  confié  fou  blanc-feing  ,  pour  recevoir  à  la  Cour  les 
appointemens  qui  lui  étoient  dûs.  Bonval  rit  de  ce  papier  un 
ufage  que  Garigni  n'auroit  pas  prévu.  Il  en  remplit  le  vuide 
d'une  lettre  ,  que  fon  ami  fembloit  écrire  au  duc  de  Guife  > 
pour  le  fupplier  de  nommer  à  fon  gouvernement  Bonval  fon 
ancien  camarade,  ôc  de  lui  en  faire  expédier  les  provifions.  Le 
Duc  confentit  volontiers  à  cette  propofition ,  qui  le  délivroit 
de  la  préfence  d'un  homme  ,  à  qui  il  devoit  une  grande  récom- 
penfe.  Aufïi-tôt  Bonval  part  en  pofte  pour  le  Piémont ,  ayant 
levé  fécrétement  quelques  troupes  ,  fous  prétexte  qu'il  avoit 
des  ennemis ,  ôc  fe  rend  à  Verfol,  un  jour  que  Garigni  n'y  étoit 
pas.  Ayant  été  bien  reçu  de  la  femme  du  Gouverneur  ,  qui 
ne  fe  défioit  point  de  ce  traitre,  il  chafiTe  la  garnifon ,  ôc  fe  rend 
maître  de  la  place.  Le  duc  de  Guife  ayant  appris  cette  perfi- 
die ,  jugea  à  propos  de  la  difîimuler  pour  un  tems ,  ôc  enga- 
gea Garigni  à  fe  taire  ,  en  lui  faifant  de  grandes  promeffes. 
Mais  le  perfide  Bonval  hâta  fa  perte ,  en  voulant  l'éviter.  Car 
il  fut  tué  peu  après  à  Ravel  par  des  hommes  inconnus  ,  en- 
voyez (  à  ce  que  crurent  quelques-uns  )  par  le  prince  de  Condé, 
ou  plutôt  par  Garigni ,  pour  fe  venger  d'une  injure  particu- 
lière qu'il  avoit  reçue  ?  ce  qui  eft  plus  vrai-femblable. 

Quatre  jours  après  qu'on  eût  arrêté  la  Sague,  d'Achon  ab- 
bé de  Savigni,  qui  étoit  lieutenant  de  Roi  de  Lyon  t  fous  le 
maréchal  de  S.  André  fon  oncle ,  écrivit  à  la  Cour  qu'on  avoit 
voulu  furprendre  cette  ville-là.  Ferrieres-Maligni  ,  dont  j'ai 
parlé  ci-devant ,  s'étant  échapé  de  la  Cour ,  s'étoit  retiré  en  Pro- 
vence ,  ôc  y  avoit  levé  des  troupes.  Il  avoit  fait  entrer  à  Lyon 
plufieurs  de  fes  gens,  Ôc  s'étant  ménagé  des  intelligences  dans 
la  ville ,  il  fe  voyoit  fur  le  point  de  s'en  rendre  le  maître.  Les 
chofes  étant  en  cet  état ,  il  reçut  des  lettres  du  roi  de  Navarre , 
qui  lui  défendoit  de  rien  entreprendre.  Le  Connétable  venoit 
d'écrire  à  ce  Prince  de  fe  rendre  à  la  Cour,  ôc  de  ne  pluspenfer 


D  E  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXV.        fw 

à  s'emparer  d'aucune  ville  :  il  lui  manda  que  cela  feroit  de  mau-     t.  _  _ .,, _,  _w 
vais  exemple  ,  ôc  n'auroit  pas  l'approbation  publique  j  qu'un  t?DaX7_~t» 

rince,  qui  le  plaignoit  d  une  adminiltration  uiurpee  contre 
les  loix  de  l'Etat,  ne  devoit  pas  troubler  la  tranquillité  générale,  '  sQ 
en  faifant  des  attes  d'hoftilité  dans  les  provinces.  Ces  fages  avis 
engagèrent  ce  Prince  à  arrêter  les  defleins  de  Maîigni ,  qui  de- 
meura tranquille ,  fans  néanmoins  congédier  fes  troupes  ;  fai- 
fant efpérer  à  fes  amis  quelque  occafion  plus  heureufe.  Mais 
le  hazard  le  força  ,  pour  ainli  dire' ,  à  exécuter  le  projet  qu'il 
avoit  abandonné.  Car  pendant  que  des  maifons  où  logeoient 
les  Conjurez  on  portoit  leurs  armes  en  un  certain  lieu  ,  les 
porte-faix  ,  dont  ils  s'étoient  fervis ,  en  avertirent  Proti  com- 
mandant de  la  ville ,  qui  par  l'ordre  de  d'Achon ,  environna 
avec  trois  cens  arquebufiers  cet  endroit  où  étoient  poftez 
trente  hommes  choifis.  Maligni  ,  qui  étoit  couché  dans  une 
maifon  voifine  ,  s'éveille  au  bruit  ,  ôc  accourt  pour  fecourir 
les  liens.  Il"  foûtient  non-feulement  l'attaque  des  ennemis  , 
mais  il  les  repoufle  même ,  ôc  en  ayant  blelTé  un  grand  nom- 
bre, il  fe  rend  maître ,  avec  foixante  hommes ,  du  pont  qui  eft 
fur  la  Saône  ,  ôc  de  la  partie  de  la  ville  qui  eft  entre  cette  ri- 
vière ôc  le  Rhône.  Maligni  attendit  long-tems  fes  compagnons 
répandus  dans  les  divers  quartiers  de  la  ville.  Mais  voyant 
qu'aucun  ne  venoit  à  fon  fecours ,  il  fortit  par  les  portes  de  la 
ville,  qui  lui  furent  ouvertes  par  l'ordre  de  d'Achon  ,  lequel 
incertain  de  l'avenir ,  ne  vouloit  pas  abandonner  une  ville  Ci 
opulente  au  hazard  d'un  combat.  On  prit  quelques  Conjurez 
qu'on  appliqua  à  la  queftion.  Les  uns  en  dirent  plus  qu'on 
ne  leur  en  demandoit.  Les  autres  fournirent  les  tourmens  , 
{ans  rien  confeffer.  Aufïi-tôt  d'Achon ,  pour  prévenir  de  pa- 
reilles allarmes  ,  fit  venir  Gondrin  ôc  Maugiron  avec  leurs 
troupes.  Cet  Abbé  obtint  peu  de  tems  après  l'archevêché  d'Ar- 
les, qu'il  fouhaitoit  depuis  long-tems  ,  foit  par  la  faveur  du  ma- 
réchal de  S.  André  fon  oncle  >  foit  pour  s'être  bien  comporté- 
dans  l'affaire  dont  je  viens  de  parler. 

.  Au  refte  S.  André ,  aufïi  avide  du  bien  d'autrui  que  prodi- 
gue du  fien  ,  crut  que  l'entreprife  de  Lyon  lui  préfentoit  une 
occafion  favorable  pour  amaffer  de  grandes  ricneffes.  11  pro- 
pofa  à  la  Reine-mere,  ôc  aux  Guifes  d'aller  à  Lyon,  pour  y 
découvrir  le  fecret  de  la  conjuration  tramée  par  les  deux  Princes, 

Y  y  y  ij 


MBMM 


y4°  HISTOIRE 

Ce  qu'ayant  obtenu,  il  employa ,  mais  inutilement,  les  me- 
naces ôc  les  paroles  artificieufes ,  pour  obliger  les  bourgeois  h 
rançc   »  ju-  donner  cent  mille  écus  d'or.    Enfuite  attaquant  les  par- 
ticuliers ,  il  fit  de  grandes  vexations ,  par  le  moyen  de  certains 


IL 


i  j  o  ex  jUges  qUj  lui  étoient  dévouez ,  ôc  de  quelques  témoins  qu'on 
avoit  corrompus.  Les  l  Changys  frères  furent  du  nombre  de 
ces  innocens  perfécutez ,  aufîi  bien  que  la  Borde  créature  du 
prince  de  Condé,  quifouffrit  une  queftion  rigoureufe ,  fans  rien 
dire ,  qui  pût  porter  préjudice  à  fon  maître.  Enfuite  S.  André  fe 
fit  autoiïfer  par  un  ordre  du  Roi ,  afin  de  pourfuivre  les  rebelles 
en  Provence ,  en  Dauphiné ,  Ôc  dans  le  bas  Languedoc.  On 
donna  le  même  pouvoir  à  d'Aumale  frère  du  duc  deGuife,  ÔC 
aux  maréchaux  de  BrifTac  ôc  de  Thermes.  Cependant  le  bruit 
des  mouvemens  excitez  dans  tout  le  Royaume  fit  que  le  Roi 
quitta  Fontainebleau  ,  ôc  vint  demeurera  S.  Germain  ,  com- 
me en  un  lieu  où  fa  perfonne  feroit  plus  en  fûrêté.  Ce  fut  là 
que  le  cardinal  de  Châtillon  6c  l'amiral  de  Coligni  vinrent 
trouver  la  Reine-mere  ,  pour  la  prier  de  leur  permettre  d'é- 
crire à  la  douairière  de  Roye  leur  fœur  ,  ôc  belle-mere  du 
prince  de  Condé,  ôc  d'avertir  cette  Dame  des  crimes  qu'on 
imputoit  à  fon  gendre.  Le  Roi  venoit  d'envoyer  Antoine 
comte  de  Cruflbl  au  roi  de  Navarre,  pour  l'engager  à  venir  à 
la  Cour  ,  ôc  à  y  amener  le  prince  de  Condé ,  avec  afïurance 
qu'il  n'arriveroit  rien  de  fâcheux  à  ce  dernier.  Les  Colignis 
dirent  encore  à  Catherine ,  que  la  douairière  de  Roye  étoitper- 
fuadée  de  l'innocence  du  Prince  ,  mais  qu'il  importait  à  fa  répu- 
tation d'être  pleinement  juftifié,  ôc  qu'ainfi  ils  manderoient  à 
leur  fœur  d'engager  le  Prince  de  venir  inceflamment  àlaCour. 
Cette  Dame  leur  fit  une  réponfe ,  qu'ils  communiquèrent  à  la 
Reine-mere.  Elle  difoit  qu  elle  ne  doutoit  nullement  de  l'in- 
nocence du  Prince  i  mais  qu'il  y  avoit  bien  des  inconveniens 
pour  lui  à  venir  en  un  lieu ,  où,  les  Guifes  fes  ennemis  avoient 
un  pouvoir  abfolu. 

Les  Colignis  ayant  pris  congé  de  la  Reine-mere ,  quittèrent 
îa  Cour.  Cette  Princefle  étant  alors  dans  fa  maifon  de  Mon- 
ceaux ,  reçut  des  lettres  de  la  dame  de  Roye,  qui  lui  mandoit * 


i  L'Editeur  au  lieu  des  Changys  frères, 
a  mis  dans  le  texte  les  St.  Chaumont 
Jàreres.  Ce  qui  eft  contraire  à  Thiftoire  ; 


car  ce  fut  au  contraire  St.  Chaumont, 
qui  prit  à  Lyon  les  Changys  fes  coufïns» 
comme  l'auteur  va  le  dire  bien-tôt. 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,  Liv.  XXV.       fip 

que  le  Prince  fe  rendroit  à  la  Cour ,  fi  le  Roi  le  lui  comman- 
dent i  mais  qu'elle  lafupplioit  de  ne  pas  trouver  étrange,  qu'ar-  jrRANCois 
rivant  en  un  lieu  où  fes  plus  cruels  ennemis  avoient  tout  pou-  \  \ 
voir  ,  il  y  vînt  avec  fes  amis.  La  Reine-mere,  piquée  de  ces  x  ç  <5q, 
lettres  ,  fit  réponfe ,  que  perfonne  en  France  n'étoit  en  droit 
d'approcher  le  Roi  qu'avec  fa  fuite  ordinaire  5  &  que  file  Prince 
de  Condé  venoit  à  la  Cour  avec  un  cortège  nombreux ,  il  trou- 
veroit  le  Roi  encore  mieux  accompagné.  Cependant  le  pré- 
vôt de  l'Hôtel  arrêta  par  ordre  du  Roi ,  ôc  conduifit  à  S.  Ger- 
main ,  Robert  de  la  Haye  confeiller  au  parlement  de  Paris  , 
qu'on  croyoit  ne  pas  ignorer  les  defieins  du  prince  de  Con- 
dé. On  avoir  pris  aufli  quelques  jours  auparavant  Barbançon 
de  Cani  ,  dans  fon  château  de  Varanne  fitué  fur  FOife  près 
Noyon.  Il  étoit  foupçonné  d'avoir  fait  un  amas  d'armes  dans 
fa  maifon.  Cependant  ,  après  une  exacte  recherche  ,  on  ne 
trouva  chez  lui  que  des  armes  à  fon  ufage.  Il  fut  laiffé  en  la 
garde  de  Hangeft  de  Genlis  ,  qui  fe  fit  fa  caution.  On  publia 
en  même  tems  un  ordre  du  Roi ,  qui  défendoit  à  tout  Prince , 
ôc  à  toute  autre  perfonne ,  de  faire  des  levées  d'hommes  ôc  d'ar- 
gent ,  ni  d'acheter  des  chevaux  ,  fous  peine  d'être  pourfuivis 
comme  criminels  de  leze-majerté.  Le  cardinal  de  Bourbon ,  frè- 
re du  roi  de  Navarre  &  du  prince  de  Condé ,  fut  envoyé  par 
la  Cour  vers  ces  Princes,  pour  les  engager  à  fe  rendre  auprès 
du  Roi,  qui  leur  donnoit  fa  parole  royale ,  qu'on  ne  leur  feroit 
aucun  mauvais  traitement.  Les  Guifes  fe  perfuaderent  que  les 
Princes  prendroient  plus  volontiers  confiance  aux  difeours  du? 
Cardinal  leur  frère.  En  même  tems  on  ordonna  des  prières 
publiques ,  pour  demander  à  Dieu  la  fanté  du  Roi ,  la  tran- 
quillité de  l'Etat ,  &  que  le  Concile  qu'on  alloit  tenir  produi- 
fit  d'heureux  effets.  Déplus,  on  convoqua  à  Orléans  YdBsat* 
blée  des  Etats ,  qui  avoit  été  indiquée  à  Meaux»  De  Thermes 
fut  envoyé  à  Poitiers  avec  deux  cens  gendarmes ,  pour  s'oppo- 
fer  aux  tentatives  que  le  roi  de  Navarre  pourroit  faire  en  paffant 
par  cette  ville. 

Cependant  la  Sague ,  ou  gagné  par  les  promeffes  qu'on  lui 
avoit  faites  de  lui  pardonner ,  ou  voyant  que  fon  filence  lui 
feroit  plus  préjudiciable  qu'utile  ,  avertit  les  Guifes  le  25"  de 
Septembre  ,  de  mettre  dans  feau  l'enveloppe ,  qui  enfermort 
les  lettres  du  vidame  de  Chartres  ,  ôc  qu'ils  verroient  par  là 

Yyynj: 


U2  H  I    S   T   O  I  R  E 

les  ordres  que  lui  avoit  donnez  pour  le  prince  de  Condé,Fre- 
Fkancois  uiin-d'Ardoy  Gafcon ,  fécretaire  du  Connétable,  &  créature  du 
I  j  roi  de  Navarre,  ôc  qu'ils  apprendrotent  d'ailleurs  plufieurs  parti- 
{  .  ^  0  cularitez  importantes.  Cette  enveloppe  >  que  l'Aubefpine  avoit 
gardée ,  ayant  été  trempée  dans  l'eau  ,  on  y  vit  les  deffeins  vio*- 
lens  que  l'on  prenoit  contre  les  Guifes.  D'Ardoy  y  avoit 
écrit  de  fa  main  ,  que  Montmorenci  étoit  toujours  dans  le  fen- 
timent  de  faire  périr  les  princes  Lorrains  ,  Ôc  qu'il  efpéroit  que 
les  Etats,  qu'on  alloitafTembler,  l'ordonneroient  malgré  le  Roi 
ôc  la  Reine-mere  >  qu'ils  fe  hâtafTent  de  venir  à  la  Cour ,  pour, 
foûtenir  leurs  amis  par  leur  préfence.  D'Ardoy  ajoûtoit  que  le 
deflfein  du  Connétable  paroiflbit  à  plufieurs  peu  fur ,  ôc  mal 
concerté  j  6c  qu'il  valoit  mieux  que  les  Princes  attaquaient  les 
Guifes  à  force  ouverte ,  dès  qu'ils  feroient  arrivez  à  la  Cour  s 
que  bien  des  perfonnes  fe  joindroient  à  eux ,  ôc  que  le  Con- 
nétable ôc  fes  créatures,  à  qui  les  plus  braves  officiers  étoient 
dévouez  ,  ne  manqueroient  pas  de  féconder  leur  entreprife. 
Le  vidame  de  Chartres ,  prifonnier  à  la  Baftille ,  étoit  traité 
avec  une  grande  rigueur.  On  refufa  à  Jeanne  d'EftilTac  fa  fem- 
me de  le  voir ,  quoi  qu'elle  voulût  s'enfermer  avec  lui.  On 
demanda  au  Vidame  ce  qu'il  vouloit  dire  par  fes  lettres ,  lorf- 
qu'il  offroit  fes  fervices  au  prince  de  Coudé ,  s'il  entreprenoit 
quelque  chofe  pour  le  Roi.  Il  répondit  que  fes  lettres  prou- 
voient  fon  innocence,  ôc  faifoient  voir  qu'il  rejettoit  tous  au- 
tres deffeins ,  que  ceux  qui  concernoient  les  intérêts  du  Roi  ; 
qu'il  étoit  le  parent  ôc  l'ami  des  princes  de  Guife  ;  mais  qu'il 
étoit  encore  plus  attaché  aux  Princes  du  fang  royal,  comme  il 
y  étoit  obligé  ;  ôc  que  lî  le  duc  de  Guife  avoit  quelque  démêlé 
avec  le  roi  de  Navarre ,  ôc  le  prince  de  Condé ,  il  étoit  difpo- 
fé  à  expofer  pour  eux  fes  biens  ôc  fa  vie.  Cependant  le  Vida- 
me, qui  craignoit  qu'on  n'informât  de  fes  moeurs,  ôc  qu'on  ne 
lui  fît  un  crime  des  defordres  de  fa  jeunefie ,  préfenta ,  par  le 
confeil  de  fes  amis ,  une  requête  au  Chapitre  de  l'ordre  de  S, 
Michel  le  28  de  Septembre,  jour  qui  précède  celui  de  la  fête, 
que  les  Chevaliers  célèbrent  avec  de  grandes  cérémonies.  II 
repréfentoit  à  fes  confrères  fa  mauvaife  famé ,  qui  fuccombe- 
roit  infailliblement  fous  l'ennui  ôc  les  procédures  d'un  long 
procès  ;  les  fuppliant  de  vouloir  bien  décider,  eux  qui  étoient 
tes  juges  naturels  fuivant  les  privilèges  de  l'Ordre,  s'il  avoit 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv,  XXV.  f*j 
fait  quelque  chofe  contre  le  Roi ,  qui  méritât  qu'on  lui  otât  le 
collier  dont  il  étoit  revêtu.  François 

Le  cardinal  de  Lorraine,  chancelier  de  l'Ordre,  ayant  lîi  j  j  " 
cette  requête  dans  le  Chapitre,  le  Connétable ,  comme  le  plus  x  ç  <5  q, 
ancien  Chevalier ,  opina  le  premier,  ôc  fut  d'avis  que  la  grâce 
que  demandoir  le  Vidame ,  devoit  être  accordée  à  fon  illuftre 
nailTance  ,  à  fes  alliances  avec  les  Princes  du  fang  ,  ôc  avec  la 
maifon  de  Montmorenci ,  dont  lui  qui  en  étoit  le  chef,  avoit 
î'honneur  d'être  doyen  du  Chapitre  ,  ôc  enfin  aux  privilèges 
de  l'Ordre.  Il  blâma  auffi  l'irrégularité  des  procédures  faites 
Contre  le  Vidame.  Il  y  eut  en  cette  occaiion  des  difeours  fort 
vifs  de  part  ôc  d'autre  :  le  cardinal  de  Lorraine,  qui  crut  qu'en 
blâmant  la  forme  du  procès  du  Vidame  ,  on  avoit  voulu  l'at- 
taquer perfonnellement ,  s'emporta  extrêmement.  Mais  le  duc 
de  Guife ,  qui  fe  piquoit  de  modération  ôc  de  douceur  ,  cal- 
ma fa  colère.  Enfin  il  confentit  à  maintenir  la  dignité  ôc  les  pré- 
rogatives de  l'Ordre,  ôc  à  retenir  le  procès  du  Vidame.  Le 
lendemain,  jour  de  S.  Michel,  on  élut  dix-huit  nouveaux  Che- 
valiers ,  tous  amis  ôc  créatures  des  Guifes ,  comme  il  étoit  arri- 
vé l'année  précédente.  Le  Connétable  ne  vit  qu'avec  douleur, 
qu'un  Ordre,  autrefois  Ci  illuftre,  fut  fi  indignement  avili.  «  Quel 
«  honneur,  difoit-il ,  pourra-t'on  conférer  à  l'avenir  aux  Prin- 
»  ces,  ôc  aux  plus  fameux  Capitaines ,  fi  on  accorde ,  au  gré  de 

*  ceux  qui  gouvernent ,  ôc  fans  égard  à  la  naiffance  ni  au  me- 
=»  rite ,  ce  qu'on  ne  donnoit  autrefois  qu'aux  Seigneurs  des 
»  plus  illuftres  maifons  ,  qui  joignoient  à  un  grand  nom  de 

*  plus  grandes  vertus  ?  »  Corneille  Bentivogîio  fut  du  nom- 
bre des  Chevaliers  de  cette  promotion.  Il  s'étoit  diftingué  dans 
les  guerres  de  Tofcane  ;  mais  l'honneur  qu'on  lui  faifoit,  ne 
pouvoit  que  déplaire  aux  princes  de  la  maifon  de  Bourbon. 
Car  on  difoit ,  que  c'étoit  lui  qui  avoit  tué  à  la  Rocheguyon3 
par  ordre  du  duc  de  Guife  ôc  du  maréchal  de  S.  André  , 

le  prince  d'Anguien  ,  en  faifant  tomber  un  coffre  fur  IuL  *  *V.  Iafinth} 
Au  moins  les  ennemis  des  Guifes  le  publioient  ainfi.  Mais  il 
s'en  étoit  juftifié  auprès  du  roi  de  Navarre  ,  frère  du  prince 
d'Anguien,  alléguant  que  ce  malheur  étoit  arrivé  fans  deffeiii, 
ôc  par  le  peu  de  précaution  de  quelques  jeunes  gens  qui  badi- 
noient. 

Cependant  le  nombre  des  Proteftans  augmentait  en  Franc* 


',& 


5-44  HISTOIRE 

.  tous  les  jours ,  ôc  leur  audace  croiffant  en  même  tems ,  ils  te- 
p  noient  leurs  aflemblées  en  tous  lieux.  Pierre  Brûlé  né  à  Metz, 

tt'  ayant  enfeigné  long-tems  la  nouvelle  Doctrine  à  Valence  en 
J  Dauphiné  ,  avoit  eu  pour  fucceffeur  Gille  Saulas  de  Mont- 
pellier, fous  lequel  les  nouveautez  avoient  fait  de  fi  grands  pro- 
grès ,  que  les  miniftres  Proteftans  faifoient  la  nuit  leurs  fermons 
dans  les  écoles  publiques.  Lancelot ,  gentilhomme  Angevin , 
étoit  venu  après  Saulas ,  &  avoit  augmenté  confidérablement 
le  nombre  des  Religionnaires.  Ceux-ci ,  que  la  crainte  des  loix 
avoit  rendu  d'abord  modeftes  ôc  circonfpe£ts ,  fe  portèrent  en- 
fuite  avec  infolence  aux  derniers  excès.  Ayant  feduit  un  grand 
nombre  d'écoliers  ,  que  l'étude  du  droit  attiroit  dans  l'uni- 
verfité  de  Valence  ,  ces  jeunes  gens,  moins  par  un  motif  de 
pieté ,  que  pouffez  par  les  charmes  de  la  nouveauté  ,  s'empa- 
rèrent de  Fégiife  des  Cordeliers,  ôc  y  allèrent  entendre  les  fer- 
mons des  miniftres.  Ils  avoient  pour  chefs  un  nommé  de  Quint, 
qui  avoit  fervi  dans  les  guerres  de  Piémont  en  qualité  de  capi- 
taine ,  Mirabel  fon  ami ,  ôc  quelques  autres  Gentilshommes. 
Les  Proteftans  de  Montelimar ,  que  Bouriac  leur  magiftrat  fa- 
vorifoit  en  fecret ,  n'eurent  pas  plus  de  retenue.  Ils  fe  voy oient 
foûtenus  par  plufieurs  Gentilshommes  du  payis.  De  Comps , 
Charle  Dupuy-Montbrun ,  Albert  Pape-S.-Auban ,  dont  j'ai 
parlé  ci-deffus  dans  la  guerre  de  Sienne,  la  Charité,  Condor- 
cet,  Nicaze  ôc  Suzet,  étoient  de  ce  nombre,  aufTi-bien  que 
quelques  Officiers.  Un  certain  Moine ,  nommé  Tempefte }  qui, 
fans  quitter  fon  froc ,  avoit  embraffé  la  nouvelle  Religion ,  prê- 
choit  publiquement ,  aufïi-bien  que  François  de  S.  Paul,  théolo- 
gien d'une  grande  réputation  chez  les  Proteftans.  Ceux-ci  ofé- 
rent  s'alTembler  dans  la  grande  égîife  de  Romans ,  fituée  dans 
l'endroit  de  la  ville  le  plus  élevé.  Ils  étoient  foûtenus  par  les 
Changys,  ôc  faifant  leurs  prières  les  armes  à  la  main  ,  ils  inful- 
toient  les  Catholiques.  Après  le  tumulte  d'Amboife  ,1a  Cour 
envoya  à  Bouriac  ,  lieutenant  civil  du  comté  de  Valence  ,  des 
Lettres  patentes  ,  portant  amniftie  générale  du  pafTé ,  pourvu, 
qu'on  rentrât  dans  le  fein  de  l'Eglife.  Montluc  évêque  de 
Valence  écrivit  à  fes  diocéfains  fur  le  même  fujet. 

Les  lettres  du  Roi  ayant  été  lues  à  Valence  en  préfence  de 
tous  les  Ordres  de  la  ville, Bouriac  parla  avec  de  grands  élo- 
ges de  la  clémence  du  Roi ,  ôc  exhorta  les  alîiftans  à  lui  obéïr , 

ôc 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.         ftf 

èc  à  faire  des  vœux  pour  fa  confervation  :  puis  fe  tournant 
vers  l'affemblée  >  il  demanda ,  s'ils  étoient  difpofez  à  vouloir  j7~ 
profiter  de  la  grâce  du  Prince.  Mirabel  ayant  dit  que  fescom-         jt-  5 
pagnons  ôc  lui   ne  faifoient  rien  qu'après  avoir   invoqué  le  * 

nom  du  Seigneur ,  il  fît  figne,  du  confentement  de  Bouriacà  ' 
un  nommé  Saillans ,  que  les  Proteftans  nommoient  Diacre  par- 
mi eux.  Celui-ci  ayant  commencé  la  prière,  tous  fe  mirent  à 
genoux ,  Proteftans  ôc  Catholiques ,  ces  derniers  n'ofant  faire 
autrement.  Il  n'y  eut  que  les  Ecclefiaftiques  ,  qui  n'ayant  pas 
fait  de  même ,  furent  expofez  à  la  rifée  ôc  aux  infultes  du  peu- 
ple. Les  Proteftans  Huguenots  ayant  fini  leur  prière  ,  dirent 
qu'ils  feroient  toujours  fidèles  fujers  du  Roi  j  mais  ils  ajoutèrent 
qu'ils  étoient  étonnez  de  la  grâce  qu'on  leur  accordoit  par  les 
Lettres  patentes  >  qu'ils  n'avoient  confpiré  ni  contre  le  Roi  ,'rii 
contre  l'Etat  j  qu'ils  avoient  fouhaité  feulement  d'avoir  la  li- 
berté de  confcience  >  ôc  que  dans  cette  vue  ils  avoient  établi 
des  affemblées  légitimes  :  qu'au  refte  ils  avoient  toujours  pro- 
curé ,  autant  qu'ils  avoient  pu  ,  la  tranquillité  publique,  ôcprié 
pour  le  Roi  dans  leurs  affemblées  :  que  s'ils  avoient  pris  les 
armes ,  ç'avoit  été  pour  fe  défendre  de  leurs  ennemis  ,  ôc  non 
pour  exciter  des  troubles;  ôc  qu'ainfi  ils  n'avoient  pas  befoin 
d'amniftie.  C'eft  ainfi  que  ces  peuples  fe  moquèrent  du  duc  de 
Guife ,  ôc  que  la  Religion  nouvelle  s'établit  dans  le  Dauphi- 
né, du  confentement,  en  quelque  forte ,  du  premier  Juge.  Le 
duc  de  Guife ,  gouverneur  de  la  province ,  fut  irrité  au  der- 
nier point  de  ce  qui  venoit  d'arriver.  Croyant  qu'Antoine  de 
Clermont-Taîard  lieutenant  général  du  Dauphiné  ,  feigneur 
d'un  efprit  doux  ôc  modéré ,  s'étoit  conduit  en  cette  occafion 
avec  trop  de  foibleffe ,  il  chargea  Laurent  de  Maugiron,  cour- 
tifan  délié,  ôc  dévoué  à  fes  volontez ,  d'aller  en  Dauphiné  ,  ôc 
d'y  foûtenir  la  dignité  du  Roi ,  en  veillant  à  la  fureté  du  payis. 
Maugiron  mena  avec  lui  Vinai  homme  rufé,  pour  le  féconder 
dans  fes  deffeins. 

Vinai  avoit  été  très  bien  élevé  dans  fa  jeuneffe  ,  Ôc  avoitfait 
des  progrès  dans  les  belles  lettres.  Ses  mœurs ,  qui  s'étoient  cor- 
rompues dans  la  débauche ,  Tavoient  lié  d'amitié  avec  Maugi- 
ron par  le  même  goût  des  plaifirs.  Il  fe  trouvoit  fouvent  avec 
les  Proteftans ,  ôc  les  flattoit  par  de  grandes  efpérances.  Mau- 
giron ,  qu'il  avertiffoit  de  tous  leurs  deffeins ,  affembla  à  la  hâte 
Tom,  III,         ,  Zzz 


François 


546  HISTOIRE 

quelques  troupes  à  Vienne ,  ôc  fit  venir  de  Lyon  plufieurs  fce- 
lerats ,  braves  ôc  déterminez ,  qu'il  fit  embarquer  fur  le  Rhône, 
ainçuij»  pQur  (jefcendi-e  a  Valence.  Cela  ne  le  pût  faire  fi  fecrette- 
ment  ,  que  les  Proteftans,  qui  heureufement  en  eurent  avis  ,  ne 
i  y  o  o.  fe  retira(fent  (jans  1  eglife  des  Cordeliers  ,  bien  réfolus  defe  dé- 
fendre, ayant  à  leur  tête  Mirabel  ôc  Quintel.  Maugiron  fut 
reçu  avec  de  grands  honneurs  par  les  Echevins  ôc  les  Prêtres 
de  la  ville.  Il  avoit  préparé  toutes  chofes  avec  beaucoup  de 
prévoyance.  Vinai  avoit  fait  porter  du  canon  ,  de  la  poudre, 
ôc  les  autres  munitions  de  guerre  dans  l'églife  de  S.  Apolli- 
naire. Mais  comme  on  n'étoit  pas  affuré  de  reùflir  par  la  for- 
ce ,  Maugiron  demanda  à  conférer  avec  Mirabel ,  ôc  dit  à  ce 
chef,  dans  l'entre  vue  qu'il  eut  avec  lui ,  que  s'ils  ne  s'étoient 
aflfemblez  que  pour  l'exercice  de  leur  Religion ,  ils  dévoient 
mettre  bas  les  armes  :  que  depuis  le  tumulte  d'Amboife,  le 
Roi  regardoit  avec  raifon  comme  fufpetts  ceux  de  fes  fujets, 
qui  étoient  armez  :  qu'il  leur  donnoit  fa  parole  au  nom  du 
Roi ,  qu'on  n'inquieteroit  perfonne  fur  l'exercice  public  de 
fa  Religion,  ôc  que  telle  étoit  la  volonté  du  Prince.  Enfuite, 
pour  s'attirer  leur  confiance,  il  déclama  contre  le  Pape;  en- 
forte  que  plufieurs ,  qui  étoient  venus  des  environs  de  la  ville 
au  fecours  des  Proteftans  prirent  la  refolution  de  s'en  retourner 
chez  eux,  croyant  qu'il  n'y  avoit  plus  rien  à  craindre,  ôc  fe  con- 
fiant à  Vinai ,  qu'ils  s'imaginoient  favorifer  leur  parti.  Il  n'y  avoit 
plus  dans  la  ville  ,  que  les  écoliers ,  qui  voyant  toutes  chofes 
tranquilles ,  fe  retirèrent  dans  leurs  maifons.  Alors  Maugiron 
fe  rend  maître  des  portes ,  ôc  ayant  pofé  des  corps  de  garde 
en  differens  quartiers ,  fe  prépare  au  pillage.  Plufieurs  habitans 
ayant  été  faits  prifonniers  ,  fe  rachetèrent  à  prix  d'argent.  On 
commit  de  grandes  violences ,  comme  dans  une  ville  conquife. 
Aufli-tôt  on  vit  arriver  du  Piémont ,  fuivant  les  ordres  qu'a- 
voit  donnez  le  duc  deGuife,  dix-fept  enfeignes  de  vieux  fol- 
dats ,  ôc  Gafpard  de  Saulx-Tavanes  avec  fa  compagnie  de  gen- 
darmes ,  ôc  celles  de  Clermont  ôc  du  prince  de  Salerne.  En 
même  tems  Truchon ,  premier  préfident  du  parlement  de  Dau- 
phiné  ,  fe  rendit  à  Valence  avec  les  confeillers  Rinard ,  Pon- 
ce ,  l'Aubefpin  ,  du  Vache  ,  Roftain  ôc  Belliévre,  ôc  avec  Bou- 
rel  du  Ponfenas  Avocat  général.  Vinai  en  paflant  par  Romans , 
avoit  pris  environ  60  Proteftans,  qu'il  avoit  fait  emprifonner* 


DE  J.  A.  DE   THOU,Liv.  XXV.       5-47 

Cependant  Maugiron  étant  allé  à  Montelimar ,  les  habitans 
étoient  venus  bien  armez  au-devant   de  lui.  Il  ufa  encore  de  p 
fes  artifices  ordinaires,  ôc  leur  dit ,  que  venant  dans  leur  ville         ^ 
avec  un  efprit  de  paix  cilles  exhortoit  à  mettre  bas  les  armes, 
puifqu'il  n'ignoroit  pas  que  le  Roi  défendoit  qu'on  fit  un  cri-        *  ' 
me  de  l'exercice  de  la  nouvelle  Religion.  Les  habitans ,  féduits 
par  ces  difcours ,  lui  ouvrirent  les  portes  ,  ôc  furent  traitez 
comme  ceux  de  Valence.    Les   plus   riches  maifons  furent 
pillées.   Cependant  Truchon  ,   magiftrat  prudent  ôc  modéré, 
crut  qu'il  falloit  faire   une  prompte    juftice  des  plus  coupa- 
bles ,  pour  réprimer  la  licence  qu'on  fe  donnoit  de  prendre  les 
armes  ,  ôc  pour  ôter  en  même-tems  à  Maugiron ,  ôc  à  ceux 
de  fa  forte,  toute  occafion  de  piller.  Deux  miniftres  furent  con- 
damnez au  dernier  fupplice,  comme  chefs  de  la  (édition  ôc 
delà  révolte,  ainfiquele  marquoit  l'infcription  qu'on  leur  mit 
fur  la  tête.  Le  confeiller  l'Aubefpin  fut  d'avis  qu'ils  euffent  un 
linge  fur  la  bouche,  lorfqu'on  les  conduiroit  à  la  mort,  afin 
qu'ils  ne  puflent  haranguer  le  peuple.  On  exécuta  pareillement 
un  nommé  Marques  juge  civil  de  Soion,  Blanchier ,  octrois 
autres.  Voilà  ce  qui  fe  paiïa  à  Valence  avant  qu'on  eut  reçu 
de  nouveaux  ordres  du  Roi  :  S.  M.  à  la  follicitation  de  Mont- 
luc  évêque  de  cette  ville,  accorda  une  amniftie  générale  aux 
coupables ,  excepté  à  ceux  qui  étoient  impliquez  dans  la  con- 
juration d'Amboife.  A  Romans  on  punit  de  mort  les  nommez 
Roberté  ôc  Rebours.  Un  portefaix  fut  condamné  au  fouet  ôc 
aux  galères.  On  ouvrit  les  prifons  aux  autres.  On  foupçonna  l'A- 
vocat général  du  Pontfenas,  homme  indigent ,  voluptueux ,  ôc 
accablé  de  dettes ,  d'avoir  profité  de  cette  occafion ,  pour  répa- 
rer le  défordre  de  fes  affaires. 

Les  Proteftans,  qui  tournent  tout  à  leur  avantage,  ont  remar- 
qué que  l'Aubefpin  ,  qui  avoit  été  d'avis  qu'on  fermât  la  bou- 
che aux  deux  Miniftres ,  avoit  eu  une  fin  très-funefte.  Ils  di- 
fent ,  qu'étant  devenu  amoureux  d'une  certaine  femme ,  fon 
amour  fe  changea  en  fureur,  ôc  qu'ayant  été  attaqué  en  mê- 
me tems  de  la  maladie  pédiculaire ,  il  mourut  au  milieu  des  plus 
grandes  douleurs.  Us  ajoutent ,  que  comme  il  avoit  réfolu  de 
fe  laifier  mourir  de  faim  ,  outré  des  maux  qu'il  reflentoit,  fes 
amis  lui  mirent  comme  un  frein  dans  la  bouche  pour  le  for- 
cer à  prendre  quelque  nourriture ,  qu'il  rejettoit  plein  de  fureur 

Zzz  ij 


H%  HISTOIRE 

&  de  rage.  Ils  difent  aufli  ,  que  du  Pontfenas  ,  après  avoir  con* 
'  ^T„  fumé  fon  patrimoine,  ôc  la  dot  de  fa  femme,  dévoré  par  les 

FRANÇOIS  j      j     r  •  i       •         r     •  o  »-i  i     a 

tt'        remords  de  les  crimes ,  devint  runeux ,  ce  qu  il  mourut  enchai- 
>*        né  par  fes  proches,  faifant  d'horribles  hurlemens,  ôc  défefpé- 
rant  de  fon  falut  éternel.  Les  troubles  paroiffoient  appaifez  pour 
un  tems  >  lorfque  Charle  du  Pui  Monbrun  l  en  excita  de  nou- 
veaux vers  les  confins  de  la  Savoye.  Ce  Gentilhomme  d'une 
maifon  illuftre,  ôc  qui  pouvoit  beaucoup  fur  la  Noblelïe  du 
payis ,  crut  qu'on  pouvoit  prendre  les  armes  pour  la  défenfe 
de  la  Religion  nouvelle.  Ayant  appris  que  le  Parlement  de 
Dauphiné  informoit  contre  lui  à  ce  fujet ,  il  écrivit  à  d'Avanfon 
fon  ancien  ami,  que  le  duc  de  Guife  avoit  envoyé  depuis  peu 
à  Grenoble,  pour  le  prier  de  faire  furfeoir  ces  procédures  >  di- 
fant  qu'il  avoit  pris  les  armes  pour  la  défenfe  de  fa  perfonne 
ôc  de  fa  Religion ,  ôc  qu'il  n'avoit  rien  entrepris  ni  contre  le 
Roi ,  ni  contre  l'Etat.  Marin  Bouver  Prévôt  de  la  Maréchauf- 
fée  fut  envoyé  pour  le  prendre.  Le  Prévôt  étant  arrivé  à  une 
petite  bourgade  ,  nommée  Raillanette  ,  peu  éloignée  de  Mon- 
brun ,  dont  Charle  du  Pui  avoit  pris  le  nom ,  fe  faifit  d'un  des 
domeftiques  de  ce  dernier  ,  ôepar  là  découvrit  fa  marche.  Mon- 
brun ayant  affemblé  fes  amis,  envoya  redemander  fon  homme 
à  Bouver,  ôc  le  prier  qu'il  pût  conférer  avec  lui.    On  fe  dit 
dans  l'entrevûë  des  paroles  piquantes  de  part  ôc  d'autre  ;  on 
en  vint  aux  armes ,  ôc  le  Prévôt  fut  fait  priibnnier.  Après  quoi 
Monbrun  entra  à  Raillanette,  prit  la  plupart  des  cavaliers  de 
Bouver  ,  leur  enleva  l'arrêt  du  Parlement  rendu  contre  lui,  ôcles 
conduisit  à  Monbrun.  Mais  peu  après  il  les  renvoya,  fe  con- 
tentant de  garder  leur  chef. 

Ce  fut  en  ce  tems  là  que  le  duc  de  Guife  ôta  la  lieutenan- 
ce  générale  de  Dauphiné  à  Clermont ,  dont  il  étoit  peu  fatis- 
fait.  Il  lui  imputoit  de  s'être  conduit  avec  trop  de  lenteur ,  ôc 
d'indifférence  dans  l'affaire  des  Proteftans.  Il  lui  étoit  d'ail- 
leurs fufpeft,  comme  étant  attaché  à  la  maifon  de  Montmo- 
renci ,  ôc  comme  parent  de  la  ducheffe  de  Valentinois ,  qu'il 
mortifioit  en  toute  occafion  j  pour  complaire  à  Catherine  de 


i  Charle  du  Pui  Monbrun  ,  dit  le 
brave  Monbrun  ,  étoit  d'une  illuftre 
famille  de  Dauphiné'.  Hugues  du  Pui, 
dont  il  defeendoit ,  fut  un  des  Gen- 
tilshommes qui  accompagnèrent  Go~ 


defroi  de  Bouillon  à  la  terre  Sainte. 
Raimond    du  Pui,  Grand-Maître  de 
l'Ordre  de  faint  Jean  de  Jerufalem  t  ■ 
étoit  de  la  même  maifon. 


DEJ.A.DE  T  H  O  U,  L  i  v.  XXV.        ?4? 

Medicis.  Il  donna  fa  chargea  Gondrin,  feigneur  d'une  gran-  ^bm^^r 
de  réputation  à  la  guerre,  Ôcqui  lui  étoit  entièrement  dévoué.  François 
Toute  la  NobleiTe  du  Dauphiné  fut  indignée  de  ce  choix  ,  di-        \\t 
fant  que  l'on  contrevenoit  aux  droits  ôc  aux  privilèges  de  la     i  e  6q. 
Province,  en  leur  donnant  un  étranger  pour  commandant.  Ce- 
pendant l'ordre  du  Roi  fut  publié  à  ce  fujet.    Gondrin  étant 
venu  à  Grenoble ,  fut  engagé  par  le  Parlement  d'écrire  à  Mon- 
brun  ;  pour  l'exhorter  à  mettre  Bouver  en  liberté ,  &  à  venir 
fe  juftirier  au  Parlement  i  le  menaçant ,  s'il  n'obéiffoit ,  de  le 
pourfuivre  les  armes  à  la  main ,  ôc  de  le  faire  repentir  de  fa 
rébellion ,  ôc  de  fa  témérité.  Monbrun  commençoit  à  s'ébran- 
ler ;  ôc  redoutant  l'autorité  du  Roi,  ôc  des  Magiftrats,  il  étoit 
fur  le  point  d'obéir,  lorfqu'Alexandre  Guillotin,  Dodeur  en 
droit  du  comté  VenahTm ,  vint  le  trouver  au  nom  des  Proteftans 
de  ce  payis-là  ,  qui  gémiflbient ,  difoit-il ,  fous  la  domination  du 
Pape  j  le  fuppliant  de  vouloir  bien  unir  fes  forces  aux  leurs.  Il 
ajouta  ,   que  parmi  ceux   qui  profeffoient   une  pure  doctri- 
ne ,  on  avoit  douté  quelque  tems ,  fi  l'on  pouvoit  fans  bleffer 
fa  confcience  prendre  les  armes  contre  le  Pape  Souverain  d'A- 
vignon ôc  du  comté  VenaifTin  h  mais  qu'après  de  grandes  dif- 
putes  on  avoit  décidé ,  qu'il  étoit  permis  de  recourir  à  la  forcer 
le  Pape  ne  devant  pas  être  regardé  comme  leur  Prince  légi- 
time, lui,  dont  les  prédeceffeurs  avoient  ufurpé  cet  Etat  fur 
Raimond  comte  de  Touloufe  :  que  d'ailleurs  on  avoit  penfé 
que  le  Pontife  ne  peut  avoir  fur  les  hommes  qu'une  puiffance 
purement  fpirituelle  ;  puifque  Jefus-Chrift  a  dit  à  fes  Difciples 
que  les  Rois  de  la  terre  dominoient  fur  leurs  fujets  ,  mais 
que  la  puiffance  des  fiens  ne  feroit  pas  telle  ,  6c  qu'il  vouloit 
que  le  plus  grand  d'entre  eux  fe  crût  le  plus  petit.  Guillotin 
ajouta ,  que  ces  raifons  avoient  engagé  fes  amis  à  le  députer 
vers  lui,  pour  lui  offrir  le  commandement  de  leurs  troupes. 

Monbrun ,  qui  avoit  environ  trois  cens  hommes  choifis  avec 
lui ,  ôc  qui  avoit  bien  de  la  peine  à  congédier  de  fi  braves  gens, 
faifit  avec  joie  une  occafion  que  lui  préfentoit  la  Fortune ,  de 
ne  plus  faire  la  guerre  à  fon  Roi ,  ôc  de  porter  fes  armes  fur 
les  terres  du  Pape.  Après  avoir  vu  les  pouvoirs  très-étendus 
qu'avoit  eus  Guillotin  ,  il  convint  avec  lui ,  que  dans  le  même 
tems  ce  député  fe  rendroit  maître  de  Vaifon ,  lieu  fortifié  par  fa 
fituation  naturelle,  ôc  que  pour  lui  il  s'emparerait  de  Maloffene, 

Zzz  iij 


;?o  HISTOIRE 

ville  peu  éloignée  de  Vaifon,  où  il  y  avoit  du  Canon  ,  ôcpîu- 
fieurs  munitions  de  guerre.  On  fixa  au  y  d'Août  le  jour  de  cette 
expédition.  Les  Bourgeois  de  ces  deux  villes  voyant  Guilîo- 
tin  y  faire  de  fréquens  voyages ,  conçurent  quelque  foupçon  de 
fon  defïein,  ôc  ayant  doublé  la  garde ,  déconcertèrent  les  con- 
jurez :  Guillotin  lui-même  ,  qui  étoit  tombé  malade  en  ce 
tems  là  ,  voulut  retirer  la  parole  qu'il  avoit  donnée  à  Monbrun; 
mais  celui-ci  jugeant  que  le  député  manquoit  plutôt  de  cou- 
rage que  de  forces,  ôc  qu'il  auroit  peu  de  peine  à  prendre 
Vaifon,  lorfqu'il  feroit  maître  de  MaloiTene  ,  s'empara  au  jour 
marqué  de  cette  dernière  ville ,  avec  huit  cens  hommes ,  ôc  en- 
fuite  marcha  droit  avec  fa  petite  armée  à  Vaifon,  où  Guillo- 
tin, encore  abattu  par  la  maladie  ,  vint  au-devant  de  lui  avec 
douze  cens  foldats.  Jacque  Marie  Sala  évêque  de  Viviers 
réfidoit  alors  à  Avignon,  en  qualité  de  Vicaire  du  cardinal  Ale- 
xandre Farnefe  Vice-legat  de  ce  payis.  Au  bruit  des  hoftili- 
tez  de  Monbrun,  il  lui  envoya  CaderoufTe,  Aubignan  ,  Bre- 
ton de  Grillon,  ôcNovezan,  pour  lui  demander  quels  etoient 
fes  defTeins  :  il  fit  marcher  en  même  tems  quelques  troupes 
levées  à  la  hâte  >  qui  avoient  ordre  de  s'avancer  lentement , 
pour  s'oppofer  aux  entreprifes  des  Proteftans.  La  conférence 
n'aboutit  à  rien.  Car  l'évêque  de  Viviers ,  ayant  fait  arrêter 
quelques  gens  du  parti  de  Monbrun ,  celui-ci  fe  plaignit  de 
cet  acte  d'hoftilité ,  ôc  voulut  par  repréfailles  arrêter  les  dépu- 
tez, jufqu'àce  qu'on  renvoyât  lesfiens.  Ceux-ci  furent  mis  en 
liberté,  excepté  Guillotin ,  qu'on  retint ,  parce  que  durant  l'en- 
trevue il  étoit  entré  à  Vaifon ,  ôc  avoit  voulu  corrompre  la 
fidélité  des  habitans. 
Guerre  dans  Ainfi  la  guerre  fut  réfolue  de  part  ôc  d'autre.  Mais  l'évê- 
îe  o>nnat  qUe  de  Viviers  ayant  jugé  par  quelques  légères  efcarmouches, 
ou  les  troupes  avoient  eu  du  cleiavantage  ,  qu  il  ne  leroit  pas 
le  plus  fort,  écrivit  à  Gondrin,  pour  lui  demander  du  fecours, 
ou  pour  le  prier  d'obliger  Monbrun  à  mettre  bas  les  armes. 
En  même  tems  il  lui  fit  toucher  une  fomme  de  douze  mille  écus 
d'or,  pour  l'engager  à  le  fecourir.  La  Cour  ordonna  à  Gon- 
drin ,  par  des  lettres  du  premier  Août,  de  lever  des  troupes  ,  ôc 
de  marcher  contre  Monbrun.  Mais  dans  le  tems  que  le  com- 
mandant du  Dauphiné  fe  préparoit  à  la  guerre  ,  il  crut  devoir 
tenter  encore  avec  lui  les  voies  de   la  négociation.    Il  lui 


a^,.& 


DEJ.  A.  DETHOU.Liv.  XXV.       ss 1 

manda,  que  comme  fidèle  fujet  du  Roi,  il  devoit  retirer  fes 
troupes  ducomtat  d'Avignon  5  &  que  s'il  obéiflbit ,  le  Roi  lui  FRANC0IS 
accordèrent  fa  grâce ,  &  les  autres  avantages  qu'il  pouroit  fou-  L  jj  s 
haiter.  Monbrun  fit  réponfe,  qu'il  ne  manqueroit  jamais  à  la  l  *  6*  0> 
fidélité  qu'il  devoit  à  fon  Souverain  5  qu'il  n'avoit  les  armes  à 
lamainni  contre  lui,  ni  contre  fes  miniftres  j  qu'il  avoit  quitté 
les  terres  de  TobéiiTance  du  Roi ,  pour  éviter  tout  reproche 
à  ce  fujet  ;  qu'il  avoit  levé  des  troupes ,  à  la  prière  de  ceux 
du  comté  VenaifTin  ;  ôc  qu'après  qu'on  lui  avoit  commandé 
de  fortir  de  France,  il  s'étoit  crû  en  droit  d'attaquer  les  Etats 
du  Pontife ,  dont  l'ambition  ôc  les  fourdes  intrigues  avoient  uni 
les  Princes  Chrétiens ,  pour  exterminer  les  enfans  de  Dieu.  Ce- 
pendant Gondrin  ayant  fait  venir  du  canon  de  Grenoble,  ôc 
afTembléles  troupes  du  Dauphiné  ,  marcha  vers  Bolenne  ,  ville 
éloignée  de  fept  lieues  de  celle  de  Maloffenne.  Il  étoit  à  la 
tête  de  la  Gendarmerie  du  prince  de  Salerne,  de  celle  deCler- 
mont  ôc  de  la  fienne.  Les  troupes  du  Vice-legat  d'Avignon 
le  joignirent  aufll-tôt.  Elles  étoient  commandées  par  Saint  Jail- 
le  ,  ôc  RoiTet ,  hommes  décriez  par  les  brigandages  ôc  les  meur- 
tres, ôc  que  la  crainte  d'un  jufte  châtiment  avoit  fait  palier  fuï 
les  terres  du  Pape.  Cette  armée  pouvoit  monter  à  quatre  mille 
fantaffins,  ôc  à  cinq  cens  chevaux. "Il  fe  donna  quelques  pe- 
tits combats ,  toujours  au  défavantage  des  troupes  du  Pape. 

En  ce  tems-là  le  Cardinal  de  Tournon ,  qui  revenok  de  Ro- 
me ,  arriva  à  Marfeille  ,  ôc  remontant  le  Rhône  avec  le  Capi- 
taine Paulin ,  apprit  les  troubles  d'Avignon.  Affligé  des  mal- 
heurs de  Monbrun  qui  avoit  époufé  fa  nièce  ,  il  lui  écri- 
vit, pour  l'exhorter  à  renoncer  à  la  guerre  ;  l'aiïurant  que 
s'il  déferoit  à  fes  avis ,  il  obtiendroit  du  Roi  fa  grâce ,  le  li- 
bre exercice  de  fa  Religion  ,  ôc  la  reftitution  de  tous  fes 
biens.  Peu  après  Gondrin  envoya  à  Monbrun  la  Foreft,Bla- 
cons,  Sainte  Marie, le  Port,  ôc  la  Roche,  pour  lui  commu- 
niquer les  ordres  du  Roi,  ôc  le  porter  à  la  paix,  au  nom  des 
Etats  de  la  province.  On  lui  propofa  de  mettre  bas  les  armes, 
de  vivre  chez  lui  tranquille ,  ôc  d'y  profeffer  la  Religion  Ca- 
tholique :  finon  de  quitter  la  France,  ôc  qu'en  ce  cas  on  lui  ac- 
corderoit le  tems  d'un  an  ,  pour  vendre  fes  biens,  ôc  tranf- 
porter  fes  effets  dans  les  payis  étrangers  :  que  c'étoit  à  lui  à 
choifir ,  ôc  que  la  Noblefîe  du  Dauphiné  s'engageok  en  fon 


S!2  HISTOIRE 

gg  nom ,  à  cautionner  l'exécution  de  ces  articles.  Monbrun  ac- 
François  cePta  ^a  dernière  de  ces  conditions ,  d'autant  plus  volontiers 
II.'  clu  ^  n'ignoroit  pas  les  delTeins  de  Ferriere  Maligni ,  defquels 
i  c  <So.  j'3*  parlé  ci-deffus ,  ôc  qu'en  renvoyant  fesfoldats  qui  dévoient 
fe  joindre  à  ce  dernier ,  c'étoit  un  moyen  de  dérober  à  la 
Cour  la  connoiflance  de  Fentreprife  de  Maligni.  Au  relie  Mon- 
brun étoit  convenu  avec  les  députez  de  la  Nobiefle ,  qu'on 
rendroitles  prifonniers  de  part  ôc  d'autre  ,  ôc  qu'après  qu'il  fe- 
roit  retourné  dans  fes  terres ,  il  congedîroit  fes  foldats.  Mais 
ayant  appris  que  les  troupes  du  Pape  dépouilloient  les  liens, 
où  les  faifoient  prifonniers,  ôc  voyant  que  Gondrin  envoyoit 
des  garnifonsà  Vaupierre ,  à  Serre,  ôc  en  un  certain  Couvent, 
lieux  voifins  de  Monbrun,  il  reprit  les  armes ,  ôc  s'empara  de 
,Vaupierre  à  la  tête  d'environ  deux  cens  hommes.  Il  fit  bon 
quartier  à  la  garnifon  ;  mais  les  Prêtres  furent  fort  mal-traitez, 
fous  prétexte  qu'ils  étoient  caufe  qu'on  avoit  tué  plufieurs  de 
fes  gens ,  contre  la  foi  donnée.  Gondrin  irrité  de  ces  homlitez, 
joignit  fes  troupes  à  celles  du  comte  de  la  Baume  comte  de 
Suze,  ôc  del'Evêque  de  Viviers,s'imaginant  que  Monbrun  étoit 
plus  fort  qu'il  ne  l'étoit  en  effet.  Ceîui-ci ,  qui  n'avoit  que  qua- 
tre cens  fantaffins  ôc  cinquante  cavaliers ,  ayant  rencontré  les 
ennemis  près  de  Moulans  ,  fuppléa  par  adreffe  au  défaut  du 
nombre  ,  ôc  dreffa  trois  embufcades  dans  ces  lieux  ,  que  des 
monts  efcarpez  ,  des  vallées  profondes  ,  des  ruilfeaux  ôc  des 
ravins,  rendoient  favorables  à  fes  delTeins.  Aurefteil  avoit  pofté 
fes  gens  de  manière ,  qu'ils  pouvoient  aifément  fe  fecourir  les 
uns  les  autres ,  ôc  il  leur  avoit  ménagé  un  lieu  fur  pour  la  re- 
traite après  le  combat.  De  plus  il  leur  avoit  ordonné  de  n'at- 
taquer les  ennemis ,  qu'après  qu'ils  les  auroient  vus  tous  enga- 
gez en  ces  détroits. 

Mais  l'ardeur  du  foldat,quife  jetta  d'abord  fur  ceux  qui  entrè- 
rent dans  ces  lieux ,  fauva  les  ennemis.  Les  premiers  ayant  été 
pris  ou  taillez  en  pièces,  Gondrin ,  qui  conduifoit  l'arriere-gar- 
de,fït  faire  alte,  ôc  mit  fes  troupes  en  bataille  dans  une  plai- 
ne voifine.  Monbrun  ,  qui  vit  avec  regret  échapper  une  fi 
belle  occafion  de  défaire  les  ennemis,  ne  perdit  pas  courage, 
ôc  fortant  de  ces  lieux  profonds ,  fe  préfenta  comme  pour 
accepter  le  combat.  Gondrin  ne  jugea  pas  à  propos  de 
terminer  cette  guerre ,  quoique  la  fuperiodté  de  fes  troupes 

l'aiTurâï 


DE  J.  A.   DE  THOU,  Liv.  XXV.       SS3 

î'afTûrât  du fuccès  ;  foit  que  ce  feigneur  qui  avoit  une  grande  -  .  -  .  „•■..  : 
expérience  >  craignît  d'avoir  affaire  à  des  gens  réduits  au  défef-  ~ 
poir  j  {bit  qu'il  ne  voulut  pas  éteindre  tout  d'un  coup  une  ré-  *rançois 
volte  ,  où  il  voyoit  fes  avantages.  Car  on  difoit  alors  qu'il  trou- 
voit  fon  compte  à  une  guerre  ,  pour  laquelle  le  Pape  ,  &  les  l  5"  6  °* 
Vice-legats  lui  fourniffoient  inceflamment  de  groffes  fommes. 
Du  refte  il  força  Monbrun  ôc  fes  gens  de  s'enfuir  en  défordre 
çà  ôc  là  ,  ôc  de  fc  difliper  ;  cela  arriva  dans  le  tems  que  l'en» 
treprife  fur  Lyon  venoit  d'échouer ,  ôc  que  l'on  apprenoit  de 
tous  cotez,  que  les  affaires  des  Proteftans  déclinoient  de  jour 
en  jour.  Alors  Monbrun  prit  le  parti  de  quitter  la  France,  ôc 
il  choifît  pour  feul  compagnon  de  fa  retraite  Mathieu  d'An- 
toine Jurifconfulte,  qu'il  croyoit  aufîi  attaché  que  lui  à  la  nou~ 
velie  doctrine ,  ôc  en  qui  il  avoit  une  grande  confiance.  Il  fut 
fuivi  auiTi  de  fa  femme  * ,  qu'il  aimoit  uniquement.  Etant  ar- 
rivé à  Buyx  z  pour  fe  rendre  enfuite  à  Merindol  ,  le  perfide 
d'Antoine  ,  qui  avoit  fçû  diflimuler  jufques-là  ,  foûleva  les  ha- 
bitans  de  ce  bourg  contre  Monbrun  ,  les  excitant  à  arrêter  un 
homme  ,  qu'il  difoit  être  le  chef  des  Huguenots  ,  ôc  des  re- 
belles. Le  traître  ofa  même  faifir  Monbrun ,  mettant  la  main 
fur  une  chaîne  d'or  qu'il  avoit  à  fon  cou.  Mais  Monbrun  ayant 
défait  fa  chaîne ,  ôc  renverfé  d'Antoine ,  fe  fauva  par  une  fe- 
nêtre  de  l'auberge,  ôc  changea  fes  habits  de  foie  contre  ceux 
d'un  payifan  ,  pour  tromper  ceux  qui  le  pourfuivoient.  On  prit 
à  la  dame  de  Monbrun  fes  habits  les  plus  précieux ,  ôc  tout 
fon  bagage  ,  dont  un  mulet  étoit  chargé  :  d'Antoine  s'empara 
de  tout,  fur  les  ordres  qu'il  difoit  avoir  de  Gondrin. 

Il  fut  reçu  favorablement  de  ce  Commandant  ,  lui  ayant 
parlé  fort  au  long  des  deffeins  de  Monbrun ,  ôc  lui  difant  bien 
des  chofes  qu'il  avoit  entendues,  ou  peut-être  imaginées ,  par 
rapport  au  prince  de  Condé.  On  crut  qu'il  pourroit  un  jour 
fervir  de  témoin  contre  lui.  Gondrin  lui  donna  quelques  fol- 
dats,  pour  arrêter  Monbrun  en  Savoye.  Mais  l'ayant  rencon- 
tré ,  il  n  ofa  l'arrêter  ,  foit  qu'il  manquât  de  courage  &  de 
jugement  ,  foit  qu'il  fe  repentît  de  ce  qu'il  avoit  fait.  Ainfi 
Monbrun  arriva  heureufement  à  Genève ,  ôcde-là  à  Berne  avec 


i    Cette  Dame  s'appelloit  Juftine 
Al'eman  de  Champs, 
a  M.  de  Thou  dans  le  texte  appelle 


H 

ce  lieu  Boufquet,  mais  c'eft  le  Buyx  , 

qui  eft  à  une   lieuë  de  Merindol  en 

Dauphine', 


Tome  III.  Aaaa 


S$4  HISTOIRE 

■  ■■■  fa  femme,  fa  compagne  inféparable.  Guillotineutun  fort  bien 
François  différent.  Il  fut  pris  près  de  Grenoble ,  lorfqu'il  fuyoit  en  Suiffe, 
II.'        ayant  été  déféré  par  d'Antoine  ,  comme  auteur  de  la  révolte  du 
i  f  6  o.    comt^  Venaiflin.il  nia  tous  les  faits  dont  on  l'accufoit  3  ainfi  n'y 
ayant  pas  de  preuves  contre  lui ,  il  évita  un  jugement  rigou- 
reux :  on  le  garda  néanmoins  en  prifon;par  ordre  du  duc  de  Gui- 
fe ,  qui  vouloit  fe  fervir  de  lui  contre  le  prince  de  Condé.  En  ce 
même  tems  les  frères  Changy  furent  pris  par  Saint  Chaumont 
leur  coufin  germain.  Ils  étoient  foupçonnez  d'avoir  eu  part  à 
la  confpiration  de  Lyon ,  ôc  l'on  efperoit  que  leur  témoignage 
feroit  la  conviction  du  prince  de  Condé. 

La  Provence  fut  aufîi  agitée  de  troubles ,  qui  s'étoient  éle- 
Troublesen  yez  dès  l'année  précédente.  Antoine  ôc  Paul  de  Richiend,  dits 
de  Mouvens,  étoient  deux  frères,  qui  demeuroient  à  Caftel- 
lane ,  où  ils  étoient  nez  d'une  honnête  famille.    Après  avoir 
fignalé  leur  courage  dans  les  guerres  de  Piémont  ,  ils  s'étoient 
retirez  chez  eux,  ôc  y  faifoient  profeffion  de  la  nouvelle  doc- 
trine. Un  Miniftre,  qu'ils  avoient  fait  venir  de  Genève,  prêchoit 
la  nuit  dans  leurs  maifons ,  où  il  venoit  du  monde  de  toutes 
parts ,  malgré  la  rigueur  de  l'hiver.  Les  bourgeois  de  Cafteila- 
ne  animez  par  un  Cordelier  >  qui  prêchoit  chez  eux  le  Carême, 
prennent  les  armes ,   ôc  afîiégent  la  maifon  d'Antoine  de  Mou- 
vens  au  nombre  de  cinq  cens.  Paul   fon  frère  partit  aufïi-tôt 
pour  fe  rendre  à  Aix,  où  il  préfenta  une  requête  au  Parlement 
contre  les  habitans  de  Caftellane.  Mais  ceux-ci  accufant  à  leur 
tour  les  Mouvens  de  tenir  chez  eux    des  affemblées  prohi- 
bées par  les  loix  ,  il  n'y  eut  rien  de  décidé  d'abord.  Enfin  il 
fut  ordonné,qu'on  informeroit  contre  les  Mouvens,  comme  fec- 
taires.  Paul  s'étant  pourvu  au  Confeil  contre  l'arrêt,  le  Roi  in- 
terdit la  connoiffance  de  cette  affaire  au  parlement  d'Aix ,  Ôc 
la  renvoya  à  celui  de  Grenoble.  Mais  les  juges  du  Confeil 
retinrent,par  ordre  du  cardinal  de  Lorraine,  les  pièces  des  Mou- 
vens, pour  les  empêcher  de  fuivre  leur  procès.  Cela  ne  les  re- 
buta point.  Après  avoir  fait  entendre  plufieurs  témoins,  &  re- 
cueilli des  pièces ,  ôc  des  preuves ,  ils  accuferent  au  Confeil 
du  Roi  les  juges  du  parlement  d'Aix  de    concuffions  ôc  de 
brigandage.  Tous  les  Proteftans  de  Provence  dévoient  four- 
nir aux  frais  du  procès.  Cependant  Antoine  ayant  été  engagé  par 
les  prières  de  fes  amis  à  fe  reconcilier  avec  fes  compatriotes, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  tttV.  XXV.       ssi 

y  confentit  volontiers ,  ôc  partit  pour  Fayeufe  un  certain  jour,,  , 

que  des  arbitres  dévoient  terminer  leurs  différends.  Ne  les  y  rDJX„nU< 

-i       •         r       i      r  •      v    ta  v     i   r3    rRANÇOlS 

ayant  pas  trouvez,  il  vint  iur  le  loir  a  Draguignan.,  ou  il  fut 
environné  d'une  troupe  d'enfans,  qu'on  croit,  que  des  Prê-  -  rQ 
très  avoient  animez  contre  lui.  Plus  de  trois  mille  hom- 
mes, qui  demandoient  fa  mort,  étant  accourus  au  bruit ,  il  re- 
clama la  protection  du  juge  du  lieu  ,  &  la  fauvegarde  du  Roi. 
Cette  précaution  ne  le  fauva  point.  Le  peuple  furieux  l'arracha 
d'entre  les  mains  du  juge ,  6c  le  tua  inhumainement.  Son  corps 
fut  mis  en  pièces  j  les  entrailles  traînées  par  les  rues  ,  ôc  jet- 
tées  dans  un  cloaque  près  les  murs  de  la  ville.  Son  coeur,  6c 
fon  foie  attachez  au  bout  d'une  pique  s  furent  portez  en  pompe 
par  la  ville ,  6c  enfuite  jettez  aux  chiens.  Ces  animaux  n'en 
ayant  pas  voulu  manger,  furent  battus  par  la  populace erTrenée> 
qui  les  appelloit  Luthériens.  Paul  de  Mouvens  ayant  préfenté 
fa  plainte  au  parlement  d'Aix,  les  Confeillers  Henri  Vi£toris 
ôcEfprit  Vitalis  furent  députez  à  Draguignan,  pour  informer. 
Mais  ils  affeclerent  d'entendre  des  témoins  plutôt  fur  \qs  mœurs 
6c  la  Religion  d'Antoine ,  que  fur  le  meurtre  commis  en  fa 
perfonne.  Le  corps  d'Antoine  fut  falé ,  ôc  porté  dans  la  ville. 
Les  Habirans,  fe  voyant  foutenus  du  Parlement ,  rirent  tou- 
tes fortes  d'infultes  aux  amis  ôc  aux  parens  de  Paul  de  Mou- 
vens.  Cela  arriva  vers  le  tems  de  la  mort  de  Henri  II.  Paul 
craignant  depuis  toujours  pour  fa  vie ,  fut  obligé  de  payer  fort 
cher  des  foldats,  pour  fa  défenfe.  Chateau-neuf ,  qui  s'étoit 
trouvé  avec  la  Renaudie  à  l'affemblée  de  Nantes ,  étant  venu 
alors  en  Provence ,  pour  y  lever  des  troupes  ,  fe  rendit  à  Me- 
rindol,  où  Paul  fut  choifi  ,  du  confentement  unanime  de  foi- 
xante  Proteftans  qui  s'y  trouvèrent  ,  pour  chef  de  la  milice 
qu'on  alloit  mettre  fur  pie.  Il  s'acquitta  de  cette  commiflîon 
avec  autant  de  zélé  que  de  prudence.  Il  affembla  jufqu'au 
nombre  de  deux  mille  hommes ,  leur  donna  des  officiers ,  ôc 
fît  toutes  les  provilîons  néceffaires  à  la  guerre.  Il  crut  qu'avec 
ces  forces  il  pourroit  venger  la  mort  de  fon  frère,  dont  le  ca- 
davre privé  des  honneurs  de  la  fépulture  étoit  encore  dans  la 
prifon.  Il  fe  flatta  même  qu'il  pourroit  aifément  fe  rendre  maî- 
tre de  la  ville  d'Aix ,  dont  les  Proteftans  dévoient  lui  livrer 
une  porte.  Mais  fon  dellein  fut  découvert,  ôc  fes  amis  perdirent 
courage  5  Claude  de  Savoye  comte  de  Tende ,  gouverneur  de 

Aaaa  ij 


ïfê  HISTOIRE 

-     '    "     '-  la  Province ;fe  rendit  à  Aix  avec  le  capitaine  Paulin,  fur  les 
François  inftances  du  Parlement  ,  ôc  les  Bourgeois  ayant  doublé   les 
IL         corps-de-garde,  fe  mirent  à  couvert  de  toutes  infultes.  Mou- 
ï  5  60,     vens ,  pour  ne  pas  demeurer  oifif  ,  fe  répandit  dans  le   plat 
payis  avec  cinq  cens  hommes  ,  ôc  abatit  toutes  les  images  des 
Eglifes  des  villages  ôc  des  bourgs.  Il  fit  fondre  aufïi  les  va- 
fes  d'or  ôc  d'argent,  qu'il  y  trouva,  après  avoir  appelle  aupa- 
ravant les  Echevins  ,  ou  les  Syndics  des  lieux ,  ôc  fait  pefer  ôc 
eftimer  en  leur  préfence  ce  qu'il  emportoit.  Il  en  drella  mê- 
me des  procès  verbaux  ,  qu'il  conferva  avec  foin.  Au  refte 
les  foldats  de  Paul  eurent  en  cette  occafion.tant  de  retenue, 
ou  tant  d'amour   ôc  de  refpeâ  pour  leur  chef,  que  parmi  ces 
gens,  d'ailleurs  avides  de  butin,  il  ne  s'en  trouva  pas  un  feul, 
qui  enlevât  par  force  aucune  chofe.  Au  bruit  de  ces  hoftili- 
tez,  le  comte  de  Tende  leva  des  troupes  dans  la  Province, 
Ôc  marcha  avec  fa  gendarmerie,  pour  attaquer  Mouvens,  qui 
fongeoit  à  faire  recevoir  dans  Cifteronles  Proteftans ,  qu'on  en 
avoit  chafTez.    Celui-ci  ayant  appris   que  le  Comte  s'avan- 
çoit  avec  une  armée  de  fix  mille  hommes ,  ôc  n'ofant  attaquer 
Cifteron,  ni  congédier  fes  troupes  ,  fe  retira  en  bon  ordre  dans 
le  Couvent  de  faint  André ,  lieu  fortifié  par  fa  fituation  ;  ôc  y 
ayant  fait  porter  des  provifions  des  villages  voifins ,  il  réfolut 
de  s'y  défendre  jufqu'à  l'extrémité,  ôc  d'y  attendre  les  ordres 
de  la  Renaudie.   Le  comte  de  Tende  gouverneur  de  Pro- 
vence envoya ,  pour  reconnoître  ce  lieu ,  Paulin  ,  qui  fut  obli- 
gé de  fe  retirer,  après  avoir  couru  rifque  de  fa  vie.  Son  rap- 
port fut ,  qu'il  avoit  vu  des  gens  réfolus  à  fe  bien  défendre, 
ôc  qu'à  en  juger  félon  les  apparences,  ce  fiége  feroit  meurtrier. 
Le  Comte,  qui  vouloit  ménager  le  fang  de  fes  foldats  ,  ôc  qui 
d'ailleurs  avoit  peu  d'éloignement  pour  les  opinions  nouvelles, 
propofa  une  entrevue  à  Mouvens ,  qui  fe  rendit  aufli-tôt  au 
lieu  marqué,  après  avoir  pris  les  furetez  ordinaires. 

Le  Comte  lui  ayant  demandé ,  par  quel  motif  il  excitoit  des 
troubles  dans  la  Province  ,  il  répondit  que  le  meurtre  barbare, 
commis  en  la  perfonne  de  fon  frère ,  lui  avoit  mis  les  armes 
à  la  main  h  qu'en  ayant  inutilement  pourfuivi  la  vengence  au 
Parlement ,  il  avoit  été  obligé  de  lever  des  troupes ,  pour  fa 
défenfe  j  que  du  refte  ,  il  ne  demandoit  autre  chofe  ,  finon 
que  les  Magiftrats  punîfîent  les  auteurs  de  la  mort  de  fon  frère. 


DE  J.   A.  DE  THOU,  Liv.  XXV.      ^7 
&  réprirnaiTent  l'infolence  de  ceux  de  Caftellane  ,  qui  lui  ten-  » 

Soient  tous  les  jours  des  embûches,  ôc  en  vouloient  à  fa  vie;  François 
ôc  qu'il  fouhaitoit ,  qu'on  lui  accordât  à  lui ,  ôc  aux  Tiens  le  li-  jj 
bre  exercice  d'une  Religion  ,  qu'il  croyoit  véritable  ;  qu'il  t  ,  $$% 
feroit  toujours  fidèle  fujet  du  Roi,  comme  il  l'avoitété,  ôc 
qu'il  ne  feroit  pas  moins  fournis  à  fes  ordres ,  qu'il  l'avoit  été 
à  ceux  du  feu  Roi  de  glorieufe  mémoire.  Il  ajouta  ces  der- 
nières paroles,  pour  faire  croire  qu'il  n'étoit  point  entré  dans 
la  confpiration  d'Amboife  ,  quoiqu'il  en  fut  véritablement  com- 
plice. On  demeura  d'accord,  que  Mouvens  congédieroit  fes 
îbldats,  ôc  qu'il  n'en  garderoit  que  le  nombre  néceflaire  pour 
la  fureté  de  fa  perfonne  :  le  Gouverneur  lui  promit  qu'on  ne 
feroit  aucune  infulte  à  ceux  qui  avoient  fervi  fous  lui ,  qu'il 
pourroit  lui  6c  les  fiens  profefler  fa  Religion  avec  toute  liberté, 
&  que  le  Parlement  lui  feroit  juftice  du  meurtre  de  fon  frère. 
Le  Roi  Ôc  la  Reine  mère  avoient  écrit  au  Comte  des  lettres 
honorables  pour  Mouvens.  On  lui  donnoit  des  éloges ,  ôc  on 
le  reconnoiffoît  pour  un  fidèle  fujet.  Mais  en  même  tems  la 
Couravoit  envoyé  ordre  au  Parlement,  de  condamner  au  der- 
nier fupplice  Mouvens  ôc  Chateauneuf ,  fi  on  pouvoit  les  pren- 
dre. Ainfi  finirent  alors  les  troubles  de  la  Provence.  Le  capi- 
taine Paulin,  quihaïflbit  depuis  long-tems  les  habitans  deMe- 
rindol,  ôc  de  Cabrieres,  voulut  aller  attaquer  Mouvens,  qui 
ne  s'étoit  refervé  qu'une  garde  de  cinquante  hommes.  Jl 
violoit  par  là  les  conditions  du  dernier  traité  ,  pour  faire 
plaifir  à  ceux  de  Caftellane ,  ôc  agifToit ,  ou  à  l'infçu  ,  ou  con- 
tre la  volonté  du  Gouverneur.  Mais  fes  mauvais  deffeins  ne 
réufiirent  pas.  Car  Mouvens  en  ayant  été  averti,  alla  au-devant 
de  lui,  ôc  le  repoufla  avec  honte.  Les  Proteftans  ont  remar- 
qué avec  une  fuperftition  vaine,  que  deux  hommes  de  la  fui- 
te d'Antoine  de  Mouvens  ayant  été  tuez  avec  lui,  ôc  leurs 
corps  enterrez  au  bord  d'un  ruiffeau  voifin ,  un  torrent  formé 
par  les  pluies  les  arracha  de  ce  lieu,  ôc  qu'ayant  été  trois  mois 
expofez  fur  la  terre,  on  les  trouva  entiers  ,  ôc  fans  être  cor- 
rompus. Ils  ajoutent ,  qu'un  des  meurtriers  ayant  été  tué  peu 
après ,  ôc  enterré  près  du  même  endroit  fe  corrompit  en  vingt- 
quatre  heures.  On  doit  attribuer  ces  effets  à  la  nature  du  ter- 
rein ,  qui  étant  fec  Ôc  fablonneux  conferve  les  corps,  ôc  les 
détruit  en  peu  de  tems,  quand  il  eft  grasôc  humide.  Mouvens 

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jj8  H  I  S  T   O   I  R  E 

»  qu'avoient  rendu  odieux  les  violences  qu'il  avoit  commifes  dans 


François  lesEglifes  ,  prit  le  parti  de  fe  retirer  à  Genève.  Il  y  vécut  tran- 
jj  quile,ôc  refufa  conftamentles  offres  brillantes  que  le  duc  de  Gui- 
1  <:  6  o  k'  ^  e^mo^  f°n  courage ,  lui  fit  faire  pour  l'engager  à  revenir. 
Le  nombre  des  Proteftans  fe  multiplioit  aufîi  en '  Norman- 
die :  à  Saint  Lo ,  à  Caën ,  ôc  à  Dieppe  i  ils  faifoient  des  affem- 
Prédicant    blées  publiques.  De  jeunes  Proteftans  de  Rouen ,  contre  l'avis 

fanatique  à  des  anciens,  prêchèrent  auffi  en  public;  quoique  plufieurs  offi- 
ciers du  Parlement,  qui  ne  défapprouvoient  pas  leur  doctrine* 
ne  ceffaffent  de  les  avertir  de  tenir  leurs  affemblées  en  fecret. 
On  vit  paroître  alors  parmi  eux  un  homme,  qui  fepiquoit  d'a- 
voir une  méthode  particulière  pour  enfeigner  les  trois  langues 
fçavantes.  Ce  perfonnage,  qui  avoit  été  élevé  dans  la  déteftable 
doctrine  des  Anabâtiftes,  ôc  qu'on  avoit  chaiTé  de  Genève, 
après  lui  avoir  défendu  toutes  fondions  de  miniftre ,  commen- 
ça à  prêcher  en  plein  jour  dans  un  champ  près  les  murs  de  la 
ville,  blâmant  la  timide  prudence  des  autres  Proteftans.  Cette 
nouveauté  lui  attira  une  foule  d'auditeurs,  même  du  nombre 
de  ceux ,  qui  condamnoient  fa  doctrine  ,  mais  qui  approuvoient 
néanmoins  les  affemblées  fecrettes.  Il  difoit ,  que  Dieu  lui  ré- 
veloit  des  chofes  admirables  ',  que  l'Antechrift  feroit  expulfé 
de  fon  thrône  par  la  force  des  armes  ;  que  le  Seigneur  l'avoit 
choifi  pour  chef  de  cette  armée,  à  la  tête  de  laquelle  il  devoir 
faire  périr  tous  les  médians  ;  qu'il  avoit  ordre  d'exterminer  les 
mauvais  Princes ,  Ôc  les  Magiftrats  iniques  ;  que  Dieu  lui  avoit 
accordé  par  une  grâce  finguliere,  de  ne  mourir,  qu'après  avoir 
créé  un  monde  nouveau,  où  regneroit  l'innocence  ,ôc  dont  tout 
péché  feroit  banni  i  qu'enfin  on  ne  devoit  pas  s'étonner ,  fi  la 
conjuration  d'Amboife  n'avoit  pas  réufïî,  n'y  ayant  pas  été  affo- 
cié.  En  difant  ceschofes,il  s'agitoit  extraordinairement,  comme 
s'il  eût  été  animé  d'une  inspiration  divine.  Il  faifoit  des  con- 
torfions  6c  des  grimaces,  delà  bouche,  ôc  des  yeux  qu'il  fer- 
moir de  tems  en  tems  ,  6c  tournoit  fa  tête  rapidement  de  tous 
cotez  h  6c  puis  fe  laiffant  tomber  par  terre,  il  s'y  rouloit  avec 
violence  tout  hors  d'haleine  >  6c  écumant  comme  un  furieux. 
Ce  fpe£lacle  faifoit  rire  bien  des  gens,  6c  ne  laiffoit  pas  d'impofer 


i  M.  de  Thou  met  dans  le  texte 
in  ArmoYiGano  quoque  traHn  ;  mais  il  a 
voulu  dire  in  Neujtria.  La  fuite  de  cet 


endroit  fait  voir,  que  c'eft  une  inad- 
vertance échappée  à  l'Editeur, 


# 


*  DE  J.   A.  DE  THOU,   Liv.    XXV.      ftp 

à  quelques-uns.  Deux  frères  entre  autres ,  qui  étoient  fes  pa-  —«—««. 
rens  ,  eurent  la  {implicite  d'ajouter  foi  à  fes  paroles ,  de  le  van-  pRANc0ls 
ter  auprès  de  leurs  amis ,  ôc  de  recevoir  chez  eux  un  fou ,  qu'on        jt  * 
avoit  chafTé  de  toutes  les  maifons.  Ses  difcours  féditieux  ten-     ,  -  ^  0 
doient  à  foulever  le  peuple,  ôc  il  avoit  même  infulté  le  car- 
dinal  de  Bourbon  archevêque  de  Rouen  ,  îorfqu'en  revenant  de 
Gaiilon  ce  Prélat  pafibit  par  un  chemin ,  où  il  débitoit  fes  folles 
erreurs.  Le  Prévôt  des  Maréchaux  l'ayant  arrêté,  par  ordre  de 
Villebon  d'Eftouteville  lieutenant  du  duc  de  Bouillon  ,  lui  fit 
fon  procès  en  quatre  jours ,  Ôc  le  condamna  à  être  brûlé  pu- 
bliquement. On  pendit  enfuite  les  deux  frères ,  qui  logeoient 
l'impofteur  :  follement  abufés  ils  croyoient,  comme  il  leur  avoit 
dit  i  qu'il  ne  mourroit  jamais ,  ôc  ils  ne  reconnurent  leur  erreur, 
qu'après  l'avoir  vu  confumé  par  les  flammes.  Sa  mort  ne  fit 
pas  moins  de  plaifir  aux  Proteftans  qu'aux  Catholiques  ;  parce 
qu'ils  fe  croyoient  par  là  déchargez  de  la  haine  qu'on  avoit 
conçue  contre  eux,   comme  s'ils  avoient  été  complices  de  fes 
folies  ;  ôc  que  leur  doctrine  pût  être  confondue*  avec  les  erreurs 
d'un  homme  également  fanatique  ôc  impie. 


Fin  du  vingt-cinquième  Livre* 


*6o 

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l^iÉ     ©     O    O    ©    O    O    O    O   O  O    O   <5    B%-2S 

HISTOIRE 

DE 

JACQUE     AUGUSTE 

T  H  O  U. 


LIVRE  VINGTS  IX1EME. 

mmmmmXMSi  N  ce  temsJà  le  Roi  arriva  de  S.  Ger- 

François  *&•######$  main  à  Paris ,  où.  il  avoir  fair  venir  les 

IL         g  #  i^Oeeg  #  i  troupes ,  qui  avoient  fervi  en  Piémont, 

i  $  6o.     f|  #  ||  Tp  pf  $  Il  &  enEcofle.  Ce  Prince  jugea  à  propos 

N  «  8    |^j  H  A  ^1  demander  la  plupart  des  officiers  de  fon 

Suite  d«  af-  g  *;g  J^-r  Q*  |  Parlement  }&  leur  ayant  parlé  delà  con- 

faircsdeFran-  ^  *  $%&&?&&&&.  *   $8    ■         .  „,      ,     .r  J         *         ,       ^  .~ 

ce.  I*|      ^ï*1ft  w  g  juratlon  j  Amboife,  comme  les  Guifes 

fi  *  *  *  '  *  El  leluiavoientconfeillé,  il  leur  dit,  que 
à&tâ,*hMi&h*s»xsÈ&&tëa&Afi  ies  .Bourbons  en  etoient  les  principaux 
auteurs  ;  que  fa  vie  étoit  tous  les  jours  expofée  à  de  grands  pé- 
rils ,  &  que  c'étoit  pour  mettre  fa  perfonne  en  fureté ,  qu'il  étoit 
venu  dans  la  capitale  de  fon  Royaume  ,  ôc  qu'il  y  avoit  affem- 
blé  des  foldats.  Cependant  CruiTol  &  le  cardinal  de  Bour- 
bon, revenus  à  la  Cour,  avoient  rapporté  que  le  roi  de  Na- 
varre ôc  le  prince  de  Condé  tarderoient  peu  à  s'y  rendre.  Au 
refte  les  amis  de  ces  Princes  étoient  fort  p  artagez }  fur  le  parti 

quiis 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXVI.       ;6r 

qu'ils  avoienr  à  prendre  ;  les  uns  difant ,  qu'ils  ne  pouvoient   - 

fans  témérité  fe  mettre  entre  les  mains  des  Guifes;  les  autres  T?n  .__  ^YO 

^a  .  v«    r  11    •        i    /••  is    -i  rRANcOIS 

utenant  au  contraire  qu  il  ralloit  obéir  :  que  par  la  ils  mar- 

queroient  leur  foûmifîïon  aux  ordres  du  Roi ,  ôc  fermeroient  f  ^ 
la  bouche  à  leurs  ennemis,  qui  publioient  en  tous  lieux,  qu'ils 
méditoient  quelque  chofe  de  funefte  à  1  Etat  :  qu'on  n'arrêtoit 
pas  légèrement ,  ôc  fur  de  (impies  foupçons  ,  des  Princes  du 
fang  royal  >  que  le  Roi  ayant  engagé  fà  parole  ,  qu'il  ne  leur 
arrivèrent  rien  de  fâcheux  ,  ils  ne  dévoient  rien  appréhender: 
qu'enfin  il  valoit  mieux  s'abandonner  à  la  clémence  du  Roi , 
que  de  donner  à  tous  les  peuples  le  funefte  exemple  de  la  dé- 
fobéïffance  ,  &  de  la  rébellion.  D'Efcars  3  courtifan  d'une  foi 
fufpecte ,  preiïbit  le  départ  des  Princes  ,  ôc  Amaury  Bouchard 
avoit  écrit  au  Roi ,  qu'on  devoit  eflayer  de  mettre  de  la  divi- 
sion entre  le  roi  de  Navarre  ôc  le  prince  de  Condé  j  que  de- 
puis que  ce  dernier  étoit  venu  auprès  du  Roi  fon  frère  ,  on  y 
avoit  pris  des  refolutions  extrêmes  >  qu'on  avoit  fait  venir  des 
miniftres  de  Genève ,  Ôc  que  tout  s'y  difpofoit  aux  troubles  ôc 
à  la  révolte.  Bouchard  ajoûtoit ,  que  pour  ne  pas  avoir  part  à 
de  fi  pernicieux  defTeins,  il  s'étoit  retiré  à  S.  Jean  d'Angelien 
Xaintonge  ,  lieu  de  fa  nailTance,  après  en  avoir  obtenu  laper- 
mitfion  du  roi  de  Navarre. 

La  dame  de  Roye  ,  ôc  Eleonor  princefTe  de  Condé ,  s'op- 
pofoient  fortement  au  voyage  des  Princes  à  la  Cour.  Elles  di- 
ibient  que ,  quand  même  le  roi  de  Navarre  iroit  trouver  le  Roi , 
le  prince  de  Condé  ,  à  qui  fur  tout  on  en  vouloit ,  n'y  devoit 
pas  aller  ;  que  par  là  même  la  vie  du  premier  feroit  plus  en  fÛA 
reté ,  ôc  que  les  Guifes  ne  feroient  pas  aflez  téméraires  pour 
attenter  à  fa  perfonne ,  tant  qu'ils  craindroient  la  vengence  du 
Prince  fon  frère. 

Cependant  le  Roi  partit  de  Paris ,  accompagné  de  la  Reine- 
mere  ôc  des  Guifes ,  ôc  efeorté  de  mille  chevaux.  Il  laifia  au 
bois  de  Vincennes  Henri  duc  d'Anjou  fon  frère  »  ôc  la  prin- 
ceffe  Marguerite  fa  feeur,  ôc  arriva  à  Arthenai.  Ce  fut  de-là 
que  Marillac  archevêque  de  Vienne ,  qui  pénétroit  les  deffeins 
des  Guifes ,  écrivit  à  Jaqueline  de  Lonvi  ducheffe  de  Mont- 
penfier,qui  l'honoroit  de  fa  confiance.  Il  lui  manda,  ou  plûi- 
tôt  il  lui  fit  dire  par  fon  Envoyé ,  homme  de  confiance ,  qu'elle 
fe  fou  vînt  de  la  parole  qu'elle  lui  avoit  donnée,  que  dès  qu'elle 
Tome  III.  B  b  b  b 


$62  HISTOIRE 

.  auroit  retiré  des  mains  du  Roi  les  biens  de  Charle  de  Bouis* 

François  b°n  »  e^e  ^QÏOlt  ^es  efforts  pour  s'oppofer  aux  deffeins  des  Gui- 
jj^         fes  :  qu'étant  rentrée  en  pofTeflion  de  la  principauté  de  Dom- 
i  c  6  o.     ^es  —  ^u  Beaujolois ,  le  tems  étoit  arrivé  de  tenir  fa  promeffe  > 
que  les  chofes  étoient  venues  à  ce  point  3  que  quand  même 
elle  n'auroit  pas  la  jouiiïance  de  fes  terres  ,  elle  devroit  pré-^ 
férer  le  bien  de  l'Etat  à  fes  intérêts  particuliers  :  qu'il  n'y  avoir 
pas  un  moment  à  perdre  3  pour  prévenir  des  projets  ambitieux  5 
qu  il  avoit  appris  depuis  peu.,  que  le  deflein  des  princes  Lor- 
rains étoit  de  faire  arrêter  le  prince  de  Condé ,  s'il  fe  rendoit 
auprès  du  Roi ,  ôc  de  fi  bien  obferver  le  roi  de  Navarre  3  qu'il 
fut  comme  prifonnier  au  milieu  de  la  Cour  :  qu'on  ne  devoir 
point  compter  fur  le  cardinal  de  Bourbon 3  qui  s'étoit  livré  lâ- 
chement aux  Guifes,  pour  tromper  les  Princes  fes  frères  ;  qu'il 
ne  reftoit  plus  que  deux  Princes  du  fang  ,  le  duc  de  Montpen- 
fier  fon  mari ,  ôc  le  prince  de  la  Roche-fur-Yon  fon  beau-fre- 
re,  qui  n'avoient  nulle  autorité  :  qu'on  faifoit  par  tout  cette 
plaifanterie ,  qu'on  avoit  trouvé  moyen  de  les  attirer,  &  de  les 
amufer  comme  des  enfans ,  l'un  par  les  bonnes  prunes  de  laTou- 
raine  3  ôc  l'autre  par  l'excellent  coin  d'Orléans  :  qu'il  la  fup- 
plioit  de  fe  fouvenir  3  qu'elle  lui  avoit  dit  elle-même  ,  que  il 
les  Princes  du  fang  venoientà  mourir,  la  Reine-mere  feduite 
par  l'adulation  des  Guifes  3  ou  accablée  par  leur  puiffance  3  au- 
roit peu  de  reffources  :  que  la  Nobleffe  feule  étoit  en  état  de 
foûtenir  le  Royaume  chancelant;  que  les  Potons,  les  Vigno- 
les,  ôc  d'autres  capitaines  de  cette  réputation ,  pourroient  aiTu» 
rer  la  liberté  publique  ,  pourvu  que  les  Bourbons  ne  fe  man- 
quaient pas  à  eux-mêmes  :  que  le  Connétable  agilToit  foible- 
ment  dans  les  conjonctures  préfentes  s  que  fe  confiant  en  fon 
innocence  ,  il  negligeoit  trop  les  fecours  humains ,  pour  s'ap- 
puyer uniquement  fur  l'autorité  des  loix  ;  que  néanmoins  il  ne 
devoit  pas  ignorer  3  qu'on  avoit  fait  confeffer  à  la  Sague ,  au 
milieu  des  tourmens ,  que  c'étoitpar  fes  ordres,  qu'il  s'étoit  ren- 
du auprès  de  la  reine  d'Angleterre  ?  qu'il  falloit  donc  avertir 
Montmorenci  de  profiter  du  paffé ,  ôc  de  prendre  des  mefures 
convenables  :  qu'on  devoit  animer  la  lenteur  du  roi  de  Navar- 
re 3  en  le  faifant  fouvenir  du  Prince  fon  fils  :  qu'elle  devoit  en- 
gager le  duc  de  Bouillon  fon  gendre ,  à  recevoir  les  enfans  du 
prince  de  Condé  dans  Sedan  ôc  Jamets,ôc  à  confentir  qu'on 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXVI.        ^3 
enfermât  dans  ces  places  les  frères  ou  lesenfans  du  duc  de  Gui-  -_ 
fe ,  fi  l'on  en  pouvoit  prendre  quelqu'un ,  parce  que  leur  vie  ré-  pRANÇ 0IS 
pondroit  de  celle  des  Bourbons  :  que  d'ailleurs  il  feroit  à  pro-        j] 
pos  d'envoyer  vers  les  princes  d'Allemagne,  Ôc  les  autres  Prin-     j  *  $0t 
ces  affectionnez  à  la  France ,  pour  les  engager  à  s'oppofer  aux 
Lorrains,  qui  n'avoient  pour  but  que  d'entretenir  les  féditions 
ôc  les  guerres  civiles  :  qu'à  peine  on  avoit  rendu  l'EcoiIe  tran- 
quille ,  qu'on  avoit  employé  les  troupes  qui  en  étoient  revenues, 
à  foûtenir  d'ambitieux  delTeins  :  qu'enfin,  fi  on  ne  remedioit  à 
ces  defordres ,  la  vie  lui  feroit  à  charge ,  comme  à  tous  les  gens 
de  bien ,  &  qu'il  en  verroit  la  fin  avec  plaifir. 

La  duchefie  de  Montpenfier  ayant  reçu  la  lettre  ,  ordonna 
à  celui  qui  la  lui  avoit  apportée  ,  de  feindre  un  voyage  aux 
eaux  de  Spa ,  ôc  d'aller  fous  ce  prétexte  trouver  le  duc  de  Bouil- 
lon ,  &  enfuite  les  princes  Allemands.  11  vit  le  Connétable  en 
paiTant,ôc  pourfuivit  fon  voyage.  Mais  fa  négociation  eut  un 
médiocre  fuccès  5  le  deftin  de  l'Etat  l'emportant  fur  les  fages 
confeils,  ôc  la  France  penchant  vers  fa  ruine  par  la  foibieffe , 
ou  par  la  corruption  des  Grands.  L'archevêque  de  Vienne , 
fenfible  aux  maux  de  fa  patrie ,  tomba  dans  une  profonde  mé- 
lancolie ,  qui  lui  caufa  la  maladie  dont  il  mourut ,  à  l'âge  de 
cinquante  ans ,  dans  l'abbave  de  S,  Pierre  de  Melun ,  trois  jours 
avant  la  mort  de  François  II.  C'étoit  un  Prélat  d'un  efprit 
folide ,  dont  le  caractère  ami  de  la  vérité  étoit  peu  propre  à 
la  Cour.  Il  y  avoit  long-tems  qu'il  fouhaitoit  une  réforme  dans 
l'Eglife ,  ôc  il  s'étoit  rendu  fufpeft  à  ce  fujet,  dans  le  tems  que 
jeune  encore  il  faifoit  la  profeiïion  d'avocat  au  parlement  de 
Paris.  Pour  éviter  le  péril  qui  le  menaçoit ,  il  fuivit  Jean  de 
la  Foreft  fon  coufin  ,  que  François  I.  envoyoit  en  ambaiTade 
vers  Soliman.  La  Foreft  étant  mort ,  il  remplit  dignement  fa 
place  ,  ôc  s'étant  enfuite  acquitté  avec  honneur  de  plufieurs  am- 
baiTades,  en  Angleterre,  ôc  auprès  de  l'empereur  Charles  V,  ôc  de 
quelques  autres  Princes ,  il  avoit  été  nommé  confeiller  d'Etat. 
Gabriel  de  Marillac,  fon  frère  aîné,  s'étoit  aufïi  fort  diftingué 
par  fa  vertu ,  par  fon  intégrité  ,  ôc  par  fon  éloquence.  Etant 
avocat  général  du  parlement  de  Paris ,  il  avoit  maintenu  l'an- 
cienne difeipline  ,  ôc  s'étoit  oppofé  de  tout  fon  pouvoir  à  la 
corruption  des  mœurs  de  fon  liecle.  Il  étoit  mort  neuf  ans 
avant  i'Archevêque  fon  frère.  Ils  étoient  nez  l'un  ôc  l'autre  en 

Bbbb  ij 


5<j4  HISTOIRE 

Auvergne,  d'une  honnête  famille  5  leurs  ancêtres  ayant  été  long- 
François  tems  domeftiques  des  princes  de  la  maifon  de  Bourbon ,  Dau-* 
jjs        phins  d'Auvergne. 
H/  Le  Roi  vint  d'Arthenai  à  Orléans,  ôc  y  fit  fon  entrée  le  18 

d'0£tobre,avec  une  pompe  formidable,ôc  plutôt  en  conquérant, 
qu'en  père  de  fesfujets.  Il  avoit  envoyé  devant,  avec  des  trou- 
pes ,  Marfilli  de  Sipierre  créature  des  Guifes  ,  qu'avoit  fuivi 
peu  après  le  10  du  même  mois  le  prince  delà  Roche-fur-Yon , 
lequel  avoit  le  titre  de  Gouverneur  de  la  ville ,  ôc  non  le  com- 
mandement des  troupes  ,  qu'on  avoit  donné  à  Sipierre  fon 
lieutenant.  Cette  pompe  militaire  répandit  la  terreur  dans  l'ef- 
prit  des  bourgeois,  ôc  plus  encore  des  Députez  des  provinces, 
qui  étoient  venus  aux  Etats.  On  avoit  placé  des  corps  de  gar- 
de dans  toutes  les  rues  ôc  dans  toutes  les  places  ,  ôc  il  fembloit 
que  l'on  fe  préparât  à  foûtenir  un  fiége.  On  ne  pouvoit  com- 
prendre qu'un  Roi,  à  peine  forti  de  l'enfance ,  plein  de  douceur 
&  d'humanité ,  qui  éxemt  de  toute  haine  n'avoit  jamais  offen- 
fé  le  moindre  de  fes  fujets,  eût  befoin  de  tant  de  troupes  pour 
défendre  fa  vie.  On  ordonna  que  chacun  feroit  fa  profeflion 
de  foi ,  fuivant  une  Formule  dreffée  dix-huit  ans  auparavant 
par  la  Sorbonne,  ôc  enregistrée  au  Parlement;  Ôc  que  quicon- 
que defobéïroit ,  perdroit  la  vie  Ôc  fes  biens.  Ceux  qui  pafToient 
alors  pour  avoir  le  plus  de  crédit  dans  le  confeil  du  Roi,  étoient 
les  maréchaux  de  S.  André  ôc  de  BrhTac ,  ôc  fur-tout  le  cardi- 
nal de  Tournon,  qui  étoit  revenu  de  Rome  depuis  peu,  ôc 
que  les  Guifes  avoient  comblé  des  plus  grands  honneurs, pour 
lui  faire  oublier  d'anciennes  injures.  On  difoit  que  le  cardinal 
de  Lorraine  avoit  écrit  le  difcours,  qu'il  devoit  prononcer  aux 
Etats ,  fous  la  galerie  même  ,  qu'on  avoit  conftruite  à  la  hâte 
pour  cette  alTemblée. 

Cependant  on  envoya  des  Officiers  avec  main  forte  dans 
toutes  les  provinces ,  ôc  fur  tout  en  Guyenne ,  où  le  roi  de 
Navarre  pofledoitde  grands  domaines  du  côté  de  Jeanne  d'Ai- 
bret  fon  époufe ,  pour  arrêter  les  perfonnes  fufpe£tes,  Ôc  rafer 
les  châteaux  ôc  les  maifons  de  ceux  qui  feraient  réfiftance.  Le 
Roi  écrivit  auffi  au  Parlement  de  Paris ,  pour  lui  ordonner  de 
veiller  à  la  fureté  de  la  ville  ,  ôc  d'empêcher  les  affemblées 
qu'on  feroit  dans  la  nuit ,  ôc  tout  ce  qui  annonçoit  de  pernicieux 
deffeins.  François  de  Montmorenei ,  gouverneur  de  Paris  ôc 


DE  J,  A,  DE   THOU,  Liv.  XXVÎ.      $6$ 

tle  l'Ifle  de  France,  eut  ordre  en  même  tems  d'afïiirer  dans  la 
ville  la  tranquillité  publique.  Aufll-tôt  il  envoya  des  émiflaires  François 
dans  tous  les  quartiers ,  pour  l'informer  des  mouvemens  qu'ils  J\[ 
y  pourroient  reconnoître.  On  découvrit  feulement  un  petit  l  ,  <$Qt 
nombre  de  perfonnes  aflemblées  fans  armes  :  ce  qui  fit  juger , 
qu'on  vouloit  infpirer  une  vaine  terreur.  Alors  on  ne  douta 
plus  que  l'injurrice  &  la  violence  ne  Giflent  fur  le  point  d'écla- 
ter en  tous  lieux ,  &  que  les  Guifes  ne  vouluffent  extorquer  par 
force  des  Etats ,  ce  qu'ils  ne  pouvoient  efperer  d'obtenir  fui- 
vant  les  loix  du  Royaume.  D'Andelot  colonel  général  de  l'in- 
fanterie >  dont  la  Religion  étoit  fufpe&e ,  s'étant  plaint  que  les 
troupes  mutinées  par  des  intrigues  fecrettes  contre  leur  chef 3 
ne  lui  obéïiToient  plus ,  quitta  les  fondions  de  fa  charge  ,  ôc 
fortit  de  la  Cour.  Les  Guifes  avoient  refolu  de  le  faire  mettre 
en  prifon  :  mais  faifant  reflexion  que  cela  pourroit  renverfer 
le  projet,  qu'ils  avoient  formé  contre  le  prince  de  Condé,qui 
n'étoit  pas  encore  arrivé  à  la  Cour ,  ils  le  laiflerent  partir.  \\ 
s'embarqua  fur  la  Loire ,  6c  fe  rendit  à  Ancenis  en  Bretagne , 
où  il  pofîedoit  de  grandes  terres ,  que  fa  femme  lui  avoit  ap- 
portées en  mariage.  Le  bruit  s'étoit  répandu  par  tout ,  que  l'on 
devoit  faire  le  procès  à  une  infinité  de  perfonnes  pour  aes  cri- 
mes véritables  ou  fuppofez ,  en  un  tems ,  où  tout  ce  qu'on  difoir, 
ôc  tout  ce  qu'on  faifoit  contre  les  Guifes  ,  étoit  regardé  com- 
me un  crime  de  leze-majefté.  Le  roi  de  Navarre  s'étoit  mis  en 
chemin  avec  le  prince  de  Condé ,  après  avoir  renvoyé  Théodo- 
re de  Beze  >  qu'il  avoit  fait  venir  à  Nerac ,  ôc  qui  follicitoit  forte- 
ment l'exécution  de  ce  qui  avoit  été  réglé  à  Fontainebleau,  en 
faveur  des  Proteftans.  Il  partit  donc  pendant  la  nuit,  ôc  ce  ne  fut 
pas  fans  danger  qu'il  fe  rendit  chez  lui.  Lorfque  le  roi  de  Navar- 
re étoit  à  Vermeil  en  Angoumois,  féjour  ordinare  des  feigneurs 
de  la  Rochefoucault }  George  cardinal  d'Armagnac  '  vint  l'y 
trouver,  en  apparence  pour  lui  rendre  fes  devoirs.  Ce  Prélat  am- 
tieux  ôc  vain ,  qui  avoit  pris  le  nom  d'une  illuftre  maifon  alors 
éteinte  ,fe  piquoit  d'être  allié  au  roi  de  Navarre,  ôc  d'être  attaché 
à  fes  intérêts.  La  plupart  crurent  que  les  Guifes  l'avoient  en- 
voyé ,  pour  déterminer  ce  prince  irréfolu  à  venir  à  la  Cour ,  crai- 
gnant que  fes  amis  ne  l'engageaflent  à  retourner  fur  fes  pas. 

i  Ce  Cardinal  étoit  fils  de  Pierre  ,       l'Ifle  en  Jourdain,  &  d'Yoland  de  la 
bâtard  de  Charle  d'Armagnac  comte  de    I  Haye, 

Bbbbiij 


ftt  HISTOIRE 

En  effet ,  il  perfuada  au  roi  de  Navarre  de  hâter  fa  marche, 
François  ^e  pL'en^re  une  entière  confiance  dans  les  princes  Lorrains  , 
y  j         6c  de  congédier  cette  foule  de  Gentilshommes ,  qui  l'accom- 
<  6  q      pagn°ient  »  aptes  les  avoir  remerciez  de  leur  bienveillance. 
Ainfi  ce  Prince  arriva  à  Orléans  fans  fuite,  ôc  comme  défar- 
mé.    S'étant  plaint  peu  après,  qu'on  ne  lui  tenoit  pas  ce  que 
d'Armagnac  lui  avoit  promis  de  la  part  de  la  Cour  ,  ce  Cardi- 
nal voulant  éviter  les  reproches  qu'on  lui  faifoitàce  fujet,  quitta 
la  Cour,  pour  marquer  fon  mécontentement  ,  ou  pour  fein- 
dre d'être  offenfé.  11  fe  plaignit  hautement  qu'on  fe  fût  fervi 
de  lui ,  pour  tromper  le  premier  Prince  du  fang.  Mais  cet  hom- 
me léger ,  ôc  pafîionné  pour  la  faveur  de  la  Cour ,  fe  laiffa  ap- 
paifer  par  une  dignité  qu'on  lui  offrit  ;  ce  qui  fit  croire  que  fes 
chagrins  étoient  une  pure  comédie  ,  lorfqu'on  le  vit  revenir 
pour  occuper  une  place  de  confeiller  d'Etat,  qu'on  venoit  de 
îui  donner.  Au  refte  ces  charges  étoient  au  commencement 
fort  honnorables  ,  peu  de  perfonnes  en  étant  revêtues  ;  mais  dans 
la  fuite  le  grand  nombre ,  ôc  le  peu  de  difcernement  dans  le 
choix,  les  a  avilies.  Lorfqueles  Princes  Lorrains  avoient  appris 
que  le  roi  de  Navarre  venoit  à  la  Cour,  ils  avoient  fait  partir 
Melchior  des-Prez  de  Montpezat ,  gouverneur  de  Poitou ,  ôc 
lieutenant  des  gendarmes  du  duc  de  Guife ,  pour  lui  fermer  les 
portes  de  Poitiers.  Ce  Prince  reffentit  cette  injure  ,  Comme  il 
le  devoit,  ôc  lui  ayant  été  dit,  qu'on  en  ufoitde  la  forte  par  le 
commandement  du  Roi  ôc  de  la  Reine-mere ,  il  alla  à  Lufi- 
gnan,  pour  y  attendre  de  nouveaux  ordres.  Ses  amis  lui  con- 
feilloient  de  mettre  cet  événement  à  profit ,  ôc  que  puifque  fes 
ennemis  travaiîloient  eux-mêmes  à  le  détromper ,  il  devoit  re- 
tourner fur  fes  pas ,  ôc  ne  pas  craindre  que  ce  changement  lui 
attirât  des  reproches  ;  que  tout  le  monde  feroit  en  droit  de  pen- 
fer ,  qu'il  fe  précautionnoit ,  non  contre  le  Roi ,  mais  contre 
les  Guifes  ,  fes  plus  cruels  ennemis,  qui  couvrant  leurs  intérêts 
de  ceux  du  Roi,  venoient  d'envoyer  à  Poitiers  ces  ordres  in- 
jurieux à  fa  dignité.  «  Nous  fommes  environnez  de  compa- 
•»  gnies  de  cavalerie  de  toutes  parts  ,  ajoûtoient-ils.    Atten- 
»  drons-nous  qu'on  nous  arrête  fur  le  plus  léger  foupçon  ?  Si 
»  les  Guifes  nous  veulent  attaquer ,  ne  nous  deffendrons-nous 
«  pas  mieux  dans  des  provinces  éloignées  du  centre  du  Royau- 
»  me  ?  L'innocence  a  bien  de  la  peine  à  fe  garantir  contre  de 


DE  J.  A.  DE  ÏHÔU,  Liv.  XXVL      ;£7 

*  puilTans  ennemis  ;  ôc  quand  nous  ferons  prifonniers ,  la  Reine-  ■^■n»— 
»  mère  elle-même,  ôc  les  autres  qui  connoiflent  la  droiture  de  Franc0iî 
»  nos  intentions  ,  ne  nous  mettront  pas  à  couvert  de  Poppref-         \\[ 
»  fion  des  princes  Lorrains.  »  i  <  6  o, 

Le  roi  de  Navarre  ,  peu  touché  de  ces  raifons  ,  perfiftoit  à 
vouloir  pourfuivre  fon  voyage.  Il  difoit  qu'il  n'avoit  rien  en- 
trepris  contre  le  fervice  du  Roi,  que  fes  démêlez  avec  les  Guifes 
l'expoferoient  peut-être  à  des  difgraces ,  mais  non  à  des  châti- 
mens,  ôc  que  le  pis  qui  lui  pourroit  arriver ,  feroit  d'être  éloigné 
de  la  Cour ,  ôc  renvoyé  dans  fes  terres  :  que  fes  ennemis  ne  de- 
mandoient  pas  autre  chofe ,  ôc  qu'ils  acheteroient  volontiers  à 
ce  prix  le  plaifir  de  jouir  feuls  d'une  autorité  abfoluë  :  qu'au  con- 
traire s'il  retournoit  fur  fes  pas ,  il  donneroit  par-là  le  fignal  d'u- 
ne guerre  civile,  qu'il  n'étoit  pas  en  état  de  foûtenir  s  n'ayant 
pris  aucunes  mefures ,  fe  voyant  fans  armes ,  fans  cavalerie ,  fans 
infanterie  ,  Ôc  l'entrée  des  villes  ôc  des  bourgs  lui  étant  fermée  : 
qu'enfin  il  aimoit  mieux  fe  confier  en  fon  innocence ,  ôc  en  la 
parole  du  Roi  ,  que  d'être  rebelle  par  une  vaine  terreur. 

Le  prince  de  Condéquinefçavoitce  que  c'étoit  que  de  crain- 
dre ,  le  rendit  à  cet  avis.  Les  Princes  étant  retournés  à  Poi- 
tiers ,  y  furent  reçus  avec  des  grands  honneurs  par  Paul  de 
Thermes ,  fuivant  de  nouveaux  ordres  de  la  Reine-mere  ,  qui 
leur  fit  dire  ,  que  Montpezat  avoit  agi  contre  fes  intentions. 
De-là,  ils  continuèrent  un  voyage  malheureux ,  de  Thermes  les 
fuivit  avec  fes  troupes  jufqu'à  Loches,  ôc  obferva  de  loin  leur 
marche,  afin  qu'ils  ne  cruffent  pas  qu'on  en  vouloit  à  leur  li- 
berté. Enfin  le  30  d'O&obre  ils  arrivèrent  à  Orléans.  Le  car- 
dinal de  Bourbon  étoit  venu  au-devant  d'eux  jufqu'à  Blois.  Du 
refte ,  il  n'y  eut  que  le  duc  de  Montpenfier ,  ôc  le  prince  de  la, 
Roche-fur-Yon ,  qui  oferent  aller  à  leur  rencontre ,  mais  avec 
peudeperfonnes.  On  ne  leur  rendit  point  à  Orléans  les  hon- 
neurs ordinaires  en  ces  occafions.  Ils  ne  reçurent  aucun  compli- 
ment des  courtifans ,  ni  fur  leur  longue  abfence ,  ni  fur  un  voya- 
ge fâcheux  ôc  pénible.  Le  roi  de  Navarre  ayant  voulu,  fuivant 
une  prérogative  due  à  fa  naiflance,  entrer  à  cheval  dans  la  mai- 
fon  du  Roi ,  qui  étoit  logé  chez  Grolot  lieutenant  général ,  on  lui 
répondit  avec  mépris,  qu'on  nepouvoit  ouvrir  la  grande  porte: 
ainfi  il  fut  obligé ,  aufïi  bien  que  le  Prince  fon  frère ,  de  met-* 
tre  pie  à  terre ,  ôc  d'entrer  par  une  petite.  Ayant  été  admis  à 


S6Ï  HISTOIRE 

faluer  le  Roi ,  ce  Prince  les  reçut  avec  froideur ,  en  préfence  de£ 
P  ~~  Guifes  ,  qui  contre  la  coutume ,  ne  firent  pas  un  feuîpas  pour  les 

jt         aller  embraffer.  Après  qu'ils  eurent  rendu  leurs  refpeets  au  Roi, 
il  les  mena  dans  le  cabinet  de  la  Reine  fa  mère  ,  fans  être  fuivi 
*  '  des  Guifes.  Cette  PrincefTe  les  reçut  en  apparence  avec  bonté , 

ôc  même  verfa  quelques  larmes  feintes  ou  véritables.  Le  Roi 
parla  en  peu  de  mots  au  prince  de  Condé ,  des  crimes  qu'on  lui 
imputoit  ;  ajoutant  qu'il  l'avoit  mandé  ,  afin  qu'il  eût  à  s'en  juf- 
tifier.  Le  Prince  répondit  avec  affurance  ,  que  ces  prétendus 
crimes  étoient  malicieufement  fuppofez  par  les  princes  de  Gui- 
fe  fes  ennemis ,  ôc  qu'il  s'appuyoit  tellement  fur  fon  innocen- 
ce ,  qu'il  n'a  voit  pas  héfité  un  moment  à  fe  rendre  à  la  Cour ,  fur 
les  ordres  de  fon  Souverain.  Enfin  il  fut  arrêté  par  Philippe  de 
JVlaillé-Brezé ,  ôc  par  le  Roi  de  Chavigni ,  capitaines  des  gardes , 
ôc  conduit  dans  une  maifon  voifine ,  ou  Ton  avoit  bâti  une 
tour  de  brique,  qui  commandoit  fur  trois  places,  ôc  au-deflus 
de  laquelle  on  avoit  placé  quelques  pièces  de  campagne.  AufÏÏ- 
tôt  on  mit  des  grilles  de  fer  aux  fenêtres,  ôcl'on  mura  la  por- 
te >  pour  ne  laiiTer  qu'une  ouverture  fort  étroite. 

Le  roi  de  Navarre  ayant  demandé  que  le  Prince  fon  frè- 
re.» dont  il  orTroit  d'être  la  caution,  fut  laiffé  à  fa  garde,  on 
le  réfufa.    Lorfque  l'on  conduifoit  Condé  en  prifon,  il  fe  plai- 
gnit hautement,  que  l'on  violoit  la  parole  facrée  du  Roi,  Ôc  la 
foi  qui  lui  avoit  été  donnée  par  le  Cardinal  fon  frère ,  dont  la 
crédulité  le  livroit ,  lui  ôc  fa  maifon ,  à  fes  plus  grands  ennemis. 
L'ordre  d'arrêter  le  Prince  futfignépar  le  R  oi  ôc  par  les  feigneurs 
de  la  Cour.  BrifTac,  à  ce  qu'on  difoit,  fut  un  des  plus  empreffez 
à  foufcrire,  difant  qu'en  ces  occafions  on  ne  devoit  avoir  au- 
cun égard  au  rang  ôc  à  la  dignité  des  perfonnes.    Le  Chan- 
»  Michel  de  celier  *  figna  aufli ,  mais  à  regret ,  ôc  ne  pouvant  faire  autrement. 
l'Hôpital.        Les  Guifes ,  pour  faire  croire  qu'ils  n'avoient  aucune  part  à 
cet  ordre  ,  ne  lignèrent  point.  Le  roi  de  Navarre,  libre  en  appa- 
rence ,  fut  prifonnier  en  effet.  On  lui  ôta  fes  officiers  5  on  le 
fit  toujours  accompagner  par  des  gens  dévouez  aux  Guifes,  ôc 
par  des  courtifans ,  qui  obfervoient  fes  difcours ,  fes  démarches.» 
ôc  jufqu'à  fes  geftes.  Auîli-tôt  Gui  Chabot  de  Jarnac  conduifit 
de  S.  Jean  d'Angeli  à  la  Cour  Amauri  Bouchard ,  avec  tous  fes 
papiers  qu'on  avoit  faifis.  Comme  on  apprehendoit  que  cet 
liomme,  qu'on  çroycit  devoir fervir  à  la  convicliondu  Prince, 

ne 


D  E  J.  A.  D  E  THOU,Liv.  XXVI.      f6ç 

lie  fut  empoifonne  fur  la  route  ,  on  faifoit  l'efTai  de  ce  qu'il  . 

bùvoit  ou  mangeoit.  Tanegui  le  Veneur  de  Carrouges  ;  ôc  rn   VT  ^T„ 

■D'1111-njr  &      rr  a   &        i  TRANCOIS 

.bailleul  de  Kenouard  lurent  aulh  envoyez ,  pour  arrêter ,  dans 
fa  maifon  d'Anify  près  de  Laon,  Madeleine  de  Mailli  de  Roye,  1 

belie-mere  du  prince  de  Condé ,  Dame  d'un  génie  élevé  3  ôc  * 
d'un  grand  courage.  Son  zèle  pour  les  intérêts  de  fon  gendre 
l'avoit  rendu  odieufe  aux  Guifes,  contre  qui  elle  fe  déchaî- 
noit  fans  ceffe ,  en  préfence  de  la  Reine-mere  ,  avec  trop  de 
liberté.  On  faifit  tous  fes  papiers ,  ôc  on  l'enferma  dans  le  châ- 
teau de  S.  Germain  ,  comme  coupable  du  crime  de  leze-ma- 
jefté.  On  emprifonna  aulli  Grolot  lieutenant  général  d'Orléans , 
accufé  d'avoir  traité  les  Seclaires  avec  trop  d'indulgence  , 
quoi  qu'il  eût  déjà  été  abfous  au  Parlement  fur  une  pareille 
accufation. 

En  ce  tems-là  ,  *  Renée  duchefle  de  Ferrare  ,  dont  le  duc  *.fîHe  de 
de  Guife  avoit  époufé  la  fille  ,  arriva  à  la  Cour.  Etant  venue 
en  France  au  fujet  des  affaires  de  la  Religion }  elle  fe  rendit  à 
Orléans  pour  y  faluer  le  Roi.  Cette  Princefle  déplorant  le 
malheureux  état  du  Royaume  ,  fit  des  reproches  très-vifs  au 
duc  de  Guife  fon  gendre  >  ôc  lui  dit,  que  fi  elle  fût  venue  avant 
l'emprifonnement  du  prince  de  Condé ,  elle  s'y  feroit  oppofée 
de  tout  fon  pouvoir  5  l'avertiffant  qu'il  devoit  ménager  à  l'ave- 
nir les  Princes  du  fang  royal  ;  qu'il  venoit  d'ouvrir  un  playe 
qui  feigneroit  îong-tems ,  ôc  que  ceux  qui  avoient  ofé  attaquer 
des  perfonnes  d'un  rang  fi  élevé,  s'en  étoient  toujours  repen- 
tis. Cependant  on  manda  à  la  Cour  le  préfident  Chriftophle  de 
Thou  ,  qui  avoit  été  un  des  Commiflaires  du  vidame  de  Char- 
tres. Les  confeillers  Barthelemi  Faye  ôc  Jacque  Viole  eurent 
ordre  de  l'accompagner  :  on  manda  auffi  le  chancelier  de  l'Hô? 
pital.  Tous  enfemble  fe  rendirent  le  13  de  Novembre  au  lieu  où 
Condé  étoit  détenu  prifonnier ,  pour  l'interroger.  Ce  Prince 
foûtint  qu'il  ne  devoit  pas  être  jugé  par  des  Commiflajres , 
mais  par  le  Roi ,  par  les  Pairs  >  ôc  par  toutes  les  Chambres  du 
Parlement  affemblées.  11  appella  des  procédures  qu'on  faifoit 
contre  lui  au  Roi ,  ôc  enfuite  au  Confeil  privé  ,  qui  déclara  fes 
appels  nuls  ôc  frivoles.  Ayant  interjette  plufieurs  appellations 
femblables ,  il  en  fut  toujours  débouté.  11  fut  enfuite  ordonné, 
fur  le  réquifitoire  de  Bourdin  *>  que  fi  le  Prince  perfiftoit  à  ne  *  Procureur 
vouloir  pas  répondre  devant  les  Commiffaires  du  Roi ,  il  feroit  genera  ' 
Tom.  III.  Cçcç 


no  HISTOIRE 

déclaré  atteint  ôc  convaincu  du  crime  de  leze-majefté  ,  êc  que 

TTn  .  x,         cependant  on  procederoit  au  recolement  ôc  à  la  confrontation 

■FRANÇOIS    ir/-         t  •        rrj/^j'  >  r  •      ;* 

ttj        des  témoins.  JLa  pnncelle  de  Conde  voyant  qu  on  pourluivoit 

1  le  procès  du  Prince  fon  mari  avec  une  extrême  chaleur  ,'ôc 
que  par  la  violence  de  fes  ennemis ,  on  lui  ôtoit  tous  les  moyens 
garddu  Prîn"  ^e  ^e  Pr°l°nger  >  préfenta  une  requête  au  Roi,  pour  lui  deman- 
de de  Condé.  der  de  fages  6c  d'habiles  Jurifconfultes  ,  qui  fervîffent  au  prin- 
ce de  confeil  ;  ce  qui  lui  fut  accordé.  Pierre  Robert  ôc  Fran- 
çois de  Marillac  ,  célèbres  avocats  du  Parlement  de  Paris,  fu- 
rent nommez  parle  Roi.  Le  Prince,  qui  cherchoitfon  falut 
dans  les  délais  ,  demanda  encore  qu'il  lui  fût  permis  ,  avant  de 
répondre,  d'avoir  une  conférence  avec  la  PriacefFe  fon  épou- 
fe ,  le  roi  de  Navarre  ,  Ôc  le  cardinal  de  Bourbon  ,  en  préfence 
de  telles  perfonnes  que  le  Roi  jugeroit  à  propos.  On  lui  refu- 
fa  durement  cette  grâce  :  il  eut  feulement  la  liberté  de  leur 
écrire.  Enfuite  on  lui  ôta  jufqu'à  fes  domeftiques  ,  ôc  on  ne 
permit  à  qui  que  ce  fût  de  le  voir.  Ces  indignes  traitemens 
animèrent  tous  les  efprits  contre  ceux  qui  en  étoient  les  au- 
teurs. La  plupart  plaignoientun  Prince,  qui  étant  d'une  fi  hau- 
te naiffance  ,  ne  pouvoit  jouir  du  privilège  accordé  au  moin- 
dre des  Confeillers ,  qui  dans  les  affaires  capitales  a  droit  d'être 
jugé  par  toutes  les  Chambres  du  Parlement. 

La  pitié  qu'on  avoir  pour  ce  Prince  malheureux  ,  étoit  fui- 
vie  d'une  haine  mortelle  contre  fes  ennemis.  Quoique  ceux- 
ci  ne  puflent  ignorer,  à  quel  point  ils  étoient  odieux,  cepen- 
dant aveuglez  par  leur  paillon ,  qui  leur  faifoit  méprifer  le  ju- 
gement du  public!  ils  ne  gardèrent  plus  de  mefures  i  ôc  comp- 
tant fur  la  perte  certaine  du  Prince  de  Condé, chargé  parles 
informations  du  procès  ,  ils  ne  penferent  plus  qu'à  faire  périr 
aufli  le  Roi  de  Navarre.  Ils  étoient  alors  agitez  des  plus  gran- 
des inquiétudes,  ôc  combattus  en  même  tems  par  Pefperance^ 
ôc  par  la  crainte.  L'amour  de  la  Nobleffe  Françoife  pour  fes 
Princes  fe  préfentoit  fans  ceffe  à  eux.  Ils  penfoient  d'un  au- 
tre côté ,  que  leur  puiflance  étoit  peu  folide ,  ôc  que  n'ayant 
pas  en  elle-même  de  quoi  fe  foûtenir,  elle  pourroit  être  reri~ 
verfée  en  un  moment  5  que  la  mort  du  Prince  de  Condé  leur 
feroit  peu  avantageufe  ,  s'ils  épargnaient  un  frère,  qui  ne  man- 
queroit  pas  de  venger,  à  la  tête  de  tant  d'amis  puilîans,  ôc  de 
tant  de  créatures   qui  lui  étoient  dévouées ,  le  fupplice  de  fon 


Exécrable 
projet  des 
Lorrains. 


DE  J.  A.  DETHOU,Liv.  XXVI.      S7i 

frère,  par  le  meurtre  de  fes  ennemis.  Ilsfe  déterminèrent  donc  à 
le  faire  périr  ,  ôc  formèrent  contre  fa  vie  un  complot ,  dont  on  dit  jrRANCOis 
que  le  cardinal  de  Lorraine ,  ôc  S.  André  furent  les  auteurs.  Us  tj  ' 
étoient  convenus  que  le  Roi  manderoit  le  roi  de  Navarre  dans  x  e  6  o. 
fon  cabinet,  qu'il  l'accableroit  de  reproches  fur  fes  defleins  cri- 
minels, comme  venant  d'en  découvrir  de  nouvelles  circonstan- 
ces ,  ôc  fa  complicité  avec  le  prince  de  Condé  •>  qu'il  lui  feroit  de 
grandes  menaces,  ôc  que  ce  Prince  venant  à  nier  ce  qu'on  lui  ob- 
jecleroit,  ou  àrépondre  avec  fierté,  feroit  alTafliné  fur  le  champ 
par  des  hommes  apportez  à  cet  effet.  Le  Roi  de  Navarre  ,  qui 
étoit  fort  aimé  ,  apprit  le  détail  de  ce  déteftable  deifein ,  par  les 
amis  mêmes  des  Guifes.  Il  fut  agité  d'abord  degrandes  inquié- 
tudes. Enfin  reconnoiffant ,  qu'il  ne  pouvoit  rien  contre  la  puif- 
fance  du  Roi ,  que  fes  ennemis  avoient  irrité  contre  lui ,  ôc  que 
fon  fort  étoit  entre  les  mains  de  celui  à  qui  il  s'étoit  téméraire- 
ment confié ,  il  réfolut  de  fe  préparer  à  tout ,  de  bannir  la  crain- 
te,  ôc  de  faire  ufage  de  fon  courage  Ôc  de  fon  épée ,  pour  difpu- 
ter  fa  vie  à  ceux  qui  voudraient  la  lui  arracher.  Ce  fut  dans  ces 
momens  ,  qu'il  fit  venir  un  de  fes  anciens  ferviteurs,  ôc  qu'il  le 
pria,fi  le  malheur  lui  arrivoit,  de  garder  foigneufement  fes  habits 
teints  de  fon  fang ,  de  les  donner  au  Prince  fon  fils ,  pour  le 
faire  fouvenir  fans  ceffe  de  fa  funefle  mort,  ôc  l'animer  un  jour 
à  une  jufte  vengence.  Après  cela,  il  entra  dans  le  cabinet  du 
Roi,  dont  il  baifa  la  main  avec  une  foumiffion  refpeclueufe. 
Le  Roi ,  adouci  par  la  préfence  du  Prince ,  changea  tout  à  coup 
de  deffein  ,  ôc  évita  de  fouiller  la  majefté  du  thrône  par  des  or- 
dres meurtriers  ,  foit  qu'il  manquât  de  courage ,  ou  que  fa  vo- 
lonté ne  fut  plus  la  même  j  ce  qui  eft  le  plus  vrai-femblable. 
Je  n'ofe  aflurer,  fi  ce  que  je  viens  de  rapporter  eft  faux ,  ou 
véritable.  Au  refte  ceux  qui  font  écrit  ajoutent,  que  le  duc 
de  Guife  voyant  le  Roi  fortir  de  fon  cabinet  ,  ne  put  s'empê- 
cher de  s'écrier  d'un  ton  plein  d'indignation  ôc  de  colère  : 
0  l'homme  timide  &  lâche  ! 

Cependant  la  Reine  mère  n'avoit  pas  de  moindres  inquié-     Inquiétude; 
tudes.     Craignant  le  pouvoir   des  Lorrains   ,  que  foûtenoit  de  ia  Reine 
l'affection  du  peuple  ,  elle  n'oublioit  rien ,  pour  entretenir 
avec  eux  une  liaifon  apparente ,  tandis  que  par  des  délais  ha- 
bilement pratiquez  elle  arrêtoit  leur  violence.  D'un  autre  cô- 
té, la  ducheffe  de  Montpenfier  fa  favorite  rendoit  aux  Princes 

C  c  c  i  j 


$11  HISTOIRE 

mmmmm        toutes  fortes  de  bons  offices  ,  quand  elle  voioit  que  ï'occa- 
ZT  "  fion  étoit  favorable.  Se  fouvenant  à  propos  des  confeils  de 

François  jy[arillac ,  elle  faifoit  naître  tantôt  la  crainte  ôc  tantôt  l'efpé- 
'        rance  dans  le  cœur  de  cette  Reine  également  ambitieufe  ôc 
1  S  °  °*    défiante.  Elle  l'avertiiToit  fouvent  de  redouter  la  puiiïance  des 
Guifes ,  ôc  de  ne  pas  attendre ,  que  la  mort  du  Roi  de  Na- 
varre  ôc  du  Prince  de  Condé  y  miffent  le  comble  ;  ajoutant, 
que  l'autorité  d'une  mère  feroit  peu  écoutée ,  lorfque  les  Gui- 
fes auroient  un  pouvoir  abfolu  furl'efpritdu  Roi  fon  fils.  Elle 
lui  confeilloit  d'oppofer  à  leurs  factions  la  nobleffe  de  France, 
fi  jaloufe  de  la  liberté  publique  ,  de  s'unir  au  Connétable  ,  ôc 
aux  autres  Seigneurs ,  dont  tant  d'injures  reçues  lui  aflureroient 
la  fidélité  ,  ôc  qui  ne  manqueroient  pas  de  prendre  \es  armes, 
files  Lorrains  ofoient  trop  entreprendre.  Enfin,  fi  ces  bar- 
rières n'étoient  pas  encore  allez  fortes,  pour  arrêter  ces  hom- 
mes ambitieux ,  elle  l'exhortoit  à  ne  pas  balancer  à  appeller  les 
Princes  d'Allemagne ,  qui  foûtiendroient  la  France  fur  le  pen- 
chant de  fa  ruine.  Catherine  animée  par  ces  difcours ,  commen- 
ça à  avoir  plufieurs  fecretes  conférences  avec  fes  coniidens ,  ôc 
à  conjurer  le  chancelier  de  FHofpital ,  par  les  confeils  duquel 
elle  efpéroit  de  pouvoir  dominer,  d'arrêter  le  progrès  de  l'au- 
torité des  Guifes,  de  conferver  celle  du  Roi  fon  fils,  ôc  la 
dignité  de  la  Reine  fa  mère.  Elle  étoit  environnée  d'ailleurs 
d'ennemis  des  Guifes ,  gens  adroits ,  qui  lui  faifoient  fans  cefle 
des  rapports  ,  qui  lui  étoient  d'autant  plus  agréables ,  qu'elle 
n'étoit  pas  moins  allarmée  qu'eux  du  pouvoir  des  Lorrains.  Ils 
lui  vantoient  l'affection  des  Proteftans  à  fon  égard ,  perfuadez 
qu'elle  les  favorifoit  aufîi-bien  que  le  Chancelier. 
Confiance        On  travailloit  fans  relâche  au  procès  du  prince  de  Condé.  On 
du  prince  de  avoit  fait  venir  des  témoins  de  toutes  les  Provinces ,  ôc  on  avoit 
recueilli  à  Lyon  des  preuves  contre  lui  :  les  Guifes  croyoient 
que  tout   retardement  portoit    préjudice.  Le  Prince  fit  ve- 
nir les  Avocats,  qui  lui  avoient  été  donnez  pour  confeil,  ôc 
déclara  en  leur  préfence,  que  Dieu  lui  avoit  envoyé  cette  cala- 
mité, non  pour  avoir  rien  entrepris  contre  la  majefté  de  fon 
Pvoi ,  mais  pour  éprouver  fa  confiance  ;  qu'au  refte  joùifTant 
d'une  grande  tranquillité  d'efprit,  ôc  du  calme  d'une  bonne 
confcience,  il  ne  fe  croyoit  pas  captif  ;  que  ceux-là  l'étoient 
bien  davantage,  qui  quoiqu'ils  euflent  la  liberté  du  corps > 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L  i  v.  XXVI.        573 

étoient  fans  ceiTe  troublez  par  les  remords  d'une  confcience  » 

fouillée  de  crimes.  Enfuite  il  donna  à  fes  Avocats  des  mémoi-  François 
res  6c  des  inftructions  pour  fa  défenfe.  Il  leur  confia  aufïi  une        jj  ' 
lettre  pour  la  PrinceiTe  de  Condé.  Il  l'exhortoit  à  ne  fe  point     x  ^  5  0. 
laiiTer  abattre  par  leurs  communs  malheurs ,  ôc  à  bien  efpérer  j 
foit  qu'il  prévît  l'avenir,  foit  que  naturellement  il  fut  rempli  de 
confiance.  Il  lui  difoit  encore  que ,  quoique  tous  l'abandonnaf- 
fent,Dieu  protégeroit  fon  innocence. 

Ce  fut  alors  que  le  Roi  fe  fentit  frappé  de  nouveau  des  Maladie  d« 
douleurs  de  fon  ancien  mal ,  lorfqu'il  étoit  fur  le  point  d'aller  à  Ro'* 
îachaiTe,  pour  n'être  point  à  Orléans  ,  à  ce  qu'on  difoit,  dans 
le  tems  du  fupplice  de  Grolot.  Sur  cette  nouvelle ,  le  Conné- 
table ,  que  le  Roi  avoit  mandé  &  qui  venoit  lentement ,  hâta 
fa  marche.  Car,  quoique  Saint  André l'affurât du  contraire ,  il 
étoit  perfuadé  qu'on  vouloit  aufli  le  perdre,  6c  détruire  la  No- 
bleiTe  de  France ,  après  avoir  exterminé  les  Bourbons.  Ayant 
donc  appris,  que  l'abcès ,  qu'avoit  le  Roi ,  couîoit  par  l'oreille,  à 
laquelle  il  communiquoit  fa  corruption,  6c  que  la  vie  de  ce  Prin- 
ce étoit  en  grand  danger,  il  marcha  vers  Orléans  à  petites  jour- 
nées. Le  Roi  de  Navarre  n'étoitpas  fans  de  grandes  inquiétu- 
des, durant  la  maladie  du  Roi.  Il  affectoit  d'être  feul,  &  d'é- 
viter de  parler  aux  Courtifans.  Il  ne  s'entretenoit  qu'avec  le 
cardinal  de  Châtiilon  6c  l'Amiral  fon  frère ,  oui  ne  l'abandon- 

.4 

nerent  pas  un  moment;  en  public  &  en  particulier,  durant  fa 
difgrace.  Les  gardes ,  qu'on  lui  avoit  donnez }  rapportoient 
toutes  fes  actions  6c  tous  fes  difcours  ,  les  empoifonnant  , 
comme  c'eft  la  coutume  ï  6c  ils  étoient  crus ,  lors  qu'ils  aîTu- 
roient  avoir  entendu  des  paroles  injurieufes,  qu'il  n'avoit  pas 
dites ,  parce  qu'elles  étoient  fondées  fur  la  vérité.  Le  jour  étoit 
venu,  où  Condé  devoit  perdre  la  vie  par  la  main  d'un  bou- 
reau  ,  le  26  de  Novembre,  lorfqu'au  milieu  de  tant  de  foins 
divers  ,1e  mal  du  Roi  augmenta  confidérabiement.  Cependant 
les  couriers ,  que  dépêchoit  la  Cour  ,  annonçaient  par  tout  que 
fa  fanté  étoit  meilleure  ,  6c  que  fon  mal  n'étoit  qu'un  léger  ca- 
tharre  ,  qu  il  avoit  toujours  eu  depuis  fon  enfance. 

Les  Guifes  voyant  qu'il  s'affoibliiToit  de  jour  en  jour.,  que      Embarras 
la  gangrené  commençoit  à  gagner  fon  oreille,  6c  que  les  Me-  ^es  lorrains, 
decins  aifuroient  qu'il  n'avoit  que  peu  de  jours  à  vivre,  tombè- 
rent dans  une  extrême  confternation.  Ils  eurent  recours  alors 

-  c  c  nj 


I74  HISTOIRE 

.  à  de  nouveaux  artifices.  Ils  firent  à  la  Reine  mère  les  plus  hum- 
Francois  blés  foumifllons  j  kii  repréfentant ,  qu'elle  6c  eux  étoient  me- 
II'        nacez  du  plus  grand  péril  5  que  le  Roi  de  Navarre  ôc  le  prin- 
1  <  6  o.     ce  de  Condé,  plus  aigris  encore  par  les  injures  récentes,  con- 
jureraient  fa  pertes  qu'il  falloit  profiter  des  momensde  la  vie 
du  Roi ,  pour  arrêter  le  Roi  de  Navarre  >  durant  qu'on  avoit 
la  force  en  main  ,  6c  le  faire  périr  avec  le  Prince  fon  frère. 
Ils  s'offrirent  en  même  tems  à  cette  Princeffe  ,  avec  tout  ce  qui 
dépendoit  d'eux  ,  pour  établir  fon  autorité  fouveraine.    Tel- 
les furent  les  démarches  de  ces  hommes  ambitieux,  quis'hu- 
milioient  devant  une  Reine  ,  qu'ils  avoient  ofé  braver  peu 
auparavant.  Catherine,  allarmée  de  ces  paroles ,  eut  recours  aux 
fages  confeils  de  l'Hofpital,  Ayant  été  appelle  dans  le  cabi- 
net de  cette  Princeffe ,  il  la  trouva  fondant  en  pleurs  au  milieu 
de  fes  femmes ,  qui  gardoient  un  morne  filence,  Lorfqu'elle 
lui  eût  appris  ce  que  lui  confeilloient  les  Guifes  ,  il  fit  un  dis- 
cours fenfé  6c  plein  de  force  ,  pour  lui  infpirer  une  jufte  hor- 
reur de  ces  deffeins  extrêmes  ,  dont  l'exécution  ne  manquerait 
Difcoufs  du  pas  d'allumer  unepruerre  civile.  «  Quoi,  dit-il,  on  fera  périr,  fans 

Chancelier  a   r  &    .  .  £  >  if      - 

h  Reine.  »  1  entendre,le  premier  rnnee  du  bang ,  qui  n  a  eu  nulle  part  aux 
a'  troubles  6c  aux  factions,  qu'on  reproche  au  prince  de  Condé  ? 
*>  Quel  eft fon  crime  3  finon  d'avoir  un  frère  coupable,  ou  mal- 
o'  heureux  ?  Il  faut  fufpendre  le  jugement  rendu  contre  le  Prince 
»  de  Condé  ,  6c  ne  pas  répandre  le  fang  de  nos  Rois ,  pour  favo- 
«  rifer  la  paffion  de  ceux  que  leur  haine  rend  aveugles.  Si  on  ar- 
a>  rête  injuftementle  Roi  de  Navarre ,  il  ne  refte  plus  qu'à  rendre 
a  un  arrêt  inique  contre  lui.  Car  il  faut  tout  craindre  de  celui 
»  qu'on  a  offenfé  fans  raifon.  C'eft  une  maxime  pratiquée  par  les 
»  Princes  qu'une  fage politique  conduit, de  ne  fe  jamais  reconci- 
:»  lier  véritablement  avec  ceux  qu'ils  ont  maltraitez  fans  fujet.  Ne 
s>  vaut-il  pas  mieux  renoncer  à  toutes  inimitiez,6c  que  les  Grands 
»  difputent  feulement  entr'eux  ,  à  qui  fera  voir  le  plus  de  zèle 
=>  pour  fon  Roi,  6c  pour  la  félicité  des  peuples  ?  Aujourd'hui  les 
*»  chofes  font  venues  à  ce  point,  que  tous  les  vœux  font  tournez 
«  vers  la  mère  du  Roi,  Princeffe, dont  la  prudence  6c  la  dextérité 
«*  dans  les  affaires,  6c  l'amour  fingulier  pour  fes  enfans ,  qui  tous 
»  peuvent  être  nos  Rois,  affurentà  la  France  une  longue  tran- 
?»  quillité.  »  Le  Chancelier  conclut,  qu'il  falloit penfer  unique- 
ment au  bien  général  de  l'Etat, 6c  craindre  de  rallumer  des  factions 


DE  J.  A.   DE   THOU  ,Liv.  XXVL      j7* 

âflbupies,  par  des  remèdes  violens.  Ce  fut  par  ces  raifons  qu'il 
raffura  Catherine  ,  que  les  Guifes  avoient  allarmée.  Mais  la  FrAnCoi- 
Princeffe  de  Montpenfier  la  détermina  entièrement ,  à  prendre         jj 
un  parti  convenable  dans  la  fituation  préfente.  Elle  l'afluroit      ,  f(j0 
fou  vent,  de  la  part  du  roi  de  Navarre ,  d'un  entier  dévouement 
à  fes  intérêts.  Comme  la  Reine-mere  avoit  un  défir  extrême 
de  régner  ,  elle  n'attendit  pas  que  François  fût  expiré  ,  pour 
aflurer  fa  puiffance.  Elle  envoya  le  prince  Dauphin  d'Auver- 
gne, fils  de  la  duchelfe  de  Montpenfier,  au  roi  de  Navarre, 
pour  le  prier  de  fe  rendre  dans  fon  cabinet.  Après  une  affez 
longue  conférence  ,  la  Reine  ôc  ce  Prince  fe  jurèrent  l'un  à 
l'autre  une  foi  réciproque  ,  ôc  fe  promirent  de  s'unir  étroite- 
ment contre  les  Guifes. 

Enfin  François  II.  mourut ,  le  cinq  de  Décembre,  âgé  de  dix-  Mort  du  Hoir 
fept  ans  dix  mois  ôc  un  jour ,  après  avoir  régné  dix-fept  mois  Francis  Hs 
ôc  vingt  jours.  La  courte  durée  de  fon  règne,  Ôc  la  foibleffe 
de  fon  âge  ,  ne  permettent  pas  de  décider,  fi  on  doit  le  comp- 
ter au  nombre  des  bons  Rois  ',  d'autant  plus  qu'il  ne  gou- 
verna pas  par  lui-même  ,  mais  par  les  princes  de  Guife.  On 
dit  que  dans  les  derniers  momens  de  fa  vie ,  îorfqu'il  n'avoit 
pas  encore  perdu  la  parole ,  le  cardinal  de  Lorraine  l'exhorta 
à  demander  à  Dieu,  qu'il  voulût  ne  lui  pas  imputer  fes  fautes 
ni  celles  de  fes  Miniftres  ;  ôc  que  ceux  qui  étoient  préfens^  re- 
gardèrent cela,  comme  un  aveu  public  que  faifoit  leCardinai 
de  fa  mauvaife  adminiftration  ,  ôc  de  celle  du  Duc  fon  frère, 
Quelques-uns  ont  écrit  que  ce  Roi  étoit  mort  empoifonné  %■ 
fe  fondant  fur  des  bruits  populaires  ôc  frivoles.  On  a  toujours 
dit,  fur  tout  en  des  tems  de  confufion  ôc  de  trouble ,  que  la 
mort  des  Princes ,  ou  des  grands  hommes ,  avoit  été  avancée 
par  le  poifon.  Les  fentimens  furent  divers  là-defius ,  fuivant 
le  penchant  ou  la  haine  qu'on  avoit  pour  le  roi  de  Navar- 
re. Mais  la  foible  fanté  du  Roi  dès  fon  enfance  ,  ôc  fa  mauvaife 
conftitution  ,  prouvent  certainement  que  fa  mort  fut  naturelle. 

Dès  que  François  eut  rendu  les  derniers  foupirs  ,  tous  les* 
courtifans  allèrent  en  foule  faluer  Charle  fon  frère,  qui  s'étant  Char  l s 
montré  en  public  ,  fut  reçu  avec  de   grandes  acclamations       IX* 
de  joie.  On  vit  alors  les  Guifes  ,  confondus  avec  les  Seigneurs^ 
oublier  leur  grandeur  paffée,  pour  s'attacher  au  préfent.   Au 
refte,  la  haine  qu'on  avoit  pour  ces  Princes  ,  fit  publier  contre 


I 


S76  HISTOIRE 

_ mmmmmam m^  eux  plufîeurs  écrits ,  où  l'on  avançoit  bien  des  faits  contraires 
p  à  la  vérité.  On  difoit ,  qu'ayant  conçu  le  deffein  de  faire  périr 

j»r  J     Iqs  Bourbons ,  ôc  fur  tout  le  roi  de  Navarre  chef  de  cette  au- 
"       gufte  niaifon ,  ils  avoient  engagé  les  Efpagnols  à  entrer  dans 
*  '  le  Bearn ,  où  de  Thermes ,  qui  étoit  dans  le  Limoufin ,  fe  de- 

voit  joindre  à  eux  :  qu'ils  avoient  commandé  de  plus  à  d'Af- 
premont  vicomte  d'Ortez  >  de  livrer  Bayonne  au  roi  d'Efpa- 
gne ,  place  importante  à  ce  Prince  ,  pour  opprimer  le  roi  de 
Navarre  ;  ôc  qu'enfin  ils  avoient  donné  ordre  à  Blaife  de  Mont- 
îuc ,  d'unir  fes  forces ,  à  celles  des  Efpagnols  ,  pour  ôter  au  roi 
de  Navarre  le  comté  d'Armagnac  ,  dont  on  devoit  faire  don 
à  Montluc.  Onajoûtoit  encore,  qu'on  a  voit  mis  en  délibéra- 
tion dans  le  Confeil  du  Roi ,  Ci  l'on  n'arrêteroit  pas  l'Amiral 
de  Coligni ,  ôc  d'Andelot  colonel  général  de  l'infanterie  ,  ôc 
fi  on  ne  dépouilleroit  pas  le  cardinal  de  Châtillon  leur  frère 
de  tous  fes  bénéfices  ,  à  moins  qu'il  ne  foufcrivît  à  une  pro- 
fefîion  de  foi,  que  l'on  devoit  lui  préfenter,  ôc  qui  avoit  été 
dreffée  par  la  Sorbonne  quelques  années  auparavant:  qu'on 
étoit  refolu  d'envelopper  le  Connétable  dans  le  malheur  des 
Colignis  fes  neveux  ;  Ôc  que  les  Guifes  avoient  donné  ordre, 
il  y  avoit  long-tems ,  qu'on  fe  faisît  de  Damville  fon  fils. 

L'amour  que  le  maréchal  de  Thermes,  ôc  plufîeurs  autres 
qu'on  mêloit  dans  les  affaires  dont  je  viens  de  parler,  avoient 
pour  leur  patrie  ,  ne  permet  pas  d'ajouter  une  foi  entière  à  ces 
bruits.  Mais  ce  qui  arriva  dans  la  fuite  fait  croire  qu'ils  n'é- 
toient  pas  fans  quelque  fondement.  On  raconte  encore,  fans 
aucune  certitude ,  que  le  prince  de  Condé  fut  condamné  à  la 
mort  5  que  le  Roi  ayant  fait  venir  les  Princes  ôc  les  Seigneurs 
delà  Cour  dans  fon  cabinet,  les  uns  après  les  autres ,  ainfique 
les  CommifTaires  du  procès ,  il  leur  ordonna  de  ligner  l'Arrêt  ; 
ce  qu'ils  firent  tous  à  l'exception  du  Chancelier  ôc  de  Louis  de 
Bueil  comte  de  Sancerre ,  qui  déclara  au  Roi  étonné  de  fa 
fermeté  ,  qu'il  aimeroit  mieux  mourir  que  de  foufcrire  à  un  ju- 
gement rendu  contre  les  loix  5  ce  qui  lui  attira  l'indignation 
des  Guifes.  Pour  moi  je  ne  vois  rien  de  bien  certain  fur  tout 
cela.  Je  crois  que  l'Arrêt  de  mort  fut  dreffé,  ôc  non  ligné.  Je 
me  fouviens  de  l'avoir  oui  dire  ainfijlong-tems  après,  à  mon  pe^ 
re l,  homme  vrai  ôc  fincére ,  à  qui  cette  forme  de  jugement  avoit 

l  Le  préfident  ChriHophle  deThou,  un  des  CommifTaires  du  prince  de  Condé. 

toujours 


DE  J.   A.  DE  THOU,   Liv.    XXVI      ;77 

toujours  déplu.  Il  ajoûtoit  que  c'étoit  lui  qui  avoit  confeillé  aux  ±±_i}*_j_n 

amis  du  Prince,  qui  le  follicitoient  en  fa  faveur,  d'appellerau  Charle 
Roi,  &  au  Parlement,  c'eft-à-dire  à  la  Cour  des  Pairs,  ôc  de  \  x. 
plus  de  lerecufer  ,  lui  6c  les  autres  CommifTaires  déléguez,  afin  \  t  6  o. 
que  la  connoiffance  de  cette  affaire  leur  étant  ôtée ,  le  Parle- 
ment feul  en  connût.  Mon  père  me  difoit  encore  >  qu'il  avoit 
ofé  confeillerau  cardinal  de  Lorraine  d'ufer  avec  modération 
de  fa  puiffance ,  s'il  vouloir  qu'elle  fut  de  longue  durée,  Ôc  fur- 
tout  de  ne  rien  faire  dans  l'adminiftration  publique  contre  les 
loixdu  Royaume  ;  parce  qu'en négligant  ces  fages  précautions, 
il  s'attireroit  la  haine  des  peuples ,  ôc  l'indignation  des  Princes, 
des  Seigneurs,  ôc  des  Gentilshommes  j  ce  quicauferoit  fa  rui- 
ne, ôc  celle  de  fa  maifon.  Cependant  la  Reine  mère  envoya 
Lanfac  de  Saint  Gelais  au  Connétable  avec  une  lettre,  pour  le 
preifer  de  venir  faluer  le  nouveau  Roi.  Elle  luimandoit,  qu'elle 
vouloit  fe  fervir  de  fes  confeils ,  ôc  conferver  à  l'avenir  à  cha- 
cun fa  dignité  ôc  fes  emplois.  Aufli-tôt  étant  parti  d'Eftampes, 
ôc  ayant  mandé  le  duc  de  Montmorenci  fon  fils ,  qui  étoit  de- 
meuré à  Chantilli ,  à  caufe  de  la  mauvaife  fanté  de  laducheffe  fa 
femme,  il  fe  rendit  à  Orléans.  Trouvant  des  corps-de-garde 
aux  portes  de  la  ville ,  il  demanda  aux  officiers  ,  qui  les  avoit 
pofez  en  ces  lieux,  ôc  ce  qu'ils  prétendoient  y  faire;  ajoutant 
que  c'étoit  une  chofe  étrange,  qu  un  Roi,  qui  de  voit  être  gar- 
dé par  l'amour  de  fes  peuples,  fut  entouré  de  troupes  dans  une 
ville  fituée  au  centre  du  Royaume.  En  même  tems  il  ordonna 
aux  foldats  de  fe  retirer ,  les  menaçant  de  les  faire  pendre ,  s'ils 
n'obéïffoient.  Il  dit  hautement ,  qu'il  feroit  enforte  que  le  Roi 
pût  aller  fûrement  dans  toutes  les  provinces  de  fon  Royaume , 
0ns  être  environné  d'aucuns  gardes.  Alors  ces  corps-de-gardes 
s'étant  difperfez ,  on  jugea  qu'on  les  avoit  pofez,  moins  pour  la 
fureté  de  la  perfonne  du  Roi,  que  pour  celle  des  Guifes ,  qui 
vouloient  fe  faire  craindre. 

La  princeffe  de  Condé  étoit  venue  au-devant  du  Connéta- 
ble fon  oncle ,  Ôc  lui  avoit  fait  de  grandes  plaintes  de  l'emprifon-  J-c  P""ce  <Je 
nement  du  rnnce  ion  mari.  Des  que  François  11.  fut  mort,  prifon. 
on  avoit  déclaré  à  Condé,  qu'il  étoit  libre.  Mais  il  deman- 
da ,  qu'avant  que  de  fortir  de  fa  prifon ,  on  eût  à  lui  faire  con- 
noître ,  qui  étoient  fes  accufateurs.  Les  Guifes  répondoient  feu- 
lement qu'il  avoit  été  arrêté  par  les  ordres  du  feu  Roi.  Enfin 
Tome  III.  D  d  d  d 


;78  HISTOIRE 

"  '!  il  fortit  au  bout  de  douze  jours,  accompagné  par  honneur  des 
Charle  mêmes  gardes  qu'il  avoit,  étant  prifonnier.  Il  prit  le  chemin 
IX.  de  la  Picardie ,  ôc  fe  rendit  à  Han ,  oc  enfuite  à  la  Fere-fur- 
1560.  Oife ,  places  de  la  dépendance  du  Roi  fon  frère ,  pour  y  atten- 
dre les  ordres  de  la  Cour.  Le  corps  du  feu  Roi  fut  porté  à 
Saint  Denis  accompagné  feulement  de  Sanfat,  delà  Brode  ,  ôc 
de  Guillard  évêque  de  Senlis,  qui  étoit  aveugle.  Ses  funérail- 
les fe  rirent  fans  pompe ,  ôc  avec  une  (implicite  peu  convena- 
ble à  la  dignité  Royale.  On  n'épargna  pas  en  cette  occafion 
les  princes  Lorrains,  eux  que  le  feu  Roi  avoit  comblez  de  biens 
ôc  d'honneurs ,  ôc  qu'il  avoit  comme  adociez  à  l'Empire.  On 
publia  d'ailleurs  ,  qu'au  moment  de  fa  mort ,  ils  avoient  tiré  du 
tréfor  Royal  trente  mille  écus  d'or ,  qu'on  avoit  portez  chez 
eux  5  ce  qui  les  rendit  fort  odieux.  On  mit  fur  le  drap  mor- 
tuaire du  cercueil  du  feu  Roi  cette  infcription ,  dont  l'auteur 
n'a  pas  été  connu,  Tanneguy  du  Chatel  ou  efi-il  f  Du  Chatel,  d'une 
illuftre  famille  de  Bretagne ,  avoit  été  le  premier  Chambellan 
de  Charle  VII,  ôc  après  avoir  rendu  de  grands  fervices  au 
Roi  ôc  à  l'Etat  >  avoit  été  relégué  dans  fes  terres.  Ayant  appris 
la  mort  du  Roi  fon  maître ,  il  accourut ,  ôc  voyant  qu'on  fe 
mettoit  peu  en  peine  de  lui  rendre  les  derniers  devoirs ,  il  lui 
fit  faire  à  fes  frais  de  magnifiques  funérailles ,  qui  lui  coûtèrent 
trente  mille  écus  d'or.  On  citoit  l'exemple  de  du  Chatel ,  pour 
faire  mieux  fentir  l'ingratitude  des  Guifes.  Cet  écrit  qui  fut  lu 
de  tout  le  monde ,  ne  leur  fut  pas  inconnu.  Mais  ils  didimu- 
lerent  leur  chagrin,  s'excufantde  ne  s'être  pas  trouvez  au  con- 
voi fur  la  néceiïité  où  ils  étoient,  de  ne  pas  abandonner  la  Rei- 
ne leur  nièce.  Il  eft  vrai-femblable ,  qu'ils  ne  voulurent  pas 
s'abfenter  de  la  Cour,  afin  defe  trouver  à  l'ademblée  des  Etats, 
ôc  de  contenir  par  leur  préfence  ceux  qui  auroient  pu  décla- 
mer contre  eux  avec  trop  de  liberté.  Cependant  ils  mettoient 
tout  en  ufage,  pour  jetter  des  femences  de  difcorde  entre  la 
Reine  mère ,  ôc  le  Roi  de  Navarre  ;  efperant  que  devenant  arbi- 
tres de  ces  didérends ,  ils  maintiendroient  leur  puidance.  Voyant 
que  les  Etats  concouroient  unanimement  à  déférer  la  principale 
autorité  au  Roi  de  Navarre  ,  qui  avoit  promis  à  Catherine  de 
ia  lui  céder,  ils  firent  naître  des  inquiétudes  ôc  des  foupçons 
dansl'efprit  de  cette  Reine  ambitieufe  ôc  défiante  >  quife  tour- 
na de  leur  côté,  audi-bien  que  le  duc  de  Nemours 3  le  cardi- 
nal de  Tournon,  Saint  André  3  ôc  Bridac 


DE  J.  A.  DE  THOU/Liv,  XXVI.        m 

Le  Roi  de  Navarre  prévint  les  troubles ,  qui  alloient  s'élever 


à  la  Cour,  en  cédant  à  Catherine,  par  l'avis  de  la  princefTe  Char  LE 
de  Montpenfier  ,  la  régence  de  l'Etat ,  ôc  fe  contentant  du  jx. 
titre  de  Lieutenant  général  de  la  Couronne.  Enfuite  on  régla  i  <;  <$  q. 
îa  forme  qu'on  fuivroit  à  l'avenir  dans  le  maniement  des  affai- 
res. Le  Roi  ordonna  le  12  de  Décembre,  de  l'avis  delaRei-  Le  Roi  de 
ne  fa  mère,  du  Roi  de  Navarre,  des  Princes  du  fang,  ôc  des  î^5\{aj. 
autres  Confeillers  d'Etat ,  que  les  Gouverneurs  des  Provinces  tenant  géné- 
6c  des  villes ,  ôc  les  officiers  de  guerre,  qui  viendroient  à  la  "IduRoyau- 
Cour  ,  s'adrefferoient  d'abord  au  Roi  de  Navarre ,  comme  au 
Lieutenant  général  de  l'Etat ,  qui  feroit  fon  rapport  à  la  Rei- 
ne de  l'affaire  propofée ,  laquelle  feroit  enfuite  décidée  en  plein 
Confeil  de  l'avis  de  la  Régente  :  Que  toutes  les  lettres  de  ces 
mêmes  Gouverneurs ,  ôc  autres  perfonnes  en  place  feroient  por- 
tées d'abord  à  la  Reine  mère,  qui  les  ouvriroit,  ôc  les  envoyr- 
roit  enfuite  au  Roi  de  Navarre,  qui  en  conférerait  avec  elle; 
après  quoi  on  regleroit  dans  le  Confeil  ce  qui  feroit  trouvé 
convenable  :  Qu'à  l'avenir  le  Connétable,  le  Grand-Maître 
de  la  maifon  du  Roi ,  les  maréchaux  de  France ,  l'Amiral ,  ôc 
les  autres  commandans  feroient  leurs  charges ,  fans  qu'il  Kit 
permis  à  qui  que  ce  fût  d'entreprendre  fur  leurs  fondions  :  Que 
les  affaires  feroient  rapportées  dans  le  Confeil  en  préfence  des 
Princes  Ôc  des  confeillers  d'Etat,  ôc  que  la  Reine  mère  y  pour- 
rait affilier,  lorfque  fes  occupations  le  lui  permettraient,  ôc 
que  quand  elle  ne  le  pourrait ,  on  lui  ferait  part  des  délibéra- 
tions ,  qui  feroient  écrites  par  un  fecretaire  d'Etat ,  ôc  fcellées 
enfuite  par  le  Chancelier  :Que  le  Roi  nefigneroit  aucune  ex- 
pédition, que  la  Reine  mère  ne  les  eût  examinées  auparavant 
dans  un  confeil  particulier  qu'elle  tiendrait  le  matin  :  Que  le 
Maître  des  portes  feroit  obligé  de  porter  les  paquets  de  la  Cour 
aux  quatre  fecretaires  d'Etat,  qui  les  donneraient  à  la  Reine 
mère  fans  les  ouvrir  :  Que  cette  PrincefTe  les  lirait  en  particu- 
lier ,  ôc  les  communiquerait  enfuite  au  Confeil,  ôc  que  le  Roi 
y  feroit  réponfe  par  des  lettres ,  qui  feroient  toujours  accom- 
pagnées de  celles  de  la  Régente  :  Qu'il  y  aurait  confeil  le  Mar- 
di ôc  le  Vendredi  de  chaque  femaine ,  011  l'on  répondroit  les 
placets,  ôc  où  l'on  expédierait  les  affaires  des  particuliers  avec 
le  plus  de  diligence  qu'il  feroit  poffible ,  ôc  qu'on  tien  droit  un 
autre  confeil  tous  les  Jeudis  pour  ce  qui  concernerait  les  finances, 

Ddddij 


$8o  HISTOIRE 

ôc  l'ordre  public  du  Royaume  ,  où  il  ne  fe  trouvèrent  que 

C  H  a  r  l  E  ^es  Cîuatre  Secrétaires  d'Etat ,  les  Gardes  du  tréfor  Royal  ,  Ôc 
jy        les  Greffiers  de  ce  Confeil. 
IÇ  /  Trois  jours  après,  on  apprit  la  mort  du  Vidame  de  Chartres, 

Seigneur  d'une  illuftre  naiffance  ,  qui  alloit  de  pair  avec  les 
dame^de"71"  Princes,  qui  avoit  de  grandes  richeffes,  un  efprit  ôc  un  cou- 
Chajrtres.  rage  élevez ,  mais  que  le  luxe ,  ôc  les  voluptez  avoient  amolli. 
Il  mourut  aux  Tournelles  ,  où  on  lui  avoit  permis  de  fe  faire 
tranfporter,  à  caufe  de  fa  mauvaife  fanté.  Les  retours  fâcheux 
des  plaifirs ,  joints  au  mauvais  état  de  fes  affaires  ôc  au  chagrin 
d'une  indigne  prifon ,  terminèrent  fes  jours  à  l'âge  de  trente- 
huit  ans.  En  ce  même  tems  de  Bueil ,  fils  naturel  du  comte  de 
Sancerre  ,  fut  tué  à  Orléans  par  René  de  Laval  ;  ce  qui  caufa 
de  nouveaux  démêlez  entre  les  Guifes  amis  du  comte  de  San- 
cerre, ôc  les  Montmorencis  parens  de  Laval  .>  qui  defeendoit 
du  Connétable  Mathieu  de  Montmorenci.  Au  refte  tel  fut  le 
fujet  de  la  querelle  de  Bueil  ôc  de  Laval.  Celui-ci  recherchoit 
en  mariage  Renée  de  Rohan  fœur  de  Louis  de  Guimené,ôc 
veuve  du  feigneur  de  Rohan  Gié.  De  Bueil ,  qui  avoit  les  mê- 
mes prétentions ,  publioit  partout,  pour  empêcher  ces  noces, 
que  cette  dame  lui  avoit  promis  de  l'époufer  ;  ôc  fier  de  plu- 
sieurs combats  finguliers  qu'il  avoit  foutenus,  il  avançoit  avec 
infoîence  bien  des  chofes  contre  l'honneur  de  cette  illuftre 
veuve.  De  plus,  Laval  ne  pouvoit  pardonner  aux  Guifes  d'a- 
voir fait  enforte  par  les  intrigues  de  Guillaume  de  Balzac  d'En- 
tragues,  que  Sainte-Maure  marquis  de  Nèfle  fon  oncle  leur  don- 
nât le  comté  de  Joigni.  Ce  fut  cette  même  année  au  mois  de 
Juillet,  que  le  chancelier  de  l'Hofpital,  fort  zélé  pour  le  bien 
Edic  au  fu'  public  ,  Signala  les  commencemens  de  fa  magiftrature  en  pu- 
jet  des  fecon-  bliant  une  loi  très-judicieufe  au  fujet  des  fécondes  noces  des 
femmes.  Cet  édit  renouvellant  la  constitution  des  Empereurs 
Léon  ,  ôc  Anthemius,  qui  n'avoit  pas  lieu  en  France,  faifoit 
défenfe  à  la  femme ,  qui  ayant  eu  des  enfans  d'un  premier  ma- 
riage ,  paffoit  à  de  fécondes  noces ,  de  donner  à  fon  nouveau 
mari,  au  père ,  à  la  mère,  ôc  aux  enfans  de  ce  même  mari, 
ou  à  d'autres  perfonnes  fufpecles ,  une  portion  plus  forte  de  biens 
meubles,  immeubles,  ou  d'acquêts,  que  celle  que  pourroit  pré- 
tendre celui  de  fesenfans  qui  auroit  le  moins  -,  ôc  ordonnoit  que 
les  profits,  pro venus  de  la  communauté  du  premier  mariage, 


des  noces. 


!CS« 


DE  J.  A.  DE  THOU,Lïv.  XXVL        fÉt 

feroient  partagez  également  entre  tous  les  enfans.    Cette  loi 
s'étendit  aufli  aux  hommes  qui fe  marioient  une  féconde  fois.  Charle 
Elle  leur  défendit  de  donner  à  de  nouvelles  époufes  ce  que       jx. 
leur  avoit  procuré  la  libéralité  des  premières  ;  ces  dons  de-     i  e  6  q. 
vant  être  réfervez  aux  enfans  du  premier  lit.  Cet  édit  du  Roi 
fut  publié  au  Parlement  le  $  d'Août ,  ôc  reçu  avec  de  grands 
applaudiffemens.  Cela  arriva  précifément  dans  le  tems  qu'une 
des  plus  riches  veuves  de  Paris  venoit  de  donner  tous  fes  biens 
par  contrat  à  un  fécond  mari ,  qu'elle  aimoit  éperdûment  5  fa 
folle  paillon  l'empêchant  de  s'appercevoir  qu'on  cheriffoit  uni- 
quement fes  biens ,  ôc  non  fa  perfonne.  Elle  ne  laiflbit  à  fes 
enfans  que  la  portion  légère  s  dite  laFalcidie  J,  qu'elle  ne  leur 
pouvoit  ôter.  L'édit  du  Roi  ne  regardoit  que  les  femmes.  Mais 
le  Parlement  par  fon  arrêt  jugea  à  propos  de  reftraindre  auffi 
les  dons  des  pères  ,  qui  paffoient  à  de  fécondes  noces. 

Le  parlement  de  Touloufe  donna  peu  après  un  arrêt  célè- 
bre ,  rendu  public  le  1 2  de  Septembre ,  contre  l'impofteur  le  plus  Affaire  t 
infigne  qu'on  eut  encore  vu ,  nommé  Arnaud  du-Tilh.  Cet  finguliere. 
homme  s'étoitlié  d'une  amitié  fort  étroite  avec  Martin  Guerre, 
du  village  d'Artigat  au  diocéfe  de  Rieux ,  lorfqu'ils  fervoient 
l'un  ôc  l'autre  dans  la  même  compagnie.  Il  refTembloit  parfai- 
tement de  taille ,6c  de  vifage  à  fon  ami,  linon  qu'il  avoit  le 
pied  plus  long  que  lui.  Il  y  avoit  huit  ans ,  que  Martin  Guerre, 
ctoit  danslefervice,lorfqu'il  prit  envie  à  du-Tilh  de  pofTeder 
la  femme  de  fon  ami ,  qui  n'avoit  point  vu  fon  mari  depuis 
plufieuis  années.  Il  lui  perfuada  qu'il  étoit  Martin  Guerre;  lui 
difant  certaines  particularitez  qui  fe  paffent  entre  un  mari  ÔC 
une  femme,  qu'il  avoit  apprifes  de  fon  ami  lorfqu'ils  étoient 
enfemble  à  la  guerre,  ou  qu'il  avoit  pu  fçavoir,  comme  on 
le  croyoit  alors  ,  par  le  fecours  de  l'art  magique.  L'effron- 
terie du  fédu£teur  impofa  non  feulement  à  cette  femme ,  mais 
encore  aux  fçeurs,  ôc  aux  parens  de  Martin  Guerre  ;  enforte, 
qu'il  vécut  trois  ans  entiers  avec  la  femme  de  celui-ci ,  appel- 
lée  Bertrande  de  Rolz ,  ôc  qu'il  en  eut  deux  enfans.  Mais  com- 
me il  diflipoit  les  biens  de  cette  femme ,  avec  aufTî  peu  de  fcru- 
pule  qu'il  avoit  attenté  à  fa  pudicité ,  Pierre  Guerre  oncle  de 
Martin  lui  fit  un  procès.  Enfuite  il  futaccufé  d'impofture,  à  la 

1  Falcidia  lex  efl ,  quœ  quajîfalce  ampitat  legata  ,  quando  ad  minimum  quartapan 
bonorum  non  fupereji  haredibus. 

Dddd  iij 


$h?  HISTOIRE 

faveur  de  certains  indices,qui  faifoient  foupçonnerîe  menfonge, 

C  h  a  r  l  e  ^a  ^emme  commençant  aufïi  à  s'appercevoir  qu'on  Favoit  trom- 
IX        P^e'  Après  de  longues  procédures,  ôc  une  inftru£tion  fort  am- 
/       pie  ,  qui  laifïbit  encore  des  nuages  fur  cette  affaire ,  6c  qui  jet- 
toit  les  juges  dans  d'étranges  embarras ,  le  ciel  permit  qu'un 
fi  grand  crime  ne  demeurât  pas  plus  long-tems  impuni.  Mar- 
tin Guerre,  qui  avoit  paffé  en  Efpagne  tout  le  tems  que  fon 
perfide  ami  avoit  joui  du  fruit  de  fon  crime ,  revint  heureu- 
fement  peu  de  jours  avant  le  jugement  du  procès ,  ôc  ayant 
été  reconnu  de  fa  femme,  diffipatous  les  doutes.  Du-Tilh  fut 
condamné  à  faire  amende  honorable  à  Dieu, au  Roi,  à  la  Juf- 
tice,  à  Martin  Guerre ,  ôc  à  fa  femme  à  ôc  à  être  pendu ,  com- 
me impofteur,  adultère,  raviffeur,  facrilege,  ôc  voleur.  Ses 
biens  furent  adjugez  à  une  fille ,  qui  lui  reftoit  de  Bertrande, 
Affaires  <TI-  qui  l'avoit  eue  de  lui  fous  la  foi  du  mariage. 

tallc*  A  Rome ,  le  pape  Pie  IV  (  ci-devant  le  cardinal  Medici  ou 

Medichino  )  ceffa  de  fe  contraindre ,  ôc  oubliant  les  affaires  de 
l'Eglife,  ne  fongea  plus  qu'à  fes  intérêts  particuliers,  ôc  à  ceux 
de  fes  proches.  Après  avoir  pris  le  nom ,  ôc  les  armes  de  la  mai- 
fon  de  Medicis ,  ôc  imité  la  vanité  du  marquis  de  Marignan 
fon  frère ,  il  nomma  Cardinal  le  fécond  fils  de  Corne  duc 
Charie  Bor-  de  Florence ,  à  peine  âgé  de  quatorze  ans  ,  pour  marquer 

cardmal?ee  ^on  attachement  au  chef  d'une  illuftre  famille  ,  dont  il  n'étoit 
pas.  En  même  tems  il  créa  cardinal  Charie  Borromée ,  le  char- 
gea de  plufieurs  affaires  importantes ,  ôc  le  nomma  archevêque 
de  Milan  ,  par  la  démifiion  que  fit  de  cette  dignité  le  cardinal 
HippolytedeFerrare,  en  faveur  du  neveu  du  Pape.  Jean  An- 
toine Serbelloni  évêque  de  Spolette  eut  aufli  le  Chapeau  en 
cette  promotion ,  ôc  l'évêché  de  Novare  ,  dont  le  cardinal  de 
Moron  fe  défit.  Borromée  ôc  Serbelloni  étoient  fortis  des  fceurs 
du  Pape.  En  ce  même  tems  le  duc  de  Savoye ,  revenant  de 
France  avec  la  princeffe  Marguerite  fon  époufe,fe  remit  en 
poffeffion  de  fes  Etats ,  après  qu'on  eut  employé  quelque  tems 
à  démolir  les  fortifications  de  plufieurs  places ,  fuivant  les  con- 
ditions du  dernier  traité.  Alfonfe,  nouveau  duc  de  Ferrare,  abor- 
da auflï  de  France  en  Italie ,  ôc  s'étant  embarqué  avec  les  gens 
de  fa  fuite  fur  deux  galères  de  Marfeille ,  defcendit  à  Livour- 
ne.Il  y  fut  reçu  de  Corne  ,  dont  il  étoit  fur  le  point  d'épou- 
fer  la  fille  ,  avec  beaucoup  de  magnificence  3  ôc  de  grandes 


DE  J.  A.  DE  THOU  ,Liv.  XXVI.       $83 

marques  d'amitié.  Enfuite  ayant  pris  le  chemin  de  la  vallée  de  ■ 
Carfagnana ,  il  arriva  dans  fes  Etats.  11  envoya  delà  François  çH  a  r  l  E. 
d'Efte  fon  oncle  ,  pour  fe  rendre  à  Florence  ,  ôc  lui  amener  la        \  x. 
princeffe  de  Florence.  Elle  fut  accompagnée  du  prince  Fran-     \  e  G  Q. 
cois  fon  frère,  de  Louis  de  Tolède  ,  de  Marc  Centurione  ,  ôc 
de  quelques  autres  Seigneurs ,  ôc  arriva  à  Ferrare ,  où  les  no- 
ces fe  célébrèrent  avec  une  grande  pompe.  Peu  après  Corne, 
fur  les  inftances  du  faint  Père ,  envoya  à  Rome  le  Cardinal 
fon  fils  ,    fous   la   conduite  d'Alexandre  Strozzi    Le  jeune 
Prince  fut  reçu  du  Pape  avec  des  témoignages  finguliers  de 
bonté  ,  ôc  de  bienveillance.  Enfin  le  Pontife  voulant  marquer 
déplus  en  plus  au  duc  de  Florence,  combien  il  luiétoit  atta- 
ché ,  lui  rendit  la  nomination  à  l'archevêché  dePife^  dont  Paul 
IV.  l'avoit  mal  à  propos  dépouillé ,  en  y  nommant  le  cardinal 
Rebiba,  ôc  lui  donnant  pour  dédommagement,  fur  les  plain- 
tes qu'il  fit  alors,  le  droit  de  conférer l'évêché  de  Troja.  Mais 
ces  grâces,  dont  il  combla  alors  le  Duc,  font  peu  de  cho- 
fe  ,  en  comparaifon  de  ce  qu'il  voulut  faire  pour  lui  dans  la  fui- 
te, quoique  fans  fuccès.  François  fils  aîné  de  Corne  étant  déjà 
grand,  Ôc  en  âge  de  fe  marier,  le  Pape  confeilla  au  Duc  de     pro:et  du 
foutenir  la  grandeur  naiffante  de  fa  Maifon  par  une  alliance  papc  en  fa- 
des plus  illuftres.  Dans  cette  vue' ,  il  donna  ordre  à  l'évêque  de  SyjaiTon6  de 
Terracine  fon  nonce  en  Efpagne,  d'engager  Philippe  à  donner  Meta* 
en  mariage  au  Prince  François  fa  fœur,  veuve  alors  du  prince 
de  Portugal ,  dont  elle  avoit  eu  un  fils  nommé  Sebaftien  ,  qui 
régna  après  fon  ayeuî. 

Au  refte  le  Pontife  craignoit" avec  raifon ,  que  Philippe  ne 
voulût  pas  confentir  à  une  alliance  fi  inégale.  En  effet ,  il  fem~ 
bloit  peu  convenable  à  la  grandeur  de  la  maifon  d'Autriche , 
qu'une  Princeffe  fille  d'un  Empereur ,  fœur  du  plus  puhTant  Roi 
de  l'Europe ,  ôc  déjà  mariée  dans  une  maifon  Royale ,  épousât 
le  fils  d'un  Prince  ,  créé  tel  depuis  quelques  années,  qui  n'avoir 
que  le  titre  de  Duc.  Tout  le  monde  penfoit  que  le  Roi  d'Ef- 
pagne,  qui  venoit  de  conclure  une  paix  qui  lui  étoit  fi  hono- 
rable ôc  fi  avantageufe  en  même  tems ,  ôc  d'humilier  le  nom 
François ,  fuivant  le  langage  des  Efpagnols ,  ne  voudroit  pas 
fe  faire  tort  par  un  tel  mariage.  Ces  confidérations  ne  rebu- 
tèrent point  le  Pape  ,  qui  fouhaitoit  fortement  que  cette  affaire 
réufsît.  Pour  illuftrer  de  plus  en  plus  les  Medicis ,  il  fit  propofer 


584  HISTOIRE 

à  Philippe  ;  qu'on  pourroit  en  faveur  de  ce  mariage  ,  créer 
C1  h  a  r  l  e  Côme  roi  de  Tofcane  >  ôc  lui  conférer  les  droits  ôc  les  honneurs 
IX  ^IS  a  ^a  dignité  Royale.  Ces  proportions  fi  honorables  à  Cô- 
J  me  excitèrent  la  haine  ôc  l'envie  des  autres  princes  d'Italie, 
ôc  lui  attirèrent  même  l'indignation  du  Roi  d'Efpagne.  Un  bruit 
qui  fe  répandit  alors  par  toute  l'Italie ,  rendit  encore  Philippe 
peu  favorable  au  Duc.  On  difoit  que  le  Pontife  3  qui  étoit  Mi- 
lanois  3  ôc  qui  cherchoit  à  revêtir  fes  parens  de  quelques  ri- 
ches dépouilles ,  avoit  ménagé  un  traité  d'alliance ,  pour  chaf- 
fer  les  Efpagnols  de  l'Etat  de  Milan ,  comme  on  avoit  fait  autre- 
fois fous  Clément  VIL  Soit  que  les  ennemis  y  ôc  les  envieux  du 
duc  de  Florence,  eullent  imaginé  cela ,  foit  que  ces  difcours  euf- 
fent  quelque  fondement  ;  les  Efpagnols  naturellement  défiants  ; 
y  ajoutèrent  foi ,  ôc  Philippe  ne  voulut  plus  entendre  parler  d'un 
mariage,  que  le  S.  Père  ôc  le  Duc  fouhaitoient  avec  paiîion. 
Cependant  la  Doctrine  nouvelle  3  répandue  dans  toute 
la  France  3  faifoit  de  grands  progrès  dans  les  Payis-Bas.  Bien 
loin  que  les  Proteftans  fe  cachaffent  3  comme  auparavant  , 
ils  ofoient  fe  produire  avec  audace  :  les  Seigneurs  ôc  les  au- 
tres Ordres  ne  s'oppofoient  point  à  leurs  entreprifes  par 
foibleffe  ,  ou  les  favoriferent  même  par  un  amour  aveugle 
de  la  liberté,  Il  y  avoit  peu  de  tems  qu'ils  avoient  refufé  à 
la  princefTe  Marguerite  leur  gouvernante  3  ôc  à  fon  Confeil, 
un  fublide  ,  pour  l'entretien  des  garnifons  étrangères.  Ils  fe 
donnèrent  même  tant  de  mouvemens  3  qu'ils  rirent  renvoyer 
de  Zelande  en  Efpagne  les  foldats  qui  étaient  en  garnifon 
dans  cette  province ,  fans  vouloir  confentir  qu'elle  payât  rien 
pour  les  frais  du  retour  de  ces  troupes.  Enfin  ils  avoient  confen- 
tiavec  peine  à  la  levée  de  ce  qui  convenoitpour  la  fubfiftance 
des  gens  de  guerre  3  à  condition  que  les  fommes  feroient  im- 
pofées  par  eux  ,  ôc  qu'ils  diftribueroient  aulTi  les  foldats  fur 
les  frontières ,  comme  ils  le  jugeroient  à  propos  3  fans  que  la 
Gouvernante ,  ni  fon  Confeil ,  pulTent  fe  mêler  de  ces  dépar- 
temens.  On  croyoit  que  ces  peuples  vouloient  dominer  dans 
le  gouvernement  civil  3  pour  étendre  la  liberté  ôc  la  licence 
jufque  dans  les  affaires  de  la  Religion.  AufTi  réfufoient-ils  de 
recevoir  les  Evêques  3  que  Paul  IV.  avoit  depuis  peu  créez  dans 
les  Payis-Bas  3  les  regardant  comme  des  Inquiliteurs  de  leur  foi. 
L'Efpagne  avoit  auffi  des  Religionnaires.  On  y  avoit  emprifonné 

pour 


DE  J.  A.  DE  THOUs  Lrv.  XXVI.      tff 

pour  crime  d'héréfie  Barthelemi  Carança  archevêque  de  To-  — ■ 
ledç,  ôc  faiii  fes  immenfes  revenus.  Je  l'ai  vu  long-tems  après  q 
à  Rome  ,  où  il  eft  mort.   C'étoit  du  relie  un  Prélat  quimeri-        j  v 
toit  cette  première  dignité  de  l'Egliie  d'Efpagne  ,  par  fon        <  $  ' 
érudition  ,  par  fa  probité ,  ôc  par  la  fainteté  de  fes  mœurs.  Pour 
prévenir  tant  de  maux,  tous  les  gens  debienfouhaitoient  avec 
ardeur ,  que  le  Concile, qui  avoit  ci-devant  été  anemblé,  fût 
de  nouveau  convoqué.  Mais  le  Pape  régnant  ne  redoutoit  pas 
moins  que  fes  prédeceffeurs  ce  premier  tribunal,  qui  eût  pu 
mettre  des  bornes  à  fa  puiflance.  Ainfi ,  quoi  qu'il  vit  bien  que 
c'étoit  là  l'unique  remède  ,  pour  extirper  les  héréfies  ,  cepen- 
dant il  difFeroit  toujours  ,  ôc  il  étoit  évident,  qu'il  ne  confen- 
tiroit  jamais  à  un  Concile  univerfel  3  s'il  n'y  étoit  forcé.  Au 
relie  ayant  refolu  de  fe  fatisfaire  ,  avec  juftice  ou  fans  raifon  , 
par  force  ou  par  rufe ,  &  jugeant  que  la  perte  des  CarafFes  (  qui    Conduite  <fa 
lui  avoient  néanmoins  rendu  de  fi  bons  offices  dans  le  dernier  PaPe  à  régate 
Conclave  )  lui  pourroit  être  avantageufe  ,  il  fe  conduifit  avec    es   dra  es' 
eux  de  la  manière  adroite  que  je  vais  dire.  D'abord  il  parut 
vouloir  les  obliger  en  toutes  chofes.  Il  nomma  Nonce  extraor- 
dinaire en  Efpagne  ,  Fabrizio  de  Sanguine  ,  le  plus  intime  de 
leurs  amis ,  ôc  le  chargea ,  aufîl-bien  que  l'évêque  de  Terra- 
cine ,  de  folliciter  fortement  auprès  de  Philippe,  en  faveur  du 
comte  de  Montorio,  un  équivalent  promis  par  Vargas  dans  la 
Calabre,  en  échange  de  Palliano ,  ôc  de  demander  pareillement 
la  penfion,  qu'on  étoit  convenu  de  donner  au  Cardinal  frère 
du  Comte.  Avérard  dei  Médici ,  envoyé  de  Corne,  eut  ordre 
de  faire  les  mêmes  infîances  à  la  Cour  d'Efpagne*  Philippe, 
qui  vouloit  obliger  le  nouveau  Pape ,  étoit  difpofé  à  accorder 
ce  qu'on  lui  demandoit ,  &  iî  avoit  mandé  au  comte  de  Ten- 
diila,  de  contenter  les  CarafFes  ,  comme  le  défiroit  le  S.  Père. 
De  plus ,  après  la  mort  du  feu  Pape ,  &  durant  la  vacance  du 
S.  Siège ,  le  comte  de  Bagno ,  les  Vitelli  ,  ôc  Afcagne  délia 
Cornia  avoient  repris  dans  la  Romagne  ,  ôc  dans  la  cam- 
pagne de  Peroufe  3  plufieurs  châteaux ,  que  les  CarafFes  leur 
avoient  enlevez ,  &  qui  avoient  été  mis  en  fequeftre ,  par  l'en- 
tremife  du  Sacré   Collège.    Philippe  ordonna  qu'on   rendît 
Montebello  à  Antoine  Caraffe  ,  ôc  qu'on  pourfuivît  les  Vi- 
telli comme  rebelles ,  quoique  le  Grand  Duc  s'oppofât  à  ce 
qu'on  entreprenoit  contre  eux  ,  croyant  qu'il  y  alloit  de  fa 
TornJIl,  Eeee 


ygtf  HISTOIRE 

réputation  de  protéger  fes  amis  dans  ces  conjonctures. 
C  harle       Alors  le  S.  Père  croyant  avoir  allez  fait  pour  les  CararTes» 

tv        &  s'être  entièrement  acquitté  de  ce  qu'il  leur  devoit ,  fe  mon- 

{/  '       tra  toujours  depuis  leur  ennemi  déclaré.  Cherchant  à  perdre 
ces  hommes ,  qui  avoient  abuié  malicieufement  de  leur  pou- 
voir fur  l'efprit  du  vieux  Pontife  leur  oncle,  pour  vexer  les  fu- 
jets  du  S.  Siège  ,  il  n'eut  pas  de  peine  à  en  trouver  les  moïens; 
le  peuple  qui  fe  fouvenoit  des  maux  paffez,  étant  très  irrité  con- 
tre eux  ,  aufïi-bien  que  la  plus  grande  partie  de  la  Nobleffe. 
Il  arriva  donc,  qu'un  jour  que  le  Pape  tenoit  le  Confiftoire , 
on  manda  ,  par  le  confeil  d'Antoine  Colonne  ôc  de  Julien  Ce- 
farini  ,  le  cardinal  Charle  Cararïe  ,  ôc  le  cardinal  de  Naples 
fon  coufin ,  lorfqu'on  ne  s'attendoit  à  rien  moins.  Etant  ar- 
rivez au  Vatican,,  ils  furent  arrêtez  par  Gabriel  Serbelloni,  ôc 
conduits  au  château  S.  Ange.  Le  gouverneur  de  Rome  arrêta 
en  même  tems  le  comte  de  JVIontorio ,  qui  y  étoit  arrivé  la  veil- 
le ,  ôc  le  mit  en  prifon.  On  dit  que  lorfquel'on  menoitle  car- 
dinal Caraffe  au  château  S.  Ange,  il  dit,  que  c'étoit-là  une: 
jufte  récompenfe  de  ce  que  les  Caraffes  avoient  fait  pour  Me- 
dici  y  en  l'élevant  au  fouverain  Pontificat.  On  appella  à  ban 
Antoine  marquis  de  Montebello  ,  qui  étoit  abfent ,  &  qui  avoit 
pris  la  fuite ,  ayant  fçû  la  difgrace  de  fon  frère.   Cependant 
on  recevoit  tous  les  jours  de  fàcheufes  nouvelles  de  l'expédi- 
tion de  Tripoli,  dont  je  parlerai  dans  la  fuite.  On  n'ignoroit 
pas  aufli  à  Rome  les  troubles  de  la  France  fur  les  affaires  de 
Religion.  Mais  le  Pape  paroiiToit  peu  touché  de  ces  malheurs ,. 
ne  fongeant  qu'à  jouir  des  avantages  de  fa  dignité,  ôc  à  élever 
fes  créatures.  Comme  il  ne  cherchoit  qu'à  obliger  le  Duc  de 
Florence  ,  il  ufa  en  cetems-là  d'une  infïgne  perfidie  envers  Ni- 

*«»desUr-  colas  Urfini*  comte  de Pétigliano,  dont  véritablement  les  vio- 
û™.  lences  ,  les  mœurs  diflbluës ,  Ôc  le  traitement  indigne  qu'il  avoit 

fait  à  Jean-François  fon  père  ,  meritoient  d'ailleurs  un  châti- 
ment exemplaire. 

Perfidie  du       Urfini  étoit  en  poffefïïon  de  la  ville  de  Soana  ,  ancien  pa- 
Pape,  trimoine  de  fa  famille.  Il  s%n  étoit  emparé  dans  la  dernière 

guerre  ;  ôc  Corne  la  reclamoit ,  comme  faifant  partie  du  ter- 
ritoire de  Sienne ,  qui  devoit  lui  être  rendu  ,  fuivant  la  te- 
neur des  traitez.  Ce  Prince  avoit  fait  plufieurs  inftances  auprès 
du  roi  de  France ,  par  Tornabuoni  fon  envoyé,  pour  obtenir 


i  1 1 1  ri  » 


DE   J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXVL       ?8? 

la  reftitution  de  Soana.  On  lui  avoit  répondu  ,  que  le  Roi  -» 
ne  trouveroit  pas  mauvais,  qu'il  fe  rendît  maître  de  cette  pla-  Char  le 
ce,  par  les  moyens  qu'il  jugeroit  à  propos  i  mais  qu'il  ne  de^-  j  x 
voit  pas  efperer  que  le  Roi  employât  fes  forces,  ou  fes  prie-  t  *  $0% 
tes  ,  pour  engager  le  comte  de  Petigliano  à  la  rendre.  Co- 
rne fe  voyant  alors  en  liberté  de  tout  entreprendre  ,  forma  des 
intrigues  contre  le  Comte,  6c  gagna  même  Alexandre  fon 
fils ,  qui  lui  promit  de  lui  livrer  la  citadelle.  La  confpiration 
ayant  été  découverte,  le  Comte  Ht  arrêter  fon  fils,  ôc  lit  pen- 
dre Angelo  Frafchino  auteur  du  complot.  La  rufe  n'ayant 
pas  réuiïî  ,  le  Grand  Duc  fit  une  guerre  ouverte  à  Urfini ,  ôc 
lit  marcher  fix  mille  hommes  de  pié,  commandez  par  Chia- 
pino  Vitelli  ,  pour  attaquer  Soana  ,  ôc  délivrer  le  fils  du 
Comte.  Aufli-tôt  on  fit  venir  du  canon  de  Montepulciano  „ 
qu'on  dreffa  aux  environs  de  la  ville.  Cependant  les  ambaiTa- 
deurs  de  France  ôc  de  l'Empereur  à  Rome ,  fe  plaignoient 
fort  haut  de  ces  hoflilitez  ;  le  Comte  leur  ayant  fait  repréfen- 
ter  que  fa  ville  étoit  de  la  dépendance  de  l'Empire,  &  qu'il 
étoit  de  plus  fous  la  prote£lion  de  la  France.  Ces  Miniftres  fup- 
pliérent  le  Pape  d'interpofer  fon  autorité ,  ôc  de  donner  ordre 
qu'on  levât  le  Siège  ;  que  fans  cela  on  fe  croiroit  difpenfé  d'ob- 
ferver  les  conditions  d'un  traité,  que  l'on  violoit  impunément. 
Le  Pontife  fit  partir  aufli-tôt  Gabriel  Serbelloni,  avec  le  titre 
de  médiateur  ôc  d'arbitre.  Le  Comte  lui  ayant  en  cette  qualité 
remis  fa  place  entre  les  mains ,  il  la  livra  au  Duc  de  Florence  par 
■une  noire  perfidie ,  fans  avoir  entendu  les  raifons  des  parties. 

Cependant  Corne  preffoit  le  Pape  de  porter  fes  foins  au 
dehors ,  de  faire  garder  les  côtes  d'Italie ,  ôc  de  mettre  une 
forte  garnifon  dans  Elba,  pour  s'oppofer  aux  defcentes  ôc  aux 
courfes  des  Turcs ,  que  la  malheureufe  expédition  de  Tripoli 
avoit  irritez  contre  les  Chrétiens.  Il  lui  repréfentoit  auffi ,  qu'il 
devoit  jetter  les  yeux  fur  les  troubles  ,  dont  la  France  ôc  l'E- 
coffe  étoient  agitées  ;  ôc  que  tant  d'ames ,  dont  le  falut  étoit  en 
danger  par  rapporta  la  Religion,  meritoient  fes  foins  pater- 
nels 5  ajoutant  qu'il  devoit  empêcher  que  les  Princes  Chré- 
tiens ,  qui  dévoient  avoir  recours  au  S.  Siège ,  ne  remédiai 
fent  eux-mêmes  aux  maux  de  l'Eglife ,  ôc  n'affemhlafTent  chez 
eux  des  Conciles  Nationaux ,  au  défaut  d'un  Concile  général. 

Car  on  ne  parloit  alors  en  Italie  3  que  du  difcours  qu'ayok 

Eeee  ïj 


Tgg  HISTOIRE 

*************  fait  dans  le  Confeil  du  Roi  îe  Chancelier  de  l'Hôpital ,  où  , 
Puinir  après  que  ce  premier  Magiftrat  eut  parlé  d'un  Synode  cecume- 
j  y  nique  ,  il  avoit  exhorte  les  Ëveques  a  le  tenir  prêts  a  célébrer 
>  *  *  Q  un  Concile  National,  (i  le  Pape  refufoit  de  confentir  inceffam- 
ment  à  la  convocation  d'un  Concile  univerfel.  Nos  Ambafla- 
deurs  faifant  à  ce  fujet  de  vives  inftances  auprès  du  S.  Père  , 
il  leur  répondoit  toujours  en  termes  généraux  &  équivoques, 
Ôc  difoit  i  que  dans  peu  de  tems  il  fe  rendroit  à  Boulogne  ,  ôc 
qu'il  conférerait  dans  ce  voyage  fur  une  matière  fi  importan- 
te ,  ôc  fur  d'autres  articles  qui  concernoient  la  fureté  de  l'Ita- 
lie ,  avec  le  Duc  de  Florence ,  Prince  fageôc  éclairé,  fon  ami  ôc 
fon  parent.  Corne  voyant  que  ce  voyage  du  Pape  fe  remet- 
toit  toujours  3  réfolut  d'aller  à  Rome ,  où  le  Pape  l'avoir  invité 
de  fe  rendre ,  pour  conférer  avec  lui  de  plufieurs  affaires  pu- 
bliques Ôc  particulières.  Sur  le  bruit  qui  s'étoit  répandu  qu'il 
devoit  fe  tenir  en  France  un  Concile  de  la  Nation ,  le  roi  d'Ef- 
pagne  engagé ,  à  ce  que  l'on  croyoit ,  par  les  Guifes,  avoit  en- 
voyé au  Roi  Antoine  de  Tolède  ,  mmiftre  très  habile  dans  les 
négociations ,  pour  entretenir  le  Roi  à  ce  fujet ,  ôc  le  détourner, 
ainfi  que  les  Princes  ôc  les  Seigneurs  du  Confeil,  de  l'affemblée 
d'un  Concile  particulier  9  qui  ne  manqueroit  pas  d'occafion- 
ner  un  Schifme.  D'un  autre  côté  l'Empereur  Ferdinand  de- 
mandoit  au  Pape  ,  que  le  Synode  général  ayant  été  convoqué 
d'abord  pour  pacifier  les  troubles  de  l'Allemagne  3  on  l'afTem- 
blât  de  nouveau  fur  les  terres  de  l'Empire  ,  ôc  qu'on  examinât 
une  féconde  fois  les  Décrets  qui  avoient  été  rendus.  Mais  plu- 
fieurs penfoient ,  que  s'agiffant  alors  des  divifions  de  la  France 
fur  les  matières  de  la  foi ,  aulli-bien  que  de  celles  de  l'Allema- 
gne ,  on  devoit  tenir  le  Synode  général  dans  un  lieu  commo- 
de aux  deux  Nations ,  comme  à  Confiance  ou  à  Befançon  >  fi 
l'Empire  y  confentoit.  Le  Pape  prétendoit  au  contraire ,  que 
s'il  n  étoit  pas  convoqué  à  Trente  ,  il  le  fut  dans  une  ville 
d'Italie,  comme  Vereeil,  place  à  portée  de  la  France.  A  dire 
vrai ,  le  S.  Père  n'étoit  nullement  déterminé  à  accorder  le  Con* 
ciîe.  Il  auroit  mieux  aimé  qu'on  eût  attaqué  par  les  armes  Ge* 
neve  ,  qui  répandoit  en  France  ôc  dans  les  Payis-Bas  le  ve- 
nin de  l'héréfie ,  que  de  voir  les  démêlez  de  l'Eglife  décidez 
par  les  Conférences  pacifiques  des  Evêques.  C'eft  pour  cela 
qu'il  avoit  çonfeillé  au  duc  de  Savoye  »  de  faire  la  guerre  aux 


DE  l  A.  DE   THOU,  Liv.  XXVI.      y8$ 

Vaudois.  Nous  en  parlerons  dans  fon  lieu.  Tandis  qu'il  étoit 
occupé  de  ces  foins,  beaucoup  plus  que  de  fes  fondions  paf-  Char  le 
torales ,  Corne  arriva  à  Rome  au  mois  d'Octobre,  avec  le  car-       IX. 
dinal  Jean  ,  ôc  Garcie  ,  deux  de  Tes  enfans.  Ayant  reçu  de     1  $  e  o. 
grands  honneurs ,  ôc  eu  enfuite  audience  particulière  du  Pa- 
pe ,  il  obtint  enfin  de  ce  Pontife,  qu'il  indiquerait  le  Concile 
général ,  pour  le  commencement  de  l'année  prochaine. 

Il  lui  repréfenta,  que  l'état  de  la  République  Chrétienne,  Confeilsque 
dont  Rome  étoit  comme  le  centre,  Ôc  la  mère  commune ,  de-  côlpe  donne 
mandoit  qu'on  apportât  un  grand  remède  à  un  mal  répandu  ' 
prefque  par  tout  i  qu'il  ne  devoit  pas  craindre  au  refte ,  qu'un 
Concile  légitime  cenfurât  les  mœurs ,  ou  les  abus  de  la  Cour 
de  Rome ,  puifqu'il  étoit  obligé  de  fouhaiter  lui-même ,  en  qua- 
lité de  fouverain  Pontife  >  qu'on  reformât  la  difeipline  de  l'E- 
glife ,  ôc  les  abus  qui  s'étoient  introduits  5  qu'il  falloit  donc 
qu'il  agît  de  bonne  foi  dans  cette  affaire,  fans  détours  ôc  fans 
feinte ,  ôc  qu'il  fît  venir  les  plus  habiles  Théologiens  de  toutes 
les  parties  du  monde  Chrétien ,  pour  être  écoutez  avec  une 
attention  favorable  ,  ôc  parvenir  enfuite  à  réunir  l'Eglife  divi- 
fée  par  la  diverfité  des  opinions,  ôc  par  la  licence  ôc  le  liberti- 
nage des  efprits.  Philippe  avoit  envoyé  à  Rome  le  comte  de 
Tendilla,  pour  obtenir  du  Pape  lapermifïïon  de  lever  durant 
cinq  ans  ,  fur  les  biens  ecclefiafhques  d'Efpagne ,  une  fomme 
fuffifante  pour  l'entretien  de  neuf  galères  deftinées  à  garderies 
côtes  d'Italie ,  ôc  à  couvrir  les  places  qu'il  poffedoit  en  Afri- 
que. Corne  confeilla  au  Pape  d'accorder  les  décimes  que  de- 
mandoit  le  roi  d'Efpagne.  Après  cela  ayant  obtenu  une  amnif* 
tie ,  en  faveur  de  Paul  Ôc  de  Chiapino  Vitelli ,  que  le  procureur 
général  du  Fifc  pourfuivoit,  fur  ce  qu'ils  avoient  fait  à  Monto- 
ne  durant  la  vacance  du  S.  Siège  ;  ayant  aufîi  fait  reftituer  aux 
enfans  de  Rodolphe  Bagîioni  les  biens  >  que  poffedoit  leur  père 
dans  le  territoire  de  Peroufè,  ôc  procuré  à  Fabiano  de  Monte 
fils  de  Balduin  frère  de  Jules  III,  la  joùiffance  pailible  des  ter- 
res qu'il  tenoit  de  la  libéralité  du  Pontife  fon  oncle,  ôc  que 
les  Caraffes  lui  avoient  enlevées  >  il  partit  de  Rome ,  Ôc  fe  ren- 
dit à  Sienne.  Après  avoir  établi  dans  cette  ville  une  nouvelle 
forme  de  gouvernement,  ôc  l'avoir  rétablie  ôc  fortifiée,  ilvifita 
fon  territoire ,  régla  les  différends  que  les  Siennois  avoient  au, 
fujet  des  limites  avec  les  Efpagnols ,  qui  occupoientOrbitellç* 

Eeee  iij 


?po  HISTOIRE 

i— «■«— m»  ôc  Portercole ,  Ôc  revint  enfin  à  Florence.  Peu  après ,  on  apprit 

Charle  en  -*-taue  ^a  mort  ^e  Franǰis  U»  On  y  publia  en  même-tems 
IX.  4ue  ^a  Cour  ^e  France  avoit  changé  de  face  ,  que  la  Reine 
j  -  $0t  mère  délivrée  de  la  tyrannie  des  Guifes  ,  qui  Pempêchoient 
d'agir  avec  liberté,  s'étoit  unie  au  roi  de  Navarre,  qu'elle  avoit 
fçii  affujetir  à  fes  volontez,  ôc  que  cette  Princeïïe  le  montroit 
affez  favorable  aux  Proteftans.  Ces  nouvelles  frapérent  le  S. 
Père,  ôc  plufieurs  autres  Princes,  ôc  firent  penfer  ferieufement 
à  la  convocation  d'un  Concile.  Aufîi-tôt  le  Pape,leroid'Ef- 
pagne ,  ôc  le  duc  de  Florence  ,  envoyèrent  de  concert  des 
Ambafladeurs  en  France ,  pour  faire  à  Catherine  de  Medicis 
des  complimens  de  condoléance  fur  la  mort  du  Roi  fon  fils, 
l'exhorter  à  ne  pas  fe  laiffer  abattre  par  tant  de  malheurs,  ôc 
lui  recommander  fur  tout  l'ancienne  Religion  ,  dans  laquelle 
elle  étoit  née  ,  ôc  avoit  été  élevée  ,  ôc  la  conjurer  de  ne  pas 
fouffrir,  que  par  une  licence  odieufe,  on  donnât  entrée  à  un 
Schifme  funefte ,  ôc  qu'on  cherchât  ailleurs  ,  que  dans  les  lu- 
mières du  S.  Siège  ,  les  remèdes  aux  maux  qui  affligeoient 
l'Eglife.  Ils  avoient  ordre  d'ajouter  ,  que  bien-tôt  la  France 
feroit  fatisfaite  pour  l'aflemblée  d'un  Concile  œcuménique , 
ôc  qu'on  la  prioit  de  ne  pas  permettre ,  qu'un  Royaume  flo- 
rilTant  dégénérât  de  la  pieté  des  anciens  François  ,  ôc  qu'on 
prît  aucune  refolution ,  qui  pût  faire  préjudice  aux  remèdes  fa- 
lutaires ,  qu'on  étoit  en  droit  d'attendre  d'un  Synode  univer- 
fel.  Laurent  Lenzi  évêque  de  Fermo  ,  fut  l'ambafladeur  du 
Pape  j  Jean  Manrique  celui  de  Philippe  5  ôc  Agnolo  Guicciar- 
dini  fut  l'envoyé  de  Corne.  En  même  tenis  le  S.  Père  choifit 
les  cardinaux  Hercule  de  Gonzague  ,  Jérôme  Seripandi ,  ÔC 
Staniflas  Hoiio ,  pour  préfider  en  fon  nom  au  Concile  qu'on 
alloit  tenir  à  Trente.  11  envoya  auffi  vers  les  Princes  d'Alle- 
magne, Zacharie  Delfino  évêque  de  Lézina,  ôc  Jean-Fran- 
çois Commendon,  pour  leur  indiquer  l'aflemblée  du  Concile. 
Canobbio  partit  aufîi  pour  la  Pologne  à  ce  fujet.  Il  avoit  or- 
dre d'aller  jufqu'en  Mofcovie ,  pour  y  exhorter  le  Grand  Duc 
à  envoyer  des  Ambafladeurs  Ôc  des  Théologiens  à  l'aflemblée 
générale  de  l'Eglife  Latine  ,  quoique  fes  Etats  fuiviflent  les 
Rits  de  l'Eglife  Grecque.  Mais  Canobbio  avant  trouvé  la  guerre 
allumée  entre  les  Polonois  ôc  les  Mofcovites ,  ne  put  pénétrer 
jufqu'en  Ruflie. 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXVI.       ypï 

Parlons  maintenant  de  ce  qui  fe  paiïa  en  des  payis  plus  éloi-  ■»■■• 

gnez.  Après  la  paix  faite  entre  les  deux  Rois  ,  Philippe  avoit  cHARLE 
réfolu   dès  l'année  précédente  l'expédition  de  Tripoli  ,  qui       jx. 
ayant  été  retardée  pour  plufîeurs  raifons  ,  fut  enfin  entreprise,     i  ?  6  o. 
Jean  de  la  Cerda ,  viceroi  de  Sicile,  avoit  une  forte  envie  de  . 

fignaler  fon  nom  ,  ôc  de  rendre  quelque  fer  vice  important  à  je  Tripoli.10 
l'Efpagne  3  à  l'exemple  de  Jean  de  Véga  fon  lieutenant ,  qui 
avoit  enlevé  depuis  peu  aux  Turcs  la  ville  d'Africa  en  Barba- 
rie j  appellée  Mehedia  par  les  gens  du  payis.  Il  y  avoit  long- 
tems  qu'il  follicitoit  Jean  de  la  Valette  Parifot,  Grand-Maître 
de  l'Ordre  de  Malte ,  de  concourir  avec  lui ,  pour  reprendre 
Tripoli ,  qu'on  avoit  depuis  peu  perdue  3  ôc  pour  ruiner  en  ces 
contrées  la  puiflance  des  Turcs ,  qui  menaçoient  la  Sicile ,  la 
Sardaigne  ,  ôc  Tifle  de  Malte.  Ainfi  la  Cerda  ôc  le  Grand- 
Maître  firent  repréfenter  à  Philippe  ,  qu'il  ne  faloit  pas  laiffer 
échaper  une  occafion  qui  s'offroit  ,  d'abattre  les  ennemis  du 
nom  Chrétien  ;  que  la  réduction  de  Tripoli  étoit  d'une  gran- 
de importance  ,  ôc  que  le  fuccès  de  l'entreprife  n  étoit  pas 
douteux  ,  en  un  tems  où  Dragut  n'avoit  encore  que  peu  de 
forces.  Le  roi  d'Efpagne 3  frappé  de  ces  raifons  ,  fe  détermina 
à  cette  guerre  3  ôc  en  donna  le  principal  commandement  à  la 
Cerda.  En  même  tems  il  envoya  ordre  à  '  Jean-André  Doria  s 
qui  commandoit  la  flotte  en  qualité  de  lieutenant  du  vieux  Do- 
ria fon  oncle  3  de  joindre  fes  forces  à  celles  de  la  Cerda.  On 
ordonna  aufTi  à  Dom  Bernarde  de  Guimeran  Commandeur  de 
Malte ,  de  faire  affembler  en  Italie  toutes  les  troupes  Efpa- 
gnôles ,  pour  s'embarquer  enfuite,  ôc  aller  à  cette  expédition. 
Au  refte  plufîeurs  contretems  retardèrent  un  fi  louable  def- 
fein.  La  mort  de  Henri  IL  qui  arriva  alors  3  fut  fur  tout  un  grand 
obftacle.  Les  Gouverneurs  d'Italie  craignant  que  la  mort  de  ce 
Prince  n'apportât  quelque  changement  aux  affaires }  refuférent 
de  fournir  des  troupes ,  jufqu'à  ce  qu'on  eût  reconnu  3  fi  cet 
événement  ne  donneroir point  lieu  à  de  nouveaux  troubles, 
ôc  fi  la  France  ne  prendroit  point  en  cette  occafion  un  parti 
contraire  aux  intérêts  de  l'Efpagne.  C'eft  la  réponfe  que  firent  à 

i  Jean-André  Doria  étoit  neveu  du  j  à  Gènes  fa  patrie  en  cette  année  i$6o> 
fameux  André  Doria  ,  qui  avoit  étégé-  âgé  de  93  ans.  AndréDoriapafïbitpour 
néral  des  galères  de  France ,  8c  enfuite        le  meilleur  homme  de  mer  de  fon  fiécle. 

de  la  flotte  d'Efpagne ;  ôc  qui  mourut  f    QnvavQirbien-tôtfamort&fon  éloge* 


$92  HISTOIRE 

i  Guimeran  le  duc  de  Seiïa  gouverneur  de  Milan  1  ôc  Dom 

Charle  Pera^an  de  Ribeira  duc  d'Alcala  ,  viceroi  de  Napîes.  D'ail- 
I X.  leurs  Ribeira  fe  défendoit  d'envoyer  du  fecours ,  fur  ce  qu'il 
i  f  6  o.  avoit  appris  que  la  flotte  des  Turcs  étoit  partie  de  Conftanti- 
nople  ,  ôc  en  vouloir  à  Ancone  s  ajoutant  qu'il  ne  fourniroit 
pas  un  feul  homme ,  qu'il  ne  fut  affuré  auparavant  des  defleins 
que  fe  propofoient  les  Infidèles.  Il  arriva  de  plus ,  que  Phi- 
lippe ayant  fait  revenir  fes  galères  en  Efpagne  s  malgré  les  re- 
montrances de  Guimeran  ,  la  flotte  fe  trouva  confidérable- 
ment  affoiblie.  Tout  l'été  fe  pafla  dans  ces  incertitudes.  Enfin 
on  reconnut  qu'on  n'avoit  rien  à  craindre  du  côté  de  la  Fran- 
ce ,  ni  pour  les  côtes  d'Italie,  l'armement  des  Turcs  ayant  pris 
la  route  du  Levant.  Alvaro  de  Sande  3  que  Philippe  avoit  en- 
voyé à  la  Cerda ,  pour  fervir  en  cette  guerre ,  fut  dépêché  en 
Lombardie ,  pour  amener  un  renfort  de  troupes  3  que  le  duc 
de  Seffane  lui  accorda  qu'avec  peine:  enforte,que  quoi  qu'on 
eût  préparé  toutes  chofes  avec  une  extrême  diligence  3  les  trou- 
pes ne  purent  arriver  à  Meffine  qu'au  mois  d'Ottohre. 

L'armée  étoit  compofée  de  quatorze  mille  hommes  de  pié  ; 
formant  trente  bataillons  Efpagnols ' ,  que  commandoit  de  San- 
de ,  Générai  qui  avoit  aquis  beaucoup  de  gloire  dans  les  guer- 
res de  Piémont  Ôc  de  Tofcane.  Il  y  avoit  trente  cinq  batail- 
lons Italiens  ,  qui  avoient  à  leur  tête  André  de  Gonzague  > 
ôc  quatorze  compagnies  Allemandes  ,  aux  ordres  d'Etienne 
Leopat.  Deux  enfeignes  de  troupes  Françoifes  vinrent  aufîi 
renforcer  l'armée.  La  flotte  confifloit  en  vingt-huit  grands  bâ- 
timens  de  charge ,  Ôc  quatorze  plus  petits ,  ôc  en  cinquante- 
quatre  galères  de  différente  conftruction  s  dont  le  Pape  en  avoit 
fourni  quatre ,  conduites  par  Anguillara ,  ôc  le  Grand  Duc  au- 
tant ,  que  commandoit  Nicolas  Gentile.  Le  Grand-Maître  de 
Malte  en  avoit  envoyé  cinq ,  fous  les  ordres  de  Teffiéres  Géné- 
ral des  galères  de  la  Religion  ;  qui  rendit  de  grands  fervices  fur 
mer  ôc  fur  terre  en  cette  expédition.  On  menoit  aufli  quatre  cens 
cavaliers  d'élite,  ôc  fix  cens  arquebufiers.  Bernard  d'Aldana,qui 
avoit  couru  rifque  de  perdre  la  vie ,  ôc  avoit  été  privé  de  tes 
charges ,  à  l'occafion  du  mauvais  fuccès  de  la  guerre  de  Hon- 
grie ,  fut  rétabli  dans  fes  dignitez  ,  ôc  eut  le  commandement 
de  l'artillerie.  La  Cerda  ayant  fait  la  revue  de  l'armée ,  Ôc  fait 
charger  affez  de  provifions,  pour  nourrir  trente  mille  hommes 

durant 


DE  J.  A.  DE  THOU,  L'iv.  XXVI.       m 

durant  quatre  mois  ,  ayant  auflï  fait  embarquer  ôc  partir  fon  ■ 

canon ,  ôc  une  partie  de  fes  troupes ,  partit  enfin  à  la  fin  d'Oc~to-  QH  a  rl  E 
bre  3  pour  commander  en  fon  abfence.  La  Cerda  vint  de  Mef-      j  y^ 
fine  à  Siracufe ,  ôc  pafTa  tout  le  mois  de  Novembre  dans  ce     T  «-  <~ 
port,  a  caule  des  vents  contraires.  11  n  en  put  iortir  qu  au  com- 
mencement de  Décembre  ,  en  faifant  remorquer  fes  galères.  Ce 
fut  là  comme  le  préfage  d'une  navigation  maiheureufe.   Cepen- 
dant le  Grand  Maître  de   Malte  envoya   deux  frégates  légè- 
res vers  les  côtes  d'Afrique ,  pour  reconnoître  toutes  chofes» 
Cette  fage  précaution  eut  de  facheufes  fuites  ,  comme  le  refte. 
Dragut  qui  commandoit  dans  Tripoli ,  ayant  pris  une  de  ces 
frégates ,  apprit  par  les  priionniers  le  delTein  des  Chrétiens. 
Auffi-tôt  il  fait  fortifier  fa  place ,  en  augmente  la  garnifon ,  Ôc  fait 
venir  de  tous  cotez  des  munitions  de  guerre  ôc  de  bouche ,  pour 
foûtenir  un  fiége.  En  même-tems  il  écrit  à  Soliman, ôc  le  conjure 
de  lui  envoyer  uneflotte^qui  foit  fuperieureàcelle  des  Chrétiens. 
Soliman,  qui  avoit  pris  Tripoli  neuf  ans  auparavant,  en  avoir 
confié  le  gouvernement  à  Dragut,  avec  celui  de  toutes  les  côtes 
voifines ,  l'ayant  ôté  à  Mortaga  feigneur  de  Tefchiora.  Dra- 
gut eut  de  grands  démêlez  dans  la  fuite  avec  le  Roi  de  Car- 
van  ,  dont  les  Etats  étoient  à  trente  milles  de  Tripoli,  fur  ce  que 
ce  Prince  lui  avoit  refufé  dufecours,  iorfqu'il  en  avoit  eu  be- 
foin,ôc  lui  avoit  même  été  toujours  contraire ,  comme  il  le  difoit. 
Soit  que  ce  qu'il  avançoit  fût  véritable  >  foit  que  cherchant  une 
occaiion  de  rompre  avec  un  Prince  voifin  ,  il  fit  ces  plaintes 
fans  fondement ,  il  eft  certain  que  depuis  ce  tems  là  il  lui  fit 
toujours  la  guerre ,  ôc  que  ce  vieux  corfaire  appuyé  de  la  puif- 
fance  des  Turcs  le  dépouilla  de  la  meilleure  partie  de  fes  Etats. 
Ce  Roi ,  fe  voyant  opprimé  par  un  voifin  redoutable,  n'efperoit 
du  fecours  que  du  côté  des  Chrétiens.  Dragut  ayant  répandu 
dans  le  continent  la  terreur  de  fes  armes,  réfolut  de  s'emparer 
de  l'ifle  de  Zerbi l  voifine  de  ces  côtes.  Un  Turc  nommé  Soli- 
man étoit  le  Seigneur  ou  le  Xechés  de  cette  ifle  j  nom  que  don- 
nent les  Arabes  aux  Princes ,  dont  les  Etats  font  rrop  bornez 
pour  mériter  le  titre  de  Roi.  Dragut  n'ayant  pu  vaincre  Soliman 
par  les  armes  ,  trouva  moyen ,  fous  prétexte  de  fe  réconcilier 

C'eft  I'ide  de  Gelves  ou  des  Ger-    I    ainfî.  On  lui  donne  ailleurs  dans  cette 
bes  ;  on  l'appelle  ici  Zerbi ,  parce  que    1    traduction  le  nom  de  Gelves. 
ies  Turcs  ou  les  Maures  la  nomment   | 

Tome  111  Ffff 


SH  HISTOIRE 

„  i,  avec  lui  a  de  l'attirer  à  Tripoli,  ouille  chargea  de  fers  ;  après 

P  quoi  s'étant  rendu  maître  de  Pifle ,  il  fit  pendre  peu  après  l'in- 

j  y-        fortuné  Xechés.    Une  11  noire  perfidie  avoit  rendu  Dragut 

*       odieux  à  tous  les  peuples.  Les  Princes  d'Afrique  fouhaitoient 

'  avec  ardeur,  qu'il  s'offrit  une  occafion  de  venger  tant  d'injures, 

ôc  de  recouvrer  la  liberté,  que  ce  cruel  pirate  foutenu  par  les 

Turcs  leur  avoit  enlevée.  Ainfi  le  roi  de  Carvan,  le  fils  du 

roi  de  Tunis  qui  étoit  déjà  avec  la  Cerda,  ôc  le  petit-fils  du 

malheureux  Soliman  ,  dont  nous  venons  de  parler ,  lequel  avoit 

pris  le  titre  de  Xechés  de  Zerbi ,  s'allièrent  avec  piaifir  aux 

Defcription  Chrétiens  >  pour  chaffer  l'ennemi  commun.  Il  eft  à  remarquer 

de  rifle  de     que  y^q  je  Zerbi ,  appellée  par  les  anciens  Meninx  ,  ou  Lo- 
Zerbi,oude  ^    .  kï  r  ■ 

Gelves,  tophagitis ,  a  environ  loixante  mille  pas  de  circuit ,  ôc  qu  elle  eit 

féparée  de  la  côte  d'Afrique  par  un  efpace  fi  petit ,  qu'on  la 
peut  joindre  au  continent  par  un  pont.  Elle  eft  entourée  de 
tous  cotez  d'une  mer  très-bafTe  >  qui  fe  retire  une  fois  en  hiver, 
Ôc  deux  fois  en  été ,  Ôc  laiffe  un  efpace  de  plus  de  quatre  mille 
pas  entièrement  découvert.  DomGarcie  de  Tolède  duc  d'Albe, 
dont  le  fils  a  été  un  fi  fameux  capitaine  ,  ayant  fait  autrefois  une 
defeente  dans  cette  ille ,  la  mer  étant  haute ,  vit  peu  d'heures 
après  les  eaux  fe  retirer  contre  fon  attente,  ôc  fes  navires  àfec. 
Il  fut  forcé  de  foutenir  contre  les  Turcs  un  combat  fur  terre, 
où  il  reçut  un  grand  échec ,  ôc  où  il  perdit  la  vie.  Du  refte 
on  y  aborde  aifément,  ôc  quand  on  n'a  point  les  ennemis  à  crain- 
dre ,  le  port  eft  bon  ôc  commode  pour  les  vahTeaux.  Tout  le 
payis  eft  plat ,  excepté  le  milieu  qui  s'élève  peu  à  peu  ,  Ôc  for- 
me des  collines.  Le  terroir  eft  fec  Ôc  aride  >  ôc  ne  produit  en 
abondance  que  des  palmiers  (  dont  on  voit  de  grands  bois  ) 
des  oliviers  ,  des  cèdres,  ôc  des  grenadiers,  dont  le  fruit  eft 
plus  aigre  que  celui  qui  croit  en  France.  Il  y  aufti  des  vignes, 
qui  donnent  des  grappes  admirables  parleur  grofleur.  Les  habi- 
tans  ne  les  preffurent  point  pour  en  faire  du  vin  :  ils  les  font  fé- 
cher,  ôc  les  tranfportent  dans  les  provinces  voifines,  ôc  à  Ale- 
xandrie en  Egypte.  Ils  ne  manquent  pas  non  plus  de  figues, 
de  poires,  de  pommes  ,ôc  de  prunes.  Du  refte  ils  n'ont  point  de 
bled ,  ôc  vivent  de  ris ,  de  lentilles ,  de  pois ,  de  fèves ,  ôc  d'autres 
fembîabîes  légumes. 

Zerbi  avoit  été  foumife  autrefois  au  Roi  de  Tunis.  Mais 
la  puuTance  de  ce  Souverain  s'étant  fort  affoiblie ,  trois  Xechés 


DE  J.  A.  D  E  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXVI.      ?p; 

partagèrent  le  gouvernement  de  l'ifle.  Enfuite  fe  dreiïant  de    ,_ 
continuelles  embûches  ,  ils  fe  détruifirent  l'un  l'autre.  L'auto-  r;HARLE 
rite  fouveraine  étant  dévolue  à  un  feul,  il  ne  la  confervoit  que       j  y 
peu  de  tems  ;  le  defir  aveugle  de  régner  faifant  périr  le  père  JQ 

par  le  fils  ,1e  fils  par  le  père,  6c  les  frères  par  les  frères.  L'ifle,  * 
qui  étoit  autrefois  fort  peuplée,  n'a  plus  aujourd'hui  qu'envi- 
ron trente  mille  habitans  5  les  guerres  civiles  en  ayant  détruit 
un  grand  nombre.  La  plupart  des  infulaires  logent  en  des  huttes. 
A  l'exception  du  Château ,  où  demeure  le  Xechés ,  Ôc  de  qua- 
tre villages  bien  peuplez,  on  ne  voit  dans  l'ifle  que  des  caba- 
nes allez  éloignées  les  unes  des  autres.  Ils  ont  plufieurs  foires> 
où.  fe  rendent  les  marchands  des  côtes  d'Afrique,  d'Italie,  de 
la  Grèce  ôc  de  l'Egypte.  Ceux  qui  ont  écrit  l'hiftoire  de  ce 
payis,  alTurent  que  les  droits ,  que  levé  le  Prince  de  l'ifle  fur 
ces  foires  ôc  marchez,  fe  montent  chaque  année  à  cent  mille 
écus  d'or.  Us  ont  des  chameaux  ôc  des  ânes  en  grand  nombre, 
ôc  peu  de  chevaux.  Leurs  chèvres  ne  reffemblent  pas  aux  nô- 
tres. Elles  ont  de  grandes  oreilles  qui  font,  pour  ainfi  dire,  den- 
telées y  ôc  tirant  fur  le  blanc.  Us  ont  aufïïdes  lièvres ,  ôc  des  ca- 
méléons de  la  grandeur  d'un  lézard.  Us  nouriffent  des  troupeaux, 
qu'on  apporte  dans  l'ifle.  Les  habitans  ont  le  teint  brun ,  mais 
moins  que  ceux  du  continent.  Us  font  défians ,  curieux }  ôc  avi- 
des d'argent ,  plus  qu'on  ne  le  pourroit  croire.  Au  relie ,  quoi- 
que les  hommes  ôc  les  femmes  foient  fort  adonnez  à  la  dé- 
bauche ,  l'adultère  y  eft  puni  de  mort.  Si  le  mari }  qui  peut  avoit 
au  plus  fix  ou  fept femmes,  en  furprend  quelqu'une  dans  le  cri- 
me ,  il  la  tué"  en  préfence  de  fes  parens  ,  ou  la  renvoyé  honteu- 
fement.  Le  Prince  eft  en  droit  d'époufer  autant  de  femmes  qu'il 
le  veut }  ôc  toutes  les  fois  qu'il  prend  une  nouvelle  époufe,fes 
fujets  lui  font  préfent  d'une  fomme  d'argent.  Il  a  fous  lui  un 
lieutenant ,  ôc  un  juge  civil ,  qui  a  un  bâton  pour  marque  de 
fa  dignité  ,  ôc  à  qui  on  porte  un  grand  refpe£t.  Cependant  on 
plaide  rarement,  ôc  chacun  s'occupe  uniquement  de  fon  travail. 
Ils  fçavent  aprêter  la  laine,  ôc  en  font  des  draps  fort  fins  dont  ils 
s'habillent.  Ils  portent  des  bonnets  décodeur  de  bleu  turquin, 
enveloppez  d'une  toile  blanche  en  forme  de  Turban.  Les  hom- 
mes fe  couvrent  de  manteaux  de  laine ,  qui  ont  une  frange  de 
foie  en  bas ,  ôc  qu'ils  appellent  Barracans ,  ôc  portent  une  épée 
attachée  à  un  baudrier.  Sous  ces  manteaux  ils  font  tout  nuds. 

Ffffi; 


$9é  HISTOIRE 

^«■^im.  Cependant  les  plus  confidérables  ont  des  verres,  quîleur  defcen- 
C bar le  dentau-deffousdu  genouil  ,  ôcdes  brodequins,  à  la  manière  des 
j  \r        Maures.  Les  femmes  ont  auffî  des  manteaux  qui  couvrent  leurs 
i  <  6  o      t^teSj  &  leur  tombent  fur  les  yeux  en  forme  de  pointe.  Mais  elles 
ont  toutes  des  habits  fous  ces  manteaux.  Les  plus  pauvres  vi- 
vent de  farine  de  ris,  mêlée  avec  de  l'huile  ,  de  miel  ,  de  beure^ 
de  dattes  affaifonnées  avec  du  vinaigre  ,  ôc  mangent  rarement 
de  la  viande.  Les  riches  mangent  delà  farine  de  froment,  dé- 
trempée dans  l'eau.  Tous  boivent  de  l'eau  ,  ôc  couchent  fur 
la  terre  ,  à  caufe  des  exceflives  chaleurs. 

Mais  pour  reprendre  le  fil  de  l'hift-oire ,  la  Cerda  après  avoir 
eu  long-tems  à  combattre  contre  les  maladies,  qui  lui  enlevè- 
rent bien  des  hommes ,  ôc  avoir  eu  à  calmer  les  querelles  ôc 
la  mutinerie  de  fes  foldats,  qui  étoient  la  plupart  des  bannis  de 
Naples  ôc  de  Sicile,  quitta  enfin  Siracufe,la  faifon  lui  paroif- 
fant  commode.  Il  avoit  fait  partir  quelques  jours  auparavant 
lesvaiffeauxde  tranfport,  avec  ordre  de  naviger  vers  Secco  di 
Palo,  où  la  flotte  devoit  s'affembler,  ôc  d'aller  delà  à  Tripo- 
li ,  qui  en  eft  éloigné  de  plus  de.  cent  milles.  Le  vent  étant 
favorable,  les  galères  fe  trouvèrent  en  peu  de  tems  à  la  hau- 
teur du  cap  PaiTaro.  Mais  les  bâtimens  de  charge  avoient 
été  obligez  par  les  vents  de  retourner  au  lieu,  d'où  ils  étoient 
partis.  On  tint  confeil,  pour  fçavoir  fi  l'on  n'iroit  point  rejoin- 
dre ces  navires  de  tranfport,  ou  fi  l'onnècingleroit  point  vers 
Malte  ,  dont  on  étoit  peu  éloigné.  Enfin  ,  ayant  pris  la  route 
*ouMarza-.  Je  Malte  ,  on  aborda  au  port  nommé  Marzamugetto  *.  Ce- 
pendant  des  vents  furieux  ayant  règne  long-tems,  on  de- 
meura en  ce  lieu  jufqu'à  la  fin  de  Décembre,  que  la  Cerda 
envoya  fes  galères ,  pour  faire  venir  les  autres  qui  n'avoientpû. 
partir  de  Siracufe.  Elles  rencontrèrent  quelques  bâtimens  de 
charge  x  qui  ne  faifoient  quefortir  du  port ,  ôc  furent  obligées 
de  remorquer  les  autres  :  elles  arrivèrent  enfin  à  fille  de  Malte 
avec  la  plus  grande  partie  de  la  flotte.  On  y  mit  à  terre  les 
foldats ,  dont  la  plupart  étoient  malades ,  ôc  avoient  beaucoup 
fouffertfur  la  mer.  Apres  qu'on  eut  fait  la  revue  des  troupes, 
on  trouva  que  les  maladies  avoient  déjà  emporté  près  de  trois 
mille  hommes,.  Aufli-tôt  on  envoya  des  officiers  en  Sicile, 
ôc  dans  îe  Royaume  de  Naples,  pour  faire  de  nouvelles  levées, 
.Les  recrues  qu'ils  amenèrent,  fer  virent  à  rendre  les  compagnies 


DE  J,  A,DE  THOU,Lït  XXVl      ^7 

complètes  ,  ôc  à  augmenter  celles  de  Aîaîefpine  de  cinq  cens  ■■«■n ■* 

hommes.  Cinq  cens  autres  furent  donnez  à  Charle  Rufo,  ôc  trois  C-h  a,rle 
à  Marcel  Doria.  On  palTa  tout  le  mois  de  Janvier  de  l'année        IX» 
fuivante ,  ôc  la  meilleur  partie  de  Février ,  à  prendre  ces  arrange-     j.  ç  6  q,. 
mens.  Enfin  la  <Derda  mit  à  la  voile ,  ôc  ordonna  aux  navires  de 
tranfport  d'attendre  les  galères  à  Secco  di  Palo,  s'ils  y  arrivoient 
les  premiers.  Quatre  jours  après  la  flotte  aborda  à  l?ifle  de  Gel- 
ves,  en  un  lieu  nommé  la  Rochette,  où  les  vaifTeaux  ont  cou- 
tume de  faire  de  l'eau.  Le  Viceroi  craignant  que  les  Turcs 
ôc  les  Maures  ne  tuaflent  ceux  qu'on  envoyeroit ,  pour  remplir 
les  tonneaux,  fit  débarquer  toutes  fes  troupes.    La  fuite  fit 
voir  que  cette  précaution  étoit  fage.   Car  les  Turcs  attaquèrent 
les  Chrétiens ,  ôc  quoiqu'ils  donnaient  fans  ordre  ôc  fans  dis- 
cipline ,  il  y  eut  un  combat  fanglant,  où  Àlvare  de  Sandefut 
blelfé  d'un  coup  de  moufquet,  avec  quelques  autres ,  lorfque 
cet  officier  ,  faifant  les  fondions  de  Major  général ,  alloit  de 
rang  en  rang ,  ôc  donnoit  ordre  à  tout.  Il  y  a  vers  ce  rivage 
un  petit  bras  de  mer  .  appelle  Bocca  délia  Cantara ,  qui  entre 
dans  l'ifle  ,  ôc  a  environ  mille  pas  de  longueur.  Le  Général 
ayant  vu  du  port  deux  galères  Turques  fur  ce  canal,  envoya 
contre  elles  quelques-unes  de  fes  galères.    Mais  ceux    qui 
montoient    celles-ci ,  ayant  remarqué  deux   vaifTeaux   char- 
gez de  marchandifes   qui   étoient  à  l'ancre  ,   allèrent  de  ce 
coté  là  dans  la  vue  de  faire  un  grand  butin ,  ôc  contre  l'ordre 
des  officiers,  fe  mirent  peu  en  peine  d'attaquer  les  deux  galères 
des  Turcs.  Ils  trouvèrent  dans  ces  vaifTeaux  des  marchandifes  de 
grand  prix. Du  refte  ils  n'y  rencontrèrent  aucun  homme,  dont  ils 
puflent  apprendre  l'état  de  l'ifle ,  les  forces  des  habitans ,  ôc  les 
defTeins  des  ennemis.  -Les  habitans  ôc  les  Turcs  avoient  pofé 
des  corps-de-garde  autour  du  rivage,  pour  empêcher  qu'on  ne 
pût  faire  de  prifonniers  ,  ou  que  quelque  transfuge  ne  pafsât  du 
côté  des  Chrétiens.. 

Peu  après  on  s'éloigna  de  Pifle ,  ôc  on  s'avança  vers  Secco  di 
Palo.  Làonfçûtpar  des  ArabeâdeMahamut  ,  nation  ennemie 
de  Turcs ,  qu'on  avoit  fait  une  grande  faute,  de  n'avoir  pas  atta* 
que  ces  deux  galères  qui  étoient  fur  le  bras  de  mer  ,  ôc  de.  s'en- 
tre amufé  à  piller  les  deux  vaifTeaux.  Dragut  étoit  dans  ce  lieu, 
lorfque  la  flotte  des  Chrétiens  y  étoit  abordée.  Les  infulaires*, 
qui  s'étoient  révoltez  contre  leur  Prince  petit- fils  de  Soliman.» 

E  f  f  f.  iij, 


59$  HISTOIRE 

„M „„„  dont  j'ai  parlé,  avoient  appelle  Dragut  à  leur  fecours ,  qui  lui 

q  a  R  r  F  avoit  livré  la  bataille ,  ôc  l'avoit  vaincu.  Si  l'on  eut  brûlé  les 
jy  deux  galères,  Dragut,  qui  les  montoit,  ne  pouvoit  plus  for- 
„  '  tir  de  Tille.  Les  Arabes  gardoient  les  avenues  du  pont  qui  joint 
'  ce  heu  au  continent ,  ôc  Dragut  qui  etoit  venu  a  Zerbi  avec 

l'élite  de  fes  troupes ,  avoit  laiffé  Tripoli  fi  peu  en  état  de  fe  dé- 
fendre ,  que  les  Chrétiens  n'auroient  pas  eu  de  peine  à  s'en  em- 
parer ,  ôc  euflent  terminé  heureufement  la  guerre.  Les  quatre 
galères  que  Corne  avoit  fournies ,  ôc  que  montoit  le  jeune  duc 
de  Bibona,  en  qualité  de  volontaire ,  avoient  été  forcées  par 
la  tempête  de  s'arrêter  à  Malte.  Ayant  fait  de  l'eau  à  Lam- 
pedofa  éloigné  du  Goze  de  trente  ôc  un  mille  pas ,  elles  abor- 
dèrent à  Zerbi ,  où  elles  mirent  des  hommes  à  terre  pour  rem* 
plir  les  tonneaux ,  dans  la  crainte  de  manquer  d'eau.  Deux  cens 
Efpagnols  >  qui  regagnoient  tranquillement  leurs  galères ,  après 
avoir  fait  la  provifion  nécefiaire ,  furent  tout  à  coup  envelop- 
pez par  les  Maures  fuperieurs  en  nombre ,  qui  les  menèrent 
fort  rudement.  Une  partie  fut  défaite,  les  autres  s'étant  jettez  à 
la  mer,fe  fauverent  à  peine.  Adrien  Garcia,  Alfonfe  de  Gufman, 
ôc  Pierre  Vanegas  furent  tuez  en  cette  occafion.  François  d'An- 
tonio ôc  Pierre  Bermudés  furent  faits  prifonniers ,  ôc  plufieurs 
autres.  Cela  arriva  le  17  de  Février.  Le  Viceroi  de  Sicile 
envoya  quelques-uns  des  Arabes  de  Mahumut  au  Roi  de  Car- 
van  ,  ôc  lui  écrivit  pour  lui  apprendre  fon  arrivée ,  ôc  le  prier 
de  venir  le  trouver ,  afin  de  conférer  enfembîe  fur  l'intérêt  com- 
mun >  Ôc  de  joindre  enfuite  leurs  forces  contre  Dragut.  Quel- 
ques jours  après  ,  quatre  bâtimens  de  tranfport ,  où  l'on  avoit 
embarqué  des  troupes  Allemandes  fous  la  conduite  de  Jofeph 
Trémarchi ,  vinrent  joindre  la  flotte.  Tandis  qu'elle  étoit  à  l'an- 
cre au  port  de  Secco  di  Palo  ,  environ  deux  mille  hommes  mou- 
rurent de  diverfes  maladies ,  dont  ils  avoient  la  plupart  été 
attaquez  en  Sicile,  ôc  dans  Tille  de  Malte,  ôc  que  l'intempé- 
rie du  climat ,  jointe  aux  mauvaifes  eaux  avoit  beaucoup  aug- 
mentées. Car  le  terroir  de  Secco  di  Palo  étant  fec  ôc  aride,on  y  a 
creufé  des  puits  ,  où  Ton  trouve  des  fources,  dont  Teau ,  quoique 
douce ,  a  une  qualité  fort  contraire  à  la  fanté.  Tous  les  jours  il 
mouroit  un  grand  nombre  de  Chrétiens ,  qu'on  jettoit  à  la  mer, 
de  peur  qu'en  les  enterrant ,  Tair  ne  fut  encore  plus  infe£té. 
Le  premier  de  Mars  on  affembla  le  confeil ,  pour  délibérer 


Mu.m.1  n  p.ijumiiPi  nu  i 


DE   J.  A.  DE  THOU  Liv.  XXVI.       ?PP 

fur  les  opérations  de  la  guerre.  Les  uns  étoient  d'avis ,  qu'on 
abandonnât  cette  expédition,  quoiqu'on  eut  eu  de  bonnes  rai-  Char  LE 
fonspour  l'entreprendre;  difant  que  les  conjonctures  préfentes  j  x. 
dévoient  changer  les  deffeins ,  ôc  qu'il  y  auroit  de  la  témérité  à  \  <:  6q9 
vouloir  toujours  combattre  contre  le  ciel  ôc  la  mer.  Les  au- 
tres ,  qui  croyoient  qu'on  ne  pouvoit  fans  honte  revenir  en  Si- 
cile, dont  on  étoit  parti  depuis  long-tems,  fans  avoir  rien  fait, 
foùtenoient  que  l'on  devoit  demeurer  encore  quelque  tems,  at- 
tendre que  le  nouveau  renfort,  que  le  Viceroi  faifoit  venir,  fût 
arrivé,  &  enfuite  achever  l'expédition  de  Tripoli.  On  propofa  un 
troifiéme  avis ,  auquel  tous  fe  rendirent.  Ce  fut  d'abandonner 
SeccodiPalo,  de  retournera  Zerbi,  quin'étoit  pas  plus  éloigné 
de  Tripoli.  On  dit  que  les  foldats  fe  rafraichiroient  en  ce  lieu 
ôc  s'y  rétabliroient  de  leurs  fatigues  ôc  de  leurs  maladies  ;  qu'on 
y  attendroit  tranquillement  le  fecours  qui  devoit  arriver;  après 
quoi  on  iroit  à  Tripoli,  lorfquela  faifonôc  les  vents  fe  décla- 
reroient  favorables.  En  même  tems ,  on  chargea  celui  qui  avoir 
la  principale  autorité  dans  le  continent,  qui  communique  à  fille 
de  Zerbi  par  un  pont ,  ôc  qui  avoit  offert  fes  fervices  ôc  fes 
forces  au  V  iceroi ,  de  fortifier  fon  payis ,  Ôc  de  ne  laiffer  paffer 
aucun  Turc  dans  fille.  On  l'affura  d'une  grande  récompenfe. 
Le  même  jour  on  appareilla ,  ôc  l'on  arriva  heureufement  à 
Zerbi  par  un  vent,  qui  n'eût  pas  permis  de  faire  route  vers  Tri- 
poli. Toute  l'armée  ayant  débarqué ,  on  forma  un  camp  le  7 
de  Mars  à  dix  milles  du  principal  bourg  de  l'ifle.  Cet  endroit 
qu'on  avoit  choifi ,  étoit  hors  d'infulte  du  côté  des  infulaires. 
L'air  y  étoit  bon,  ôc  l'eau  à  portée.  On  reconnut  en  arrivant, 
que  les  habitans  étoient  mal  intentionnez.  Deux  Maures ,  qui 
vinrent  fur  le  foir  au  camp  ,  fous  prétexte  de  féliciter  le  Vice- 
roi  fur  fon  arrivée,  ôc  qui  étoient  de  véritables  efpions ,  con- 
firmèrent ce  Général  dans  fon  opinion.  Ils  dirent,  que  le  Xe- 
chés  leur  maître  étoit  difpofé  à  fe  mettre  fous  la  protection  du 
Roi  d'Efpagne  ;  mais  qu'ils  fupplioient  le  Viceroi  de  retirer  fes 
troupes  de  l'ifle  ,  en  un  tems,  où  il  n'y  avoit  aucune  jufte  rai- 
fon  de  faire  la  guerre;  ajoutant,  que  s'il  vouloit  bien  le  retirer 
à  la  Rochette,  le  Xechés  l'y  viendroit  trouver,  pour  conférer 
avec  lui  ;  qu'au  refte  les  infulaires  étoient  fi  irritez  de  ce  grand 
armement,  qu'on  n'efperoit  pas  les  pouvoir  contenir.  La  Cer- 
da  leur  fit  réponfe  ;  qu'il  n'étoit  pas  venu  chez  eux ,  comme  en- 


€oo  HISTOIRE 

^  nemi  i  que  la  tempête  i'avoit  conrraint  de  relâcher  dans  ïeuf 

Chari  f  hle ,  lorsqu'il  faifoit  route  vers  Tripoli;  que  ion  deflein  avoit 
Txr  toujours  été  d'aller  attaquer  cette  dernière  ville  ,  ôc  après  cette 
/  expédition  de  venir  dans  leur  ifle,  pour  en  chaifer  les  Turcs, 
6c  rétablir  leur  Prince  dans  fon  ancienne  puiflance  :  qu'au  refte 
il  ne  pouvoit  être  fâché ,  que  les  vents  contraires  l'euiïent  fait 
aborder  chez  eux  plutôt  qu'il  n' avoit  réfolu,  puifqu'il  trou  voit 
les  efprits  difpofez  à  la  paix  ;  mais  qu'il  ne  croyoit  pas  devoir 
fortir  de  l'ifle,  où  fon  armée  étoit  campée  ,  avant  que  d'a- 
voir réglé  certaines  conditions  avec  le  Xechés  ,  &  fait  plu- 
fieurs  provifions  ,  dont  fa  flotte  avoit  befoin  :  qu'il  avoit  réfo- 
lu d'aller  camper  le  lendemain  près  de  Pozzi  ,  à  trois  milles 
du  château  du  Xechés  3  où  il  prioit  ce  Prince  de  vouloir  bien 
fe  rendre ,  pour  régler  enfemble  ce  qui  concernoit  l'intérêt  com- 
mun. Après  cela  le  Viceroi  congédia  les  envoyez. 

La  même  nuit  deux  efclaves  Chrétiens,  qui  avoient  trouvé 
moyen  de  tromper  la  vigilance  de  leurs  maîtres  ,  vinrent  trou- 
ver le  Général ,  ôc  lui  dirent ,  qu'à  l'arrivée  de  la  flotte,  les  Turcs 
avoient  abandonné  l'ifle,  dont  ils  étoientles  maîtres  ;que  Dra- 
gut  étoit  retourné  à  Tripoli  '■>  qu'il  avoit  aufîi-tôt  fait  partir  pour 
Conftantinople  Ulucciali ,  fameux  corfaire  renégat  né  en  Cala- 
bre,  dont  j'aurai  occafîon  de  parler  plufieurs  fois  dans  le  cours 
de  cette  hiftoire  :  qu'Ulucciali  avoit  monté  les  deux  galères , 
dont  j'ai  fait  mention  ci-deflus ,  avec  des  préfens  pour  l'Em- 
pereur Soliman  ,  ôc  les  Grands  de  la  Porte  >  qu'il  avoit  or- 
dre d'avertir  fa  Hautefle  de  l'arrivée  de  notre  flotte ,  Ôc  de  lui 
demander  un  prompt  fecours  ;  ôc  que  de  plus  les  foldats  Turcs 
ôc  Maures ,  qui  croient  reftez  dans  le  bourg  voifm  du  château 
du  Prince  ,  dévoient  le  lendemain  attaquer  le  ViceroL  L'a- 
vis des  efclaves  fit  que  le  lendemain  l'armée  marcha  avec 
précaution  ,  ôc  en  ordre  de  bataille  ;  de  Sande  prit  les  de- 
vans  ,  pour  marquer  un  camp  près  de  Pozzi.  Les  Chevaliers 
de  Malte  marchoient  à  la  tête  de  l'armée  ,  avec  deux  mille 
hommes  François  ôc  Allemands.  Trois  mille  Italiens  étoient 
au  centre ,  &  autant  d'Efpagnols  à  î'arriere-garde.  L'armée ,  qui 
étoit  de  quatorze  mille  hommes ,  lorfqu'on  avoit  fait  voile  de 
Mefline,  fetrouvoit  alors  réduite  à  ce  petit  nombre.  Le  Viceroi 
trouva  fur  fon  pafTage  Mezuar,  lieutenant  du  Xechés  ,  qui 
venoit  pour  excufer  le  Prince,  de  n'avoir  pas  été  au-devant  du 

Général  * 


DE  J.  A.  DE   T  HOU  ,Liv.  XXVI.       601 

Général,  fur  ce  que  Tes  fu  jets  s'y  étoient  oppofez.  Les  Chrétiens  '         - 

placèrent  leur  camp  eu  un  lieu  ,  qui  n'étoit  éloigné  que  de  deux  Charle 
milles   de  celui  où  étoit  le  Xechés ,  qu'une  colline  féparoit        IX. 
des  nôtres.  On  entendoit  le  l'on  des  tambours  des  Infidèles ,     i  $  6  o, 
qui  battent  trois  fois  pour  donner  le  lignai  du  combat.  Le  Prin- 
ce envoya  demander  une  entrevue  au  Viceroi,  qui  craignant 
quelque  fupercherie,  lui  renvoya  Mezuar,  avec  ordre  de  lui  dire, 
qu'd  iroit  le  trouver  le  lendemain ,  quand  il  auroit  fait  repo- 
fer  fes  foldats. 

Auffi-tôt  il  range  fon  armée  en  bataille.  Les  Efpagnols ,  que 
commandoit  Don  Louis  Oforio,  formoient  une  aile.  L'autre,qui 
étoit  du  côté  de  la  mer ,  étoit  compofée  des  Italiens  ,  qui  avoient 
à  leur  tête  Chirico  Spinola.  Les  Chevaliers  de  Malte ,  les  Al- 
lemands ,  ôc  les  François  étoient  au  milieu.  Toute  l'armée  étoit 
foutenuë  d'arquebufiers  placez  en  différentes  lignes.  Quand 
on  fe  fut  avancé  ,  on  apperçût  les  Maures  ,  qui  fortoient 
de  derrière  la  colline.  Ils  vinrent  fondre  d'abord  fur  les  nôtres 
en  jettant  de  grands  cris ,  félon  leur  coutume  ;  puis ,  voyant 
que  la  nuit  approchoit  ,  ils  fe  retirèrent ,  après  avoir  perdu  envi- 
ron cent  cinquante  hommes.  La  perte  des  Chrétiens  ne  fut 
que  de  trente  tant  officiers  que  foldats.  Les  capitaines  Bar- 
thelemi  Gonzalez ,  Ôc  Alfonfe  Padilla  furent  tuez  en  cette  oc- 
cafion  ,  ainfi  que  Frias,  capitaine  de  la  galère  la  faint  Jac- 
que.  Un  gentilhomme  François,  dont  l'hiftoire  ne  nous  a  pas 
confervé  le  nom ,  demeura  audi  fur  la  place.  Grégoire  Ruiz 
fut  dangereufement  bleffé ,  ôc  mourut  peu  après.  Le  colonel 
Ambroife  de  Milan,  Jean  Antoine  Bifballe  Chevalier  de  Mal- 
te, ôc  Tremarchi  fe  fignaîerent  en  ce  combat.  Cependant  on 
nétoya  les  puits ,  que  les  Maures  avoient  remplis  de  pierres  ôc 
de  fable,  pour  empêcher  les  Chrétiens  de  puifer  de  l'eau.  Les 
foldats  rentrèrent  dans  leur  camp ,  ôc  fe  rirent  des  tentes  à  la 
hâte  avec  des  branches  de  palmiers  ôc  d'oliviers  ,  au  défaut  des 
toiles ,  qu'on  avoit  laifTées furies  vaiffeaux.  Enfuite  André  Doria, 
fit  partir  Dom  Sanche  de  Levé  avec  fes  galères ,  pour  fe  rendre 
le  maître  de  ce  petit  bras  de  mer ,  qui  entre  dans  J'ifle.  On  lui 
donna  les  capitaines  Çogliazos,ôc  Hercule  Medices,  pour  com- 
battre au  befoin,  avec  les  troupes  déterre  qu'ils  commandoient. 
De  Levé  ayant  payé  aux  Arabes  de  Mahamut  l'argent  qu'on 
Tom.  I1L  Gggg 


tem 


€02  HISTOIRE 

-  leuravoit  promis,  leur  fit  faire  ferment  de  garder  exactement 


Char  le  l'entr^e  du  pont' 

j  x  Le  Xechés  voyant  que  fes  rufes  ne  lui  avoient  pas  réuiïi ,  ôc 

1  ?  6  o  d'ailleurs  n'ayant  pas  affez  de  troupes  pour  oppofer  aux  Chré- 
tiens ,  envoy  oit  tous  les  jours  un  homme,  qui  plantoit  un  dra- 
peau blanc  fur  la  terre,  à  la  vue  de  notre  camp,  enfigne  de  paix, 
&  lahToit  une  lettre  au  pie.  Ce  Prince  marquoit  par  cet  écrit, 
qu'il  étoit  prêt  de  reconnoître  Philippe  pour  fon  Souverain , 
de  lui  obéir  en  toutes  chofes ,  ôc  même  de  lui  payer  un  tribut. 
Le  Viceroi ,  quiaimoit  mieux  impofer  des  conditions  aux  vain- 
cus ,  que  de  conclure  la  paix  fuivant  leurs  offres  ,  ne  faifoit 
point  de  réponfe ,  ôc  attendoit  qu'on  eût  débarqué  les  vivres, 
le  canon  ,  ôc  les  autres  munitions  de  guerre.  Après  cela  il 
quitta  fon  camp  vers  la  moitié  du  mois  de  Mars ,  pour  mar- 
cher aux  ennemis.  Le  Xechés  ,  épouvanté  à  l'approche  de  l'ar- 
mée ,  envoya  dire  au  Général  qu'il  étoit  prêt  de  lui  livrer  le 
bourg ,  ôc  de  lui  donner  des  otages ,  durant  qu'on  drefferoit  les 
articles  de  la  capitulation.  Ce  qui  ayant  été  accepté,  la  paix 
fut  conclue  :  le  Confeil  jugea ,  qu'il  valoit  mieux  recevoir  la 
foi  du  barbare,  que  de  le  forcer  à  fe  rendre,  ôc  qu'il  étoit 
plus  avantageux  d'être  maître  de  cette  ifle  par  un  traité,  que 
de  s'y  établir  3  après  avoir  porté  par  tout  le  fer  ôc  le  feu.  L'ac- 
cord fut  fait ,  par  l'entremife  d'un  jeune  homme  nommé  Alrhan- 
zor,  favori  du  Xechés,  ôc  qui  étoit  fils  d'un  renégat,  lequel 
avoit  été  Alcaïde  en  Bifcaye ,  province  de  l'Efpagne ,  ôc  par  la 
médiation  de  Baltafar  Gago  Portugais ,  qui  fçavoit  la  langue 
du  payis.  Les  Efpagnols ,  qui  s'étoient  flattez  de  faire  un  grand 
butin,  murmuroient  contre  le  traité,  ôc  tranfportez  de  rage 
jettoient  leurs  cafques ,  ôc  leurs  armes  çà  ôc  là.  Un  d'entre  eux, 
nommé  Ordonez ,  fe  voyant  enlever  une  proie ,  qu'il  avoit  com- 
me dévorée  d'avance  ,  fut  fi  tranfporté  de  rage  ,  qu'il  fe  coupa 
la  gorge  avec  fon  couteau.  Alors  Baraona  Meftre  de  camp , 
Jérôme  de  la  Cerda ,  ôc  Etienne  Monreaie  eurent  ordre  de  fe 
rendre  au  bourg,  ôc  d'en  prendre  pofTefTïon  au  nom  du  Roi 
d'Efpagne.  Aufli-tôt  on  fongea  à  élever  des  Forts ,  pour  tenir 
en  refpecl  les  Maures  ,  peuple  naturellement  léger ,  ôc  accou- 
tumé de  tout  tems  aux  défections ,  ôc  aux  révoltes.  On  réfolut 
aufli  de  fortifier  Fille  >  fuivant  un  plan  que  donna  Antoine  Conté, 


DE  J.  A.  DE  THOU,  Liv.  XXVI.         tfo? 
ïe  plus  habile  ingénieur  de  ce  fiécle  là  ,  pour  empêcher  les 
defcentesdes  pirates,  qui  ïe  retiroient  fouventen  ce  lieu,  d'où  Char  le 
ils  venoient  ravager  les  côtes  d'Afrique ,  de  la  Sicile ,  ôc  l'ifle  de       j  x 
Malte,qui  en  font  peu  éloignées.  L'ouvrage  fut  commencé  le  1 8     1  ç  5  o 
de  Mars.  On  aiïignaà  chaque  nation  un  quartier  dans  le  bourg. 
On  éleva  quatre  Forts,qu'on  avança  conndérablement,par  l'ému- 
lation de  ceux  quitravaiiloient  à  ces  ouvrages;  enforte  qu'on  mit 
en  peu  de  tems  cette  bourgade  en  état  de  foûtenir  un  fiége. 

André  de  Gonzague  prit  le  foin  de  la  conftruction  du  Fort,  qui 
regardoit  l'Orient.  Les  Chevaliers  fe  chargèrent  d'en  faire  un 
autre  du  côté  de  l'Occident.  Le  Viceroi  voulut  avoir  l'inf- 
pection  de  celui  qu'on  batiifoit  au  midi  5  ôc  André  Doiïa  eut 
la  direction  d'un  quatrième,  que  l'on  conftruifoit  entre  ceux  du 
Viceroi  ,&c  des  Chevaliers  de  Malte.  Du  refte  toute  la  plage, 
qui  s'étend  du  couchant  au  nord ,  eft  défendue  par  une  langue 
de  terre  environnée  de  la  mer  >  ôc  celle  qui  s'étend  du  nord 
au  levant  eft  gardée  par  une  longue  muraille ,  qui  va  en  biai- 
fant ,  fuivant  le  terrain ,  où  l'on  faifoit  des  réparations  de  tems 
en  tems.  On  eut  foin  fur  tout ,  que  ce  lieu  eut  de  l'eau  douce 
en  abondance ,  ôc  l'on  donna  ordre  aux  foldats  de  la  garnifon 
de  voiturer  chaque  jour  dans  la  citadelle  cinquante  muis  d'eau, 
qu'on  faifoit  couler  dans  deux  grandes  citernes  conftruites  à  cet 
ufage.  PVlais  ils  exécutèrent  anez  mal  ce  qu'on  leur  avoir  com- 
mandé ;  aimant  mieux  s'occuper  à  porter  dans  les  vaiffeaux  des 
laines  ôc  des  huiles,  dont  ils  efperoient  tirer  un  grand  profit  5  Ôc  ce 
fut  cette  négligence  qui  caufa  principalement  la  perte  du  bourg. 

Cependant  on  vit  arriver  les  recrues ,  que  le  Viceroi  avoir 
fait  lever  dans  l'ifle  de  Malte.  On  en  tira  mille  foldats,  dont  on 
augmenta  la  garnifon  de  la  citadelle ,  fous  les  ordres  deBarao- 
na ,  ôc  d'Olivera  fon  lieutenant.  Le  5*  de  Mai ,  jour  qu'on  avoit 
marqué  au  Xechés ,  pour  prêter  le  ferment  au  Roi  d'Efpagne  , 
ce  Prince  arriva  avec  une  nombreufe  fuite  de  fes  fujets  en  un 
lieu ,  dont  on  étoit  convenu  ,  qui  étoit  éloigné  du  camp  d'envi- 
ron un  mille.  Il  préfenta  l'étendard  verd  de  Dragut ,  en  figne 
de  l'alliance  qu'il  alloit  contracter.  Enfuite  ayant  prononcé 
les  paroles  du  ferment  fous  certaines  conditions ,  il  éleva  trois 
fois  le  drapeau  verd  ,  011  l'on  voyoit  les  armes  d'Efpagne.  Au 
refte  on  obligea  le  Xechés  à  payer  tous  les  ans  un  tribut  de  fix 
mille  écus  d'or  3  à  donner  aufïï  annuellement  un  chameau , 

Ggggi; 


tfo*  HISTOIRE 

■  quatre  autruches ,  quatre  faucons  de  Nubie ,  Ôc  quatre  gazel- 

^  les.  Peu  après  le  Roi  de  Carvan  fe  rendit  au  camp  des  Chré- 

j  y^  tiens  ,  fuivi  feulement  de  huit  cavaliers.  Il  avoit  été  long-tems 
'  malade ,  ôc  dès  qu'il  eut  recouvré  fa  famé,  il  vint  aiTurer  le 
Viceroi  de  fon  zélé  pour  le  progrès  des  armes  de  Philippe.  On 
rendit  de  grands  honneurs  à  ce  Prince ,  qui  avoit  laiffé  fes  trou- 
pes en  terre  ferme  ,  ôc  on  lui  affigna  un  logement  auprès  de  ce- 
lui du  Viceroi ,  ainfi  qu'au  fils  du  Roi  de  Tunis ,  qui  étoit  venu 
avec  le  Général.  Lorfque  la  Cerda  faifoit  travailler  nuit  ôc  jour, 
pour  avancer  les  ouvrages  ,  un  envoyé  du  Grand  Maître  de 
Malte  vint  lui  donner  avis  ,  qu'il  étoit  certain  qu'on  avoit 
équippé  dans  le  port  de  Conilantinopîe  quarante  galères  , 
qui  étoient  fur  le  point  d'en  partir  ,  pour  fecourir  Tripoli ,  ôc 
qu'elles  feroient  fuivies  de  la  flotte  des  Turcs,  qui  avoit  réfo- 
lu  de  reprendre  cette  ville ,  en  cas  que  les  Chrétiens  s'en  fulTent 
rendu  maîtres. 

André  Doria,  qu'une  maladie  retenoit  au  lit,  fut  très- affligé 
de  ces  nouvelles.  Il  ne  doutoit  point  que  ces  quarante  galères 
ne  fufTent  jointes  en  chemin  par  vingt  autres  galères  des  pira- 
tes, ôcque  Dragut  amenant  les  vingt-deux  qu'il  avoit,  les  Turcs 
ne  fuiTent  alors  fuperieurs  à  la  flotte  des  Chrétiens ,  ôc  ne  vinffent 
les  attaquer.  Ainfi  il  fit  de  grandes  inftances  auprès  du  Vice- 
roi ,  pour  l'engager  à  laifler  les  ouvrages  imparfaits ,  à  embar- 
quer les  foldats ,  à  aller  au-devant  des  Turcs  avec  tant  de  bra- 
ves gens  qui  étoient  fur  la  flotte,  ôc  à  leur  livrer  le  combat  dans 
l'Archipel,  avant  qu'ils  eufTent  reçu  du  renfort.  Ilajoûtoit,  que 
quand  on  les  auroit  battus ,  on  retourneroit  avec  confiance  à 
l'expédition  de  Tripoli.  Le  Viceroi  peu  touché  de  ces  fages 
avis,  ne  voulut  point  abandonner  Zerbi,  ôc  envoya  le  vicomte 
de  Cicala  avec  douze  galères  ,  pour  faire  des  provifions ,  ôc 
apporter  de  l'argent ,  quoique  Doria,  ôc  les  autres  généraux  lui 
repréfentalTent ,  qu'il  étoit  très-dangereux  dans  la  conjoncture 
préfente  d'affoiblir  la  flotte  par  ce  détachement.  Dans  le  mê- 
me tems ,  le  bruit  s'étant  répandu  à  Naples  de  l'arrivée  de  la 
flotte  Ottomane ,  Ferdinand  Zapata  vint  trouver  le  Viceroi 
avec  deux  frégates  légères ,  pour  lui  demander  de  ia  part  du 
lieutenant  générai  de  ce  Royaume  les  vieux  foldats  Efpagnols, 
qu'il  avoit  donnez  au  tems  de  l'armement ,  ôc  qui  lui  étoient 
nécefTaires  pour  la  défenfe  du  payis.Le  GrandMaître  redemanda 


DE  J.  A.  DE  THOU.Liv.  XXVL       60? 
auiïï  fes  galères,  qui  lui  furent  renvoyées  le   8   d'Avril  ',  ce-  - 

la  engagea  Doria,  qui  étoit  encore  malade,  de  prefTer   enco-  Charle 
re  plus  fortement  le  Viceroi  de  hâter  fon  départ.  Il  lui  en-       jx. 
voya  plusieurs  fois*  Tomacello  à  ce  fujen  s'ofTrant  même  de  fe     j  ^  $Qm 
rendre  garant  de  l'argent  qu'on  feroit  obligé  de  laifler  dans  la 
citadelle.  Mais  la  Cerda ,  qui  ne  penfoit  qu'à  achever  fes  ou- 
vrages ,  ôc  à  affurer  au  Roi  d'Efpagne  l'ifle  deZerbi,  rejettoit 
avec  opiniâtreté  les  plus  fages  confeils.  Cependant  Cicala  étant 
revenu  de   Sicile  ,  on  vit  arriver  une  frégate  envoyée  par  le 
Grand  Maître ,  que  montoit  le  Chevalier  Ugo  de  Coponés. 
Celui-ci  apporta  des  lettres  à  Doria ,  par  lefquelles  on  lui  don- 
noit  avis ,  que  le  7  de  Mai ,  ôc  fix  heures  avant  ces  lettres  écri- 
tes ,  on  avoit  apperçû  à  la  hauteur  du  Goze  quatre-vingt  galè- 
res 3  qui  compofoient  la  flotte  des  Turcs,  lefquelles  voguoient 
vers  les  côtes  de  l'Afrique. 

Doria  frémiffant  à  ces  nouvelles ,  envoya  auiîi-tôt  Guimeran, 
qui  fe  trouvoit  dans  la  chambre  où  il  étoit  malade  ,  porter  au 
Viceroi  les  lettres  qu'il  venoit  de  recevoir,  le  conjurant  de  tout 
quitter,  pour  monter  fur  fa  flotte,  ôc  de  ne  pas  attendre  que 
les  Turcs  les  fiflent  tous  prifonniers  ;  ce  qui  arriverait  certai- 
nement ,  s'ils  ne  trouvoient  moyen  de  s'échapper  à  la  faveur 
de  la  nuit.  La  Cerda  affembla  le  Confeil,  où  fe  trouvèrent 
entr'autres  officiers  Dom  Sanche  de  Levé,  ôc  Dom  Berenger  de 
Requefens,  généraux  des  galères  de  Naples  ôc  de  Sicile,Scipion 
Doria  3  qui  commandoit  les  galères  d'Antoine  fon  père  ,  ôc  le 
Vicomte  Cicala  très-expérimenté  dans  la  marine.  Après  de  lon- 
gues difputes ,  on  décida  >  que  le  Viceroi  ne  pourroit  fortir  de 
rifle ,  qu'en  emmenant ,  ôc  faifant  embarquer  avec  lui  toutes 
les  troupes.  Les  uns  avoient  foûtenu  dans  le  Confeil ,  que  la 
flotte ,  que  le  Sultan  envoyoit  à  Dragut ,  ne  pouvoit  venir  à  Zer- 
bi ,  ni  le  lendemain ,  ni  les  jours  fuivans  ;  qu'il  étoit  vrai-fem- 
blable  que  les  chefs  des  galères  Turques  iroient  trouver  d'a- 
bord celui  à  qui  elles  étoient  envoyées ,  pour  conférer  enièm- 
ble  des  opérations  qu'il  convenoit  de  faire  ;  que  cela  paroif- 
foit  clairement  par  les  lettres  du  Grand  Maître  ,  qui  marquoient 
que  les  Infidèles  faifoient  route  vers  le  midi  '■>  au  lieu  que  pour 
prendre  le  chemin  de  Zerbi,  il  auroit  fallu  tourner  vers  le  Sud- 
Oueft.  Doria  étoit  d'avis  qu'on  allât  d'abord  à  Tripoli  atta- 
quer Dragut  ■■>  qu'il  convenoit  cependant  ,  que  fi  les  Turcs 

Gggg  iij 


tôt  HISTOIRE 

11  *mm  rencontroient  la  flotte  Chrétienne  inférieure  à  la  leur ,  ils  ne 
Charle  nianqueroient  pas  de  l'attaquer  ;  mais  que  la  bouflble  auroit 
IX.        Pu  leur  fau*e  ten^r  une  route  incertaine  ,  parce  qu'elle  varie 
i  t  6  o.     beaucoup  dans  un  voyage  de  long  cours.  *  Enfin  on  refolut  3 
contre  l'avis  de  Doria,  d'envoyer  quelques  galères  vers  le  Le- 
vant ;  après  quoi,  fi  elles  ne  découvroient  aucuns  vaifleaux en- 
nemis, on  embarqueroit  tranquillement  les  troupes.  Après  ce 
réfuLtat ,  le  Viceroi  fe  rendit  au  Confeil  vers  le  milieu  de  la  nuit, 
ôc  déclara  qu'il  perfiftoit  dans  le  deflein  de  partir  avec  toutes  les 
troupes  ,  comme  il  l'avoit  promis  aux  foldatsj  ajoutant  que  s'il 
manquoit  à  fa  parole ,  il  ne  pourroit  à  l'avenir  foûtenir  leur  pré- 
fence.  Doria  lui  répondit  :  »  Si  perfiitant  dans  votre  deflein  vous 
«  livrez  la  flotte  aux  ennemis,  comment  pourrez- vous  foûtenir 
*»  la  préfence  du  Roi  s  des  Italiens  Ôc  des  Efpagnols  ?  Vous  fça- 
«  vez  que  la  confervation  de  la  flotte  doit  être  notre  premier  ob- 
»  jet.  Car  en  confervant  vos  galères,  vous  fauvez  les  troupes  que 
«  vous  devez  laifler  ,  ôc  tout  le  refte.  Vous  n'êtes  point  obligé 
»>  de  tenir  ce  que  vous  avez  promis  un  peu  légèrement ,  en  un 
»  tems  où  la  grandeur  du  péril  vous  difpenfe  de  vos  promefles." 
Défaite  de       La  Cerda ,  peu  touché  de  ces  raifons  ,  ordonna  aux  vaifleaux 
la  flotte  des    marchands  de  partir  fur  le  champ  ,  ôc  à  Doria  de  fe  mettre 

Chrétiens.  .  .  r  i     •        r  in  / 

en  mer  deux  heures  avant  le  pur  avec  toute  la  note ,  excepte 
deux  galères  -,  d'aller  à  la  découverte  au  lever  du  foleih  ôc  de 
revenir  à  Zerbi  pour  embarquer  toute  l'armée ,  s'il  ne  voyoit 
pas  la  flotte  des  ennemis.  Il  fit  même  laifler  tous  les  efquifs 
dans  ce  deflein.  Doria ,  obligé  d'obéir  à  des  ordres  qu'il  n'ap- 
prouvoit  pas  ,  partit  avec  toute  la  flotte  à  l'heure  marquée.  Il 
eut  d'abord  un  vent  favorable  ;  mais  il  fe  changea  vers  le  point 
dujour  en  un  vent  contraire,  qui  fouffloit  avec  tant  de  vio- 
lence ,  qu'on  avoit  bien  de  la  peine  à  le  foûtenir  à  force  de 
rames.  Dès  que  le  jour  commença  à  paroître ,  il  vit  la  flotte 
des  Infidèles ,  qui  pouflée  par  les  vents ,  venoit  fur  lui  à  plei- 
nes voiles.  Le  Bâcha  Piali  avoit  le  principal  commandement 
de  cette  armée  navale  ,  ayant  Suel  Aga  pour  fon  lieutenant. 
Cara  Muftapha  Capitan  Bâcha  commandoit  les  galères.  A  cet- 
te vue'  Doria  s'écria  :  «  J'avois  prévu  ce  malheur.  La  témérité 
*>  l'a  emporté  fur  la  prudence.  Nous  périffons  par  la  faute  d'au- 
«  trui.  »  Alors  les  Chrétiens  faifis  de  crainte  ,  6c  ne  fçachant 
à  quoi  fe  refoudre  }  prennent  enfin  le  parti  de  faire  échouer 


DE  J.  A.  DE  THOU,   Liv.  XXVI.      6o7 

leurs  galères  contre  des  rochers  ,  ou  fur  le  rivage.   La  plus     ,      ,     ,. 
grande  partie  de  l'équipage  fe  noya,  en  voulant  fe  fauver  à  pHARLE 
la  nage  :  peu  gagnèrent  la  terre  :  plufieurs  furent  faits  prifon-        y  y 
niers.   Scipion  Doria  fe  fauva  avec  fa  galère  vers  le  Levant  à  ' 

force  de  rames  ,  ayant  inutilement  fait  des  fignanx  à  la  galère        ' 
Y  Etrangère ,  pour  l'engager  à  le  fuivre.  Celles  qui  fe  fauverent 
du  combat,  fe  réfugièrent  dans  les  ports  de  Malte,  de  Sici- 
le ou  de  Naples.  Cinq  gagnèrent  le  canal  de  Zerbi ,  qui  en- 
tre dans  l'ifle,  ôc  vinrent  près  des  lieux  qu'on  avoit  fortifiez. 
Jean- André  Doria  ,  qui  montoit  la  capitane,  ôç  qui  étoit  prêt 
d'entrer  dans  le  même  canal ,  enfonça  dans  le  fable ,  quoi  qu'il 
eût  allégé  fa  galère  qui  étoit  fort  pefante ,  ôc  échoua  contre 
des  rochers.   Aufli-tôt  il  arrache  le  pavillon  royal,  ôc  montant 
fur  un  petit  bâtiment  marchand  ,  il  aborde  dans  Fille  près  des 
Forts ,  abandonnant  la  capitane  ,  qui  fut  prife  par  les  Turcs. 
On  perdit  dans  cette  occafion ,  qu'on  peut  appeller  une  déroute, 
dix-neuf  galères  ,  ôc  quatorze  bâtimens  de  charge  ,  qui  por- 
toient  les  malades.  Les  Turcs  firent  environ  cinq  mille  pri- 
fonniers  j  entre  autres  l'évêque  de  Majorque ,  Sanche  de  Levé 
avec  fes  deux  fils ,  lequel  s'étoit  long-tems  défendu  >  Bérenger 
de  Requefens  j  Bernard  Adana  meftre  de  camp  j  Gafton  de  la 
Cerda  fils  du  Viceroi ,  encore  enfant  5  Jean  Ôc  Frédéric  de 
Cardona  1  ôc  Raphaël  Cades  chevalier  de  Malte. 

Plufieurs  autres  furent  comptez  encore  au  nombre  des  pri- 
fonniers ,  parce  qu'ils  ne  parurent  plus  après  la  défaite  >  com- 
me Galeas  Farnefe;  Baltaffar  Mezavilla  5  Alfonfe  delPalla,ôc 
Antoine  Conté,  officiers  principaux  des  troupes  ou  des  galères  5 
aufïi-bien  que  les  capitaines  Sarra  Smaragdi ,  François  Henri- 
qués,  Lopés  de  Figueroa,  ôc  plufieurs  autres.  Flaminio  d'An- 
guillara  Générai  des  galères  du  Pape ,  ne  put  fe  fauver ,  ayant  fa 
vergue  brifée,  ôc  tomba  entre  les  mains  des  Turcs  :  il  mourut  peu 
après  d'un  coup  de  moufquet  quil  avoit  reçu  dans  le  combat. 
Dès  que  Jean- André  Doria  fut  arrivera  Cerda  alla  trouver 
ce  Général ,  qu'une  fi  grande  défaite  ,  au  mépris  de  fes  confeils , 
outroit  de  douleur  ôc  de  dépit.  «  Doria,  lui  dit-il,  vous  quifeul 
«  n'êtes  pas  coupable  de  nos  pertes,  Dieu  l'ayant  permis  am- 
as fi,  ôc  qui  êtes  plus  fage  que  tous ,  que  me  confeillez-vous 
»  aujourd'hui  ?  »  Doria  lui  répondit  :  «  Vous  avez  le  comman- 
»  dément  fur  les  troupes  de  terre  5  c'eft  à  vous  à  régler  leur  fort. 


6oS  HISTOIRE 

„ .„.„,—  3»  Pour  moi,  qui  fuis  Général  des  galères ,  j'ai  réfoîu  de  monter 

^  o>  fur  le  champ  une  frégate  légère ,  pour  me  rendre  àMefïïne , 

jY         »»  ôc  y  recueillir  les  débris  de  la  flotte.  »  Le  Viceroi  fe  rendit  à 
cet  avis,  quoi  qu'il  le  jugeât  d'abord  un  peu  téméraire.  Il  vou- 
'  loit  emmener  avec  lui  Alvaro  de  Sande.  Mais  cet  officier ,  qui 

ne  fçavoit  ce  que  c'étoit  que  de  craindre,  voyant  que  tout  étoic 
confterné  6c  abattu  ,  &  jugeant  que  Baraona ,  malgré  fon 
grand  courage  ,  ôc  fon  activité, ne  pouvoit  foûtenir  feul  le 
poids  du  commandement  dans  Fille ,  gouverner  tant  d'hom- 
mes de  différentes  nations,  prévoir  ôc  foûtenir  tant  d'obflacles 
Ôc  d'incommoditez  qu'on  avoit  à  redouter ,  ôc  combattre  non- 
feulement  contre  les  hommes ,  mais  'contre  la  faim  ôc  la  foif  » 
ôc  contre  la  nature  même ,  offrit  de  fervir  dans  fille ,  ôc  de  fé- 
conder le  Gouverneur  du  château  par  fes  foins  ôc  par  fes  con- 
feils.  Ce  grand  homme  pouvant  partir  avec  les  autres  Chefs  , 
ôc  éviter  un  péril  prefque  certain ,  aima  mieux  fe  facrifier  à  la 
défenfe  d'un  lieu ,  qui  n'avoit  point  été  confié  à  fes  foins  ,  ôc 
préfera  à  fa  propre  confervation  la  gloire  ôc  les  avantages  de 
fa  patrie  ôc  ae  fon  Roi.  Le  Viceroi  admirant  fon  courage, 
le  combla  de  louanges ,  Ôc  lui  donna  le  premier  commande- 
ment dans  l'ifle ,  ôc  dans  les  troupes  qu'il  y  laiffoit.  Elles  con- 
fiftoient  en  cinq  mille  hommes ,  François ,  Italiens  ou  Efpa- 
gnols ,  ôc  en  quelques  efcadrons  de  cavalerie  légère.  Il  lui  pro- 
mit de  plus  ,  que  dès  qu'il  feroit  arrivé  en  Sicile ,  ôc  qu'il  au- 
roit  pu  raffembler  les  reftes  de  fa  flotte ,  qu'il  feroit  les  plus 
grands  efforts  pour  le  fecourir ,  ôc  pour  le  mettre  en  état  de  ne 
pas  craindre  un  fiége.  Le  Grand  Maître  lui  donna  les  mêmes 
affurances  par  fes  lettres  ôc  par  fes  Envoyez. 

Après  cela  ,  le  Viceroi ,  Jean-André  Doria,  le  comte  de 
Vicari ,  Urriez ,  Dom  Jofeph  d'Aragon  ,  Louis  Oforio ,  ÔC 
Scipion  de  Tolfa  ,  qui  s'étoient  fauvez  du  combat ,  montè- 
rent fept  frégates  légères ,  ôc  étant  partis  en  gardant  un  pro- 
fond iilence  ,  arrivèrent  heureufement  à  Malte ,  ôc  enfuite  à 
Siracufe  ,ou  à  Mefline.  Le  roi  de  Carvan,  ôc  le  fils  du  roi  de 
Tunis ,  craignant  le  reffentiment  des  Turcs ,  fe  retirèrent  avec 
cinq  mille  Maures.  Quelque  tems  après ,  croyant  que  le  Vice- 
roi étoit  encore  à  Zerbi  ,  ils  firent  dire  aux  Chrétiens  qui 
étaient  afliégez  dans  l'ifle ,  tant  en  leur  nom  qu'au  nom  du 
Xechés  de  Zerbi,  qu'ils  n'étoient  éloignez  que  de  quatre  jours 

de 


DE  J.  A.  DE  TH  OU  j  Liv.  XXVI.      6o9 

de  chemin;  &  que  fi  le  Viceroi  le  fouhaitoit,  ils  le  viendroient 
trouver  avec  deux  mille  chevaux,  ôc  toutes  fortes  de  muni-  Chat  le 
tions.   Cependant  Alvare  de  S  an  de  fait  fortifier  fon  ifle  avec       j^ 
une  extrême  diligence,  ôc  ayant  brifé  les  galères  qui  rcftoient     i  ^  <$0 
dans  le  port ,  il  en  employé  le  bois  à  fes  ouvrages  ,  6c  fait 
placer  fur  les  Forts  onze  canons  de  différentes  grandeurs. 

Enfin  la  flotte  des  Turcs ,  que  Dragut  avoit  jointe  avec  onze      Arrivée  de 
galères ,  arriva  à  Zerbi ,  avant  levé  pîufieurs  efcadrons  de  ca-  la  flott^  dcs 

°  i      .      v  t  '     J"       o      J  l  Av  •      J  't_  '    Turcs  d.ms 

valene  a  Iripoli  ,  oc  dans  les  environs.  Apres  avoir  débarque  nfle  de  2«bi 
leurs  foldats ,  ils  mirent  le  (iége  devant  le  château.  Alors  les 
afliégez  tinrent  confeil  ,  pour  fçavoir  quel  parti  on  devoit 
prendre.  Pîufieurs  étoient  d'avis  qu'on  fît  une  vigoureufe  for- 
tie  fur  les  Turcs  ,  ôc  que  l'on  profitât  de  la  confufion  6c  du 
défordre  qui  régnent  dans  une  armée ,  lorfqu'on  fait  le  débar- 
quement. Ils  ajoûtoient  qu'il  ne  leur  reftoit  que  ce  moyen  là, 
de  conferver  leurs  vies  par  une  courageufe  attaque?  qu'ils  ne 
dévoient  pas  attendre ,  qu'accablez  de  travaux  ,  couverts  de 
bleffures ,  6c  manquant  de  vivres ,  ils  tombafient  entre  les  mains 
de  leurs  cruels  ennemis,  qui  les  égorgeroient  comme  des  bê- 
tes ,  ou  leur  feraient  fouffrir  une  éternelle  captivité  ,  plus  in- 
fuportable  que  la  mort  ;  que,  quelque  ifTuë  qu'eût  leur  entre- 
prife  ,  elle  leur  feroit  avantageufe  j  que  fi  la  fortune  fecondoit 
leurs  deiTeins,  ils  délivreroient  par  leur  courage,  ôc  par  une  vic- 
toire fignalée ,  leur  Roi  ôc  toute  la  République  Chrétienne  du 
péril  dont  ils  étoient  menacez  j  que  fi  au  contraire  ils  étoient 
vaincus ,  leur  fort  feroit  peu  à  plaindre ,  puifqu'en  avançant  de 
deux  mois  feulement  la  fin  de  leurs  jours ,  ils  éviteroient  par 
une  mort  honorable,  que  doit  fouhaiter  tout  homme  de  coeur  > 
une  deftinée  honteufe  ,  ou  une  fervitude  cruelle. 

Mais  Alvare  de  Sande  ne  fut  pas  de  ce  fentiment.  Il  avoit 
réfolu  de  fe  défendre  jufqu'à  l'extrémité,  de  fatiguer  les  Turcs 
par  une  réfiftance  opiniâtre ,  ôc  de  leur  faire  confumer  tout  l'été 
devant  ce  château  ;  tandis  que  les  Chrétiens  répareroient  leurs 
pertes  ,  fortifieraient  leurs  places  maritimes ,  ôc  pourroient 
amaffer  toutes  fortes  de  munitions  de  guerre  6c  de  bouche. 
D'ailleurs  il  voyoit  un  péril  certain  à  aller  attaquer  les  Turcs 
fur  le  rivage,  parce  qu'on  ne  pouvoit  aller  à  eux  ,  qu'en  tra- 
verfant  des  plaines  ,  d'où  l'on  feroit  apperçu  de  loin  par  les 
ennemis ,  qui  auroient  le  teins  alors  de  mettre  leurs  troupes 
h  terre  ,  de  les  mettre  en  ordre  de  bataille  ,  ou  d'envoyer 
Tome  III.  Hhhh 


610  HISTOIRE 

.  même  un  gros  d'arquebufiers  ,  pour  arrêter  îes  Chrétiens  dans 


Charle  *eur  marcne  »  tandis  qu'ils  acheveroient  leur  débarquement 
IX.        ^  ajoûtoit  ,  que  fi  une  fois  les  Infidèles  fe  trouvoient  préparez 
j  -  ^  0>     au  combat,  la  défaite  des  Chrétiens  étoit  certaine,  ôc  que  ce 
feroit  leur  amener  de  gayeté  de  cœur  une  poignée  d'hommes 
à  égorger  ;  qu'ils  n'étoient  que  trois  mille  hommes  en  état  de 
combattre ,  les  deux  mille  autres  n'étant  nullement  aguerris  ; 
que  d'un  autre  côté ,  fuppofé  qu'en  allant  aux  ennemis  ,  ils 
jugeaffent  à  propos  d'éviter  le  combat ,  il  ne  leur  feroir  plus 
permis  de  fe  retirer  dans  la  citadelle  éloignée  du  rivage  de 
trois  mille  pas  ;  qu'ils  feraient  alors  taillez  en  pièces  >  après 
quoi  les  ennemis  fe  rendroient  maîtres  du  château.  Enfuite  de 
Sande  tâcha  d'encourager  les  foldats ,  en  les  afTurant  que  le 
Viceroi  ne  manqueroit  pas  de  leur  envoyer  le  fecours  qu'il 
leur  avoir  promis  ;  que  le  Roi  avoir  encore  trente  galères  ,  ôc 
un  grand  nombre  de  bâtimens  de  charge  y  pour  tranfporter 
des  troupes  dans  l'ifle  ,  &  faire  lever  le  fiége  5  qu'ainfi  il  les 
^Ai°Uag?      conjuroit  que  ,  fans  s'inquiéter  de  l'avenir,  ilsfilTent  tous  leurs 
Sande.  efforts  pour  bien  défendre  la  citadelle  r  qu'il  vouloit  partager 

avec  eux  les  travaux  ôc  les  dangers ,  ôc  que  fa  condition  fut 
pareille  à  celle  du  fimple  foldat  f  qu'il  mangeroit  avec  eux  à  la 
même  table  ,  qu'il  vivroit  comme  eux  ,  de  bifcuit ,  de  chairs 
falées ,  ôc  boiroit  de  l'eau  ,  ces  chofes  étant  fuiîifantes  pour 
conferver  la  vie  ;  qu'enfin  il  ne  fouhaitoit  qu'allez  de  force  Ô£ 
de  courage  ,  pour  foûtenir  la  fatigue  ôc  les  périls. 

Après  le  débarquement  des  Turcs,  les  Maures  apportèrent 
des  vivres  aux  Chrétiens ,  ôc  promirent  d'en  apporter  toujours* 
Mais  leur  bonne  volonté  changea  avec  la  fortune  des  Efpa- 
gnols  ,  ôc  on  ne  reçut  plus  aucun  fecours  dans  la  fuite  ,  ni  du 
roi  de  Carvan,  ni  du  Xechés  de  l'ifle.  Sur  ces  entrefaites , 
Monfalvo ,  frère  du  capitaine  Monfatvo  de  Zamora  >  vint  trou- 
ver de  Sande  le  21  de  Mai,  ôc  lui  préfènta  des  lettres  de  la 
part  du  Bâcha  Piali.  De  Sande  ayant  reproché  à  cet  homme 
la  lâcheté,  ne  voulut  pas  les  recevoir,  ôc  lui  ordonna  de  fe  re- 
tirer fur  l'heure  j  le  menaçant  de  lui  faire  fouffrir  une  morthon- 
teufe ,  fi  lui ,  ou  tout  autre  captif,  ou  homme  libre ,  ofoit  fe  pré- 
fenter  à  lui  avec  de  pareilles  dépêches.  Il  eft  certain ,  que  pat 
ces  lettres  on  faifoit  des  offres  avantageufes  à  de  Sande ,  s'il  vou- 
loit fe  rendre.  La  fermeté  du  Commandant  n'empêcha  pas  que 
des  Efpagnols  ôc  des  Italiens ,  qui  craignoient  l'événement 


DE  J.  A.  DE   THOU,  Liv.  XXVI.      6ù 

du  fiége ,  ou  les  fatigues  d'une  longue  réfiftance,  ne  'pafîaffent lJ!L_ 

tous  les  jours  du  côté  des  ennemis.    Ces  transfuges  recevant  nHARL 
aufïi-tôt  une  récompenfe  digne  d'eux ,  étoient  liez  à  la   vue       y\ 
des  Chrétiens ,  ôc  condamnez  à  la  rame.  Malgré  ces  exemples ,  x  0 

ôc  la  vigilance  des  officiers ,  il  y  avoit  toujours  quelques  Chré- 
tiens ,  qui  trou  voient  moyen  de  s'échaper.  Quelques-uns  rac- 
commodoient  des  efquifs ,  ou  d'autres  bâtimens  ufez  Ôc  de- 
mi-rompus >  ou  bien  affembloient  à  la  hâte  des  planches ,  ôc 
conftruifoient  des  chaloupes,  ôc  s'abandonnoient  enfuite  à  la  for* 
tune  de  la  mer.  Vers  ce  même  tems  on  découvrit  une  confpira- 
tion  de  deux  Efpagnols.  L'un  des  deux ,  qui  avoit  été  efclave 
à  Tunis ,  avoit  reçu  de  l'argent  de  Dragut,  pour  mettre  le  feu  aux 
poudres  ,  ôc  au  magafin  des  vivres.  Il  fut  pendu  ,  ôc  fon  compa- 
gnon condamné  aux  galères ,  pour  n'avoir  pas  révélé  la  conju- 
ration. 

Sur  la  fin  du  mois  de  Mai,  les  Turcs  campèrent  environ  à  cinq 
cens  pas  de  la  citadelle ,  ôc  ayant  pointé  deux  canons  près  d'un 
puits ,  que  gardoit  Oforio  Ulloa ,  avec  fa  compagnie  ôc  environ 
trois  cens  hommes ,  ils  attaquèrent  cet  Officier,  qui  fe  défendit 
courageufement.  Après  un  combat  fort  vif  de  partÔc  d'autre, 
Jes  Infidèles  fe  rendirent  les  maîtres  du  puits.  Oforio  fut  d an- 
gereufement  blelTé,  Ôc  foixante  autres  avec  lui.  Trente  de  {es 
foldats  demeurèrent  fur  la  place  j  mais  cet  avantage  coûta  la  vie 
à  plufieurs  Turcs.  La  nuit  fuivante  quatre  galères  des  Chrétiens 
partirent  du  port  de  Zerbi,  ôc  ayant  tourné  leur  proue"  du  cô- 
té des  pouppes  des  Turcs  ,  parlèrent  au  milieu  de  la  flotte  en- 
nemie ,  ôc  arrivèrent  heureufement  à  Meffine.  Une  cinquiè- 
me fut  prife  pour  n'avoir  pu  élever  fon  mail  allez  tôt. 

Le  fept  de  Juin  ,  mille  Chrétiens  choifis  furent  comman- 
dez par  de  Sande ,  pour  une  fortie  où  la  plupart  des  Turcs  fu- 
rent tuez  ou  bleiTez.  Mais  cet  avantage  nous  fît  encore  plus 
de  préjudice  qu'à  eux.  L'ennui  d'un  long  fiége  engagea  les 
afliégez  à  faire  encore  plufieurs  autres  forties  ,  qui  n'eurent  pas 
un  heureux  fuccès.  Les  Turcs  avoient  réfolu  d'affoiblir  les 
Chrétiens  par  un  long  liège ,  plutôt  que  d'emporter  la  place 
par  la  force.  Enfin  ils  avancèrent  la  tranchée  plus  près  des 
murs,  ôc  élevèrent  un  Fort  de  terre,  d'où  ils  voyoient  ce  qui 
fe  paflbit  dans  la  citadelle.  Ils  vouloient  éviter  un  affaut ,  ôc 
nous  obliger  à  nous  rendre  à  difcrétion ,  fans  être  obligez  de 
livrer  de  combat.  Alors  les  afliégez ,  qui  jufques-là  avoient  été 

Hhhhi; 


Ê 


(hra  HISTOIRE 

■        expofez  à  des  fatigues  incroyables,  à  des  veilles  continuelles, 

Ch  a  rle  ^  av°ient  eu  des  maladies  ôc  des  chaleurs  exceffives  à  corn- 
I  X.  battre,  ôc  qui  avoient  refifté  courageufement  à  tant  de  maux  , 
j  -  ^0>  furent  vaincus  par  la  foif.  Ne  vivant  que  de  fromage  ôc  de 
chairs  falées ,  ils  vinrent  à  manquer  d'eau.  Il  y  avoit  long- 
tems  qu'on  n'en  diftribuoic  chaque  jour  à  chaque  foldat  qu'u- 
ne petite  mefure  ,  où  l'on  mêlok  de  l'eau  de  mer.  Plufieurs 
s'abftenoient  de  manger  ,  efpérant  éteindre  leur  foif  par  ce 
moyen,  au  défaut  de  Peau.  Cet  étrange  régime  les  affoiblifîbit 
extraordinairement,  &  les  faifoit  tomber  en  phtifie.  Dans  ces 
extrêmitez,  de  Sande  aflembla  les  officiers  &  les  foldats,  qui 
fe  trouvoient  réduits  à  mille  hommes  en  état  de  pouvoir  com- 
battre >  les  autres  étant  morts  de  maladies  différentes ,  où  abat- 
tus ôc  mourans.  Après  avoir  déploré  leurs  malheurs  communs, 
il  les  exhorta  à  être  courageux  jufqu'à  la  fin  ,  à  fe  réfbudre 
à  mourir  en  braves  gens  ,  Ôc  à  vendre  cher  leurs  vies  ôc  la 
victoire  à  l'ennemi.  Après  les  avoir  ainfi  animez ,  il  fort  avec 
eux  au  milieu  de  la  nuit.  Ils  franchiffent  deux  des  retranche- 
mens  des  ennemis.  Mais  étant  parvenus  au  troifiéme  ,  où 
étoit  la  tente  du  Bâcha  ,  les  Turcs  s'éveillèrent,  ôc  coururent 
aux  armes.  Alors  de  Sande  fe  voyant  abandonné  de  prefque 
tous  les  fiens ,  fe  retira  fous  la  citadelle ,  du  coté  où  elle  eft  bat- 
tue par  la  mer  j  un  de  ceux  qui  l'accompagnoient  lui  avoit  en- 
feigné  ce  chemin.  AufTi-tôt  il  fe  jetta  dans  une  des  galères , 
.Alvare  de    qui  étoient  attachées  aux  murs  du  château  ,  dans  le  deffein  de 

f"  les  Turc"  ^e  ^auver-  Mais  les  Turcs  ayant  entouré  ce  bâtiment  avec  un 
grand  nombre  d'efquifs ,  il  fut  pris  ôc  conduit  au  Bâcha. 

Piali  i  qui  fçavoit  admirer  la  vertu  dans  fes  ennemis,  le  re* 
eut  avec  honneur  ,  le  fit  affeoir,  ôc  lui  fit  des  proposions  très- 
brillantes,  pour  l'engager  au  fervice  du  Sultan.  Ceux  qui  étoient 
reliez  dans  la  place ,  voyant  qu'on  avoit  pris  leur  Comman- 
dant ,  fe  rendirent  à  la  fin  de  Juillet ,.  ôc  furent  faits  efclaves, 
Les  Italiens  imputent  à  la  vanité  de  la  Cerda  cette  expédition 
maîheureufe,  où  dix-huit  mille  hommes  périrent  par  les  ma- 
ladies Ôc  par  le  fer ,  ou  furent  réduits  en  fervitude ,  ôc  où  l'on 
perdit  vingt-huit  galères  ,  ôc  quatorze  bâtimens  de  tranfport. 
Ils  difent  que  ce  Yiceroi  voulut ,  à  quelque  prix  que  ce  fût , 
fe  fignaler  par  une  action  mémorable  à  l'exemple  de  Vega  , 
Ôc  qu'il  ne  fut  pas  aflez  fage  pour  écouter  les  confeils  de  Do- 
na..  Mais  de  Sande  en  rejettoit  la  faute  fur  Pierre  de  Vélafco 


I  !!■! 


DE  J.   A.  DE   THOU,  Liv.  XXVI.      613 

intendant  général  de  la  flotte ,  qui  par  fa  lenteur  &  fa  négligen-  = 

cène  donna  pas  les  ordres  néceflaires,  pour  équiper  &  appro-  Charle 

vifionner  promptement  les  galères  ôc  les  autres  bâtimens  ,  ôc       J  x. 

fut  caufe  que  la  flotte  partit  trop  tard.  Antoine-François  Cir-     j  <  6  o. 

ni ,  qui  fut  préfent  à  cette  expédition ,  ôc  qui  nous  en  a  laifle 

une  relation  fort  ample  ,  afïure  avoir  oui  dire  cela  à  de  Sande, 

qui  peur-être  vouloit  ménager  le  Viceroi.  Les  Turcs  après  cette 

victoire  partirent  de  Zerbi  ,  ôc  vinrent  au  Goze  le  1 6  d'Août , 

d'où  ils  firent  voile  vers  Conftantinople ,  amenant  avec  eux  , 

de  Sande  >  à  qui  Soliman  fit  les  mêmes  proportions  que  Piali 

lui  avoit  faites,  lefquelles  il  réfufa  cenftamment.  Il  fut  mis  en 

prifon  avec  Sanche  de  Levé ,  ôc  Béranger  de  Requefens. 

Les  Princes  Chrétiens  rirent  demander  à  Soliman  la  liber- 
té de  ces  trois  officiers  ,  ôc  même  le  Roi  Trés-Chrétien  en- 
voya à  ce  fujet  à  l'a  PorteFrançois  Salviati  chevalier  de  Mal- 
te, qui  ne  put  rien  obtenir.  Les  Turcs  étoient  irritez  con- 
tre laJFrance  ôc  l'Efpagne,  à  l'occafion  de  la  paix  conclue  en- 
tre ces  couronnes ,  qu'il  jugeoient  ne  pouvoir  leur  être  avan- 
tageufe.  Ils  étoient  d'autant  plus  aigris  contre  les  Chrétiens, 
qu'ils  croyoient  qu'on  les  auroit  compris  dans  le  traité  de  paix. 
Voyant  au'ils  s'étoient  trompez  dans  leurs  conjectures  ,  ils 
étoient  fort  mal  intentionnez  à  l'égard  de  la  France.  Il  eft 
certain  que  Soliman  avoit  écrit  à  Henri  IL  qu'il  ne  défaprou- 
voit  point  la  paix  qu'on  venoit  de  conclure  5  mais  qu'il  de- 
voit  fe  fouvenir ,  qu'il  n'étoit  pas  fur  de  rompre  avec  d'an- 
ciens amis ,  ni  de  fe  réconcilier  avec  d'anciens  ennemis. 

De  Sande ,  qui  avoit  compté  que  les  bons  offices  de  la  Fran- 
ce ,  ôc  les  foliicitations  du  chevalier  Salviati,  lui  procureroiem 
fa  liberté ,  Ôc  qui  avoit  fait  des  dépenfes  immenfes ,  pour  ga- 
gner,  par  des  préfens,  les  grands  Officiers  de  la  Porte  ,  voyant 
que  cela  ne  lui  avoit  pas  réûflî,  commença  à  craindre  de  mou- 
rir dans  l'efclavage.  Mais  ce  fut  le  mécontentement  même  des 
Turcs  envers  la  France,  qu'ils  voulurent  nous  faire  fentir ,  qui 
contribua  à  la  liberté  des  prifonniers.  Car  Auger  de  Ghiflin- 
feigneur  de  Boefbecq ,  envoyé  de  l'Empereur  Ferdinand  à  la 
Porte ,  ayant  fçu  par  le  Bâcha  Hali ,  ôc  par  Hebraim  chef  des 
interprètes,  à  qui  il  venoit  de  rendre  un  grand  fervice,  que  fi 
Ferdinand  demandent  les  prifonniers  Efpagnols,  le  Sultan  pour- 
voit les  lui  accorder ,  Ghiflin  en  écrivit  à  Vienne  ,  ôc  ayant 
reçu  des  ordres  à  ce  fujet^il  obtint  la  liberté  des  trois  Officiers , 

H  h  h  h  iij 


I 


tel  HISTOIRE 

„„.„-w—l^l»  par  la  médiation  de  ceux  qui  lui  avoient  confeillé  de  la  folii- 
Cn  *ri  e  Cltcï'  AinfideSande,  de  Requéfens,  6c  de  Levé  fortirent  de 
IX        prifon  le  10  d'Août  jour  de  S.  Laurent.  Peu  après  Ghiflin , 
b  /       qui  avoit  ménagé  une  Trêve  entre  la  Porte  6c  l'Efpagne  ,  par- 
tit de  Conftantinople  y  ôc  vint  à  Sophie  en  Bulgarie  ,  d'où  il 
paffa  en  Hongrie  ,  ayant  avec  lui  de  Sande ,  qui  s'étoit  féparé 
de  Levé ,  qu'il  haïflbit  ,  6c  de  Requéfens.  Ceux-ci  prirent  un 
autre  chemin ,  comme  s'ils  emTent  voulu  fe  rendre  à  Venife. 
Mais  Requéfens ,  qui  étoit  déjà  vieux,  mourut  avant  que  d'ar- 
river à  Ragufe,  d'une  maladie  contractée  par  les  incommodi- 
tez  6c  l'ennui  de  fa  prifon.  Ce  que  je  viens  de  rapporter  n'ar- 
riva que  deux  ans  après  le  fiége  de  Zerbi. 

Après  la  défaite  des  Chrétiens  fur  les  côtes  de  Barbarie  ; 
Corne  Duc  de  Florence  eut  le  chagrin  de  perdre  deux  de  fes 
galères.  Pierre  Machiavelli ,  Général  des  galères  de  ce  Prin- 
ce ,  ayant  mis  à  la  voile  avec  deux  qui  s'étoient  fauvées  du 
dernier  combat  ,  6c  une  troifiéme  qu'il  venoit  de  faire  conf- 
truire ,  fut  attaqué ,  lorfqu'il  y  penfoit  le  moins ,  près  de  l'ifle 
de  Giglio  par  treize  bâtimens  fortis  d'Alger  ,  6c  eut  bien  de 
la  peine  à  échapper  fur  fa  nouvelle  galère ,  6c  à  fe  rendre  à  Ci- 
vita-Vecchia.  Les  deux  autres ,  qui  n'étoient  pas  (i  légères ,' 
s'enfuirent  vers  Pifle  de  Corfe,  6c  voyant  qu'elles  alloient  tom- 
ber entre  les  mains  des  ennemis  ,  s'échouèrent  contre  des  ro- 
chers ,  6c  furent  entièrement  brifées ,  l'équipage  s'étant  aupa- 
ravant fauve.  Alors  les  Turcs  déchainérent  leurs  forçats  3  qui 
fe  faifirent  à  la  nage  de  ce  qu'ils  purent  prendre  des  débris  de 
ce  naufrage.  Les  Florentins  avoient  eu  foin  de  jetter  leur  ca- 
non au  fond  de  la  mer  :  il  en  fut  tiré  quelque  tems  après  par 
Ruccellai  chevalier  de  Malte ,  qui  avoit  autrefois  fuivi  le  parti 
de  la  France  3  6c  étoit  ,  depuis  la  paix  faite ,  rentré  dans  les 
bonnes  grâces  du  duc  de  Florence  ,  au  fervice  de  qui  il  étoit. 
Corne, qui  vouloit  réparer  ces  pertes,  faifoit  conftruire  une 
flotte  avec  beaucoup  de  dépenfe  ôc  de  foins.  Il  avoit  fait  ve- 
nir Baccio  Martelli,  officier  très  expérimenté  dans  la  Mari- 
ne, qui  avoit  autrefois  fignalé  fa  valeur  fous  Léon  Strozzi,  ôc 
lui  avoit  donné  le  principal  commandement  de  fes  vaifteaux , 
jufqu'à  ce  que  le  prince  Garcie  fon  fils  ,  à  qui  il  deftinoit  la 
charge  d'Amiral ,  fut  en  âge  d'exercer  cet  emploi.  De  plus 
pour  garantir  les  côtes  maritimes  de  fes  Etats  des  courfes  des 
ennemis ,  6c  pour  avoir  toujours  une  flotte  pourvue  ,  non 


DE  J.  A.   DE  T  HOU,  L  iv.  XXVI.       6iS 

feulement  de  toutes  les  chofes  nécefTaires  pour  attaquer  les 
Turcs,  mais  qui  fût  montée  par  des  hommes  courageux  ôcha-  q  h  a  rl£ 
biles  dans  le  métier  de  la  mer ,  il  créa  un  Ordre  de  Chevaliers  ,  j  \£. 
dont  l'iiiftitution  avoit  aflez  de  rapport  à  celle  des  Chevaliers  ^^^ 
de  S.  Jean  de  Jerufalem.  Il  leur  donna  une  Eglife  ôc  un  Pa- 
lais dans  la  ville  de  Pife ,  ôc  le  nom  de  Chevaliers  de  S.  Etien- 
ne x  Pape ,  en  mémoire  de  la  victoire  remportée  à  Marciano  le 
deux  d'Août  i;  74,  jour  où  l'on  célèbre  la  fête  de  ce  bien-heu- 
reux Pontife.  Il  donna  à  cet  Ordre  de  grands  revenus  ,  ôc 
ordonna  >  que  lui ,  ôc  à  l'avenir  les  Ducs  fes  fuccelTeurs ,  fe- 
roient  les  chefs  de  cette  milice  Chrétienne.  Enfuite  il  lui  donna 
des  ftatuts ,  pour  être  exactement  obfervez  parles  Chevaliers. 
Durant  ces  divers  événemens  en  Europe ,  les  Mofcovites 
qui  étoient  à  Derpt,  rirent  une  féconde  irruption  en  Livonie,  Affaires  <te 
ôc  prirent  Marienbourg  ,  qui  leur  fut  rendue  par  Sibert  gou-  .Mofame. 
verneur  de  la  ville ,  Adefel ,  ôc  plufieurs  autres  places.  Les  Livo- 
niens  ayant  appelle  à  leur  fecours  Magnus  duc  de  Holface,fi]s 
de  Chrimerne  III.  roi  de  Dannemarc,  ôc  frère  de  Frédéric  IL 
ee  Prince  aborda  aufTî-tôt  à  fille  d'Ofel  ,  qui  eit  vis-à-vis  la 
Livonie.  Il  avoit  cédé  depuis  peu  à  Frédéric  la  troifiéms  par- 
tie de  la  Holface  ,  ôc  avoit  eu  en  échange  les  Diocéfes  d'O- 
fel ôc  de  Curland,  que  le  Roi  fon  frère  avoit  achetez  plufieurs 
mille  Joachims,  de  l'évêque  Jean  Munchaufen.  Outre  ces  do- 
maines ,  Magnus  fe  rit  céder  par  Maurice  Vrangel ,  évêque 
deRevelôc  d'un  grand  territoire  qui  en  dépend,  des  droits  fur 
ce  payis  ,  que  les  Mofcovites  avoient  ufurpez.  Le  prince  de 
Dannemarc  étoit  fort  fouhaiîé  des  Livoniens.  Ces  peuples 
comptoient  qu'il  les  défendrait  mieux  contre  le  Mofcovite  , 
que  le  Maître  de  l'Ordre  Teutonique.  Ainiî  toute  la  Noblef- 
k  ,  ôc  les  autres  perfonnes  confidérables  de  la  province  vin- 
rent le  trouver  ,  pour  le  féliciter  fur  fon  arrivée.  Mais  la  fierté 
de  ce  Prince  ,  ôc  le  peu  de  ménagement  qu'il  eut  pour  ces 
peuples,  les  rirent  bien-tôt  repentir  de  leur  choix.  Ils  étoient 
même  fur  le  point  de  prendre  les  armes  contre  lui ,  lorfque 
leur  Archevêque,  ôc  celui  de  Mekelbourg  fon  collègue,  em- 
ployèrent leurs  bons  offices  ,  pour  ménager  une  entrevue  à 
Parnaw  ,  ôc  une  réconciliation.  Durant  ces  négociations  1s 
Mofcovite  entre  dans  le  Harnland  ,  dont  Rével  eft  la  capita* 
le  ,  ôc  après  avoir  ravagé  le  payis ,  paffe  dans  celui  de  Letten  > 
1  Etienne  X.  frère  ds  Godefroi  le  Barbu  due  de  Lorraine,  mort  à  Florence.. 


hè  H   I  S   T   O  ï   R    E 

ôc  taille  en  pièces,  près  d'Ermes,  l'armée  desLivoniens,  com- 
ru.0:fD  mandée  par  Philippe  Schal  Maître  de  l'Ordre  ,  &  par  Tes  Che- 
I  ^  vaiiers.  La  plupart  des  chers  turent  faits  priionniers  ,  &  con- 
£  <r  60  duits  à  Mofcov.  Les  Ruffes  afliégerent  enfuite  fur  la  fin  de 
Juillet ,  Vellin ,  ou  le  vieux  Furftemberg  s'étoit  retiré.  Une  par- 
tie de  la  ville  ayant  été  brûlée ,  &  la  garnifon  s'étant  mutinée 
contre  fes  Officiers  ,  fur  le  prétexte  qu'elle  n'étoit  pas  payée, 
les  habitans  furent  contraints  de  fe  rendre.  Mais  l'ennemi  mê- 
me punit  la  perfidie  des  foldats  ,  qui  s'étoient  exprès  foûlevez 
pour  piller  les  tréfors  de  Furftemberg  a  ôc  l'argent  des  autres 
gentilshommes,  qu'ils  enlevèrent  :  ces  pillards  furent  dépouil- 
lez ,  ôc  pafTez  prefque  tous  au  fil  de  Pépée.  Furftemberg  fut 
fait  prifonnier  ,  ôc  conduit  en  Mofcovie  malgré  fon  grand  âge. 
Les  Mofcovites  ,  enflez  de  ce  fuccès ,  diviférent  leurs  trou- 
pes. Une  partie  vint  mettre  le  fiége  devant  le  château  de  Wit- 
tenftein ,  qu'ils  ne  purent  prendre.  Les  autres  fe  répandirent 
au  tour  de  Wenden  ôc  de  Volmar ,  pour  piller.  Les  autres  en- 
fin firent  des  courtes  dans  le  payis  ,  qui  eft  entre  Rével  ôc 
Parnaw ,  ôc  fournis  au  duc  de  Holftein.  Ceux  de  Rével  voyant 
que  l'ennemi  mettoit  tout  à  contribution ,  ôc  venoit  jufqu'aux 
portes  de  leur  ville ,  qu'ils  n'avoient  aucun  fecours  à  attendre 
du  côté  de  l'Empire,  ôc  qu'ils  ne  pouvoient  avec  leurs  forces 
refifter  à  une  puiifance  aufîi  formidable  que  celle  du  Czar,  en- 
voyèrent des  Députez  à  Eric  depuis  peu  roi  de  Suéde ,  pour 
l'engager  à  ieur  prêter  de  l'argent.  Ce  Prince ,  qui  n'étoit  pas 
difpofé  à  donner  à  ces  habitans  les  groffes  fommes  qu'ils  de- 
ma.ndo.ient  ,  ôc  qui  d'ailleurs  ne  vouloir  pas  laifier  échappée 
cette  occafion  de  reculer  fes  frontières ,  fit  réponfe  que  fon  tré- 
for  étoit  épuifé  ;  mais  qu'il  accorderoit  volontiers  fa  protec- 
tion à  ceux  de  Rével ,  s'ils  vouloient  le  reconnoître  pour  leur 
Roi.  Les  habitans  trouvèrent  d'abord  ces  conditions  fort  dures. 
Mais  forcez  enfin  par  la  néceflité ,  ils  les  acceptèrent ,  après 
avoir  confulté  la  NoblefTe  du  payis,  6c  affemblé  tous  les  Ordres 
de  la  ville  à  ce  fujet.  On  renonça  au  ferment  qu'on  avoit  prêté 
l'année  précédente  au  grand  Maître  des  Chevaliers  de  Livonie, 
Ôc  on  promit  au  roi  de  Suéde  une  obéïiïance ,  ôc  une  fidélité 
inviolables.  Cela  fut  caufe  que  le  roi  de  Pologne  voyant  avec 
chagrin  que  la  Livonie  alloit  être  démembrée  ,  ne  voulut  plus 
accorder  à  cette  province  une  protection  ,  que  le  grand  Maî- 
tre de  l'Ordre ,  Ôc  l'archevêque  de  Riga  lui  avoient  demandée  3 


comme 


D  E  J.  A.  DE  T  H  O  U  ,  L  i  v.  XXVI.     6ij 

comme  nous  l'avons  dit  ci-deffus  ;  mais  cela  n'arriva  que  l'an-  ■•-■'*•« 

née  qui  fuivit  celle-ci.  _ 

Peu  de  tems  auparavant  Guftave,roi  de  Suéde  ôc  deNor-  ^I1^-LE 
vege  ,  étoit  mort  le  19  de  Septembre  à  l'âge  de  foixante-dix 
ans.  C'eft  ce  Prince,  qui  de  captif  qu'il  étoit,  fut  élevé  furie  l  $  " 
trône  par  le  fecours  de  la  ville  de  Lubec ,  après  l'horrible  car-  Mort  de. 
nage  vde  tant  de  feigneurs  Suédois,  ordonné  par  Chriftierne  II.  de' suède,01 
roi  de  Dannemarc.  Guftave,qui  étoit  parent  du  dernier  Roi, 
gouverna  la  Suéde  durant  trente-huit  ans  avec  une  grande  fa- 
geffe.  On  reproche  néanmoins  à  ce,  Prince  d'avoir  terni  l'é- 
clat de  fes  vertus  royales,  par  l'avarice,  ôc  en  foulant  fes  fu- 
jets.  Mais  ceux  qui  jugent  fainement,  excuferont  un  Prince,  qui 
ayant  le  premier  élevé  fa  maifon  à  la  fouveraine  puiiTance  , 
cherchoit  les  moyens  de  l'y  affermir  déplus  en  plus,  en  amaf- 
fant  de  grandes  richeffes.  Il  laiffa  de  Catherine ,  fille  de  Ma- 
gnus  duc  de  Saxe,  Eric,  dont  je  viens  déparier  ,  qui  lui  ftu> 
céda.  Il  époufa  en  fécondes  noces  Marguerite ,  fille  d'Eric 
Abraham  Loholm,  duc  de  Sudermanie,  dont  il  eut  le  prince 
Jean ,  qui  régna  après  fon  frère ,  ôc  Charle  duc  de  Sudermanie, 
qui  gouverne  aujourd'hui  ces  payis  Septentrionaux  au  nom  du 
roi  Sigifmond.  Philippe  duc  de  la  haute  Pomeranie  ,  fils  de 
George  ,  Ôc  petit-fils  de  Bogiflas ,  dit  le  Grand  ,  finit  auffi  fes 
jours ,  biffant  cinq  enfans. 

Albert  comte  de  Mansfeld ,  mourut  auflî  cette  année  dans  Mort  d'Al- 
la  haute  Saxe.  Ce  Seigneur  fut  un  des  plus  zelez  partifans  de  la  j?"' de  Maas" 
Doctrine  de  Luther ,  ôc  fe  vit  long-tems  perfécuté  à  Foccafion 
delà  Religion.  Enfin  il  fut  délivré  des  miféres  d'une  vie  tou- 
jours agitée  ,  ôc  trouva  dans  la  mort  un  repos  qu'il  n'avoit  pu  fe 
procurer.  Il  mourut  le  cinq  de  Mars  âgé  de  70  ans,  x  après 
avoir  été  près  de  cinquante  années  le  Gouverneur  de  fon  payis. 

Le  25*  de  Novembre  André  Doria  finit  fes  jours  à  Gènes  , 
dans  le  palais  qu'il  avoir  fait  bâtir  aux  environs  de  la  ville  avec 
un  magnificence  royale.  Ce  grand  homme ,  qui  avoit  joué  un  Mort  d'Aa- 
grand  rôle  dans  fa  patrie ,  quitta  cette  vie  à  l'âge  de  quatre  vingt  ^  ®°r: 
treize  ans.  On  parla  peu  de  lui  à  fa  mort ,  parce  qu'il  mou- 
roit  en  un  âge  ,  où  les  forces  de  fon  efprit  ôc  de  fon  corps  étant 
entièrement  affoiblies,  il  étoit  devenu  inutile  à  fes  concitoyens , 


>ge. 


1  La  mort  du  Père  d'Albert  de  Mans- 
feld ,  eft  fixe'e  par  les  Hiftoriens  à  l'an- 
née i486.   Si  cela  eft  vrai ,  comment 

Tome  IIL 


Albert  eft -il  mort  en  1  y  60,  âgé  de  70 
ans  ?  Il  faut  réformer  le  tems  de  la 
mort  ou  du  père  ou  du  fils. 

lia 


tfiS  HISTOIRE 

.  &  qu'il  avoit }  pour  ainfi  dire  ,  ceffé  de  vivre  avant  que  de  raou- 
Charle  r*r*  André  Doria  eut  de  grandes  vertus  ,  ôc  fçut  par  fa  fa- 

T  X        gefle  fixer  la  Fortune  ,  qui  lui  avoit  été  long-tems  contraire. 
£  '      Ses  actions  dignes  d'une  éternelle  mémoire ,  ôc  qui  furent  fur  la 

*       *     fin  d'une  vieillefle  décrépite  ,  comme  enfevelies  dans  l'oubli  5 
méritent  bien  qu'aujourd'hui  nous  les  retracions. 

Les  grandes  aumônes  qu'il  diftribua  aux  pauvres ,  ôc  les  Egli- 
fes qu'il  bâtit,  prouvent  fa  pieté  envers  Dieu.  Car  que  pou- 
voit  faire  autre  chofe  un  homme  de  guerre  ?  Après  la  Reli- 
gion, il  n'eut  rien  de  plus  à  cœur,  que  les  intérêts  de  fa  pa- 
trie ,  à  qui ,  à  l'exemple  d'Ottavien  Fregofe  ,  il  rendit  une  li- 
berté ,  qu'il  fçut  lui  conferver.  Dans  la  fuite  il  s'éleva  des 
orages  >  qui  auroientpu  le  faire  repentir  çÏqcg  qu'il  avoit  fait  en 
faveur  de  fes  concitoyens.  Attaqué  trois  fois,  par  la  conjuration 
d'une  faction  contraire  qui  en  vouloit  à  fa  vie,  il  ne  put  fe  ré- 
foudre à  confentir ,  que  les  Efpagnoîs  bâtiUent  une  citadelle 
dans  Gènes,  ôc  y  miffent  une  garnifon,  qui  eût  affervi  cette 
République.  On  loué"  fa  tempérance  ôc  fa  modération  du 
côté  des  plaifirs.  Quoi  qu'il  mangeât  naturellement  beau- 
coup, il  ne  faifoit  que  deux  repas  chaque  jour,  où  il  bûvok 
deux  fois  feulement ,  mêlant  les  trois  quarts  d'eau  dans  fon  vin. 
Il  fut  véritablement  adonné  à  l'amour  des  femmes,  où  le  por- 
toit  une  forte  fanté,  ôc  un  tempérament  vigoureux.  Mais  cet- 
te forte  d'amufement  ne  lui  fit  jamais  négliger  le  foin  de  fes 
grandes  affaires.  On  peut  juger  de  fa  libéralité, par  le  pré- 
fent  qu'il  fit  à  fon  beau -fils  3  au-delà  même  de  ce  qu'il  ed: 
permis  ,  ce  femble  ,  à  un  particulier  de  donner.  Il  lui  céda 
ïa  principauté  de  Melfe ,  qu'il  tenoit  de  la  faveur  de  Charle 
Quint.  On  croit  que  l'Empereur  vit  avec  chagrin,  que  par  ce 
don  excefiif  Doria  ofât  en  quelque  façon  blâmer  fa  libéralité 
à  fon  égard.  Il  fit  bâtir  de  fuperbes  palais  ;  un  fur  tout  dans 
lin  fauxbourg  de  Gènes ,  où  il  eut  l'honneur  de  recevoir  deux 
fois  Charle  Quint,  Philippe  fon  fils,  Maximilien  roi  de  Bohê- 
me ,  ôc  la  reine  Marie  fa  femme ,  fille  de  l'Empereur  ,  ôc  de  les 
traiter  avec  une  magnificence  digne  de  ces  hôtes  illuftres.  Il 
faut  ajouter  à  cela  fes  galères  fi  richement  ornées ,  une  grande 
galère  à  quatre  bancs  de  rameurs,ôc  une  autre  à  cinq ,  d'une  conf- 
truclion  merveilleufe,où  l'or  ôc  l'argent  brilîoient  par  tout.  11  re- 
bâtit l'eglife  de  S.  Mathieu,  où  il  éleva  une  fuperbe  galerie,  fous 
laquelle  il  fit  faire  une  chapelle  ornée  de  colomnes  de  marbre , 


DE  J.  A  DE  THOU,  Liv.  XXVL       619 

ôc  de  riches  peintures  ,  où  il  plaça  fon  tombeau  ,  ayant  fondé  ■■_ 

des  Prêtres  pour  y  célébrer  chaque  jour  l'office  divin.  Toutes  Charle 

les  voyes  de  parvenir  aux  honneurs ,  ôc  d'augmenter  fa  fortune,       j  x. 

lui  parurent  odieufes  ,  dès  qu'il  les  crut  contraires  aux  loix  ôc  à  la     \  <  60, 

liberté  de  fa  patrie.  Il  fit  voir  fur  tout  fa  grandeur  d'ame,  lorf- 

que  fe  mettant  au  deffus  des  opinions  vulgaires  ,  il  fit  peu  de  cas 

des  honneurs  même  légitimement  acquis ,  qu'il  ne  craignit  point 

une  injufte  infamie >  ôc  qu'il  crut  qu'il  n'y  avoit  de  honte,  qu'à 

ne  pas  être  affez  attentif  aux  témoignages  de  fa  confcience.  Du 

refte,  il  ne  parloit  jamais  de  lui-même  qu'avec  une  grande  mo- 

deftie  ,  ôc  il  fouffroit  avec  peine  qu'on  le  louât  en  fa  préfence. 

On  remarquoit  dans  fa  démarche  ôc  dans  fes  difcours  une  gra- 
vité,qui  lui  étoit  naturelle.  Jamais  fon  caractère  ne  fe  démentit.  Il 
fe  montra  jufte  dans  toutes  fes  actions  ,  Ôc  aima  tant  la  vérité,  qu'il 
ne  mentit  jamais ,  même  en  badinant.  Il  fut  plus  fenfible  à  l'hon- 
neur ,  que  touché  du  foin  de  conferver  fa  vie.  Souvent  il  deman- 
da des  grâces  aux  Princes  pour  les  autres ,  ôc  rarement  pour  lui- 
même.  11  fe  laifToit  aifément  aller  à  la  colère  j  mais  il  fe  calmoit 
aufîi-tôt.  Un  bonheur  prefque  continuel ,  ôc  qui  égaloit  fes  ver- 
tus ,  en  fut  la  récompenfe.  Car  il  fut  fix  fois,  fous  divers  Princes, 
Général  de  leurs  flottes,  ôc  eut  même  fouvent  le  commande- 
ment des  troupes  de  terre.  Il  remporta  des  victoires  fignalées , 
ôc  ne  parvint  que  par  fon  courage  ôc  fa  prudence  à  ces  hon- 
neurs ,  que  tant  d'autres  n'ont  pu  obtenir  avec  de  grandes  quali- 
tez  ,  ôc  foutenus  par  la  faveur  de  leurs  citoyens ,  par  d'immen- 
fes  richeffes ,  ou  par  de  piaffantes  factions.  Il  ne  porta  jamais 
l'épée  ,  même  dans  fes  voyages  maritimes ,  ôc  s'il  en  eut  une 
dans  les  combats  ,  la  Fortune ,  qui  combattoit  pour  lui  ,  fit 
qu'il  n'eut  prefque  jamais  d'occafion  de  la  tirer  du  fourreau.  Il 
faut  avouer  cependant,  qu'on  lui  réproche  avec  juftice,  que  long- 
tems  après  la  conjuration  des  Fiefques ,  ôc  lors  qu'il  eut  trouvé 
3e  moyen,  par  fa  fermeté  ôc  par  fa  modération,  de  détruire  les  def- 
feins  de  ceux  qui  reftoient  de  cette  faclion,  il  ufa  inhumainement 
de  fa  vi&oire  envers  l  Ottobon  Fiefque  frère  de  Louis  ,  que  le 
marquis  de  Marignan  avoit  fait  prifonnier  auprès  de  Portercole , 
ôc  qu'il  lui  avoit  livré, comme  nous  l'avons  rapporté  ci-deffus. 

Lorfqu'il  eut  aiTuré  la  liberté  à  fa  patrie,  on  l'éleva  à  la  pre- 
mière dignité  de  la  République ,  qui  lui  donnoit  le  droit  de  faire 

1  Doria  fît  jetter  dans  la  mer  Ottobon  Fiefque  ,  après  l'avoir  fait  coudre  dans 
un  fac. 

liii  ij 


6  2ô  HISTOIRE 

'  '  rendre  Compte  à  chaque  Magiftrat  de  fon  admlniftration.  Il  fe 
C  H  a  r  l  E  comporta  en  cela  avec  tant  de  moderation.que  fans  offenfer  per- 
j  x  fonne  t  il  maintint  la  difcipline.  Enfin  fe  voyant  fans  enfans ,  il 
i  c  <5o.  remitfes  charges  aflez  tard  entre  les  mains  de  Jean-André  Do- 
ria  fon  neveu ,  fils  de  Jannetin  fon  frère ,  ôc  lui  laiffa  le  duché  de 
Torfi  chargé  de  grandes  dettes.  Ce  neveu  étant  éloigné  de  lui 
dans  les  derniers  tems  de  fa  vie  >  il  chargea  Antoine  Pifcina  fon 
camerier,  de  lui  dire  de  fa  part  3  qu'il  devoit  fur-tout  mettre  en 
Dieu  toutes  fes  efpérances,  cultiver  avec  foin  la  bienveillance 
ôc  la  protection  du  roi  d'Efpagne  3  ôc  fe  propofer  de  défendre  fa 
patrie,ôc  la  liberté  de  fes  concitoyens,même  aux  dépens  de  fa  vie. 
Il  fit  fon  teftament ,  qui  fut  ouvert  après  fa  mort  par  Figueroa  ôc 
Centurione ,  ôc  lu  publiquement.  Il  ordonnoit  entre  autres  cho- 
fes  j  que  fon  corps  fut  inhumé  la  nuit,  ôc  fans  pompe  ;  en  quoi 
fes  domeftiques  lui  obéirent.  Jean-André  fon  neveu  étant  arrivé 
à  Gènes  fix  jours  après  fa  mort  3  les  Génois  firent  faire  dans  leur 
principale  Eglife  des  funérailles  magnifiques  à  ce  citoyen ,  qui 
avoit  rendu  de  fi  grands  fervices  à  la  République ,  &  lui  donnè- 
rent au  moins  cette  marque  de  leur  reconnoiffance. 
Mort  du  Peu  de  tems  auparavant  étoit  mort  le  cardinal  Jean  du  Bel- 
cardinal  du  lai.  Ce  Prélat  iflu  d'une  ancienne  ôc  illuftre  famille ,  qui  avoit 
clo'»"  °n  rendu  de  grands  fervices  à  la  France ,  étoit  frère  de  Guillaume 
feigneur  de  Langey  gouverneur  de  Piémont ,  grand  capitai- 
ne ôc  très-habile  négociateur  ,  Ôc  de  Martin  du  Bellai  ,  qui 
étoit  mort  l'année  précédente  à  Glatigni  au  Maine  le  9  de  Mars. 
Ce  dernier  qui  pafTa  fa  vie  dans  des  commandemens  militai- 
res ,  ou  dans  des  ambaffades  honorables ,  nous  a  laiffé  des  mé- 
moires fenfez  ôc  bien  écrits  ,  des  chofes  qu'il  a  faites  3  ou  dont 
il  a  été  le  témoin.  Le  Cardinal  fon  frère  s'acquit  aufîi  beau- 
coup de  réputation  dans  des  emplois  pacifiques  3  ôc  même  en 
ce  qui  concerne  la  guerre.  Il  fit  dans  fon  enfance  de  grands 
progrès  dans  les  lettres  >  il  écrivoit  parfaitement  en  Latin,  ôc  il 
compofa  des  vers  nobles  ôc  élevez  3  qui  font  entre  les  mains 
des  fçavans.  François  I.  ayant  égard  à  fon  feul  mérite  >  l'em- 
ploya en  des  négociations  importantes ,  lui  confia  plufieurs  am- 
baffades ,  dont  il  s'acquitta  toujours  avec  autant  de  fidélité 
que  de  prudence  3  ôc  lui  fit  obtenir  le  chapeau  de  Cardinal. 
Quelque  tems  après  3  les  affaires  de  ce  Royaume  étant  dans 
wne  trifte  fituation  en  ij44,&  l'armée  de  l'Empereur  s'avan- 
çant  vers  Paris,  dont  du  Bellai  étoit  alorsEvêque,  il  raffura 


DE   J.  A.   DETHOU,  Liv.  XXVI.       tel 
les  bourgeois  effrayez,  ôc  fit  faire  avec  une  extrême  diligence  des  »    ■ 

foflez ,  6c  conftruire  des  fortifications ,  que  Ton  voit  encore  au-  ç H  AR L  e 
jourd'hui.  François  I.  l'honoroit  de  fon  amitié   6c  de  fa  con-      j  ^ 
fiance ,  prefque  autant  que  le  cardinal  de  Tournon  fon  premier        ^  ^  0| 
Miniftre.  Il  eftimoit  fur-tout  en  lui  fon  attachement  inviola- 
ble pour  fa  patrie  ,  fa  grandeur  d'ame,  fa  libéralité ,  6c  fa  magni- 
ficence ,  que  prouvent  affez  les  maifons  qu'il  a  bâties  avec  une 
dépenfe  prefque  Royale.  Mais  après  la  mort  de  ce  grand  Roi, 
fes  envieux ,  6c  fur-tout  le  cardinal  de  Lorraine  ,  lui  rendirent  de 
mauvais  offices  auprès  de  Henri  IL  6c  lui  firent  perdre  la  faveur 
delà  Cour.  Du  Bellai ,  qui  ne  put  jamais  fouffrir  les  injuftices  , 
fe  retira  à  Rome,  où  il  fut  déclaré  évêque  d'Qftie  ,  en  qualité 
de  Doyen  dufacré  Collège.  Les  fervices,  qu'il  avoit  rendus  à 
la  France  6c  au  Saint  Siège ,  font  croire  qu'il  étoit  digne  en- 
core de  plus  grands  honneurs.  Il  mourut  à  Rome,  dans  le  Pa- 
lais magnifique,  qu'il  y  avoit  fait  bâtir  près  des  Thermes  de 
Diocletien ,  6c  mérita  les  larmes  de  l'Eglife  ,  dont  pendant  fa 
vieil  avoit  fouhaité  la  réforme.  Joachim  du  Bellai l  étoit  delà     Mort  du 
même  famille  ,  dont  il  fe  montra  digne  par  les  agrémens  de  Poète  Joa- 
fon  efprit.  Il  mourut  à  Paris  d'une  paralyfie ,  le  premier  de  Jan-  j^™   u 
vier  de  la  même  année.  Dans  une  fortune  fort  au-defibus  de 
l'élévation  de  ceux  dont  je  viens  de  parler ,  il  fe  diftingua  par  fes 
poëfies  Françoifes.  On  loue  entre  fes  ouvrages  les  Trifles ,  qu'il 
compofa  à  Rome  étant  à  la  fuite  du  cardinal  du  Bellai  fon  cou- 
fin,  fes  Jeux  ruftiques ,  6c  un  recueil  de  vers,  qu'il  dédia  à  Mar- 
guerite duchefle  de  Savoye.  Il  ne  réufllt  pas  fi  bien  dans  les 
vers  latins  qu'il  fit  durant  fon  féjour  à  Rome. 

Il  eft  à  propos  de  parler  delà  mort  deLeiioCapilupi,  ami  Mort  de  Le- 
particulier  de  Joachim  du  Bellai  :  il  mourut  à  Mantouë  ,  où  il  ^°  CaPlluPx- 
étoit  né ,  trois  jours  après  fon  ami ,  à  l'âge  de  foixante  6c  deux 
ans.  Cet  Italien  badina  fi  heureufement  fur  les  vers  de  Virgi- 
le ,  qui  étoit  de  Mantouë  comme  lui ,  en  leur  donnant  un  fens 
différent  de  celui  de  l'auteur,  qu'il  effaça  tout  cequ'avoient 
fait  avant  lui  en  ce  genre  Aufone,  6c  Proba  Faîconia.  Il  fit 
fur-tout  des  Centons  très-eftimez  fur  l'origine,  la  vie,  6c  les 
règles  des  Moines ,  furies  cérémonies  de  l'Eglife  ,  6c  furie  mal 
vénérien  j  parodiant  les  vers  de  Virgile,  qui  afiurément  n'avoit 
pu  penfer  à  tout  cela.  Je  ne  puis  pafier  fous  filence  la  mort  de  Mort  de  B 
Bonfadio  né  à  Salo  auprès  du  lac  de  la  Garde.  Il  fe  fit  eftimer  fadl0' 

i  Joachim  du  Sellai  étoit  Chanoine,  &;  Archidiacre  de  l'Eglife  de  Paris. 

îiii  iij 


on* 


62È 


HISTOIRE 


Charle 
IX. 

t  5  5o. 


Mort  de 


par  fa  profe  ,  ôc  par  fes  vers  Italiens  ôc  Latins.  Mais  des  mœurs 
corrompues  ternirent  ces  belles  quaîitez.  Ayant  commis  un 
crime  qu'il  convient  de  taire,  il  eut  la  tête  tranchée  à  Gènes, 
dont  il  avoit  écrit  l'hiftoire  de  quelques  années.  Il  mourut  à  la 
fleur  de  fon  âge,  ayant  confervé  jufqu'à  la  fin  une  grande  force 
d'efprit.  Il  écrivit  même  une  lettre  fort  éloquente  peu  avant  fa 
mortjoù  il  affura  qu'à  l'exemple  deSocrate,il  étoit  prêt  de  fouffrir 
fon  fupplice  avec  un  efprit  intrépide  ôc  tranquille. 
Il  eft  jufte  de  ne  pas  priver  Louife  Sigea  des  éloges  qui  lui  font 
1§ea'  dus.  Cette  illuftre  dame  née  à  Tolède  fçavoit  parfaitement  les 
langues  Grecque,  Latine,  ôc  Hébraïque  ?  ce  qui  peut  paffer  pour 
un  prodige  dans  une  perfonne  de  fon  fexe.  La  Reine  de  Portu- 
gal la  fit  venir  auprès  d'elle,ôc  lui  donna  de  grands  biens.  Elle  eut 
une  foeur  nommé  Angele ,  qui  fut  aufli  fort  fçavante.  Jean  Va- 
feus ,  qui  nous  adonné  unehiftoire d'Efpagne très-eftimée ,  An- 
dré Requefende ,  Alvare  Gomez ,  ôc  François  Luifini  ont  loué  à 
l'envi  l'un  de  l'autre  Louife  Sigea.  S'étant  retirée  à  Burgos,  avec 
François  de  la  Cueva  fon  mari,  elle  y  mourut  fort  jeune  le  13 
d'Octobre  Ôc  laiffa  un  fils. 

Philippe  Melanchton  finit  aufll  fes  jours  à  Wittemberg  cette 
même  année  le  19  d'Avril.  Il  y  avoit  deux  mois  ôc  trois  jours 
qu'il  avoit  paifé  fon  année  climaclerique.  Une  fièvre  double  tier- 
ce ,  prefque  toujours  fatale  aux  vieillards ,  le  mitau  tombeau.  Il 
étoit  originaire  d'Heidelberg,ôc  né  à  Bretten  ville  du  palatinat 
du  Rhein.  George  fon  père  s'étoit  rendu  fameux  par  fon  habileté 
à  manier  les  armes ,  ôc  il  étoit  confideré  à  caufe  de  cela  de 
l'Empereur  Maximilien.  Du  refte  c'étoit  un  homme  de  bien,  qui 
avoit  de  la  pieté.  Melanchton  fit  fes  études  à  Pforzhein  près  de 
Spire,  où  il  y  avoit  alors  un  Collège  fort  célèbre:  Jean  Hunger 
ôc  George  Simler  furent  fes  maîtres.  Ayant  eu  le  bonheur 
de  fe  concilier  l'amitié  de  l  Reuchlin,  le  plus  fçavant  hom- 
me de  fon  tems,  celui-ci  lui  confeilla  de  changer  fon  nom ,  qui 
fignifioit  en  Allemand ,  terre  noire,  ôc  de  prendre  celui  de  Me- 
lanchton 2  mot  grec,  qui  fignifie  la  même  chofe.  Reuchlin  fe  fou- 
venoit,  que  lorsqu'il  étoit  en  Italie  ,  Hermolao  Barbato  lui  avoit 
donné  le  nom  de  Fumée,  ou  deCapnion  ,  parce  que  Reuchen 
langue  Allemande  ,  ôc  Ktejrvef  en  Grec  veulent  dire  Fumée. 
Quelque  tems  après ,  de  grands  troubles  s'étant  élevez  dans 


Mort  de  Phi 
lippe  Melan- 
chton: fonça 
rafteie. 


1  Reuchlin  e'coit   l'oncle  maternel 
de  Melanchton ,  quoique  M.  de  Thou 


n'en  dife  rien. 
1  pU*i  noir ,  yj»* ,  terre. 


DEJ.  À.  DETHOU,Liv.  XXVI.       €23 

l'Empire,  fur  les  matières  de  la  Religion  ,  Melanchton  s'attacha  ;  »  » 
à  Luther,  qu'il  accompagna  prefque  toujours.  Mais  le  caracte-  Charle 
re  du  difciple  fut  très-oppofé  à  celui  du  maître.  j  xo 

Melanchton  faifoit  tousfes  efforts,,  pour  engager  Luther  à  n'a-  1  e  $q. 
vancer  aucune  propofition ,  qui  ne  fut  claire,  ôc  à  portée  d'être 
entendue  de  tous,  ôc  vouloir  qu'on  expliquât  les  matières  obfcu- 
res.  De  plus  t  il  aimoit  tant  la  tranquillité  ôc  la  concorde ,  qu'il 
foûtenoit  qu'on  devoit  agiter  feulement  les  matières  eflentiel- 
les,  fermer  les  yeux  fur  des  abus  peu  confiderables ,  ôc  tolérer 
bien  des  chofes.  Une  fi  grande  modération  dans  ce  Dotleur 
équitable  lui  attira  la  bienveillance  de  plufieurs  grands  hommes, 
de  ceux  mêmes  qui  ne  penfoient  pas  comme  lui,  en  un  tems  où 
les  efprits  étoient  extrêmement  échauffez  fur  ces  matières.  Fran- 
çois I.  connohTant  les  difpofitions  de  Melanchton  pour  procu- 
rer la  paix  de  PEglife,  fur  ce  que  le  feigneur  du  BellaideLan- 
gei  lui  en  avoit  dit,  lui  écrivit  de  Guife  en  1 5* 3 3  ,  ôc  lui  envoya 
Voré  de  la  FofTe  3  pour  l'engager  à  venir  en  France.  Il  lui  man- 
doit.qu'on  y  tiendroit  une  conférence  avec  lui  ôc  avec  plufieurs 
Théologiens  habiles ,  pour  parvenir ,  s'il  étoit  poftible ,  à  l'union 
des  Catholiques  ôc  des  Proteftans.  Deux  ans  après,  Jaque  Sa- 
dolet  évêque  de  Carpentras  étant  venu  à  Rome  ,  ôc  ayant  été 
nommé  Cardinal,  lorfqu'il  s'y  attendoit  le  moins,  ôc  qu'il  ne  le 
fouhaitoitmême  pas,écrivit  à  Melanchton  une  lettre  fort  civile, 
pour  lui  demander  fon  amitié  ,  ôc  l'affurer ,  que  malgré  la  diffé- 
rence des  fentimens  ,  ôc  la  diftance  des  lieux ,  il  defiroit  ar- 
demment d'avoir  avec  lui  un  commerce  de  littérature.  Mais 
cet  homme  fi  eftimé  des  étrangers,  ôc  fi  recherché  de  ceux 
dont  la  Religion  étoit  différente  de  la  Tienne  ,  éprouva  un  fort 
bien  différent  dans  fon  propre  payis ,  par  laperfécution  de  ceux 
qui  étoient  Proteftans  comme  lui.  Il  s'éleva  en  Allemagne  une 
faction  de  Luthériens  zelez  ,  qui  rejettant  avec  pafTion  toutes 
propofitions  de  conciliation  ôc  de  paix  ,  décîamoient  avec  em- 
portement contre  ceux  qui  propofoient  des  tempéramens  ,  les 
appellant  Adiaphoriftes  l  ou  Intérimifies  2,  noms  odieux  ,  qu'ils 
avoient  forgez,  pour  décrier  la  modération  des  plus fages.  Les 
chefs  de  ce  parti  outré  furent  Matthias  Flacius  Ulyricus ,  ôc  Ni- 
colas Gallus.avec  qui  Melanchton,  qui  aimoit  la  paix,  fut  obligé 
d'avoir  des  différends  toute  fa  vie.  Après  fa  mort,  les  Proteftans 

1  C'efl-à-dire  indifferens. 

2  Par  rapport  au  fameux  intérim  de  Charle- Quint, 


624      HISTOIRE  DE  J.  A.  DE  THOXT. 

_..  blâmèrent  en  lui  cet  éloignement  des  diiTentions  &  des  difputes> 

C  h  arle  ^ont  J'a*  Par^  •  aufli-bien  4ue  fa  troP  grande  application  à  l'étude 
jy         de  la  Philofophie  &  des  Mathématiques  3  &  fur  tout  de  l'Aftro- 
/       logie  Judiciaire.  Joachim  Camérarius  fon  ami  a  écrit  fa  vie  ; 
avec  autant  d'éxaclitude  que  d'élégance.  Comme  j'ai  lu  cet  ou- 
vrage avec  plaifir ,  je  conièille,  fur  tout  à  ceux  qui  aiment  la  paix 
de  l'Eglife ,  de  le  lire. 
Mort  de  Au  refte  Méîanchton  laifla  plufieurs  filles,  dont  une,  nommée 

bin  &de  Pier-  Anne,époufa  George  Sabin  de  la  Marche  né  dans  Brandebourg, 
re  Lotkkius.    poète  d'une  affez  grande  réputation  chez  les  Allemans.   Les 
Cardinaux  Bembo  &  Contarini ,  J.  B.  Egnatio  &  Louis  Be~ 
catelli  j  tous  Italiens ,  eftimerent  beaucoup  Sabin  durant  fa  vie. 
Il  mourut  à  Francfort  fur  l'Oder ,  où  il  avoit  fixé  fa  demeure ,  la 
même  année  que  fon  beau-pere ,  le  premier  de  Décembre  à  l'âge 
de  cinquante-trois  ans.  Pierre  Lotichius  Secundus,  plus  jeune 
que  ce  dernier ,  &  âgé  feulement  de  32  ans,  finit  fes  jours  à  Hei- 
delberg  le  premier  de  Novembre.   Il  étoit  né  à  Solitar  dans  le 
comté  de  HanaW ,  &  fut  à  mon  avis  ,  après  le  célèbre  Eoba- 
nus ,  du  payis  de  Hefle  »  un  des  meilleurs  Poètes  qu'ait  produit 
l'Allemagne.  Trois  ans  après  fa  mort ,  Camérarius  publia  un  re- 
cueil de  fes  vers ,  qui  fait  voir  ce  qu'on  auroit  dû  attendre  de 
lui ,  fi  Dieu  lui  avoit  donné  une  plus  longue  vie. 
Mort  de         D  es  le  mois  de  Janvier  Nicolas  Gerbel  de  la  ville  de  Pforzhçim 
?  f&d  ^C1~  ^to*t  mort-  C'étoit  un  homme  de  bien ,  &  très-eftimable  par  fon 
Diiander.       ôc  fçavoir  par  la  douceur  de  fes  mœurs.  Il  avoit  profeflé  le  droit 
à  Vienne  en  Autriche  avec  un  grand  applaudiffement,  &  avoit 
été  lié  d'une  étroite  amitié  avec  JeanCufpinien  ,  le  plus  fçavant 
homme  de  fon  tems.  Il  étoit  venu  s'établir  à  Strasbourg,  où  il 
mourut  fort  vieux,  Jean  Driander  né  à  "Wetteren  en  HefTe, quitta 
aulîi  cette  vie  le  20  de  Décembre  à  Marpurg ,  où  il  avoit  long- 
tems  enfeigné.  Il  avoit  profefTc  avec  beaucoup  de  fuccès  la  Mé- 
decine &  les  Mathématiques,  &  publié  d'excellens  ouvrages  fur 
ces  fciences.  Il  fit  de  fçavantes  découvertes  dans  l'Aftronomie  ; 
&  imagina  de  nouveaux  inftrumens  par  rapport  aux  aftres  3  ou 
perfectionna  ceux  qu'on  avoit  déjà. 

Fin  du  Tome  troifiéme,% 


Gta ! tn S23 GîW  •  tr G*X> S*3  Ô*S> ff*û 5 *3 CTO S*S S#£> ff*S S *Û u#3 S*3 VfOGtDVtOGtS>G*SS*S>U*OQtDGK>Gi£GtCatnQt3 

RESTITUTIONS, 

DIFFERENTES    LEÇONS, 

VARIANTES, 

NOTES     ET     CORRECTIONS 

DU  TROISIEME  VOLUME- 
EXPLICATION    DES    MARQVES 

dont  on  syeflfervi  pour  déjigner  les  endroits  d'où  font  prifes 
les  Rejlitutions  quifuivent, 

V  *.  Signifie  que  le  pafïage  reftitue  étoit  dans  l'édition  de  Pari/Ton ,  in  folio 

AÏS.  Reg.     Veut  dire  que  le  paffage  reftitue' ou  la  variante  eft  dans  le  Manufcrit 

de  la  Bibliothèque  du  Roi ,  qui  eft  celui  de  l'Auteur  même. 
MS.Samm.  Fait  entendre  la  même  chofe  du  Manufcrit  de  Meilleurs  de  Sainte-. 

Marthe. 
P.  Défigne  les  variantes  prifes  de  l'e'dition  de  PathTon. 

Do  Dénote  les  variantes  prifes  de  l'édition  des  Drouarts.  La  leittre  (f) 

marque  l'édition  des  Drouarts  in  folio,  (o)  la  même  inoftavoy 

(d)  la  même  in  douze. 
Put.  Signifie  que  la  note  ,  ou  la  correction  eft  de  Meilleurs  Dupuy. 

Rig.  Que  la  note ,  ou  correction  eft  de  Rigault. 

C  Que  la  note ,  ou  correction  eft  de  l'Editeur  Angîois. 

Edit.  Angl.  Défigne  l'édition  d'Angleterre. 

Ip4.  Tiiuan.  L'index  des  noms  propres  qui  font  dans  I'Hiftoire  de  M.  de  Thou»" 
Tout  ce  qui  n'eft  précédé  ni  fuivi  d'aucune  marque ,  eft  de  nous. 

LIVRE    DIX-SEPTIEME. 

J  AGE  2.  ligne  2.  Talcrs,  ou  Taylor. 

i  I..9.  De  S.  Davids,  not.  On  l'appelle  aufliPE- 

vêque  de  Menevia.  Put. 

Pag.  3.I.  29.  Les  Regiftres  publics  font  foi  que  la  Reine-mere 
fut  proclamée  Régente  du  Royaume  d'Ecofîe  le  12.  d'A- 
vril iy?4.  C. 
.    TomeUL  Kkkk 


-*26  RESTITUTIONS, 

Pag.  4. 1.  p.  Areskin ,  ou  Erskine. 

1.  1 1 .  Mudyard ,  ou  Moydard. 

1.  20.  Guillaume  chef  de  la  maifon  de  CathnefT,  lif 
Guillaume  Mackintosh  chef  du  Clan-Chattan.  C. 

3.2i.  Du  Comte  de  Murray,  (Jacques  Smart)  fils 
naturel  du  Roi  Jacques  IV.  C. 

L  27.  Du  Comte  de  Cafleley ,  lif  de  Caffils. 
Pag.  5'.  1.  7.  Innernes ,  lif  Inverneff. 

1.  p.  D'Athole.  lif  Jean  Smart  Comte  d'Athol. 
L  27.  Le  Rouge,  ou  de  Ruby. 
1.  30.  De  RofTe  ,  ou  de  Roflf. 
^ag.  6. 1.  10.  Sandlands,  ou  Sandilands  de  Calder,  Chevalier 
de  Malthe  &  Prieur  de  l'Ordre  en  Ecofle.  C. 
!£/'<£  Weemes,  ou  Weenis. 
Pag.  8. 1.  6.  Carow  a  lif.  Carew. 
I.33.  Ecofïbis,  lif.  Scot. 

1.  37.  Cool  Principal  du  Collège  d'Etone ',  lif  Coie 
Prévôt  de  l'Eglife  d'Eton.  C. 
Pag.  p.  1.  8.  Stocch ,  lif  Stokes. 
Pag.  1 1. 1.  16.  Frifuide ,  lif  Fridifwide. 

I.21.  Marfall ,  lif  Marshall. 
Pag.  14. 1.  2^.  Neuf  foldats,  lif  foixante. 
Pag.  1 6. 1.  27.  Caftone ,  lif  Cortone. 

Pag.  18.I.  s  p.  A  la  Cour,  ajout.  &  principalement  des  Lot^ 
rains ,  qui  ne  cherchoient  qu'à  faite  des  remuëmens  dans 
l'Etat.  P.  * 
Pag.  2 1. 1.  7.  Cani ,  lif  Cavi. 

Pag.  22. 1.  1 3.  Du  côté  de  la  mer ,  not.  Ord  maritimâ ,  c'eft-à« 
dire,  des  places  &  de  la  campagne  qui  étoient  le  long  de  la 
côte  ;  parce  qu'elles  étoient  occupées  par  Corne  Duc  de 
Florence ,  qui  empêchoit  les  fecours  que  les  Sienois  au- 
raient pu  en  tirer. 
VsLg.2SA.16.  Duchefle  de  Valentinois ,  lif  Cette  enchante- 
relie ,  qui  lui  fafcinoit  les  yeux.  P.  D.  0.  f. 

1.  26.  Aux  Guifes ,  ajout,  que  l'ambition  aveugloit.  P. ¥ 
Pag.  34.  l.p.  Frofolone,  ou  Frufoîone. 
1.  33.  Piperna,  lif.  Piperno. 
îbid.  Fiorentino ,  lif  Ferentino, 
Pag.  3  j.  î,  27.  Frafcati,  ou  Frefcati. 


CORRECTIONS,  kc.  £27 

Pag.  41.I.  1 .  ajoutez  :  mais  comme  l'argent  lui  manquoit ,  fo& 
voyage  fut  inutile.  P.  D.  0.  f. 

Pag.  50.I.  2.  Quatre  mille,  lif  iïx  mille. 

Pag.  54. 1.  dern.  De  Nardo  ,  lif.  de  Nami. 

Pag.  $ 7.I.  32.  Jean  Roufleau,  lif.  Pierre.  Put. 

Pag.  5-8.I.  y.  BruTonnc ,  lif  Boiflbnné ,  ou  Boëflbnné ,  &  ainfi 
partout. 

Pag.  jp.  1.  24.  Une  torche  à  la  main,  ajout.  On  lui  fit  fubir  1$ 
même  peine  à  Chambery.  Edit.  Angl. 

1.  25".  Les  Princes  de  la  maifon  de  Guife,  lif.  ici ,  e>! 
partout  ailleurs  >  les  Guifes.  M.  de  Thou  ne  les  a  jamais 
appeliez  Princes ,  lorfqu'ii  a  parlé  de  lui-même  dans  le  cours 
de  fon  hiftoire. 

lbià.  Ajoutez  :  qui  tiroient  un  honteux  profit  des  ac- 
cufations  calomnieufes.  P.  Y 

Pag.  62. 1.  37.  Dix  mille  ,  lif  huit  mille.  Edit.  Angl. 

Pag.  64. 1.  dern.  Et  George  fon  frère ,  lif.  &  George  fon  fils, 
Edit.  Angl. 

Pag.  6j.  1.  8.  Verautz ,  /*/7  Verantz. 

1.  27.  Bacboza,  lif  Babocza,  &  ainfi  ailleurs: 

Pag.  66. 1.  37.  Le  deux  de  Juin,  lif  le  dix.  Edit.  Angl. 

Pag.  5p.  1.  ip.  Nadafdii,  ou  Nadafdy.  Il  faut  dire  le  même 
de  tous  les  noms  terminez  en  ii}  qu'on  peut  terminer  paç 
un ,  y. 

1.  33.  Rigné,  lif  Rigne,  aliàs  Rinnia. 

Pag.  70. 1.  2.  Canifia ,  lif.  Canifa. 

Pag.  72.I.  10.  Il  parut  le  6.  Mars,  pendant  &c.  lif.  Il  parut 
le  6.  Mars,  &  on  vit  pendant  &c. 

Pag.  76. 1.  dern.  Ajoutez  :  Gelida  étant  mort,  le  foin  du  Col- 
lège de  Bordeaux  fut  confié  à  Elie  Vinet ,  qui  avoir  dès- 
lors  ,  comme  il  a  fait  depuis ,  rendu  de  très-grands  fervices3" 
non-feulement  à  ce  Collège,  mais  à  toute  la  République 
des  Lettres.  Il  s'acquitta  longtems  de  cette  charge  avec 
beaucoup  d'honneur,  de  gloire,  &  d'applaudiifemens.  P; 
11  remplit  cette  fon&ion  jufqu'à  une  extrême  vieillerie; 
<lans  laquelle  il  conferva  jufqu'au  dernier  foupir  toute  l<i 
force  de  fon  corps  &  de  fon  efprit.  D.  0.  f 


Kkkk  ij 


tfaS'  RESTITUTIONS,, 


LIVRE     DIX-HVITIE'ME* 

Pag.  7p.  Lu.  Megen,  /^  Meghen. 

Pag.  84. 1.  dern.  Nuvolara,  ou  Nugolara. 

Pag.  (?2. 1.  32.  Henrique,  ou  Henriquez. 

Pag.  93.I.  2  S.  Huit  cens  coups,  lif  deux  mille  huit  cens, 

MS.  Reg. 
Pag.  5)4. 1.  30.  Monticello,  Monticiello,  0»  Montichiello. 

1.  dern.  Chiufdino, félon  Adriani.  Montluc  dit,  Chiufi, 
Pag.  5)5. 1.7.  Saint  Génies.  Il  y  a  plus  d'apparence  que  c'en: 

S.  Gêniez. 
Pag.  100. 1.  8.  Le  Mont  de  l'Argentera,  lif  Monte  Argen^ 

taro. 
Pag.  iop.l.  26.  Montalto,  lif.  Montauti,  ou  Montacutir 
Pag.  1 1 51. 1.  p.  Filletino ,  lif  Filettino. 
Pag.  120. 1.  2.  Rocca  di  Moro ,  lif  Morro. 
Pag.  121. 1.32.  Maltiniano ,  lif  Maltignano. 
Pag.  123.I.  27.  S ura  ,  lif  Sora. 
Pag.  i2p.l.  33.  Le  11.  d'O&obre  ,  lif  le  $.  de  Septembre« 

Edit.  Angl. 
Pag.  130.1. 2.  De  Sanciam,  lif  de  XanfL 


LIVRE     D1X-NEVV1EME. 

Pag.  141. 1.2.  Veherdan,  Verden,  Vehrden,  ou  Ferden. 

Pag.  144. 1.  3  1 .  Grands  du  Royaume ,  ajout,  tenue  à  Newbotle^ 

Pag.  14(5. 1.  24.  Jacques  Sec  lif  Le  Lord  Jacques  Fleming  Ba- 
ron de  Cumbernald.  C. 

1.  27.  Montrofe  ,  ou  Montre  (T. 

Pag.  147. 1.  20.  Avec  la,  lif  avec  de  la ,  ou  avec  quelque  ca- 
valerie. 

Pag.  148. 1.  3  6.  Longuevaî ,  ajout,  à  qui  le  Cardinal  avoit  fufei- 
té  au  commencement  de  ce  règne  un  injufte  procès,  com- 
me il  a  été  rapporté  en  fon  lieu.  P.  * 

Pag.  14p.  1.  3 .  Les  auteurs  de  cette  guerre ,  lif  les  Guifes.  P.  * 

Pag.  150. 1. 15.  Brueil ,  lif  Breuil.  ' 


CORRECTION  S,  &c<  fcy> 

Pag.  15*0. 1.  30.  De  Lalain,  lif  Lalane. 

1.  3  2.  Vaulperghe ,  Valfpergue ,  Vaupergue ,  ou  Vak 
pergue. 
Pag.  1 51.I.  8.  Fauxbourg  d'Ile, lif  Fauxbourg  de  Tlfle. 
Pag.  ifp.l.  36.  Fils  du  Duc,  lif  fils  du  Connétable. 
Pag.  160. 1.  1.  Neufui,  ///7  Neufvy. 
1.  2.  Marcai ,  ///7  Marcay. 

î.  5.  Montfalel.  L#  Popeliniere  l'appelle  >  Monfalez; 
1.  3  6*.  Par  leurs  artifices,  ajout.  Maisabufant  de  ce  mê- 
me crédit  &  s'en  fervant  pour  ruiner  le  peuple,  ils  rempli- 
rent la  France  de  fa&ions  ,  &  la  réduisirent  enfin  à  deux 
doigts  de  fa  perte.  P.  * 
Pag.  153.I.  2 6.  Polviller  de  Weiiïembourg  ,  lif.  Polweiler, 
not.  Nos  Hiftoriens  le  nomment  Polleville.  Mathieu  tome 
1.  p.  17p.  dit  qu'il  étoit  de  Mafmunfter  ,  Bourg  où  il  y  a 
une  célèbre  Abbaye  de  Benedi&ins  fondée  l'an  730.  par 
Mafon  Duc  d'Allemagne.  M.  de  Thou  l'appelle  Sebufia- 
w«j,c'eft-à-dire,  de  Weiflembourg  en  Alface,  appelle  pai* 
les  Latins  Sebufiana  Sylva ,  ou  Sebujtum. 
Pag.  166.I.36.  ôc  37.  bra-rent,  lif  braquèrent. 
Pag.  itfp.  1.  dern.  D'Arbouville ,  ou  d'Arboville. 
Pag.  182.1. 1 1.  Le  14.  de  Septembre,  lif.  le  27.  de  Septem* 
bre.  Put. 

1.  14.  Né  dans,  effacez  né. 
Pag.  187. 1.  14.  Macrin ,  lif.  Salmon,o»  Salomon  Mairin; 

Noir.  2.  Mikron.  V Editeur  Anglois  le  nomme ,  MU 
tren. 


LITRE     VINGTIEME. 

Pag.  ip4.  î.  7.  Ali-ben-Bubcar ,  ou  plutôt ,  Bubcar-ben-Aly. 
Pag.  ipf.l.  12.  Yahaya,  ou  Jahaya. 

Pag.  197. 1.  33.  Deux  mille  hommes.  Suivant  V édition  de  Lon- 
dres ,  douze  cens. 
Pag.  202.I.  7.  Tingitane,  ainfi  appellée  de  la  ville  AeTingi , 
aujourd'hui  Tanger.  C. 

Cefarienne ,  appellée  aujourd'hui ,  le  Tiguident.  C.  • 
L  _p,  Larache,  Liffhs  >  not.  Ce  fleuve  ne  peut  être 


63o  RESTITUTIONS, 

méridional  au  Royaume  de  Fez  5  il  fembleroit  que  ee  dut 
être  plutôt  Ziz,  rivière  qui  fe  jette  vers  le  Midi  dans  u« 
Lac  du  même  nom  >  entre  celles  de  Dara  &  de  Ghir.  Put* 

Pag.  205.I.  25-.  Trois  cens,  effacez  cens. 

Pag.  210.I.  34.  On  s'affembla,  ajout,  au  Palais. 
1.  37.  Et  le  Duc,  lif  ôc  Charles  Duc. 

Pag.  217.I.  1.  Eprouvé,  lif.  approuvé. 

Pag.  221. 1.  20.  D'Angus,  lif.  de  Rhotes. 

1.  24.  Par  les  frères  du  Régent  &c.  iif  par  les  Gui~ 
fes ,  parce  qu'ils  s'oppofoient  à  leurs  delleins  &  à  ceux  du 
Régent.  P.  * 

Pag.  222.I.  20.  Des  Guifes ,  ajout,  attentifs  à  profiter  de  nos 
malheurs.  P.  ¥ 

1.  24.  Fa&ions ,  ajout.  Pour  y  mieux  réûfïlr  ils  eurent 
recours  à  l'intrigue,  fe  fervirent  de  leur  crédit,  s'abbaiflerent 
jufqu'à  la  baffe  flaterie ,  ôc  jetterent  dans  l'efprit  du  peuple 
les  fatales  femences  de  la  révolte.  P.  * 

1.  3  3.  Calais ,  lif.  Le  Duc  de  Guife  ufant  du  fpécieux 
prétexte  de  la  Religion ,  &  fuivant  les  confeils  du  Cardi- 
nal fon  frère ,  fe  fervit,  pour  faire  perdre  à  d'Andelot  l'afc 
fe&ion  du  Roi ,  d'une  occafion  &c.  P.  * 

Pag.  223 . 1.  3  o.  En  faveur  de  la  Religion ,  lif.  pour  établir  une 
paix  fonde  dans  la  maifon  de  Dieu.  P."* 

Pag.  225*.  1.  17.  Déjà  très-puinante  en  France ,  lif  qui  afpiroij: 
déjà  à  tout  .ce  qu'il  y  a  de  plus  grand.  P.  * 

1.  25.  Revenus,  ajout.  Enfin  à  l'infçu  des  deux  Cou* 
ronnes,  le  Duc  de  Guife  qui  fut  tué  à  Blois,  vint  à  bout 
de  faire  un  traité  fecret,  d'abord  avec  D.  Juan  d'Autriche , 
&  enfuite  avec  Philippe  lui-même.  Ce  fut  à  la  faveur  de 
cette  alliance  qu'on  le  vit  ofer  tourner  contre  fon  Roi  des 
armes  qu'il  n'avoit  prifes  que  fous  le  fpécieux  prétexte  d'ex- 
terminer les  hérétiques.  Sa  mort  ne  fervit  qu'à  faire  éclatet 
la  conjuration  ;  &  dès-lors  tous  les  Lorrains  s'appuyèrent 
ouvertement  des  forces  de  l'Efpagne,  pour  attaquer  le  Roi> 
Je  Royaume  ,  &  toute  la  maifon  Royale.  C'eft  ce  qu'on 
pourra  voir  dans  cette  hiftoire  ,  fi.  Dieu  me  donne  aflez 
de  vie  &  de  loifir  pour  la  continuer ,  ou  du  moins  dans  les 
écrits  de  ceux  qui  tranfmettront  à  la  pofterité  les  évenemens 
des  années  fuivantes.  Ainfi  l'on  fe  retira  &c.  MS.  Reg. 


CORRECTIONS;  Sec:  6$t 

Pag.  2 26. 1.23.  Quelque  chofe,  ajout,  par.  les  émiiTaires  des 
Guifes.  P.* 

Pag.  22p.  1.  15".  Thionville,  ajout.  Que  quelques-uns  croyent 
avoir  été  le  Divodurum  des  anciens ,  &  qui  a  depuis  été 
appellée  Theodonis  Villa.  MS.  Reg. 

1.  26.  Luflfebourg ,  les  Allemands  le  nomment  OÙ* 
burg.  C. 

Pag.  23  i.l.  10.  Le  dix  de  Juin,  lif.  le  huit. 

Pag.  23  6.1.  13.  Gous  ,  lif.  de  Gohas. 

Pag.  238.I.  23.  Bergues  S.  Winoc ,  lif.  Winox.1 

Pag.  243. 1.  23.  Waackene  ,  ou  Waackenhem. 

Pag.  244.I.  22.  Nogaret,  la  Vallette.  Otez  la  virgule  3&  lif, 
Nogaret  de  la  Valette. 

1.  27.  Antoine  de  Luxembourg  Comte  de  Roufil. 
C'eft  une  faute  de  M.  de  Thou,  l'hiftoire  Généalogique  de 
France,  vol.  3.  p.  730.  apprend  que  Louis  de  Luxembourg 
étoit  Comte  de  RouiTi ,  fon  frère  aîné  Antoine  étant  ap- 
pelle Comte  de  Brienne.  C. 

I.33.  De  Defcars,de  la  Vauguion ; &«;  la  virgule , 
&  lifezy  d'Efcars  de  la  Vaugion. 

I.  34.  D'Hangeft-Janlis ,  lif  de  Genlis, 

Pag.  245:.  1.  4.  ReirTenbergers ,  lif  ReifFenberg. 

Pag.  248. 1.  1 1.  Levé ,  ou  Leyva. 

Ibid.  Lodogno  ou  Londono. 

Pag.  25"o.  1.  14.  Viglius,  ajout,  de  Ayta.  Edit.  Angh 
1.  18.  Thirleby,  ou  Thurlby. 

Pag.  2ji.l.  dern.  Le  1$.  de  Novembre.  Suivant  V édition  de 
Londres ,  le  dix-feptiéme. 

Pag.  25*2.1.  25".  Guillaume  Peyt  &c.  L'Editeur  Anglois  cor- 
rige ici  M.  de  Thou.  Il  veut  qu'on  dife  Pierre  ,  au  lieu 
de  Guillaume  5  &  il  prétend  que  ce  Cardinal  étoit  d'une 
illuftre  &  très-ancienne  famille  dans  le  Comté  de  Warvich , 
arriére  petit-fils  de  Guillaume  Peyt,  qui  dans  les  guerres 
de  France  fervit  avec  honneur  dans  l'armée  de  Henri  VI. 
Roi  d'Angleterre  5  &  que  le  fameux  gênerai  Jean  Talbot 
Comte  de  Shrepphire  Maréchal  de  France  choifit,  pour  fon 
Lieutenant  dans  cette  dignité  l'an  1448.  C, 


6*z  RESTITUTIONS, 


'5 


LIVRE     FINGT-VNIE'ME. 

Pag.  2^7. 1. 1.  Roche-Sparviere ,  lif.  Roque  Sparviere. 
Pag.  2^8.1.  i y.  Satisfait,  0/00;.  parce  qu'il  lui  avoit  reproché 
en  face  fa  lâcheté  en  prefence  du  Roi.  P.  * 

1.  18.  Huguenots,  lif.  Proteftans.  On  prie  le  Lec- 
teur de  remarquer  pour  toute  la  fuite  de  cette  hiftoire  que 
jamais  M.  de  Thou ,  parlant  en  hiftorien ,  ne  s'eft  fervi  des 
noms  de  Papijies  >  Calviniftes ,  Huguenots  >  Hérétiques  s  Sec- 
taires. Ainfi  partout  où  ces  ternies  ont  échappé  au  Traduci 
teur,  il  faut  fubftituer  les  mots  Catholiques,  P  rote  flans. 
1.  20.  Valenza ,  lif.  Valence ,  en  Dauphiné. 
1.  34.  Valence,  lif.  Valenza,  en  Italie. 
Pag.  2jp.  Lp.  De  Pelous,  Pelou,  ou  Peloux.  C'eft  le  mêms 

Officier. 
Pag.  264. 1.  32.  Le  19.  lif.  le  15-.  d'Avril. 
1.  3  6.  Sueve  ,  ou  Suabe. 

J.  37.  1207.  Suivant  P  édition  de  Londres,  120S. 
Pag.  26 6 A.  16.  Le  Golphe  de  Pautzkerwich.  Sinus  Venedicus* 
not.  Quelques-uns  l'appellent  Frifchaff  :  mais  Ortelius  re- 
jette ce  fentiment,  &  dit  qu'on  l'appelle  maintenant^ Pautz* 
kerwic/h  Voyez  Pontanus  dans  fonliiftoire  de  Dannemarcjc, 
Put. 

1.  24.  Duîna ,  ou  Dwine.' 
1.25*.  Moskwa,  Mosko,  ou  Moskow; 
1.3y.  Volochga,  ou  Vologhda. 
Pag.  267. 1.  8.  Ilmen,.0#  limer. 

1.  p.  Wolchow ,  ou  Wielk. 
\.ï6.  Kokenhufen,  ou  Kokenhauz. 
1.  25.  Derpt,  Derbet,  ou  Dorpt. 
Pag.  26$.  1.  11.  Pomefanie,  ou  Pomezam. 
1.  18.  Wefeberg,  ou  Wefenberg. 
Pag.  270. 1.  dern.  Herminge ,  lif  Hemming. 
Pag.  271.I.  16.  Dunamond ,  ou  Dunemond. 
Pag.  273. 1.  \6.  Les  écoliers  qui  leur  étoient  attachez,  ou  là 
jeunelfe  qui  avoit  embrafle  leur  Se&e.  P.  D.  0. 

1.  27.  L'ancienne  Religion,  lif.  le  Papifme.  P.* 

V^.  274: 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  S,  Sec.  <j$ 

Pag.  274. 1.21.  Blankelfeld,  lif  Blakenfeld. 

Pag.  275".  1.  35*.  En  Mofcovie,  lif.  à  Moskow. 

Pag.  276".  I.22.  Romanie.  Les  Turcs  l'appellent  Romelie. 

Pag.  277. 1.  32.  Polaquie  ,  lif.  Poloskie. 

Pag.  278. 1.  3.  Tvverin  ,  Twer  ,  ou  Tweren. 

Pag.  28 1. 1.  27.  Jodoc  ,  lif  Joffe. 

Pag.  284. 1.  34.  Joachims ,  not.  Ce  font  Thalers  battus  fous 
l'Eledeur  de  Saxe ,  de  la  vallée  de  Joachimftal  es  con- 
fins de  la  Mifnie  &  de  la  Bohême  ,  qui  peuvent  valoir 
environ  jo.  fols,  pièces  d'argent.  Lyfimachici  ,,  dont  il 
parle  au  neuvième  livre  ,  p.  324.  étoient  médailles  d'or 
de  Lyfimachus }  trouvées  en  Tranfîlvanie  ,  &  portées  au 
Cardinal  George  Martinufius.  Put.  I. 

Pag.  2£5\  1.  12.  Trente  <5c  un  ans,  lif  trente -fix  ans.  Eàitl 
Angl. 

Pag.  25)8.1.  22.  De  lettres ,  not.  Cornaro  avoit  abandonné  la 
pratique  des  médecins  Arabes ,  pour  fuivre  celle  des  Grecs. 
De  fon  tems  on  n'expliquoit  dans  les  écoles  de  Médecine 
que  les  ouvrages  d'Avicenne  ,  qu'on  regardoit  comme  le 
Dodeur  le  plus  habile  en  cet  art.  On  y  enfeignoit  auffi  la 
dodrine  de  Rafis,  fur-tout  la  méthode  contenue  dans  le 
neuvième  livre  de  fes  écrits  dédié  à  Almanfor ,  où  il  pref- 
crivoit ,  difoit-on ,  des  receptes  infaillibles  pour  toutes  for- 
tes de  maladies ,  celle  d'Albucafis,  d'Avenzoar,  de  Me- 
fuas,  &  d'une  infinité  d'autres  Arabes,  qu'il  feroit  ennuyeux 
de  rapporter.  Cependant  chacun  fuivoit  à  fa  fantaifie  dans 
la  pratique  Bertruccius,  Gatinaria,  Guaincrius,  Valefcus; 
&  plufieurs  autres  fans  nombre  ,  tous  auteurs  modernes. 
On  faifoit  cas  fur-tout  d'Arculanus,  que  quelques-uns  ap- 
pellent aufîi  Herculanus.  A  l'égard  des  auteurs  Grecs  qui 
ont  écrit  fur  la  médecine,  on  les  méprifoit 5 il  y  en  avoit 
même  plufieurs  dont  on  n'avoit  abfolument  aucune  con- 
noiflance  5  l'ignorance  alloit  jufqu'à  défigurer  les  noms  de 
ceux  qui  parmi  eux  ont  excellé  en  cet  art  ;  on  citoit  commu- 
nément dans  les  écoles  Hippocras  &  Gallen.  On  en  avoit 
cependant  quelques  mauvaises  tradudions  faites  par  des 
Efpagnols  &  des  François ,  que  quelques-uns  confervoient 
avec  foin ,  &  qu'ils  regardoient  comme  un  tréfor  ;  du  refte 
on  enfeignoit  encore  les  Aphorifmes  &  les  Pronoftics 
Tome  III.  J-Hl 


*34  RESTITUTIONS/ 

d'Hyppocrate  5  niais  ces  ouvrages  mêmes  étoient  fort  cor- 
rompus &  d'un  ftile  abfolument  barbare.  Melch.  Adam* 
Put. 

Pag.  25)8. 1.  3  5".  Dans  la  préface  Sec.  rwt.  La  penfée  que  M.  de 
Thou  a  voulu  exprimer ,  efï  que  les  effets  du  miroir  cy- 
lindrique étant  prefqu'incroyables  ,  paroiifoient  capables  de 
jetter  dans  l'erreur  le  vulgaire  naturellement  fuperftitieux, 
&  porté  à  attribuer  à  un  art  magique  ce  qu'il  n'entend  pas: 
mais  que  Pena  avoit  démontré  que  ces  effets  étoient  na- 
turels. Le  Traducteur  avoit  bien  pris  cette  penfée  :  mais 
foit  qu'il  foit  échappé  quelques  mots  à  fa  plume  5  foit  qu'il 
fe  foit  glifle  quelque  faute  dans  Pimpreflion ,  on  a  jugé  à. 
propos  de  la  mettre  ici  dans  un  plus  grand  jour. 

Pag.  301. 1.  20.  Nebrija,  ou  Lebrixa. 

Pag. 302.I.  8.  De  Milli,  ou  Mil!. 

1.  p.  Sommerville,  lif  Somervill.  Ou  félon  F  Editent 
Anglois }  Sommervaile, 

1.  10.  Mefan,  lif.  Methuen,  ou  Meffen. 

Pag.  305. 1.  28.  Cupre ,  ou  Couper. 

Pag.  306.1.  8.  Gilepfic  Cambell.  U Editeur  Anglois  le  nomme  , 
Archibald  Campbell ,  Comte  d'Argyle. 

Pag.  307. 1.  27.  Carlil,  m  Craile.  Edit.  Angl. 

Pag.  308.I.5?.  Lermont,  ou  Learmouth. 

Pag.  305».  1.  4.  Kinfan,  ou  Charters,  Seigneur  de  Kinfawns, 
Edit.  Angl. 

1.  20.  Lythco ,  lif.  Linlithgow.  Edit.  Angl. 

Pag.  3 1  o.  1.  dern.  Ajoutez  :  Elle  agitlbit  au  moins  plus  four- 
dement  ;  &  elle  tâchoit  de  combattre  par  la  rufe  &  Par- 
tiflce  3  ceux  qu'elle  n' avoit  pu  obliger  par  la  force  &  la 
violence  à  fe  foumettre  à  fes  ordres.  P.  D.  0.  f.  d. 


LIVRE     V1NGT-DEV  X1EME. 

Pag.  3  1 1. 1.  j.  Jours ,  ajout,  après  avoir  régné  vingt-quatre  ans, 

1.  dern.  Fimen  ,  lif  Fuynen. 
Pag.  3  12. 1.  17.  Dietmarfie  ,  lif  Dithmarfen. 
Pag.  3  14. 1.  8.  Hartwi ,  lif  Hartwig. 

I.32.  Wager,  lif  Wagriem 


CORRECTIONS.&c.  *&) 

Pag.  3  1 5" .  1.  2(5.  Triperft,  ///7  Tirperft. 

Pag.  3  \6. I.  2  j.  Frife ,  wor.  Ce  païs  eft  laFrife  au-delà  de  la  ri- 
vière d'Elbe  au  Duché  de  Holftein.  On  l'appelle  en  latb 
gue  vulgaire  ,  Strant-Freifen ,  &  IVorft-Friefen. 

Pag.  321.I.  7.  Deux  cens  mille  Taers,  lif  quatre-vingt  mille 
Talers. 

1.  28.  De  la  Fionnie ,  lif.  de  Fuynen. 

Pag.  322.I.  23.  Carottes,  not.  Nous  n'avons  point  trouvé  de 
terme  plus  propre ,  pour  exprimer  les  voitures  des  perfon- 
nés  de  diftin&ion,  que  M.  de  Thon  appelle,  ou  Véhicula % 
ou  Germs.  Nous  fçavons  &  le  Le&eur  n'ignore  pas  que  ces 
voitures  étoient  alors  bien  différentes  de  nos  caroiïes  d'au- 
jourd'hui. 

Pag.  328. 1.  ^S.  Moufquetaires,  not.  Le  Ledeur  conçoit  aifé- 
ment  que  ce  n' étoient  pas  alors  des  Moufquetaires  ,  tels 
que  ceux  qui  font  aujourd'hui  en  France  partie  de  la  Maifon 
du  Roi.  Ce  mot  nous  a  quelquefois  échappé  pour  varier , 
Se  ne  pas  toujours  mettre ,  Arquebufîers  ,  qui  eft  le  vrai 
terme  ,  &  qui  exprime  le  mieux  le  mot  Latin  Scloppe* 
tarii.  C'étoient  des  foldats  ,  qui  félon  les  tems  &  les  païs, 
furent  armez  d'abord  d'arquebufes ,  enfuite  de  moufquets , 
&  enfin  de  fufils  ;  l'infanterie  étoit  pour  la  plus  gran- 
de partie  compofee  de  ces  Arquebufîers  ou  Moufquetai- 
res ;  &  M.  de  Thou  les  appelle  Amplement  Scloppetarii. 
Il  y  en  avoit,  mais  en  plus  petit  nombre ,  qui  étoient  à  che- 
val, Scloppetarii  Equités  ;  nous  avons  rendu  cette  expref- 
4ion  par  Arquebufîers  ou  Moufquetaires  à  cheval.  Dans  les 
tems  plus  proches  de  ceux-ci ,  il  nous  fera  peut-être  échap- 
pé quelquefois  de  les  appeller  Dragons  ?*  encore  pour  va- 
rier les  exprefîions  ;  fans  prétendre  décider  fi  les  troupes 
à  qui  on  donne  maintenant  ce  nom ,  ont  commencé  fous 
Henri  III.  fous  Henri  IV.  ou  encore  plus  tard. 

Pag.  330.I.  4.  Marc  Romanaw,  lif.  Marquard  Rennaw. 

Pag.  331.I.  27.  Le  feize  de  May.  M-  Dupuy  veut  qu'on  life,  lç 
dix-fept  de  Juin. 

Pag.  334. 1.  37.  L'Ombrie,  ou  la  Romagne. 

Pag.  3  3  5" .  1.  27.  Bonfigliazzi ,  lif  Gianfigliazzi. 

Pag.  336. 1.  16.  De  Ferrare,  lif.  de  Bologne. 

LUI  ii 


«$6  RESTITUTIONS, 

Pag.  345:.  1.  dern.  Six  années,  lif.  onze  années  entières.  Cejl 
la  vraye  leçon.  P.  D.  o.f. 

Pag.  347.L22.  Breiningen,  lif.  Beiningen. 

Pag.  350.I.  2.  Cette  Princefle  reçut  alors  le  titre  de  chef  de 
l'Eglife  Anglicane ,  not.  L'Editeur  Anglois  remarque  iciique 
M.  de  Thou ,  fuivant  une  erreur  commune  à  tous  les  étran- 
gers ,  fe  trompe.  Il  eft  vrai,  dit-il,  qu'Henri  VIII.  père  d'E- 
lizabeth ,  &  Edouard  VI.  frère  de  cette  Princeffe ,  ont  pris 
le  titre  de  chef  de  l'Eglife  Anglicane.  Marie  elle-même  fa 
fœur  a  été  ainfi  qualifiée  au  commencement  de  fon  règne , 
comme  il  paroît  par  les  regiftres  du  premier  Parlement 
qu' eiie  convoqua ,  &  par  d'autres  a&es  publics.  Mais  Eliza- 
beth  n'a  jamais  pris  cette  qualité?  <3c  quand  on  a  voulu  of- 
ficieufement  la  lui  donner ,  011  elle  ne  l'a  pas  approuvée ,  ou 
elle  l'a  abfolument  refufée.  C. 

Pag.  3  j5>.  1.  30.  Selon  les  vues  de  la  Cour ,  ajout.  Pour  que  l'a- 
vis fut  plus  fecret ,  ce  Magiftrat ,  qui  ne  fe  fioit  pas  à  fon 
Secrétaire ,  avoit  remis  au  Roi  un  mémoire  écrit  de  fa  pro- 
pre main.,  où  il  expofoit  à  ce  Prince  la  manière  dont  il 
devoit  fe  conduire  dans  cette  affaire ,  les  noms  de  ceux 
qu'il  devoit  regarder  comme  fufpe&s ,  leurs  charges ,  leurs 
bénéfices  &  leurs  biens ,  dont  la  plus  grande  &  la  meilleu- 
re partie  étoit  deltinée  aux  fangfuës ,  dont  la  Cour  regor- 
geoit  alors ,  &  dont  le  relîe  devoit ,  fi  on  les  en  eût  crus  ; 
être  diftribué  à  leurs  enfans.  Pour  moi  je  me  fouviens  d'a- 
voir fouvent  entendu  dire  à  Chriftophle  de  Thou  mon 
père  ,  qui ,  comme  tout  le  monde  fçait,  étoit  ennemi  mortel 
de  la  médifance  &  de  tout  ce  qui  avoit  l'air  de  jaloufie 
ou  de  vanité  ,  qu'ayant  été  mandé  à  la  Cour  à  ce  fujet, 
&  ayant  ofé  difputer  longtems  en  particulier  contre  le  Roi 
avec  cette  franchife  &  cette  candeur,  qui  lui  étoient  na- 
turelles., pour  le  détourner  d'un  deflein  que  cet  homme 
plein  de  fagefle  prévoyoit  devoir  être  fatal  à  la  France  & 
au  Prince  même ,  Henri  qui  1V avoit  rien  à  répondre  à  fes 
raifons  avoit  pour  foulager  fa  mémoire  tiré  ce  papier  de 
fa  poche  ;  que  mon  père  ayant  jette  les  yeux  deflus,  le  Roi 
lui  avoit  demandé  s'il  connoifloit  cette  écriture  ;  &  qu'ayant 
repondu  qu'il  reconnoiuoit  parfaitement  la  main  du  Préfi- 


'CORRECTIONS,^;  <*37 

dent  le  Maître ,  le  Roi  fâché  de  cette  réponfe  avoit  aufTi-tôt 
reflerré  le  mémoire.  Depuis  ce  tems-là  il  vit  &c.  P.  * 

Pag.  36b. 1.  3.  Il  vit  toujours  avec  répugnance,  lifil  eut  tou- 
jours deprus  en  horreur  ,  &  il  détefta  ces  affemblées,  dites 
Mercuriales.  D.  0.  f.  d. 

Pag.  361.1.  ip.  Louis  Faur,  lif  du  Faur. 

Pag.  362. 1.  ip.  Homme  de  bien,  ajout,  mais  lâche.  P. * 

1.  23.  Le  Premier  Préfident,  ajout,  auteur  de  cette 
intrigue.  P.* 

Pag.  363. 1.  38.  Le  28.  de  Juin,  lif.  le  28.  de  May.  Suivant  la 
correction  de  M.  Dupuy. 

Pag.  36;.  1.  1.  Clemengis,  lif.  Clemangis. 

1.2.  De  Groeninghen,  lif  de  Groningue. 


LIF  RE     VI  NGT-TROl  S1EME. 

Pag.  374. 1.28.  Madame  de  Valentinois,  ajout.  Les  prenan- 
tes follications  de  Gilles  le  Maître,  comme  nous  l'avons 
dit.  P.  * 

Vag-375'1'  10.  D'Avançon,  ou  d'Avanfon. 
Pag.  3  8 1. 1.  7.  D'Efcars ,  ajout,  dont  l'avarice  obfcurciflbit  VU* 
luftre  naiflance.  P.  * 

1.  8.  Emeri ,  lif  Aymery. 
Pag.  383.I.  ip.  Nantueil,  lif  Nanteuil. 
Pag.  3^2. 1.  1 8.  Baluë,  lif.  Jean  de  Baluë. 

Ibid.  DeVoKey  fUfl  Thomas  de  Wolfey. 
Pag.  3^7.1.  14.  Qu'ainfi,  lif  ainfi. 

Pag.  400. 1.  2.  De  la  bête  dont  il  eft  parlé  dans  l' Apocalypfe , 
ajout,  qui  défignoit  félon  lui  le  Pontife  Romain.  P.  * 
1.2p.  Que  ce  n'avoit,  effacez  que. 
Pag.  401.I.  p.  Dont  les  mœurs  n'étoient  pas  irréprochables,' 
lif.  qui  étoit  plongé  dans  la  débauche.  P.* 

1.  1 6.  Difoit ,  lif.  crioit  hautement.  P.  * 
Pag.  40 $.  1.  4.  Des  Croifettes ,  ou  Crucé.  M.  de  Thou  le  nom- 
me en  Latin  Cruciarius ,  &  faifant  allufion  à  cette  expref- 
fion  latine  qui  lignifie  un  boureau  ou  un  homme  digne  de 
la  corde ,  il  ajoute  dans  l'édition  de  Patifîbn  que,  cet  homm^ 
portoit  un  nom  qui  lui  conyenoit  merveilleufement  bien.  P..  * 


*3&  DESTITUTIONS, 

Nota.  Le  fommaire  qui  eft  à  la  marge  de  la  page  405".  eft 
de  M.  Dupuy.  Nous  faififlons  avec  plaifir  cette  occaiîon 
pour  reconnoître  que  quelques  -  unes  des  notes  qui  fe  trou- 
vent dans  notre  Tradu&ion,  font  de  M. Dupuy,  quoique 
nous  n'ayons  pas  toujours  eu  foin  de  leur  en  faire  honneur. 

Pag,  406. 1.  24.  Mont-midi  3  lif  Mont-medi. 
1.  26.  Valence,  lif.  Valenza. 

Pag.  415.I.  5.  Le  quatre  de  Septembre,  lif  le  deux  de  Sep» 
tembre.  Put. 

Pag.  42 1. 1.  2p.  Galateà ,  lif  Galeata. 

Pag. 428.I.  5.  Maifon  Navarre,  lif  Maifon  de  Navarre. 


-   LITRE     riNGT-Qy  ATRIEME.    . 

Pag.  43  p.  1.  31.  MagnefTe,  ou  Magnefie. 

Pag.  440. 1.  32.  Burfa ,  ou  Burfia.  Ofman-ili ,  félon  Leurxlavkiî, 

Pag.  447. 1.     .   Le  Bâcha  de  Sebafte,  ou  le  Beglierbey  de 

Siwas,  aliàs  Suwas. 
Pag.  45-0. 1.  12.  Bâcha  de  la  Grèce, ou  Beglierbey  de  Romelie, 
1. 14.  Et  follicite  les  peuples,  lif  follicite  les  Geor- 
"    giens,  &  les  cinq  Princes  de  Mazenderan  ,  qui  reftoient 
de  la  race  de  Tamerlan ,  de  joindre  leurs  forces  aux  fien- 
nés.  Edit.  Angl. 
Pag.  45 1. 1. 9.  Le  Bâcha  de  Mazuan,  lif  le  Bâcha  de  Marafch, 
Edit.  Angl. 

1.  1 4.  Casbin ,  ou  Cafmin. 
Pag.  4.5-3.1.  5.  Le  vingt-cinq  ,  lif.  le  vingt-quatre  de  Juillet,1 
Z^ag.  45  6. 1.  3  5.  Jean  Cocborne  Ormifton ,  lif  Jean  Cockbum 
d'Ormifton. 

Ibid.  A  Warvic ,  lif.  à  Berwick.  Edit.  Angl. 
Pag.  457. 1.  3  ï.  Metellan ,  lif.  Maitland. 
Pag.  45  8. 1.  2.  Lithcow ,  lif  Linlithgow.  Edit.  Angl. 

1.  12.  Kircadey,  lif.  Kirkaldy,  Sieur  de  Grange. 
1.  28.  Warvic,  lif.  Berwick.  Edit.  Angl. 
pag.  461. 1.  30.  Wemis,  lif  Veems. 
Ibid.  Cuper ,  ou  Cowper. 
î.  32.  Kingrag,  ou  Kincraig. 
ï*ag.  462. 1. 34.  De  Penh ,  Hf  à  Perth. 


C  O  R  R  E  C  T  ï  O  N  S,  &c;  €$$ 

Pag.  464. 1.  35*.  De  fes  terres,  ///7  de  fa  Province  ;  nota.  Ce 
Ducavoitle  gouvernement  &  le  commandement  général 
de  la  partie  Septentrionale  d'Angleterre  vers  l'EcoiTe, 
qu'on  pouvoit  par  cette  raifon  appellera/à  Province. 

1.  3  6.  Twed  &  Terwent ,  lif.  Tweed  ôc  Trent.  Edit. 
'AngL 

1.  dern.  Cécile ,  lif.  Cecil. 

Pag. 465".  L  i6.  Les  Seigneurs  de  la,  lif.  Charles  de  la. 

Pag.  46" 6. 1.  2p.  Sandeland  ,  ou  Sandilands. 

Pag.  47  £.1.  13.  Il  avoir  quitté,  ajout.  Il  avoit  honteufenient 
quitté.  P.  * 

1.  16".  Un  vif  reffentiment  ,  ajout.  Et  le  regardant 
comme  un  homme  importun,  qui  i'avoit  mal -à -propos 
averti  de  fon  devoir  ,  &  comme  un  témoin  oculaire  de 
fa  honte  Ôc  de  fa  confufion ,  il  lui  a  fait  &c.  P. ¥ 

Pag.  480. 1.  16.  Maille ,  lif.  Maillé. 

Pag.  481.I.  18.  Lalamant ,  lif  FAllemant  fieur  de. 

Pag.  483.I.  10.  Bourdin,  ajout,  l'ennemi  déclaré  des  Protefc 
tans.  P.* 

1,  26.  Le  quatre  de  Mars ,  lif.  le  trois  de  Mars.  M, 
Samm. 

1.  28.  Au  dix-fept ,  lif  au  feize  du  même  mois.  Editi 
fAngl. 

Pag.  487.I.  28.  Sans  troupes,  ajout.  Ceci  fe  paûa  le  quinze 
de  Mars ,  le  lendemain ,  feiziéme. 

Pag.  490. 1. 5".  Tandis  que  Chandieu  ,  lif.  tandis  que  Bertrand 
Chandieu. 

Pag.  497. 1.  3.  Juridicature  ,  lif  judicature. 

Pag.  45)8. 1.  p.  Lonvy ,  ou  Longwic. 


LIVRE     VINGT  CINQVIEME. 

Pag.  5:07. 1. 5-.  D'After ,  lif  Afté. 

1.  dern.  Richelieu ,  ajout,  homme  perdu  d'honneur 
&  de  réputation.  P.  * 

Pag.  508.I.  1.  Semblables  en  tout  à  leur  Capitaine  ,  ajout. 
Que  les  Guifes  cependant  avoient  deltinez ,  comme  il  a 
été  dit ,  pour  faire  partie  de  la  Garde  du  Roi.  P.  * 


£4o  RESTITUTIONS; 

Pag.  50p.  1.  28.  Chandey,  lif  Chandieu. 

Pag.  524.L  25.  Scarfe,  lif.  Defcars,  ou  d'Efcars. 

Pag.  5  30. 1.  2.  De  Conftantinople  ,  ajout.  Les  deux  cens  de 
celui  d'Ephefe  ,  not.  car  on  le  lit  ainil  dans  Serranus ,  dont 
cet  endroit  eft  pris.  Put. 

Pag.  541. 1.  37.  Le  25".  de  Septembre.  Et  fuivant  la  correction 
de  M.  Dupuy ,  le  premier  O&obre. 

Pag.  5*43.1.  33.  Le  Prince  d'Anguien,  lif.  François  de  Bour- 
bon. Put. 

Pag.  544. 1.4.  Saulas,  ou  Santlas.  Beze  l'appelle,  Solas. 

Pag.  5 45. 1.  ii.  Les  Proteftans  Huguenots  :  effacez  ici  &  ail- 
leurs ce  mot  Huguenots ,  dont  M.  de  Thou  parlant  en  hifto- 
rien  >  ne  s'eft  jamais  fervi. 

Pag.  54.5. 1.  6.  Quintel.  not.  C'eft  ainfi  que  Beze  appelle  celui 
que  nous  avons  ci-deflus  nommé ,  de  Quint  avec  tous  les 
Editeurs  de  M.  de  Thou. 

1.  3  7.  Bourel  du  Ponfenas  ,  lif.  Bourel  dit  Ponfenas. 

Pag,  5*47. 1.  ip.  Marques  &c.  L'Editeur  Anglois  veut  qu'on 
fafle  trois  perfonnes ,  de  ceux  dont  le  texte  femble  ne  faire 
que  deux  ;  fçavoir  Marquet  >  le  Juge  Civil  ou  Châtelain 
de  Soyon  ;  &  Blanchier.  C. 

Pag.  55*0. 1.  2.  Cinq  d'Août.  U Editeur  Anglois  fur  l'autorité  de 
Beze >  veut  qu'on  life  :  le  fix  d'Août.  C. 

1.  3  6.  Premier  Août ,  lif.  dix-fept  Août.  Edit.  AngU 

Pag.  $$1.1.26.  Paulin,  lif.  Polin. 

I.27.  La  nièce,  not.  Elle  s'appelloit  Juftine  Alle- 
mande des  Champs ,  fille  de  Juftine  de  Tournon  fœur  du 
Cardinal.  Put. 

1.  3  1 .  La  Foreft  ,  Blacons.  Otez  la  virgule }  &  lifez  : 
la  Foreft  de  Blacons. 

Pag.  5*52. 1. 12.  En  un  certain  Convent,  lif  l'Abbaye  de  la 
Grave.  Ç. 

1.  18.  Du  Comte  de  la  Baume ,  lif  d'Antoine  de  la, 
Baume  Comte  &c. 

Pag.  555.I.  1.  Fayeufe  ,  If.  Fuyeufe, 


UPHE 


C  O  R  R  E  C  T  I  O  N  S,  Sec,  d^t 


LIVRE     VINGT-SIXIEME. 

Pag.  ftfi.l.  13.  Amaury,  lif.  Aymery. 

Pag.  5  6"4- 1.  22.  Ceux  qui  paffoient  alors  &c.  On  lit  en  placé 
dans  les  éditions  de  Patijfon  &  de  Drouart  :  cette  ordonnance 
fut  faite  par  le  confeil  des  Guifes  >  &  l'on  croit  que  les 
Maréchaux  de  S.  André  &  de  BrifTac  y  eurent  part.  P. 
D.  o.f 

Pag.  76p.  1.  28.  Viole ,  ajout,  avec  Gilles  Bourdin  Procureur 
général ,  &  Jean  du  Tillet  Greffier  en  chef  du  Parlement. 
On  &c. 

Pag.  5*70. 1.  24.  Contre  fes  ennemis ,  lif.  contre  les  Guifes.  P. 

Pag.  5-71.1.  10.  Par  des  hommes  apoftez  à  cet  effet,  ajout.: 
On  dit  que  Sebaftien  de  Luxembourg  de  Martigues,  que 
les  Guifes  avoient 'envoyé  depuis  peu  en  Ecofïè  ,  ainfi  que 
nous  l'avons  dit ,  avoit  été  choifi  pour  donner  le  premier 
coup.  P.  * 

Pag.  £73-1.  p.  Ce  fut  alors,  ajout,  le  16.  de  Novembre. 

Pag.  y75".l.  16.  Vingt  jours  /lif.  vingt-cinq,  not.  François  IL 
né  à  Fontainebleau  le  20.  Janvier  1  5"  4 5.  avant  Pâques, 
mourut  le  j.  Décembre  1560.  ayant  régné  dix-fept  mois^ 
&  vingt-cinq  jours.  Put. 

Pag.  $ 7 6.1.  dern.  A  qui  cette  forme  de  jugement,  ajout.  Lai 
précipitation  dont  on  ufoit,  ôc  les  confeils  violens  des  Guifes 
avoient  toujours  déplu.  P.  * 

Pag.  578.I.  3.  Han,  ou  Ham. 

1.  6.  Sanfat ,  lif.  Sanfac. 

•Pag-  $19- 1-  6.  Le  12.  Suivant  P édition  de  Londres ,  le  21.  dé 
Décembre. 

Pag.  y 8 y.  1.8.  Le  Pape  régnant,  ajout,  uniquement  occupe 
de  l'avancement  de  fa  famille ,  &  fe  mettant  peu  en  peine 
de  tout  le  refte ,  ne  redoutoit  &c.  P.  * 

1.  26.  Dei  Medici,  lif  de  Medici. 

Pag.  ;8p.  1.  33.  Balduin  ,  ou  Baudouin. 

Pag.  5:5)0. 1.  32.  Commendon,  ajout.  Evêque  de  Zante.  Put. 

Pag.  fpi.  1.  2j.  Dom  Bernarde  de  Guimeran,  If.  Dom  Ber- 
nard o  de  Guimaran, 
Tome  HL  M  m  m  m 


tf  42  RESTITUTIONS, 

Pag.  59 3.I.  i<?.  Mortaga  Seigneur  de  Tefchiora,  Uf  Mor^ 
taha  Seigneur  de  Tefciara. 

Pag.  $ $6.1.26.  Marzamugetto ,  ou  Marfa  Mufcietto. 

Pag.  602.I.23.  Almanzor,  Uf.  Amanzor. 
1.  dern.  Conté  \  Uf  Conti. 

Pag.  603. 1.  30.  Le  cinq  de  May ,  lif  le  trois  d'Avril.  Fut. 

Pag.  605.I.  p.   On  vit  arriver,  ajout,  le  dixième  de   May, 
une  &c. 

1.  13.  Quatre-vingt,  Uf.  quatre-vingt  cinq. 

Pag.  607. 1.  23.  Cades ,  Uf  Caldes. 

Pag.  615.I.  17.  De  Holface,  ou  de  Holftein. 

Pag.  61 7. 1.  29.  Soixante-dix  ans ,  Uf.  quatre-vingt  ans.  P.  Z>.  0. 
I.30.  Cinquante  années,  Uf  foixante  années.  Edit. 
'Angï. 

Pag.  618.I.  23.  Cette  forte  d'amufement ,  Uf  cette  paiïiom 

Pag,  622. 1.  i6.  Requefende  ,  Uf.  Reefende. 
1.  35.  Barbato,  Uf.  Barbare 

Pag.  623.I.  16.  En  1583.  On  Ut  dans  V édition  de  Londres ,  il  y 
a  trente  ans  }  ante  xxx.  annos ,  ce  feroit  au  moins  en  1 5  30. 

Pag.  624. 1.  c).  De  la  marche  né  dans  Brandebourg ,  Uf  né  dans 
la  marche  de  Brandebourg. 

1.  17.  Le  premier  de  Novembre  ,  not.  Meîchior 
Adam ,  qui  a  écrit  la  vie  de  Lotichius ,  nous  apprend  quel- 
le fut  la  caufe  de  fa  mort.  Lotichius  faifoit  fes  études  à 
Boulogne,  &  logeoit  avec  un  jeune  Gentilhomme  Bava- 
rois Chanoine  de  Munich.  Ce  jeune  homme  avoit  une  in- 
clination en  ville.  Son  hotefie  qui  de  fon  côté  l'aimoit  éper- 
duëment  s'en  apperçut.  Aufli-tôt  l'amour  &  la  jaîouiïe  mi- 
rent aux  champs  cette  nouvelle  Medée.  Outrée  que  fon 
penfionnaire  allât  chercher  ailleurs  ce  qu'il  pouvoir  trou- 
ver fans  fortir  de  chez  lui ,  elle  réfolut  de  troubler  ce  com- 
merce. Son  deflein  étoit  uniquement  de  fe  faire  aimer  d'à 
>eune  Chanoine.  Pour  en  venir  à  bout,  elle  imagina  de 
fe  fervir  d'un  philtre.  Dans  cette  vue  elle  prépara  un  jour 
deux  bouillons  pour  fes  deux  penfionnaires ,  &  fuivant  la 
coutume  dupais,  elle  les  leur  prefenta  à  chacun  féparément. 
Un  hafard  renverfa  tous  fes  projets.  Le  bouillon  deftiné 
pour  Lothicius  étoit  beaucoup  plus  gras  que  celui  du  Ba- 
varois dans  lequel  l'hotefle  avoit  mêlé  le  breuvage.  Loti- 


CORRECTIONS,  &c.  Ctf 

chius  naturellement  ennemi  de  tout  ce  qui  étoitgras,  chan- 
gea de  bouillon  avec  fon  ami  ;  mais  à  peine  eut-il  commen- 
cé à  l'avaler ,  que  la  force  du  poifon  fe  fît  fentir.  Ce  jeune 
homme  tomba  d'abord  en  foibleffe  ;  enfuite  il  devint  fu- 
rieux ,  courut  à  fes  armes ,  &  fe  jetta  l'épée  à  la  main  fur  le 
Bavarois.  Peu  de  tems  après  revenu  à  lui-même,  il  avalia  un 
peu  d'huile  d'olives,  qui  lui  fit  rejetter  une  partie  du  poifon. 
A  la  fureur  fuccéda  une  fièvre  maligne ,  dont  il  ne  rechapa 
que  pour  avoir  la  douleur  de  voir  tomber  fes  ongles  & 
fes  cheveux.  Depuis  ce  tems -là  ce  ne  fut  plus  le  même 
homme  ;  il  changea  abfolument  de  caractère  &  même  de 
figure ,  &  conferva  tant  qu'il  vécut  des  reftes  de  cette  pre- 
mière attaque.  Tous  les  ans  vers  l'Automne  le  breuva- 
ge empoifonné  fembloit  fermenter  de  nouveau.  Ces  re- 
tours, étoient  accompagnez  de  fièvre  &  d'une  efpece  de 
délire.  Ce  fut  dans  une  de  ces  rechutes,  que  Lotichius 
périt  malheureufement.  Pati 

I.24.  Eitimablepar  fon  &  fçavoir  par,  lif.  éftimà* 
ble  par  fon  fçavoir,  &  par  la  douceur,  &c. 


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